il faut combien de meurtres pour parler de genocide

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il faut combien de meurtres pour parler de genocide
IL FAUT COMBIEN DE MEURTRES POUR PARLER DE GENOCIDE ?
par Shahar Ilan du Haarets 09 06 2006
La comparaison entre les meurtres de civils, la Choa et les actes de génocide génère
toujours des débats brûlants, et cela est normal . Le Prof. Israel Charny, directeur de
l’« Institute on the Holocaust and Genocide » a déclaré que le chercheur le plus ancien sur
le génocide avait inventé un terme permettant d’éviter toute comparaison. Kuper appelle
le massacre indiscriminé de dizaines ou centaines de civils un massacre génocidaire.
Lundi dernier, Charny a organisé un séminaire d’une journée ,sur le thème « les autres
victimes », soutenu par « l’Université Ouverte » et nous a donné une interview.
« L’Histoire démontre que, pour toutes les nations, il n’y a jamais eu un seul cas de société
incapable de meurtre de masse à l’encontre d’innocents désarmés » a-t-il dit. Charny
ajoute au journal Haaretz qu’il ne compare pas les actes de massacres à la Choa :
« Nous n’avons jamais commis un acte de génocide » explique-t-il, « nous avons faits
quelques actes de massacres génocidaires contre un petit groupe de gens, et chaque
cas était terrible et douloureux. L’étude de la Choa ne consiste pas seulement à étudier le
fait d’être victime, mais aussi au fait de savoir que ce potentiel existe en nous,
également ».
Quand-est ce qu’un massacre génocidaire se transforme en génocide , en véritable
meurtre d’un peuple ?
« Je pense que 10 000 personnes est un génocide » répond Charny. « Si ce n’est pas un
génocide, alors qu’est-ce que c’est ? Vous avez 10 000 civils anonymes d’une religion
donnée X qui sont assassinés par les adhérents de la religion Y ; comment nommer une
telle chose ? Un meurtre politique ? Je pense que c’est un génocide. »
Je fais remarquer à Charny que parler de génocide pour le massacre de 10 000
personnes peut sembler dévaluer la Choa. Il répond que si on juge de l’ampleur d’un
génocide uniquement par le nombre de victimes, la Choa pourrait se trouver rapetisser à
cause du fait que le régime communiste d’Union Soviétique a assassiné 55 millions de
Russes, neuf fois le nombre de Juifs assassinés pendant la Choa.
La conférence de « l’Université Ouverte » a été organisée à partir de la publication de
deux nouveaux livres, en hébreu, de l’université dans la série « Génocide ». L’un d’entre
eux, « Réflexion sur l’inconcevable » a été écrit par Yair Oron, qui dirige le groupe de
Maitres-Assistants du cours de « l’Université Ouverte » sur le Génocide.
Le livre présente une autre distinction visant à classer les actes de massacres comparés
au génocide. Le Prof. Rudolph Rummel de l’ « Université d'Hawaii » appelle les régimes qui
tuent plus d’un million de gens des « super-meurtriers ». Quinze de ces régimes ont
assassiné 151 millions de gens au XX ème siècle. Rummel évalue à 174 millions le nombre
de gens assassinés dans 8200 évènements donnant lieu à des massacres et génocide.
Si l’on inclut tous les peuples de l’Union Soviétique assassinés dans les frontières de cet
empire, le nombre de victimes du communisme russe monte à 62 millions, plus du tiers des
gens tués dans des actes de génocide au XX ème siècle. Les cinq plus grands meurtriers
de l’histoire du XX ème siècle sont les suivants :
: Staline (Union Sovietique) - 43 millions; Mao Zedong (Chine) - 38 millions; Adolph Hitler
(Allemagne), en 3ème place avec 21 millions; Chiang Kai-shek (China)— 10 millions; et
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Lénine (Union Soviétique) - 4 millions.
« L’homme est un meurtrier par nature, si on parle de génocide » continue Charny. Sinon,
demande-t-il, « pourquoi tant de gens prennent-ils un réel plaisir à chaque étape du
génocide ? »
Qu’est-ce que les Israéliens savent des autres génocides ? Oron parle de cette question
dans le chapitre du livre qui vient d’être publié par l’« l’Université Ouverte » , intitulé
« L’Allemagne nazie et les Tziganes », par Dr. Gilad Margalit. Oron se base sur une étude
des chercheurs Eyal Naveh et Esther Yogev en 1996. Cette étude a été faite à partir d’un
panel de 800 étudiants Israéliens, auquels on demandait ce qu’il savaient du génocide
des Tziganes par les nazis pendant le deuxième conflit mondial. Quelque 85% des
interrogés disaient n’avoir qu’une connaissance minimale ou même aucune onnaissance
de la queston. Seul 1% (moins de 10 étudiants) disaient très bien connaître le sujet.
En 1996-2004, le questionnaire a été distribué parmi 500 étudiants sélectionnés qui
suivaient un cours sur le génocide, étudiants ayant manifesté un intérêt à la question. Les
résultats étaient identiques. Quelques 85-90% de ces étudiants disaient ne rien savoir ou
très peu sur le génocide tzigane ou le génocide arménien.
Il est aussi à noter que le Ministre de l’Education refusa un document sur la notion de
génocide préparé par Oron en 1994. Une autre proposition faite en 1995 par Zvika Dror,
membre du kibboutz Lohamei Hageta'ot, visant à perpétuer la mémoire des victimes de
génocide en général n’eut aucune suite.
Charny dit que le « Truman Institute » à l’Université Hébraïque a été fondé dans les
années 1970 pour faire des recherches sur le sujet du génocide, mais très rapidement a
changé ses buts. De par le monde il y a, dans de nombreuses universités, des
départements qui font des cours sur la Choa et le génocide. En Israël il y a des cours sur la
Choa, mais l’« l’Université Ouverte » est la seule qui se consacre à des études sur le
génocide en général. Charny déclare que les initiatives pour enseigner le génocide dans
d’autres instituts ont été repoussées.
« Ceux d’entre nous qui manifestent une prise de conscience de l’existence du génocide
d’autres peuples ont été traités de rebelles et de non-conformistes » nous dit Charny, en
ajoutant que « l’idée d’étudier le génocide des autres peuples est perçue ici comme une
volonté de minimiser la Choa, voir même un début de trahison. Nous protestons tellement
contre le monde entier qui ne connaît pas la Choa –poursuit Charny-. Mais avons-nous un
droit moral de ne pas connaître, nous non plus, les génocides des autres ? N’est- ce pas
honteux ? »
Oron nous dit que les chercheurs sur le génocide affirment que le déni « est la dernière et
ultime victoire d’un génocide ». En d’autres termes, les meurtriers veulent toujours que le
crime soit nié, ou au moins que ses dimensions soient oubliées, pour en diminuer
l’importance et son caractère horrible, en mettant la responsabilité sur les victimes, pour
se dédouaner eux-mêmes.
Certains chercheurs combattent l’idée selon laquelle tous les actes de génocide du XX
ème siècle, autre que la Choa seraient « oubliés », « cachés. ». Oron pense que ce qui
permettra un génocide ou pas dans l’avenir, ce ne sont pas les meurtriers ni les victimes,
mais « plutôt la tierce partie » - la majorité de la société humaine. C’est cette tierce partie
qui permet le génocide car les meurtriers comprennent que le reste du monde ne
bougera pas.
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