Centre de Jour Grandir

Transcription

Centre de Jour Grandir
Centre de Jour Grandir
Présenter le travail de toute une équipe en 15', ce n'est pas facile. Nous allons donc profiter du
reportage tout récent fait par l'équipe de l'émission de la RTBF Ça bouge1 avec Myriam Marchand.
http://www.rtbf.be/cap48/cap48tv/ca-bouge/ca-bouge-%e2%80%9cgrandir%e2%80%9d/
Texte du reportage de Myriam Marchand :
« Grandir, même si on est différent. » Pour ce spécial Cap 48, Ça bouge part à la découverte d'un
Centre de jour pour enfants atteints de troubles du développement, des jeunes pour qui l'école est
une exigence insupportable. Grandir se veut donc un lieu différent ou l'enfant est accompagné selon
son propre cheminement.
Pour Rania, Ketsia, Maxime et les autres, la journée est rythmée par des activités régulières qui
leur permettent de se confronter à l'Autre, à l'objet et au savoir. Rien n'est imposé, tout est
personnalisé car chacun d'entre eux a sa propre façon d'entrer en relation.
Fabienne Hody : Si on doit donner un diagnostic, c'est souvent un diagnostic d'autisme, de
psychose ou de trouble envahissant du développement. Ce sont les termes médicaux mais ce sont
surtout des enfants qui sont en difficulté avec le fait qu'on exige quelque chose d'eux, qu'on leur
parle, qu'on leur demande quelque chose de précis.
Chez les plus jeunes, ce qu'on voit surtout au départ, c'est soit, une certaine indifférence au
autres, soit, une grosse difficulté dans le contact avec les autres.
Margarida Monteiro : Maxime quand il est arrivé, c'est un enfant qui ne venait pas vers nous. On
n'existait pas pour lui, il restait dans son coin. Il a fallu le temps. Même au niveau de l'expression de
son visage, c'était un visage ― comment dire ça ? ― un visage fermé ? Presque de la tristesse. Je ne
sais pas si je peux utiliser le mot « tristesse » mais en tout cas, il n'était pas bien. Il restait dans son
coin et c'est après, avec le temps, petit à petit, qu'il a commencé à venir vers nous mais pas toujours
de la bonne façon. Actuellement, Maxime sourit beaucoup, il vient nous interpeller mais en nous
tapant très fort, parfois c'est vraiment des claques ! Mais il faut considérer cela comme un appel
F. H. : On travaille selon le contraire d'une méthode, on utilise souvent le terme de « clinique »
C'est à dire qu'on rencontre d'abord l'enfant. La toute première chose, c'est de lui permettre de
s'apaiser. D'être un peu en confiance avec nous, d'être tranquille, de nous montrer ce qui est
important pour lui. A partir de là, c'est l'enfant qui va nous montrer comment lui, il essaie de se
débrouiller.
Margarida Monteiro :Ketsia en arrivant, était vraiment très très angoissée. Elle passait tout son
temps dans les bras des intervenantes. Elle nous agrippait vraiment tellement l'angoisse était forte.
Myriam Marchand : Et aujourd'hui ?
Ma.M. : Aujourd'hui elle est beaucoup plus apaisée.
My.M. : Comment vous y êtes vous pris ?
Ma.M. : Avec beaucoup de tact. Avec ces enfants, il faut se laisser guider. Alors on avance, on
recule, quand on sent qu'on peut y aller, on y va. Il faut l'écouter.
1
Ça bouge RTBF, 14 mai 2011, 8 minutes, http://www.rtbf.be/ladeux/emission/detail_ca-bouge?id=45
F.H. : Ce qui est difficile pour eux, ce qui empêche leur entrée à l'école, c'est de supporter qu'on
leur demande de faire quelque chose. Écrire un « A », c'est d'une manière et pas d'une autre. En
« Atelier Terre », ils font comme ci ou comme ça, c'est leur choix, en classe, le « A » s'écrit comme
ça, le « B » s'écrit comme ça et pas autrement. Donc on les accompagne.
Virginie Latour (institutrice de L’École Escale à Grandir) : [Les intervenants en classe] servent à
pouvoir soutenir les enfants dans leur démarche d’apprentissage ― qu'ils ne soient pas tout seuls ―
et à pouvoir trianguler. On peut trianguler avec l'enfant, on n'est pas toujours confrontés face à face
― parce que le face à face pour eux est très très difficile ― et passer par une autre personne pour
leur faire comprendre quelque chose.
M.M. : Dans le cas de Rania c'est une belle évolution ; il y a d'autre enfants qui prennent
beaucoup plus de temps, d'autres enfants qui n'arriveront jamais à faire le chemin qu'a fait Rania,
mais chaque enfant a son propre chemin.
V.L. Cette année-ci, elle (Rania) a été la plus grande au sein de la classe et tout de suite elle a
commencé à prendre ses repères à bien vouloir accepter les demandes, à travailler toute seule, à
demander de l'aide quand elle ne savait pas. Et maintenant on se rend compte qu'elle est dans la
découverte des lettres et partout ― j'ai pris le métro avec elle mardi ― elle lisait ce qui était écrit et
elle disait ça c'est le « O » comme dans tel prénom, ça c'est le « U ». On voit vraiment qu'elle est
dans une démarche comme un enfant de troisième maternelle qui évolue vers la pré-lecture.
F.H. : Ce n'est pas l'enfant qu'on veut contraindre mais on veut contraindre et empêcher ce qui
l'envahit parfois. C'est à l'angoisse qu'on dit non, c'est à la violence qu'on dit non. C'est à ce qui les
déborde et qui leur est insupportable qu'on doit dire non ; et à eux et à leur invention, on dit oui.
Parfois c'est très difficile de faire la différence entre les deux mais on cherche toujours.
Ce qui est formidable en randonnée c'est que tout le monde est en paix. On n'est plus enfermé et
pourtant on est en sécurité. On peut courir, on peut s'éloigner, on peut revenir. On peut parler, on
peut se taire. C'est un atelier extrêmement apaisant.
M.M. : Je pense que ça, c'est un premier travail, l'apaisement. Dans un premier temps c'est que
l'enfant soit apaisé. C'est le cas de Maxime, maintenant il est apaisé, il a retrouvé le sourire.
My.M. : Centre de jour pour enfant non scolarisés, Grandir est situé à Saint-Josse à Bruxelles. Il
accueille actuellement seize enfants de trois à douze ans.
Qui est-il cet enfant-là ?
Notre approche de l'enfant n'est pas une méthode pédagogique ou éducative, c'est une approche
clinique. Avant de rencontrer un enfant, nous ne pouvons pas savoir comment il conviendra de
travailler avec lui en particulier hormis les quelques grandes lignes qui découlent des
caractéristiques connues de la position des sujets autistes2 et qui nous servent à mettre en place un
dispositif de départ.
Mais « Qui est-il cet enfant-là ? »3 c'est la question que nous nous posons, non seulement à son
arrivée mais tout au long de son séjour à Grandir. Qu'est-ce qui l'angoisse ? Qu'est-ce qui lui fait
plaisir ? Qu'est-ce qui l'intéresse ? A quoi lui sert cet objet qu'il trimballe partout et refuse de
laisser ? Quel travail fait-il ? Est-ce que cela lui permet d'avancer, d'entrer en lien ou cela le met-il
en en impasse ? Comment entre-t-il ou évite-t-il le contact avec les autres ?
Apaisement
Pour pouvoir répondre à ces questions, nous devons donc d'abord offrir à l'enfant un
environnement et un accompagnement qui l'apaise et le mette en confiance. Nous devons donc
respecter ses défenses, son besoin de prévisibilité, d'immuabilité, de compréhension de ce qui
l'entoure. D'où la mise en place d'horaires réguliers, de places attribuées, de repères visuels
(pictogrammes, couleurs, photos, tableaux horaires, horloge...), la simplification de notre manière
de nous adresser à lui verbalement (phrase courtes, positive, non métaphoriques), l'usage éventuel
de signes en appui à la parole (Sésame). Nous savons que ces enfants supportent mal les
manifestations de notre présence, nos demandes. Et cela passe en particulier par la voix et le regard.
Ketsia ne supportait pas qu'on la regarde, alors les intervenants se sont cachés les yeux, ont
regardé ailleurs. Après quelque temps, son inquiétude est tombée et c'est devenu un jeu.
Rania qui se présente maintenant avec tant de facilité ne parlait pas il y a deux ans. Quand on
s'adressait à elle, elle répondait de manière écholalique ; à « Bonjour Rania », elle répondait
« Bonjour Rania » mais le ton de sa voix nous indiquait à quel point ce simple bonjour pouvait être
ressenti par elle comme intrusif. Alors nous évitions de nous adresser à elle directement. Nous
saluions les autres et attendions qu'elle puisse venir vers nous en imitant les autres enfants.
Il n'y a pas de norme, chacun des intervenants invente sa propre manière de répondre aux
difficultés de l'enfant. La variété des styles, des personnalités et des formations permettent à l'enfant
de choisir les partenaires et les réponses qui lui conviennent le mieux. Et ce choix, dont nous
pourrons parler ensuite en réunion d'équipe nous apprendra comment orienter le travail avec lui.
Les intervenants s’abstiennent donc d'exiger quoique ce soit des enfants hormis le respect de
quelques règles de vie en commun indispensables. Ils doivent être toujours très attentifs à la
manière dont ils s'adressent à eux. Cette attitude crée une atmosphère particulière qui dans le cas de
Rania a suffit à ce qu'elle puisse se mettre au travail, participer toujours plus au ateliers proposés et
enfin prendre la parole.
2 Pour cela, nous nous appuyons non seulement sur notre expérience et celles d'autres praticiens mais aussi sur les
apports théoriques de la psychanalyse appliquée au travail en institution et à l'autisme ainsi que sur différents auteurs
contemporains.
3 Selon l'expression de Philippe Lacadée, Le malentendu de l'enfant, Éditions Michèle, Paris 2010
Symptôme
Quand ça ne va pas, ou qu'un enfant a un comportement difficile à supporter ― comme Maxime
qui nous donne des claques ― nous nous demandons d'abord à quoi cela lui sert-il ? Quelle est la
fonction pour lui de ce comportement ? Nous tenterons alors de trouver avec lui une autre solution,
plus supportable qui réponde à la même nécessité.
Ce temps d'apaisement, de mise en confiance est la base du travail et nous devons toujours y
rester attentifs.
Inventions
Le second temps est celui du soutien des inventions de l'enfant. C'est là que le travail est sans
doute le moins programmable. Bien sûr, nous faisons offre d'activités extrêmement diverses dont
nous savons qu'elles peuvent donner à l'enfant les moyens de se mettre au travail. Beaucoup
d'enfants autistes apprécient la répétition des mêmes séquences, remettre de l'ordre et donc faire des
classements logiques, s'appuyer sur la sensation pour trouver de la détente, jouer de l'équilibre,
donner de la voix dans la mesure où on ne leur demande pas de prendre la parole, etc.
 Activité corporelles, (psychomotricité, sport, piscine, randonnée, vélo, etc.)
 Activités de construction et de manipulation d'objets et de matière. (Jeux de construction et
de manipulation, argile, peinture, dessin, bricolage, cuisine, etc. )
 Approches diverses et ludiques de la parole, de la langue et de la culture. (Musique,
chansons, ordinateur, livres, jeux de lettres et de mots, etc.)
Ces ateliers ont bien sûr un effet d'apprentissage mais ce n'est pas leur fonction essentielle. C'est
d'ailleurs une difficulté pour les intervenants ; ils doivent s'efforcer de ne pas être directifs. La
fonction de l'atelier n'est pas d'obtenir un produit mais de permettre la rencontre de l'enfant avec
l'objet mis en jeu, ses camarades de travail et les intervenants. De cette rencontre peut naître une
avancée originale, une invention imprévue à laquelle nous devons garantir une place.
Ketsia s'est mise à dessiner lors d'un atelier de manipulation d'objets. Elle a d'abord frappé le
tableau avec une craie, l'intervenante a entouré les traces d'un cercle et Ketsia lui a alors pris la main
pour recommencer avec les coups suivants. L'intervenante a guidé sa main pour faire de ses traces,
des yeux, le nez et la bouche d'un visage et Ketsia a poursuivi avec énergie ce travail de dessin de
manière de plus en plus autonome. Cet événement n'était absolument pas prévu !
Alessia s'est mise à dessiner des bonshommes en commençant par la bouche. Comme elle a eu
besoin de notre aide pour faire ce qu'elle voulait elle a commencé à s’adresser aux intervenants
qu'elle ignorait superbement avant, en disant « bouche ».
Pour permettre à l'enfant d'inventer et de nous faire participer à ses constructions, nous devons
rester dans une position non directive, incompatible avec une position d'enseignant.
L'Ecole Escale
Ce sont donc d'autres personnes, les institutrices de L’École Escale qui assumeront ce rôle. En
classe il faut se plier aux exigences de l'institutrice et accepter les codes préétablis pour apprendre à
lire, écrire et calculer.
Se confronter à ces exigences, c'est souvent difficile et c'est là que les intervenants qui
accompagnent les enfants en classe interviennent. Ils soutiennent l'enfant face aux exigences de
l'école en s'y soumettant eux-mêmes docilement et sans dommage apparent. Cela aide donc les
enfants à faire comme eux. Même les enfants les plus démunis peuvent apprendre beaucoup par
imitation4. Les intervenants de Grandir sont aussi là pour sortir avec un enfant quand c'est
nécessaire, quand c'est trop difficile pour lui.
Cette collaboration entre L’École Escale et Grandir est extrêmement précieuse. Le dialogue
entre nos deux équipes nous permet une meilleure compréhension et une orientation de notre
travail.
Chaque enfant bénéficie ainsi d'un soutien thérapeutique tenant compte de la subjectivité
(affectivité, angoisse, jouissance) des autistes en même temps que d'un enseignement adapté prenant
en compte la spécificité de leur fonctionnement cognitif.5
4 Jacqueline Nadel, Imiter pour grandir, Développement du bébé et de l'enfant avec autisme, Dunod, Paris 2011.
5 Jean-Claude Maleval, « Quelqu'un qui puisse lâcher prise », Quelque chose à dire à l'enfant autiste, Collectif,
Éditions Michèle, paris 2010.