Discrimination et formation qualifiante

Transcription

Discrimination et formation qualifiante
Analyse des risques discriminatoires
dans les parcours de formation
Région Rhône-Alpes
Rapport final – Novembre 2008
ISM Corum – 32, Cours Lafayette, 69421 Lyon Cedex 03
04 72 84 78 90 – www.ismcorum.org
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SOMMAIRE
CONTEXTE .......................................................................................................................................................... 5
1.
LA PROBLEMATIQUE DES DISCRIMINATIONS ............................................................................... 7
1.1 ENTRE DENI ET DENEGATION.......................................................................................................................... 7
1.2 UNE DIFFICILE IDENTIFICATION DES PHENOMENES DISCRIMINATOIRES .......................................................... 9
1.3 UNE REALITE BIEN PERÇUE .......................................................................................................................... 10
2. INFORMATION, ORIENTATION ET PRESCRIPTION ......................................................................... 11
2.1 REPRESENTATIONS ET ORIENTATION ............................................................................................................ 12
2.2 L’INFORMATION COLLECTIVE ...................................................................................................................... 14
3. UNE PREMIERE SELECTION PAR LES ORGANISMES DE FORMATION ..................................... 16
3.1 LES TESTS .................................................................................................................................................... 16
3.2 L’ENTRETIEN DE MOTIVATION ..................................................................................................................... 17
3.3 UN PREMIER CLASSEMENT ........................................................................................................................... 19
4. LA SELECTION DES CANDIDATS A L’ENTREE EN FORMATION.................................................. 20
4.1 UNE SELECTION CRITIQUEE .......................................................................................................................... 20
4.2 LES CRITERES DE SELECTION ........................................................................................................................ 22
4.3 MODALITES DE CLASSEMENT ....................................................................................................................... 25
4.4 LES ACTEURS DE LA SELECTION ................................................................................................................... 26
4.4 PROBLEMATIQUES DISCRIMINATOIRES ......................................................................................................... 29
5. LA RELATION AUX ENTREPRISES : STAGES ET SORTIE DE FORMATION............................... 34
5.1 STAGES EN ENTREPRISES ET ENTREE DANS L’EMPLOI ................................................................................... 34
5.2 L’ACCOMPAGNEMENT DES DEMANDES DISCRIMINATOIRES .......................................................................... 36
CONCLUSION.................................................................................................................................................... 39
3
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Contexte
Le cadre régional
La Région-Rhône-Alpes s’est inscrite dans une démarche globale de lutte contre les discriminations.
Cet engagement s’est concrétisé par la conception et la signature d’une « Charte de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité de traitement » qui entend faire de la Région une collectivité
exemplaire en la matière. Cette Charte s’accompagne d’un plan d’action indiquant l’ensemble des
mesures et dispositifs contribuant d’ores et déjà à la prévention des discriminations et d’un certain
nombre de mesures que la Région compte mettre en œuvre notamment dans le champ de l’emploi et
de la formation.
Dans une perspective de diagnostic amont, la Région Rhône-Alpes souhaite connaître de façon
précise les risques et les éventuelles pratiques discriminatoires qui pourraient habiter les politiques de
formation dont elle à la compétence. L’identification de ces pratiques et ces risques tout au long des
parcours de formation proposés doit permettre, à terme, une amélioration des dispositifs de telle sorte
qu’ils soient exempts de toute discrimination, en particulier à raison de l’origine et du sexe.
Problématique
La formation qualifiante est un enjeu primordial, notamment pour toutes les personnes sorties du
système scolaire sans diplôme ou dont la reconnaissance de diplômes obtenus à l’étranger est
impossible. Elle apparaît pour ces personnes comme une deuxième chance d’acquérir ou de faire
reconnaître des compétences aujourd’hui indispensables à leur inscription dans l’emploi. Dans ce
cadre, la prévention des discriminations apparaît particulièrement importante : d’abord parce que
chaque personne est en droit d’exiger l’égalité de traitement ; ensuite parce que cette exigence est
encore plus urgente face à des populations dont les difficultés scolaires et sociales sont avérées.
Objectifs
L’analyse doit permettre de décomposer les différentes étapes dans l’accès à la formation qualifiante
et, au-delà, à l’emploi, afin de vérifier qu’une stricte égalité de traitement est garantie aux différents
candidats. Il s’agit en d’autres termes d’identifier les processus et/ou les risques discriminatoires
présents dans les différents parcours des candidats à la formation qualifiante.
A cette fin, nous avons opté pour l’analyse de formations qualifiantes dans deux secteurs où la
concurrence apparaît particulièrement vive aujourd’hui. Si la concurrence n’est pas un facteur
déterminant des discriminations, elle peut contribuer à les exacerber.
Nous avons donc analysé les pratiques des professionnels encadrant les formations qualifiantes du
transport et de l’aide à la personne.
Le transport
Le secteur du transport logistique est un secteur qui a connu un développement particulièrement
important ces dernières années. Depuis 2001, la croissance des effectifs avoisine les 50% et de fortes
tensions sont observables. Le recours à l’intérim est très fréquent et représente jusqu’à 25% des
effectifs dans les activités de logistique. Le transport routier et la logistique restent peu féminisés en
Rhône-Alpes avec 18,9% d’effectifs féminins contre 42,5% tous secteurs confondus.
Le service à la personne
Le secteur du service à la personne et particulièrement celui de l’aide à domicile connaît des
difficultés de recrutement accentuées par une pyramide des âges des salariés vieillissante. Toutefois
le nombre de candidats aux formations de ce secteur s’est fortement accru ces 3 dernières années.
Ces métiers sont marqués par une très faible proportion d’hommes dans les effectifs.
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Méthodologie
La méthodologie mise en œuvre s’appuie sur l’analyse des trois étapes majeures des parcours de
formation : la prescription, la sélection des candidats, la sortie vers l’emploi.
Pour la phase de prescription, l’analyse procède à travers des entretiens de conseillers emploiformation des deux principaux prescripteurs à savoir les Missions locales et l’ANPE. Ces entretiens
portent en particulier sur les stéréotypes que ces conseillers peuvent développer non seulement par
rapport aux demandeurs d’emploi qu’ils accompagnent mais aussi par rapport aux différents métiers
ou emplois vers lesquels les conseillers peuvent orienter ces derniers.
Pour la phase de sélection en formation, plusieurs méthodologies sont mises en œuvre. L’analyse
s’appuie d’abord sur les entretiens effectués auprès des conseillers ANPE et Mission locale qui
participent notamment aux commissions de régulation. Ensuite, une dizaine d’organismes de
formation ont également été sollicités pour des entretiens afin qu’ils rendent compte des différentes
démarches qu’ils mettent en œuvre dans l’information et la sélection des candidats (information
collective, tests, commission de régulation) et qu’ils précisent les critères sur lesquels ils s’appuient
dans leur choix. Ces entretiens sont complétés par l’observation directe d’informations collectives,
d’entretiens de motivation et de commissions de régulation. Ces observations permettent notamment
de juger de l’écart éventuel entre les étapes telles qu’explicitées dans le cahier des charges général
proposé par la Région Rhône-Alpes et leur mise en application dans des contextes toujours singuliers.
Enfin, nous distinguons une phase « sortie vers l’emploi » qui subsume l’ensemble des démarches
impliquant peu ou prou les entreprises. Ces démarches recouvrent notamment la recherche
d’entreprises par les stagiaires ou futurs stagiaires dans le cadre d’EMT, de mini-stages ou en fin de
formation, mais également les relations des organismes de formation avec les entreprises qu’elles
pourvoient en candidats. Ces différentes démarches et relations sont appréhendées à travers les
entretiens avec les organismes de formation et les prescripteurs.
Note de tonalité
Le présent rapport n’a pas pour objectif de pointer du doigt les personnes ou organismes rencontrés
qui pratiqueraient la discrimination, mais bien de faire état des réflexions, des interrogations, des
réponses apportées par les acteurs de terrain. Il s’agit donc, à travers cette analyse, de saisir les
représentations et les processus qui présentent des risques discriminatoires élevés. Sans concession
pour autant, ce rapport entend indiquer les principaux champs sur lesquels une action rapide en terme
de lutte contre les discriminations doit être conduite.
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1. La problématique des discriminations
Les acteurs de la formation, qu’il s’agisse de prescripteurs, d’organismes de formation ou
d’entreprises, font part d’un certain nombre de représentations quant aux discriminations qui
pourraient survenir dans les parcours auxquels ils participent. Ces représentations dessinent tout à la
fois la connaissance que ces acteurs ont développée sur ces questions, leur capacité à lire dans leurs
expériences quotidiennes les manifestations des processus discriminatoires et leur propension à
apporter des réponses spécifiques à ces problématiques.
Ces représentations font tout d’abord apparaître un certain nombre de positionnements oscillant entre
le déni et la dénégation des phénomènes discriminatoires. Chez d’autres acteurs, cette problématique
apparaît mieux reconnue, sans toutefois ouvrir sur des actions correctrices efficaces.
1.1 Entre déni et dénégation
Le déni des discriminations
1
On entend par déni des discriminations , la négation pure et simple des phénomènes, la négation de
l’existence même de discriminations dans la formation. Le déni des discriminations s’affirme souvent
sans ambages : « Il n’y a pas de discrimination dans la formation. Non, je ne vois pas… ». Cette
formulation est d’ailleurs souvent parallèle au renvoi de la discrimination sur les entreprises et à la
sélection que ces dernières opèrent. Autrement dit, les acteurs veulent bien reconnaître des pratiques
discriminatoires, mais pas dans les processus dont ils ont la charge.
« Nous on n’est pas trop devant ce constat là et pourtant nous sommes bien placés
compte tenu de notre public, avec une concentration de public migrant, et des problèmes
de maitrise de la langue française. On a une population de faible niveau de qualification
et de nationalités très variées.
(…)
Sur ces métiers [l’aide à la personne] s’orientent massivement des femmes et quelques
hommes parfois. Par rapport aux gens qui s’adressent à nous, notre institution a un
discours clair car nous sommes missionnés pour lutter contre les discriminations.
(…)
Sur les centres de formation, je n’ai pas le sentiment qu’on ait de résistances. De toute
façon, on va être sur une évaluation objective de l’écrit ou de la compréhension orale.
Ces pré-requis vont clairement être des critères de réussite du parcours
(…)
Mais pour moi, il n’y a pas de discriminations…
(…)
Là où je peux deviner qu’il y a des discriminations, ce sont auprès des employeurs,
notamment des maisons de retraite privées, financées par une clientèle qui regarde le
personnel. On peut facilement imaginer que c’est quelque chose qu’ils vont regarder
dans le recrutement.
Chez les particuliers, je suis persuadé que le client final va exprimer clairement sa
volonté : « je ne veux pas de noir etc. ».
Mais quelque part, le marché de l’emploi fait que…
Maintenant, comment l’employeur réagit ? ».
Conseiller ANPE, Aide à la personne
« Sur les formations existantes, il n’y a pas de discriminations. De toute façon les filles ne
vont pas vers ces métiers. Spontanément, j’ai vu une seule fille vouloir être plombier
zingueur et physiquement elle était très masculine…
Idem pour un garçon auxiliaire de puériculture. On peut très bien aussi… mais je n’en ai
jamais vu ici, c’est un peu reculé [zone rurale]».
Conseillère emploi formation Mission Locale
1
Cf. Eric Fassin.
7
« Pour ma part je suis certaine de n’en avoir jamais fait. La discrimination, c’est ne pas
ouvrir une porte à une personne qui a les compétences mais une couleur de peau, une
religion, un nom etc. ».
OF Transport
La dénégation des discriminations
Le principe de la dénégation est plus subtil puisque les acteurs, tout en reconnaissant la possibilité
même de discriminations, qualifient ces phénomènes discriminatoires différemment. En somme, ce
que l’on observe, « cela ressemble à des discriminations mais ce n’en est pas vraiment ». La
dénégation apparaît dès lors comme une forme d’acceptation des discriminations et trace la frontière
de ce qui paraît socialement acceptable, même si juridiquement la discrimination peut être qualifiée.
La problématique du voile est à ce titre exemplaire de cette dénégation, comme en témoignent les
exemples suivants.
Dans cette première citation, la discrimination n’est pas constituée puisque les jeunes filles se
présentant avec le voile sont systématiquement enjointes à le quitter. L’injonction se dissimule
d’ailleurs sous les traits de la raison puisque l’explication de l’impossibilité du port du voile en
entreprise semble suffire à persuader les jeunes filles de le retirer. De ce fait, tout se passe comme s’il
n’y avait pas discrimination dans le sens où l’injonction a été acceptée.
« Il n’y a pas de discriminations à l’entrée en formation.
Par exemple une fille avec le voile on lui explique et elle le quitte toujours.
On lui dit « à partir du moment où tu vas vouloir aller en entreprise ce ne sera pas
possible ». Elles le comprennent et quittent leur voile dans la salle.
Par exemple on a des stages en FLE, elles sont très motivées et ne posent pas de
problèmes ».
Conseillère emploi formation Mission Locale
Dans ce deuxième extrait, l’auteur indique les aménagements avec la loi qui semblent aujourd’hui non
seulement acceptables mais souhaitables. Le droit à l’expression de sa religion, reconnu par la
Convention Européenne des Droits de l’Homme dans son article 9, et qui admet toutefois un certain
nombre de restrictions (trouble à l’ordre public, conditions spécifiques de sécurité, etc.), n’apparaît
ainsi pas opposable.
« La loi ? OK elle est sympa, pas de restriction vestimentaire sur l’accueil d’un individu.
Mais demain, il va falloir l’accompagner vers l’emploi… Pour moi attaquer un centre de
formation par rapport au voile serait disproportionné ».
Conseiller emploi formation Mission Locale
« La discrimination ? Elle existe… mais en fait on est limité par la fonction. Par exemple,
une personne handicapée doit être suffisamment mobile.
Après en termes de couleur de peau, d’ethnie… de sexe, non. Au contraire, on attire les
femmes vers nous car elles sont très appréciées dans le transport voyageur. On a tout
type de publics mis a part les personnes handicapées.
Pour ma part je suis certaine de n’en avoir jamais fait. La discrimination, c’est ne pas
ouvrir une porte à une personne qui a les compétences mais une couleur de peau, une
religion, un nom etc. ».
OF Transport
Une discrimination impossible en raison de la nature de l’activité et de la mission de service public des
agents
Les phénomènes discriminatoires peuvent être également difficiles à appréhender dans un champ qui
apparaît missionné pour lutter contre les discriminations. La nature de la formation protégerait ainsi
des pratiques discriminatoires.
8
« Même si on a des difficultés, on est sur un temps un peu protégé qui ne correspond
pas à la réalité de ce qui se passe quand un jeune est à la recherche d’un emploi. Il y a
des choses qui vont pouvoir être dites. C’est un temps un peu suspendu.
La formation est faite pour être intégrateur.
Il ne s’agit pas de mettre des éléments d’exclusion au départ ».
Coordinatrice formation Mission Locale
L’argumentaire développé ici est principalement fondé sur ce que devrait être le type d’espace décrit.
Ainsi, dans un premier temps notre interlocutrice affirme que la formation se déroule dans un « temps
un peu suspendu » par rapport aux exigences de l’entreprise notamment, pour enchaîner
immédiatement sur le fait que « la formation est faite pour être intégrateur », c’est-à-dire sur l’objectif
officiel de toute formation. Tout se passe comme si les objectifs étaient immédiatement réalité.
Par ailleurs, la notion de service public de l’emploi peut apparaître comme un point d’appui pour des
agents qui pourront faire référence à un certain nombre de principes ou d’objectifs. Mais le fait
d’appartenir au service public de l’emploi peut également être considéré comme une garantie excluant
de fait et a priori toute possibilité même de discrimination.
« Ici on réagit en terme de service public. Un conseiller qui reçoit une femme [pour une
formation dans le transport] va lui dire que c’est difficile mais il va creuser la demande
pour savoir si la personne sait à quoi elle s’attend. En tout cas, il ne dira pas « c’est pas
possible ». On ne dissuade pas a priori… ».
Conseiller ANPE, Transport
Au-delà de ces éléments indiquant la distance de certains acteurs avec ces problématiques
discriminatoires, d’autres acteurs en ont développé une conscience beaucoup plus aiguë.
1.2 Une difficile identification des phénomènes discriminatoires
Un certain nombre de prescripteurs et d’organismes de formations, sensibilisés par des formations sur
le sujet ou par des cas rencontrés dans leur activité professionnelle ont développés une attention
particulière aux discriminations. S’appuyant sur le fait qu’elles sont souvent involontaires et non
nécessairement le fruit d’auteurs racistes ou sexistes, etc., ils reconnaissent la possibilité, et même la
probabilité, de discriminations au sein des processus dont ils ont la charge.
« C’est une question très sensible qui suppose une très grande vigilance à tous les
niveaux. Avec le cadrage régional, avec les profils travaillés, avec le vote des élus,
comment nous, techniciens, on peut faire un choix objectivé, et juste et que ce soit
ressenti comme tel ? On n’est pas sûr qu’on ne fasse pas de discriminations. On peut
être discriminant de façon inconsciente ».
Référent Formation Mission Locale
La question qui se pose dès lors est celle de l’identification des discriminations. Comment être sûr des
dispositifs que l’on met en place, des jugements que l’on exerce et des sélections drastiques qui sont
opérées pour l’entrée en formation ?
« Quand quelqu’un est refusé quelque part on va nous donner un argument, mais est-ce
que c’est le bon ? La question se pose moins sur la formation : en commission des
entrées, il n’y a pas de phénomènes de discrimination liés à la race ou au sexe. Ou alors
je ne les repère pas ».
Coordinatrice formation Mission Locale
Plus avant, un doute pèse ainsi sur l’ensemble des parcours offerts aux candidats :
« On éprouve de la difficulté à qualifier une situation de discriminatoire. On n’arrive pas à
savoir si c’est de la discrimination. Peut-être que derrière tout ça, c’est quelque chose qui
est inconsciemment intégré. Le pire étant de ne plus être étonné de rien. Chacun
participe à sa manière. Le bout du bout étant l’entreprise.
La discrimination n’est pas affichée mais elle travaille l’ensemble des parcours… ».
Coordinatrice formation Mission Locale
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1.3 Une réalité bien perçue
Certains organismes de formation, encore peu nombreux, ont pris conscience de l’acuité de cette
problématique et ont tenté d’y apporter quelques réponses concrètes. Cette prise de conscience a
notamment été provoquée par la confrontation directe à des pratiques discriminatoires
« Dans l’aide à domicile, il y a pas mal de problèmes de discriminations. On le voit sur
les stages pratiques : l’employeur va retenir une personne sur son CV ou après entretien
téléphonique mais il lui refusera de lui faire une convention dès qu’il la verra. Ou encore
dans une maison de retraite franchisée, le grand patron la voit et n’en veut plus ».
OF Aide à la personne
« Un maghrébin qui se dit homosexuel au sein d’un groupe de maghrébin : c’est terrible !
Sur les transsexuels aussi c’est dur, on en a quelques uns et on est complètement
démuni sauf à être dans ces réseaux là… En accompagnement c’est dur, vient de suite
l’image de la prostitution ».
OF Aide à la personne
Nous on travaille beaucoup la mixité. Dans la petite enfance, l’arrivée des garçons est
assez mal perçue par rapport aux questions de pédophilie. Même si par ailleurs il y a un
certain attrait ».
OF Aide à la personne
Cette prise de conscience a pu prendre une autre tournure lorsque les organismes ont été non
seulement face à des discriminations mais également visés par des plaintes pour discrimination.
« Globalement on travaille ça depuis deux ans sur la structure car on a été confronté à
des plaintes pour discrimination et on a voulu réagir. On est encore aujourd’hui face à
des problèmes de ce type. Par exemple, l’ANPE avait indiqué à une candidate qu’elle
devait retirer son voile si elle voulait travailler en hôpital. Nous étions d’accord avec
l’Agence. Et la candidate a porté plainte… La Halde est intervenue mais il n’y a pas eu
de suite… ».
OF Aide à la personne
L’engagement d’actions ciblées contre les discriminations
Cette prise de conscience a donné lieu à une interrogation de l’ensemble des pratiques de la
structure, avec le soutien d’organismes spécialisés dans la lutte contre les discriminations.
« Donc on s’est fait accompagner pour bien connaître la loi et puis pour être sûr qu’on ne
discriminait pas. On a décidé de tous être formés en interne car on voulait que la parole
soit libre pour les salariés et on a appris plein de choses. On ne connaissait pas bien la
loi…
Par exemple, pour nous, par rapport au voile, on le permettait car on pense qu’il faut du
temps pour s’intégrer. Mais pour les formations qualifiantes courtes, on poussait les
personnes à l’enlever… mais c’est une discrimination.
(…)
On a plutôt travaillé sur : « comment réagir quand on est face à une discrimination ? ».
Et cela nous a aidé à établir les relais sur lesquels on pouvait s’appuyer, la Halde mais
pas que. Par exemple dans le cadre du PLIE, il y a possibilité d’un conseil d’avocats etc.
Quand on est face à une entreprise qui discrimine, on en parle avec l’employeur. On y va
toujours doucement, car ce n’est pas la peine de perdre un terrain. On y va plutôt en
douceur en essayant de voir à quoi cela est dû… bon après il y a des employeurs avec
qui on ne travaillera plus… ou alors dire attention ! Mais on peut travailler avec les
employeurs. Par exemple, on avait une mamie qui voulait changer les prénoms…
Mais on se rend compte que ceux qui en sont vraiment victimes ne peuvent pas trop en
parler. Des fois quand ils reviennent de stage, ils nous racontent et nous on le décrypte
comme cela. Là on les accompagne ».
OF Aide à domicile
10
Des organismes de formation et des prescripteurs ont également pu être engagés dans des
programmes de prévention des discriminations. C’est le cas d’acteurs comme l’ANPE et Arobase avec
le programme Equal ou encore d’organismes de formation adhérant à FACE et amenés à conduire
des actions « en direction des publics féminins ou handicapés ».
Il reste que ces positions sont aujourd’hui minoritaires et exceptionnelles au sein du champ de la
formation.
Comment ces différents positionnements envers les problématiques discriminatoires se traduisent-ils
concrètement dans la sélection et les parcours de formation ? C’est ce que nous proposons
d’analyser de façon précise afin d’aider à l’identification des pratiques discriminatoires qui pourraient
écarter de la formation un certain nombre de candidats en raison de leur origine, de leur sexe, de leur
âge, de leur conviction religieuse, etc.
2. Information, orientation et prescription
Avant toute entrée en formation, les personnes suivent un certain nombre d’étapes, accompagnées
par leur prescripteur (ANPE, Mission Locale, Cap Emploi, SOP AFPA, CIDF). Ces étapes, articulées
autour de la définition d’un projet professionnel, sont définies en commun avec les demandeurs
d’emploi : information sur les métiers, informations sur les aides, formations possibles (AOF, FLE,
formations qualifiantes), aide à la recherche d’emploi ou de stages.
« Certaines personnes ont un projet mais il n’est pas toujours très réaliste et nous
sommes amenés à leur poser des questions et à leur faire se poser les bonnes
questions. On est encore dans une pratique dans laquelle on amène la personne à se
positionner et non pas à l’anglo-saxonne où on dit à la personne : « vous avez six mois et
dans six mois je vous positionne moi ».
Fréquemment, on réoriente des personnes qui pensaient travailler avec des enfants car
elles-mêmes gardaient leurs enfants. Dans ce cas, on dit : « on va plutôt travailler sur
votre projet ». Le conseiller prescrit ce temps de travail ».
Conseiller ANPE, Aide à la personne
Ces étapes comprennent également, notamment pour les jeunes fréquentant les missions locales, un
accompagnement social autour des questions de santé, de logement, d’aides financières, bref de
toutes les questions participant de la réussite du projet professionnel des personnes.
« Le jeune est pris dans sa globalité : formation, mobilité, santé, logement en partenariat.
C’est un travail de conseil avec une notion de parcours ».
Conseillère emploi Formation Mission Locale
Dès ces premières étapes d’information et d’orientation, sanctionnées par une prescription auprès
d’un organisme de formation, des discriminations peuvent avoir lieu. En effet, le droit reconnaît
aujourd’hui l’existence de « propos discriminatoires » c’est-à-dire de propos qui peuvent décourager
2
un certain nombre de personnes à se présenter ou à postuler pour une formation ou un emploi . Sans
qu’il n’y ait alors de victimes identifiées, il est possible de considérer le propos discriminatoire comme
un acte performatif qui a des conséquences sur le type de candidats, par exemple, qui se
présenteront à un emploi ou une formation.
Cette approche invite à s’interroger sur l’ensemble des propos qui peuvent être tenus face à des
candidats inscrits dans un parcours vers l’emploi. Ce sont les représentations et les formulations des
prescripteurs vis-à-vis des métiers ainsi que les informations délivrées durant les informations
collectives qui nous semblent pouvoir être interrogées, que l’on puisse ou pas qualifier en droit ces
propos de discriminatoires.
2
Cf. CJCE, 10 juillet 2008 / Firma Feryn.
11
2.1 Représentations et orientation
Les conseillers des missions locales et de l’ANPE, comme tout un chacun, peuvent développer un
certain nombre de représentations, de préjugés ou de stéréotypes quant aux métiers et professions
vers lesquels ils se proposent d’orienter les jeunes et demandeurs d’emploi. Ces représentations
concernent aussi bien les conditions d’exercice du métier que les attendus en termes de candidats.
Or, ces représentations et préjugés peuvent conduire à écarter un certain nombre de publics et/ou à
ce que certains publics s’écartent des formations et emplois.
Des stéréotypes performatifs
Toute la difficulté d’une bonne orientation consiste en l’adéquation entre les aspirations (parfois en
construction) des publics et les différents métiers et leurs conditions d’exercice. Quelques exemples
tirés des différents entretiens montrent bien comment un certain nombre de représentations et
préjugés peuvent conduire, sinon à écarter les personnes, du moins à les décourager de s’inscrire
dans un type de métier ou un secteur donné.
C’est ainsi que, dans le cas d’un CARED au bénéfice d’une entreprise de l’agroalimentaire proposant
des emplois à la chaîne, les conseillers de la Mission Locale ayant une vision dévalorisée de ces
métiers ont eu quelques préventions à recommander aux jeunes de se positionner sur ces emplois.
Paradoxalement, c’est pour valoriser les jeunes que les conseillers de la mission locale peuvent avoir
de telles attitudes. Ainsi, la volonté de « préserver » les demandeurs d’emploi peut conduire à négliger
certains postes, même quand il s’agit de Cared collectifs garantissant aux candidats à la formation un
emploi.
De même, une conseillère formation d’une mission locale note que « si c’est une femme, on ne
proposera pas un poste dans l’industrie. C’est un peu moins vrai dans le bâtiment car il y a eu des
campagnes de communication notamment après une formation sur les discriminations ».
Il apparaît également que les conseillers des missions locales ont beaucoup plus tendance à
préconiser aux femmes des formations leur permettant l’accès à des postes traditionnellement
occupés par des hommes que l’inverse.
Ces stéréotypes rencontrent d’ailleurs fréquemment ceux que les publics peuvent avoir sur certains
métiers. Une coordinatrice formation d’une mission locale indique ainsi que « sur un travail posté, il n’y
avait que des personnes de plus de 30 ans car les jeunes ne veulent pas entendre parler de ce type
de travaux ».
« Par rapport aux femmes par exemple, c’est un secteur [le transport] où il n’y a pas de
candidates. Sur le programme Equal Arobase, on a essayé de prendre toutes les
personnes qui se présentaient. Mais au maximum, on avait 3 femmes sur 100 aux
informations collectives. Même quand on faisait des informations auprès des candidates
aux métiers de secrétaire – où l’on sait qu’il y a beaucoup de candidates et peu
d’emploi –, on n’a eu aucun résultat.
Il est vrai que le métier est très dur et qu’il n’y a souvent pas les conditions d’accueil dans
les entreprises. Notamment dans ce qui constitue le métier de base : le transport local ».
Conseiller ANPE, Transport
Des représentations identifiées et combattues
L’impact des représentations des conseillers est d’ailleurs bien identifié par les acteurs eux-mêmes :
« Les conseillers portent un certain nombre de représentations, et on discrimine sans s’en rendre
compte » nous dit une coordinatrice formation d’une mission locale.
« Nous on a forcément les stéréotypes liés aux métiers masculins. Par exemple, dans le
transport, il faut être musclé, c’est un milieu difficile avec des horaires contraignants, on
part toute la semaine, ce genre de choses… Pour l’aide à la personne, les stéréotypes
sont souvent plus positifs : ce sont des métiers de contact, les personnes sont là pour se
rendre utile… ».
Référente formation CIDF
12
Les acteurs ont d’ailleurs le souci de l’objectivité et d’une bonne connaissance des métiers et des
formations de façon à répondre le plus adéquatement possible aux demandes qui leur sont faites.
« On a pour objectif de travailler sur les résistances personnelles des conseillers. Pour
pouvoir bien prescrire, un conseiller doit s’engager dans sa prise de position. Il doit
rendre le jeune acteur de sa problématique. Or tout le monde n’arrive pas à cela. Il faut
travailler avec les conseillers pour leur donner des informations sur tous les secteurs
d’activité. Celui qui ne connaît pas les secteurs va biaiser son conseil.
Il faut mettre en lien le conseiller avec les centres de formation.
Avant, avec les organismes de formation, on travaillait bien parce qu’on connaissait les
gens alors que maintenant il n’y a plus de lien et de sens au travail. C’est pour ça qu’une
fois par mois, nous invitons un centre de formation pour qu’il puisse expliquer ce qu’il
propose ».
Référent Formation Mission Locale
« C’est un gros souci, l’accès à l’offre de formation. Il faut une vigilance particulière et
aller à la pêche aux infos quand il n’y a rien dessus. Pour notre part, on a nommé des
référents d’action par formation et on se fait passer les infos. Il faut beaucoup de
réactivité… Si une place reste sur une formation qualifiante, on fait remonter… »
Référente Formation Mission Locale
Un certain nombre d’initiatives ont d’ailleurs vu le jour tendant à contrer ces représentations
potentiellement discriminatoires :
« A Oullins, en collaboration avec l’AFPA a été organisée une exposition avec des textes
et des photos montrant des femmes dans les métiers du bâtiment.
On propose aussi des bancs d’essai techniques qui permettent de découvrir la matière,
de faire des essais. Par exemple avec l’industrie sur les métiers de la soudure ou encore
sur la peinture en bâtiment ».
Coordinatrice formation Mission Locale
La vision des conseillers de Cap Emploi est à ce titre pleine d’enseignements à double titre.
D’une part, en étant confrontés à « des personnes qui ont développé des handicaps ou des
maladies professionnelles liés aux métiers en tension dont le transport et l’aide à la
personne », ils peuvent apprécier très concrètement les difficultés liées aux différents métiers.
Ces maladies professionnelles et ces handicaps dessinent en effet une autre facette des
métiers concernés : par exemple, dans le secteur de l’aide à la personne, « on a souvent des
accidents du travail ou des maladies professionnelles comme pour les aides soignantes qui ont
fait des gestes répétitifs et ne peuvent plus les faire aujourd’hui ». Dans cette perspective, le
métier d’aide soignante apparaît comme un métier particulièrement physique, en décalage
avec les représentations que certains acteurs peuvent véhiculer et privilégiant les capacités
relationnelles.
D’autre part, la gestion du handicap conduit à trouver des solutions pour des personnes devant
être reclassées. Dans le transport, on observe des reclassements avec « évolution sur
l’échelon supérieur, quand c’est possible, en faisant passer la personne responsable
logistique ». De même, faire passer un permis EC, c’est-à-dire un permis poids lourds, permet
de positionner l’ancien chauffeur livreur sur du transport en évitant « le chargement et le port
de charges lourdes ». Ces reclassements peuvent apparaître comme autant de possibilités qui
pourraient être offertes à des personnes, en début de formation, et présentant un certain
nombre de difficultés ou handicaps.
Une offre de fait limitée
Il reste que les acteurs de l’orientation s’interrogent sur l’offre même de formation dont la faiblesse
restreint de fait le champ des possibles pour les publics sans qualification.
« Chez nous, les offres qualifiantes portent sur quatre domaines seulement, et cela ne
représente pas les offres d’emploi de notre territoire. Du coup, les personnes sont
orientées sur des métiers très stéréotypés : le transport, l’aide à la personne…
Le champ du possible est très restreint pour les jeunes. Il y a un vrai travail sur
l’orientation à faire ».
Coordinatrice formation Mission Locale
13
2.2 L’information collective
Une information collective organisée par les prescripteurs et en présence des organismes de
formation ou d’organismes spécialisés est proposée aux candidats. Sont indiqués les différents types
de formation permettant d’accéder aux métiers du secteur envisagé ainsi que le quotidien, les
contraintes, les avantages et inconvénients des métiers exposés.
L’objectif de ces informations collectives est de préciser les conditions d’exercice du métier afin que
les candidats sachent vers quoi ils s’engagent. Plus fondamentalement il s’agit de faire en sorte que
les personnes formées exercent réellement dans les métiers pour lesquels elles ont été formées. Par
souci de bonne gestion des fonds publics, il convenait d’améliorer les taux d’entrée effectifs dans le
métier après formation. Cet objectif semble avoir été atteint dans le secteur du transport par exemple :
« Avant seulement 40 à 50 % des personnes formées aux métiers du transport
intégraient une entreprise de transport. En fait, certains passaient le permis C ou EC
comme une assurance pour avoir un permis. Depuis 2005, on constate une nette
amélioration puisque plus de 80% des gens qui suivent la formation vont travailler dans le
métier. En plus, c’est plus gratifiant pour nous. C’est du gagnant / gagnant pour tous ».
Conseiller ANPE, Transport
Les informations diffusées
La note de cadrage régionale précise que « ces réunions ont pour objectif – sans langue de bois – et
en se plaçant au niveau de la profession dans son ensemble, de présenter les grandes familles de
métiers du secteur, les bons et les mauvais côtés de cette profession, de faire témoigner certaines
entreprises... afin de permettre aux candidats de mieux percevoir le secteur vers lequel ils souhaitent
aller et de leur permettre de décider de la poursuite (ou non) de leur projet professionnel. Compte tenu
des enjeux pour le choix des publics, il est important que ces informations collectives reflètent à la fois
la diversité et la réalité de la profession ».
Lors de ces différentes réunions, sont abordés les thèmes qui doivent permettre aux candidats de se
faire une juste idée des métiers auxquels ils pourront prétendre et de leurs conditions d’exercice. Sont
ainsi évoqués :
Le secteur
Son importance, son développement et le type d’emplois particulièrement recherchés. Par exemple,
pour le secteur du transport, est soulignée l’importance de la demande en Rhône-Alpes du fait de la
présence de nombreuses entreprises et entrepôts autour de Lyon. Parallèlement, il est précisé que la
demande de transport porte principalement sur du transport local en autoporteur de 19 tonnes.
Le travail lui-même
L’objectif est de faire tomber un certain nombre de représentations ou de stéréotypes sur les métiers
envisagés et de décrire le plus fidèlement les contraintes et perspectives de façon à ce que le choix
des candidats se fasse en connaissance de cause.
Par exemple, il est dit que dans le métier de l’aide à la personne, certains demandeurs d’emploi
s’inscrivant en formation ont parfois une perception erronée des attendus du métier. Ainsi, certaines
personnes désireuses de se former dans l’aide à domicile se figurent accompagner les personnes
âgées en promenade, les aider à faire leurs courses et leur faire la lecture au moment du thé, vision
évidemment fort éloignée des tâches qu’elles auront à assurer ! Pour le transport local, il est par
exemple précisé que le temps de conduite ne représente que 50% du temps de travail, le reste du
temps étant consacré aux opérations de chargement et déchargement.
Les conditions de travail
Par exemple, en transport et logistique, il est indiqué que les horaires de travail peuvent être larges,
avec obligation pour le salarié de travailler la nuit, en 3x8, tôt le matin ou tard le soir. De même
certains conducteurs sont amenés à décharger eux-mêmes leur marchandise, parfois dans des
conditions de température difficiles pour les camions réfrigérés (froid positif ou froid négatif).
L’insistance est portée sur les conditions de sécurité et l’hygiène de vie que cela nécessite (pas de
drogue, pas d’alcool, une nourriture saine, etc.). Dans les métiers de l’aide à la personne, il est
indiqué que les horaires peuvent être contraignants avec un travail effectué le soir ou le week-end.
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« On a aussi des personnes qui ont des difficultés pour élaborer un projet. Elles
découvrent les métiers [de l’aide à la personne] et peuvent avoir un choc car on
répercute ce qu’est le marché et les attentes des employeurs : les questions liées à
l’amplitude horaire, aux déplacements etc. De même les « institutionnels » prennent les
personnes qualifiées en CDI mais avec de fortes contraintes liées aux astreintes. Ces
contraintes sont moins fortes pour les autres secteurs mais les types de contrats sont
souvent différents. Ces éléments peuvent décourager ».
Conseiller ANPE, Aide à la personne
Les formations
Certaines informations collectives, notamment dans le secteur de l’aide à la personne sont plus
orientées vers l’explicitation des objectifs de la formation et de ces conditions (horaires, stages,
financement).
« Après l’information collective où l’on n’entre pas trop dans le détail des métiers, on a
prévu contractuellement avec la Région la mise en place d’un « sas d’orientation »
s’adressant à ceux en difficulté d’orientation. Dans le cadre du sas on présente un peu
mieux les métiers, les autres titres, on fait intervenir des professionnels qui viennent
présenter le travail sur le terrain. On profite du sas pour mettre en œuvre les épreuves de
sélection ».
OF Aide à la personne
Les risques discriminatoires
La nécessité d’une information juste, claire et précise sur les métiers et leurs conditions d’exercice
apparaît tout à fait nécessaire. Il reste que certaines informations peuvent néanmoins conduire à
décourager un certain nombre de personnes de s’engager dans un métier spécifique. Si on ne peut
guère parler de « propos discriminatoires » au sens juridique du terme, certains discours apparaissent
très largement pouvoir alimenter des comportements d’autodiscrimination.
Par exemple, dans les métiers du transport, certains conseillers insistent sur les contraintes liées à
l’exercice d’une religion et en particulier de la religion musulmane. Ils indiquent ainsi que les
chauffeurs sont amenés à transporter certaines marchandises telles que de l’alcool ou du porc et
qu’ils ne pourront prétendre, dans les entreprises dans lesquelles ils exerceront à l’avenir, se
conformer à certains rites religieux. Ils rappellent également que pour des raisons de sécurité,
notamment en logistique, les foulards et vêtements amples sont interdits. De même, ils insistent sur le
fait qu’en tant qu’ambassadeur de l’entreprise pour laquelle ils livrent les produits, les chauffeurs se
doivent de soigner leur présentation. « L’image de marque de l’entreprise » exigerait ainsi l’abandon
de tous signes, notamment religieux, considérés comme ostentatoires. Certaines entreprises de
livraison express auraient ainsi des exigences importantes en la matière : les conseillers indiquent
ainsi que « les chauffeurs-livreurs n’ont pas le droit de porter la barbe, un bouc ou une moustache,
qu’ils ne peuvent avoir ni les cheveux mi-long ni de boucle d’oreille ».
Certaines de ses préventions apparaissent utiles de façon à prévenir les candidats de l’existence de
contraintes justifiées par des mesures d’hygiène, de sécurité ou encore de programmation du travail
et de représentation de l’entreprise. Il reste qu’exposées ainsi, les contraintes peuvent apparaître
disproportionnées et pour certaines d’entre elles contraires au code du travail qui stipule dans son
article L1121-1 que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et
collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché ». L’article L1321-6 ne dit pas autre chose quand il pose que « le
règlement intérieur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et
collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché. Il ne peut comporter de dispositions lésant les salariés dans leur
emploi ou leur travail, en raison de leur sexe, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur
âge, de leur situation de famille, de leurs origines, de leurs opinions ou confessions, de leur
apparence physique, de leur patronyme, ou de leur handicap, à capacité professionnelle égale ».
Par ailleurs, l’information délivrée dans les informations collectives transport peut faire état de
préjugés sur le genre. Ainsi, lors de la présentation des différents métiers, le transport de voyageurs
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est immédiatement qualifié de métier féminin. Présupposant le désintérêt des hommes présents dans
l’assistance, les conseillers proposent de ne pas expliciter plus avant les détails de cette activité.
Lorsque les hommes présents indiquent vouloir une information détaillée sur ces métiers les
conseillers indiquent alors ce qui, à leurs yeux, renvoi le transport de personne et notamment le
transport scolaire vers une définition féminine : « ce type d’emploi est souvent à temps partiel, les
salaires qui peuvent être envisagés ne dépassent que rarement les 500 ou 600 euros mensuels… ».
« Pour le transport voyageur …
[La personne s’adressera majoritairement à la seule femme présente dans l’assistance]
Alors le top niveau c’est le tourisme. On ne débute pas par le tourisme bien sûr! Mais par
les transports scolaires, les sorties piscine etc. La journée de travail c’est 5 heures par
jour, jamais à temps plein et à peine plus qu’un mi-temps avec une pause dans la
journée. Par contre vous avez toutes les vacances scolaires…
Attention cela ne vaut pas pour les TCL ! Je parle d’autocaristes comme Philibert que
vient de citer monsieur
Question : Un homme : Philibert c’est là où j’ai une promesse d’embauche…
Organisme de formation : Donc on peut arriver, s’il y a une autre activité dans l’entreprise
que le scolaire, il y a possibilité d’un temps plein ».
Information collective Transport, Rillieux-la-Pape, 3 juillet 2008
L’ensemble des situations que nous venons de rapporter indique bien que la bonne distance entre
information et découragement des stagiaires à la formation n’est pas aisée à trouver. Si un certain
nombre d’informations doivent être communiquées de façon à ce que chacun puisse se positionner en
fonction de ses propres convictions, ces informations ne doivent pas laisser penser qu’un secteur ou
un métier n’est en définitive pas accessible aux musulmans ou aux femmes pour reprendre les
exemples ci-dessus.
3. Une première sélection par les organismes de formation
Les organismes de formation évaluent les candidats qui ont été prescrits afin de juger de leur aptitude
à intégrer une formation qualifiante. Cette évaluation est particulièrement importante car elle permet
de constituer un premier classement qui constituera de fait la base sur laquelle seront sélectionnés les
candidats. Ce premier classement est construit à partir de la passation de tests et des entretiens de
motivation. A l’issue de ces épreuves, et en anticipant les critères appliqués par les commissions de
régulation, les organismes de formation présentent une liste de candidats distinguant ceux dont ils
estiment qu’ils peuvent intégrer la formation et ceux pour lesquels ils émettent des réserves.
Cette première sélection n’est, comme nous allons le voir, pas toujours exempte de pratiques
discriminatoires.
3.1 Les tests
Les tests apparaissent comme une étape importante pour l’entrée en formation. Il leur est
immédiatement prêté une certaine objectivité et une grande valeur dans le classement des personnes.
Or, il semblerait que cette procédure de test peut dissimuler sinon des discriminations à proprement
parler, tout au moins des biais et présupposés que les acteurs eux-mêmes soulignent.
La prégnance de l’écrit
Les tests sont principalement des tests écrits. Ils permettent de faire le point sur les connaissances
des candidats tant sur des questions de logique, de compréhension que de maîtrise d’objets dans
l’espace par exemple.
Le principe du test écrit ne permet cependant pas de connaître et reconnaître les savoir-faire
capitalisés par les uns et les autres au cours de leur expérience ainsi que leur habileté particulière.
Des tests incontournables
Les tests apparaissent de fait incontournables, et ce notamment par les organismes de formation,
pour juger de l’aptitude des candidats à entrer en formation. Cependant, d’autres estiment que les
pré-requis évalués par les tests ne sont pas nécessairement indispensables pour s’inscrire dans une
16
formation. On remarque, a contrario, qu’une personne ayant réussi les tests peut très bien échouer
dans la formation du fait d’une impréparation et d’une motivation défaillante.
Modularité des tests
Il existe d’ores et déjà une forme de modularité des tests et entretiens. En effet, les personnes qui
exercent d’ores et déjà dans le métier depuis un certain nombre d’années sont dispensées des tests
ou des entretiens. Certains souhaiteraient que ces dispenses soient élargies afin de reconnaître les
parcours de pré-qualification. En effet, les tests ne prennent aujourd’hui pas en compte les étapes
préparatoires aux formations qualifiantes que constituent les parcours pré-qualifiants des candidats
(AOF).
« Ensuite, il y a la validation du projet. La personne va devoir découvrir le métier sur le
terrain, sauf si c’est une personne ayant déjà travaillé dans le métier… »
Conseiller ANPE, Transport
3.2 L’entretien de motivation
L’entretien de motivation se déroule généralement simultanément aux tests. Il prend la forme d’un oral
et est assuré par l’organisme de formation, seul ou en présence d’un professionnel du secteur dans le
cas de la préparation de diplômes particuliers (DEAVS par exemple).
L’entretien de motivation vise à vérifier que les personnes qui candidatent à la formation sont
réellement intéressées, qu’elles connaissent bien le secteur dans lequel elles se dirigent, ses
contraintes et ses avantages. L’objectif final est de sélectionner des personnes dont on sait qu’elles
souhaitent réellement s’inscrire dans la profession pour laquelle elles s’apprêtent à être formées afin
qu’elles s’orientent vers l’emploi directement en fin de formation. « Le candidat idéal pour nous est
motivé, il a de l’expérience, il est disponible et maîtrise globalement le français ».
De fait l’entretien de motivation apparaît comme une étape de sélection importante qui va peser sur
l’avenir du candidat. Or, les critères pris en compte lors de ces entretiens concernent non seulement
l’intérêt de la personne et sa motivation à s‘inscrire dans le métier vers lequel elle s’oriente mais aussi
sa capacité à s’inscrire sur le marché du travail à l’issue de la formation. De ce fait, les organismes de
formation tendent à mettre en œuvre les critères, parfois discriminatoires, qui prévalent dans le
recrutement des personnes par les entreprises. Tout se passe comme si l’entretien de motivation pour
entrer en formation était un entretien de recrutement pur et simple, intégrant y compris les biais
discriminatoires imputés aux employeurs.
Cette caractéristique emporte une conséquence importante pour les stagiaires de la formation. La
formation n’est plus un espace où les personnes peuvent acquérir des savoir-faire, intégrer les
normes professionnelles en termes d’hygiène, de sécurité, etc… mais une antichambre de l’emploi
exigeant par conséquent la sélection en amont d’individus satisfaisant d’ores et déjà aux critères de
« l’employabilité ». Les organismes de formation indiquent généralement qu’ils ne sélectionnent à
« aucun moment sur l’âge, le sexe, l’origine, etc. mais sur la situation au regard de l’emploi ».
Un certain nombre de critères sont donc mis en œuvre pour la sélection des candidats lors des
entretiens de motivation. Certains critères portent sur la présentation de la personne (ongles sales,
mâche du chewing gum, etc.) et sa capacité à la mobilité. Bien que non discriminatoires, on voit dans
les extraits suivants combien ces critères servent à exclure alors qu’ils pourraient être justement le
point de départ d’une « formation » :
« Là est évaluée leur motivation : leurs expériences éventuelles, s’ils connaissent le
métier, la représentation qu’ils s’en font, s’ils se projettent, comment ils repèrent les
avantages, les contraintes…
Cela dure une demi-heure, et on ne se trompe pas trop…. Et puis on fait ça à deux.
Et comme il s’agit d’accompagner les personnes, on est très attentif aux capacités
d’écoute, à la capacité de se présenter, à la présentation, par exemple si la personne a
les ongles sales, ça ne va pas… ».
Organisme de formation Aide à la personne
17
« Quand il faut choisir les candidats, on fait un choix de toute façon.
Si la personne bafouille en entretien, on ne la prendra pas … plus il y a de candidats plus
il faut sélectionner ».
Organisme de formation Aide à la personne
« On va évaluer s’ils sont mobiles car c’est important, on vérifie par exemple qu’ils
disposent d’une voiture et du permis, même si on ne l’exige pas. Je sais que ça ne
devrait pas être posé comme un critère de sélection sauf que pour valider la formation, il
faut trois périodes de stages assez longues dont une auprès d’associations d’aide à la
personne. Il faut se déplacer chez les particuliers et l’expérience a montré que les
structures associatives ne prennent que des stagiaires qui se déplacent… Donc on en
tient compte.
(…)
Certains nous disent qu’ils sont en train de passer le permis, ou qu’ils disposent d’une
mobylette, ou qu’ils peuvent se faire transporter par leur père ou un ami… Et là on fait
confiance. De toute façon on rencontre tous les cas : une fille qui était très bien a
commencé la formation et puis a stoppé car elle n’y arrivait pas du point de vue
transport ; une autre petite jeune qui arrivait d’un pays, pas la Chine... un autre… on a
réessayé et elle s’est toujours débrouillée… alors on ne sait pas … des fois ça peut
marcher. L’an dernier une dame avait une voiture mais trop vieille. Elle est tombée en
panne !! Mais on ne vérifie pas l’état des voitures ! Donc le transport c’est le fil du
rasoir… ».
OF Aide à la personne
D’autres critères peuvent être posés lors des entretiens de motivation qui en revanche apparaissent
clairement discriminatoires. Par exemple, sur les métiers de l’aide à la personne, la situation de famille
entre visiblement en ligne de compte dans la sélection des candidats : « la personne avec trois petits
enfants en bas âge sera peut-être moins prioritaire qu’une célibataire ou une avec de grands
enfants ». De même, lors de ces entretiens la question de la garde des enfants peut être abordée.
Certains organismes de formation tiennent à s’assurer que des moyens de garde sont d’ores et déjà
envisagés par les femmes désirant s’inscrire en formation. Parmi ceux-ci, certains réclament même
des garanties spécifiques attestant de la réalité du mode de garde envisagé. Ces questions de garde
d’enfant ne semblent toutefois jamais opposées aux hommes se présentant à ces mêmes formations.
Par ailleurs, le critère de l’expérience, qui est systématiquement retenu pour analyser les candidatures
dans l’aide à la personne, pourrait être considéré, dans un certain nombre de cas, comme « un
critère apparemment neutre » masquant des discriminations indirectes. En effet, les organismes de
formation semblent privilégier les candidats qui ont le plus d’expériences professionnelles possibles
dans le métier. Ce privilège accordé à des expériences professionnelles dans le secteur peut conduire
à exclure de fait deux groupes de personnes :
- Le premier groupe est composé des jeunes qui ont tendanciellement moins de chances d’avoir
accumulé des expériences professionnelles.
- Le deuxième groupe est composé de femmes d’origine étrangère qui ont souvent une expérience
d’aide à la personne de type privé. Or « nous ne nous appuyons pas sur l’expérience personnelle (ex :
vie de famille) car ce n’est pas vérifiable et puis le travail professionnel n’est pas comparable à
l’expérience personnelle. On s’en méfie même, et si ce n’est pas rare que les personnes d’origine
africaine mettent ça en avant, nous on n’en tient pas compte » [Organisme de formation Aide à la
personne].
Enfin, les organismes de formation abordent très souvent la question du voile. Un très grand nombre
d’organismes demande aux femmes se présentant avec un voile si elles sont disposées à l’enlever au
cours de la formation puis par la suite dans l’emploi. Certains organismes vont même jusqu’à refuser
les candidates portant le voile. Nous détaillerons plus loin (chap. 4.4) ces positionnements qui
apparaissent relativement partagés par les acteurs de la formation et de l’emploi aujourd’hui.
En définitive, les entretiens de motivation ressemblent, pour un certain nombre d’entre eux, à des
entretiens d’embauche. A ce titre, ils semblent reproduire, en les anticipant, les conditions parfois
discriminatoires qui peuvent être mises en œuvre dans le recrutement.
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3.3 Un premier classement
A l’issue des tests et des entretiens oraux, plusieurs cas de figure se présentent suivant la nature des
formations.
Certains organismes de formation considèrent les tests comme des « indicateurs », des « critères
d’alertes » : « Sur les contrats de professionnalisation, on prévient l’entreprise si on estime que la
personne qu’elle recrute a des tests déficients qui risquent de poser problème dans le passage du
permis » [Organisme de formation transport]. D’autres organismes de formation ne font passer les
entretiens qu’aux personnes ayant réussi les tests. D’autres encore estiment que certains niveaux de
tests sont rédhibitoires pour l’entrée en formation.
Un premier classement est proposé par les organismes de formation à la commission de régulation
(cf. 4.4). C’est la multiplicité des pratiques à ce niveau qui caractérise ces classements. Certains
organismes constituent une liste des retenus, une liste en file d’attente et une liste de rejetés. D’autres
présentent une liste hiérarchisée du meilleur au moins bon résultat, d’autres encore ont pu adresser
une liste retenant uniquement les candidats qu’ils avaient jugés pouvoir accueillir en formation…
« Donc il y a une liste de candidats avec leurs notes, classés par ordre décroissant. Ne
sont gardées que les notes supérieures ou égales à 10 car en dessous on craint les
défaillances ».
OF Aide à la personne
« On met une note au test et on classe par note. Pour l’entretien, nous avons trois
appréciations : très favorable, favorable et défavorable. Après, on constitue une liste avec
une liste d’attente.
OF Aide à la personne
A cette diversité de pratiques, les commissions de régulation répondent par une diversité de modes
de fonctionnement. Nous verrons toutefois (4.2 Modalités de classement) que les prescripteurs sont
attentifs à reprendre la main lors de la commission de régulation afin de pouvoir juger des critères qui,
au-delà des informations données par l’organisme de formation, peuvent favoriser l’entrée d’une
personne en formation.
Le cas des formations diplômantes
Les formations du Diplôme d’Etat d’Auxiliaire de Vie Sociale obéissent à des règles spécifiques de
sélection :
« Le DEAVS est un diplôme d’Etat et est à ce titre régi par arrêté et circulaire. Il est prévu
une épreuve écrite d’admissibilité et une épreuve orale d’admission. Pour l’épreuve
écrite, il y a environ 10 questions en lien avec l’actualité : par exemple « il y a de plus en
plus de violences à l’école, comment les expliquez vous ? », « Qu’est ce que signifie le
terme ONG ? Citez-en 3 ou 4 », etc.
On attribue autant de points sur les connaissances que sur les compétences en français,
syntaxe et orthographe car il s’agit d’un diplôme de niveau V. Il faut avoir 10/20 pour être
admis à l’oral.
A l’oral, les candidats se présentent devant un jury composé d’un professionnel d’un
organisme d’aide à la personne, d’une personne de l’organisme de formation, d’un
psychologue ou d’un infirmier ou encore d’une conseillère en économie sociale et
familiale qui sont des formateurs ayant ces compétences.
(…)
L’organisme de formation doit être labellisé par la DRASS pour mettre en œuvre ce
diplôme. Ensuite, on suit le règlement d’admission proposé et validé par la DRASS. Le
règlement explique comment on départage les candidats en cas d’égalité.
OF Aide à la personne
Les discussions du jury rapportées par les organismes de formation portent sur le savoir-être des
personnes, sur leur représentation du métier, etc. les employeurs présents peuvent dès lors faire
valoir leur connaissance et leur appréciation des personnes. Par exemple, certains employeurs dans
les métiers de l’aide à la personne peuvent amener des précisions sur les candidats ou candidates
19
qu’ils auraient déjà pu croiser dans le travail. Certains indiquent ainsi que telle personne « a été
victime d’une dépression », que telle autre « rencontre des problèmes pour gérer ses 5 enfants » et
« qu’elle ne s’en sort pas » ou encore qu’une autre « va à la rencontre de réelles difficultés si elle
persiste à vouloir porter le voile ».
Ces premiers classements semblent ainsi, au-delà des tests eux-mêmes, le fruit de discussions assez
libres intégrant notamment des dimensions clairement discriminatoires portant sur des données
personnelles telles que l’état de santé, la situation familiale ou la religion.
4. La sélection des candidats à l’entrée en formation
Pour certaines formations, le nombre de places « Région » disponibles est inférieur au nombre de
candidats. Il y a alors nécessité de mettre en place une procédure de sélection afin de déterminer
ceux qui pourront accéder à la formation. La sélection s’opère à partir des « critères région » (cf. 4.2)
mis en œuvre lors d’une commission de régulation ou commission d’entrée réunissant prescripteurs et
organismes de formation.
Les formations où la concurrence est la plus forte sont celles se déroulant dans les grandes villes
(Lyon, Saint Etienne, Grenoble, Valence, Villefranche) ainsi que celles concernant certains secteurs :
le bâtiment (second œuvre, charpentier, clim, chauffagiste, etc.), le transport, le secteur sanitaire et
social (santé, aide à la personne, etc.), le sport et la culture, le commerce et la vente. En revanche,
peu de candidats se présentent aux formations sur les secteurs de l’hôtellerie restauration, de la
métallurgie, de l’aménagement paysager (arboriculture, viticulture, etc.).
Les exemples de formation où les candidats sont particulièrement nombreux en regard du nombre de
places offertes sont foisons. Nous retiendrons cet exemple d’une formation au Diplôme d’Etat
d’Auxiliaire de Vie Sociale dans la Drôme qui permet d’appréhender, à chaque étape, l’ampleur de la
sélection qui doit être opérée :
- 200 personnes se sont présentées à l’information collective,
- 150 ont déposé un dossier à l’issue de cette première phase,
- 80 candidats se sont rendu aux tests,
- 37 ont été retenus à leur issue,
- pour 20 places en formation.
La sélection opérée est donc draconienne et peut, dans certains cas, être particulièrement difficile,
notamment lorsque les critères semblent épuisés.
« Sur le transport, la concurrence est très rude. On met en place toutes les stratégies
imaginables pour éliminer les personnes. Les décisions qui sont prises sont le fruit de
constructions un peu artificielles quand on sélectionne 5 rmistes parmi 15 : « il faut
prendre le plus rmiste des rmistes ! » ».
Référent Formation Mission Locale
4.1 Une sélection critiquée
Le droit à la formation
Le principe même d’une sélection pour l’accès à la formation est souvent assez largement critiqué
notamment par les conseillers emploi formation des missions locales. Cette critique pose une question
de fond sur l’inégalité entre des publics sans formation pour lesquels l’accès à celle-ci paraît
particulièrement difficile et d’autres publics qui ont pu suivre des parcours scolaires plus linéaires et
pour qui la formation apparaît comme un droit.
« Le pire, maintenant, en commission de régulation, c’est de poser des critères de
sélection alors que par définition, si les jeunes sont là, c’est bien pour se former !
En fait, on gère la pénurie.
Mais il faudrait quand même se poser la question du pourquoi tous les jeunes proposés
n’ont pas le droit d’être formés ? ».
Conseiller Emploi Formation Mission Locale
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« Et puis trouver des critères, ça me gave… pour des formations avec une rémunération
de 300 € qui n’a pas changé depuis 15 ans quand même !!! C’est fou ».
Conseiller Emploi Formation Mission Locale
Cette critique sur l’inexistence d’un réel droit à la formation garanti à tous, quels que soient
l’âge et le statut, se prolonge dans le sentiment que la chance tient une place démesurée dans
ces parcours.
« Parfois l’accès est possible à un moment « t » pour un jeune, et puis à un autre
moment, un même jeune ne pourra pas y accéder… Tout va dépendre du nombre de
candidats : les organismes de formation qui sont dans le cadre d’un marché doivent
remplir la formation, par conséquent, s’il y a moins de candidats, ils seront moins
exigeants.
Tout ça n’est pas toujours limpide ».
Référente Formation Mission Locale
Quand ce n’est pas la chance qui est opposée au droit, ce sont les exigences démesurées
pour entrer en formation qui sont soulignées. En effet, face à cette notion de droit, les différents
tests et entretiens peuvent apparaître à certains conseillers comme autant d’épreuves
constituant alors plus un parcours d’obstacles qu’un parcours de formation.
« Par exemple, dans la vente, les jeunes ont eu une information collective, ensuite un
rendez-vous pour un entretien, puis un deuxième entretien.
Même pour le recrutement de certains cadres il n’y a pas autant d’entretiens !
Et quand on pose la question, les organismes de formation indiquent qu’il faut qu’ils
soient sûrs de ceux qu’ils prennent. Pour un public V bis, quel sens cela a de mettre
autant de démarches successives ? ».
Coordinatrice formation Mission Locale
De l’inégalité à la discrimination
Ces inégalités sont mal vécues par les conseillers comme par les candidats à la formation euxmêmes qui s’épuisent dans des démarches souvent très longues. Mais ces inégalités peuvent,
pour les conseillers, être lues comme une forme de discrimination en raison de l’âge. En effet,
l’ouverture de la formation à l’ensemble des publics alors qu’elle était auparavant réservée au
public jeune, a conduit, selon les conseillers, à « une situation où il y a plus de candidats mais
pas plus de places ». Or ce sont les plus jeunes des candidats qui semblent, selon les
conseillers des missions locales, faire les frais de ce processus drastique de sélection.
« Il y a selon moi discrimination car les gens ne sont pas traités de la même manière.
Les publics de petit niveau et de jeunes sont de fait exclus. Les modalités d’entrée du
qualifiant ne leur permettent pas de rentrer. Ils sont dorénavant en concurrence avec des
publics adultes qui ont plus de bagages, de savoir faire, de savoir dire et pour lesquels la
Région n’a pas acté les mêmes critères.
Par exemple, j’ai fait une régulation sur un CAP de cuisinier. Au moment de la
commission d’entrée, l’organisme de formation a établi sa liste sur des publics adultes de
niveau III et II. On peut comprendre que des personnes diplômées veuillent faire de la
cuisine, mais ce n’est pas de même nature que des gens qui veulent entrer sur ces
métiers avec des niveaux troisième. On met en concurrence des personnes qui n’ont
pas le même capital culturel et social ».
Coordinatrice formation Mission Locale
La combinaison de l’ouverture des formations à l’ensemble des publics et de la sélection en partie sur
l’expérience pourrait conduire à qualifier ces sélections de pratiques discriminatoires indirectes visant
en particulier les jeunes.
Ces situations ont d’ailleurs pu conduire certaines commissions de régulation à mettre en place des
formes de quotas permettant de placer les jeunes.
21
« Moi je régulais pour St Priest au départ, pour tous les candidats ANPE.
J’avais des dossiers montés par des conseillers de mon équipe, mais on essaie de ne
pas jouer là dessus pour positionner nos demandeurs…
Au début les missions locales nous ont imposé la parité des places, un adulte / un jeune.
Depuis, ça s’est un peu calmé même si parfois on reste sur ce principe de parité ».
Conseiller ANPE, Transport
Ces préoccupations incitent à comprendre comment les acteurs se saisissent des différents critères,
comment ils les mettent en œuvre et quelles sélections ils proposent en définitive, afin de mieux
analyser les risques discriminatoires qui pourraient s’établir à ce moment crucial des parcours vers
l’emploi.
4.2 Les critères de sélection
La Région Rhône-Alpes a édicté un certain nombre de critères devant présider à la sélection des
candidats à la formation. Ces critères appelés « critères Région » comprennent :
- le classement obtenu par les candidats auprès des organismes de formation,
- la cohérence du projet professionnel du futur stagiaire,
- la situation sociale du demandeur
- des questions d’équilibre du groupe de formation.
Ces critères, présentés en détail ci-dessous, sont analysés par les prescripteurs et organismes de
formation au cours de la commission de régulation et déterminent l’entrée en formation des différents
candidats.
Le classement des candidats obtenus auprès des organismes de formation
Le classement des candidats proposé par les organismes de formation tient le rôle de classement de
base. Opéré à partir des tests et de l’entretien de motivation, il permet une première évaluation des
candidats et en particulier de signaler ceux dont le niveau apparaît par trop déficient.
« Avant on avait des gens qui ne savaient pas trop où ils mettaient les pieds. Aujourd’hui, les
filtres, les tests, les stages permettent de récupérer des personnes plus motivées et qui
savent mieux ce vers quoi elles vont ».
Organisme de formation Transport
Si ces classements font relativement consensus pour évaluer le niveau des candidats, ils supposent
une certaine confiance entre les organismes de formation et les prescripteurs.
« Forcément on va aller dans le sens de l’organisme de formation car si c’est pour
envoyer des gens qui vont se casser le nez…
On peut aussi aller vers un organisme qui a une grille plus faible ».
CIDF
« Ils ne sélectionnent pas tous de la même façon, cela dépend de l’objectif de la
formation. Sur le qualifiant, il y a des choses incontournables. Par exemple la maîtrise
des quatre opérations. On fait confiance ».
Conseiller mission locale
La confiance a priori accordée n’interdit d’ailleurs pas les prescripteurs d’interroger les tests mis en
œuvre.
« Il y a des tests qu’on demande à voir. On nous dit : « il n’a pas le niveau », mais il faut
qu’on ait la preuve. Par exemple pour un agent de prévention de sécurité, on nous a dit
que les tests étaient négatifs. Mais il faut qu’on nous dise ce qu’il y avait comme tests.
Dans ce cas, la personne était quasiment illettrée et ce n’était pas possible pour elle de
faire des PV ».
Conseiller mission locale
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« On ne connaît pas forcément tous les modes de recrutement et c’est pour cela que
connaître les formateurs référents c’est important pour savoir ce sur quoi ils insistent
dans leurs recrutements, leurs tests… ».
Conseiller Emploi Formation Mission Locale
Le classement de l’organisme de formation apparaît en définitive comme un premier classement
indicatif mais structurant, qui pourra être discuté à la marge lors de la commission de régulation.
Le parcours professionnel
L’attention des membres de la commission se porte également sur les parcours des personnes. Quel
sens la formation a-t-elle pour les personnes ? La formation est-elle préparée en amont, attendue,
validée ? Le candidat s’est-il déjà présenté une première fois ?
Un ensemble d’arguments milite pour que certains candidats puissent accéder, à l’issue de leur
parcours long et progressif, à la formation qualifiante, y compris lorsqu’ils ne répondent pas totalement
à l’ensemble des pré-requis. En revanche, les personnes cumulant plusieurs formations de suite sans
accès à l’emploi sont écartées des publics prioritaires.
« Nous, on est plus sur le projet : comment il a été construit etc. et si la personne n’a pas
ça ou ne réussit pas à le présenter, on essaie de faire des propositions quand même ».
OF Aide à la personne
La situation sociale
La situation sociale des personnes est ensuite prise en compte. Le Plan régional pour l’emploi spécifie
les publics prioritaires en regard de la fragilité de leur situation socioprofessionnelle :
o les jeunes de 16 à 25 ans sans qualification,
o les demandeurs d’emploi de plus de 12 mois,
o les personnes ayant arrêté leurs études pour élever un enfant,
o les personnes de + de 45 ans,
o les travailleurs handicapés,
o les bénéficiaires de minimas sociaux,
o les saisonniers,
o et les bénéficiaires de l’Allocation Spécifique de Reclassement (ASR)
A ces publics prioritaires indiqués par la Région Rhône-Alpes s’ajoutent d’autres publics considérés
comme ayant « vraiment besoin » d’une formation pour accéder à un emploi stable : sortants de
prison, etc.
« Parfois on fait des comptes d’apothicaire : qui a le plus de droits de chômage ? etc. On
s’en sort toujours mais pas forcément avec panache et satisfaction car nous avons, et les
autres aussi, des personnes avec des projets vérifiés. L’attente d’une formation peut
mettre en échec des candidats, les démobiliser ».
Référente Formation Mission Locale
« Généralement on tombe sur un tiers de dossiers bien.
Notre référence c’est le dossier de la personne. Par exemple, j’ai « poussé » un rmiste
avec deux enfants en situation difficile. On essaie d’être attentif de promouvoir les
personnes qui sortent de prison par exemple, ceux pour qui c’est important d’être en
réussite et ceux qui s’investissent vraiment dans le projet ».
Conseiller ANPE, Transport
Ces critères sociaux ne sont toutefois pas impératifs. Ils se combinent en effet avec les autres critères
que sont la maîtrise par les futurs stagiaires des pré-requis, la cohérence de leur parcours de
formation ou encore l’équilibre d’un groupe (cf. ci-dessous). La souplesse qu’offre cette absence de
hiérarchie entre les différents principes est fortement appréciée par les acteurs dans la mesure où elle
permet de constituer des groupes de stagiaires homogènes ayant de fortes chances de succès. Cette
souplesse ne permet néanmoins pas toujours de concentrer l’ensemble des ressources sur les publics
prioritaires et laisse apparaître des contradictions localement difficiles à gérer.
23
Tension entre capital scolaire et situation sociale
On observe que le statut social des personnes semble être privilégié dans les critères de choix mis en
œuvre lors des commissions de régulation. Par exemple, des personnes bénéficiant du RMI seront
systématiquement privilégiées, quel que soit leur niveau initial de formation. Certains acteurs peuvent
alors regretter cette distorsion.
« Sur les préparations au concours DPAS et DPAP, il y a toujours beaucoup de public
positionné. Parfois, il y a des jeunes filles de 18 ans, sorties de BEP et très motivées.
Mais si elles sont mises en concurrence avec des femmes seules ou des rmistes sans
aucun diplôme, elles ne seront pas retenues. Or, on sait qu’avoir un premier niveau de
diplôme est préférable pour suivre ce genre de formation. Finalement, l’obtention de leur
BEP se retourne contre elles ! Elles n’ont pas de seconde chance… ».
Référente Formation Mission Locale
« Si on revient sur la question de la discrimination, un exemple : pour une formation de
pizzaïolo, nous avions 8 places pour 18 prescriptions. Parmi les candidats, il y avait des
rmistes et des jeunes dont beaucoup avaient des expériences en emploi saisonniers
(plonge etc.). Ces derniers n’ont pas été pris car ils avaient par exemple un BEP et que
l’on privilégiait les rmistes, même avec un bac littéraire…
Voila le résultat de l’ouverture à tous les publics ! ».
Référente Formation Mission Locale
La composition du groupe
Enfin la composition du groupe peut être un critère avancé par les organismes de formation. Ces
derniers et les prescripteurs s’assurent en effet que le groupe soit suffisamment homogène ou
hétérogène pour que chacun puisse y trouver sa place.
«Nous on essaie d’avoir un groupe plus ou moins homogène dont on pense que cela
fonctionnera. On doit y voir notre intérêt avec pas trop de disparité ».
OF Aide à la personne
« Pour nous organisme de formation, le groupe est tel qu’il est. Dans le cas de certains
groupes, on a pour habitude de mélanger au maximum, de mixer les publics et
notamment en terme d’âge. Le but étant de tirer vers le haut et d’utiliser les échanges
d’expérience avec le formateur ».
OF Transport
Cette mesure est parfaitement compréhensible dans certains cas et d’un point de vue pédagogique.
Certains organismes de formation soulignent par exemple les difficultés rencontrées avec certains
groupes.
« Par exemple sur le handicap c’est très hard. Si on mélange, c’est la cata. Si on
mélange des personnes socialisées avec des personnes handicapées, c’est une cata :
on a eu des problèmes de cartes bleues données… et au niveau sexualité je n’en parle
pas ! »
OF Aide à la personne
Cependant, ce critère peut conduire de fait à discriminer des personnes en raison de leur âge ou de
leur origine. C’est d’ailleurs l’interrogation que porte un certain nombre de prescripteurs.
« De manière générale, je n’ai pas souvenir d’une discrimination au moment de l’entrée
en formation. Le seul cas, et encore il est toujours lié à l’âge, c’est une personne de plus
de 40 ans qui n’a pas été retenue dans un groupe composé uniquement de personnes
de moins de 26 ans. L’organisme de formation pensait qu’il y aurait décalage, à juste
titre ».
Conseiller formation Cap Emploi
24
« Préférer un équilibre entre plusieurs origines dans la constitution des groupes, qu’estce que ça veut dire ? En disant « si vous avez un groupe avec des personnes d’origine
maghrébine, ça va être problématique ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce que ça veut
dire qu’il va y avoir des conflits ? Que les personnes vont parler arabe ? ».
Coordinatrice formation Mission Locale
4.3 Modalités de classement
L’ensemble de ces critères entre dans la sélection des candidats à la formation. Mais comment
sont-ils mis en œuvre dans le cadre de la commission de régulation ?
« Les critères… On sélectionne des personnes qui sont toutes prioritaires… Alors
comment faire pour choisir ? De fait, les critères n’apparaissent pas toujours très
clairement. Après, effectivement, chaque commission a ses composantes, c’est la
vie… ».
Référente formation CIDF
Généralement, le premier réflexe des acteurs des commissions de régulation est de vérifier le dossier
administratif de chaque candidat.
« On prend tous les dossiers et on regarde s’ils sont complets : s’il y a une prescription, si
la personne émarge aux ASSEDIC on le met de côté, on reprend élément par élément en
vérifiant que toutes les étapes ont été faites ».
Conseiller ANPE, Transport
Cette première étape peut donner lieu à des échanges entre l’organisme de formation et les
prescripteurs dans la mesure où certains éléments comme l’ECCP sont considérés comme faisant
partie du dossier administratif pour les uns alors que c’est un pré-requis avant l’entrée en formation
pour les autres.
Une deuxième lecture permet de classer les candidats en fonction des différentes priorités et critères.
Nous avons indiqué que les notes des tests et des entretiens de motivation jouent un rôle particulier
car elles indiquent les capacités des candidats à s’inscrire dans la formation. Les questions de
motivation donnent lieu à des discussions dans la mesure où les prescripteurs peuvent détenir des
informations sur le parcours des personnes qui ne figurent pas dans le dossier de l’organisme de
formation. En revanche, l’organisme de formation peut poser des vétos sur certains candidats, comme
ceux estimés « agressifs et qui foutent le bordel » [Organisme de formation Transport].
Sont ensuite analysés les critères de parcours. Par exemple, dans le transport, les commissions de
régulation regardent attentivement l’éloignement de l’emploi, si des actions de formation ont déjà eu
lieu, les dates de prescription et le « harcèlement » des stagiaires.
Enfin sont considérés les critères sociaux et notamment les catégories visées par la Région (jeunes
de moins de 26 ans, personnes en reprise d’activité, rmistes, personnes vivant des minima sociaux,
etc.).
Un savoir faire spécifique
Les prescripteurs font très souvent des demandes d’informations complémentaires aux
organismes de formation afin de préciser tel ou tel dossier, d’expliquer pourquoi telle personne
ne figure pas dans la liste ou seulement dans la liste d’attente, etc.
« Ensuite la commission regarde les candidatures et c’est le prescripteur qui a le plus de
poids en fonction de sa connaissance du candidat, il peut pousser au positionnement
d’une personne, il va décider entre deux par exemple et on revérifie l’éligibilité ».
OF Aide à la personne
Pour effectuer la sélection, il faut une bonne vision de l’ensemble des critères à mettre en œuvre et
essayer de trouver des modes de sélection logiques et éprouvés. C’est semble-t-il ce que certains
référents parviennent aujourd’hui à maîtriser.
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« Nous avons des partenaires des Missions locales qui ont de l’expérience, et une très
grosse capacité pour sérier, le plus objectivement possible, les situations. Par exemple,
pour les adultes, on analysera le nombre de jours de chômage, pour les jeunes d’autres
critères tels que « s’ils sont dans la vie active ou non », « s’ils sont en Civis », etc.
Il faut une grosse faculté de concentration et d’analyse, il faut raisonner et se situer dans
une démarche la plus rationnelle possible ».
Référente formation CIDF
4.4 Les acteurs de la sélection
Participent aux commissions de régulation les prescripteurs ou leurs représentants et les organismes
de formation. Si ces commissions permettent de partager un certain nombre d’objectifs communs,
elles révèlent également les intérêts potentiellement divergents des acteurs y participant. La
régulation de ces commissions reste dès lors souvent problématique.
Des objectifs communs
Les organismes de formation et les prescripteurs poursuivent le même objectif d’intégration dans des
formations qualifiantes des demandeurs d’emploi. Cet objectif stratégique commun peut être décliné à
travers une collaboration intelligente.
« Lors des instances de régulation, le centre de formation est présent avec les
prescripteurs.
Toutes les candidatures sont rediscutées, et en tant que missions locales, nous
accordons une attention particulière à cela. Dès lors on discute et les OF nous indiquent
que le niveau de telle personne est trop haut ou trop bas, etc.
Certains OF voient de suite l’intérêt de la collaboration. S’ils jouent le jeu, ils auront un
meilleur groupe et les prescriptions seront bien faites.
On essaie d‘avoir ce message là, bien sûr ».
Référente Formation Mission Locale
« La commission de régulation ? On sait seulement qu’il faut que notre liste change, mais
c’est souvent intéressant car on n’a pas toujours la globalité des choses. Par exemple,
en janvier, on nous a demandé de changer. Finalement, c’était bien mieux ciblé mais il
nous a manqué trois places…
C’est vrai que la tendance peut être de garder la maîtrise de la liste. On essaie quand
même de voir en terme de Civis ou le nombre de demandes de formation des
personnes… si elles ont déjà demandé trois fois, on risque de ne plus les revoir.
Et j’entends ça. C’est l’intérêt ».
OF Aide à la personne
« Sur notre territoire, tout se passe super bien. On n’a aucun problème sur les
prestations de l’agence en accompagnement et en proximité et même avec le conseiller
mission locale, il n’y a aucun souci.
On a plein de projets avortés faute de financement mais on avance… ».
OF Aide à la personne
Des concurrences vives
Si l’objectif de la formation et de la mise à l’emploi est partagé par l’ensemble des acteurs, sa mise en
œuvre ou plutôt ses objectifs en termes de publics donnent lieu à des concurrences parfois vives.
La question qui se pose alors est celle de l’objectif poursuivi : « S’agit-il de permettre à des personnes
de bénéficier d’une formation afin de leur ouvrir un accès direct à l’emploi ou s’agit-il de faire de la
formation qualifiante une étape d’un parcours permettant, à un certain nombre de personnes, d’entrer,
à terme, avec une qualification sur le marché du travail ? ».
26
Ces concurrences s’observent entre organismes de formation et prescripteurs mais aussi entre
prescripteurs entre eux. Or, la différence des intérêts et des positionnements n’est pas toujours
favorable à la mise en œuvre d’une stricte égalité de traitement entre les candidats.
Une concurrence entre OF et prescripteurs
Les organismes de formation et les prescripteurs tendent à hiérarchiser différemment les priorités
dans la sélection des candidats. De façon schématique, les premiers insistent surtout sur les résultats
aux tests, la motivation et la composition des groupes tandis que les seconds apportent une attention
particulière aux publics prioritaires et à la validation de leur parcours.
Les prescripteurs disent exercer une vigilance particulière afin que les formations soient réellement
destinées à ceux qui en ont le plus besoin. Cette vigilance passe d’abord par la revendication de la
tenue systématique de commissions de régulation, y compris pour les formations pour lesquelles le
nombre de places est suffisant : « Même s’il y a trop de places, nous on tient à faire le point afin de
caler la formation par rapport aux besoins du public. Certains OF vont dans ce sens et sont contents
de s’appuyer sur nos réseaux » [Référente formation Mission Locale].
Cette vigilance s’applique ensuite à faire en sorte que l’ensemble des critères d’entrée en formation
soit satisfait : « Mais aujourd’hui on n’a pas travaillé entre prescripteurs et OF pour mettre les choses
à plat et objectiver les critères » [Référent Formation Mission Locale].
« Pour l’aide à la personne il y a souvent l’exigence d’une expérience… mais cela vient
du fait qu’il s’agit d’un secteur non marchand. Lors de l’entretien, c’est plus la relation
avec la personne qui va être jugée. Et on ne peut utiliser d’outils transparents.
Alors on le voit bien, les organismes de formation ont parfois du mal à restituer…
C’est difficile de toute façon d’être très neutre et très objectif… ».
Référente formation CIDF
Il s’agit enfin de revendiquer le droit à interroger l’ensemble de la liste proposée par l’OF en première
intention.
Ces rapports ont pu conduire dans telle ou telle commission à des rapports de force entre
prescripteurs et organismes de formation. « Sur l’aide à domicile, un organisme s’est retrouvé dans la
situation où la commission n’a pas voulu réguler car il y avait trop d’adultes » [OF Aide à la personne].
« Parfois c’est compliqué avec les organismes de formation, notamment quand ils n’ont
pas respecté la procédure. Mais par exemple, quels moyens a-t-on s’ils n’arrivent pas
avec l’ensemble des dossiers prescrits ? Si on entre dans un rapport de force avec report
de la commission d’entrée à une autre date, c’est parfois difficile car le démarrage est
déjà prévu… ».
Référente Formation Mission Locale
C’est pour répondre à ces problématiques que les acteurs réclament la présence d’un arbitre tel que
la Région Rhône-Alpes.
« Lors de la commission de régulation on analyse les notes et les publics prioritaires.
C’est là que la Région devrait intervenir comme médiateur entre les OF et les
prescripteurs. On essaie de se dépatouiller entre nous : on y arrive ici mais c’est très
contraignant et contrariant. Et comme il n’y a pas de quotas… On essaie de porter les
meilleurs d’après les tests des OF ».
Conseillère emploi Formation Mission Locale
Une concurrence entre prescripteurs
Les intérêts divergents ne concernent pas seulement les organismes de formation et les prescripteurs
mais aussi les prescripteurs eux-mêmes.
Cette concurrence apparaît de fait créée par la situation de pénurie de places de formations. Ce
placement est d’autant plus important que dépend de ce dernier une partie du financement des
structures, voire, dans certains cas, des primes attribuées aux salariés.
27
« Je vais choquer mais, si dans le langage officiel ce sont des partenaires, en fait ce sont
des concurrents puisqu’il n’y a pas de places pour tous !
Comment voulez vous que ça fonctionne ? Nous avons une convention de sous-traitance
avec l’ANPE pour les jeunes… mais malgré tout, ils peuvent garder certains jeunes les
plus facilement plaçables… et comme il y a un système de primes etc., c’est logique ».
Conseiller Emploi Formation Mission Locale
« La commission de régulation est l’une des choses les moins agréables à faire et puis le
travail de partenariat avec les missions locales est difficile, même si je ne veux pas en
dire de mal et que des terrains d’entente ont quand même été trouvés. Mais au début,
c’était l’affrontement pour placer ses candidats ».
Conseiller ANPE, Transport
Ce constat est quasi unanime et dressé y compris par les organismes de formation :
« Les commissions de régulation. Ce n’est pas simple. On y passe beaucoup de temps
et quand vous avez des prescripteurs qui défont tout…
Et puis chacun va placer ses ouailles ».
OF Aide à la personne
D’autres voient dans cette concurrence non seulement un effet de la pénurie de places de
formations mais aussi du positionnement tendanciellement différent des prescripteurs. Ainsi,
l’ANPE serait sur une logique de mise à l’emploi, rejoignant souvent les organismes de
formation dans leur logique de sélection, alors que les prescripteurs missions locales seraient
pour leur part dans des logiques de parcours pour les jeunes qu’ils suivent.
« Nous, on est fondamentalement orienté sur le placement. Et la formation est un moyen
qui doit être un moment le plus court possible. La Mission Locale ouvre plus globalement
sur des problématiques sociales et le placement n’est pas une priorité… alors que pour
nous, le viseur est là-dessus ».
Conseiller ANPE, Aide à la personne
Une concurrence discriminatoire ?
La sélection des dossiers de demande de formation peut tenir à des problématiques purement
administratives. En effet, dans les commissions de régulation où préside un seul prescripteur, ce
dernier est amené à défendre l’ensemble des dossiers soumis. Or, certains dossiers ne sont pas
suffisamment détaillés pour que la commission de régulation puisse trancher. Les dossiers complets
et bien renseignés ainsi que ceux relevant du prescripteur présent auront dès lors plus de chances de
succès.
« Le rôle de la commission de régulation est de rappeler quelles sont les personnes
prioritaires. A la dernière régulation s’est reposée la même question : quand on a 20
personnes ultra prioritaires et que 10 places, alors comment faire ?
Il est vrai que le candidat qui a son prescripteur présent avec son dossier est
avantagé… ».
Conseiller formation Cap Emploi
Dans la Drôme, il est courant de passer un coup de fil à un conseiller afin de recueillir des éléments
supplémentaires concernant le candidat, son parcours et ses motivations. Si toutefois les conseillers
ne peuvent être joints, les dossiers sont écartés au profit de dossiers plus complets.
Au-delà même de la présence des référents ANPE, Mission locale, CIDF, CAP EMPLOI ou SOP
AFPA, la question est celle de la communication des données personnelles au moment de cette
commission. Les référents ANPE semblent disposer de dossiers relativement complets et détaillés
alors que les référents missions locales ne disposent bien souvent que d’une liste de candidats
prescrits.
« On s’est beaucoup engueulé, on était pas d’accord sur les priorités. De plus si tous
sont prioritaires et s’il n’y a que quatre places…
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L’intérêt c’est que nous on a les éléments. Je sors les dossiers papiers avec tous les
éléments pertinents sur le demandeur, s’il est rmiste, s’il a des enfants, s’il est sur son
projet depuis deux ans sans en démordre, etc. Les Missions Locales n’ont aucun
élément, juste une fiche de prescription remplie par un conseiller et pas toujours au
mieux.
Bon nous ne sommes pas parfaits non plus mais si on n’a pas d’éléments alors il ne
passe pas… Moi si je sens que j’ai un doute, je ne le présente pas.
On pratique depuis un an maintenant, ça s’est pacifié, c’est plus agréable car on se
connaît et nos réactions aussi ».
Conseiller ANPE, Transport
Ces différences d’ordre administratif renvoient également à des différences de positionnement. Pour
les conseillers missions locales, la seule prescription en formation est en elle-même la preuve de la
nécessité d’une entrée.
« On devrait nous faire confiance sur le fait qu’on a suivi l’ensemble des pré requis pour
l’entrée en formation…
On ne peut figer des détails intimes des personnes, cela ne peut se faire qu’oralement ».
Conseiller Emploi Formation Mission Locale
« Il n’y a pas assez de places au niveau région.
Et vous avez des personnes… moi on m’a refusé un ex-gérant de magasin de sport qui
n’était pas jugé prioritaire. Or il avait zéro indemnité, il était divorcé avec deux enfants.
Fallait-il que je note cela ? On ne va quand même pas s’immiscer dans les problèmes
personnels des gens ! Le monsieur a maintenant abandonné ce projet… ».
Conseillère Emploi, ANPE Croix Rousse
Les divergences de points de vue et de positionnements qui peuvent être constatées entre
organismes de formation et prescripteurs et entre prescripteurs eux-mêmes, ainsi que les
négociations qui ont lieu sur les différents critères, n’apparaissent pas comme la garantie de pratiques
de sélection exemptes de discriminations. Si l’échange contradictoire permet de tenir compte de
l’ensemble des critères légitimes de sélection, la possibilité laissée aux acteurs d’une combinaison
assez large des critères laisse parfois place à des négociations qui peuvent, directement ou
indirectement, être discriminatoires.
4.4 Problématiques discriminatoires
Quelles problématiques discriminatoires sont révélées dans ces processus de sélection des candidats
vers l’apprentissage ? Quels sont les motifs les plus fréquemment invoqués ? Quels sont les
processus observables et la justification que peuvent en donner les acteurs ?
En préambule, il est important de souligner que l’ensemble des acteurs de la formation, organismes
de formation comme prescripteurs, notamment dans le cadre des commissions de régulation,
indiquent ne pas tenir compte des critères pouvant être discriminatoires tels que l’âge, le sexe ou
encore l’origine. Il reste que cette affirmation en forme de déclaration d’intention laisse place à des
pratiques qui semblent, pour certaines, discriminatoires.
Les motifs de discrimination les plus fréquents sont ceux relatifs à l’âge, au sexe et à la religion à
travers notamment la problématique du port du voile.
La problématique du voile
La problématique du voile fait partie des problématiques récurrentes dans l’accès à la formation
qualifiante. Cette problématique apparaît d’autant plus vive qu’elle renvoie à des oppositions qui font
socialement débats et pour lesquelles la controverse est très largement ouverte. On assiste ainsi à
des débats passionnés entre partisans de la liberté religieuse et défenseurs de la laïcité, souvent
conduits à partir d’éléments relevant plus souvent du registre idéologique que du registre juridique.
Ces débats très largement ouverts ne font pas consensus et donnent lieu par conséquent à des
traitements très différents suivants les acteurs et les lieux où les questions sont posées.
29
Trois types de positions peuvent être repérés parmi les organismes de formation sur cette question,
du refus catégorique du voile à son acceptation en passant par l’entrée en formation sous condition.
Face à ces positions, aucune ligne commune n’est définie du côté des prescripteurs qui peuvent
laisser les organismes de formation agir, renvoyer le problème du côté d’une morale personnelle ou
encore se positionner pour ou contre le port du voile.
Les positionnements des organismes de formation
Le refus du port du voile
Certains organismes de formation refusent toute entrée en formation aux personnes portant le voile.
Les argumentaires mobilisés peuvent être de plusieurs ordres. Certains, comme les Greta peuvent
indiquer qu’ « en tant qu’établissement de l’Education Nationale, le port du voile est de toute façon
interdit ». Il est vrai que le port du voile est interdit dans l’enceinte des établissements du primaire et
du secondaire mais aucunement de façon générale dans les GRETA. Des dispositions
particulières peuvent dès lors être prises uniquement dans le cas d’enseignements se déroulant dans
l’enceinte d’établissements scolaires :
« Une dame est venue avec le
pour l’entrée en formation.
d’établissements scolaires qui
pas qu’elle l’ait à la cantine.
l’aise… ».
OF Aide à la personne
voile. Nous, de notre coté, on n’a pas posé de problèmes
Des fois on fait des formations dans l’enceinte
appliquent le règlement : le proviseur à XXX n’acceptait
Elle a accepté de l’enlever. Nous on n’est pas trop à
D’autres organismes estiment que le port du voile compromettant la mise à l’emploi en fin de
formation, il est impossible de faire bénéficier d’une formation, une personne dont on sait que ses
chances d’accès à l’emploi sont faibles. Des organismes vont même jusqu’à affirmer publiquement
leur refus du port du voile et qu’ils sont prêts à prendre le risque d’une condamnation pour
discrimination si la personne intentait un procès. C’est le cas rapporté par certains prescripteurs des
missions locales notamment.
L’injonction à retirer le voile
La plupart des organismes de formation indiquent aux jeunes filles se présentant avec le voile qu’elles
seront dans l’obligation de l’enlever lors de la formation.
« Il n’y a pas de discriminations à l’entrée en formation.
Par exemple une fille avec le voile on lui explique et elle le quitte toujours.
On lui dit « à partir du moment où tu vas vouloir aller en entreprise ce ne sera pas
possible ». Elles le comprennent et quittent leur voile dans la salle ».
Référent Formation Mission Locale
« Dans les entrées en formation certains n’acceptent pas d’emblée… mais le problème
c’est la mise à l’emploi bien sûr. Certains OF ont déjà refusé, en disant que si la
personne veut entrer en formation elle peut… mais si elle enlève le voile ».
Référent Formation Mission Locale
La mise en garde face aux conséquences probables du port du voile dans l’emploi
Certains organismes de formation mettent les candidates en garde sur le fait qu’elles rencontreront
certainement des difficultés pour trouver un emploi si elles persistent dans le fait de vouloir porter le
voile. Si cette recommandation ne conditionne pas l’entrée en formation, il reste que le retrait du voile
est la plupart du temps présenté comme une condition indispensable de l’embauche dans une
entreprise.
.
« Si le foulard est porté dans la communauté, une fois sur le lieu de travail, en institution,
hôpital etc., la personne l’ôte sans problème. Donc on l’aborde, à savoir que si la
personne est confrontée à cette demande, qu’elle soit prête à l’enlever.
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Si le foulard relève du combat identitaire on demande aux personnes si elles sont prêtes
à s’adapter au marché. On prend les gens comme ils sont mais on sait très bien qu’on
est un intermédiaire avec le marché. On passe le relai à l’employeur de toute façon ».
Conseiller ANPE, Aide à la personne
« En information collective on ne dit rien et tous peuvent passer les tests. Mais quand la
formation débute, on prévient que le port du voile n’est pas envisageable dans le travail
et qu’il faut le remplacer par quelque chose de plus discret. En plus ce n’est pas pratique
pour les tâches domestiques. Après, il faut voir avec la famille…
On n’a jamais de retour et elles le comprennent d’elles-mêmes… et même ici elles
l’enlèvent d’elles-mêmes… ».
OF Aide à la personne
Enfin, certains organismes indiquent aux stagiaires de la formation que le port du voile ne sera pas
possible dans certains emplois, notamment en raison de règles de sécurité ou d’hygiène spécifiques.
La position des prescripteurs
Face aux exigences posées par certains organismes de formation, les prescripteurs semblent agir en
ordre dispersé, révélant l’absence de cadre commun pour penser ces questions. Trois attitudes
différentes peuvent être repérées :
- une forme d’interprétation voire de surinterprétation de la signification du voile,
- une forme de délégation aux organismes de formation de cette question,
- un refus des pratiques discriminatoires en raison des convictions religieuses
L’interprétation du port du voile
Deux types d’interprétation sont convoqués : des interprétations en regard de la religion elle-même et
des interprétations en regard des problématiques de domination.
Les interprétations en regard de la religion sont relativement fréquentes. Les acteurs entrent dans une
exégèse des textes et des obligations faites aux musulmans pour se faire une idée de ce qui fonde
cette pratique. Cette dimension est très souvent convoquée, permettant de distinguer des femmes
« intégristes » d’autres qui le sont moins, des femmes obéissant strictement à un certain nombre de
prescriptions, etc. La multiplicité des points de vue, des textes de référence et en définitive des
croyances en la matière rendent de fait bien souvent difficile toute interprétation définitive sur la réelle
signification du voile pour celles qui le portent. Cette façon de poser la question apparaît dès lors
comme une aporie.
D’autres, et notamment le CIDF, mettent en œuvre une interprétation plus sociale du port du voile en
distinguant le port du voile volontaire, qui serait selon beaucoup de ces conseilers tout à fait
minoritaire, et le port du voile comme expression d’un rapport de domination dont les jeunes filles
seraient les victimes. Le port du voile serait dès lors le signe d’une soumission des femmes.
« On a eu aussi des situations critiques avec des jeunes par rapport à cela, des jeunes
qui devaient quitter le domicile familial car la difficulté est de savoir si cela est un choix ou
une imposition familiale.
Donc on est face à une problématique assez large avec des jeunes filles qui l’assument
très bien et en font un choix de vie et les autres qui sont discriminées à double titre.
Moi je ne crois pas que ce soit une volonté des filles… C’est soit disant par choix mais on
voit bien qu’il y a des fluctuations, une va le mettre puis va l’enlever puis le remettre à
nouveau…
Parfois il y a aussi le regard des voisins… ».
Conseiller emploi formation Mission Locale
Pour peu que cette problématique soit prise au sérieux, interdire l’accès des femmes voilées pourrait
conduire à une forme de « double peine » puisque ces femmes considérées comme soumises
seraient de fait écartées de formations pouvant par ailleurs être considérées comme émancipatrices.
La délégation aux organismes de formation
31
Au-delà de ces interprétations, les prescripteurs peuvent avoir un positionnement au cas par cas,
déléguant de fait la plupart du temps la décision aux partenaires. Le cas évoqué ci-dessus d’un
organisme de formation indiquant prendre le risque de ne pas intégrer une personne portant le voile
dans sa formation a ainsi suscité des positionnements contrastés de la part des prescripteurs :
- le premier proposait d’accepter la candidature quitte à conduire pendant la formation un travail
pédagogique afin de « faire évoluer les gens » : « peut-être que la personne ne s’appartient
pas et qu’il faut l’aider ».
- le deuxième proposait de suivre l’organisme de formation dans son refus explicite de prendre
la personne en formation.
- le troisième proposait une solution médiane consistant en la mise sur liste d’attente de la
personne afin de ne pas l’exclure totalement, tout en ne la retenant pas !
Ces différences de positions renvoient à une analyse qui porte avant tout sur un jugement moral
autour de ces questions plutôt qu’à un jugement fondé sur le droit :
« Une question a été posée par un organisme de formation qui ne voulait pas garder une
personne avec le voile… Pour moi, ce sont des problèmes éthiques ».
Conseiller formation Cap Emploi
Le refus du voile interprété comme discrimination
Enfin, parmi les prescripteurs comme parmi un certain nombre d’organismes de formation, la
dimension discriminatoire du retrait du voile est clairement énoncée. Ayant parfaitement
intégrée le droit antidiscriminatoire, ils qualifient dès lors beaucoup mieux les situations
discriminatoires qu’ils peuvent rencontrer :
« Le foulard ? Si les organismes de formation rejettent les candidatures sur ce motif, ils
sont hors la loi. Ce ne sont pas des stéréotypes mais une discrimination pure et simple ».
Référente formation CIDF
« Parler du voile pour le faire enlever : c’est illégal en attendant ».
Organisme de formation Aide à la personne
L’âge : un handicap ?
Un certain nombre d’acteurs s’accorde à voir des risques discriminatoires en raison de l’âge des
candidats à la formation. Ces risques concernent d’ailleurs aussi bien des publics plutôt âgés que des
publics jeunes.
Pour les publics âgés, c’est la question de l’investissement public dans une formation qui est semblet-il en jeu :
« Par rapport à l’âge, ce ne sont pas que les organismes de formation qui vont éviter de
retenir des candidats. C’est aussi une interrogation des institutionnels par rapport au coût
de formation : est-ce pertinent de commencer un parcours long à 50-55 ans ? On y
réfléchit à la maison du handicap ou en commission de régulation, même s’il n’y a pas de
position institutionnelle.
Moi je sais que 50-55 ans, c’est aussi la dernière chance ! Proposer une formation, c’est
laisser une dernière chance à des personnes auxquelles, par ailleurs, on demande de
travailler jusqu’à 65 ans ! Il faut être en cohérence avec la société ».
Conseiller formation Cap Emploi
Pour les publics jeunes, deux types de risques peuvent être identifiés. D’abord, celui de la mise en
concurrence de ces publics avec des publics adultes alors même que les statuts sont différents. Par
exemple, les jeunes ne sont par définition jamais bénéficiaires du RMI et sont plus souvent titulaires
d’un diplôme de type BEP ou baccalauréat général difficilement monnayable sur le marché du travail.
La priorisation semble dès lors pouvoir jouer en faveur des adultes.
« Notre souci c’est qu’on se retrouve avec des jeunes de 18-19 ans, frais émoulus, de
niveau BEP et exprimant mal leur motivation avec en face des adultes de 30-35 ans pour
les moins cassés, qui peuvent parler des enfants etc. pour les mères de famille etc.
32
Là, les organismes de formation ont bien intégré que ces formations étaient ouvertes et
ils préfèrent une personne de 35 ans à un jeune qui pourrait poser un peu problème ou à
des gamins issus des quartiers et qui pourraient foutre le souk.
Et on se retrouve avec une discrimination envers les jeunes.
Les collègues de Lyon me citaient une personne en licence refaisant sa vie, et qui est
passé devant un petit jeune sortant de Segpa pour préparer un BEP cuisine !
Conseillère emploi Formation Mission Locale
« Mais je trouve que les jeunes avaient plus de chances avant car il y avait une place
importante accordée à l’écrit, comme à l’école…
Bon mais maintenant c’est vrai qu’on voit bien qu’ils n’ont pas la maturité… Et dans les
métiers de l’aide à la personne, on accorde beaucoup d’importance à l’expérience,
l’expérience de la vie, les personnes qui ont déjà élevé des enfants, etc. ».
OF Aide à la personne
Le public jeune est donc également confronté à un autre risque de discrimination tenant non pas à la
concurrence avec les adultes (s’incarnant dans une concurrence institutionnelle entre prescripteurs)
mais bien au choix préférentiel des organismes de formation pour des adultes réputés plus faciles que
des jeunes.
« C’est vrai que pour nous, il vaut mieux gérer des groupes d’adultes que de jeunes qui
ont plus de difficultés à maintenir un intérêt par rapport à la formation.
Donc il pourrait y avoir une discrimination par rapport à l’âge, pour les jeunes comme
pour les personnes proches de la retraite ».
OF Aide à la personne
Les autres critères discriminatoires
Les femmes
Au-delà des différents éléments déjà indiqués sur la question des stéréotypes quant à la sexuation de
certains métiers, il apparaît que, dans la sélection elle-même des candidats à la formation le critère du
sexe peut intervenir. Plutôt, c’est le critère de la situation de famille qui est systématiquement renvoyé
du côté des femmes. Ainsi, la garde des enfants apparaît comme un élément pouvant écarter un
certain nombre de candidates alors même que cette situation n’apparaît jamais opposée aux hommes
qui, par ailleurs, peuvent également avoir charge de famille.
« Des fois on fait le choix de ne pas prendre des femmes qui ne sont pas autonomes par
rapport à une garde d’enfants mal gérée. Les organismes de formation demandent des
garanties très importantes maintenant par rapport à la garde d’enfant : il faut que la
personne soit en capacité de convaincre qu’elle n’a pas de problèmes et des fois il lui
sera demandé des justificatifs. Ce n’est pas le cas pour les hommes ».
Référent Formation Mission Locale
L’origine
Le critère de l’origine n’apparaît pas comme un critère pertinent pour les acteurs de la
formation dans la sélection des candidats. Chacun note ainsi la présence de nombreuses
personnes d’origines très diverses dans les formations analysées dans ce rapport.
Il convient toutefois de rappeler deux risques réels de discrimination. D’abord, on a pu voir que
la commission de régulation pouvait tenir compte de l’équilibre des groupes de stagiaires de la
formation. Or, il semblerait que cet équilibre puisse également tenir compte de « l’origine réelle
ou supposée » des personnes.
De plus, la batterie de tests passés par les organismes de formation permet de juger de
l’aptitude des candidats à suivre les enseignements dispensés. Or, on sait que les tests
permettent de définir des niveaux, notamment dans la compréhension du français et dans la
maîtrise de l’écrit. Sur certains marchés en tension manquant cruellement de candidats, on
peut s’attendre à ce que les exigences soient moins fortes en la matière que sur d’autres
33
secteurs. Dès lors, la différence de maîtrise du français n’apparaît plus comme un élément
intangible mais comme un élément avec lequel il est toujours possible de composer. Plus les
places en formation sont réduites, plus les exigences pour les tests peuvent être fortes et plus
les personnes qui n’ont pas le français pour langue maternelle sont susceptibles d’être
écartées. Derrière un critère apparemment neutre et objectif peut ainsi se construire une
pratique discriminatoire à l’encontre des personnes étrangères.
5. La relation aux entreprises : stages et sortie de formation
Les prescripteurs et les organismes de formation font état de l’existence de discriminations dans
l’entrée de leurs stagiaires dans le monde de l’entreprise, soit à l’occasion de stages, soit pour l’entrée
dans l’emploi. Si certains témoignages laissent présupposer l’existence de discriminations, il apparaît
également intéressant d’interroger les pratiques d’anticipation des organismes de formation et de
prescription qui pourraient participer des problématiques discriminatoires.
5.1 Stages en entreprises et entrée dans l’emploi
Le passage en entreprise, soit en amont de la formation (mini-stage, Evaluation en Milieu de Travail,
Stage d’Expérience Professionnelle), soit au cours de la formation, est systématique dans les
formations qualifiantes. Mais les organismes de formation et les prescripteurs sont également très
largement impliqués dès la sortie de la formation dans la mise à l’emploi des stagiaires.
Ces acteurs font un certain nombre de constats quant aux pratiques discriminatoires des employeurs
en général et celles auxquelles ils sont confrontés en particulier.
Des pratiques connues
Dans l’ensemble des secteurs analysés, les témoignages de pratiques discriminatoires sont fréquents.
Sur le secteur de l’aide à la personne, sont notamment soulignées les discriminations liées à l’origine,
surtout lorsque l’employeur est un particulier. Dans le secteur du transport, les témoignages portent
davantage sur des discriminations liées à l’âge ou au sexe.
« Dans l’aide à la personne, les prestataires peuvent respecter les règles de non
discrimination et embaucher des candidats d’origine étrangère. Mais parfois la personne
âgée ne veut pas d’une personne d’origine étrangère et elle en fait part au prestataire.
Les particuliers peuvent avoir des exigences en termes raciaux et quelques fois, il y a
des gens qui refusent les candidats proposés par le prestataire. Ils ne déposent alors
plus leur offre d’emploi à l’ANPE et passent par leur réseau (voisine, famille etc.) ».
Conseillère Emploi, ANPE
« Sur l’origine, il y a toujours des clichés prégnants : je suis sûre qu’une Sophie Durand
passera mieux qu’une Yasmina ».
OF Aide à la personne
« Dans le transport, pour les vieux, la limite c’est 55 ans. Après, cela devient vraiment
dur… L’investissement en formation n’est plus rentable… et puis la pyramide des âges
est déjà assez élevée.
(…)
Par contre les femmes de plus de 45 ans est l’une de leurs cibles : elles n’ont plus les
enfants à gérer et quinze ans à bosser ! Le rêve !
(…)
Pour les jeunes c’est souvent difficile du fait de leur comportement. Mais c’est comme
tout, il y a des jeunes très matures et d’autres non. Et quand une personne agit mal, c’est
tout le groupe qui est pénalisé ».
Conseiller ANPE, Transport
34
« Le premier contact c’est le prestataire qui va chez le particulier pour une aide à
domicile. Quand il a vu l’environnement, il voit à peu près le type de personne qu’il peut
envoyer… ».
Conseillère Emploi, ANPE
« La question est plus avec les employeurs… par exemple pour la vente quand on est
noir. Il y avait un jeune noir avec un bac pro en froid et clim ou un autre, ascensoriste…
ils n’ont jamais pu trouver de travail ».
Coordinatrice formation Mission Locale
Des signes d’évolution ?
Les acteurs de la formation et de l’emploi peuvent toutefois noter un certain nombre d’évolutions sur
les dernières années en matière de discriminations.
Dans le secteur du transport, les pratiques ouvertement discriminatoires en raison de l’origine qui
semblaient être courantes il y a une dizaine d’années semblent être beaucoup moins importantes
aujourd’hui. Les acteurs notent que cette évolution est notamment due à la nécessité de recruter un
grand nombre de chauffeurs pour répondre à la fois au boom économique à partir de 2001 et au
grand nombre de départs à la retraite de conducteurs entre 2003 et 2007.
« Qu’est-ce qui a changé depuis 10 ans ?
Il y a des besoins en personnel, et les conducteurs bossent bien.
Il y a dix ans les employeurs voulaient des BBR.
Les entreprises voulaient des blancs en face à face ou au téléphone.
Mais depuis 7 ou 8 ans on n’entend plus tout cela ».
OF Transport
« En 1991, 30 ou 35% des demandeurs d’emploi étaient d’origine étrangère et on avait des
difficultés majeures pour les intégrer dans l’entreprise. Il y avait de fortes réticences…
Petit à petit, avec le changement économique, les entreprises locales ont dû s’adapter, parfois
brutalement, et accepter des personnes d’origine étrangère. Depuis 2003, la forte demande
amène à employer tout le monde. Aujourd’hui, la demande se réduit un peu sur la dernière
année. Le papy boom commence à se calmer. Beaucoup de conducteurs sont partis à la
retraite à 55 ans et ont été renouvelés entre 2003 et 2007. Mais il y a un effet cliquet, il n’y
aura pas de retour en arrière ».
OF Transport
« Il y a 15 ans, on parlait d’embaucher des femmes mais leur intégration effective, c’était une
autre question.
Aujourd’hui, on dit qu’on embauche et cela se fait. Au contraire, les employeurs sont très
contents et recherchent des femmes qui permettent de changer l’image du conducteur au
gros bras et au tatouage. Elles sont plus propres et véhiculent une meilleure image de
l’entreprise. Elles respectent davantage les règles pour les temps de conduite, elles ont moins
d’accrochages.
Cette évolution est également due aux exigences du marché avec l’arrivée des conducteurs
des pays de l’Est aux salaires bien plus bas. Aujourd’hui en France, seulement 15% des
transports se font à l’international, et encore cela reste des pays limitrophes. A l’époque c’était
dur pour une femme d’envisager de partir au fin fond d’un pays de l’Est : il y avait des
problèmes pour l’accès aux douches collectives, le fait de dormir dans son camion dans des
lieux « mal famés »… Aujourd’hui, elles sont au régional et rentrent le soir, même si les
horaires sont durs ; les aires d’autoroute ont bien évolué aussi ».
OF Transport
Ces quelques témoignages mériteraient une enquête plus systématique de façon à préciser la
fréquence des faits rapportés, les critères sur lesquels portent les discriminations, etc. Ces éléments
incitent surtout à considérer la façon dont les organismes de formation et les prescripteurs gèrent les
relations avec ces entreprises et se positionnent en regard de ces problématiques.
35
5.2 L’accompagnement des demandes discriminatoires
Les prescripteurs et organismes de formation sont directement confrontés à des demandes
discriminatoires de la part de certains employeurs. En effet, certains organismes peuvent développer
des relations privilégiées avec des employeurs qui s’adressent directement à eux pour leur
recrutement. D’autres organismes, dans les suivis qu’ils opèrent suite à la formation, sont mis au
courant des démarches des stagiaires et de leurs éventuelles difficultés à trouver un emploi.
Face à ces demandes, quelles sont les réponses apportées aujourd’hui ? Si certains refusent de
travailler avec des employeurs fondant leur choix sur des critères prohibés, d’autres semblent
anticiper certaines demandes.
Des demandes discriminatoires adressées aux organismes de formation
Les demandes discriminatoires énoncées par les entreprises s’appuient la plupart du temps sur deux
types d’arguments :
- des arguments liés aux stéréotypes associés à certains groupes ;
- des arguments attachés à la cohésion d’équipe.
Les discriminations liées à des stéréotypes
Les prescripteurs comme les organismes de formation connaissent la plupart du temps les
employeurs ouvertement racistes de leur territoire qui refusent l’embauche de personnes d’origine
étrangère. Ces employeurs sont plus ou moins nombreux selon les secteurs. Dans les secteurs du
transport et de l’aide à la personne, les organismes de formation citent quelques employeurs qui selon
eux n’embauchent aucune personne d’origine étrangère. D’autres cas sont cités d’entreprises refusant
d’embaucher des femmes ou des jeunes…
A la catégorie des jeunes sont attachés un grand nombre de stéréotypes. Beaucoup d’employeurs se
montrent réticents face à l’embauche d’un jeune.
« Ça aussi, vis-à-vis des publics jeunes, c’est un problème intergénérationnel. Les
employeurs sont sur leurs représentations de l’employé idéal sans piercing etc. Et les
jeunes disent : « ce n’est pas sur notre mine que l’on doit être jugé ».
Par exemple, en Mission Locale, on fait régulièrement des zooms sur les métiers. Et un
employeur disait : « si vous arrivez avec votre casquette et tout ça on ne vous prendra
pas ». Une jeune fille lui avait répondu : « oui mais c’est parce que vous êtes vieux !
Nous, à votre âge, on trouvera le piercing très bien ».
Référente Formation Mission Locale
Les discriminations pour motif d’équilibre de l’équipe
Dans le transport en particulier, les organismes de formation indiquent que certaines entreprises ont
pu éprouver des difficultés avec certaines populations, soit du fait de leur origine supposée, soit du fait
de leur religion. Par exemple, ils soulignent la difficulté qui tiendrait dans le fait de faire travailler sur
un même quai de déchargement des personnes de nationalités différentes. Ces difficultés ont pu
conduire les entreprises en question à instaurer des sortes de quotas dans leurs effectifs et à refuser
de fait un certain nombre de postes à des personnes d’origine étrangère.
Les réponses apportées
Un cadre contraint
Les acteurs de l’emploi formation sont dans la nécessité de mettre à l’emploi un maximum d’individus.
Cette nécessité relève simultanément d’une contrainte économique et d’une question d’opportunité
pour les demandeurs d’emploi.
L’évaluation des organismes de formation par la Région Rhône-Alpes porte entre autre sur le nombre
de personnes à l’emploi 3 mois, 6 mois, 9 mois et 12 mois après la formation. Même si l’évaluation
n’est pas uniquement comptable – les difficultés rencontrées par un OF pour mettre à l’emploi des
personnes handicapées sont par exemple intégrées – il reste que de nombreux acteurs, et au premier
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chef les organismes de formation eux-mêmes, soutiennent qu’ils ont une exigence de résultat. Cette
exigence de résultat semble peser sur les organismes de formation et les prescripteurs et peut
conduire, pour certains d’entre eux, à ne pas trop interroger les conditions des offres d’emploi du point
de vue des demandes discriminatoires.
La mise à l’emploi est souvent conçue par les organismes de formation comme un objectif
fondamental non seulement pour répondre aux exigences de résultats qui leur sont
administrativement posées mais également pour satisfaire les stagiaires qu’ils forment. Cette
exigence peut conduire à des aménagements avec les problématiques discriminatoires qui prennent
la forme de l’anticipation.
Les réponses aux entreprises : l’anticipation ?
Face à ces pratiques ou demandes discriminatoires, comment les acteurs réagissent-ils ? Beaucoup
indiquent adresser les « bons candidats aux bonnes entreprises », en essayant de faire en sorte de
placer l’ensemble des stagiaires de la formation. Cette démarche a pu les conduire à éviter d’adresser
certains candidats à des entreprises dont ils savaient par avance la position.
« Avant on avait tendance à ne pas envoyer de personnes d’origine étrangère quand on
savait qu’il y avait des risques de discrimination. Les gens ne connaissaient pas la
loi… ».
OF Aide à la personne
Cette pratique d’anticipation permet, en évitant la confrontation directe avec la discrimination, d’éviter
de gérer des situations délicates et d’être confronté à des refus de la part de l’employeur. Cette
pratique peut d’ailleurs partir d’une préoccupation tout à fait noble visant à protéger certains
stagiaires : « ce n’est pas la peine de faire vivre une situation d’échec à une personne, surtout quand
celle-ci est déjà socialement fragile ». Il reste qu’en anticipant les demandes ou les pratiques
discriminatoires, ces acteurs pratiquent eux-mêmes, et de façon tout à fait délibérée, la discrimination.
Si l’anticipation des discriminations est fréquente, certains acteurs essaient toutefois de convaincre
leurs interlocuteurs.
« De temps en temps, on insiste pour que le ou la candidate soit reçu.e parce qu’on sait
que c’est un bon élément ».
OF Transport
Dans le secteur de l’aide à la personne, les organismes de formation, tout en reconnaissant la
prégnance de ces questions, peuvent parfois noter des évolutions auprès d’organismes qui ont été
amenés à dépasser leurs préjugés.
« Certains employeurs ne s’en cachent pas et dans ce secteur c’est assez prégnant.
Quand ils franchissent le pas, en général, après, ils sont satisfaits. Je me souviens d’une
stagiaire ivoirienne. Il y avait de fortes réticences de l’employeur au départ, puis elle a été
en emploi pendant huit ans de suite et la responsable disait « Cécile, (elle avait changé
de prénom), tout le monde la réclame »… et c’est souvent comme ça ».
OF Aide à la personne
Enfin, comme nous avons déjà pu le noter plus haut (1.3), certains organismes de formation tiennent
une position claire par rapport aux demandes discriminatoires en refusant de répondre à toute
demande fondée sur un critère prohibé.
L’accompagnement des demandeurs d’emploi
Les organismes de formation ont une double préoccupation par rapport aux stagiaires qu’ils suivent.
En amont, ils essaient de faire corriger, quand c’est possible, les caractéristiques stigmatisantes de
certains groupes.
« On encourage les stagiaires à chercher pour les stages. Là aussi, ils se confrontent à
certaines difficultés, au téléphone, comment se présenter, etc.
37
On a reçu un jeune homme au style « fashion » qui à mon avis ne passe pas auprès des
employeurs. Là je n’ai rien dit mais ma collègue, vu son âge, s’est permis de dire qu’il
fallait changer de look. Mais c’est vrai que le langage, le chewing gum et l’attitude
comptent beaucoup… alors je ne sais pas si c’est de la discrimination ».
OF Aide à la personne
« On a des femmes qui veulent être nourrice à domicile et qui ne trouveront jamais du
fait de leur nom ou de leur adresse. Parfois, par exemple pour Vaulx-en-Velin ou
Meyzieu, on propose aux gens de recevoir leur courrier chez nous… ».
OF Aide à la personne
En aval, les organismes de formation témoignent de leur embarras pour gérer les personnes
s’estimant être victimes de discrimination. Leur soutien peut dès lors apparaître ténu voire
ambigu.
« Je ne sais pas comment font les collègues. J’essaie de dire aux gens que… j’essaie de
prendre de la hauteur et de dire que, de toute façon, à partir du moment où les
employeurs auront le choix, ils pourront se permettre le luxe de sélectionner sur les
critères qu’ils veulent, le nombre d’enfants, le lieu de résidence, ou être blonde s’ils
préfèrent !
J’essaie de leur faire comprendre que ce n’est pas contre eux personnellement, que c’est
un système. Car c’est un système et on le ramène à la personne ».
Référente formation CIDF
« J’ai tendance à dire que je ne suis pas naïf et que je sais que cela existe. Alors après,
que fait-on ? Soit on pleure à deux, soit on voit comment contourner ces difficultés. On
essaie de leur dire de se détacher psychologiquement de cela pour aller bien… Mais ça
prend plus ou moins de temps selon les individus ».
Conseiller Emploi Formation Mission Locale
Aucun des acteurs n’est actuellement outillé pour accompagner ou tout au moins orienter les
victimes présumées de discrimination vers les recours juridique leur permettant de recouvrer
leurs droits.
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Conclusion
L’analyse des risques discriminatoires dans les parcours de la formation qualifiante en Rhône-Alpes
sur les secteurs de l’aide à domicile et du transport révèle comment cette problématique encore peu
appropriée par les acteurs irrigue l’ensemble du processus d’accompagnement et de sélection vers la
formation.
Les acteurs
Les acteurs intervenant dans les différentes étapes des parcours de formation (prescripteurs,
organismes de formation et entreprises) semblent, pour un certain nombre, ne pas ignorer la présence
de discriminations dans ces parcours, tout en renvoyant généralement ces pratiques délictuelles, pour
beaucoup, aux acteurs intervenant immédiatement avant ou après eux. Simultanément, rares sont les
acteurs ayant pris la juste mesure des problématiques en question (notamment du point de vue
juridique) et engagé un travail de correction de leurs propres pratiques de façon à assurer aux
candidats à la formation une stricte égalité de traitement. La plupart des acteurs, et en particulier les
organismes de formation, se trouvent dès lors démunis face à ces questions et peuvent parfois
prolonger ou participer de processus discriminatoires.
Les risques discriminatoires
Deux types de risques discriminatoires peuvent être distingués. Le premier concerne un ensemble de
représentations et de stéréotypes partagés par les organismes de formation, les prescripteurs, les
entreprises mais aussi les candidats eux-mêmes. Ces stéréotypes peuvent peser sur les informations
qui sont délivrées aux candidats lors des informations collectives ou lors des rencontres avec les
organismes de formation ou les entreprises. Si ces éléments ne sont pas directement discriminatoires,
ils peuvent toutefois décourager certains groupes dans l’accès à des formations et, au-delà, des
métiers qui sont réputés ne pas être pour eux.
Le deuxième type de risque tient dans les différents processus de sélection mis en œuvre dans
l’accès à la formation : des tests et entretiens de motivation auprès des organismes de formation, aux
stages de découverte des métiers en entreprise, en passant par la commission de régulation. A
chacune de ces étapes, un certain nombre de critères prohibés peuvent être de fait avancés dans la
sélection des futurs stagiaires, souvent en anticipation des critères dont il est supposé qu’ils sont
appliqués par l’entreprise.
Les motifs de discrimination
Les motifs discriminatoires les plus courants concernent :
- les convictions religieuses et notamment la problématique du voile qui donne lieu aujourd’hui à des
pratiques très disparates allant de l’égalité de traitement au rejet pur et simple des candidat.e.s ;
- l’âge. La priorité accordée par les « critères Régions » aux personnes de plus de 45 ans semble ne
pas permettre aux personnes de 50 ou 55 ans de s’inscrire dans les formations. De même, les plus
jeunes des candidats seraient écartés au profit des adultes aussi bien du fait d’une mise en
concurrence que des représentations liées à la jeunesse.
- le sexe. Au-delà des représentations sexuées des différents métiers, ce n’est pas tant le sexe en
tant que critère prohibé qui est mis en œuvre dans les sélections que sa combinaison avec la
situation de famille : les femmes ayant charge d’enfants se voient parfois écartées pour défaut de
systèmes de garde.
- l’origine. Là encore le critère de l’origine ne semble pas être un critère de sélection directe des
candidats à l’exception des politiques d’équilibre dans la composition des groupes de stagiaires.
Toutefois, ce critère pourrait être présent de façon indirecte à travers le niveau variable des tests
de sélection à l’entrée.
Quelle évolution possible ?
Si la forte concurrence pour l’accès à certaines formations et les exigences en termes de placement à
l’emploi peuvent expliquer une partie des discriminations, elles ne peuvent en rien les justifier. La
réaffirmation du cadre républicain de l’égalité de traitement, un travail d’accompagnement des
organismes de formation, une clarification de certaines catégories et procédures de sélection ainsi
que des objectifs assignés aux différents acteurs apparaissent aujourd’hui indispensables pour
garantir à tous, quels que soient l’origine, l’âge, le sexe, etc. l’accès aux formations et plus avant à
l’emploi.
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