abstract plagiat, emprunts, cliché : mise en question de l`originalité
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ABSTRACT PLAGIAT, EMPRUNTS, CLICHÉ : MISE EN QUESTION DE L'ORIGINALITÉ ARTISTIQUE ET DISPARITION DE L'AUTEUR DANS LA CARTE ET LE TERRITOIRE DE MICHEL HOUELLEBECQ by Vincent B. Guimiot This paper, in French, explores the theory of authorship behind the controversy surrounding Houellebecq's use of Wikipedia articles in his last novel, La Carte et le Territoire (2010). The alleged plagiarism participates in and is revelatory of an aesthetics of borrowing, from the narrative voice borrowed from a fictional future posterity and proverbial, trite speech to the works of art inside the novel being mere reproductions of other works (photographs of roadmaps). The notion of cliché, both linguistic (in the style) and artistic (in the plot), questions the very concept of originality of the work of art. Be it a reproduction of the world (mimesis) or of other productions (imitatio), its author's importance is consistantly undermined, and the work acquires a full autonomy: a production of language speaking itself, instead of being spoken. The novel thus constructs a complete disappearance of the author, in keeping with theories built by Borges, Foucault or Baudrillard. PLAGIAT, EMPRUNTS, CLICHÉ : MISE EN QUESTION DE L'ORIGINALITÉ ARTISTIQUE ET DISPARITION DE L'AUTEUR DANS LA CARTE ET LE TERRITOIRE DE MICHEL HOUELLEBECQ A Thesis Submitted to the Faculty of Miami University in partial fulfillment of the requirements for the degree of Master of Arts Department of French and Italian by Vincent B. Guimiot Miami University Oxford, Ohio 2011 Advisor : Jonathan Strauss Reader : Elisabeth Hodges Reader : Anna Klosowska Table of Contents I) La controverse........................................................... 3 II) Les différentes formes de l’emprunt.................................... 8 III) Origine et originalité de la représentation artistique................ 32 Bibliographie :............................................................ 44 ii Acknowledgements I wish to express my gratitude to Jonathan Strauss whose advice, encouragements and understanding helped me throughout the exhausting process of writing this thesis. I also wish to thank all the faculty of the French and Italian department at Miami University, who all somehow contributed, over the two years I spent with them, to refine my approach to literature. Also deserving my gratitude are all the professors and teachers I was fortunate to have all my life, the first and last being my parents Bernard and Françoise. And thank you, Michel Houellebecq, for the philanthropical optimism which runs in your works and makes reading and studying your books a safe, sound activity. iii L'œuvre de Michel Houellebecq s'inscrit dans une continuité, presque une logique, celle de la controverse. Son dernier roman La Carte et le Territoire a fait les gros titres de l'actualité littéraire française et internationale non seulement en raison de son prix Goncourt et de ses personnages puisés dans les personnalités réelles et contemporaines du Tout-Paris, mais également du fait des accusations de plagiat portées contre le romancier. Le plagiat, avéré, concerne différentes pages internet publiques donc libres d'accès. Certaines de ces sources, jamais citées, étant le fruit de collaborations anonymes placées sous une licence autorisant leur reproduction à condition de reconduire cette même reproductibilité, il a été soutenu que La Carte et le Territoire était une œuvre libre de droits, tombant dans le domaine public et gratuitement reproductible. Si la question juridique a depuis été tranchée en faveur des droits de l'auteur, des problèmes d'ordre littéraire se trouvent soulevés par cette affaire. D'une part, le statut de l'œuvre d'art, sa naissance et son indépendance par rapport à ses modèles (qu'il s'agisse d'autres œuvres ou du monde dont l'art est mimesis) se trouvent questionnés, dans le roman lui-même, en la personne de Jed, artiste peintre et photographe dont l'œuvre se fait tantôt imitatrice d'une réalité et tantôt copie d'objets fonctionnels, représentés tels quels, à la manière du readymade contemporain. L'écriture de Houellebecq procède dans une certaine mesure de ce glanage, à travers les pages décrivant concepts scientifiques et économiques, lieux, histoires de personnalités diverses, ou encore la fonction officielle du corps de métier des gardiens de la paix. La comparaison faite dans le roman entre carte et territoire, entre modèle et représentation artistique, donne son titre à l'œuvre et encourage à considérer la supériorité de l'imitation. D'autre part, la réflexion thématique et plutôt explicite sur l'emprunt et la mimétique se double d'une recherche esthétique du copié-collé. Le style de Houellebecq, en plus des récitations mécaniques de pages d'encyclopédies par les voix narratives de discours indirects libres, se caractérise par une utilisation systématique de la parole empruntée. De même que l'auteur se défendait il y a quelques années de son racisme en invoquant la parole et l'opinion de ses personnages dans ses romans, il convoque, dans la Carte et le Territoire entre autres, le ondit, la banalité discursive proverbiale (avec son présent de généralité et ses articles définis à valeur générale), ou encore la voix de la postérité imaginaire, pour mieux dénoncer ses raccourcis et son manque de finesse. Les mots eux-mêmes sont, de manière très fréquente, des emprunts : anglicismes parfois naturels, parfois forcés ; expressions consacrées et usées jusqu'à 1 la corde ; mots tirés d'un registre tout différent de leur contexte, comme un surgissement du discours indirect libre. La présence, parfois, d'un commentaire sur la banalité de ce lexique ainsi que l'utilisation a priori non systématisée des guillemets, de l'italique, ou leur surprenante absence brouillent les cartes et invitent à la considération des choix opérés et de l'idéologie sousjacente. Cet emploi d'emprunts, de la parole fade et impersonnelle, de clichés linguistiques, rejoint l'idée de cliché en tant que medium artistique privilégié de Jed dans le roman. Le cliché stylistique se marie aussi très bien avec le cliché idéologique latent chez Houellebecq et dont l'une des manifestations se trouve dans son utilisation -peut-être volontairement- mécanique d'archétypes situationnels très télévisuels (on peut penser notamment aux terroristes, nécessairement islamistes, de Plateforme, ou aux « racailles » de banlieue, toujours responsables de maux de la société). Ces clichés relèvent même du fantasme, et rejoignent les fantasmes sexuels mis en scène par Houellebecq dans ses précédents romans. Ceux-ci sont également le lieu où le cliché, la pauvreté conceptuelle, se traduit par une pauvreté lexicale, révélatrice d'une crise du langage qui parcourt toute l'œuvre. Cette crise du langage se découvre, en plus des clichés langagiers récurrents et de la pauvreté lexicale ponctuelle, dans l'aveu explicite des personnages des romans d'être confrontés à une incommunicabilité (par refus ou par manque d'inspiration) de leur pensée et de faire preuve d'un véritable handicap relationnel. Ne rien trouver à dire est à la fois le pendant et l'alternat ive complémentaire à la logorrhée dont sont saisis les personnages au savoir encyclopédique mais souvent figé dans une terminologie et une syntaxe techniques, jargonnesques, ou branchées. Ces mises en avant et mises en abime de l'artificialité, de la copie ou emprunt, de la crise créatrice, qu'elle soit artistique ou linguistique, constituent une invitation assez explicite de la part de Houellebecq à reconsidérer le statut d'auteur en général, et sa fonction-auteur propre. En ce sens, La Carte et le Territoire, roman qui met en scène des écrivains contemporains réels, présentés à travers le prisme de leur œuvre, et qui les fait disparaître derrière leur production littéraire, peut se lire comme une interrogation sur l'originalité dans l'art et le langage, donc dans la littérature. La controverse autour du roman fait donc en fait partie de celui-ci : elle éclaire le style de l'œuvre qui en retour répond aux accusations par une remise en question qui dépasse le romancier. 2 I) La controverse La Carte et le Territoire, cinquième roman de Michel Houellebecq, a été publié en septembre 2010 par l'éditeur Flammarion. Pour cette œuvre, l'auteur a reçu deux mois plus tard, le 8 novembre, le prix Goncourt, décerné par sept voix contre deux, et portant au pinacle un romancier déjà coutumier d'une couverture médiatique exacerbant à la fois la ferveur de ses inconditionnels lecteurs et les critiques de ses détracteurs. Le prix littéraire avait échappé à Houellebecq en 1998 (Les Particules Elémentaires), en 2001 (Plateforme) et en 2005 (La Possibilité d'une île). La réputation de l'écrivain tenait alors surtout à des textes taxés de pornographiques, à la mise en scène d'un nihilisme débouchant sur une apparente misogynie et un certain racisme, et à la réitération, en interview, de certains de ces propos controversés présents dans ses fictions, dans la bouche des personnages ou du narrateur. C'est cependant une accusation inédite pour Houellebecq qui place son dernier opus en une des divers médias. Vincent Glad publie en effet sur le magazine en ligne slate.fr, quelques jours avant la sortie officielle du roman, un article établissant des parallèles difficilement discutables entre des passages de La Carte et le Territoire et différentes pages de la version francophone de l'encyclopédie gratuite et participative Wikipedia. L'article, intitulé « Houellebecq, la possibilité d'un plagiat », fait dialoguer l'accusation à la fois d'une « pratique illégale » et d'un manquement à une certaine éthique attendue d'un auteur (notamment le fait de citer ses sources en cas de réutilisation de textes extérieurs) et la minimisation du délit, inscrivant les faits reprochés dans une certaine cohérence littéraire propre à l'auteur : la pratique est « logique dans la prose houellebecquienne » ; les emprunts, « qu'on pourrait apparenter à des «collages» littéraires, n'ont rien de scandaleux en regard du style de Michel Houellebecq » ; Lautréamont est d'ailleurs cité en exemple de précurseur à ce style du recyclage : « Déjà en 1869, dans les Chants de Maldoror, Lautréamont faisait son autoportrait à base d'extraits de traité médical et de manuel d'histoire naturelle. Du Wikipedia avant l'heure. » Pourtant, la prose laudative du journaliste côtoie et, au final, cède sa place à un bien plus sensationnel (et vendeur : intelligenceetfrustration.blogspot.com rapporte « un triplement de l'audience moyenne du magazine en ligne sur la période de la sortie de l'article ») jugement laissé au lecteur, face aux extraits des deux sources confrontées, du qualificatif retenu : « Plagiat ou effet de style ? » L'information est reprise par tous les médias (internet, presse papier, et journaux internationaux) qui, semblant heureux de cette nouvelle controverse attachée à l'auteur 3 des Particules Élémentaires, se contentent pour la plupart de relater la découverte faite par slate.fr de la réutilisation manifeste par Houellebecq de textes extérieurs sans citer ses sources. Dès lors, le roman se trouve associé au scandale et teinté de cette réputation d'œuvre plagiaire, comme le prouve la défense de Houellebecq : « Si les gens le pensent sérieusement, c'est plus grave, parce qu'alors ce sont vraiment des incompétents, ils n'ont pas la première notion de ce qu'est la littérature. » (Vebret). Michel Houellebecq fait ici référence à des accusations dont sont absentes les nuances de l'article originel de state.fr, accusations déformées donc, par le téléphone arabe médiatique. Le volet proprement juridique de cette affaire apparaît avec la mise en ligne gratuite par plusieurs blogueurs, comme Florent Gallaire, « juriste spécialisé en droit du numérique » (Radenovic), de copies numériques de La Carte et le Territoire. Cette publication se fait au motif que le roman réutilisant des extraits d'une œuvre de l'esprit (les articles de Wikipedia) distribuée sous une forme de licence Creative Commons autorisant la copie et la modification à la condition de placer ces copies sous la même licence de distribution (et donc d'accorder un droit de copie non-commerciale illimitée à cette copie), le livre tout entier serait attaché à cette licence de distribution gratuite. L'éditeur Flammarion, en menaçant les internautes de poursuites judiciaires, a obtenu le retrait de ces publications parallèles, et a déclaré se réserver le droit de demander réparations pour le préjudice commercial subi. Aucune action en justice n'a en revanche été considérée contre l'auteur ou son éditeur pour la reproduction et distribution commerciale d'articles d'encyclopédie. Différentes notions entrent en jeu dans l'affaire de La Carte et le Territoire : le fait manifeste, avéré et admis par Houellebecq et son éditeur, revêt plusieurs noms : emprunts, reprises (mot que Yorric Kermarrec, secrétaire général des éditions Flammarion, utilise mais « cerclant le terme de guillemets » (Gary)), « tissage » ou « patchwork » appartiennent à la rhétorique de défense (utilisée dans une interview vidéo du nouvelObs.com (Vebret)) du procédé d'écriture houellebecquien, un style que l'auteur dit hériter de Borges ou Perec. On pourrait rajouter la notion de citation (ou d'intertextualité), renvoi plus ou moins explicite, mais jamais volontairement dissimulé, à une autre œuvre. A l'inverse, le plagiat (« un très gros mot » qui relève de « l'insulte » pour Houellebecq (Vebret)), la contrefaçon, ou encore le cannibalisme littéraire sont des termes voisins dépréciatifs d'un travail artistique. 4 Hélène Maurel-Indart, professeur de littérature comparée spécialiste du plagiat, explique au journal 20minutes.fr (Pudlowski) : Le plagiat n’est pas un terme juridique du tout; le terme juridique, c’est la contrefaçon, qui elle est un délit. Le plagiat relève de la critique littéraire. Ce n’est pas un genre littéraire comme le sont le pastiche, la parodie ou le pamphlet, mais cela relève de la critique, qui se situe entre l’emprunt créatif et l’emprunt servile. L’emprunt créatif nourrit les grandes œuvres, qui fait que l’on n’écrit rien de nouveau, mais que l’on réutilise d’une autre manière, avec une autre vision. Et l’emprunt servile, c’est du recopiage à la lettre ou du démarquage très habile, mais sans plus-value. A l'inverse du délit de contrefaçon, l'intertextualité, dit-elle « est un procédé d’écriture. La présence dans un texte d’autres textes. Il ne faut pas que les textes insérés soient trop longs ; qu’ils soient insérés dans un contexte qui renouvelle leur sens, qu’ils leur redonnent une valeur intrinsèque. » Son verdict concernant Houellebecq est sans appel : Ce n’est pas du plagiat. A une époque, l’intertextualité, comme collage, prenait la forme d’allusions très érudites, pour un public qui s’amusait à reconnaître les références. On peut regretter que les allusions soient désormais plus du côté de Wikipédia que des grands auteurs. Mais cela correspond bien à la démarche de Houellebecq, de refléter notre mode de pensée… La défense de Houellebecq, qu'elle vienne de lui-même, de son éditeur, ou des universitaires, familiers de l'intertextualité, invoque donc la banalité du procédé, utilisé par d'illustres auteurs tels Perec et Borges, jusque-là sans confusion possible avec un plagiat volontairement dissimulé. Que l'intertextualité et l'emprunt fassent pleinement partie du style houellebecquien semble faire consensus. On retrouve dans ses romans précédents de ces reprises littéraires plus ou moins explicites. En 2007, Jean-Louis Cornille, dans « Extension du domaine de la Littérature ou J'ai Lu L'Etranger » se penchait déjà sur « le mimétisme littéraire de Michel Houellebecq », présent dès le premier roman de l'écrivain. Le dialogue que Houellebecq initie dans Extension du domaine de la lutte avec ses prédécesseurs et leurs œuvres oscille selon Cornille entre références explicites en forme d'hommages et une démarche plus opaque de dissimulation des sources (sources 5 littéraires, donc métaphoriques, qui trouvent un écho concret dans le roman lorsque le narrateur se trouve effectivement incapable de localiser géographiquement les sources de l'Ardèche). Les indices laissés par Houellebecq quant aux emprunts qu'il effectue sont de plusieurs natures. Le pastiche stylistique est pour Cornille aisément repérable : « on peut difficilement ne pas être sensible au caractère emprunté (ou dialogique, dans le sens où l'entendait Mikhail Bakhtine) de ces brefs morceaux » écrit-il à propos des fables animalières composées par le narrateur antérieurement à l'action d'Extension du domaine de la lutte. Cornille identifie la première fable à La Fontaine, et qualifie de « particulièrement manifeste » « la parodie du style lui-même parodique de Lautréamont » de la seconde (Cornille 134). Le troisième écrit mis en abime dans le texte (des fragments et tentatives d'écriture inachevées par le narrateur lui-même) serait « une certaine imitation du fameux singe éduqué de Kafka » (Cornille 136). Ailleurs, ce sont des références plus cryptiques à Zola et à Bataille que Cornille perçoit dans le texte de Houellebecq. Dans Les Particules et La Possibilité, ce sont des concepts sartriens d'illusion rétrospective et de dégoût du monde proche de la Nausée, ainsi que l'apparition de Jean-Paul Sartre lui-même, qui nourrissent l'intertextualité houellebecquienne (Cornille 140). Ces références sont sinon explicites, en tout cas assumées par l'auteur, qui sans toujours citer directement ses pairs, ne dissimule pas ses hommages : « Houellebecq ne laisse d'ailleurs aucun doute planer sur la nature citationnelle de cet extrait lorsqu'il précise que « certains littérateurs du passé ont cru bon, pour évoquer le vagin et ses dépendances, d'arborer l'expression sottement ahurie et l'écarquillement facial d'une borne kilométrique » » (Cornille 135). Cornille oscille dans son interprétation de cette abondance intertextuelle : « c'est ainsi que certains parmi nous écrivent leurs premiers livres: la formule est loin d'être secrète. Seule l'est son ampleur. La littérature de Houellebecq se signalerait donc d'emblée dans sa dimension la plus mimétique » (Cornille 136). Mais l'auteur dont l'œuvre est la plus systématiquement reprise par Houellebecq est Camus, dont l'Etranger donne son titre à l'article. Le rapport éthique de Houellebecq au texte de 1942 est plus ambigu. De nombreux éléments narratifs sont repris dans Extension: l'Arabe sur la plage devient un Noir, la température qu'on pourrait qualifier d'algéroise au milieu de l'hiver, le refus de Meursault comme de Tisserand de payer pour des relations sexuelles, etc. Chacun de ces éléments du texte d'origine est repris non pas tel quel mais modifié : « sans jamais tomber dans le plagiat pur et simple, il va 6 sans dire : l'accent repose sur la transformation, non sur l'imitation » (Cornille 139). Cornille expose ainsi à un moment sa théorie sur cette réécriture : « Extension du domaine de la lutte, c'est l'anti-Etranger (autant dire L'Autochtone), tant l'on dirait que Houellebecq s'efforce de prendre à contre-pied le roman de Camus, de le relire bien en deçà du degré zéro, pour nous en offrir le négatif froissé » (Cornille 141). On aurait donc affaire à un travail purement littéraire de reprise et transformation, de réappropriation au sens artistique. Dans un mouvement de balancier presque schizophrénique, Cornille nous présente pourtant ailleurs le versant moins glorieux de cette démarche houellebecquienne : « Il y a eu, sur ce plan, de sa part tout un travail d'effacement : mais celui-ci n'en fut pas moins précédé de tout un travail en sens contraire, d'inscription du texte d'Albert Camus » (Cornille 133) et « tout cela, bien sûr, demeure dissimulé, voire soigneusement effacé par l'auteur, qui est loin d'avouer ses sources véritables » (Cornille 140). La réécriture au sens artistique revêt donc une ambiguïté dans la démarche de Houellebecq : la transformation du texte originel vise-t-elle une dissimulation de la dette du jeune auteur envers son prédécesseur, voire une réappropriation de la paternité même des motifs littéraires imités ? Le jugement de Cornille est brutal et cynique : On saupoudre son texte de références méconnaissables, habilement choisies, subtilement transformées. Le lecteur cultivé vaguement reconnaît, sans pour autant identifier le passage concerné, et voilà, le tour est joué : un air indéniablement littéraire se dégage de ce texte du seul fait qu'il y est fait allusion à un texte réputé littéraire. La question que tout le monde se pose peut donc se résoudre toute seule : Houellebecq fait-il de la littérature ? Très certainement, oui, puisque c'est avec de la littérature qu'on fait encore et toujours le plus facilement de la littérature (Cornille 142). Avec La Carte et le Territoire, les mêmes questions se trouvent à nouveau posées, mutatis mutandis : peut-on parler d'un travail littéraire de réécriture lorsque des passages entiers sont recopiés mot pour mot ? L'absence de citation des sources reflète-t-elle vraiment une volonté de dissimulation lorsque l'auteur ne se donne pas la peine de brouiller les pistes de ses emprunts, si évidents qu'ils seront fatalement identifiés tôt ou tard ? 7 II) Les différentes formes de l’emprunt Dans La Carte et le Territoire, Houellebecq ne rend pas le brouillage des cartes systématique et ne fait pas de l'absence de citations de ses sources un choix délibéré et constant. Au contraire, il mentionne les auteurs de certains de ses emprunts, lesquels dépassent presque parfois la longueur tolérée pour une reproduction gratuite, et rend ainsi hommage aux artistes qui, avant lui, ont usé des mêmes procédés d'écriture du recyclage. Lorsque Jed, après sa rupture avec Olga, s'achemine inconsciemment vers l'ancien appartement de celle-ci, sa mélancolie fait surgir involontairement de sa mémoire les paroles de deux chansons de Joe Dassin. Le nom du compositeur apparaît entre les deux extraits, et chaque citation, présentée en paragraphes détachés nettement du corps du texte, avec renvoi à la ligne à la fin de chaque vers, est introduite par le titre du morceau (CT 117). Houellebecq se comporte dans son jeu intertextuel en élève modèle du droit d'auteur. De plus, les couplets ressortent visuellement sur la page et contribuent à établir une composition géométrique, cartographique presque, où les emprunts, par ces divers moyens typographiques, se trouvent mis en relief dans la géographie du livre. De façon moins précise, l'intertextualité cultivée par Houellebecq n'est pas un jeu de déchiffrage de références cryptiques proposé au lecteur : Houellebecq paraît ici, à travers ses personnages, déceler lui-même les échos au canon littéraire que son texte présente, et vouloir désamorcer les suspicions de plagiat qui naîtraient immanquablement de ces parallèles évidents. Jed, qui possède un savoir littéraire encyclopédique (« Il avait lu Platon, Eschyle et Sophocle ; il avait lu Racine, Molière et Hugo ; il connaissait Balzac, Dickens, Flaubert, les romantiques allemands, les romanciers russes. » (CT 50)), établit lui-même une conscience toute postmoderne des œuvres littéraires l'ayant précédé et reconnait dans son histoire des topoï (ou clichés) : « Parmi ses lectures d'adolescence, dans son collège de jésuites [n'est-ce pas là un cliché littéraire rendu évident par son anachronisme ?], il y avait eu ces romans réalistes du dix-neuvième siècle français où il arrive que des personnages de jeunes gens ambitieux réussissent par les femmes ; mais il était surpris de se retrouver dans une situation similaire, et à vrai dire il avait un peu oublié ces romans réalistes du dix-neuvième siècle français, depuis quelques années il n'arrivait plus à lire que des Agatha Christie, et même plus spécifiquement, dans les romans d'Agatha Christie, ceux mettant en scène Hercule Poirot, ça ne pouvait guère l'aider dans les circonstances présentes » (CT 77). Les romans policiers anglo-saxons contemporains sont eux un thème 8 récurrent chez Houellebecq qui fait montre d'un mépris certain pour la littérature alimentaire (« un best-seller merdique d'un certain Fréderic Forsyth » (Plateforme 34)). Georges Perec, cité par Houellebecq dans sa défense face aux attaques de la presse comme précurseur de l'utilisation d'emprunts sinon littéraires au moins langagiers, est présent dans La Carte et le Territoire (CT 168-169) : c'est le personnage de Houellebecq lui-même qui fait l'éloge dans le roman de l'auteur de La Disparition et des Choses. En s'exprimant par la bouche de son alter-ego fictionnel, Houellebecq inscrit explicitement son roman dans la continuité des expérimentations littéraires de Perec. La volonté manifeste de Houellebecq de rendre visible toute intertextualité dans son œuvre, au point de donner un aspect de catalogue au roman et d'ôter à l'auteur une partie de la créativité qu'on attend de lui, semble désamorcer toute suspicion de plagiat. En effet, l'écrivain, citant ses modèles et ses sources, ne cherche pas à s'attribuer une quelconque originalité mais au contraire renoncer à celle-ci. Ce jeu est à l'image de la manière excessivement explicite avec laquelle le Frédéric Beigbeder de La Carte et le Territoire se pose en représentation : « L'écrivain et publiciste, après avoir prolongé ses bises à Olga (mais d'une manière ostentatoire, si théâtrale qu'elle en devenait innocente par indication trop nette de l'intention de jeu) tourna vers Jed un regard intrigué » (CT 74). Houellebecq, en retirant toute subtilité de ses emprunts et de son inscription dans une intertextualité consciente d'elle-même, signale le calcul réfléchi que ce style intentionnel constitue. Après tout, la première production artistique de Jed exposée, ses photographies de cartes routières, constitue elle aussi, comme on le verra plus loin, une reproduction d'une œuvre de l'esprit soumise à la propriété intellectuelle de son auteur, ou de l'entreprise en possédant les droits. Or Olga, rencontrant Jed lors du vernissage, n'évoque à aucun moment un quelconque problème de cet ordre en voyant réutilisées à des fins artistiques des cartes produite par sa société, Michelin. On peut penser que Houellebecq projette dans son roman l'attitude et l'ouverture d'esprit qu'il attend de ses lecteurs face aux emprunts disséminés dans La Carte et le Territoire. Autre jeu de Houellebecq, a priori sans répercussion légale : les références aux œuvres précédentes du même auteur pullulent (ne serait-ce que par les périphrases désignant le personnage de Houellebecq : « l'auteur du Sens du Combat », « l'auteur de Plateforme », etc.), faisant de La Carte une œuvre-somme, l'aboutissement artistique (taillé, calibré pour obtenir 9 enfin le prix Goncourt, diront certains) de l'auteur. On retrouve ainsi des thèmes et thèses déjà présentés, une manière peut-être, en apposant un marquage au fer rouge du sceau de Houellebecq, d'identifier un roman qui se démarque des autres œuvres, bien plus facilement identifiables par leur style construit au fil d'Extension du domaine de la lutte, Plateforme, les Particules Élémentaires, et la Possibilité d'une île. Par exemple, la description de la Thaïlande et de son activité économique principale par le personnage de Houellebecq est une reprise du portrait qu'en dresse le narrateur Michel dans le roman Plateforme : . . . début de journée six heures fin de journée six heures, c'est plus simple, équatorial, administratif, il fait une chaleur à crever mais la climatisation marche bien, c'est la morte-saison touristique, les bordels tournent au ralenti mais ils sont quand même ouverts et ça me va, ça me convient, les prestations restent excellentes ou très bonnes. (CT 145) Un exemple de recyclage plus ponctuel peut être trouvé dans les réflexions sociologiques ayant trait au transport aérien, dans les deux romans : « le voyage aérien était devenu une expérience infantilisante et concentrationnaire, que l'on souhaitait voir s'achever au plus vite » (CT 134). Un même réquisitoire, plus détaillé, au début de Plateforme, commence ainsi : « Prendre l'avion aujourd'hui, quelle que soit la compagnie, quelle que soit la destination, équivaut à être traité comme une merde pendant toute la durée du vol. » (Plateforme 34). Les références à La Possibilité d'une île ne sont pas des recyclages du même ordre mais plutôt de plus subtils indices renvoyant au roman de 2005 : ainsi, le titre de l'un des tableaux de la « série des métiers simples », « Claude Vorilhon, gérant de bar-tabac », fait de Raël, gourou bien réel de la secte des Raéliens, qui ont servi de modèle et de source de documentation à Houellebecq pour La Possibilité d'une île, un modeste commerçant parisien, sous son nom véritable (CT 119). Ailleurs, c'est Beigbeder qui explique les problèmes d'argent de Houellebecq par des mésaventures immobilières dans la péninsule ibérique : « il avait acheté des appartements en Espagne au bord de la mer qui vont être expropriés sans indemnité, à cause d'une loi de protection du littoral à effet rétroactif – un truc de dingues » (CT 131). L'aspect « rétroactif » de la loi, invitation à se tourner vers le passé, est combiné à l'achat de biens immobiliers sur la côte espagnole, lieu de résidence de Daniel et de ses clones successifs dans le précédent roman La Possibilité d'une île. De façon intéressante, ces deux autoréférences sonnent comme un 10 reniement du passé : le gourou devient simple gérant de bar-tabac tandis que l'Espagne rejette l'implantation de Houellebecq ou de ses personnages sur son sol. C'est une idée comparable d'un passé refoulé qui semble accompagner le souvenir des Particules Élémentaires. Surgie de nulle part, une phrase dont la vulgarité crue serait passée inaperçue dans les précédentes œuvres, au style toujours fleuri, détonne bien plus dans La Carte et le Territoire, roman plus policé : Il conduisait rapidement, souplement sa Lexus, avec un plaisir visible. « Quand même elles sucent sans capote, ça c'est bien... » marmonna encore vaguement, comme le souvenir d'un rêve défunt, l'auteur des Particules élémentaires, avant de se garer sur le parking de l'hôtel. (CT 146) La périphrase identifiant Houellebecq-le-personnage lie la parole rapportée au roman nommé ici, et en fait une sorte de retour du refoulé (« le souvenir d'un rêve défunt ») littéraire, seule explication aux soubresauts de perversité isolés de la Carte, telle la description de Marilyn : « ce pauvre petit bout de femme, au vagin inexploré » (CT 79). Ce style houellebecquien, qui ressurgit ponctuellement, tel un serpent de mer, au fil de la Carte, est en soi une réminiscence de toute la bibliographie houellebecquienne passée. Le Chapitre X de la deuxième partie de La Carte et le Territoire commence sur la place Jeanne d'Arc (doublée une page plus loin d'une rue Jeanne d'Arc), lieu qui fait écho à la place du vieux marché de Rouen (où fut brûlée la Pucelle), lieu central d'Extension du domaine de la lutte (la mention sans ambages de la nécessité de la pose d'un anus artificiel au père de Jed, conséquence de l'avancée de son cancer, évoque quant à elle la maladie et les opérations subies par Annabelle et décrites avec brutalité dans les Particules Élémentaires). Le deuxième paragraphe offre lui un regard rétrospectif interne à la bibliographie houellebecquienne qui se veut davantage stylistique que thématique. Jed repère en effet une jeune femme en prière : du sacré, il s'opère un glissement vers le profane, le charnel, et lexicalement, vers l'anatomique vulgaire et argotique : L'église lui parut d'abord déserte, mais en avançant vers l'autel il aperçut une jeune fille noire, de dix-huit ans tout au plus, agenouillée dans une stalle, les mains jointes, face à une statue de la Vierge ; elle formait des mots à voix basse. Concentrée dans sa prière, elle ne faisait aucune attention à lui. [incorrection grammaticale : confusion de deux formules différentes : ne prêter aucune attention à et ne faire aucunement attention à]. Son cul, cambré par l'agenouillement, était 11 très précisément moulé par son pantalon de fin tissu blanc, nota Jed un peu contre son gré. Avait-elle des péchés à se faire pardonner ? La locution adverbiale « contre son gré », dans notre optique de « retour du refoulé littéraire », peut s'appliquer à la fois à la direction du regard de Jed, soit sa perception passive de cette partie anatomique spécifique, et au traitement, automatique, de l'information par son esprit. On peut arguer du fait que ce retour du naturel qui, chassé, revient proverbialement au galop, n'est pas propre au personnage de Jed, mais s'applique aussi bien au style de Houellebecq tel qu'établi par l'écrivain dans Extension, Plateforme, ou les Particules, et ce, bien malgré lui : « J'essaie de ne pas avoir de style », avoue-t-il dans un entretien à Roger Célestin dans son essai « Du style, du plat, de Proust et de Houellebecq » (Célestin 345). A la fin de La Carte et le Territoire, Jed, au seuil de la mort, voit revenir à son esprit diverses images de son passé. Là aussi, cette rétrospection classique, ce topos de la mort imminente comme catalyseur de la mémoire, se double d'un resurgissement thématico-stylistique d'une essence de l'écriture houellebecquienne, faite de corps féminins, de masturbation, et de détails anatomiques à la limite de l'érotisme et du médical : Le soir même il s'était masturbé, dans les toilettes de l'appartement de fonction qui avait été alloué à son père pour la surveillance du chantier, et s'était étonné d'y trouver tant de plaisir. Lui revinrent d'autres souvenirs de seins souples, de langues agiles, de vagins étroits. Allons, il n'avait pas eu une mauvaise vie. Il y a une dimension métafictionnelle à ce pic de sexualité chez Jed à l'article de la mort. C'est bien Houellebecq qui, après quatre cents pages d'autocensure, ne peut contenir son style (peutêtre mis entre parenthèses pour faire consensus auprès du jury du prix Goncourt) et laisse éclater une dernière fois son style, reconnaissable entre mille. Poursuivant emprunts extérieurs et recyclages internes à l'auteur dans La Carte et le Territoire, on ne peut que s'interroger sur les mycoses invoquées par Houellebecq-le-personnage pour justifier un grattage frénétique de ses pieds : Sous le regard effaré de Jed, il commença à se gratter les pieds, furieusement, jusqu'à ce que des gouttes de sang commencent à perler. « J'ai des mycoses, des infections bactériennes, un eczéma atopique généralisé, c'est une véritable infection, je suis en train de pourrir sur place et tout le monde s'en fout, personne ne peut rien pour moi, j'ai été honteusement abandonné par la médecine, qu'est-ce 12 qu'il me reste à faire ? Me gratter, me gratter sans relâche, c'est ça qu'est devenue ma vie maintenant : une interminable séance de grattage... » (CT 177) Si la réalité de ce personnage de misanthrope pathologique dévoré par une maladie cutanée ne peut être confirmée ou infirmée que par les proches de l'auteur, troublante est la ressemblance de ce portrait avec un autre auteur dont Houellebecq est familier : H.P Lovecraft, objet d'un ouvrage de 1991 de Houellebecq, constitue probablement pour lui une figure de mentor. Si tous deux partagent une misanthropie certaine, on peut penser que les mycoses de Houellebecq-lepersonnage lui ont été transmises par l'auteur du Necronomicon, qui souffrait apparemment d'un ichthus, rare affection de l'épiderme ayant sans doute exacerbé sa réclusion et donc son aversion pour le genre humain. Lu ainsi, l'autoportrait de Houellebecq dans La Carte et le Territoire serait lui-même un hommage « vivant », le plus personnel qui puisse être, à son plus grand modèle littéraire. Un deuxième type d’emprunt effectué par l’auteur de La Carte et le Territoire se situe à la fois dans la fiction et dans la voix narrative. Le roman est narré, en règle générale, du point de vue de Jed, le personnage principal. Un passage autobiographique (pour Jed), par exemple, est limité dans son contenu aux éléments présents dans la mémoire de Jed, et le récit ne peut remonter plus loin ans le passé : Jed ne se souvenait plus quand il avait commencé à dessiner. Tous les enfants dessinent sans doute, plus ou moins, il ne connaissait pas d’enfants, il n’était pas sûr. Sa seule certitude à présent, c’est qu’il avait commencé à dessiner des fleurs – sur des cahiers de petit format, à l’aide de crayons de couleur. (CT 35) Un autre point de vue, qui se rapproche du point de vue omniscient (sans toutefois atteindre cette omniscience, puisqu’il se heurte à des zones d’ombres de la vie intime et de la pensée de Jed Martin) est toutefois régulièrement adopté dans le roman. Il s’agit de supposés historiens de l’art du futur, possédant sur les évènements de la vie de Jed et sur ses œuvres, qui nous sont, à nous lecteurs du roman, contemporains, un regard rétrospectif, distant, posé. Ces historiens possèdent l’avantage du recul de la postérité et de la connaissance de la totalité des nombreux travaux effectués sur Jed Martin, et d’une vision globale de son œuvre. Détachée de la progression narrative qui dévoile l’évolution de Jed au fur et à mesure du roman, la voix de la postérité se situe elle hors de la temporalité classique et jouit d’un accès immédiat à la somme des œuvres de 13 Jed comme de sa critique, construite elle aussi progressivement mais considérée tacitement comme achevée. En effet, la voix de la postérité n’est pas prisonnière d’une époque future précisément établie, au-delà de laquelle une progression ultérieure serait envisageable : elle se situe au contraire, par définition, toujours après son objet. Lorsque la voix de la postérité utilise un déictique temporel (« Même s’il est plutôt considéré aujourd’hui comme une curiosité historique, ce texte de Houellebecq (...) n’en contient pas moins certaines intuitions intéressantes »), ce n’est pas pour limiter son champ à un hic et nunc éphémère mais pour marquer sa distance, infinie, par rapport à une immédiateté de réception qui elle ne produit que des jugements hâtifs amenés à être plus tard contredits. Cet « aujourd’hui » situe paradoxalement les historiens de l’art hors du temps. Leur point de vue est un emprunt à part entière, qui permet de donner à la voix narrative une objectivité aussi proche de l’omniscient divin que l’humanité, à travers sa culture immortelle et en constante expansion, puisse adopter. Même les écrits du poète et critique d’art fictif Wong Fu Xin, supposés postérieurs à Martin, sont eux aussi intégrés au datum figé de la postérité : (...) sa main portant le stylo correcteur, traitée avec un léger flou de mouvement, se jette sur la feuille « avec la rapidité d’un cobra qui se détend pour frapper sa proie », comme l’écrit de manière imagée Wong Fu Xin, qui procède probablement là à un détournement ironique des clichés d’exubérance métaphorique traditionnellement associés aux auteurs d’Extrême-Orient (Wong Fu Xin se voulait, avant tout, poète ; mais ses poèmes ne sont presque plus lus, et ne sont même plus aisément disponibles ; alors que ses essais sur l’œuvre de Martin restent une référence incontournable dans les milieux de l’art). (CT 185) Le point de vue historique se construit comme une science achevée, par opposition à ses errements passés et à certaines incertitudes dissipées : On a souvent présenté le travail de Jed Martin comme étant le fruit issu d’une réflexion froide, détachée, sur l’état du monde, on en a fait une sorte d’héritier des grands artistes conceptuels du siècle précédent. C’est pourtant dans un état de frénésie nerveuse qu’il acheta, dès son retour de Paris, toutes les cartes Michelin qu’il put trouver – un peu plus de cent cinquante. (CT 62) Cette parole emprunté à des historiens futurs (procédé déjà à la base des Particules Elémentaires, roman dans lequel Michel Djerzinsky est l’objet d’une telle fascination en raison des découvertes 14 scientifiques auxquelles il contribuera à la fin de sa vie et de façon posthume) est utilisée comme point de vue quasi-divin à plusieurs reprises dans le roman : « Presque tous les tableaux de Jed Martin, devaient noter les historiens d’art, représentent des hommes ou des femmes exerçant leur profession dans un esprit de bonne volonté... » (CT 99), « Les premiers tableaux de Jed Martin, ont plus tard souligné les historiens d’art, pourraient facilement conduire à une fausse piste » (CT 119), etc. C’est aussi cette même voix qui conclut le roman (comme dans Les Particules Elémentaires) en offrant une interprétation possible de l’œuvre de Jed : « L’œuvre qui occupa les dernières années de la vie de Jed Martin peut ainsi être vue – c’est l’interprétation la plus immédiate – comme une méditation nostalgique sur la fin de l’âge industriel en Europe ». L’aspect citationnel de cette voix empruntée est souligné par Houellebecq : Des historiens d’art, plus versés dans le maniement du langage, notèrent plus tard que cette première vraie réalisation de Jed se présentait déjà, de même en un sens que toutes ses réalisations ultérieurs, et ce malgré la variété de leurs supports, comme un hommage au travail humain. (CT 51) L’ironie de l’apposition « plus versés dans le maniement du langage » (que Jed, incapable d’offrir une réflexion sur son travail ? ou plus versés dans le verbiage que dans l’art ?), couplée à l’italique de l’expression finale font de cette dernière une citation mot pour mot d’une banalité d’historien de l’art, figée et reprise telle quelle ad nauseum par les « experts ». De la même façon, les guillemets servent eux aussi à mettre en évidence la banalité des expressions reprises en chœur par les analystes : « C’est en ces circonstances que se produisit dans sa vie ce « retour à la peinture » qui devait faire l’objet de tant de commentaires. » (CT 118) Ce discours emprunté à une postérité fictive est proche du procédé utilisé par Houellebecq pour, dans le roman, parler de son avatar romanesque – et, par là, de lui-même. Houellebecq l’écrivain a en effet fréquemment recours à la fama, à la fois réputation, renommée et rumeurs, pour décrire son personnage. Ainsi, son aversion des photographes est apparemment légendaire : « Houellebecq avait la réputation de nourrir une haine bien ancrée à l’encontre des photographes » (CT 162). Jed lui aussi exprime la voix de la renommée : « Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas regarder vos manuscrits, je sais que vous détestez ça. » (CT 167) Parfois, c’est hors de leur contexte originel que sont utilisées ces expressions par la postérité : 15 Au classement ArtPrice des plus grosses fortunes artistiques, Koons était numéro 2 mondial ; depuis quelques années Hirst, de dix ans son cadet, lui avait ravi la place de numéro 1. Jed, quant à lui, avait atteint une dizaine d’années auparavant la cinq cent quatre-vingt-troisième place – mais dix-septième Français. Il avait ensuite, comme disent les commentateurs du Tour de France, « été relégué dans les profondeurs du classement », avant d’en disparaître tout à fait. (CT 30) La mention du contexte télévisuel et sportif de l’expression entre guillemets attire l’attention, de manière collatérale, sur le reste du paragraphe, qui puise largement dans le vocabulaire du tennis (et ses classements individuels mondiaux et nationaux). Ces contaminations du texte du roman par un champ lexical figé attaché à un domaine en particulier sont récurrentes dans La Carte et le Territoire : Le cabinet venait de s’installer dans ses nouveaux locaux. Après le contrat du centre culturel de Port-Ambonne, ils avaient ressenti la nécessité d’une montée en gamme, le siège social devait maintenant être situé dans un hôtel particulier, de préférence dans une cour pavée, à la rigueur dans une avenue plantée d’arbres. (CT 114) Les mots et expressions en italique sont mis en relief dans le paragraphe pour souligner le caractère artificiel et convenu du jargon propre aux agences immobilières, dont le lexique est calibré pour décrire et vendre cette Avenue Trudaine. Plus loin, c’est un discours de concessionnaire automobile qui est offert au lecteur, à travers le point de vue de Jed : La Mercedes Classe A est la voiture idéale d’un vieux couple sans enfants, vivant en zone urbaine ou périurbaine, ne rechignant cependant pas à s’offrir de temps à autre une escapade dans un hôtel de charme ; mais elle peut également convenir à un jeune couple de tempérament conservateur – ce sera souvent, alors, leur première Mercedes. Entrée de gamme de la firme à l’étoile, c’est une voiture discrètement décalée ; la Mercedes berline Classe C, la Mercedes berline Classe E sont davantage paradigmatiques. La Mercedes en général est la voiture de ceux qui ne s’intéressent pas tellement aux voitures, qui privilégient la sécurité et le confort aux sensations de conduite – de ceux aussi, bien sûr, qui ont des moyens suffisamment élevés. (CT 355) 16 John McCann, dans son article « La Lutte des discours : Plateforme de Michel Houellebecq », remarque déjà le style publicitaire de Houellebecq dans son roman de 2001 : Michel nous parle comme une brochure. Il produit sa description du téléviseur à partir d’éléments aui lui ont été fournis par la publicité. Alors qu’un romancier réaliste classique aurait évoqué la taille, la forme, la couleur etc. d’un objet, Houellebecq se base sur le langage du fournisseur – et c’est tout aussi réaliste. On est consommateur du langage d’un autre tout comme on est consommateur de produits ou d’images que quelqu’un a créés pour nous. (McCann 369-370) La prose touristique, caractéristique des guides du routard et Michelin, est elle aussi utilisée dans La Carte et le Territoire, mais avec une distance plus grande, puisque la description, la promotion et la représentation artistique des paysages et terroirs sont au cœur du roman : « A travers l’ouvrage, la France apparaissait comme un pays enchanté, une mosaïque de terroirs superbes constellés de châteaux et de manoirs, d’une stupéfiante diversité mais où, partout, il faisait bon vivre. » (CT 94) Si c’est bien le commentaire de Jed que nous avons ici (il décrit la façon dont la France est présentée, dont elle « apparaît », et non, comme le livre le ferait, comme elle « est » véritablement), les mots en italique sont empruntés au texte du livre qu’il lit et mettent en évidence l’emploi par ce guide de formules clichés propres au genre. Plus loin, Jed et Olga livrent leur commentaire du texte de présentation d’un hôtel, faisant apparaître de façon explicite et interne à la fiction le regard critique porté par tout le texte de La Carte et le Territoire sur le discours de la publicité, du marketing, dans lequel le roman puise allègrement : « C’est quoi, ce galimatias ? » (CT 95). Jed et Olga sont par ailleurs les deux voix d’un commentaire sur les copiés-collés de plus grande envergure de Houellebecq, qu’ils soient effectivement des passages recopiés ou des inventions. Houellebecq se fait une spécialité d’intégrer, le temps d’un paragraphe ou de plusieurs pages, des discours encyclopédiques sur un sujet a priori secondaire. Ainsi la description de la mouche Musca domestica (CT 275), la biographie de Frédéric Nihous, l’historique de la ville de Beauvais, et la définition très officielle des fonctions de commissaire de police (CT p. 279) sont tous des passages dont la paternité, extérieure à l’auteur (Wikipedia pour les trois premiers, le site officiel du ministère de l’Intérieur pour le dernier), a été identifiée 17 facilement à cause de leur intégration visiblement et volontairement artificielle au sein du texte original. D’autres passages surgissent de la même façon monolithique à divers moments du roman, et parfois dans la bouche des personnages. Raphaël Sorin, l’éditeur de Houellebecq, prête à ce dernier une certaine lucidité vis-à-vis de ces fragments : Houellebecq le dit lui-même, il faut faire des passages chiants, les gens que cela intéresse les liront, les autres les sauteront, ça n’empêchera pas la lecture. Dans le dernier [La possibilité d’une île] il y a aussi deux ou trois passages que j’ai trouvés un peu longs, il m’a dit qu’il avait envie de faire des passages chiants, qu’il ne fallait pas les lui interdire. (Bessard-Banquy 364) Cassant le rythme de la narration, les commentaires d’ordre socio-économique sont toujours présent dans La Carte, avec parfois un commentaire métafictionnel sur cette nouvelle parole empruntée. Olga interrompt ainsi brutalement son exposé très technique sur l’entreprise Michelin (incluant même des pourcentages sur l’origine géographique des clients de l’hôtellerie française), et par la même occasion la lecture du roman, émettant des doutes quant à l’intérêt suscité par son discours et, dans le même temps, par la page précédente du roman. Son « Je vous ennuie ? » (CT 69) brouille la frontière entre la fiction et le réel, entre la diégèse du roman de Houellebecq et la mimèse du monologue de la belle Russe. C’est autant le personnage d’Olga qui s’interrompt alors que l’écrivain Houellebecq. C'est autant l'intérêt pris par Jed à écouter Olga qui est questionné que celui du lecteur pour les digressions sociologiques de Houellebecq. Ailleurs, le collage soudain d’une demi-page de considérations touristico-économiques sert clairement d’échappatoire à Jed, lorsqu’Olga lui annonce son départ : « C’est là, le lundi de Pentecôte, au petit déjeuner, qu’Olga annonça à Jed qu’elle retournait en Russie à la fin du mois. » (CT 102). Le passage suivant, sans rapport avec l’intrigue amoureuse, éloigne l’attention de Jed et du lecteur, et constitue comme un refuge autistique hors de la difficile réalité, collant à la réaction de Jed telle que décrite lorsque le texte revient aux personnages : « Jed conservait un silence buté en tournant sa cuillère dans son œuf coque, jetait à Olga des regards par en dessous, comme un enfant puni. » 18 La parole empruntée, qu’il s’agisse des longs développements techniques ou des lexèmes issus de la rhétorique publicitaire figée, semble donc, au moins en partie, servir de palliatif à une crise dans le langage, à une impossibilité pour les personnages de communiquer correctement dans l’univers houellebecquien, caractérisé par une détérioration des rapports humains. La difficulté à s’exprimer, voire le mutisme constaté ou choisi sont typiques des personnages houellebecquiens, en particulier ceux dont le point de vue est adopté dans la narration. On peut donc supposer une contamination de la diégèse par l’autisme de ces personnages, qui se manifeste de plusieurs manières. On trouve d’abord une constante timidité des paroles et un laconisme remarquable, avec des réponses monosyllabiques et des points de suspension suggérant une intention non aboutie de poursuite du discours. Les Martin, père et fils, économisent leurs paroles à l’enterrement de la grand-mère ; ils pensent même leurs réponses au lieu de les dire, et acquiescent plus pour éviter une conversation que pour manifester un véritable accord : « C’est mieux pour elle... » dit son père après un temps de silence. Oui, probablement, pensa Jed. « Elle croyait en Dieu, tu sais » ajouta son père timidement. (CT 54). Marilyn, avant d’admettre que son travail avec Jed était « un des plus gros succès de [s]a vie », ne semble pas pouvoir s’enthousiasmer au-delà d’un apathique « Bon... c’était bien de travailler avec vous » (CT 88). Le comble du pathétique est atteint lorsque Franz et Jed ne trouvent rien à se dire, après des années de collaboration : « La conversation entre eux ralentit, avant de s’arrêter tout à fait. Ils se regardèrent, un peu désolés. « On a connu des trucs... ensemble » tenta de dire Jed dans un ultime effort. » (CT 397). C’est parfois un mutisme complet, constaté a posteriori, qui remplace les tentatives inutiles de communiquer de Jed : « Le matin du vernissage, il se rendit compte qu’il n’avait pas prononcé une parole depuis presque un mois » (CT 63) ; ou celles de Jasselin : « Ils étaient arrivés porte d’Orléans. Il s’aperçut qu’ils n’avaient pas échangé une parole durant tout le voyage. » (CT 295) Ce handicap communicationnel est reconnu à plusieurs reprises par ceux qui en sont touchés, le mutisme n’étant plus un accident mais une acceptation d’échec. Les interventions de Houellebecq-le-personnage et de Marilyn dans le travail de Jed découlent ainsi de son incapacité à exposer son travail à travers des mots : « Il avait par contre eu beaucoup de mal (et cette 19 difficulté devait l’accompagner toute sa vie) à rédiger la note de présentation de ses photos. Après diverses tentatives de justification de son sujet il se réfugia dans le factuel pur » (CT 50). Le bavard Beigbeder se heurte à un mur avec Jed : « Ne sachant que dire, Jed garda le silence. (...) A cela non plus, Jed ne trouva rien à répondre. Que répondre, en général, aux interrogations humaines ? » Houellebecq, avouant dormir dans son lit d’enfant, ne suscite de même aucune réaction chez Jed : « Jed ne songea à aucun commentaire approprié. » (CT 257). Parfois, c’est la nature automatique de la parole qui est mise en évidence. La caissière de la page 151 (« la caissière s’appelait Magda et lui demanda s’il avait la carte de fidélité Dunnes Store ») n’est qu’une répétition des caissières de la page 63, elles-mêmes répétant la même question chaque jour et obtenant la même réponse de Jed : « il se rendit compte qu’il n’avait pas prononcé une parole depuis presque un mois, à part le « Non » qu’il répétait tous les jours à la caissière (rarement la même, il est vrai) qui lui demandait s’il avait la carte Club Casino. » Jed, à défaut d’une parole personnelle pour exprimer une opinion sur le restaurant Chez Anthony et Georges, emprunte un cliché, un automatisme qui lui est extérieur : « – Je... oui. C’est typique. Enfin on a l’impression que c’est typique, mais on ne sait pas très bien de quoi. C’est dans le guide ? », il avait l’impression que c’était la question à poser. (CT 67) Jasselin se révèle une nouvelle fois le digne successeur de Jed comme protagoniste, dans la troisième partie de La Carte, se faisant lui aussi l’emprunteur d’une parole automatique, imposée comme adéquate par les circonstances (les multiples nationalités des admiratrices de Houellebecq) : « Ca a du bon, tout de même... » dit-il à Lartigue, qui venait de finir d’établir la liste. Il le dit plutôt par acquit de conscience, comme on prononce une plaisanterie attendue ; en réalité, il ne parvenait pas du tout à envier l’écrivain (CT 335). Jasselin possède, il est vrai, l'excuse de son métier, lequel explique partiellement son mutisme : « Confrontés journellement à des horreurs qui outrepassent la mesure de la sensibilité normale, la quasi-totalité des policiers choisissent, une fois rentrés dans leurs foyers, de garder le silence. » (CT 305) Enfin, le mutisme est parfois un choix délibéré des personnages, considéré comme préférable à une mauvaise parole : 20 « Je suis... » commença Jed en élevant légèrement les mains, avant de s’arrêter. Il allait dire : « Je suis l’artiste », ou une phrase de ce genre, d’une emphase un peu ridicule, mais il se reprit (...) (CT 183) ou encore Il faillit répéter stupidement : « du monde ? » avant de se souvenir qu’il s’agissait d’un journal du soir, et résolut de se taire, autant que possible, pour le restant de la soirée. (CT 82) Jed fait même de son silence une attitude recherchée lors des vernissages : Il n’était pas nécessaire d’être obligatoirement brillant, le mieux était même le plus souvent de ne rien dire du tout, mais il était indispensable d’écouter son interlocuteur, de l’écouter avec gravité et empathie, relançant parfois la conversation d’un « Vraiment ? » destiné à marquer l’intérêt et la surprise, ou d’un : « C’est sûr... » teintée d’une approbation compréhensive (CT 74). Se manifestant sous diverses formes, la crise du langage et de la communication affectant les personnages houellebecquiens est une caractéristique essentielle de l’univers dépeint par l’auteur. Objet de la fiction, elle fait aussi partie de la forme du roman, à travers les emprunts recensés jusque-là, qui constituent un symptôme de cette crise en même temps qu’un faible remède à celle-ci. Le recours à des formules figées est systématique dans la narration et le discours indirect libre qui la ponctue. Le cliché linguistique apparaît à chaque page dans La Carte : « ses anciens condisciples avaient envie de savoir où il en était » (CT 63) ; « Ils avaient le sentiment que leur mère et grand-mère pouvait reposer en paix, comme on dit » (CT 61) ; « C’est donc vers midi que Houellebecq serait conduit à sa dernière demeure » (CT 319) ; « on pouvait dire qu’ils avaient encore quelques belles années devant eux » (CT 330) ; « Les années, comme on dit, passèrent » (CT 410) ; etc. Cette utilisation de locutions convenues, lissées par l’usage comme des galets par le reflux des vagues jusqu’à surgir dans le discours ou l’écriture de façon automatique, allant de soi, est parfois à mettre sur le compte d’un discours indirect libre, à travers lequel c’est la paresse langagière des personnages, victimes de la crise communicationnelle universelle, qui contamine le récit. La limite est cependant difficile à établir entre ce discours des personnages et le récit lui-même, balançant entre le point de vue de Jed ou Jasselin et celui d’une postérité mollement consensuelle, incapable de personnalité propre et 21 affirmée. C’est finalement plus la langue qui parle les personnages que l’inverse, ces derniers se laissant porter par des automatismes. Cette forme de conformisme ne se limite pas à une manière de s’exprimer mais trahit en même temps une vision entendue, préfabriquée, du monde. La pauvreté linguistique va de pair avec une pauvreté conceptuelle, réduisant le monde à la conformité de ses constituants à leurs images préconçues. Geneviève abandonne la prostitution pour épouser un avocat d’affaire « dont la vie ressemblait, d’après ce qu’elle en dit à Jed, trait pour trait à la vie des avocats d’affaires décrits dans les thrillers d’avocats d’affaires – américains, généralement » (CT 57) ; le meurtrier de Houellebecq-le-personnage se conforme lui aussi aux attentes construites par la culture populaire : « Petissaud (...) avait au fond assez exactement le physique que l’on associe à un chirurgien esthétique cannois habitant avenue de la Californie » (CT 393) ; Houellebecq-lepersonnage ne rate pas l’occasion d’invoquer un cliché gastronomique sur les anglais : « Je suis sûr qu’ils ont mis de la sauce à la menthe avec votre gigot » (CT 149). L’avatar fictionnel du romancier est d’ailleurs pétris de contradictions, puisqu’avouant s’intéresser aux vins uniquement pour coller à un cliché (« ça fait français » CT 146), il décrie à la page suivante la presse « d’une stupidité et d’un conformisme insupportables » (CT 147). Il est intéressant de remarquer que c’est bien la notion de cliché qui ressort de cette pauvreté intellectuelle et langagière, du signifiant comme du signifié. Or le « cliché » est précisément l’un des modes de production artistique de Jed. Une des scènes du roman voit d’ailleurs Jed s’intéresser aux différents modes proposés par son nouvel appareil photo numérique : « FEU D’ARTIFICE », « PLAGE », « BEBE1 », « BEBE2 », « ANIMAL DOMEST » et « FETE » (CT 163) sont autant de programmes permettant d’adapter la prise de vue à leurs divers contextes. Il s’agit de préréglages tentant de recouvrir le champ des situations possibles, découpant l’existence humaine et les objets de la photographie en différentes catégories préréglées. La même catégorisation systématique est à l’œuvre pour les personnages rencontrés par le narrateur. Bill Gates et Steve Jobs sont ainsi étiquetés, chacun de leur côté, et rangés dans les catégories, en italique, de « nerd » pour le premier et de « Sorge » pour le second (CT 190). Anthony et Georges, propriétaires du restaurant à leurs noms, sont eux aussi étiquetés : « bear sans excès » pour l’un ; « ancien pédé cuir » pour l’autre ; il est explicitement dit que « Jed les catalogua comme des pédés semi-modernes, soucieux d’éviter les excès et les fautes de goût classiquement associés à leur communauté, mais, quand même, se lâchant un peu de temps 22 en temps » (CT 67). Individuellement ou ensemble, ils sont donc rangés sous une classification préétablie, prétendant saisir leur essence (et même prédire leurs habitudes comportementales) et faire l’économie d’une description particulière. C’est là souvent le sens des mots en italique : lorsque Jed décrit l’évolution du tourisme en France, au sortir de sa retraite, il attribue l’embellie économique de la prostitution en partie à « la persistance, en particulier dans les pays d’Amérique du Sud et la Russie, d’une image fantasmée de la parisienne » (CT 415). Ce terme en italique ne désigne évidemment pas les habitantes de la ville de Paris. Il ne désigne pas plus l’intégralité de la population féminine de la capitale française qu’il n’exclue les provinciales. Il réunit en fait un certain nombre de caractéristiques physiques ou morales que l’on suppose communes chez les parisiennes, parmi lesquelles, on peut imaginer, l’élégance, l’indépendance, l’épanouissement sexuel, etc. Là aussi, on fait l’économie de la description, de la liste exhaustive des caractéristiques, en faisant appel à un raccourci, à un mot qui, grâce à la typographie, cristallise en lui de multiples connotations : un stéréotype. La typographie joue un rôle important dans l'utilisation de la parole empruntée par Houellebecq. Celle-ci se signale souvent visuellement dans le texte par l’emploi de caractères en italique, comme pour souligner l’artificialité des termes, leur utilisation en dehors de leur contexte normal. Une répétition significative, dans la première partie de La Carte et le Territoire, permet de constater ce jeu de réutilisation, de recyclage. Jed emmène son père, comme à chaque Noël, dans un restaurant, et base son choix sur une publicité : « Leur repas annuel aurait cette fois lieu dans une brasserie de l’avenue Bosquet appelée Chez Papa. Jed l’avait choisie dans le Pariscope sur la foi d’une annonce publicitaire promettant une qualité traditionnelle, à l’ancienne, et la promesse était, dans l’ensemble, tenue. » (CT 20) L’expression « à l’ancienne », stéréotype issu du vocabulaire de la réclame, est mise à part typographiquement, comme exclue de la voie narrative, voire du texte houellebecquien entier, comme une chose étrangère, une citation tirée d’un système linguistique extérieur, limité et répétitif, entièrement soumis au mercantilisme. Une fois sur place, Jed peut se rendre compte par lui-même du degré d’authenticité des promesses publicitaires et se confronter au signifié de l’expression « à l’ancienne » : « Il y avait du sanglier, du cochon de lait, de la dinde ; en dessert, naturellement, un bûche pâtissière à 23 l’ancienne était proposée par l’établissement dont les serveurs polis, effacés, opéraient en silence, comme dans un service de grands brûlés. » (CT 21) Une fois encore, pourtant, cette expression est associée à une voix extérieure, celle du menu ou des serveurs, qui interviennent dans la phrase immédiatement après l’expression « à l’ancienne », par le verbe « proposer », qui transforme la liste précédente (d’abord prise pour le diner réel, grâce a la voix passive de la phrase qui antépose les plats) en simples suggestions du menu, là aussi commerciales et appuyées par une rhétorique bien rodée, lisse, aux expressions toutes faites. La fin de la phrase, par contraste, n’utilise aucune italique, ni guillemets, pour introduire une comparaison pourtant inattendue et inhabituelle (les serveurs se comportant comme le personnel soignant d'un hôpital), mais qui est elle, au contraire, spontanée : une parole personnelle et authentique. Plus tard dans le roman, on retrouve la même locution, dans un tout autre contexte, mais encore une fois en italique : « c’était la première fois qu’il assistait à un enterrement sérieux, à l’ancienne, un enterrement qui ne cherchait pas à escamoter la réalité du décès. » (CT 55). Si on ne peut attribuer clairement la paternité de cet emploi à une voix à l’intérieur du roman, il s’agit néanmoins d’une autre occurrence de parole empruntée, prise dans un langage courant constellé de systématismes et d’automatismes, prompt à classer le monde extérieur en catégories bien définies. Ainsi le prêtre est-il catégorisé d’une façon proche de l’enterrement lui-même, en utilisant une expression tirée hors de son contexte d’origine : « ils appréciaient même, sans pouvoir y adhérer, la note d’espérance apportée par le prêtre – un prêtre âgé lui aussi, un vieux routier des enterrements, qui devaient être, vu la moyenne d’âge de la population, de loin son activité principale. » (CT 55) Concurrents de l’italique, les guillemets rendent l’emprunt langagier plus explicite, et peuvent créer une plus grande distance entre la voix narrative qui en fait usage et leur origine. Par exemple, les propos issus d’une autorité administrative, maniant avec aisance l’euphémisme technique, sont présentés à travers une fenêtre typographique qui repousse les citations hors du texte : « Il était, selon les dires de la directrice de la maison de retraite, « raisonnablement intégré », ce qui voulait vraisemblablement dire qu’il n’adressait à peu près la parole à personne. » (CT 21) Un décodage nécessaire suit l’emprunt et reformule l’idée et la réalité masquées derrière l’euphémisme. 24 Une bonne illustration de cet aspect relatif à la typographie du style de Houellebecq se trouve dès la deuxième page du roman (CT 10), avec la juxtaposition des différents procédés d’emprunts aux clichés de langage (sans italiques de citation) : Hirst était au fond facile à saisir : on pouvait le faire brutal, cynique, genre « je chie sur vous du haut de mon fric » ; on pouvait aussi le faire artiste révolté (mais quand même riche) poursuivant un travail angoissé sur la mort ; il y avait enfin dans son visage quelque chose de sanguin et de lourd, typiquement anglais, qui le rapprochait d’un fan de base d’Arsenal. L’artiste Jed utilise trois approches pour cerner son modèle. La première utilise les guillemets pour placer une fantasmatique parole rapportée résumant un état d’esprit. La seconde approche utilise les italiques pour superposer les clichés, readymades conceptuels disponibles immédiatement depuis une grille de lecture simplificatrice du monde. Ces emprunts sont des expédients plus courts, plus directs, et finalement plus faciles qu’une description articulée et originale, utilisant des adjectifs, comme esquissée dans le troisième mouvement de cette phrase (mais cédant vite sa place au « typique », donc au « type », et enfin à l’archétype de l’imaginaire collectif et télévisuel en la personne, ou plutôt le personnage, du fan de football). Houellebecq se fait un plaisir de décoder ces formules toutes faites et d’exposer la réalité cachée derrière les euphémismes : « En flânant dans les jardins de L’Auberge Verticale, on était supposé apercevoir Michel Santamayor, cuisinier d’intuition qui opérait une « synthèse hors normes de la tradition et du futurisme » ; on voyait en effet un type à la vague apparence de gourou s’agiter dans les cuisines, avant qu’à l’issue de sa « symphonie des légumes et des saisons » il ne vienne lui-même vous proposer un de ses havanes de passion. » Si le nom de l’auberge justifie l’emploi d’italique, la profession, en apposition, de Santamayor relève de l’autopromotion, de même que les mots savamment choisis pour décrire sa production. En mêlant les citations explicites et la réalité bien plus prosaïque, Houellebecq renforce la distance entre les représentations, façonnées par le langage, et leur signifié. Un autre aspect de la crise du langage exprimée par Houellebecq et les personnages de ses romans prend en effet la forme de cet écart sans cesse grandissant entre les signifiants du langage et leur signifiés. Dans La Carte et le Territoire, la typographie vient attirer l'attention sur certains signifiants, pour mettre en évidence cette fois non pas leur banalité, mais au contraire 25 leur incongruité ou la corruption de leur signifié. Le jour de Noël, Jed suppose ainsi « que les gangs avaient, eux aussi, réveillonné » (CT 19). L'italique dénote le décalage entre l'action habituelle de célébration précédant un jour de fête et les activités des gangs supposées (tels les incendies de voiture généralement associés à la Saint-Sylvestre), manière déviante de réveillonner dans laquelle le crime remplace les rituels festifs. Le plombier croate qui vient au secours de Jed le 24 décembre se dit « en mesure de se livrer à une sorte de réparation, c'était l'affaire de cinquante euros, pas davantage » (CT 15). Ici, les italiques soulignent l'hésitation quant au choix du terme, peu approprié à ce qui s'apparente plus à une intervention de fortune permettant à la chaudière de tenir encore un peu de temps qu'à une réparation en bonne et due forme par laquelle ladite chaudière retrouverait un état de fonctionnement permanent. Les guillemets servent également à mettre en lumière l'écart entre signifiants et signifiés. Ainsi l'agent immobilier présente-t-il à Jed un logement vendu comme « un atelier d'artiste », terme sur lequel la voix narrative tient à revenir pour en préciser l'inexactitude : « « Atelier d'artiste » il fallait s'entendre, c'était un grenier avec une verrière, une belle verrière il est vrai, et quelques obscures dépendances, à peine suffisantes pour quelqu'un comme Jed, qui avait des besoins hygiéniques limités » (CT 16). On peut prêter une dimension comique et ironique à ces décalages entre signifiants et signifiés mis en lumière par la typographie de Houellebecq. Lorsque Jasselin entame son enquête sur le meurtre de Houellebecq-le-personnage, il planifie ses futures investigations : « Il allait falloir, dès leur retour à Paris, consulter les fichiers de serial killers, et probablement demander la communication de fichiers étrangers, il n'avait pas le souvenir qu'une telle affaire ait jamais eu lieu en France » (CT 292). L'utilisation d'un terme emprunté à la langue anglaise, là où le français possède un équivalent strict, « tueur en série », ne se justifie pas (contrairement par exemple à « nerd », concept difficilement traduisible et donc utilisé en anglais ailleurs dans le texte par Houellebecq). La gratuité du recours à l'anglais, souligné encore une fois par l'italique, ne peut manquer de rappeler au lecteur français de 2010 l'une des scènes de comédie les plus célèbres du cinéma français, dans laquelle un enquêteur répète à plusieurs reprises, sans jamais parvenir à se faire comprendre, le terme anglais, forçant son accent, pour finalement renoncer et utiliser l'équivalent français, immédiatement compris de son interlocutrice cette fois (La cité de la peur, 1994). 26 Les exposés scientifiques que Houellebecq insère dans son texte sont toujours précis et ponctués de jargon sociologique ou médical. Il arrive pourtant que cette surface lisse du langage scientifique objectif et dépassionné se fissure brutalement pour faire place à la voix d'un personnage raisonnant en termes bien plus prosaïques et concrets, comme Jasselin relatant ses examens médicaux et le diagnostic de sa stérilité : Des examens un peu humiliants mais rapides montrèrent qu'il était oligospermatique. Le nom de la maladie apparaissait, en l'occurence, assez euphémistique : ses éjaculats, de quantité d'ailleurs modérée, ne contenaient pas une quantité insuffisante de spermatozoïdes, ils ne contenaient pas de spermatozoïdes du tout. Une oligospermie peut avoir des origines très diverses : varicocèle testiculaire, atrophie testiculaire, déficit hormonal, infection chronique de la prostate, grippe, d'autres causes. Elle n'a la plupart du temps rien à voir avec la puissance virile. Certains hommes qui ne produisent que très peu, ou aucun spermatozoïde, bandent comme des cerfs, alors que d'autres, presque impuissants, ont des éjaculats si abondants et si fertiles qu'ils suffiraient à repeupler l'Europe occidentale ; la conjonction de ces deux qualités suffit à caractériser l'idéal masculin mis en avant dans les productions pornographiques. Jasselin ne se trouvait pas dans cette configuration parfaite : s'il pouvait encore, à cinquante ans passés, gratifier son épouse d'érections fermes et durables, il n'aurait certainement pas été en mesure de lui offrir une douche de sperme, au cas où elle en aurait éprouvé le désir ; ses éjaculations, quand elles avaient lieu, ne dépassaient pas la valeur d'une cuillère à café. (CT 297) Les locutions en italique sont ici celles empruntées mot pour mot au jargon médical utilisé pour le diagnostic et, d'autre part, des expressions très familières décrivant des performances sexuelles, aux antipodes du langage lissé du corps médical. Autre symptôme, plus discret, de la rupture entre signifiants et signifiés : la multiplication des premiers pour un seul et même référent : à Châtelus-le-Marcheix, Jed se prend l'habitude de boire un apéritif « au café de la place (qui avait, curieusement, conservé son ancien nom de Bar des Sports) » (CT 416) ; le père de Jed prend lui des noms différents pour son fils : « le soir le père de Jed rentrait, il s'appelait : « Jean-Pierre », ses amis l'appelaient ainsi. Jed, lui, l'appelait : « papa » » (CT 37). 27 Houellebecq joue avec nombre d'expressions, et souligne leur artificialité. Pourtant, après avoir identifié comme le détournement d'un cliché oriental la comparaison animale de Wong Fu Xin (« sa main portant le stylo correcteur, traitée avec un léger flou de mouvement, se jette sur la feuille « avec la rapidité d'un cobra qui se détend pour frapper sa proie », comme l'écrit de manière imagée Wong Fu Xin, qui procède probablement là à un détournement ironique des clichés d'exubérance métaphorique traditionnellement associés aux auteurs d'Extrême-Orient » (CT 185)), il utilise, à la page suivante, une comparaison similaire, sans prendre aucune distance avec celle-ci : « les mains aux doigts crochus, longs, décharnés comme les serres d'un rapace » (CT 186). Ailleurs, il commente, de la même façon, l'incongruité de l'expression « sourire désarmant » : . . . il produisit un sourire qu'il espérait désarmant. « Sourire désarmant » est une expression qu'on rencontre encore dans certains romans, et qui doit donc correspondre à une réalité quelconque. Mais Jed ne se sentait pas, pour sa part, suffisamment naïf pour pouvoir être désarmé par un sourire ; et, soupçonnait-il, Houellebecq pas davantage. (CT 164) Le signifiant est ici privé de son signifié, il est devenu vide, renvoyant à une idée absente de la réalité que le langage est censé décrire. Le même problème se pose lorsque Jed se répète une phrase dénuée pour lui de sens, uniquement belle à l'oreille, autre signifiant sans signifié : « Détruire en sa propre personne le sujet de la moralité, c'est chasser du monde, autant qu'il dépend de soi, la moralité » se répétait-il machinalement sans vraiment comprendre la phrase, séduit par son élégance plastique . . . (CT 344) Citons encore les réactions à la mort de Houellebecq-le-personnage, toutes plus convenues les unes que les autres, rangées collectivement sous les étiquettes de « broutage consensuel » et de « niaiseries adéquates » (CT 313). A l'inverse, c'est parfois le signifié qui, présent au fil du texte, peine à trouver son signifiant, le mot juste rassemblant sous lui le concept flottant et évasif. Ainsi la prostitution de Geneviève est décrite par l'expression « faisait commerce de ses charmes, comme on disait jadis », expression donc explicitement désuète donc inappropriée, mais préférée au « terme anglo-saxon d'escort » (CT 56) ; derrière ces euphémismes, la réalité est cependant rattrapée par 28 la description minutieuse et concrète : « elle prenait deux cent cinquante euros de l'heure, avec un supplément de cent euros pour l'anal.» Les signifiants ont échoué à transcrire effectivement et explicitement le signifié, celui des relations sexuelles tarifées. Le paragraphe s'achève par une description des avantages pour Jed de l'activité de Geneviève. Là aussi le signifiant pose problème, il tarde à venir, et n'apparaît que pour être nié par Jed comme inadapté à sa situation ou à sa conception de celle-ci : « Suivant les mois Geneviève gagnait entre cinq et dix mille euros . . . Elle l'en faisait profiter . . . et plusieurs fois ils prirent ensemble des vacances d'hiver . . . qu'elle avait intégralement payées. . . jamais il ne se sentit, si peu que ce soit, dans la peau d'un maquereau. » (CT 57) Le signifiant, qui capture et englobe sous lui la réalité du couple Jed/Geneviève, menace là aussi de se dissocier de son signifié, longuement décrit plus haut. Au milieu de ce langage en crise, où le grand divorce entre signifiants et signifiés se constate partout, Houellebecq-le-personnage constitue une alternative à cette monnaie usée qu'est la langue pour Mallarmé. L'auteur, nous dit le roman, « avait contracté cette manie d'employer des mots bizarres, parfois désuets ou franchement impropres, quand ce n'étaient pas des néologismes enfantins à la manière du capitaine Haddock. (CT 173) » Si les mots étranges qui sortent de sa bouche semblent dépourvus de sens (« Foucra bouldou ! Bistroye ! Bistroye ! »), son approche nouvelle, spontanée et personnelle de la langue constitue une alternative salvatrice à l'emprunt généralisé d'une langue impersonnelle et mollement consensuelle. Or, comme le rappelle Jed au bas de la même page, Houellebecq-le-personnage appartient justement à la catégorie sociale des artistes, la seule qui ait jusque-là échappé au catalogue pictural de Jed. C'est justement la notion même d'artiste qui est la plus constamment interrogée par le texte de La Carte et le Territoire. Le terme apparaît presque toujours en caractères italiques, comme copié-collé, plaqué là sans réelle réflexion préalable sur le sens de ce mot, mais invitant à méditer sur cette figure. Si l'étiquetage rapide, la catégorisation facile des individus sous des archétypes (pédé, bobo, nerd) est une constante de La Carte et le Territoire et de l'univers houellebecquien, la définition exacte de l'artiste échappe autant à Jed, l'artiste lui-même, que la représentation de cette classe sociale dans sa série des métiers simples : « Sa carrière d'artiste n'avait rien d'impressionnant non plus – il n'était à vrai dire même pas artiste, il n'avait jamais exposé, n'avait 29 jamais eu d'article relatant son travail, expliquant son importance au monde » (CT 73) ; « S'embrouillant un peu, Jed finit par lâcher que oui, dans un sens, on pouvait dire qu'il était artiste. (CT 76) » Frédéric Beigbeder, une fois le mot lâché par son interlocuteur, ironise ad libidum : « Mais oui, bien sûr, il faut être artiste ! . . . Pour coucher avec les plus belles femmes, aujourd'hui il faut être artiste ! Moi aussi je veux devenir ar-ti-ste ! » avant de pousser la chansonnette sur le même thème (CT 77) La répétition, les italiques, et la découpe du mot en syllabes : tout pointe vers un problème propre à ce mot, à ce concept flou, insaisissable. La mise en italique du terme confère également une aura, un prestige d'une nature quasimystique à l'artiste, regardé comme un but inaccompli de la vie du père de Jed Martin : « « Oui, moi aussi, je voulais être un artiste... » dit son père avec acrimonie, presque avec méchanceté. « Mais je n'ai pas réussi. » » (CT 219). Si les Martin père et fils ont tous deux pour carrière la production d'œuvres originales (l'architecture pour l'un, tableaux et photographies pour l'autre), un fossé qualitatif sépare leurs activités respectives, et ne permet pas de conférer également aux deux hommes le statut d'artiste. Si « artiste » est principalement une fonction, qu'on rapprochera plus loin de la fonctionauteur de Foucault (« il n'eut aucun mal à déambuler paisiblement entre ses photos, sans que personne ne reconnaisse en lui l'artiste » (CT 83)), celle-ci entraîne avec elle tout un cortège de contingences diverses : l'artiste est censé se vêtir différemment, en se démarquant du commun des mortels (« un polytechnicien de modèle courant qui avait passé trois heures à essayer de s'habiller artistique, passant en revue toute sa garde-robe avant de se rabattre sur un de ses costumes gris habituels – porté sans cravate » (CT 81)) ; il produit des « œuvres » et les expose dans des « galeries », termes auxquels la typographie confère de la même aura de mystère (CT 91-92). L'atelier d'artiste est un autre accessoire indispensable de la panoplie de l'artiste. On l'a vu, le terme est largement galvaudé lorsque l'agent immobilier l'utilise pour présenter à Jed un simple grenier doté d'une verrière. Il s'émerveille alors d'avoir pour la première fois « l'occasion de vendre un atelier d'artiste à un artiste ! » Une nouvelle fois, on constate une rupture radicale entre signifiant et signifié, puisque ni la fonction de cet espace, ni la profession de son occupant ne sont en rapport avec le titre donné à l'appartement. L'arrivée de Jed réhabilite le terme d'atelier d'artiste et réconcilie signifiant et signifié, puisque c'est bien un artiste qui l'occupera cette fois. L'écart entre signifiant (atelier d'artiste) et signifié (un simple grenier avec une verrière) est 30 annulé par l'apparition d'un nouveau signifié (espace utilisé par un artiste pour produire ses œuvres), qui incidemment était le sens original de la locution. L'artiste, enfin, est considéré comme un paria et mis à l'écart de la société : « Dans le cas de Jed, le fait qu'il soit artiste aggravait encore la situation : sa richesse avait été acquise, aux yeux d'un cultivateur creusois, par des moyens douteux, à la limite de l'escroquerie » (CT 408). Cette animosité est partagée ponctuellement par Beigbeder, pour qui l'indifférence apparente de Jed à l'égard d'Olga ne s'explique pas : « Vous êtes un génie, probablement. Il n'y a qu'un génie pour être aussi égocentrique, limite autiste... » (CT 129) puis plus loin : « Il jeta un regard acéré à Jed qui se levait pour partir. « A moins que vous ne considériez que le plus important, c'est votre exposition... » Il hocha de nouveau la tête, et c'est en marmonnant, d'une voix presque inaudible, qu'il ajouta avec dégoût : « Putain d'artistes... » » (CT 132). La voix de la postérité apporte un élément de réponse sur cette définition du concept élusif d'artiste, en donnant la parole à un Jed Martin plus vieux de quelques années : Bien des années plus tard, lorsqu'il fut devenu célèbre – et même, à vrai dire, extrêmement célèbre – Jed devait être interrogé à de nombreuses reprises sur ce que signifiait, à ses yeux, le fait d'être artiste. Il ne devait rien trouver de très intéressant ni de très original à dire, à l'exception d'une seule chose, qu'il devait par conséquent répéter presque à chaque interview : être artiste, à ses yeux, c'était avant tout être quelqu'un de soumis. Soumis à des messages mystérieux. . . etc. (CT 106) Si le terme d'artiste, tout au long du roman, semble ainsi appeler à sa propre redéfinition, que ce soit par les interrogations et les commentaires ironiques des personnages ou par la typographie isolant ce mot dans le tissu textuel, au même titre que les expressions empruntées, cliché, vidées de leur substance à force d'usage, c'est à cause de la remise en question du statut d'artiste qui découle nécessairement du premier succès commercial de Jed, un artiste qui se contente de photographier des cartes routières, reproductions abstraites du territoire. La critique vient de Jed lui-même : « les grands photographes . . . ne révélaient rien du tout, ils se contentaient de se placer devant vous et de déclencher le moteur de leur appareil pour prendre des centaines de clichés au petit bonheur la chance . . . il les considérait tous autant qu'ils étaient comme à peu près aussi créatifs qu'un Photomaton » (CT p. 11). 31 III) Origine et originalité de la représentation artistique La question de la représentation artistique du monde est soulevée à plusieurs reprises par Jed et Houellebecq-le-personnage. Houellebecq différencie « le monde comme narration » d'avec le « monde comme juxtaposition », deux systèmes de représentation artistique du monde, l'un propre aux films, aux romans et à la musique, l'autre utilisé par la poésie et la peinture (CT 258). Houellebecq affirme ne plus s'intéresser qu'au deuxième système. Dix pages plus loin, Jed semble avoir été contaminé par cette réflexion, perdant le peu de goût qu'il avait pour la musique : « France-Musique diffusait un opéra italien dont le brio ronflant et factice l'agaça rapidement ; il coupa l'autoradio. Il n'avait jamais aimé la musique, et apparemment l'aimait moins que jamais » (CT 268). Ce changement découvert en lui-même par Jed (l'adverbe « apparemment » dénote une vérité dont il n'avait jusque-là pas conscience) fait suite à sa discussion avec l'écrivain misanthrope, qui avait donc précisément expliqué avoir perdu son intérêt dans, entre autres, la musique. S'ensuit une remise en question de l'ambition artistique de Jed : « il se demanda fugitivement ce qui l'avait conduit à se lancer dans une représentation artistique du monde, ou même à penser qu'une représentation artistique du monde était possible, le monde était tout sauf sujet d'émotion artistique, le monde se présentait absolument comme un dispositif rationnel, dénué de magie comme d'intérêt particulier » (CT 268). C'est pourtant le fait de « rendre compte du monde » que Jed présente, lors d'une interview de quarante pages au magazine Art Press, comme son but d'artiste pour sa dernière série d'œuvres (CT 420). Par contraste, un exemple de mauvais artiste est donné par l'intermédiaire du « barbu à queue de cheval » qui aborde Jed pour lui demander son opinion d'artiste sur ses peintures. Celles-ci sont qualifiées par Jed « d'autofictions, d'autoportraits imaginaire » n'atteignant pas le « niveau d'hyperréalisme requis par l'heroic fantasy ». Ce jugement apparaît comme paradoxal étant donné la part d'autofiction présente dans La Carte et le Territoire, dans laquelle Houellebecq se met lui-même en scène, mais également l'irréalisme recherché, revendiqué, des effets de surimpression désuets et datés apposés par Jed sur ses vidéos, celles-là même dont la finalité serait de « rendre compte du monde » : . . .ce n'est qu'ensuite que son travail se développa vraiment, lorsqu'il se mit en quête d'un logiciel de surimpression. Surtout utilisée dans les premiers temps du cinéma muet, la surimpression avait presque entièrement disparu de la production des cinéastes professionnels comme de celles des vidéastes amateurs, même de 32 ceux qui œuvraient dans le champ artistique ; elle était considérée comme un effet spécial désuet, daté, de par son irréalisme clairement revendiqué.(CT 424) La notion de réalisme, tantôt embrassée ou au contraire rejetée par les divers artistes, dans La Carte et le Territoire, semble donc en tous cas d'une importance cruciale dans la problématique du rapport de l'art au monde. Le roman lui-même oscille entre l'éloge de cette mimésis très poussée du réel et un rejet des codes réalistes. Jasselin défend ainsi un roman jugé mauvais mais compensant ses défauts par son réalisme, un aspect présenté donc comme une qualité, malgré le rythme répétitif alors nécessaire : « Dans un sens c'était certainement un mauvais livre, un mauvais roman policier en tout cas : l'auteur ne faisait aucun effort d'imagination, n'essayait nullement de varier les motifs ni les intrigues ; mais c'était justement cette monotonie écrasante qui lui donnait un parfum unique d'authenticité » (CT 304). Houellebecq fait souvent montre de tentatives de coller au réel de la façon la plus fidèle possible. Ainsi, le discours indirect libre, utilisé abondamment, lui permet d'intégrer dans le corps du récit les paroles exactes des personnages, quel que soit le niveau de langue pratiqué. Forestier, rendu aigri par le départ d'Olga de son équipe au sein de l'entreprise Michelin, ne mâche pas ses mots : « Il s'était « complètement fait enculer » par la direction générale », tels furent ses termes amers. Evidemment elle repartait en Russie, évidemment c'était son pays, évidemment ces putains de Russes achetaient des milliards de pneus, avec leurs putains de routes dégradées et leur putain de climat à la con » (CT 108). Les paroles, d'abord rapportées entre guillemets, fusionnent rapidement avec la narration. Ailleurs, c'est le flot de pensées des personnages dont le texte se fait le reflet exact, dans le style courant de conscience : « . . . et les vieillards s'intéressent à leurs petits-enfants, c'est connu, ils relient ça aux cycles de la nature ou à quelque chose, enfin il y a une sorte d'émotion qui parvient à naître dans leur vieille tête, le fils est la mort du père c'est certain mais pour le grand-père le fils est une sorte de renaissance ou de revanche . . . » (CT 22). L'absence de ponctuation hormis les virgules, l'enchaînement des mots et phrases en anacoluthe, sans véritable lien ni rupture, imite le mouvement ininterrompu de la pensée, et participe donc du réalisme de la prose houellebecquienne. Une autre occurrence se trouve dans la troisième partie du roman, avec cette fois la pensée de Jasselin déroulée librement : 33 Jasselin marchait lentement, le long d'une route qui conduisait à un bosquet d'un vert intense, anormal, où devaient probablement proliférer les serpents et les mouches – voire, dans le pire des cas, les scorpions et les taons, les scorpions n'étaient pas rares dans l'Yonne, et certains s'aventuraient jusqu'aux limites du Loiret, il l'avait lu sur Info Gendarmeries avant de venir, un excellent site, qui ne mettait en ligne que des informations soigneusement vérifiées.(CT 279-280) A l'inverse, Houellebecq, au-delà par exemple des descriptions extrêmement précises et chiffrées des produits de la vie quotidienne, de la géographie, des marques commerciales et des émissions de télévision, qui inscrivent son récit dans la vie quotidienne, banale, et donc réaliste, fait parfois fi de toute velléité de réalisme, et produit des sursauts d'invraisemblable, propices au surgissement chez le lecteur d'une conscience de son activité de lecture et de l'aspect purement fictionnel du récit exposé devant lui. Ainsi, on peut citer l'absence de places désignées dans l'avion (CT 179) qui ramène Jed d'Irlande, une disposition pouvant sembler étrange étant donné l'année où se déroule cette visite à Houellebecq, bien loin des voyages pré-11 septembre de Plateforme, voyages que le personnage de Michel rendait en ce temps-là supportables en glissant dans l'appareil une bouteille d'alcool, chose impossible aujourd'hui en raison des mesures de sécurité. Ce type de détail sapant le réalisme du roman n'est pas nouveau : au milieu des descriptions des programmes télévisuels regardés par Michel au début de Plateforme, collant parfaitement aux émissions intemporelles du PAF1 (de Questions pour un champion à Très pêche) et ancrant le roman dans un réalisme jusqu'au-boutiste dans sa prise en compte de la banalité (« Au moment où Nadège, du ValFourré, annonçait à Julien Lepers qu'elle remettait son titre en jeu pour la troisième reprise . . . » (Plateforme 12)), le narrateur décrit le personnage éponyme de la série Xena la Guerrière comme blonde (« Ton règne n'a que trop duré, Tagrathâ ! s'exclamait la blonde ; je suis Xena, la guerrière des Plaines de l'Ouest ! » (Plateforme 11)), un détail erroné qui mine la construction de réalisme banal et consumériste (jusque dans la culture de masse) développé dans ces pages. A la page 279 de La Carte et le Territoire, le passage tiré (sans référence à la source) du site internet officiel du ministère de l'intérieur décrivant la fonction de commissaire de police, s'il ne choque pas vraiment par son style administratif plat dont Houellebecq est coutumier (l'anaphore en « Ils », l'emploi du lexique bureaucratique), ne peut que susciter chez le lecteur un 1 Paysage audiovisuel français 34 doute quant à son réalisme, lorsque, en conclusion du paragraphe, ce qui est présenté comme une estimation approximative du salaire de départ s'avère, de façon grotesque, extrêmement précis : « La rémunération en début de carrière est de l'ordre de 2898 euros » (CT 279). Là aussi, le réalisme du roman est rompu par un détail anormal, inattendu, brisant l'illusion fictionnelle. En ce qui concerne l'intrigue du roman, en particulier l'enquête policière, le réalisme et la vraisemblance du roman sont réduits à néant au moment où le résultat de l'autopsie parvient à Jasselin : « l'homme comme le chien avaient été tués à l'aide d'un Sigsauer M-45, dans les deux cas une seule balle, tirée à la hauteur du cœur, à bout touchant ; l'arme était équipée d'un silencieux. Ils avaient été assommés au préalable, à l'aide d'un objet contondant et allongé –qui pouvait être une batte de base-ball » (CT 316). En gardant à l'esprit que la totalité des corps de Houellebecq-le-personnage et de son chien a été soigneusement découpée en lambeaux répandus sur le sol de la pièce, la précision de la reconstitution de la scène n'est pas crédible une seule seconde, et relève plus d'un autre cliché narratif hérité de la télévision. Houellebecq est, on peut le penser, pleinement conscient de ces failles dans le réalisme de son roman. Le village où Houellebecq-le-personnage est retrouvé assassiné possède des noms de rues et places totalement improbables : « la rue Martin-Heidegger descendait vers une partie du village qu'il n'avait pas encore explorée » ; « parvenu sur la place Parménide, il découvrit un parking flambant neuf » ; « En direction du sud le village se terminait par le rond-point Emmanuel Kant » (CT 281-282). Le texte nous prévient toutefois à l'avance du caractère factice de cet univers : « les maisons blanches aux bardeaux noirs, d'une propreté impeccable, l'église impitoyablement restaurée, les panneaux d'information prétendument ludiques, tout donnait l'impression d'un décor, d'un village faux, reconstitué pour les besoins d'une série télévisée » (CT 280). Il apparaît donc que le réalisme, par lequel l'œuvre d'art tente de perfectionner sa mimésis du monde qu'elle imite, ne constitue pas pour Houellebecq un critère valable, un élément indispensable de toute œuvre artistique de qualité. Le réalisme est un soucis d'exactitude dans la misesis, reproduction, imitation du monde par l'art ; Houellebecq, dans La Carte et le Territoire, se situe davantage du côté de l'imitatio, reproduction par l'art d'autres œuvres d'art, avec des critères de réussite autres que l'identité : une problématique qui dépasse le cadre du récit, et inclut le roman lui-même. 35 Le thème central de la création artistique, à travers le personnage et la carrière de Jed, prend principalement appui sur le début de sa carrière et sa première exposition, celle qui lui fait connaître la célébrité une première fois. Le travail de Jed consiste alors à photographier des cartes routières Michelin, selon un angle et avec des réglages techniques conférant à l'image produite l'aspect d'une vue aérienne directe du territoire en question. Il y a là une dimension proche du concept d'art contemporain de readymade, selon lequel une œuvre d'art peut-être « trouvée » plutôt que créée, dans les objets quotidiens, et qu'ériger ces objets au statut d'œuvre d'art, par cet acte seul de proclamation performatif, suffit à effectivement élever la « production » au rang de création artistique. En ce sens, le travail de Jed n'est pas éloigné de l'utilisation par Houellebecq-l'auteur d'articles tirés de Wikipedia au sein du roman : tous deux se servent de la production dépersonnalisée que constituent les cartes routières et les articles (ni l'un ni l'autre ne sont le fruit d'un auteur en particulier, mais bien celui d'une collaboration anonyme, qui reflète une réalité objective et non-modifiable : les cartographes se contentent de reproduire le donné géographique humain et naturel, les contributeurs de Wikipedia compilent des faits trouvés ailleurs). La critique formulée par Jed contre les photographes (« aussi créatifs qu'un Photomaton ») peut se retourner contre lui, et contre Houellebecq-l'auteur lui-même. Dans les deux cas, pourtant, il y a bien imitatio, et non pas simple imitation : les photographies des cartes changent le regard du spectateur sur le paysage représenté, et les passages encyclopédiques s'inscrivent dans la disparition de la voix autoritaire derrière la parole empruntée, sans sujet, que la prose houellebecquienne recherche. Ce mode de fonctionnement est également celui de Jed lors de sa seconde période, puisqu'il travaille alors à partir des clichés qu'il réalise des sujets de ses portraits : la pellicule capture un donné brut, inchangeable, que Jed utilise, en le reproduisant, pour composer sa série des métiers simples. Il existe un autre niveau dans cette mise-en-abîme de l'art : le roman La Carte et le Territoire est lui-même une œuvre d'art utilisant un médium différent (littéraire) pour reproduire une autre œuvre d'art : les descriptions des œuvres de Jed par la voix narrative sont en effet la traduction en mots des photos de Jed, elles-mêmes copies de cartes reproduisant le territoire français. A l'intérieur du roman, Houellebecq-l'écrivain opère de la même façon, en décrivant avec des mots, dans la brochure qu'il produit pour le second vernissage de Jed, les tableaux passés et présents de ce dernier (eux-mêmes imitations, ou traductions, de cartes ou de 36 photographies). La Carte et le Territoire, tout comme les diverses œuvres de l'esprit qu'elle contient dans son récit, n'est que l'imitation de ces dernières, elles-mêmes réalisées à partir de reproductions « brutes » du réel (cartes et clichés de travail). L'affirmation brandie à l'entrée de l'exposition de Jed « LA CARTE EST PLUS INTERESSANTE QUE LE TERRITOIRE » (CT 82) affirme sans réserve une échelle de valeurs dans laquelle l'imitation est supérieure à son modèle, plaçant les photos au-dessus des cartes, puis, suivant cette logique, leur transcription par le médium littéraire (le roman La Carte et le Territoire) en aboutissement final, au sommet d'une pyramide d'imitations successives et enchâssées. L'identité des pages du roman avec autant de cartes topographiques est par ailleurs suggérée dans le récit : Jed, en repérage chez Houellebecq-l'écrivain, montre son intérêt pour les brouillons de ce dernier, et pour « la géométrie de l'ensemble » : il y avait très peu de ratures, mais de nombreux astérisques au milieu du texte, accompagnés de flèches qui conduisaient à d'autres blocs de texte, les uns dans la marge, d'autres sur des feuilles séparées. A l'intérieur de ces blocs, de forme grossièrement rectangulaire, de nouveaux astérisques renvoyaient à de nouveaux blocs, cela formait comme une arborescence. (CT 167) Cette description pourrait tout aussi bien s'appliquer à une carte routière, avec ses symboles divers et les idées de mouvement (« conduisaient », « renvoyaient ») et d'espace (« blocs », « milieu »). En outre, la typographie protéiforme présente tout au long du roman donne à celui-ci une identité visuelle particulière, et renforce l'idée que chaque page crée et possède un espace propre, dans lequel l'œil du lecteur navigue de façon fluide en suivant les lignes pour s'arrêter sur les mots en italique, sortes d'étapes, agglomérations connues et chargées de connotations. L'accumulation de médiations entre modèles et imitations successives produit une hiérarchie de niveaux de réalités qui finissent par remplacer le modèle original (après tout, nous lecteurs n'avons accès qu'aux ekphraseis des divers narrateurs, descriptions verbales des œuvres visuelles fictives). Baudrillard, dans Simulacres et simulation, décrit ce phénomène de précession des simulacres, mais sur seulement deux niveaux : Aujourd'hui l'abstraction n'est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept. La simulation n'est plus celle d'un territoire, d'un être référentiel, d'une 37 substance. Elle est la génération par les modèles d'un réel sans origine ni réalité : hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte, ni ne lui survit ; C'est désormais la carte qui précède le territoire – précession des simulacres –, c'est elle qui engendre le territoire et s'il fallait reprendre la fable2, c'est aujourd'hui le territoire dont les lambeaux pourrissent lentement sur l'étendue de la carte. C'est le réel, et non la carte, dont des vestiges subsistent ça et là, dans les déserts qui ne sont plus ceux de l'Empire, mais le nôtre. Le désert du réel lui-même. (Baudrillard 9-10) La réalité du territoire originel est en effet remise en cause : Olga, qui travaille pour Michelin, éditeur du guide touristique de référence, n'a en fait jamais visité le pays : « De la France Olga ne connaissait au fond que Paris, se dit Jed en feuilletant le guide French Touch ; et lui-même, à vrai dire, guère davantage. » (CT 94) Lorsque le couple, en visite en province, est confronté au choix d'un restaurant, Jed propose un repas à base de cuisine marocaine, ou de fusion food franco-marocaine (CT 96), puisque les aubergistes potentiels portent pour l'une un prénom français et pour l'autre un prénom arabe. Olga oppose un refus net, étant une touriste étrangère en quête d'une cuisine française authentique. L'adaptation des menus des restaurateurs à cette demande répandue est un autre simulacre : la « cuisine française » ne sera alors qu'une réintroduction, artificielle, d'une gastronomie disparue ou au moins concurrencée par la diversification de l'offre culinaire, une artificialité proche de la démuséification décrite par Baudrillard : La démuséification n'est qu'une spirale de plus dans l'artificialité. Témoin le cloître de Saint Michel de Cuxa, qu'on va rapatrier à grands frais des Cloysters de New York pour le réinstaller dans « son site original ». Et tous d'applaudir à cette restitution. Or, si l'exportation des chapiteaux fut en effet un acte arbitraire, si les Cloysters de New York sont bien une mosaïque artificielle de toutes les cultures (selon une logique de la centralisation capitaliste de la valeur), la 2 En cet empire, l'Art de la Cartographie fut poussé à une telle Perfection que la Carte d'une seule Province occupait toute une Ville et la Carte de l'Empire toute une Province. Avec le temps, ces Cartes Démesurées cessèrent de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes levèrent une Carte de l'Empire, qui avait le Format de l'Empire et qui coïncidait avec lui, point par point. Moins passionnées pour l'Étude de la Cartographie, les Générations Suivantes réfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sans impiété, elles l'abandonnèrent à l'Inclémence du Soleil et des Hivers. Dans les Déserts de l'Ouest, subsistent des Ruines très abîmées de la Carte. Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, il n'y a plus d'autre trace des Disciplines Géographiques. (Borges, attribuant le texte à Suarez Miranda in Viajes de Varones Prudentes, Lib. IV, Cap. XIV, Lerida, 1658) 38 réimportation sur les lieux d'origine, elle, est encore plus artificielle : c'est le simulacre total qui rejoint la « réalité » par une circonvolution complète. (Baudrillard 23) Le problème du réalisme, que nous avons évoqué plus haut, trouve un élément de réponse dans cette remise en cause de la réalité même : ce n'est pas un défaut de mimesis qui crée une inadéquation entre le réel et sa reproduction par l'art, mais la superposition des couches de médiation artistique, à laquelle participe le roman lui-même, qui repousse la réalité, modèle original de l'art et de ses imitations successives, dans une région inexplorée. C'est le sens de l'incipit de La Carte et le Territoire, dans lequel la confusion entre la réalité du monde du roman et sa reproduction par l'art est donné comme l'un des thèmes fondamentaux de l'œuvre. « Jeff Koons », les premiers mots de La Carte, semblent au premier abord désigner un personnage du roman, de même que son collègue Hirst avec qui il partage la première page. Le temps de l'imparfait, utilisé tout au long de celle-ci pour décrire les actions figées et non abouties représentées dans la peinture, participe d'un trompe-l’œil littéraire qui réussit à persuader le lecteur, dans un premier temps, de la réalité de la scène décrite, scène qui paraît suspendue dans le temps uniquement dans le but de faire débuter l'œuvre in medias res, de façon classique. L'intervention de l'artiste Jed et de sa brosse – paradoxalement pour éliminer un défaut visuel nuisant au réalisme de sa production (« Le front de Jeff Koons était légèrement luisant ») – transforme rétrospectivement la page précédente en un simple tableau dont nous sommes à présent sortis. Jed, pointant un défaut de réalisme artistique, brise l'illusion et nous fait accéder au niveau de réalité supérieur. Cette mise-en-abîme initiale, très déconcertante, ce commencement du roman non pas in medias res mais, pourrait-on dire, in mediam artem, pose le rapport au réel de l'œuvre d'art comme un thème clef de l'œuvre. Le choix des artistes, tirés du monde réel, n'est en rien anodin, et leur statut de personnages introducteurs nous oblige à considérer la charge symbolique et le manifeste artistique qu'ils revêtent pour le roman. Une simple recherche sur l'encyclopédie en ligne libre et contributive Wikipedia, dont Houellebecq est donc familier, met rapidement en lumière les caractéristiques du style de chacun des créatifs. Jeff Koons est ainsi connu pour ses reproductions d'objets banals dans des matériaux réfléchissants, ainsi que pour sa réutilisation de photographies dans des œuvres en collage. Damien Hirst est lui renommé pour ses cadavres d'animaux 39 préservés dans le formol et pour ses expositions d'objets du quotidien. Le recyclage fait donc partie intégrante de la démarche artistique de chacun des deux modèles de Jed, à tel point que tous deux ont été plusieurs fois accusés de plagiat. A travers Koons et Hirst, c'est donc une remise en question du rapport de l'art au réel et de la fonction d'auteur que Houellebecq choisit d'associer à son roman. Définir cette fonction, comme a tenté de le faire Foucault dans « Qu'est-ce qu'un auteur ? », est un autre enjeu majeur de La Carte et le Territoire. Si Houellebecq, pour faire référence à son alter-ego fictionnel, utilise des périphrases mettant en avant sa bibliographie, ce n'est certainement pas par modestie : Houellebecq utilise bel et bien son propre nom (quoique son nom de plume n'est pas son patronyme véritable, celui-ci étant « Thomas ») et des éléments de sa biographie dans ce récit, comme il utilisait presque systématiquement des narrateurs prénommés Michel dans ses œuvres précédentes (Les Particules élémentaires, Plateforme, etc). Pourtant, le nom du personnage dans La Carte et le Territoire est très souvent remplacé par « l'auteur des Particules élémentaires » (CT 256, 237, etc.), « l'auteur de Plateforme » (CT 176), « l'auteur de Renaissance » (CT 166), etc. C'est bien la fonction-auteur qui prime dans l'utilisation de ce personnage, celle qui est habituellement le signifié de tout nom d'auteur selon Foucault : Le nom d'auteur est un nom propre . . . Il est plus qu'une indication, un geste, un doigt pointé vers quelqu'un ; dans une certaine mesure, c'est l'équivalent d'une description. Quand on dit « Aristote », on emploie un mot qui est l'équivalent d'une description ou d'une série de descriptions définies, du genre de : « l'auteur des Analytiques », ou : « le fondateur de l'ontologie », etc. (Foucault Dits et écrits 796) La mort du personnage de Houellebecq signifie donc plus que la mort d'un personnage parmi d'autres : il s'agit de la théorie de la mort de l'auteur chère à Barthes, réalisée dans le récit. La théorie structuraliste se trouve ici mise en scène, très concrètement. La réapparition d'un Michel, après la macabre découverte, contribue à diluer la présence de l'auteur Houellebecq dans le roman : le prénom est réutilisé pour le bichon de Jasselin, un animal aux capacités reproductrices limitées (son fils Michou étant même stérile, comme son propriétaire). L'auteur, l'individu créateur, subit là une transformation peut-être plus avilissante que son assassinat lui-même. N'oublions pas enfin la proximité phonologique entre le prénom de Houellebecq et l'entreprise 40 produisant les cartes routières servant de modèle à Jed : Michel l'auteur est également présent, dans cette trinité d'incarnations, dans une activité prosaïque et commerciale, sans auteur, une structure diffuse et dépersonnalisée, aux antipodes de l'activité artistique individuelle. Si La Carte et le Territoire est le récit de la vie d'un artiste exceptionnel, de la même manière que Les Particules élémentaires était l'exploration de cette existence humaine particulière puisqu'ayant abouti à une révolution scientifique (Michel Djerzinski), il s'agit, comme le dit Foucault anticipant ses critiques dans l'Ordre du discours (Foucault Ordre du discours 30) « de l'auteur, tel que la critique le réinvente après coup, lorsque la mort est venue et qu'il ne reste plus qu'une masse enchevêtrée de grimoires ; il faut bien alors remettre un peu d'ordre dans tout cela ; imaginer un projet, une cohérence, une thématique qu'on demande à la conscience ou la vie d'un auteur, en effet peut-être un peu fictif. Mais cela n'empêche pas qu'il a bien existé, cet auteur réel, cet homme qui fait irruption au milieu de tous les mots usés, portant en eux son génie ou son désordre ». La fonction-auteur cède le pas, semble-t-il, face à l'existence particulière de l'individu. Pourtant, malgré ce recentrage sur l'individu, c'est Houellebecql'auteur, qui disparaît, comme dans les Particules élémentaires, derrière la voix empruntée du commentaire historique sur la vie d'un grand personnage, la voix de la postérité. C'est la postérité qui parle, comme c'est la langue qui parle Houellebecq : du vocabulaire de concessionnaire automobile ou d'agent immobilier aux clichés langagiers de la vie courante et aux concepts préconçus, façonnés par l'idéologie télévisuelle de masse, en passant par la fonction phatique, l'auteur s'efface de l'écriture de son œuvre littéraire, et laisse parler des structures qui le dépassent. Dès lors, l'insertion en bloc d'articles d'encyclopédie participe de façon tout à fait cohérente à cette extériorisation et dépersonnalisation de l'écriture. Le savoir encyclopédique, objectif et universel, sans auteur, va de pair avec une parole consensuelle, fruit sans aspérité d'une entité collective, la langue elle-même, détachée de tout individu. Coexistant avec le narcissisme de Houellebecq se mettant en scène dans son roman, l'idée de sacrifice de l'auteur est donc aussi présente dans le texte, duquel disparaît toute autorité de l'écrivain, comme Foucault l'explique dans « Qu'est-ce qu'un auteur ? » : Le récit, ou l'épopée des Grecs, était destiné à perpétuer l'immortalité du héros, et si le héros acceptait de mourir jeune, c'était pour que sa vie, consacrée ainsi, et magnifiée par la mort, passe à l'immortalité . . . Ce thème du récit ou de l'écriture 41 est maintenant lié au sacrifice, au sacrifice même de la vie ; effacement volontaire qui n'a pas à être représenté dans les livres, puisqu'il est accompli dans l'existence même de l'écrivain. L'œuvre qui avait le devoir d'apporter l'immortalité a reçu maintenant le droit de tuer, d'être meurtrière de son auteur. Voyez Flaubert, Proust, Kafka. Mais il y a autre chose : ce rapport de l'écriture à la mort se manifeste aussi dans l'effacement des caractères individuels du sujet écrivant ; par toutes les chicanes qu'il établit entre lui et ce qu'il écrit, le sujet écrivant déroute tous les signes de son individualité particulière ; la marque de l'écrivain n'est plus que la singularité de son absence ; il lui faut tenir le rôle du mort dans le jeu de l'écriture. Tout cela est connu ; et il y a beau temps que la critique et la philosophie ont pris acte de cette disparition ou de cette mort de l'auteur. (Foucault Dits et Ecrits 793) Dans cette optique, l'autorité de Houellebecq sur La Carte et le Territoire est très affaiblie, à moins de comprendre l'option de laisser parler des structures qui le dépassent comme un choix esthétique d'artiste. L. Goldmann, répondant à Foucault à la fin de sa conférence sur « Qu'est-ce qu'un auteur ? », propose les conclusions de sa thèse structuraliste appliquée à Racine : J'ai été amené à montrer que Racine n'est pas le seul, unique et véritable auteur des tragédies raciniennes, mais que celles-ci sont nées à l'intérieur du développement d'un ensemble structuré de catégories mentales qui était œuvre collective, ce qui m'a amené à trouver comme « auteur » de ces tragédies, en dernière instance, la noblesse de robe, le groupe jansénie et, à l'intérieur de celuici, Racine en tant qu'individu particulièrement important. » (Foucault Dits et Ecrits 813) Dans le cas de Michel Houellebecq, celui-ci peut également être réduit à l'un des auteurs de son roman, en partageant la paternité avec les clichés langagiers, le marché de l'art, ou encore l'individualisme et l'apathie ambiants. Mais à la différence de Racine, Houellebecq, en bon postmoderne, est pleinement conscient de ce phénomène, et choisit de l'illustrer concrètement dans le récit, par le sacrifice de son alter-ego fictionnel, symbole de son renoncement à tout contrôle sur l'écriture de La Carte et le Territoire. 42 De même que dans le fameux conte de Borges utilisé par tous, de Baudrillard à Foucault, et connu de Houellebecq, la carte recouvre tout l'empire et se confond avec lui, de même c'est le roman tout entier qui se confond ici avec les théories développées par Houellebecq. Le roman La Carte et le Territoire est en lui-même une série de reproductions, via un langage littéraire, des œuvres d'art décrites dans le récit ; c'est une imitation des imitations qu'il contient. En outre, il met en scène la mort de son auteur non seulement au sein du récit et également dans l'écriture dépersonnalisée du texte, devenu autonome et parlé par la langue, par la culture de masse, par le zeitgeist. Le succès commercial de Houellebecq peut d'ailleurs s'expliquer par cet abandon complet à un weltanschauung non pas individuel mais dans l'air du temps, partagé par une large tranche du public. La traduction anglaise du titre de son premier roman, Extension du domaine de la lutte, résume bien cette attitude vis-à-vis du monde et de l'existence : Whatever. L'écriture, dans La Carte et le Territoire, se situe parfaitement dans la continuité de cette optique, appliquée au texte lui-même, et non aux seuls thèmes qu'il véhicule. Houellebecq semble se réapproprier par là la phrase de Beckett, cité par Foucault : « Qu'importe qui parle, quelqu'un a dit qu'importe qui parle. » Foucault (autre Michel) explique : « Dans cette indifférence, je crois qu'il faut reconnaître un des principes éthiques fondamentaux de l'écriture contemporaine . . . Dans l'écriture, il n'y va pas de la manifestation ou de l'exaltation du geste d'écrire ; il ne s'agit pas de l'épinglage d'un sujet dans un langage ; il est question de l'ouverture d'un espace où le sujet écrivant ne cesse de disparaître. » (Foucault Dits et Ecrits 792) Dans ces conditions, l'affaire Houellebecq de 2010, sur le plagiat supposé présent dans La Carte et le Territoire, ne sert qu'à mettre en lumière la réflexion profonde proposée par le roman, sa remise en cause, selon une logique structuraliste, de la notion d'originalité dans l'art, vis-à-vis de ses modèles (le monde comme les autres œuvres), et la démission consciente de l'auteur dans l'écriture, laquelle s'apparente plus à une agrégation hétéroclite, un patchwork, de sources externes diverses. 43 Bibliographie : Baudrillard, Jean. Simulacres et Simulation. Paris : Galilée, 1981. Bessard-Banquy, Olivier. « Le degré zéro de l'écriture selon Houellebecq » in Michel Houellebecq sous la loupe. Amsterdam : Rodopi, 2007. 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