Ceausescu et la succession de Gheorghe Gheorghiu-Dej

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Ceausescu et la succession de Gheorghe Gheorghiu-Dej
Alina Tudor-Pavelescu
Ceausescu et la succession de Gheorghe Gheorghiu-Dej:
techniques du transfert du pouvoir (1965 – 1969)
Un des traits essentiels des régimes de type soviétique est l’importance particulière qu’ils donnent à la
stabilité politique, comprise comme la condition primordiale de la stabilité générale du régime. La dimension de leur
stabilité politique est donnée surtout par la capacité des élites communistes d’éviter, de prévoir ou au moins
d’atténuer les effets des éventuels dysfonctionnements dans l’appareil du Parti et de l’Etat.1 En conséquence, les
problèmes concernant la succession à la direction du parti et, implicitement, de l’Etat communiste, les mécanismes
de transfert du pouvoir mis en oeuvre à cette occasion à l’intérieur de l’élite politique, ainsi que les techniques de
propagande visant la (re)légitimation des rapports de cette dernière avec la société qu’elle domine peuvent offrir la
clef d’analyse de la nature et du fonctionnement de ce type de régime.
Dans la présente étude, nous essaierons de démontrer que la façon dont s’opère le transfert du pouvoir à
l’intérieur de la direction communiste roumaine, dans les années 1965 – 1969, crée les prémisses fondamentales pour
l’instauration et le fonctionnement ultérieur du régime Ceausescu, un régime caractérisé par le culte démesuré de la
personnalité du secrétaire générale et par le recrutement de l’élite au sein de sa propre famille et d’un cercle restreint
de fidèles.2 L’analyse que nous proposons concerne les deux niveaux de base où s’opère le transfert du pouvoir et les
effets que l’exercice des mécanismes de ce transfert peut produire à chacun de ces niveaux: celui de l’appareil du
Parti et celui de l’appareil d’Etat.
Le décès de Gheorghe Gheorghiu-Dej, survenu le 19 mars 1965, signifiait, pour le fonctionnement du
mécanisme politique roumain, la fin d’une situation dont la simplicité représentait une garantie d’efficacité:
l’appareil du Parti et de l’Etat était contrôlé par un leader non-contesté, qui concentrait dans ses mains tous les
mécanismes du pouvoir politique. La disparition de ce leader pourrait marquer le début d’une période de luttes pour
le pouvoir, avec des effets des plus négatifs sur le fonctionnement du régime.3 Dans ces conditions, la solution
1
Cf. Seweryn Białer, Stalin’s Successors. Leadership, Stability and Change in the Soviet Union, Cambridge
University Press, 1980, p. 139
2
Une analyse du régime Ceausescu moins discutée, parce que moins connue par les historiens roumains, appartient à
Juan G. Linz, Totalitarian and Authoritarian Regimes, Boulder&Londres, Rienner Publishers, 2000, pp. 151-154;
Linz inclue le régime Ceausescu dans la catégorie des régimes de type sultaniste (“sultanistic regimes”), qu’il définit
comme étant des régimes politiques qui utilisent, afin d’obtenir l’obédience de leurs citoyens, la manipulation d’un
mélange de peur de répression et promesses de récompense, en l’absence de normes bien établies dans l’exercice du
pouvoir; un trait définitoire pour ce type de régime politique est le fait que l’appareil bureaucratique est recruté
d’après le critère principal de la fidélité envers le chef unique.
3
Ion Gheorghe Maurer, un des proches de Gheorghiu-Dej, Premier ministre de Ceausescu entre 1965 et 1974, qui a
eu le rôle principal dans l’élection de ce dernier comme successeur de Gheorghiu-Dej, racontait à propos du moment
de la désignation d’un successeur dans le cadre du Bureau Politique: “ C’est à ce moment-là que je me suis rendu
compte que les choses cessaient d’être simples. Je me suis rendu compte que les plus jeunes, Draghici et Ceausescu,
étaient ceux qui voulaient le plus ardemment le pouvoir et qu’ils étaient capables de n’importe quoi pour l’obtenir.”
Cf. Lavina Betea, Maurer si lumea de ieri. Marturii despre stalinizarea Romaniei (“Maurer et le monde passé.
1
choisie par le Bureau Politique du Parti, le 22 mars 1965, était l’expression d’un compromis. Le communiqué publié
dans le “Scanteia” de 23 mars annonçait l’élection de Nicolae Ceausescu comme premier secrétaire du Parti et la
proposition de Chivu Stoica, un communiste de la vieille génération et ancien collaborateur de Gheorghiu-Dej, pour
la fonction de président du Conseil d’Etat.4 En même temps, Alexandru Barladeanu, économiste, un des technocrates
qui avaient soutenu “la guerre d’indépendance” de Gheorghiu-Dej contre l’URSS, dans le COMECON, devenait
membre du Bureau Politique. Aussi, Leonte Rautu (représentant de la vieille garde stalinienne), Paul Niculescu-Mizil
et Ilie Verdet (proches de Ceausescu et ses futurs collaborateurs, dont le premier s’était déjà fait remarquer comme
représentant du courant nationaliste à l’intérieur du Parti) étaient élus secrétaires du Comité Central. La fonction de
président du Conseil des Ministres était attribuée à Ion Gheorghe Maurer. Comme vice-président du même
organisme était désigné Gheorghe Apostol, lui aussi membre de “ la vieille garde” et ancien collaborateur de
Gheorghiu-Dej. De ces choix, on peut comprendre, d’un côté, la préoccupation de la direction communiste roumaine
pour trouver une solution rapide de la succession, tout en éliminant les germes de dissension au sein du parti; d’un
autre côté, il était évident que les successeurs de Dej avait fait leur option pour le maintien et la continuation de la
ligne politique fixée par celui-là au début des années 1960: l’affirmation de l’indépendance politique des
communistes roumains face à l’URSS et à ses prétentions d’hégémonie politique et surtout économique. Le choix de
Ceausescu pour la fonction de premier secrétaire et l’intégration de Barladeanu dans les rangs du Bureau Politique
représentaient une garantie ferme en ce sens.5
Entre le 22 mars et le 19 juillet (le début du IXème Congrès), le discours de la nouvelle équipe dirigeante
se structure autour de deux termes: la continuité de la ligne politique de Gheorghiu-Dej et la collégialité comme
façon d’exercer la direction du Parti et de l’Etat.6 C’était une façon de marquer la solidarité d’opinions et d’intérêts
des nouveaux responsables de l’appareil du Parti et d’Etat, ainsi que de montrer que l’unité du Parti – l’élément
essentiel pour la stabilité du régime – était plus forte que jamais et n’a jamais été mise en question. Mais en pratique
cette formule s’est très vite montrée comme étant provisoire, une étape intermédiaire dans la lutte pour le pouvoir
Témoignages sur la stalinisation de la Roumanie”), Arad, Editions Ioan Slavici, 1995, p. 174. La traduction du
roumain nous appartient.
4
Stoica a été confirmé dans cette fonction par la Grande Assemblée Nationale, le 24 mars 1965. On introduisait
ainsi une division du pouvoir entre Ceausescu, représentant de la nouvelle génération de bureaucrates, qui devenait le
chef du Parti et Chivu Stoica, membre de la vieille génération, qui se trouvait à la tête de l’appareil d’Etat.
5
Dans les années 1964-1965, les deux se sont mis en évidence par leur soutien à la politique d’indépendance. Après
1989, Maurer a motivé explicitement le choix de Ceausescu comme successeur de Gheorghiu-Dej par la volonté de
continuer la politique nationale de Dej (voir ibidem, pp. 174-175). A l’époque, cette volonté a été aussi remarquée
par les diplomates occidentaux: voir le rapport de 23 mars 1965, rédigé par Jean Louis Pons, l’ambassadeur de la
France à Bucarest, qui affirmait qu’en fait, la compétition pour la prise du pouvoir avait été conditionnée par
l’origine ethnique roumaine du futur successeur (des 8 membres du Bureau Politique, seulement trois était des
ethniques roumains: Gheorghe Apostol, Chivu Stoica et Nicolae Ceausescu) et par la détermination de continuer la
politique d’indépendance du Parti (cette condition offrait un atout à Ceausescu et moins aux deux autres candidats);
cf. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Série Europe, Sous-série Roumanie (1944 – 1970), dossier 171. Il
est aussi intéressant de remarquer que l’ambassadeur français ne comptait pas parmi les possible successeurs
Alexandru Draghici, que Maurer désignait comme un des opposants à l’élection de Gheorghe Apostol dans la
fonction de premier secrétaire et que Ceausescu lui-même a identifié très vite, après 1965, comme son principal
adversaire dans la lutte pour le pouvoir.
6
Le même ambassadeur français observait, à l’occasion des obsèques de Gheorghiu-Dej, la préoccupation de
Ceausescu, dans son discours, de souligner la nécessité d’un partage des responsabilités au niveau de la direction du
Parti, mais aussi dans la direction de l’Etat et l’utilisation explicite du terme “collégialité”; ibidem, dossier 172.
2
déclanchée, avec des moyens peut-être moins spectaculaires qu’à l’époque stalinienne, mais toujours efficaces, au
sommet du régime communiste. Au but de ce processus, dont l’évolution est en grande partie déterminée par les
décisions du IXème Congrès et dont les résultats sont consacrés par le Xème, l’on a mis les bases du régime de
pouvoir absolu du plus habile et plus dynamique des candidats désignés en 1965, Nicolae Ceausescu.
L’opinion la plus répandue parmi les historiens roumains et étrangers présente Ceausescu comme
manquant plutôt d’atouts au début de cette compétition pour le contrôle du pouvoir. Un des meilleurs exégètes du
régime Ceausescu, Mary Ellen Fischer, met en évidence trois critères de solidité de la position d’un leader
communiste dans la compétition pour le pouvoir: son prestige politique, résultant de ses mérites révolutionnaires, la
possibilité de contrôler l’appareil répressif et d’utiliser de façon efficace les moyens de coercition, le soutien
extérieur (dans ce cas, du pouvoir soviétique) qu’il pourrait obtenir. Fischer observe que Nicolae Ceausescu ne
correspondait, au moment de son élection comme premier secrétaire, à aucun de ces critères.7 On ne peut pas nier
l’importance des critères mentionnés par Fischer, mais on peut observer qu’en 1965 Nicolae Ceausescu jouait
d’autres atouts également importants. Le premier consiste en le fait même que, de tous les concurrents, il était le plus
dynamique et le plus déterminé de gagner la compétition pour le pouvoir. En deuxième lieu, il a bénéficié - ou il l’a
su gagner quand les circonstances l’avaient exigé – du soutien des membres les plus importants du Bureau Politique.
L’un de ceux qui l’ont constamment soutenu a été le premier ministre Ion Gheorghe Maurer, l’éminence grise du
régime Dej et, d’après son propre témoignage, le personnage-clef au moment de la désignation de son successeur.
Emil Bodnaras, un autre pilier du régime Dej, considéré aussi comme très proche des milieux du KGB, a eu une
position similaire8. De plus, en analysant les événements qui se sont succédés, l’on peut conclure que, pour des
raisons qui restent partiellement inconnues, Ceausescu n’a eu à affronter, aux moments décisifs de son ascenssion
politique, qu’une très faible opposition de la part des deux membres du Bureau Politique qui étaient aussi ses
concurrents dans la lutte pour le pouvoir et importants représentants de la génération des révolutionnaires: Gheorghe
Apostol et Chivu Stoica.9
L’atout le plus important de Ceausescu dans cette compétition a été, sans doute, la fonction qu’il avait
occupée avant le décès de Dej dans l’appareil du Parti: celle de secrétaire de la section de l’Organisation du Comité
Central. Cette fonction lui a permis non seulement l’accès aux informations essentielles concernant les décisions les
7
Mary Ellen Fischer, Nicolae Ceausescu. A Study in Political Leadership, Boulder&London, Lynne Rienner
Publishers, 1989, p. 97. Du côté roumain, voir Lavinia Betea, op. cit., pp. 185-186, qui note l’atout, dans la
compétition pour le pouvoir, d’Alexandru Draghici, plus ancien dans les rangs du Parti que Ceausescu et, détail
capital, exerçant depuis environ dix ans la fonction de ministre de l’Intérieur.
8
Détails sur son attitude à l’égard de l’ascension de Ceausescu dans Convorbiri neterminate. Corneliu Manescu in
dialog cu Lavinia Betea (“Dialogues interrompus. Corneliu Manescu se confesse à Lavinia Betea”), Iasi, Editions
Polirom, 2001, pp. 144-145.
9
A l’occasion d’un entretien avec Edward Behr, Gheorghe Apostol a affirmé qu’il s’est opposé à la nomination de
Ceausescu comme premier secrétaire et qu’il a suggéré à Maurer une solution de compromis: la nomination
d’Alexandru Draghici; cf. Edward Behr, Saruta mana pe care n-o poti musca (“Baise la main que tu ne peux pas
mordre”), Bucarest, Editions Humanitas, 1999, p. 163. Il n’est pas moins vrai qu’Apostol a été celui qui a formulé
publiquement la proposition de nommer Ceausescu pour cette fonction (voir Lavinia Betea, op. cit., p. 187) parce
que, comme il l’a déclaré après 1989, il devait préserver à tout prix l’unité du Parti (ibidem, p. 275). Adoptant la
même attitude, à la Conférence nationale du Parti du décembre 1967, Chivu Stoica a proposé la modification des
Statuts du Parti, pour que Ceausescu puisse cumuler la fonction de secrétaire général et celle de président du Conseil
d’Etat (cette dernière fonction étant occupée en 1967 par Stoica lui-même).
3
plus controversées du Bureau Politique (surtout celles visant l’élimination par répression ou même par des moyens
criminels des adversaires politiques de Dej), mais aussi – question dont l’importance est vite prouvée après 1965 –
l’opportunité de se constituer une équipe de fidéles, provenant le plus souvent des rangs inférieurs de la direction du
Parti (chefs des organisations départementales du Parti, dirigeants de l’administration locale, etc.)10 Il a su utiliser
cette position de leader de la nouvelle génération de bureaucrates pour se créer une image de réformateur et surtout
pour s’assurer, avec leur promotion dans le premier échelon de la direction du parti, le contrôle sur l’instance la plus
importante du pouvoir politique.11
Dans ces conditions, Ceausescu adopte une stratégie d’élimination de ses adversaires politiques qui
pourrait être définie comme progressive, en faisant des petits pas vers son but principal et en refusant les gestes
spectaculaires. Il fait son option pour une accumulation graduelle de capital politique, tant au niveau symbolique
(indispensable pour la légitimation de sa nouvelle position à la direction du Parti) qu’au niveau de l’action. Ses
techniques de prise du pouvoir ne laissent pas deviner dès le début ses vraies intentions. Cette stratégie de transfert
du pouvoir politique comprend plusieurs étapes:
la promotion de ses fidèles dans les organes dirigeants du Parti, dans le but de s’assurer le contrôle des
décisions prises par ces organes;
la restriction graduelle des attribution des organes dirigeants (le premier concerné étant le Bureau
Politique), en exploitant les équivoques du concept de “démocratie de parti”;
la stimulation d’une dissipation des pouvoirs réelles de la direction du Parti, ce qui a eu pour effet la
réduction de facto du processus de décision à la seule volonté du secrétaire général;
la réinterprétation dans une clef personnelle des symboles de légitimité du Parti, qui deviennent
progressivement des éléments de la légitimité de son leader.
Ces étapes et techniques de prise du pouvoir se retrouvent de façon analogue tant au niveau de l’appareil
du Parti, qu’au niveau de l’appareil d’Etat.
Le IXème Congrès du Parti (19-24 juillet 1965) consacre les résultats d’une première étape de la prise du
pouvoir par Nicolae Ceausescu12. A cette occasion, on procède à une première re-structuration des organes dirigeants
du Parti, ayant pour effet immédiat le renforcement du contrôle exercé par le secrétaire général sur ces organes. En
même temps, c’est le moment de l’accès dans le Comité Central d’un nombre de nouveaux membres dont le trait
commun est leur appartenance au groupe des jeunes bureaucrates fidèles à Ceausescu.
10
L’importance de cette position est aussi suggérées par M.E. Fischer, op. cit., pp. 70-71.
Pour comprendre l’importance de cette qualité de leader et supporteur de la jeune génération de bureaucrates dans
la construction de l’image publique de Ceausescu au début de son régime, voir Kenneth Jowitt, Revolutionary
Breakthroughts and National Development. The case of Romania. 1944 – 1965, Berkeley&Los Angeles, University
of California Press, 1971, pp. 224-228.
12
A l’occasion de l’adoption des nouveaux Statuts du Parti, présentés devant le Congrès par Gheorghe Apostol, l’on
a annoncé la reprise de l’ancienne dénomination du parti : le Parti Communiste Roumain (au lieu de Parti Ouvrier
Roumain) et de l’ancienne titulature de son leader, celle de secrétaire général (au lieu de “premier secrétaire”). Ces
mesures ont été présentées par Apostol comme l’expressions du respect des communistes roumains pour leur
tradition historique et du lien entre le Parti et la société roumaine; voir le texte intégrale in Congresul al IX-lea al
Partidului Comunist Roman (“Le IXème Congrès du Parti Communiste Roumain”), Bucarest, Editions Politica,
1966, pp. 334-345.
11
4
En analysant la stratégie qu’il adopte, l’on peut observer que Nicolae Ceausescu identifie le noyau dur de
l’opposition à son accession au contrôle total du Parti et à l’orientation politique qu’il représente, au sommet-même
de la direction du Parti, c’est-à-dire à l’intérieur du Bureau Politique. Mais au moment du IXème Congrès il n’a pas
encore les moyens pour instaurer un contrôle direct de cet organisme. C’est pourquoi Ceausescu se contente, pour
l’instant, d’introduire des membres de son groupe de fidèles dans les structures immédiatement subordonnées au
Bureau Politique, le Comité Central et le Secrétariat. Les jeunes technocrates sont promus dans les organes dirigeants
du Parti, non pas par le remplacement direct et immédiat des vieux membres, mais à l’aide d’une augmentation –
motivée par l’accroissement général du nombre des membres du Parti – du nombre total des membres de ces
organismes. Ainsi, en juillet 1965, le Comité Central du Parti s’élargit de façon significative: le nombre de ses
membre titulaire passe de 79 à 121 et celui des membres suppléants, de 31 à 75.13 Les observateur n’ont pas tardé de
remarquer l’appartenance de la plupart des nouveaux élus au cercle dont les intérêts politiques étaient liés – de façon
directe ou indirecte – à la personne du secrétaire général.14
Dans le Secrétariat, dont le nombre de membres avait déjà connu un accroissement de 4 à 6 le 22 mars
1965 – par la cooptation de Leonte Rautu, Ilie Verdet et Paul Niculescu-Mizil – trois nouveaux membres sont élus à
l’occasion du IXème Congrès: Vasile Patilinet, ex-chef adjoint de la section de l’Organisation du CC, Virgil Trofin,
ex-président de l’Union des Associations d’Etudiants et Manea Manescu, chef de la section pour l’Education et la
Santé du CC.15 Ainsi, Nicolae Ceausescu s’est assuré le soutien d’au moins quatre des membres du Secrétariat du
CC: Niculescu-Mizil, Patilinet, Manescu et Trofin, des personnages dont la carrière politique a été fortement
accélérée par le soutien du secrétaire général.16
Le phénomène le plus intéressant intervenu dans l’organisation de la direction du Parti au IXème Congrès
est représenté par la suppression du Bureau Politique, remplacé par deux nouveaux organismes: le Comité Executif
du CC du PCR et le Présidium permanent du CC du PCR.17 Conformément aux nouveaux Statuts du PCR, les deux
organismes ont des fonctions similaires à celles de l’ancien Bureau Politique: “Le Comité Exécutif assure la direction
du parti entre les séances plénières, le Présidium permanent s’occupe des questions politiques courantes du parti.”18
Les conditions dans lesquelles on a décidé leur création et la suppression de l’ancienne formule du Bureau Politique
ne sont pas encore complètement documentées, faute d’accès aux archives roumaines de l’époque. Mary Ellen
13
Cf. Yearbook on International Communist Affairs. 1966, Stanford, The Hoover Institution on War, Revolution and
Peace, p. 70
14
Cette observation est formulée par Jean-François Noiville, le chargé d’affairs français à Bucarest, dans son rapport
de 30 juillet 1965: “On peut penser a priori que l’entrée massive, surtout au niveau des membres suppléants, de
nouveaux membres est favorable à M. Ceausescu qui, usant de la prééminence qu’il a acquise et profitant de
l’accroissement des effectifs du CC, a, tout en maintenant l’ensemble des anciens membres, réussi à y faire entrer des
hommes jeunes, plus ou moins liés à lui” ; cf. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Série Europe, Soussérie Roumanie (1944-1970), dossier 167.
15
Cf. Congresul al IX-lea..., p. 739
16
Un rapport de 1966 de l’ambassadeur français à Bucarest présentait Niculescu-Mizil comme “l’idéologue du Parti
roumain” et “un des hommes-clef du régime”; cf. Archives du Ministère des Affaires Etrangères, Série Europe,
Sous-série Roumanie (1944-1970), dossier 167. Pourtant, dans les années 1970, il se trouve dans un conflit ouvert
avec Ceausescu et est écarté de toutes ses fonctions; voir Paul Niculescu-Mizil, O istorie traita (“Une histoire
vécue”), tomme I, Bucarest, Editions Enciclopedica, 2002. Dans un entretien donné à l’auteur de ces lignes, le 7
novembre 2002, il explique les racines de ce conflit par son rejet du culte de la personnalité de Ceausescu.
17
Cf. Congresul al IX-lea..., p. 739.
5
Fischer a pourtant remarqué un phénomène intéressant. 19 Le rapport sur les nouveaux Statuts du Parti, présenté le 21
juillet par Gheorghe Apostol, ne faisait aucune mention des deux nouveaux organismes et se référait seulement au
Bureau Politique. C’est Ceausecu lui-même, le 24 juillet, qui annonce leur création, en montrant que le Bureau
Politique “ne correspond plus aux nouvelles conditions et qu’il est nécessaire d’avoir un organe exécutif plus élargi,
qui aura la possibilité de mieux accomplir le rôle dirigeant du Parti entre les séances plénières.”20 De ce fait, Fischer
tire la conclusion que la décision de supprimer le Bureau Politique a été prise entre le 21 et le 24 juillet et que, le plus
probablement, cette idée est venue de la part de Ceausescu, tandis que les membres de la vieille génération se sont
montrés plutôt hostiles à sa suggestion. De l’analyse de la structure et le fonctionnement des deux organismes en
résulte la mise politique d’un tel changement. Tandis que le Bureau Politique n’avait que 13 membres, le nouveau
Comité Exécutif en comprend 25, dont 15 titulaires et 10 suppléants. La provenance de la majorité des membres
titulaires relève de l’ancien Bureau Politique, mais au niveau des dix membres suppléants (Iosif Banc, Maxim
Berghianu, Petre Blajovici, Dumitru Coliu, Florian Danalache, Janos Fazekas, Mihai Gere, Petre Lupu, Ilie Verdet,
Vasile Vilcu) l’on observe la promotion massive des représentants de la nouvelle génération de bureaucrates. Six
d’entre eux étaient, avant 1965, secrétaires des organisations régionales du Parti; Petre Lupu était, jusqu’en 1961, le
chef de la section de l’Organisation du Parti. Le seul membre de la vieille génération qui fait partie du nouvel
organisme est Dumitru Coliu, mais, dans son cas, cette position est l’expression de sa disgrâce politique.21
La vraie signification de ces changements dans les structures dirigeantes devrait être interprétée dans le
contexte général de la stratégie de Ceausescu ayant pour but le contrôle de l’appareil du Parti. Ainsi, le fait que le
nouveau Comité Exécutif, comprenant 25 membres, est doublé par un Présidium permanent comprenant, lui,
seulement 7 membres, constitue déjà un premier indice que la prise des décisions politiques sera l’apanage de ce
dernier. Le fait que le nombre de ses membres est plus restreint que celui de l’ancien Bureau Politique le rend plus
facilement contrôlable par une seule personne. En même temps, l’accession dans la direction du Parti (surtout dans le
Comité Exécutif) de personnages fidèles au secrétaire général devient ainsi plus facile que dans les conditions de
fonctionnement du Bureau. Même si les sept membres du Présidium continuent de représenter le noyau dur de la
vieille génération de dirigeants du Parti, que Ceausescu ne réussit pas encore contrôler, la suppression du Bureau
Politique renforce de façon considérable la position du secrétaire général.22
Un troisième changement survenu à l’occasion du IXème Congrès est la modification du point b) de
l’article 13 des Statuts. C’est ce qui a permis à Ceausescu de marginaliser son principal adversaire, Alexandru
Draghici. Conformément à la nouvelle formule, “un membre du Parti ne peut accomplir qu’une seule fonction dans
la direction politique, qui nécessite une activité permanente, soit dans les organes du Parti, soit dans les organes de
l’Etat.”23 En vertu de cet article des Statuts, Alexandru Draghici renonce, par un décret du Conseil d’Etat de 24 juillet
1965, à sa fonction de ministre de l’Intérieur, en gardant seulement ses fonctions dans l’appareil du PCR. C’est une
victoire importante de Ceausescu, dont l’adversaire se trouve ainsi privé de son principal atout dans la lutte pour le
18
Ibidem, p. 806
Mary Ellen Fischer, op. cit., pp. 77-78
20
Cf. Congresul al IX-lea..., p. 731
21
Cf. Congresul al IX-lea..., p. 739
22
Voir aussi M. E. Fischer, op. cit., p. 80.
23
Cf, Congresul al IX-lea..., p. 803 (notre traduction du Roumain)
19
6
pouvoir. Dès ce moment, le secrétaire général commence une vaste opération de réorganisation du ministère et de reévaluation de son rôle dans les épisodes de la répression des années 1950, qui lui permettra de compromettre et,
quelques années plus tard, d’obtenir l’exclusion de Draghici des organes dirigeants du PCR. Le nouveau ministre de
l’Intérieur, nommé le 27 août 1965, est Corneliu Onescu, ex-secrétaire-adjoint de la section de l’Organisation du
Parti, qui a des liens personnels avec Ceausescu.24
Dans une position analogue à celle de Draghici – mais pour lui le mouvement a la signification d’une
promotion – se trouve Ilie Verdet. Il renonce, suite à l’adoption des nouveaux Statuts, à ses fonctions dans le Comité
Central et devient vice-président du Conseil des Ministres. Comme Verdet fait partie de l’équipe des fidèles de
Ceausescu, sa promotion a la signification d’un premier pas de ce dernier vers le contrôle de l’appareil d’Etat. Au
bout de quelques années, Verdet obtient une autorité plus grande que celle des autres vice-présidents du Conseil.25
Dès janvier 1967, il devient, d’avec Alexandru Barladeanu et Emil Bodnaras, premier vice-président du Conseil des
Ministres, en remplaçant Gheorghe Apostol.26 En avril 1967, il a déjà l’habilitation à signer des décrets au nom du
Président du Conseil, I. Gh. Maurer.
Dans les années 1966-1967, l’utilisation des même techniques de prise du pouvoir se poursuit et la
position de la nouvelle équipe dirigée par Nicolae Ceausescu continue de se renforcer. En juillet 1966, à l’occasion
des élections pour le Présidium permanent, Paul Niculescu-Mizil et Ilie Verdet sont cooptés dans cet organisme. La
même année, Vasile Vilcu et Ilie Verdet deviennent membres titulaires du Comité Executif, tandis qu’en novembre
1967 Virgil Trofin y est élu membre suppléant.
Dès 1966, Ceausescu se montre de plus en plus intéressé par le contrôle de l’appareil d’Etat. Les milieux
communistes roumains offrent une explication de cet intérêt, explication reprise comme telle par les milieux
diplomatiques de Bucarest : même s’il est de plus en plus impliqué dans le nouveau cours de la politique étrangère
roumaine, le secrétaire général n’a encore aucune qualité officielle de recevoir et de discuter avec les chefs d’Etat,
ambassadeurs, diplomates étrangers.27 Les mêmes milieux diplomatiques mentionnent la possibilité d’une abrogation
de l’article 13, point b) des Statuts du Parti, ce qui permettrait à Ceausescu d’occuper la fonction de président du
Conseil d’Etat, tout en gardant la position de secrétaire général. L’événement se produit à l’occasion de la
Conférence nationale du PCR de 6-8 décembre 1967. A la suite d’un rapport présenté par Virgil Trofin, qui
soulignait la nécessité d’éliminer “le parallélisme” dans la direction du Parti et de l’Etat, Chivu Stoica, le président
en chef du Conseil d’Etat, propose l’abrogation de l’article 13 des Statuts et se dit prêt à céder la place à Ceausescu.28
La nouvelle position de Ceausescu obtient l’accord de la Grande Assemblée Nationale, qui, le 9 décembre, rédige
une décision le confirmant dans la fonction de président du Conseil d’Etat. Ainsi, il s’assure le contrôle sur les
principaux mécanismes du pouvoir, tant au niveau de la direction du Parti qu’au niveau de l’appareil d’Etat. Aussi,
24
Voir aussi les remarques en ce sens de Jean-François Noiville, in loc. cit., dossier 171
Voir en ce sens le rapport de Jean Louis Pons de 7 décembre 1967, in loc. cit., dossier 174
26
Cf. la liste des gouvernements communistes, in Ion Alexandrescu, Ion Bulei, Ion Mamina, Ioan Scurtu,
Enciclopedia partidelor politice (“L’encyclopédie des partis politiques”), Bucarest, Editions Mediaprint, 1995, p.
321
27
Voir le rapport de 18 décembre 1966 de Jean-Louis Pons, ambassadeur de la France en Roumanie, in loc. cit.,
dossier 174
25
7
pour ce qui est de rapport des forces à l’intérieur du Parti, la Conférence nationale consacre le contrôle du secrétaire
général sur les majorités du Secrétariat du CC et du Comité Exécutif.
Entre décembre 1967 et août 1969 (le Xème Congrès du PCR), les deux directions d’action poursuivies
par Ceausescu visent, d’un côté, l’élimination définitive de ses deux principaux adversaires, Alexandru Draghici et
Gheorghe Apostol et, d’un autre côté, la consolidation de son contrôle personnel sur l’appareil d’Etat. Pour
l’accomplissement de ce dernier but, l’action se focalise sur la réduction de l’importance du Conseil des Ministres
dans le processus de décision politique, au bénéfice du Conseil d’Etat, dont le président est Nicolae Ceausescu. A
l’occasion de la séance plénière du CC du PCR de 11 mars 1969, Ceausescu propose des mesures visant la
redéfinition des attributions des organes d’Etat. Par exemple, le Conseil Economique, qui depuis 1967 est dirigé par
Manea Manescu, n’est plus subordonné au Conseil des Ministres, mais au Conseil d’Etat.29 Ainsi, le Conseil d’Etat –
donc Ceausescu lui-même – assure le contrôle sur l’un des vecteurs les plus importants de la politique économique
du PCR. Au cours du même mois, la Grande Assemblée Nationale adopte la Loi sur le fonctionnement du Conseil de
la Défense quiétablit que cette organisme sera dirigé par le secrétaire général du PCR. Ceausescu devient alors le
commandant suprême de l’Armée.30 On peut observer donc que, quelques mois avant le Xème Congrès du PCR,
Ceausescu contrôle déjà les principaux mécanismes du pouvoir, tant au niveau de la direction du Parti, qu’au niveau
de l’appareil d’Etat.
L’élimination d’Alexandru Draghici de la compétition pour le pouvoir s’est montrée la preuve la plus
solicitante pour le secrétaire général. Sa formation d’aparatcik et son expérience comme membre du Bureau
Politique aux temps de Gheorghiu-Dej l’ont sans doute enseigné sur l’importance du contrôle de l’appareil de
répression d’un Etat communiste. Remplacer Draghici au poste de ministre de l’Intérieur par un de ses fidèles ne
pouvait être que le début de l’action de marginalisation et de délégitimation de son adversaire. Les intentions de
Ceausescu à l’égard de Draghici se sont précisées au long de plusieurs années. Une première étape de sa stratégie
s’est déroulée à l’occasion de la séance plénière du CC de 26-27 juin 1967. Convoquée d’urgence – urgence qui ne
se justifiait pas par les autres points de l’ordre du jour – cette séance avait pour but de discuter la situation du
Ministère de l’Intérieur31. Le communiqué qu’on a publié se distinguait par son extrême ambiguïté. L’on peut quand
même remarquer que, si pour les autres sujets discutés le texte précisait seulement “l’accord” du plénum, sur la
question du Ministère de l’Intérieur, l’on ajoutait que les participants ont “analysé” son activité et que l’on a établi
“des mesures pour le perfectionnement de son activité”.32 Le plus probablement, Ceausescu a utilisé cette occasion
pour vérifier la réaction des membres du CC et des employés du Ministère de l’Intérieur à la perspective d’une mise
28
Cf. “Scanteia”, 8 décembre 1967
Voir Yearbook on International Communist Affairs, 1970, p. 76
30
Il était aussi le président du nouveau Front de l’Unité Socialiste, constitué en octobre 1968, organisation de masses
subordonnée au Parti, qui avait pour but la mobilisation électorale au niveau national. En marge d’un rapport de
l’ambassadeur français à Bucarest, le ministre Michel Debré soulignait la situation inhabituelle de ce cumul de
fonctions; cf, le télégramme de 15 mars 1969 de l’ambassadeur Pierre Pelen, loc. cit., dossier 167
31
Voir les opinions des diplomates occidentaux à Bucarest dans le rapport de Philippe Richer, le chargé d’affaires
de la France, de 4 juillet 1967; cf. loc. cit., dossier 173.
32
Le communiqué et le contenu des discussions ont été publiés dans la presse avec un mois de retard. Voir aussi
l’analyse de Dennis Deletant, Ceausescu si securitatea. Constrangere si dizidenta in Romania anilor 1965-1989
(“Ceausescu et la Securitate. Répression et dissidence dans la Roumanie des années 1965-1989), Bucarest, Editions
Humanitas, 1998, pp.87-88
29
8
en accusation publique de Draghici pour les crimes commis par la Securitate avant 1965. L’on peut en déduire aussi
que, sans lui être ouvertement hostile, la réaction du CC a été plutôt méfiante à l’égard d’une telle action, résultat de
la peur de fractionnisme des représentants de la vieille génération, mais aussi de peur qu’elle aurait pu mettre en
évidence une fracture entre le Parti et la société roumaine.
Mais aux yeux de Ceausescu ces raisons ne sont pas suffisamment fortes pour le détourner de son but. Le
22-25 avril 1968, à l’occasion d’une autre séance plénière du CC il réussi de faire éliminer définitivement son rival
des organes dirigeants du Parti.33 La signification de cet épisode n’a encore été que partiellement étudiée par les
historiens roumains et encore moins par les étrangers. Il est d’ailleurs le seul épisode plus spectaculaire lié à
l’ascension de Ceausescu. Son importance ne consiste pas seulement en l’élimination du principal rival de
Ceausescu, mais il représente également une victoire au niveau de son image publique à l’intérieur du pays, bien
avant le moment de son opposition à l’invasion de Prague, en août 1968. Il a aussi la signification d’un fort
avertissement que Ceausescu fait parvenir à ses autre rivaux, membres de l’ancienne équipe dirigeante de GheorghiuDej.34
En fait, par la réhabilitation des victimes des persécutions politiques de Gheorghiu-Dej, Ceausescu met en
question la légitimité du régime entier de son prédécesseur et, plus ou moins directement, de tous ceux qui ont fait
partie de son équipe dirigeante. L’exclusion de Draghici des organes dirigeants du PCR ne représente que l’effet le
plus direct et le plus visible de cette opération. La signification profonde de l’épisode des réhabilitations est donnée
par la réussite de l’effort de légitimation de la personne de Nicolae Ceausescu qui, en critiquant également les abus
de Dej et les fautes du Komintern, la passivité du Bureau Politique devant les assassinats des leaders communistes et
l’intervention directe des Soviétique dans ces assassinats, se présente comme le seul en mesure de réaliser une
réforme morale du Parti, le seul qui pourrait assurer le respect de la loi et des principes de la démocratie socialiste et,
en même temps, de préserver une indépendance réelle du pays contre les influences négatives du régime soviétique.
Cette tendance de Ceausescu de substituer, dans la relation avec la société roumaine, sa propre image à
l’image du Parti – tendance que le moment août 1968 n’a fait qu’accentuer – représente, à notre avis, la clef
d’interprétation de son régime après 1969. Dans ce contexte, la décision du Xème Congrès du PCR que le secrétaire
général soit élu directement par la totalité des communistes, et non plus par le CC comme avant, ne fait qu’assurer à
Ceausescu, en sa qualité de représentant direct de la majorité, un atout symbolique par rapport aux autres membres
33
Cette séance plénière a été précédée par une séance du Présidium Permanent où il a eu lieu la vraie confrontation
entre Draghici et Ceausescu. Le texte intégral n’est pas encore disponible dans les archives roumaines, mais des
fragments ont été publiés par Marius Oprea, Banalitatea raului. O istorie a Securitatii in documente. 1949-1989 (“La
banalité du mal. Une histoire documentée de la Securitate. 1949-1989”), Iasi, Editions Polirom, 2002, pp. 365-376.
Voir aussi ibidem, pp. 377-378, pour la protestation de Gheorghe Apostol contre l’élimination de Draghici; il s’agit,
le plus probablement, d’un article destiné à être publié dans “Scanteia”, qui a été refusé par la censure.
34
En ce sens, il faudrait remarquer les différences d’attitude et de langage entre le discours de Ceausescu à
l’assemblée des membres du Parti de Bucarest et celui de Gheorghe Apostol à Brasov; cf. “Scanteia” de 28 et 29
avril 1968. Tous les deux se trouvaient là-bas pour expliquer les raisons de l’élimination de Draghici des organes
dirigeants du PCR, mais on peut remarquer la prudence et la modération d’Apostol qui, en sa qualité de membre de
l’ancien Bureau Politique, pourrait lui aussi être considéré responsable pour les crimes imputées à Draghici. Par
contre, Ceausescu, qui est entré dans le Bureau après 1955, donc après l’assassinat de Lucretiu Patrascanu, rival de
Gheorghiu-Dej, pouvait clamer de façon crédible son innocence et a donc un discours beaucoup plus critique.
9
de la direction du Parti.35 De l’analyse de la structure des organes dirigeants élus par le Congrès et des discours des
délégués, qui contiennent déjà les germes du futur culte de la personnalité du secrétaire général, l’on peut conclure
que le moment du Xème Congrès du PCR représente la consécration de Ceausescu dans la position de leader noncontesté du Parti. Ce n’est pas par hasard que le congrès ne se trouve plus dans la situation de voter pour un
accroissement numérique du Comité Central36, signe que le transfert du pouvoir est terminé37. La tendance
manifestée dans les années suivantes sera plutôt opposée, visant la diminution du nombre de membres de la direction
du Parti, comme modalité de faciliter le contrôle du secrétaire général sur tous les mécanismes du pouvoir.
Les techniques du transfert du pouvoir opéré entre 1965 et 1969 au bénéfice de Nicolae Ceausescu ont une
importance capitale pour le profil de son régime jusqu’en 1989. Nous considérons que l’analyse de son ascension au
pouvoir, facilitée sans doute par les traits généraux du communisme roumain et par le fonctionnement des organes
dirigeants du PCR dès le début de ce système politique en Roumanie, constitue la clef pour la compréhension globale
de ce régime et le point d’où devrait commencer toute recherche sur la période qui s’en suit jusqu’en 1989. Les
nouveaux mécanismes du pouvoir mis en mouvement à cette occasion ont continué de fonctionner de façon similaire
jusqu’à la fin du régime Ceausescu. Avec peu d’exceptions, les hommes que Ceausescu a promus au cours de ces
quatre ans, sur le critère principal de leur fidélité à son égard, ont continué leur ascension dans les années 1970-1980
et sont devenus l’élite politique de la Roumanie. La plupart des évolutions survenues dans le discours politique et
dans le fonctionnement de l’appareil politique après 1969 ont représenté des modifications de nuance et non pas de
substance des orientations entamées au cours des quatre ans qu’on a analysés. Dans ces conditions, les années 19651969 peuvent être considérées, malgré leur image de période d’ouverture idéologique et de dégel au niveau des
rapports entre le Parti et la société roumaine, généralement répandue parmi les historiens, comme le moment
primordial dans l’articulation du régime Ceausescu comme modèle d’un communisme neo-stalinien.
35
M. E. Fischer, op. cit., pp. 153-159, ne semble pas accorder beaucoup d’importance à cet épisode; par contre, à
l’époque, il a été bien mis en évidence par les diplomates occidentaux à Bucarest (cf, le télégramme de Pierre Pelen
au Ministère français des Affaires Etrangères, de 12 août 1968, loc. cit., dossier 177)
36
Cf. ibidem, la dépêche de Pierre Pelen de 20 août 1968
37
C’est aussi le moment choisi par Ceausescu pour l’élimination discrète de Gheorghe Apostol des organes
dirigeantes du PCR; pour les explications d’Apostol sur cette exclusion et sur son conflit avec Ceausescu, voir
Lavinia Betea, op. cit., ¸pp. 277-279.
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