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THÉÂTRE DE L’ÎLE - 2015 D’APRÈS SHAKESPEARE de Pierre Gope - par la Troupe du Nord Adaptation de José Renault - Traduction de Pierre Gope DOSSIER PÉDAGOGIQUE La Tempête ainsi que d’autres textes de William Shakespeare sont disponibles au Centre de ressources. à partir de la 2nde durée : 1h10 Coproduction : Théâtre de l’île, Région Nord, AFMI, Compagnie Alliage Théâtre SÉANCES SCOLAIRES SÉANCE TOUT PUBLIC mardi 5 mai : 9h et 13h30 mercredi 6 mai : 9h jeudi 7 mai : 9h et 13h30 samedi 9 mai : 18h dimanche 10 mai : 18h Tarif : 600 Frs par personne (élève et accompagnateur) Inscription aux séances scolaires à effectuer sur le site internet du Théâtre de l’île. Les représentations tout public sont aussi ouvertes aux classes. Pour bénéficier du tarif exeptionnel à 1600 Frs réservé aux groupes scolaires, merci d’effectuer une demande auprès du département Jeune Public CONTACTS DÉPARTEMENT JEUNE PUBLIC www.theatredelile.nc ACTIONS CULTURELLES LAURENT ROSSINI Tél. 25.50.52 / [email protected] / Fax.25.50.59 SÉANCES SCOLAIRES CHLOÉ ALVADO Tél. 25.50.52 / [email protected] / Fax. 25.50.59 SOMMAIRE 1. RÉSUMÉ 1 2. DISTRIBUTION 1 2 2 2.1. PIERRE GOPE 2.2. JOSÉ RENAULT 3. LES THÉMATIQUES 3 4. RÉFLÉXION SUR LA TEMPORALITÉ 4 5. REGARDS SUR LA TEMPÊTE 5 5 ABORDÉES DANS LA PIÈCE EXTRAIT DE AVEC SHAKESPEARE DE DANIEL SIBONY 5.1. SHAKESPEARE, NOTRE CONTEMPORAIN PAR JAN KOTT 5.2. LE DIABLE C’EST L’ENNUI PAR PETER BROOK 6. LA TEMPÊTE OU LA MISE EN SCÈNE DE LA MAGIE 6.1. CONTEXTE HISTORIQUE 6.2. LES POUVOIRS DE LA MAGIE 6.3. LES LIMITES DE LA MAGIE 7. FORTUNE SCÉNIQUE DE LA PIÈCE 7.1. EN ANGLETERRE 7.2. EN FRANCE 5 7 7 7 8 10 10 10 8. SHAKESPEARE NOTRE CONTEMPORAIN PAR JAN KOTT 12 9. WILLIAM SHAKESPEARE 14 14 15 15 16 16 17 17 18 20 9.1. 9.2. 9.3. 9.4. 9.5. 9.6. 9.7. 9.8. 9.9. UNE VIE D’HOMME DE THÉÂTRE LE «CANON» SHAKESPEARIEN LES ÉDITIONS L’ART DU DRAMATURGE DE BON USAGE DES SOURCES TEMPS ET ESPACE TECHNIQUES D’ÉCRITURE DRAMATIQUE LA THÉÂTRALITÉ EN MIROIR SHAKESPEARE EN FRANCE Dossier réalisé avec les documents fournis par la Troupe du Nord RÉSUMÉ LA TEMPÊTE La Tempête est l’une des plus belles pièces de théâtre au Monde. Le temps de la représentation, Shakespeare convoque sur le plateau des personnages extraordinaires que Prospero, le Magicien, et Ariel, son Esprit malicieux, dirigent de main de maître. Cette comédie jubilatoire dissèque le cœur humain et ses travers mais aussi ses grandeurs avec humour et émotion. Monter La Tempête aujourd’hui, c’est s’interroger sur la portée du pardon, l’envie du partage, le renoncement de soi et la force de l’amour… entre autre. Autant dire, que c’est une pièce merveilleuse aux multiples entrées et rebondissements. Pendant 70 minutes les personnages vont vous parler du monde et de ses ouragans. Face aux forces climatiques et aux esprits qui nous entourent, chaque être va se découvrir et se révéler. Ce condensé de vie éclaire nos vies à vivre et à venir. José Renault. LES PERSONNAGES IMPORTANTS Alonso Sébastian Ferdinand Prospero Miranda Ariel Antonio Caliban => roi de Naples => frère d’Alonso => fils du roi de Naples => le vrai duc de Milan => la fille de Prospero => un esprit aérien au service de Prospero, servant ce dernier fidèlement, afin de gagner sa liberté. Il est l’esprit positif de l’air et du souffle, symbolisant la vie. => le frère de Prospero, duc de Milan usurpateur, qui accompagne Alonso. Il est à l’origine des malheurs et de l’exil de son frère. => esclave sauvage et difforme gardé en otage sur l’île et soumis au pouvoir de Prospero. Il est le fils de Sycorax, sorcière tuée par Prospero. Il est l’esprit négatif symbolisant la terre, la violence, la mort. Mise en scène Pierre Gope et José Renault Scénographie José Renault Lumières Kristen Arzul Avec Kesh Bearune, Josélita Bernold, Laurence Bolé , Aman Poani, Marie-Colette Tidjine et Mathieu Washoima. DISTRIBUTION Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 1 2 . 1 PIERRE GOPE Pierre Wakaw Gope naît le 31 janvier 1966 en Nouvelle-Calédonie, à Maré, dans l'un des clans de la tribu de Pénélo. Il grandit entre l'école et la vie à la tribu, à l'écoute de son grand-père et de la terre. Jeune stagiaire au développement, il accomplit en 1990 un long périple autour de la Grande Terre calédonienne pour enquêter sur les origines du peuple kanak. Un an plus tard, il découvre le théâtre et il a l'immédiate conscience qu'existe là une forme rendant possible une parole nouvelle. Il quitte alors pour la première fois sa terre natale en direction d'Abidjan où il travaille avec Souleyman Koly. Puis il rejoint Peter Walker au Vanuatu, suit une formation avec Peter Brook à Rennes et fonde au début des années 1990 sa propre troupe, la Compagnie Cebue (Cebue signifie « mémoire » en nengone, la langue de l'île de Maré). Dès 1992, la création par celle-ci de Wamirat, le fils du chef de Pénélo révèle toute l'originalité d'une voix qui s'attache à tisser les ressources formelles et symboliques de la langue française et de la langue maternelle de l'auteur, le nengone. Et qui sait s'appuyer sur la théâtralité des cultures océaniennes, où l'humour et la poésie, la malice et la solennité font étonnamment bon ménage. Cette voix n'a pas cessé depuis d'interpeller la société qui est la sienne. Celle de la Nouvelle-Calédonie qui entend se projeter dans un destin commun à toutes ses communautés. Celle de la société kanak à laquelle Pierre Gope renvoie un miroir qui sait se faire sans concessions, sur des thèmes aussi difficiles que le viol, l'inceste, le suicide, l'alcoolisme, la compromission sous toutes ses formes, la violence. Mais en l'appelant à aller chercher en elle-même, en ses valeurs profondes d'accueil et d'ouverture aux apports de l'extérieur, la force de dire non à l'exclusion et de maîtriser son développement. 2 . 2 JOSÉ RENAULT C’est au Théâtre Universitaire de Reims, de 1978 à 1981, que José Renault commence sa formation théâtrale. Puis, il prend part aux cours du Centre Dramatique de Reims animés par P. Adrien, D. Romand, P. Romand, J. Mignot, R. Renucci avant de rejoindre l’Ecole Charles Dullin où il travaillera sous la direction de M. Hermant, C. Charras, R. Renucci, P. Toutain, Y. Kerboul et P. Lerat. Il signe ses premières mises en scènes dans le cadre du Théâtre Universitaire de Reims : Le mariage forcé de Molière (1984), Le préjugé vaincu de Marivaux (1986), il est collaborateur de Christian Schiaretti à la Comédie Française pour la mise en scène des Coréens de Michel Vinaver. Amoureux des grands textes, José Renault poursuit sa recherche théâtrale avec les comédiens et techniciens de l’Alliage théâtre et en signe les mises en scène depuis 1986. Il y développe les notions de troupe, répertoire et alternance. L’Alliage Théâtre est une compagnie conventionnée par le ministère de la Culture depuis 1999. En 1997 et 1998, José Renault est chargé de mission au Maroc pour l’organisation du Festival National de Théâtre Scolaire (Fès, Mekhnès, Tanger, Tétouan, Rabat, Casablanca) en partenariat avec le Centre Culturel Français de Mekhnès. En 2002, il met en scène avec des artistes béninois Instincts primaires, combats secondaires de Florent Couao-Zotti en coproduction avec le Centre Culturel Français de Cotonou présenté au Festival International de Théâtre du BENIN. Entre 2002 et 2004, il mène plusieurs missions au Bénin : il enseigne à l’École Internationale du Bénin, puis dans le cadre de la formation continue d’acteurs au Centre Culturel Français. En 2004, il crée Certifié Sincère de Coua-Zotti avec une équipe franco-béninoise en coproduction avec le Centre Culturel Français de Cotonou (Festival International du Bénin puis tournée à Cotonou, Porto-Novo, Parakou, Ouidah et Abomey). En mars 2006, il crée une nouvelle mise en scène de Ma Famille de Carlos Liscano à Conakry (Guinée) avec des acteurs guinéens en partenariat avec l’Unicef et le Centre Culturel Franco-Guinéen. Spectacle retenu par Cutlurefrance pour une tournée en Afrique de l’Ouest. En avril 2007, avec le centre culturel Tjibaou de Nouvelle-Calédonie, il met en scène Roméo et Juliette, un texte de Pierre Gope (tournée Grande Terre et îles Loyauté). En novembre 2007, il part au Tchad à N’djamena pour un stage de formation d’acteurs. Il crée au Centre Culturel Franco-Guinéen de Conakry Le Livre Brûlé d’après Duras en février 2008. En novembre 2008, mission en Martinique à l’invitation du ministère de la Culture. En mars 2009, retour au Bénin à l’EITB pour un stage sur le théâtre kanak. En juillet 2009, avec le Théâtre de l’Île de Nouvelle-Calédonie, il met en scène Raf Banni de Pierre Gope. En Champagne-Ardenne, il est responsable à l’Université de Champagne-Ardenne d’unités transversales, des options lourde et légère du Lycée St Exupéry de Saint- Dizier, de l’option légère du Lycée Roosevelt de Reims et participe à la formation des enseignants pour le Rectorat. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 2 LES THÉMATIQUES ABORDÉES DANS LA PIÈCE LE POUVOIR ET LA LIBERTÉ La Tempête, dernière pièce de Shakespeare, s'articule autour du thème du pouvoir et de la liberté mais son champ dépasse largement celui de la réalité car elle est avant tout métaphore de l'incursion d'un autre monde qui bouleverse les certitudes. La première scène nous transporte d'emblée sur la mer en furie. Un navire portant à son bord le roi de Naples et son fils ainsi qu'Antonio, le duc de Milan, y affronte la tempête. Les naufragés échouent séparément sur différents rivages d'une île où règne le magicien Prospero, dont le frère Antonio a usurpé le pouvoir pendant son absence. Un seigneur exilé devenu lui-même maître de ce royaume enchanté après en avoir dépossédé Caliban et avoir asservi ce "démon", fils d'une sorcière. Prospero, qui a commandé cette tempête à son charmant esprit de l'air Ariel, pour se venger de son frère ainsi que du roi et des seigneurs qui l'ont rallié, se croit libre et tout puissant, maître de l'illusion et du destin. Mais le pouvoir et la liberté qu'il a conquis ne sont-ils pas illusoires ? Tous ces personnages qui se retrouvent enfermés dans cette île, "cellule" symbolisant le monde, s'y livrent en effet à de multiples manœuvres, intrigues et complots ; quant à Miranda, la fille de Prospero, et à Ferdinand, le fils du roi, ils vont s'y rencontrer et s'aimer. Tout concourt à brouiller les frontières entre vérité et mensonge, réalité et illusion et à renverser les certitudes... LA COLONISATION ? La Tempête est une pièce très riche d'interprétations et il ne faudrait pas la réduire à une lecture uniquement politique. Certains y ont même trouvé, en extrapolant quelque peu, une métaphore de la colonisation. Caliban a en effet été dépossédé de sa terre natale par Prospero qui, renonçant à civiliser cette brute à laquelle il a inculqué sa langue, l'a réduit en esclavage. Et si Caliban réussit finalement à s'affranchir de son maître et croit avoir retrouvé sa liberté c'est pour mieux tomber sous la domination de Stéphano, un sommelier ivre qui l'a fait boire... Mais Shakespeare, qui a écrit cette pièce à une époque de grandes explorations, a sans doute tout simplement répondu à la curiosité du public anglais pour ces indigènes peuplant les nouvelles terres découvertes. Un texte par ailleurs bien antérieur au mythe du bon sauvage initié par Rousseau. Et La Tempête s'avère, beaucoup plus largement, une réflexion quasi métaphysique sur le pouvoir et la liberté des hommes dans ce monde, dont seul l'amour semble sortir vainqueur. L’AMOUR Le troisième acte semble très parlant à cet égard. Il se compose de trois scènes s'attachant aux trois groupes de naufragés disséminés sur l'île et faisant s'affronter trois pouvoirs : le pouvoir réel des rois de ce monde, celui de l'amour et celui de l'illusion. Dans chacune des scènes, un hôte invisible s'invite, ce lien continu entre le monde visible et l'invisible étant sans doute un des aspects les plus intéressants de la pièce. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 3 Et les deux derniers actes, réduits chacun à une seule scène, semblent tirer la morale de cette fable : si l'empire de la réalité semble bien précaire face à celui de l'illusion, celui de l'amour paraît supérieur. Après avoir mis à l'épreuve les deux amoureux, Prospero donne en effet sa fille à Fernando. Il veut offrir au jeune couple une «illusion née de son art», mais les esprits du ciel, de la terre et des eaux disparaissent au son d'une rumeur étrange ramenant Prospero à la réalité, lui rappelant la précarité de son pouvoir. Ému par le triomphe de l'amour, il se laisse aller à la clémence sous les conseils d'Ariel. Il pardonne à tous et libère ce dernier, abjurant sa magie en signe d'humilité face à un monde invisible qui le dépasse. Ayant rejeté l'illusion et les vanités de ce monde, uniquement accessible désormais à l'amour et à la compassion, il achève son parcours spirituel en paraissant plus libre. L’HOMME La Tempête est une tragi-comédie abordant la noirceur de la nature humaine - tant "primitive" que "civilisée"- de manière apaisée, une pièce pleine d'ironie où cohabitent avec bonheur un comique truculent et une poésie aérienne. Plus d’informations sur l’approche de Peter Brook p.4 Dans les mises en scène récentes, Peter Brook, en faisant jouer des acteurs de tous pays, et notamment issus de sociétés encore traditionnelles moins ancrées dans la rationalité, avait réussi à rendre palpable un autre monde tout en montrant la réalité de celui des hommes, ce qui semble la fonction de la littérature et de l'art en général, et fait du théâtre de Shakespeare une œuvre universelle et intemporelle. RÉFLÉXION SUR LA TEMPORALITÉ EXTRAIT DE AVEC SHAKESPEARE DE DANIEL SIBONY À propos de l’acte I, scène II La scène père-fille commence par un saut dans l’oubli, dans le trou de la mémoire ; la fille ne se souvient de rien si ce n’est qu’elle était entourée de femmes. Souvenir premier insignifiant mais qui rappelle qu’elle n’est pas née de son seul père... « Que vois-tu encore dans le sombre recul abyssal du temps ? » Le temps, ici, est essentiel. En principe, rien n’est plus facile que de déclencher plusieurs temps à la fois dans plusieurs directions. Dans Othello, le temps évoque, comme dans les dessins de Escher, de grands écarts qui, une fois le tour accompli, se réduisent à rien ; et le jour des uns dure autant qu’un long voyage des autres. Car les fantasmes « fonctionnent » comme des objets-temps, comme des espaces avec un temps qui leur est propre. Or cette pièce a lieu en temps réel. Sa durée intérieure est celle de sa représentation. Comme quoi, même si tout cela n’est que fantasme, rêve, magie, hypnose, ou événement, l’important est que ce soit raconté ; le temps est le temps que ça prend pour être vécu ; ce qui se présente, c’est ce qui se représente. La pièce est donc à une frontière entre conscient et inconscient ; penchée du côté inconscient. C’est un montage, une sorte d’appareil psychique avec sommeils, refoulements, temps de repos, éclatement, interprétations de rêves, fantasmes et tout se dit le temps de le vivre. Ici le temps est à la fois temps du récit et récit d’un temps non créé ; deux temporalités, qui laissent entre elles la magie des coïncidences. Prospero parle de conjonction d’étoiles. Il s’agit de savoir s’en servir, de s’offrir l’occasion de pouvoir y survivre, de pouvoir survivre à soi-même. [...] Le père veut transmettre à sa fille des fragments de mémoire. « Est-ce que tu m’écoutes ?... m’entends-tu ? » ; trois fois répété. Façon de dire pour la fille, cause toujours, je mettrai le reste en réserve et les silences en mémoire. Mais il faut du récit, des histoires. Il en raconte et il en fait. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 4 REGARDS SUR LA TEMPÊTE DE WILLIAM SHAKESPEARE 5 . 1 SHAKESPEARE, NOTRE CONTEMPORAIN (EXTRAIT) PAR JAN KOTT [...] La Tempête est l’autobiographie philosophique de Shakespeare et la somme de son Théâtre. Elle est le drame des illusions perdues, de la sagesse amère et d’un espoir fragile mais obstiné. Les grands thèmes de la Renaissance y renaissent : l’utopie philosophique, les limites de la connaissance, l’homme maître de la nature, l’ordre des valeurs constamment menacé, la nature qui est et n’est pas la mesure de l’homme. On retrouve dans La Tempête, le monde du temps de Shakespeare, celui des grands voyages, des continents fraichement découverts et des îles mystérieuses, celui des rêves, l’homme s’élevant dans les airs pareil à un oiseau, des machines pouvant conquérir les plus puissantes forteresses. Une époque qui a vu une révolution s’opérer en astronomie, en anatomie, l’époque de la communauté des savants, des philosophes et des artistes, de la science qui pour la première fois est devenue universelle, de la philosophie qui a découvert la relativité de tous les jugements humains, l’époque des plus beaux monuments de l’architecture, l’époque des guerres de religion et des buchers de l’inquisition, au faste et au raffinement inconnus jusqu’alors, tandis que des épidémies décimaient les villes. Un monde merveilleux, cruel, dramatique qui soudain, dévoile toute la puissance de l’homme et toute sa misère [...] 5 . 2 LE DIABLE C’EST L’ENNUI PAR PETER BROOK (EXTRAIT) [...] Dès que l’on aborde les problèmes difficiles dans une pièce, on se trouve confronté à la fois à la nécessité de l’intuition et à celle de la réflexion. On ne peut se passer ni de l’une ni de l’autre. [...] « PROSPERO : Vous avez l’air, mon fils, d’être d’humeur troublée, comme par le chagrin. Allons, un peu de joie, nos fêtes maintenant sont finies. Nos acteurs, comme je vous ai dit, n’étaient que des esprits qui se sont dispersés dans l’air, dans l’air léger, et de cette vision le support sans racine, les tours couronnées de nuages, les palais somptueux, les temples solennels et le vaste globe lui-même et tout, oui tout ce qui peut hériter de lui, va se dissoudre un jour et, comme ce spectacle immatériel s’est effacé, il ne laissera pas une traînée de brume, car nous sommes de cette étoffe dont les rêves sont faits. Notre petite vie Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 5 est entourée par un sommeil. Monsieur, je suis inquiet, supportez ma faiblesse, ma vieille cervelle se brouille, que mon infirmité ne vous dérange pas, si vous voulez, retirez-vous dans ma cellule et reposez-vous la. Je fais un tour ou deux pour calmer ces coups dans ma tête. » Vous voyez, ce texte est incroyablement dense et compliqué. Quelle est la première obligation ? L’acteur doit arriver à jouer ce passage en donnant l’impression que cette manière de parler est naturelle. Ce serait un mépris absolu pour un grand auteur comme Shakespeare (le penser qu’en écrivant sa dernière pièce, il se serait dit subitement : « Bon, maintenant j’arrête de faire du théâtre, je vais faire de la littérature. Installez-vous bien dans votre fauteuil, moi Shakespeare, je vais vous faire de la poésie ! » Je dis cela en plaisantant mais pendant longtemps, en Angleterre, la tradition victorienne, qui court encore aujourd’hui, prétendait que Shakespeare prenait pour prétexte une petite intrigue idiote pour en faire « de la littérature ». Les amateurs de littérature allaient à la dégustation, sautant les bêtises de l’intrigue en buvant un verre de vin, pour se délecter de temps en temps des beaux passages. Celui qui vient d’être lu était de ceux-là, les grands acteurs de l’époque faisant résonner de leurs belles voix la valeur poétique de ces mots. Cette conception est totalement absurde. Cependant, par réaction, un acteur moderne est complètement perdu, démuni devant ce texte en pensant : « Si tout ce qui est dit est véritablement l’expression de ce personnage, cela veut dire que c’est réaliste. Donc, pour que cela soit convaincant, il faut que je parle comme si c’était un dialogue naturel, connue dans une conversation. Or, c’est impossible. Sauf peut-être la première phrase. » [...] « Vous avez l’air, mon fils, d’être d’humeur troublée connue par le chagrin. Allons, un peu de joie. » « Allons, un peu de joie » Il s’agit d’un être humain qui dit à une autre personne : « Qu’estce que tu as, toi ? Allons, un peu de joie ! » C’est une phrase simple sur la vie et si l’acteur, par automatisme, prend une voix solennelle, une voix « shakespearienne » pour dire cela, il ridiculise évidemment le texte. Quelle est la dernière phrase ? « Monsieur, je suis inquiet » Voici encore une phrase de tous les jours. On peut le dire de mille manières mais ça rentre dans la gamme des « Bonjour » que nous évoquions précédemment. « Monsieur, je suis inquiet » ne peut devenir non plus une phrase solennelle sauf à ridiculiser à nouveau le texte. Nous avons pris là les deux moments les plus clairs, faciles à aborder, parce que les phrases correspondent à des relations quotidiennes. Maintenant une question essentielle se pose : Shakespeare aurait-il pu dire la suite de la même manière ? Il suffirait de faire une improvisation sur le même contenu, à savoir une réflexion sur la vie, sur l’illusion, sur la mort, pour constater que nous aurions besoin de dix fois plus de mots. Si l’on considère la notion dont nous parlions hier, la différence entre le théâtre et le nonthéâtre qui est la concentration de la vie, de la vérité, nous voyons que le grand art du grand écrivain est de trouver, par des moyens très subtils, une manière très ramassée de dire les choses. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 6 LA TEMPÊTE OU LA MISE EN SCÈNE DE LA MAGIE 6 . 1 CONTEXTE HISTORIQUE La Tempête est précisément ancrée dans son époque. Le titre fait référence à un véritable ouragan qui, le 3-4 juillet 1609, a dispersé les vaisseaux d’émigrants britanniques partis de Plymouth vers la Virginie sous le commandement de Geoge Somers, et a fait s’échouer le navire amiral dans les parages des mudes. Pendant neuf mois, les naufragés sont restés prisonniers d’une île, totalement coupés du monde extérieur. C’est seulement en mai 1610 qu’ils réussisirent à gagner les côtes américaines, puis à retourner en Angleterre où leur aventure allait enfiévrer les imaginations. Shakespeare put lire entre autres à ce sujet le récit de Silvester Jourdan, A Discovery of the Bermudes, otherwise called the isles of Devils (Découverte des Bermudes, autrement nommées Îles des Diables), titre laissant clairement supposer l’existence d’îles enchantées. Une telle évocation devait être spécialement appréciée à un moment où l’occultisme était en faveur en Angleterre et notamment dans les milieux proches de Shakespeare. Ainsi, un certain John Dee, alchimiste et astrologue renommé, a peut-être inspiré le personnage de Prospéro, héros de La Tempête. Le roi Jacques Ier lui-même s’intéressait aux études occultes, et c’est devant lui qu’a eu lieu la première représentation connue de la pièce, le 1er novembre 1611 au Banqueting House à Whitehall. Un contexte favorisait donc bien le fait que la magie constitue l’un des sujets essentiels de La Tempête à la fois dans ses pouvoirs et ses limites. 6 . 2 LES POUVOIRS DE LA MAGIE Le héros de La Tempête exerce effectivement des pouvoirs surnaturels et dès le début, en provoquant cette tempête qui donne son titre à la pièce et nous transporte d’emblée dans le monde de l’illusion : les passagers du vaisseau resteront en vie et garderont des vêtements immaculés, mais ils seront transportés sur le rivage en dépit des lois de la nature. Tout au long de la pièce, Prospéro commande aux esprits de l’air, représentés par Ariel et plusieurs elfes. Avec leur complicité, il produit dans la nature ou sur les êtres humains des effets qui dépassent l’entendement. Plus précisément, à l’image (les astrologues en vogue dans l’Angleterre de l’époque) Prospéro exerce la magie blanche et s’oppose ainsi à la magie noire des puissances néfastes. Cette dernière est incarnée par la sorcière Sycorax, mère de l’esclave sauvage et difforme qu’est Caliban, et qui avait tenté en vain d’asservir les esprits de l’air, car, en arrivant dans l’île, Prospéro avait délivré Ariel pour en faire son auxiliaire. La magie blanche qu’exerce Prospéro consiste à instaurer le « bettering of [the] mind », c’est-àdire le perfectionnement de l’esprit. Certes, a priori, en tant qu’ex-duc légitime de Milan, Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 7 Prospéro semble animé d’intentions plus intéressées, puisque par ses actions tragiques il veut démasquer son frère l’usurpateur et ainsi recouvrer son duché. Mais ces projets peuvent n’apparaître que comme des voies d’accès à un plus noble dessein, d’ordre spirituel : rétablir dans son harmonie une société souffrant d’être aux mains d’un traître. La preuve en est due, dès le début de la pièce, Prospéro, en promettant à Ariel de lui rendre sa liberté une fois l’ordre rétabli, annonce en quelque sorte qu’il renoncera alors à ses charmes. Le héros de La Tempête semble donc glorifier les pouvoirs de la magie, d’autant plus qu’il avoue être au sommet de son art au montent précis où il doit le pratiquer : « La Fortune, prodigue maintenant de ses faveurs, Jette mes ennemis sur ce rivage ; Et [...] cela, c’est au moment même Où ma science prévoit que mon zénith Est visité d’une certaine étoile, très propice, Dont il faut que j’accueille le bon influx.» On a pu dès lors estimer qu’en écrivant La Tempête Shakespeare avait voulu manifester sa propre adhésion à l’occultisme. C’est notamment l’opinion de Frances Yates, pour qui « Prospéro est à l’apogée du long combat spirituel qu’ont mené Shakespeare et ses contemporains. Il [...] établit la légitimité de la Kabbale blanche ». Cependant, dans la mesure où il écrit non pas un traité occultiste mais une œuvre littéraire, et certes fort complexe, Shakespeare se serait-il borné à glorifier l’art de la magie sans en montrer ses limites ? 6 . 3 LES LIMITES DE LA MAGIE Prospéro n’incarnerait-il pas tout autant une critique qu’un éloge de la magie ? C’est la thèse que soutient l’un des derniers traducteurs de La Tempête le poète Yves Bonnefoy, dans sa longue et riche préface à la récente édition de la pièce dans la collection « Folio Théâtre ». Son premier argument est le désintérêt que Prospéro manifeste envers les êtres humains, à l’exception de sa fille Miranda. Il est bien sûr normal que ce duc dépossédé n’éprouve qu’aversion et mépris pour son frère Antonio et ses complices et ne soit guère attiré par le roi de Naples Alonso et ses courtisans. S’il semble en revanche montrer de l’estime, voire de l’affection au vieux conseiller Gonzalo et une certaine bienveillance à son futur gendre Ferdinand, fils du roi de Naples, n’est-ce pas parce que le premier l’a aidé au moment où il a été exilé et parce que le second représente un des moyens qu’il a choisis pour mener à bien sa présente entreprise ? Car c’est la société dans son harmonie et non les individus qui importent pour Prospéro, personnage qui se complaît dans une certaine réclusion sur soi. En outre, ce représentant de la magie blanche n’est pas exempt de zones d’ombre. Elles se révèlent en particulier à travers l’hostilité qu’il manifeste à l’égard de son frère et de Caliban. Pour se venger du premier, il imite ses méfaits, puisque l’attirant à sa manière dans ses filets, il reproduit l’action dont Antonio fut coupable ; ainsi « A voir maintenant Prospéro calquer le comportement de son frère [...] on se dit qu’Antonio est une part de lui-même », une part mauvaise qu’il a voulu écarter pour devenir mage, mais qui subsiste néanmoins en lui. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 8 Pareillement, son acharnement contre Caliban ne refléterait-il pas un autre aspect nocturne de Prospéro, qu’il n’a pas su sublimer ? Plus généralement, le sage qu’il prétend être trahit à plusieurs reprises un mauvais caractère, des sautes d’humeur, de l’agressivité à la mélancolie. Dès lors, la pièce se termine-t-elle vraiment par une victoire de Prospéro ? Certes, il a su piéger ses rivaux et, mieux encore, il va dominer son instinct de vengeance à leur égard en leur accordant son pardon, mais le désordre du monde n’en sera pas pour autant anéanti : Antonio le traître et Sébastien son complice ne se repentent pas ; même le mariage de Miranda et de Ferdinand ne rétablira peut-être pas l’harmonie, car la future épouse s’apprête à subir les lois de son mari, sachant qu’elle comptera moins pour lui que ses ambitions d’homme de pouvoir. De toute façon, en choisissant de pardonner, Prospéro décide simultanément de renoncer à ses pouvoirs de mage, qui ne pourraient désormais que le détourner de la vertu : au début de l’acte V, il abjure solennellement « Cette magie primaire » qui ne conduit pas au salut de l’âme. Plus nettement encore, dans l’épilogue, élément inhabituel dans les pièces de l’époque, Prospéro, s’avançant vers le public, le dos tourné à l’île des illusions, avoue : « J’ai renoncé tous mes channes Et n’ai donc plus d’autres armes Que ma pauvre humanité. » Le mage qu’il était, cet « être arrogant, brutal même, qui ne doutait ni du bien-fondé de son droit ni de la valeur de sa science, voici qu’il se consent désormais et s’avoue l’homme le plus ordinaire : duc de Milan peut-être, mais sans vrai bien que sa conscience de soi, d’ailleurs précaire ; et en risque de désespoir s’il ne reçoit pas d’autres êtres la sympathie que tout au long de ce jour il n’ a guère su accorder lui-même ». Jamais peut-être Shakespeare n’a aussi directement et intimement parlé à son spectateur que dans cet épilogue émouvant qui suggère finalement que le surnaturel n’était qu’illusion et que la vérité est humaine, mais aussi que les limites sont floues entre le réel et le rêve et que, comme le dit le passage le plus célèbre de la pièce, « Nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits ». Dès lors, le vrai magicien, celui qui fait de ses songes une vérité, ce n’est pas Prospéro, c’est Shakespeare, c’est le théâtre, qui met en scène cette magie. C’est peut-être pourquoi La Tempête a été si souvent représentée. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 9 FORTUNE SCÉNIQUE DE LA PIÈCE 7 . 1 EN ANGLETERRE Après les premières représentations de 1611 à 1613, des adaptations de La Tempête furent écrites à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe. En 1667, William et John Dryden ajoutent trois personnages : une sœur de Caliban, une mère de Miranda et un beau jeune homme, Hippolito. Cette nouvelle Tempête est adaptée en un opéra auquel Purcell apporte sa musique en 1695, et, jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, cette adaptation est jouée de préférence à l'œuvre originale. Celle-ci reprend ses droits en 1757 avec le grand David Garrick ; puis en 1767, Charles Kean inaugure une tendance à renforcer par des effets scéniques les aspects illusionnistes de la pièce. A la fin du XIXe siècle, les représentations deviennent de plus en plus conformes à celles du théâtre du Globe ou de la cour du roi Jacques Ier. Parmi les mises en scène récentes, signalons celle de Jonathan Miller à Londres, qui transposa l'œuvre en dénonciation du colonialisme, et surtout celles de Peter Brook, d'abord à Stratfordon-Avon en 1963, puis à Londres en 1968 dans une version délibérément outrée. Le grand acteur John Gielguld a interprété Prospéro à quatre reprises, et La Tempête a aussi inspiré plusieurs films, dont Prospero's Books de Peter Greenaway (1991). 7 . 2 EN FRANCE Alors que La Tempête n'a presque jamais cessé d'occuper les scènes anglaises, on n'en trouve pas trace dans nos théâtres avant 1955. La complexité et la polysémie de la dernière pièce de Shakespeare ont-elles jusque-là fait peur à nos metteurs en scène ? Encore ne sont-ce, dans les années 1950-1960, que les artisans de la décentraliisation et quelques bons amateurs qui osent s'y affronter. La première mise en scène recensée date de juillet 1955, où John Blatchley monte à SaintÉtienne l'adaptation de Jacques Copeau sous une tente de cirque dotée de voiles par [...] Bazaine : Jean Dasté est Prospéro, Delphine Seyrig, Ariel. En 1958, Jean Deschamps monte la pièce dans une adaptation d'Yves Florenne, et, en 1963, Jacques Mauclair la fait tenir sur la petite scène de l'Alliance française. Puis les événements de 1968 suscitent une vogue de mises en scène engagées de La Tempête. Une vision anticolonialiste apparaît dans l'adaptation du poète martiniquais Aimé Césaire ou Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 10 dans l'espèce de tournage de western réalisé par Jean-Marie Serreau dans le contexte du Black Power en 1969, où Michael Lonsdale joue un Prospéro capitaliste esclavagiste. En 1974, la lecture brechtienne de Bernard Sobel au TEP vent voir dans la pièce une prise de conscience politique de Shakespeare, qui dénoncerait son idéalisme antérieur. A ces visions un peu trop réductrices succèdent des spectacles drôles et poétiques. En 1981, La Tempête est montée par François Marthouret sur une scène en pente surplombant une plate-forme ovale et avec des costumes insolites : Ariel porte salopette grise et baskets argentées. En 1986, à Avignon, Alfredo Arias voit la pièce en conte philosophique drôle et amer présentant un monde désacralisé merveilleux et cruel ; Pierre Dux y campe un Prospéro despote éclairé, lucide et bonhomme. Dans ces années quatre-vingt, deux magnifiques Tempête viennent d'Italie. En 1983, au théâtre de l'Europe, le grand Giorgio Strehler crée, sous une étincelante simplicité, une merveille de précision et de légèreté dans une douce lumière : les personnages évoluent sur une plage de sable blanc encadrée de signes astrologiques sur un rectangle de lattes entre deux mers de toile. En 1987, c'est le Teatro de Bologne qui présente une admirable mise en scène dans un climat magique mêlant la portée initiatique et la vigueur comique de la pièce. Toutefois, ces brillantes réussites vont se trouver surpassées par l'extraordinaire mise en scène de Peter Brook en 1990 puis en 1992 aux Bouffes du Nord. Le grand homme de théâtre donne au texte adapté par Jean-Claude Carrière une clarté lumineuse, magnifiée par une constante invention scénique avec des comédiens de tous les continents. Peter Brook estime que La Tempête est plus que jamais d'actualité en cette fin de XXe siècle, « parce qu'elle affirme d'une manière exceptionnelle des valeurs dont nous manquons le plus : la tolérance, la compassion, la miséricorde ». Après cette splendeur, deux mises en scène sont cependant parvenues à être remarquées. En 1992, pour le cinq centième anniversaire du voyage de Christophe Colomb, le Guatémaltèque Mario Gonzalez replace à nouveau la pièce dans un contexte colonial : l'île est symbolisée par une tournette double où les courtisans tournent comme des mannequins. Surtout, en 1993, au théâtre d'Hérouville, Michel Dubois, faisant revêtir aux acteurs des costumes d'époques disparates, cherche à mettre en valeur l'universalité de la pièce [...]. Extrait de L'Ecole des Lettres II La Tempête de Shakespeare, De la magie au théâtre à la magie du théâtre n°11, 1997-1998 Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 11 SHAKESPEARE NOTRE CONTEMPORAIN LA BAGUETTE DE PROSPERO [...] Le récit de Prospero est une histoire de lutte pour le pouvoir, de contrainte et de complot. Mais ce n'est pas seulement l'histoire du duché de Milan. Le destin d'Ariel et de Coriolan sera une répétition de ce même thème. Le théâtre de Shakespeare est le Theatrum Mundi. La violence et la terreur en tant que principes du monde seront montrées en catégories cosmiques. La préhistoire d'Ariel et de Caliban est la répétition des tribulations de Prospero, une illustration supplémentaire du même thème. Les drames de Shakespeare sont construits non pas conformément au principe de l'unité d'action, mais au principe de l'analogie, d'une double, triple ou même quadruple intrigue qui répète le même thème essentiel ; ce sont des systèmes de miroirs convexes et concaves qui reflètent, grossissent et parodient une même situation. [...] Qui est Prospero et que signifie sa baguette ? Pourquoi chez lui la science est-elle associée à la magie et quel est le sens dernier de sa confrontation avec Caliban ? Car en définitive, ce sont Prospero et Caliban les héros de La Tempête. Pourquoi retourne-t-il désarmé dans le monde des hommes ? Dans aucun des chefs d'œuvre de Shakespeare, à l'exception du seul Hamlet, n'ont été montrées aussi brutalement que dans La Tempête l'antinomie entre la grandeur de l'esprit humain et la cruauté de l'histoire, la fragilité de l'ordre des valeurs. C'est là une antinomie profondément ressentie par les hommes de la Renaissance et qui, pour eux, était tragique. Les neuf sphères célestes immuables qui, conformément à l'enseignement médiéval, se disposaient concentriquement autour de la terre, étaient la garantie de l'ordre naturel. A la hiérarchie céleste correspondait la hiérarchie sociale. Or les neuf cieux n'existent plus. La terre est devenue l'une des poussières de l'espace étoilé, tandis que simultanément l'univers se rapproche ; les corps célestes se meuvent selon les lois que la raison humaine vient de découvrir. La terre est devenue à la fois très petite et très grande. L'ordre naturel a perdu son sacre, l'histoire n'est plus que l'histoire de l'homme. On aurait pu rêver qu'elle allait changer. Mais elle n'a pas changé. Jamais encore on n'a si douloureusement ressenti le déchirement entre le rêve et la réalité, entre les possibilités qui résident en l'homme et la misère de son sort. Tout aurait pu changer et rien n'a changé. [...] Le grand monologue de Prospero au cinquième acte de La Tempête, où les romantiques déchiffraient l'adieu de Shakespeare au théâtre est une profession de foi dans la puissance démiurgique de la poésie, et est en réalité très proche de l'enthousiasme de Léonard* pour la puissance de l'esprit humain qui a arraché à la nature ses forces élémentaires. Ce monologue est un lointain écho d'un passage célèbre des Métamorphoses d'Ovide. Le monde est vu dans son mouvement et sa transformation, les quatre éléments, la terre, l'eau, le feu et l'air, sont libérés mais ils n'obéissent plus aux dieux, ils sont au pouvoir de l'homme qui bouleverse pour la première fois l'ordre de la nature. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 12 [...] L'homme est un animal comme les autres, plus cruel seulement, peut-être, mais au contraire de tous les autres, il a conscience de son destin et veut le changer. II naît et meurt dans un temps qui lui échappe et jamais il ne pourra s'y résigner. La baguette de Prospero contraint l'histoire du monde à se répéter sur une île déserte. Les acteurs peuvent la jouer en l'espace de quatre heures. Mais la baguette de Prospero ne peut changer le cours du monde. La moralité une fois achevée, le pouvoir de magicien de Prospero doit également prendre fin. II ne lui reste plus qu'une amère sagesse. *Léonard de Vinci Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, 1962 Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 13 * WILLIAM SHAKESPEARE Stratford on Avon 1564-1616 Le plus illustre poète dramatique de tous les temps, dont l'œuvre reste unique par sa diversité, sa richesse, sa profondeur et sa beauté poétique. 9 . 1 UNE VIE D’HOMME DE THÉÂTRE Sa vie est aussi bien connue que celle de beaucoup d'auteurs de son temps. II fréquente probablement la très bonne école de Stratford, mais ne va pas à l'université. En 1582, il épouse Ann Hathaway, de huit ans son aînée, qui donne le jour six mois plus tard à une fille, puis, en 1585, à des jumeaux. On le perd de vue pendant sept ans. Il n'est pas impossible (l'hypothèse a été reprise récemment) que pendant ces « années perdues » il ait servi, comme précepteur ou maître d'école, une grande famille catholique du Lancashire. Il est possible aussi qu'il se soit joint à une compagnie en tournée. On le retrouve à Londres en 1592, acteur et auteur suffisamment envié pour être attaqué par Greene*. Et 1593 et 1594 (années où les épidémies de peste paralysent la vie théâtrale) il publie deux volumes de poèmes : Vénus et Adonis et le Viol de Lucrèce (ses Sonnets, qui datent de la même époque ou des années immédiatement postérieures, ne verront le jour qu'a 1609). En 1595, il est, avec R. Burbage et W. Kempe, l'un des trois signataires d'un reçu pour des représentations données à la cour pendant les fêtes de Noël 1594 par les Chamberlain's Men, ce qui semble indiquer qu'il occupe déjà une place importante dans cette compagnie. En 1597, il achète l'une des plus belles maisons de Stratford. Il connaît donc très tôt le succès et la prospérité. Actionnaire de sa compagnie et du théâtre du Globe puis de celui de Blackfriars, acteur et auteur attitré de la première troupe d'Angleterre, il vécut sans doute la vie d'un homme de théâtre professionnel jusque vers 1610. Il regagne ensuite sa ville natale, mais sans rompre complètement avec ses camarades. Son testament mentionne des dons à Burbage, et à deux autres de ses associés, John Heminge et Henry Condell. Ceux qui le connurent n'eurent pas seulement pour lui de l'admiration, mais de l'affection et de l'estime. Les accusations dont il est victime en 1592 sont démenties aussitôt par l'imprimeur de Greene, et son honnêteté est hautement confirmée plus tard par Jonson. Aucun de ses contemporains (et ils furent très nombreux à le connaître) ne contesta jamais qu'il ait bien été l'auteur de ses pièces. Les thèses « antistratfordiennes » datent essentiellement du XXe siècle. Aucun spécialiste n'y croit, mais certaines ont eu du succès auprès d'un public avide de scandales, amateur de cryptographie, ou simplement ignorant. Curieusement, c'est en France qu'elles trouvent encore le plus d'audience. La raison en est peut-être la qualité d'un ouvrage d'Abel Lefranc, le plus sérieux dans ce domaine (A la découverte de Shakespeare, 1945-1950). Shakespeare a été aussi victime des assauts des « désintégrateurs » qui ont cru reconnaître dans ses œuvres la manière de plusieurs de ses contemporains. A l'inverse, sa notoriété lui a souvent valu l'attribution de pièces auxquelles il était étranger. Tout récemment encore, une nouvelle tentative a été faite pour lui attribuer un Edouard III anonyme de 1596. * Extrait de l'Article Shakespeare William Dictionnaire encyclopédique du Théâtre de Michel Corvin, Larousse 1995 Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 14 9 . 2 LE «CANON» SHAKESPEARIEN Le « canon » shakespearien fait néanmoins l’objet d’un large consensus. On le divise traditionnellement en trois ou quatre catégories : aux trois divisions de l’in-folio de 1623 (pièces historiques, comédies et tragédies) on ajoute souvent la catégorie des tragi-comédies romanesques (romances) où l’on regroupe les dernières pièces. Cette classification est commode, mais elle néglige la diversité des œuvres. Elle réunit des pièces parfois très différentes les unes des autres (il n’y a pas de modèle unique correspondant à un genre), estompe des traits communs (les drames historiques sont souvent tragiques, les tragédies souvent historiques), et néglige les aspects très particuliers de certaines pièces (ainsi les problem plays telles que Tout est bien qui finit bien, Troïlus et Cressida, Mesure pour mesure ou Timon d’Athènes). On place dans la catégorie des pièces historiques (à l’intérieur de laquelle la division en deux tétralogies est peu utile, de même que la distinction entre « chroniques » et « histoires ») les trois parties de Henry VI (vers 1590-1592), Richard III (vers 1593), Richard II (1595), le Roi Jean (vers 1596), les deux parties de Henry IV (vers 1597 et vers 1598), et Henry V (vers 1599). Parmi les comédies, on range la Comédie des erreurs (The Comedy of Errors, vers 1,590, ou 1594), les Deux Gentilshommes de Vérone (The Two Gentlemen of Verona, vers 1590), la Mégère apprivoisée (Tire Taming of the Shrew, avant 1594), Peines d’amour perdues (Love’s Labour’s Lost, vers 1594), le Songe d’une nuit d’été (A Midsummer Night’s Dream, vers 1595), le Marchand de Venise (The Merchant of Venice, vers 1596), Beaucoup de bruit pour rien (Much Ado About Nothing, vers 1599), les Joyeuses Commères de Windsor (The Merry Wives of Windsor, vers 1600, ou dès 1597), Comme il vous plaira (As You Like it, vers 1600), la Nuit des Rois (Twelfth Night, vers 1600), Tout est bien qui finit bien (All’s Well That Ends Well, vers 1603) et Mesure pour mesure ( Measure for Measure, 1604). Les tragédies comprennent Titus Audronicus (vers 1592), Roméo et Juliette (vers 1595), Jules César, avec laquelle le Globe a peut-être été inauguré en 1599, Hamlet (vers 1601), Troïlus et Cressida (vers 1602), Othello (vers 1603), le Roi Lear (vers 1605), Macbeth (vers 1606), Antoine et Cléopâtre (vers 1607), Turion d’Athènes (vers 1608, ou dès 1604 ?) et Coriolan (vers 1608). Les tragi-comédies finales sont Cymbeline (vers 1610), le Conte d’hiver (The Winter’s Tale, vers 1611) et la Tempête (1611) ainsi que Périclès (vers 1608), probablement due en partie à Thomas Middleton. Cardenio (1613), qui a disparu, les Deux Nobles Cousins (The Two Noble Kinsmen 1613-1614), et Henry VIII (vers 1613, d’abord connu sous le titre de All is True avant d’être publié comme The Famous History of the Life ol King Henry the Eighth ont sans doute été écrits en collaboration avec Fletcher. 9 . 3 LES ÉDITIONS Shakespeare ne s'est pas intéressé à la publication de ses œuvres dramatiques, qui étaient d'ailleurs la propriété de sa compagnie. Dix-neuf d'entre elles ont d'abord paru dans des éditions in-quarto, publiées souvent très peu de temps après les représentations et parfois sans autorisation. En 1623, Heminge et Condell réunissent 36 pièces (ils excluent Périclès) dans un très bel in-folio qui constitue le principal document de référence. Depuis le XVIIIe siècle un énorme travail d'établissement et d'analyse des textes s'est poursuivi, et de grands progrès sont encore accomplis de nos jours. Les meilleures éditions doivent se renouveler périodiquement : ainsi une nouvelle édition de l'Arden Shakespeare (Methuen) a commencé en 1951, un New Penguin Shakespeare en 1967, le nouvel Oxford Shakespeare en 1982 et le New Cambridge Shakespeare en 1984. A Oxford même, la dernière édition des œuvres complètes (1986) propose des changements parfois radicaux. Quant aux études critiques, elles sont innombrables. Des bibliothèques entières (la Folger Shakespeare Library de Washington, par exemple) leur sont consacrées. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 15 9 . 4 L’ART DU DRAMATURGE Une meilleure compréhension des textes et de leurs conditions de représentation a permis de mieux apprécier la dramaturgie shakespearienne. Il est bien évident, tout d’abord, que Shakespeare a su tirer le meilleur parti des ressources que lui offraient les lieux théâtraux dont il disposait. Au début de sa carrière - avant la construction du Globe - il a dû sans doute s’accommoder de conditions précaires. Mais devant la nécessité de faire appel à l’imagination du spectateur (le prologue et les chœurs de Henry V sont très révélateurs à cet égard), c’est par le langage poétique qu’il supplée aux déficiences des moyens scéniques. II utilise toutes les possibilités de la très vaste scène qui s’avance jusqu’au milieu de l’auditoire, et qui permet tout aussi facilement dans un même spectacle, de faire évoluer des groupes (foules, armées, cortèges) que de ménager des apartés ou d’isoler un personnage au premier plan. Shakespeare use de cet outil pour décrire les mouvements qui agitent les partis ou les sociétés, et même temps que les relations entre les individus et les sentiments personnels, en donnant à entendre toutes les formes de dialogue et de monologue, du débat politique à la conversation privée, du discours public à la réflexion la plus confidentielle, et en jouant sur un rapport entre la salle et la scène qui donne au spectateur le privilège de vivre à la fois l’illusion et la conscience de l’illusion. Avec le même art, il a intégré dans ses œuvres des éléments conventionnels qui, chez d’autres, restent souvent extérieurs au propos : non seulement le chant et la musique, mais la danse (la danse aristocratique dans Roméo et Juliette comme la danse populaire dans le Conte d’hiver par exemple) et le masque de cour (plaisant dans Peintes d’amour perdues ou sérieux dans la Tempête). C’est en les renouvelant qu’il utilise des personnages popularisés par de vieux usages ou par des modèles récents, comme le clown ou le fantôme : le Touchstone de Comme il vous plaira et le Feste de la Nuit des rois ne sont pas des bouffons traditionnels, de simples faiseurs de bons mots étrangers à l’intrigue, mais des créations originales qui participent à l’action, et c’est d’eux, en partie, que proviennent des personnages satiriques aussi fortement individualisés et aussi importants que le Thersite de Troïlus et Cressida et l’Apemantus de Timon d’Athènes. Le fantôme, de Richard II à Macbeth, en passant par Jules César et - Hamlet, cesse d’être une simple force stéréotypée : il hante la conscience des protagonistes, et son intervention se justifie, non plus par le désir de suivre un exemple classique ou par celui de flatter le goût du public pour le sensationnel, mais par une fonction remplie dans le déroulement du drame. 9 . 5 DU BON USAGE DES SOURCES La même originalité se retrouve dans l'utilisation des sources. Un exemple significatif nous en est donné très tôt avec la Comédie des erreurs. Shakespeare y part des Menechmes de Plaute, mais il incorpore des données provenant de l'Amphitryon (de Plaute également) et de l'histoire d'Apollonius de Tyr, telle que l'a racontée John Gower, poète anglais du XIVe siècle. Sur ces bases, il construit une intrigue extraordinairement serrée, incluse dans un seul lieu et un seul temps, où le comique fondé sur les confusions entre des jumeaux se double fun plaisir plus intellectuel, issu d'un dédoublement des situations (par l'addition d’un second couple de jumeaux) et de la subtilité avec laquelle l'action est agencée. Parmi les sources les plus importantes du point de vue de la dramaturgie, il faut citer les œuvres des historiens, dont l'influence ne se manifeste pas seulement dans les pièces historiques. Chez les chroniqueurs anglais, et chez Plutarque aussi, Shakespeare a trouvé de longues séquences d'événements qui se déroulent dans des lieux multiples, et mettent en jeu des sociétés en même temps que des individus. II leur a emprunté des situations qui lui permettent de superposer des plans métaphysiques ou mythiques aux plans politiques, sociaux et psychologiques, et de donner un dynamisme poétique au vieux principe des correspondances entre le macrocosme et le microcosme. C'est pourquoi les dimensions du récit déconcertent parfois le spectateur habitué aux normes de la tragédie classique française : Jules César n'est pas le récit de l'assassinat de César, mais décrit ses conséquences aussi bien que ses causes, Hamlet ne prend fin qu'avec le triomphe de Fortinbras, Antoine et Cléopâtre ne se termine pas avec la mort d'Antoine. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 16 9 . 6 TEMPS ET ESPACE La durée de l'action n'étant pas soumise à une contrainte formelle, le temps peut se manipuler à toutes sortes de fins poétiques et dramatiques, être subi et vécu, imaginé et remémoré. C'est d'ailleurs ce qui explique que dans certaines pièces la chronologie soit objectivement incertaine ou contradictoire : on peut parler, à propos d'Othello par exemple, d'un « double temps » du déroulement de l'action, mais c'est un temps dramatiquement juste. La pluralité des lieux est mise à profit de la même manière. Ils peuvent marquer les étapes de l'itinéraire tragique ou romanesque que suit un héros, comme dans Richard II, le Roi Lear, Timon d'Athènes ou Périclès mais peuvent aussi s'opposer les uns aux autres de différentes façons : le camp grec et le camp troyen dans Troïlus et Cressida, Venise et Chypre dans Othello, Venise et Belmont dans le Marchand de Venise. Lieux d'affrontements ou de réunions, de rencontres ou de séparations, lieux d'emprisonnement ou d'exil, de retraite ou d'errance, lieux de méditations privées ou d'engagements publics, ils contribuent toujours à une vision d'ensemble, et prennent souvent une valeur symbolique ou métaphorique : la fameuse « lande » du Roi Lear est le décor d'une détresse qui sombre dans la folie au milieu d'une nuit de tempête où se déchaînent les éléments hostiles. 9 . 7 TECHNIQUES D’ÉCRITURE DRAMATIQUE A la souplesse du cadre spatio-temporel s'ajoute une grande liberté dans l'utilisation des techniques de conduite du récit. La structure narrative essentielle est la scène, qui correspond à une unité de lieu et de temps, et à la fin de laquelle tous les personnages sortent. La division en actes est beaucoup moins significative, et elle est due le plus souvent aux éditeurs du XVIIIe siècle. II y a cependant des exceptions : au début de la carrière de Shakespeare on la trouve dans la Cornédie des erreurs, Titus Andronicus, et Henry V, où toutefois il ne semble pas qu'elle ait pu correspondre à des interruptions du spectacle à la fin de chaque acte. On l'aperçoit aussi plus tard, dans Mesure pour mesure et Macbeth. Elle existe enfin dans les toutes dernières pièces, jouées au Blackfriars, où, suivant la pratique des théâtres privés, le spectacle était interrompu par des interventions musicales à la fin des actes, et où le découpage en cinq actes reflète l'influence grandissante du goût néoclassique. Ailleurs, la division en scènes est la seule qui importe, et elle n'entraîne d'autre contrainte que le respect d'une règle implicite, très généralement observée : deux scènes successives ne doivent pas faire intervenir les mêmes personnages dans le même lieu. Cette liberté permet d'éviter le recours au discours narratif ou descriptif pour l'exposition, et pour la relation d'actions qui se passent dans des lieux différents : sauf quand Shakespeare choisit délibérément d'introduire un narrateur, l'exposition se fait progressivement au cours des premières scènes, et les événements qui se déroulent dans des lieux éloignés sont montrés au lieu d'être rapportés. Cela ne veut pas dire pour autant que l'histoire soit racontée de façon rudimentaire, que le récit apporte une simple succession d'épisodes. Au contraire, Shakespeare utilise fréquemment des procédés de présentation et d'enchâssement qui créent une distance et provoquent la réflexion. II fait ainsi intervenir des chœurs : dans Henry V pour annoncer l'action, puis la ponctuer et la commenter, en soulignant les limites de la représentation théâtrale, dans Roméo et Juliette, pour apporter un élément à la fois lyrique et tragique. Une fonction narrative est parfois donnée à une figure qui tend à devenir un véritable personnage : le Temps dans le Conte d'hiver ; le poète Gower, à la fois prologue et épilogue, narrateur et commentateur dans Périclès. Le procédé de l'induction (sorte d'introduction dramatisée) est repris dans la seconde partie de Henry IV avec la figure de la Rumeur et surtout dans la Mégère apprivoisée où l'histoire de Katharina et de Petrucchio est représentée comme une pièce jouée devant l'ivrogne Christopher Sly par une troupe d'acteurs. Ces procédés ne sont pas sans rapports avec celui de la « double intrigue » qui accorde à certains Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 17 personnages, ou groupes de personnages de second plan, un statut privilégié, en leur faisant vivre une aventure distincte de l'intrigue principale. L'intrigue secondaire, d'une manière ou d'une autre, est complémentaire de l'intrigue principale, même dans des pièces comme la Nuit des rois où la relation peut sembler assez ténue. Elle peut s'unir étroitement à l'intrigue principale, comme dans Le Roi Lear où le destin de Gloucester, analogue à celui du roi, vient amplifier les thèmes de la douleur, de l'ingratitude, de la cruauté et de la déraison. La similitude entre les destins tragiques de Lear et de Gloucester n'est qu'un exemple des situations parallèles que Shakespeare a souvent mises en scène, et dont la plus frappante est offerte par Hamlet : Hamlet, Laerte et Fortinbras sont placés tous trois dans la situation du fils qui doit venger son père, et si Laerte et Fortinbras restent au deuxième ou au troisième plan, c'est à Laerte que Hamlet doit sa mort, et c'est Fortinbras qui demeure seul pour triompher. De tels parallélismes relèvent de structures dramatiques et de systèmes de personnages plus homogènes, plus complexes et plus significatifs qu'on ne le soupçonne de prime abord. 9 . 8 LA THÉÂTRALITÉ EN MIROIR Shakespeare ne cède que rarement au vertige baroque de la mise en abyme. Des Masques sont représentés dans Peines d'amour perdues et dans la Tempête ; Falstaff joue explicitement le rôle du roi dans Henry V ; dans le Songe d'une nuit d'été puis dans Hamlet, le théâtre se donne en spectacle, "farce tragique" dans la comédie, tragédie dans la tragédie. La fable d'amour et de mort de Pyrame et Thisbé est un "spectacle des gueux » parodiant grotesquement Roméo et Juliette. Un spectacle illusoire, mais semblable en cela à tout théâtre : le théâtre dans le théâtre n'est que l'ombre dans l'ombre, sollicitant également l'action supplétive de l'imagination du spectateur, mise en avant par Thésée comme par le prologue de Henry V ; dans Hamlet le théâtre devient piège, arme, instrument de révélation de la vérité dans les mains d'un prince appelé, quant à lui, à diriger de vrais comédiens. Le théâtre selon Shakespeare se situe tour à tour du côté de la fête et de la participation du côté de la vérité et de sa quête, dans le monde, pourri par les apparences, de Hamlet, du côté de l'éphémère et de l'insubstantiel dans la Tempête. En quelques endroits, Shakespeare offre une autre modalité à la présence du théâtre dans le théâtre : celle de la réflexion, au sens non plus optique mais théorique. Le théâtre envahit le discours, dans le célèbre prologue de Henry V et dans les non moins fameux conseils de Hamlet aux comédiens ; le théâtre est très souvent invoqué, pour définir la vie et son absurdité dans Macbeth, dans les tétralogies pour constater la théâtralité de l'Histoire. Le plateau du théâtre se prolonge au cœur même de la vie, et c'est cette contamination que creuse inlassablement Shakespeare. C'est parce que l'homme n'est qu'une ombre qui passe dans le monde que le théâtre peut prétendre au statut de miroir de la nature, reflétant fidèlement dans sa pratique même, éphémère et dépouillée, la position de l'homme sous le regard de Dieu. La présence du théâtre dans le théâtre se nourrit de la conception du theatrum mundi prégnante en Europe au tournant des XVIe et XVIIe siècles, et qui bascule alors de la théologie dans l'art, envahissant notamment le théâtre espagnol, anglais et français : sur la scène du monde, comme sur celle du théâtre, l'homme est un pantin manipulé par la Providence, élevé au sommet de la gloire pour être précipité dans la chute. L'acteur ne joue d'autre rôle sur la scène des théâtres que celui de l'humaine condition. Reflet et réflexion : ces deux formes de redoublement explicite ne sont pas, loin de les seuls moyens dont dispose Shakespeare pour tendre au théâtre un miroir intérieur. Le plus souvent ; c'est par le biais de ce que l'on pourrait nommer des "dispositifs" de théâtre qu'affleure, au cœur même de ses pièces, une présence d'autant plus forte qu'elle est devenue consciente d'elle-même. Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 18 Théâtralité minimale : celle du spectacle involontaire. C'est la manipulation d'un fait donné à voir par un personnage à un autre, selon une perspective qui le fausse entièrement, l'envers maléfique de l'illusion. L'exemple canonique est celui d'Othello : le spectacle trompeur du contentement amoureux de Cassio, montré par lago comme preuve visuelle de l'infidélité de Desdémone, précipite Othello dans la folie furieuse. Pouvoir de l'image au théâtre. Ce que les yeux croient voir a ici une puissance de suggestion plus forte que ce que les oreilles peuvent entendre : c'est par les yeux qu'Othello, qui exigeait de voir avant de consentir à douter, est convaincu de la trahison de sa bien-aimée. Dans Hamlet, cependant, la pantomime ne révèle pas à Claudius le sens de la représentation théâtrale que seule la parole achève : le théâtre se donne alors à entendre autant qu'à voir. L'image offerte au regard ou à l'esprit, par le jeu des mots, est ambivalente, interprétable à volonté. Les pouvoirs du théâtre le rendent apte à révéler le faux aussi puissamment que le vrai. Ce scepticisme dramaturgique est un élément clé de la durable modernité de Shakespeare. Une autre forme de théâtralité est engagée avec la pratique du déguisement et du travestissement sexuel, récurrente dans les comédies : Hélène des Peines d'amour perdues conserve sa féminité sous le couvert d'une pèlerine, mais Rosalinde dans Comme il vous plaira, Viola dans la Nuit des rois, Julia dans les Deux Gentilshommes de Vérone, Portia dans le Marchand de Venise empruntent l'habit, le langage et le comportement attribués à l'autre sexe. Ces personnages « acteurs » exercent alors leur pouvoir d'illusion sur des personnages « spectateurs », avec la complicité du public de la pièce placé en position de supériorité. Le succès du jeu et l'issue favorable de la situation périlleuse qui rendaient nécessaire le recours au travestissement n'occultent en rien le fait que l'arme « théâtrale » est utilisée pour des enjeux vitaux : obtenir, ou mettre à l'épreuve, l'amour de qui l'on aime, soustraire un homme à un grave péril. Le dispositif théâtral est si étroitement imbriqué dans la fable que le dévoilement précipite le dénouement, mais le travestissement aura permis au personnage-acteur de s'affirmer et d'atteindre son but, dans la jubilation du jeu. Cette arme est parfois utilisée dans des contextes tragiques : c'est, dans le Roi Lear, Edgar, le fils renié contraint à revêtir le masque de « poor Tom » ou, dans Macbeth, l'énigmatique faux autoautoportait que donne de lui-même le prince Malcolm pour mettre à l'épreuve Macduff. Le jeu théâtral n'est autre que la distance (le jeu au sens mécanique) créée entre un être et un paraître, signe de désenchantement, lorsqu'il est la seule arme de l'homme vertueux dans un temps disjoint, ou au contraire signe de l'invention festive et carnavalesque présente au cœur même de la fable théâtrale comme de la vie humaine. Cependant, Shakespeare pousse plus loin encore l'exploration de la théâtralité dans le théâtre même, en inventant des personnages qui, par les procédés de mise en scène d'événements ou de discours, ou de manipulation de l'identité d'autres personnages qu'ils mettent en œuvre, s'apparentent à des démiurges de la scène. Maria dans la Nuit des rois, Paulina dans Le Conte d' hiver, le duc de Vienne de Mesure pour mesure, Hamlet présentent à un double public, intérieur et extérieur à la pièce, les fruits de leur invention : un puritain trouble-fête métamorphosé en soupirant ridicule, une statue qui s'anime, un faux ange démasqué et ses victimes sauvées non sans maints déguisements, substitutions, voire résurrections. Outre leur fonction divertissante, ces fictions internes creusent de manière allégorique des questions essentielles : la fracture entre l'être et l'apparence, l'aveuglement humain, le doute frappant toute quête de vérité absolue, la similitude de Pacte théâtral avec l'évocation des morts. Hamlet seul adopte tour à tour l'ensemble des rôles ou des fonctions mises en œuvre par le processus théâtral : lecteur et dramaturge (il récrit en partie le « Meurtre de Gonzague " acteur (de sa folie), metteur en scène des comédiens, et pour finir spectateur (de Claudius)). Si une vérité se dégage du théâtre de Shakespeare, en dépit d'un scepticisme dramaturgique constant, elle est à rechercher dans cette affirmation des pouvoirs démiurgiques de l'homme de théâtre et du théâtre lui-même. Le théâtre du monde, avec Shakespeare, devient le théâtre comme monde, métaphore signifiante de celui-ci, capable, grâce au concours de l'imagination du spectateur, d'évoquer la bataille d'Azincourt Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 19 dans le cercle de bois (wooden O) du théâtre, de ranimer les morts, d'extraire quelques vérités de la gangue des apparences. On peut penser qu'une telle célébration du théâtre par et dans le théâtre constitue l'aiguillon principal des metteurs en scène de notre époque. Si monter Shakespeare aujourd'hui ne peut plus être ou n'est plus seulement reconstituer le sénat romain, les remparts d'Elseneur, donner des ailes à Ariel, faire évoluer de jeunes garçons troublants interprétant des filles déguisées en garçons, motiver l'inaction d'Hamlet, éclairer la jalousie de Léontès (le Conte d'Hiver) ou celle d'Othello, cela reste la rencontre concrète de toutes les grandes questions que pose la pratique du théâtre. 9 . 9 SHAKESPEARE EN FRANCE Traduire Shakespeare et mettre en scène des pièces conçues pour l'espace à la fois multiple et non décoratif du théâtre élisabéthain : longtemps ces deux démarches se sont révélées problématiques en France. Une histoire (les traductions françaises de Shakespeare dégagerait deux époques). Durant la première, s'étendant jusqu'au début du XXe siècle, les traductions pour la lecture, généralement en prose, de l'entreprise de Letourneur à celle de François-Victor Hugo pour les œuvres complètes, affirment, à défaut de toujours les respecter, les principes d'intégralité et de fidélité ; elles n'ont que peu de chose à voir avec les adaptations pour la scène, presque toujours en alexandrins expurgés de tout élément grotesque ou obscène, qui s'autorisent d'importants aménagements dramaturgiques afin de rendre possible la succession de décors illustrant les différents lieux de la pièce. La seconde époque, inaugurée par des metteurs en scène d'esthétiques différentes mais également soucieux de porter sur la scène un Shakespeare plus véritable, Copeau et Antoine, voit se combler le fossé entre ces deux types de transposition textuelle, au profit de nouvelles oppositions : les adaptations utilisant les textes shakespeariens comme matériau pour une réécriture littéraire ou scénique, depuis Brecht, revendiquent leur légitimité, tandis que les traductions, s'offrant comme textes à jouet et à lire, se fondent sur la précision d’enjeux linguistique, poétique et théâtral. L'historicité de la langue de traduction renouvelle régulièrement l'actualité de la translation du vocabulaire, des structures syntaxiques, des images, des jeux de mots ; la poéticité de la langue shakespearienne demeure une pierre d'achoppement, l'enjeu théâtral enfin, à savoir la manière propre à la langue shakespearienne de solliciter l'engagement corporel du comédien, a été surtout mis en évidence, depuis une quinzaine d'années, par le traducteur J.-M. Déprats, selon lequel la traduction doit s'efforcer de prendre en compte cette « musculature » de la langue afin de favoriser la relation des comédiens français au texte shakespearien. Dans le même sens, les traductions de Jean-Claude Carrière pour Peter Brook, depuis Timon d'Athènes en 1974, dans une langue simple et contemporaine mettant en valeur les « mots rayonnants » du texte shakespearien, s'articulent à une pratique de jeu. Jamais le paysage de la traduction de Shakespeare en français ne s'est trouvé aussi varié qu'aujourd'hui : c'est surtout sur le plan des images qu'Y. Bonnefoy traduit et retraduit Shakespeare en poète, de Hamlet à la Tempête, tandis qu'A. Markowicz ou Malaplate se prononcent pour un texte français versifié de manière à donner l'idée du vers shakespearien. La contrainte métrique du décasyllabe pour l'un, de l'alexandrin pour l'autre, même exemptée de la rime, entraîne inévitablement de multiples écarts avec la lettre du texte. J.-M. Déprats, quant à lui, se refusant à privilégier l'un des trois enjeux, linguistique, poétique et théâtral, tente leur conciliation dans une prose de théâtre de laquelle ne sont absents ni le rythme ni les jeux de sonorités. Le répertoire d'élection des Français à l'intérieur du corpus shakespearien se révèle en constante évolution, notamment du fait que Shakespeare a été longtemps beaucoup plus traduit et commenté que joué. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, la scène française n'a montré régulièrement, sous des cormes très altérées, que les tragédies légendaires les plus célèbres, Hamlet, Macbeth, Othello, le Roi Lear, Roméo et Juliette, auxquelles venaient s'ajouter Richard III et quelques rares comédies adaptées de la Mégère Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 20 apprivoisée, du Marchand de Venise, et des pièces dans lesquelles paraît Falstaff. Les tragédies n'ont jamais quitté les scènes françaises. En revanche, c'est la Nuit des rois montée par Copeau en 1914 au théâtre du Vieux-Colombier, qui révèle au public français l'univers contrasté, poétique et farcesque, bouffon et mélancolique, d'une partie des comédies de Shakespeare. L'attrait de cette dramaturgie, dans laquelle l'imaginaire et le féerique tiennent une bonne place, n'a pas fléchi : le Songe d'une nuit d'été et la Tempête demeurent aujourd'hui les comédies les plus souvent montées en France, cette dernière pièce, marquée par la mise en scène de Strehler en 1978, symbolisant l'art du théâtre et sa magie de l'inutile. Il faut attendre le milieu du XXe siècle pour voir explorer en France le théâtre historique : la création de Richard Il au premier festival d'Avignon, en 1947, est à l'origine d'une fascination durable qui, à la suite de Vilar, jouera sur une nouvelle génération (Chéreau, Mnouchkine). Plus récemment, des metteurs en scène ont choisi d'aborder le théâtre historique sous la forme de cycles : les Kings de Denis Llorca en 1978 parcouraient les trois parties de Henry VI et Richard III ; Les Shakespeare de Mnouchkine, de 1981 à 1984, évoquaient l'histoire avec Richard II, et une adaptation des deux parties de Henry IV, avec le contrepoint d'une comédie, la Nuit des Rois), Stuart Seide donnait à Avignon les trois parties de Henry VI en 1994. Ces « Shakespeare au long cours » favorisent l'immersion du public dans le temps à la fois déterminé et archétypal des événements historiques (couronnements, guerres fratricides, dépositions, assassinats) représentés par Shakespeare. Par ailleurs, tout un courant de mise en scène, illustré par B. Besson, B. Sobel, M. Langhoff, tend à bousculer les habituelles distinctions de genre en traitant selon une interprétation de type historique et politique un certain nombre de tragédies, tels Hamlet, Macbeth, le Roi Lear, Richard III. Enfin, à la faveur de nouvelles traductions à la fois précises et conçues pour la scène, l'intérêt de quelques metteurs en scène s'est tourné vers une partie du répertoire shakespearien longtemps considérée comme inaccessible au public français : celui des comédies dans lesquelles les jeux de langage et les mots d'esprit jouent un rôle déterminant, Peines d'amour perdues, interprété par les jeunes comédiens du TNS sous la direction de J.-P. Vincent, puis dans une mise en scène de Laurent Pelly (1995), ou Tout est bien qui finit bien (J.-P Vincent, 1996). Cette dernière pièce relève, par son atmosphère grave, des comédies problématiques - problem plays - génératrices d'un « rire faussement libérateur » (Henri Suhamy), dont la plus sombre, Mesure pour mesure, fascine régulièrement les metteurs en scène, de Lugné-Poe à Brook, Zadek et Braunschweig. Il semble que tous les metteurs en scène français, à un moment donné, désirent s'affronter à Shakespeare, comme pour mettre à l'épreuve, au contact de ses pièces, leur propre démarche artistique. Autrefois, ce désir intervenait souvent dans la maturité (Baty, Barrault, Vitez), et se portait plus volontiers sur les grandes tragédies. Chez les jeunes metteurs en scène d'aujourd'hui (Braunschweig, Pitoiset, Pelly), Shakespeare est présent dès l'origine de la pratique théâtrale, dont il exalte la nature festive. Il y a ceux qui révèlent à chaque spectacle une facette différente de l'univers shakespearien, d'autres pour qui il existe une pièce élue, périodiquement reprise : Mesguich et Hamlet, Lavaudant et le Roi Lear. A cette universalité de l'intérêt des metteurs en scène et des comédiens pour Shakespeare correspond une extrême diversité des démarches scéniques et de jeu : du naturalisme à la convention la plus poussée, du décor figuratif à l'espace neutre voué au jeu et à la mise en lumière de la théâtralité ; de l'incarnation à la mise à distance épique ou ritualisante des personnages ; jusqu'à la recherche expérimentale, avec le Qui est là de Peter Brook, par exemple, d'une dimension cérémonielle dont le théâtre a besoin et dont Shakespeare demeure une source vive. Extrait de l'Article Shakespeare William Dictionnaire encyclopédique du Théâtre de Michel Corvin Larousse 1995 Dossier pédagogique La Tempête - La Troupe du Nord - Théâtre de l’île saison 2015 21