dans l`atelier de... giorgia marras
Transcription
dans l`atelier de... giorgia marras
neuviemeart2.0 > dans l’atelier > dans l’atelier de... giorgia marras dans l’atelier de... giorgia marras par Thierry Groensteen [Février 2016] Née en 1988, Giorgia Marras a publié un album sur le peintre Munch en 2014 et travaille aujourd’hui à une autre biographie dessinée, dont le modèle est l’impératrice Sissi. Elle évoque ici son parcours, entre la France et l’Italie. Neuvième Art : Vous avez fait des études à l’Académie des Beaux-Arts de Gênes, votre ville natale… Giorgia Marras : En fait, j’ai grandi à la campagne, tout à côté de Gênes. Dès l’âge de quatorze ans, je me rendais tous les jours à la ville. Je pense que ma meilleure formation artistique, je l’ai reçue là, au lycée de Gênes. J’étais dans une filière artistique et nous avions une très bonne préparation, très complète, y compris au niveau littéraire, philosophique, etc. J’ai fait les Beaux-Arts ensuite, et j’y ai décroché un diplôme en design graphique. Mais j’étais beaucoup plus intéressée par la bande dessinée et l’illustration. Je crois que ma vocation de dessinatrice de BD s’est décidée quand j’avais trois ans, au moment où j’ai découvert Topolino [l’équivalent italien du Journal de Mickey] et les BD Disney en général. Il n’y avait pas de livres chez moi, c’étaient les seules publications imprimées qui pénétraient dans la maison. Adolescente, j’ai eu ma période manga. Parallèlement, j’empruntais beaucoup de livres à la bibliothèque de l’école. J’étais une fille un peu timide, qui n’aimais pas trop jouer avec les autres, les livres étaient mon refuge. Connaissez-vous la bande dessinée sur Munch faite par Steffen Kverneland [2] ? Je l’ai vue, mais pas vraiment lue. Elle n’était pas encore traduite à l’époque. Je suppose que l’auteur, étant norvégien, devait se sentir plus « autorisé » que moi, l’Italienne, pour aborder la vie de Munch, et qu’il y a des aspects de cette vie plus faciles à ressentir pour lui… Votre album est en noir et blanc, ce qui peut sembler paradoxal pour évoquer un peintre… Peut-être, mais je me suis intéressée de près à son œuvre de graveur, très abondante, et le noir et blanc me permettait de me rapprocher de cet aspect-là. Mon dessin au trait est finalisé à l’encre de Chine, et j’interviens ensuite avec le crayon noir pour appliquer des grisés, obtenir de la matière… Il y a aussi, par endroits, quelques rehauts de bleu… Oui, principalement pour tout ce qui est de l’ordre du flash-back, du souvenir. (Ses journaux prouvent que Munch vivait beaucoup dans ses souvenirs…) Et parfois le bleu vient simplement détacher un détail de l’image. C’est mon éditrice qui a pris cette liberté, avec laquelle je ne suis pas forcément en plein accord. Quel accueil l’album a-t-il reçu ? En Italie, l’accueil a été très bon. J’ai eu les honneurs d’un article dans La Republica, j’ai fait une tournée dans les librairies du nord du pays et j’ai eu l’occasion, deux jours après la sortie du livre, de donner une conférence devant près de deux cents personnes. Je ne m’attendais pas à tout cela. Maintenant, le livre va être publié en France chez Steinkis, et aussi en Espagne par Sapristi. Vous avez travaillé sur Munch pendant la résidence que vous avez effectuée en 2013 au centre d’art contemporain Atelierhaus Salzamt, à Linz (Autriche)… Oui. C’était un lieu très agréable, qui accueillait des artistes en résidence. J’étais la seule à faire de la bande dessinée, les autres étaient plutôt dans l’art contemporain, mais ils étaient curieux et bienveillants vis-à-vis de mon travail. J’ai été bien accueillie, nous faisions de grands dîners et souvent c’est moi qui cuisinais, alors ça me faisait bien voir de tout le monde ! J’ai aussi profité de ce séjour pour effectuer des recherches pour la bande dessinée qui m’occupe actuellement, une biographie de Sissi. Vous me disiez tout à l’heure, hors micro, que votre dessin avait évolué depuis dix mois que vous êtes à la Maison des auteurs, notamment sous l’influence des rencontres que vous avez faites ici. Dans quel sens évolue-t-il ? Jusqu’à présent je travaillais dans un registre très réaliste et j’essaie maintenant de styliser un peu plus, d’être plus libre. Pour le moment, j’y arrive plus facilement dans le cadre de mon travail d’illustratrice. Je dois encore améliorer mon encrage, parce que je trouve difficile de conserver, quand je manie le pinceau, la spontanéité que je peux avoir dans mes crayonnés. Et puis, quand on traite un sujet historique, il faut faire attention au risque de se laisser envahir par des décors trop présents, qui alourdissent la page. Je vais redessiner toutes les pages de Sissi que j’avais déjà réalisées il y a quelque temps. Vos originaux sont de format assez petit, proche d’un A4… Oui. La raison principale est que je voyage beaucoup, et que je veux être libre de transporter mes affaires s’en m’encombrer de grands cartons à dessin. Il y a aussi le fait que mes albums sont prévus pour paraître dans des formats réduits [environ 17 x 24 cm], et je craindrais de mal contrôler la réduction de mes planches si elles étaient trop grandes. Le format réduit m’aide à aller à l’essentiel. Quels sont les auteurs de bande dessinée qui vous ont influencée ? En premier lieu, je citerai Manuele Fior, que j’apprécie énormément. J’ai eu l’occasion de participer à un workshop qu’il animait, et c’était vraiment bien. Il y a beaucoup d’autres dessinateurs que je pourrais mentionner, naturellement. Cyril Pedrosa m’a beaucoup plu, surtout son album Trois ombres. Il m’avait aidée à me dégager de l’influence des mangas et à chercher une voie plus personnelle, plus intérieure. Vous lisiez des shôjo mangas ? J’en lisais quelques-uns, mais j’aimais davantage les shônen. Mon manga préféré était Berserk, de Kentaro Miura, de la dark fantasy située dans un univers médiéval fantastique, une histoire de guerriers [3]… Avant de venir à Angoulême en résidence, étiez-vous déjà venue au festival ? Oui. Comme beaucoup de dessinateurs italiens, je viens chaque année. En ce qui me concerne, depuis 2008. Je montrais mon travail aux éditeurs. Au fil des années, je les ai vus de plus en plus intéressés. Mais je pense que je n’étais pas prête. Vous participez également à un collectif qui fait de l’autoédition, sous le label Amenita Comics… Oui. Je n’ai pas créé Amenita moi-même, c’est Lucia Biagi qui en est à l’origine. Lucia a publié en France, un album chez Ça et là intitulé Point de fuite. Nous nous sommes connues à Angoulême, quand elle a pris un stand. À partir de là nous avons commencé à travailler ensemble. Amenita publie chaque année une petite anthologie thématique. En 2015, ce fut School Days, 32 pages sur les ados et l’école. II y a trois histoires, dessinées par Eleonora Antonioni, Lucia et moi. Et nous l’avons publiée en trois versions : français, italien et anglais (les livres précédents étaient en anglais soustitrés). Nous n’avons pas encore décidé du thème du prochain recueil. Qu’est-ce qui vous plaît dans l’autoédition ? La liberté de faire ce que l’on veut, la possibilité d’expérimenter. Jusqu’à présent, je me suis sentie plus à l’aise dans les récits longs que dans les formes courtes. Avec Amenita, je peux m’y essayer sans subir trop de contraintes. Votre histoire dans School Days est dessinée au stylo bille, avec de fines hachures, et le texte est placé sous l’image… Oui, c’est une histoire très poétique, alors je préférais que le texte n’empiète pas sur les images. Pour terminer cet entretien, pouvez-vous me donner votre sentiment sur le marché de la bande dessinée en Italie aujourd’hui… ? Depuis quelques années, nous connaissons une évolution assez favorable. Il y a de plus en plus de public, et des maisons d’édition qui travaillent bien. Bao, qui n’existe que depuis 2009, est aujourd’hui la plus grande ; elle publie les meilleurs auteurs italiens et internationaux. Ses livres sont très beaux. Il y a aussi des éditeurs plus alternatifs. Malheureusement, les auteurs sont toujours très peu payés. C’est la raison pour laquelle beaucoup se tournent vers la France. L’avance que je peux obtenir de Steinkis n’est pas énorme, mais elle est deux fois plus élevée que ce que je pourrais obtenir en Italie. Vous pensez que le jour viendra où vous vivrez correctement de votre travail de dessinatrice ? Je l’espère. Entre la bande dessinée et l’illustration, j’ai espoir de pouvoir vivre de mon travail. Je ferai le point dans quatre ou cinq ans. Propos recueillis par Thierry Groensteen à la Maison des Auteurs le 20 janvier 2016. Notes [1] Hazan, 2011 (trad. Hélène Hervieu). [2] Munch, Nouveau Monde éditions, 2013. [3] Série publiée en France chez Glénat.