72% des immigrés turcs de 20 à 64 ans sont dépourvus d`une

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72% des immigrés turcs de 20 à 64 ans sont dépourvus d`une
Immigration
Intégration des étrangers : Pourquoi L’Allemagne a échoué
Multiculturalisme Une famille turque et une famille allemande regardent une procession, lors du carnaval de Duisbourg (ouest).
Christoph Henning Das Fotoarchiv
En Allemagne, Thilo Sarrazin a créé le scandale et ouvert le débat avec ses thèses intransigeantes sur
l’intégration des communautés étrangères. Mais les partis se taisent, car ils n’ont pas de politique en la
matière.
Cette semaine-là, l’effervescence créée par le brûlot iconoclaste de Thilo Sarrazin atteignait son comble.
72% des immigrés turcs de 20 à 64 ans sont dépourvus d’une formation
professionnelle.
Dans le public, on commençait à se demander si l’obstiné économiste n’avait pas raison, lui qui affirme que,
avec le temps, l’Allemagne se détruira, non seulement parce que sa population diminue, mais parce qu’elle
devient de plus en plus bête.
Parce que les femmes adéquates, les Allemandes jeunes et intelligentes, ont trop peu d’enfants. Tandis que
les inadéquates, parmi lesquelles bon nombre de musulmanes sans formation, en ont trop.
Si, entre-temps, ce membre du SPD, devenu infréquentable, a été démis de ses fonctions à la Bundesbank
et se voit menacé d’exclusion de son parti, il a réussi, par ses écrits fracassants, à propulser en tête de
l’agenda politique un thème qui n’y a jamais figuré: l’intégration.
En dépit de la présence au gouvernement d’une déléguée à la migration, aux réfugiés et à l’intégration, du
nom de Maria Böhmer.
Il est vrai que, pendant que le pays débattait des jeunes filles à foulard, des crimes d’honneur, de l’absence
de maîtrise de la langue, de l’économie souterraine et du communautarisme, la ministre en charge de ces
préoccupations était au Canada.
Au moins, cette élue de la CDU a-t-elle l’aubaine d’occuper un bureau à la Chancellerie, car à sa devancière,
Cornelia Schmalz-Jacobsen, il n’avait jamais été consenti, en sept ans de fonction, un seul entretien sur le
thème des étrangers avec son chef d’alors, Helmut Kohl.
Le Gouvernement allemand ne prend au sérieux le thème de l’intégration que quand l’opinion publique
s’inquiète du cas Mehmet, du nom de cet ado turc de Munich qui, avant l’âge de 14 ans, accumulait déjà
plus de 60 délits (vols, cambriolages, lésions corporelles, extorsions, chantage et agressions).
Ou quand des étudiants arabes de l’Université technique de Hambourg précipitent un avion sur le World
Trade Center de New York. Ou encore quand, à un arrêt de tram, une jeune Afghane est exécutée par son
frère parce qu’elle prétend vivre comme ses copines allemandes.
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Et, bien sûr, quand un certain Thilo Sarrazin donne un coup de pied dans la fourmilière politique avec ses
thèses politiquement incorrectes.
Problème caché. Alors, d’un coup, tous s’expriment, la chancelière Angela Merkel en tête, qui assure qu’il
faut «de bonnes décisions, des faits, pas des mots», tandis que son ministre de l’Intérieur ne saurait
«cacher qu’il existe des problèmes», mais, évidemment aussi, «bien des cas d’intégration réussie». Tous, en
tout cas, espèrent que ce tumulte se calmera bientôt.
Cependant, le problème ne sera pas désamorcé par le simple fait qu’on en parle. Ni parce qu’on se le
cache. Parce que, en Allemagne, soixante-cinq ans après la fin de la guerre, il n’est pas aisé de débattre des
étrangers avec simplicité.
La peur de faire tout faux y est profondément ancrée. Alors, on est tenté d’en faire le moins possible. Or, la
problématique des étrangers divise la société allemande, elle hante les esprits, les gens veulent des
réponses.
Un chiffre trahit l’échec de l’Etat dans la question de l’intégration. Il est officiel: 72%. Telle est la proportion
d’immigrés turcs, hommes et femmes, entre 20 et 64 ans, dépourvus d’une formation professionnelle.
Il leur est dès lors bien difficile de trouver du travail. Plus difficile encore de s’intégrer. Les conséquences,
on les observe tous les jours dans les ghettos étrangers des grandes villes du pays.
Les Turcs restent le plus souvent entre eux, ils n’ont presque pas de contacts avec la majorité allemande.
Les jeunes s’ennuient dans la rue, deviennent vite agressifs. Un cercle vicieux fait de pauvreté, de violence
et d’absence de perspectives les conduit à s’éloigner toujours plus du reste de la société.
Dans quelques années, la proportion des immigrés de moins de 40 ans approchera les 50% dans certaines
grandes villes. Comme la plupart seront toujours dépourvus de formation, on mesure les conséquences
désastreuses sur le système social.
Mais une autre raison explique pourquoi l’intégration est devenue, depuis belle lurette, pour les Allemands,
une question de survie: qui fera vivre le pays si un nombre toujours croissant de jeunes sont exclus du
monde économique et social? Qui deviendra policier, fonctionnaire, enseignant, percepteur ou médecin?
Il existe peu de champs d’activité politique où les conséquences se déploient à aussi long terme. Et ce ne
sont pas de nouvelles lois qui annuleront les fautes passées.
«A propos du multiculturalisme, la gauche a longtemps entretenu le rêve merveilleux d’un monde sans
tache. Elle a ignoré que se développaient des sociétés parallèles, dit l’ancien premier ministre de la Bavière,
Günther Beckstein.
De son côté, la CDU, prétendant que l’Allemagne n’est pas un pays d’immigration, ne s’est pas assez
préoccupée des migrants qui vivent déjà parmi nous.» C’est ainsi que l’histoire des flux migratoires vers
l’Allemagne est aussi l’histoire d’un mensonge politique.
L’embauche des premiers travailleurs étrangers, des Italiens en 1955, reposait déjà sur le postulat erroné
que ces gens qu’on allait chercher repartiraient dès qu’on n’aurait plus besoin d’eux.
Résultat: en 1973, la République fédérale comptait 2,6 millions d’étrangers et le premier choc pétrolier,
cette année-là, eut pour effet d’inciter les saisonniers à se fixer et à faire venir leurs familles.
Tandis que la gauche se berçait toujours du rêve d’une harmonieuse convivialité et allait boire un retsina
chez le Grec du coin. Tandis que la droite persistait à considérer les étrangers comme des hôtes et refusait
de se demander jusqu’à quand ces hôtes allaient s’incruster. Les deux partis se retrouvaient pour fermer
résolument les yeux.
Le peuple, lui, se bornait à considérer les musulmans comme des étrangers, à admettre que tout contact
avec des Allemands est interdit aux musulmanes, que les filles ne prennent pas part aux cours de gym et
moins encore à ceux de natation, qu’elles ne participent pas aux excursions scolaires.
Ce n’est qu’en 1978, alors que la République fédérale abritait déjà 4 millions d’étrangers que fut créé un
poste de délégué destiné à favoriser leur intégration.
Son titulaire, Heinz Kühn, accoucha, un an plus tard, d’un mémorandum sur «L’état et l’évolution de
l’intégration des travailleurs étrangers et de leurs familles» appelant à abandonner l’illusion que les
immigrés ne séjournaient en Allemagne que provisoirement et demandant un crédit de 600 millions de
marks pour les intégrer à la société dès l’école. A droite comme à gauche, on tomba d’accord pour rejeter
le rapport, «une intégration des étrangers n’étant ni souhaitable ni possible». Le rapport de Heinz Kühn
finit dans un tiroir.
Cela dit, contrairement à ce qu’affirme Thilo Sarrazin dans son pamphlet, un certain nombre de choses ont
été réalisées ces dernières années, notamment des cours d’intégration, obligatoires pour les nouveaux
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arrivants, auxquels participent aussi, volontairement, nombre d’immigrés déjà installés : à ce jour, 600000
personnes ont suivi de tels cours et témoigné, de ce fait, de l’intérêt pour leur pays d’accueil.
En dépit de ces programmes d’intégration, la difficulté de la tâche est illustrée par le cas, en 2006, de cette
gymnasienne jordanienne en classe de maturité à Solingen, qui avait beaucoup de bonnes copines et suivait
un cours de soutien en allemand.
Un jour, ses parents lui présentèrent les fils d’un couple d’amis. D’un coup, elle eut moins de temps pour
ses amies, passa son bac et disparut immédiatement sans laisser de traces, téléphone mobile coupé,
courriel muet. A ceux qui demandèrent de ses nouvelles à ses parents, il fut sobrement répondu qu’elle ne
souhaitait plus aucun contact.
Certes, le cas n’est pas emblématique. Non parce que cet échec de l’intégration serait en soi atypique, mais
bien parce que l’échec intervient en général avant le baccalauréat.
Quand, par exemple, Christel Walliczek ouvre à 8 heures le matin les portes de sa garderie, elle veille à ne
pas faire des phrases, car la plupart de ses 135 petits pensionnaires ne la comprendraient pas.
Pour tout dire, ils sont 120 à être nés en Allemagne dans des familles turques, serbo-croates ou
pakistanaises et n’entendent jamais parler l’allemand à la maison. Christel Walliczek se juge déjà satisfaite
quand ils réussissent à annoncer «pipi» et «caca».
Pour ce qui est des repas, elle recourt au langage des signes en se frottant le ventre en cercle. Après deux
ou trois ans, les enfants parlent un peu l’allemand, savent compter jusqu’à dix et dire «éléphant» pour un
éléphant. De loin pas assez pour aborder l’école…
Les Turcs causent souci. Ce n’est pas le cas de toutes les nationalités, comme le montre une vaste enquête
de 2009 auprès de 45000 élèves de 9e année.
Parmi les enfants arrivés d’Iran et du Vietnam avec leurs parents, l’intention d’aller jusqu’à la maturité
s’avérait même plus marquée que chez leurs camarades allemands, alors que seuls 16% des jeunes Turcs,
20% de ceux des Balkans et 22% des Italiens proclamaient le même objectif.
Ce sont surtout les Turcs qui causent du souci: trois sur quatre d’entre eux obtiennent au mieux un
certificat d’études primaires, plus de 20% n’ont fréquenté l’école que pendant cinq ans. Rien d’étonnant,
dès lors, à ce qu’ils soient si nombreux à alimenter la statistique du chômage.
Il est licite, bien sûr, de se demander si la problématique de l’intégration ne coïncide pas, en réalité, avec
celle de la pauvreté: quand on est pauvre, il reste peu d’argent pour accomplir une formation et, quand on
est sans formation, on reste forcément pauvre.
Ce cercle vicieux, qui ne concerne pas que les familles turques, est assorti d’inconvénients répandus dans
les milieux défavorisés: trop de télévision, trop de bruit à la maison pour pouvoir étudier, trop de claques
tenant lieu de solutions aux conflits familiaux.
Autre facteur qui prétérite l’intégration: les Turcs, même de la deuxième et de la troisième générations, se
cherchent une fiancée dans la patrie de leurs parents.
Des femmes qui ne comprennent pas un mot d’allemand et se cloîtrent à la maison, font le ménage,
s’occupent des enfants – en turc, évidemment – et ne dépensent rien pour les placer à la crèche. Seul un
minuscule 5% de migrants turcs épousent un ou une partenaire sans croissant de lune sur le passeport.
Le ministre de l’Intérieur, Thomas de Maizière, présentait il y a quelques jours un programme fédéral
d’intégration qui énumère des mesures positives.
Mais aussi des sanctions allant des amendes infligées aux familles dont les enfants font l’école buissonnière
jusqu’à la réduction, ou même la suppression, des indemnités de chômage aux bénéficiaires de longue date
qui boycottent les cours d’intégration.
Tout cela est certes louable, mais, au détour de l’une des 200 pages du programme, on découvre aussi que
«les processus d’intégration supposent que les personnes qui n’ont pas un passé de migrants soient prêtes
à s’ouvrir à une diversité croissante». En d’autres termes, c’est le peuple qui décide en matière
d’intégration aussi.
Or, ces temps, le peuple allemand intègre peu. Au contraire, il désintègre en déplaçant ses enfants de
classes trop métissées vers d’autres quartiers ou dans des écoles privées.
Une enquête indique que seul un Allemand sur quatre connaît un musulman pratiquant, qu’un sur trois
craint que l’islam s’étende excessivement en Allemagne.
Et dire que, chaque année, plus de 4,5 millions d’Allemands choisissent la Turquie pour leurs vacances,
tandis que bien rares sont ceux qui ont visité une mosquée chez eux.
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• Dossier de Matthias Bartsch, Jürgen Dahlkamp, Jan Fleischhauer, Konstantin von Hammerstein, Guido Kleinhubbert, Juliane von
Mittelstaedt, Miriam Olbrisch, Maximilian Popp, Markus Verbeet. ©Der Spiegel
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