Les grandes figures catholiques de la France - Reseau

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Les grandes figures catholiques de la France - Reseau
En cy cl o p é d ie d e l’h o n n ê te h o mm e
ension – Florilèges – fragments – extraits – recension – critique – grands textes – textes incorrects – critiqu
François Huguenin
Les grandes figures
catholiques de la France
Éditions Perrin, 381 pages, octobre 2016
Présenté par Danièle Masson
S
aluons le livre de François Huguenin,
Les grandes figures catholiques de la
France. En ces temps de panne de la
transmission, il renoue avec l’histoire chronologique des grands évènements et des grands hommes,
des saints et des rois, et prouve
par l’exemple que le catholicisme fut consubstantiel à la
France : « Pendant des siècles,
la France a été chrétienne […]
Notre histoire ne peut être
amputée de cette réalité structurante ».
15 personnages
pour 1500 ans d’histoire
15 personnages pour 1500
ans d’histoire ; d’où un choix
qui peut sembler arbitraire
mais qui a sa logique : privilégier les hommes
et les femmes qui ont contribué à construire
et grandir la France. D’où, après la rupture
radicale de la Révolution française, un seul
personnage pour le XIXème siècle et un seul
pour le XXème, mais quatre pour le Grand
Siècle, parce qu’il « marque l’âge d’or de la
puissance française, l’apogée de l’union du
trône et de l’autel ».
De chaque personnage, François Huguenin
brosse à la fois un portrait individualisé, rend
compte de ses origines, de son itinéraire, de
son bilan, et dégage la continuité ou la rupture
qu’il instaure dans l’histoire.
Certains diront que la page
est tournée, que l’ère postchrétienne est irréversible ;
Huguenin répond que « l’histoire n’est pas un passé mort,
mais un viatique pour le présent, toujours vivant si l’on
prend garde de ne pas l’oublier ».
Son livre est pédagogique,
son auteur explique par des
notes en bas de page, pour
pallier les ignorances et les
mémoires défaillantes, les
mots anciens et les hommes oubliés : baillis
et sénéchaux, échevins, Charles Borromée et
le concile de Trente, etc. Il met en perspective,
relativise en les plaçant dans leur contexte,
les actes qui nous semblent condamnables :
la rouelle imposée aux Juifs par saint Louis,
prescription du concile de Latran, en un temps
où l’antijudaïsme était courant, et ne se
confondait pas avec l’antisémitisme. Le terrible siège de La Rochelle par Richelieu, parce
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que les protestants tendaient à y établir un
Etat dans l’Etat. Et puis les collections de maîtresses d’Henri IV, à un moindre degré de
Louis XIV, en un temps où l’adultère, dans
certaines classes, était commun, compte tenu
aussi du fait que les mariages des rois étaient
rarement d’amour, mais le moyen d’alliances
avec des puissances étrangères.
On l’aura compris, Huguenin s’interdit
l’hagiographie, ses héros ne sont pas des
figures de vitrail, ils sont profondément humains, et par leurs failles nous les sentons
proches de nous. L’auteur ne cache pas le caractère exécrable de saint Bernard, les zones
d’ombre de saint Vincent, la dure justice de
saint Louis. Les figures les plus lumineuses
sont féminines : Jeanne d’Arc, « dans l’histoire
de France la perle la plus précieuse », Thérèse
de l’Enfant Jésus, « prophète des temps nouveaux », dont il souligne le rôle historique :
se débarrasser d’un certain jansénisme, mettre
l’accent sur la miséricorde divine. Entre les
deux, la fulgurance du génie de Pascal, l’enfant
terrible de Port-Royal, et son « Dieu sensible
au cœur », à condition de comprendre que
le cœur pour Pascal, ce n’est pas le siège des
émotions, mais le point d’insertion en l’homme
de la grâce divine.
Puisqu’il n’est pas d’éloge flatteur sans critique, on s’interrogera sur la tendance psychologisante de l’auteur : faut-il vraiment déceler chez Louis XIV une carence affective
qui le pousse à magnifier la couronne, chez
Thérèse et Pascal une angoisse d’abandon, et
surtout chez ce dernier la possibilité d’une
« pathologie maniaco-dépressive » qui me
semble difficilement compatible avec la maîtrise du génie pascalien ?
Les deux glaives, ou la difficile distinction du spirituel et du temporel
Un des thèmes majeurs et passionnants
du livre, qui court à travers tous les personnages jusqu’au temps des Lumières, c’est le
lien entre le spirituel et le temporel, le pape
et le roi, entre ces princes chrétiens investis
aussi d’un pouvoir spirituel, et ces princes
de l’Eglise munis eux aussi d’un pouvoir temporel.
Clovis, par sa conversion au christianisme
catholique dans un pays majoritairement
arien, par son appui sur l’Eglise, par son application du droit romain écrit, inaugure « la
quête d’un espace de vie politique indépendant
des empires et créant les conditions d’une liberté réciproque avec l’Eglise ». Huguenin
souligne « la part mystérieuse de sa conversion », mais Hincmar successeur de Rémi à
Reims, l’évoque autrement : « Il avance, nouveau Constantin » : il décèle en lui la tentation
de l’Empire.
Charlemagne sacralise la fonction en exigeant de tout homme un serment de fidélité :
« la fidélité devient sacralisée, la rupture du
serment parjure ». Il soutient le pape Léon III
mais lui fait payer le prix de son soutien :
Léon III se prosterne devant le roi, sacré lui
aussi, et investi aussi d’un pouvoir spirituel.
Deux siècles après Charlemagne, Suger, le
moine politique, symbolise l’imbrication du
politique et du spirituel : Père abbé de l’abbaye
de Saint-Denis il devient conseiller du roi et
c’est ensuite le pape qui lui confie la régence
du royaume.
Saint Louis « scelle définitivement l’alliance
entre la monarchie et l’Eglise ». Il est sans
doute le seul roi à harmoniser vie publique et
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vie privée en incarnant sa foi dans l’une et
l’autre, mais il n’abandonne pas à la papauté
les prérogatives temporelles de la monarchie.
L’acmé de la tension des relations entre le
pape et le roi est atteinte avec Philippe Le Bel,
et Huguenin écrit là, me semble-t-il, son
meilleur chapitre. Philippe met en place « le
travail d’orfèvre capétien » qui regroupe autour
de la couronne le « pré carré », « tout en
tenant compte des libertés et coutumes locales ».
La tension entre le pape et le roi est à son
comble. La papauté développe la théorie des
deux glaives. Le prince de l’Eglise intervient
selon deux modes : directement, par le pouvoir
spirituel, indirectement, par l’intermédiaire du
bras séculier. Mais Alcuin met les deux glaives
dans les mains de Charlemagne ; quant à saint
Bernard, il les confie à la suprématie du pape.
Face à Boniface VIII qui affirme en plein consistoire : « Je suis César », les légistes de Philippe
Le Bel théorisent une autre conception : « le
roi est empereur en son royaume ». Dès lors
le conflit est inévitable. Boniface veut destituer
Philippe ; Philippe fait arrêter Boniface. Roi
pourtant chrétien, Philippe Le Bel apparaît
comme « un des rois qui ont fait la nation
française », indépendante et souveraine.
Au XVIe siècle apparaît une force centrifuge :
la religion réformée. Avec Henri IV, fils d’un
père catholique et d’une mère calviniste, se
succèdent abjurations et retours au protestantisme, jusqu’à 1598 : Henri se comporte
alors en roi catholique et œuvre pour l’Eglise
de France. Ce qui frappe en ces époques de
rois inégaux, c’est leur capacité à bien s’entourer,
c’est la forte personnalité de leurs ministres et
conseillers : Sully apure la dette et relance
l’agriculture, Richelieu, cardinal-ministre de
Louis XIII, conçoit le gouvernement comme
un sacrifice, à l’imitation du Christ, et assume
pleinement sa double tâche : rétablir l’autorité
et l’unité à l’intérieur, garantir la paix à l’extérieur.
Louis XIV, qui a vécu dans son enfance les
violences de la Fronde, accentue en réaction
l’œuvre de centralisation en affaiblissant les
pouvoirs locaux qui limitent son pouvoir. La
monarchie de droit divin, qui n’a de compte
à rendre à personne sinon à Dieu, est en
quelque sorte une réponse à la Fronde. Louis
XIV, lui aussi, sait s’entourer. Ses ministres et
conseillers, Colbert et Vauban en particulier,
contrebalancent l’influence souvent peu favorable de ses maîtresses, les marquises de
Montespan et de Maintenon. Huguenin intitule
opportunément son chapitre Louis XIV, le
Soleil et les ombres.
L’ère post-chrétienne
Après le roi Soleil, le roi martyr : Louis XVI.
L’analyse de l’auteur est nuancée. Louis at-il provoqué la Révolution par ses rappels et
renvois de ministres, son impuissance à réaliser
les réformes nécessaires, ses abdications
devant des pouvoirs qu’il eût fallu dominer et
discipliner ? Ou bien la Révolution était-elle
inévitable, aboutissement historique d’une
loi de nivellement à l’œuvre déjà chez les
monarques précédents ? Ce qui est certain,
c’est qu’avec l’âge de Lumières on entre dans
l’ère post-chrétienne, et que le roi fénelonien,
auquel on n’avait pas appris la spécificité du
politique qui est la nécessité de décider, s’est
trouvé confronté à des forces subversives sans
précédent, qui ont instrumentalisé le peuple.
En témoigne l’aveu de Camille Desmoulins :
« Le peuple de Paris n’a été qu’un instrument
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de la Révolution […] Nous avons été les
machinistes de la Révolution ».
Cette entrée dans l’ère post-chrétienne
explique que François Huguenin n’ait évoqué
aucun chef d’Etat pour incarner le XIXème
siècle, et un seul pour le XXe siècle, dont le
choix était pour lui une évidence : Charles
De Gaulle. Bien sûr, on aurait aimé que
trouve aussi sa place Charles de Foucauld.
Mais le choix de De Gaulle était à la fois
discutable et inévitable. Huguenin ne fait
pas l’hagiographie du général. Il reconnaît
son machiavélisme. Il reconnaît que son objectif à Londres – la reconnaissance par les
Anglais et les Américains de la France libre
comme France légitime, et le rassemblement
autour de lui des résistants de la France libre
– fut un échec, « double défi impossible »
écrit l’auteur. Il reconnaît que ce sont les
Alliés qui ont libéré la France et pas De
Gaulle. L’armistice était pour lui une trahison ?
Mais il avait aussi confié au général Odic,
qui était en 1940 chef d’état-major de l’Armée
de l’air : « N’avouez jamais que l’armistice
ne pouvait pas être évité ».
Surtout, rappelé au pouvoir en 1958 pour
restaurer l’Etat mais aussi pour résoudre le
drame de l’Algérie, il mit en œuvre une
stratégie machiavélique indifférente aux
drames humains : négociation avec le FLN
alors que la guerre était gagnée sur le
terrain, abandon des harkis voués au massacre, exil des pieds noirs. « Tache noire du
bilan gaullien », écrit Huguenin ; « une des
pages les plus honteuses de l’histoire de
France », écrit Dominique Schnapper. « De
toutes les solutions, conclut Raoul Girardet,
on a choisi la plus mauvaise ».
L’historien se demande « comment cela
s’articule avec sa foi catholique », mais se
refuse à juger : « l’historien se retire sur la
pointe des pieds ». Car De Gaulle est pratiquant, se confesse et va à la messe, paie
lui-même ses factures d’électricité, à quoi
l’on peut ajouter, ce qui était rare chez les
rois, et le sera tout autant chez les présidents,
qu’il n’a sans doute jamais trompé sa femme.
Mais justement, il incarne bien cette ère
post-chrétienne où la foi privée n’a pas
d’incidence sur la vie publique, qui peut
donc entrer en contradiction avec elle.
Est-ce à cela que songe une certaine droite
intellectuelle ou politique aujourd’hui, qui,
de Zemmour à Guaino, de Dupont-Aignan
à Philippot, et même de Juppé à Hollande,
se dit gaulliste ou gaulienne ? Zemmour crédite De Gaulle d’avoir « réussi la synthèse
entre les deux France, la monarchie et la république ». Monarchie chrétienne enfouie
au fond des consciences, république agnostique ou athée qui affiche ses « valeurs ». À
sa manière, dans ses dernières pages, François
Huguenin illustre ce dilemme. Il ne pouvait
choisir l’agnosticisme ou l’athéisme de Napoléon, Clémenceau, Pétain. Il a choisi De
Gaulle, symbole d’une époque où ne s’opère
plus la distinction du spirituel et du temporel,
mais leur radicale séparation.
Son beau livre en tout cas s’accorde avec
l’injonction de Charles Péguy reprise par
Patrick Buisson : « Il faut que France, il faut
que chrétienté continue. Non pas tant une
adhésion confessionnelle que cette amitié
supérieure qui lie les Français entre eux et
qui a façonné notre sociabilité nationale ».
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