La Belgique : un pays de cocagne pour les créateurs de dessins et

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La Belgique : un pays de cocagne pour les créateurs de dessins et
The University of Nottingham
From the SelectedWorks of Estelle Derclaye
Summer October, 2009
La Belgique : un pays de cocagne pour les
créateurs de dessins et modèles ?
Estelle Derclaye
Available at: http://works.bepress.com/estelle_derclaye/22/
© Estelle Derclaye 2008.
La Belgique : un pays de cocagne pour les créateurs
de dessins et modèles ?
* Estelle Derclaye
LA BELGIQUE : UN PAYS DE COCAGNE POUR LES CREATEURS DE DESSINS ET
MODELES ? ...........................................................................................................................................1
INTRODUCTION ..................................................................................................................................1
1. LA BELGIQUE ..................................................................................................................................3
1.1. LE DROIT D’AUTEUR ......................................................................................................................3
1.1.1. La loi .....................................................................................................................................3
1.1.2. La jurisprudence ...................................................................................................................4
1.2. LE DROIT DES DESSINS ET MODELES...............................................................................................6
1.2.1. La loi .....................................................................................................................................6
1.2.2. La jurisprudence ...................................................................................................................6
1.3. LE DROIT DE LA CONCURRENCE DELOYALE ...................................................................................9
2. LES AUTRES ETATS MEMBRES................................................................................................10
CONCLUSION .....................................................................................................................................13
Introduction
1. Comme on le sait, dans l’Union Européenne (UE), les dessins et modèles peuvent
être protégés par différents types de droits de propriété intellectuelle et de droits
connexes, c’est-à-dire le droit d’auteur, le droit des dessins et modèles, le droit des
marques et le droit de la concurrence déloyale. Même si pratiquement tous les aspects
du droit des dessins et modèles ont été harmonisés par la directive « Dessins et
modèles »1, le programme d’harmonisation de l’UE dans le domaine du droit d'auteur
et de la concurrence déloyale a été moins ambitieux.2 Donc même si l’harmonisation
par la directive dessins et modèles a été presque exhaustive3, inévitablement, comme
les dessins ou modèles peuvent être protégés par différentes couches de protection, le
degré de protection varie en fonction de l’Etat Membre où la protection est
recherchée. Cet article examine la protection dont les créateurs de dessins et modèles
* Associate Professor and Reader in Intellectual Property Law, Université de Nottingham. Les
commentaires sont bienvenus et l’auteur peut être contacté à [email protected] ou
[email protected]
1
Directive 98/71/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection
juridique des dessins ou modèles, JO L289/28, 28.10.1998.
2
Même si sept directives ont été adoptées dans le domaine du droit d’auteur, une uniquement (la
directive droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information, 2001/29) a harmonisé le droit
d'auteur de manière horizontale et de manière toujours très partielle. Dans le domaine du droit de la
concurrence déloyale, seulement une directive a été adoptée (à part la Directive 84/450/CEE du Conseil
du 10 septembre 1984 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres en matière de publicité trompeuse, JO L 250, 19.09.1984, p. 17-20),
c'est-à-dire la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux
pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur
et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du
Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du
Conseil («directive sur les pratiques commerciales déloyales»), JO L 149, 11.6.2005, p. 22-39) et qui
s’attache à harmoniser seulement certains aspects limités du droit de la concurrence déloyale.
3
La titularité et les aspects procéduraux sont toujours purement nationaux.
© Estelle Derclaye 2008.
1
© Estelle Derclaye 2008.
(ci-après créateurs) jouissent en Belgique grâce au droit d’auteur, au droit des dessins
et modèles enregistrés et de l’action en concurrence déloyale pour parasitisme. Il
compare ensuite la situation en Belgique avec celle dans quelques autres Etats
Membres. Cette comparaison montre que l’harmonisation partielle dans les domaines
du droit d’auteur et de la concurrence déloyale a amené des différences assez
importantes entre les pays européens en ce qui concerne l’étendue de la protection
pour les dessins et modèles de produits. En conséquence, non seulement les créateurs
sont mieux protégés dans les pays de droit civil de l’UE en comparaison avec le
Royaume-Uni, ce qui n’est pas surprenant, mais aussi qu’ils sont mieux protégés dans
certains pays de droit civil que dans d’autres. L’analyse se concentre surtout sur la
protection des articles de mode (c'est-à-dire les sacs, vêtements, chaussures,
chapeaux, ceintures, bijoux, défilés de modes et motifs ou imprimés), mais se réfère
aussi à la jurisprudence dans d’autres domaines. La France, l’Italie et le RoyaumeUni ont été choisis pour la comparaison parce que ces pays comptent indubitablement
parmi les capitales européennes de la mode et une jurisprudence nombreuse s’est déjà
développée dans ce domaine. L’article se concentre sur la jurisprudence récente, c'està-dire celle des cinq dernières années environ, ce qui coïncide plus ou moins avec le
début des litiges appliquant le nouveau droit des dessins et modèles aux niveaux
national et communautaire (la directive dessins et modèles devait être transposée pour
le 28 octobre 2001 et le règlement est entré en vigueur le 6 mars 2002).4 L’article
examine les aspects importants concernant le degré de protection dont les créateurs
peuvent jouir, c’est-à-dire l’étendue de la protection (objet de la protection, objets
exclus de la protection, et conditions de protection), les droits5 et le test de
contrefaçon. Par ailleurs, il n’y a virtuellement pas de jurisprudence récente en ce qui
concerne les exceptions et la titularité.6 L’article présume une connaissance des
notions de base du droit d’auteur belge et de la directive dessins et modèles. La
première section examine la protection en Belgique tandis que la seconde compare
brièvement celle-ci avec la situation en France, en Italie et au Royaume-Uni.
4
Règlement (CE) 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires,
JO L3/1, 05.01.2002, en vigueur le 60eme jour après sa publication au JO.
5
Les droits moraux ont été délibérément laissés hors du champ de cet article. Il est bien connu que le
Royaume-Uni protège mal les droits moraux (l’auteur doit revendiquer son droit de paternité pour qu’il
s’applique, les exceptions sont nombreuses, les renonciations très largement admises…) tandis que la
Belgique et les autres pays européens comme la France et l’Italie les protègent farouchement (c'est-àdire souvent protection perpétuelle, peu ou pas d’exceptions, renonciations inexistantes ou très
limitées). Sur ce sujet, voy. A. Strowel, M. Salokannel & E. Derclaye, “Moral Rights in the Context of
the Exploitation of Works through Digital Technology”, étude commandée par la DG Marché Intérieur,
publiée par la Commission Européenne, mars 2000, 250 p., disponible sur
http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/docs/studies/etd1999b53000e28_en.pdf (consulté pour la
dernière fois le 2 janvier 2009 – tous les sites cités dans cet article on été consultés à cette date à moins
que le contraire ne soit indiqué); L. Bently, Between a Rock and a Hard Place, The Institute of
Employment Rights: London, 2002.
6
Grâce à l’harmonisation communautaire, il n’y a pas de différences entre les pays examinés dans cet
article quant à la durée du droit, même s’il y a quelques particularités en Italie et au Royaume-Uni.
Comme il n’y a pas eu de jurisprudence sur cette question jusqu’à présent, on ne discutera cette
dernière pas ici.
© Estelle Derclaye 2008.
2
© Estelle Derclaye 2008.
1. La Belgique
1.1. Le droit d’auteur
1.1.1. La loi
2. La loi belge sur le droit d’auteur ne requiert pas que les œuvres soient
catégorisées7; toutes sortes d’œuvres, en ce compris celles des arts appliqués, peuvent
être protégées pour autant qu’elles ne soient pas simplement des idées et qu’elles
remplissent le critère d’originalité. Ce critère n’est pas prévu dans la loi mais fut
défini dans un arrêt de la Cour de Cassation de 1989 comme “l’expression de l’effort
intellectuel de celui qui l’a réalisée, ce qui constitue une condition indispensable pour
donner à l’œuvre son caractère individuel, à travers lequel une création existe.”8 En
résumé, l’auteur doit imprimer sa personnalité dans l’œuvre. Ce critère correspond à
la condition d’originalité telle que définie dans diverses directives européennes sur le
droit d'auteur comme « la création intellectuelle propre à son auteur ».9 Il en va de
même pour le critère français d’originalité. La définition de l’originalité n’est pas
différente pour les œuvres de l’art appliqué et les dessins industriels.10
3. En général, les cours et tribunaux ont été assez généreux et ont reconnu
“l’originalité d’un dessin ou modèle nonobstant les aspects fonctionnels, pratiques, les
impératifs de mode et autres éléments, qui en apparence seulement, limitent la liberté
du créateur du moment que le caractère individuel soit présent dans la création
examinée et étant entendu que si l’étendue de l’originalité peut se trouver restreinte, la
protection contre l’emprunt n’en est pas moins due à ce qui est original. »11 Au fil des
années, une série de juridictions ont retenu la protection par le droit des dessins et
modèles pour les articles suivants: dentelles12, tissus13, écharpe14, chaussures15, bas de
dame16, sacs17, jupe18. Cependant, les cours et tribunaux ont refusé la protection au fil
des années des vêtements conçus par une machine contrôlée par un ordinateur.19
D’autres articles fonctionnels ont reçu la protection par le droit d’auteur, et qui en
toute probabilité ne seraient pas protégés au Royaume-Uni à cause du niveau
artistique très élevé requis, tels qu’un foyer de cheminée20, des kiosques21, des stands
7
A. Strowel & E. Derclaye, Droit d’auteur et numérique: logiciels, bases de données et multimédia,
droit belge, européen et comparé, Bruxelles: Bruylant, 2001, p. 21.
8
Cass., 27 avril 1989, Pas., 1989, I, 908.
9
A. Berenboom, Le nouveau droit d’auteur et les droits voisins, Bruxelles: Larcier, 3rd ed., 2005, p. 68.
10
Ibid., p. 87.
11
F. De Visscher & B. Michaux, Précis du droit d'auteur et des droits voisins, Bruylant: Bruxelles,
2000, p. 196.
12
Gand, 4 novembre 1853, Pas., 1855, II, p. 149.
13
Corr. Bruxelles, 13 décembre 1856, B.J., 1857, p. 78; Gand, 14 mars 1961, R.W., 1961-1962, col.
1260.
14
Gand, 28 juin 1883, Pas. 1884, II, p. 23.
15
Civ. Bruxelles, 16 May 1939, Ing.-Cons., 1939, p. 71; Bruxelles, 14 juillet 1955, Ing.-Cons., 1955, p.
220.
16
Bruxelles, 30 septembre 1994, Ing.-Cons., 1994, p. 304.
17
Civ. Bruxelles, 4 octobre 1991, décision non publiée, citée par L. Van Bunnen, R.C.J.B., 1996, p.
217, n. 33 (sac Chanel); Anvers, 18 juin 1997, IRDI, 1997, p. 268 (sac).
18
Civ. Bruxelles (sais.), 16 juin 1988, Ing.-Cons., 1988, p. 224.
19
Gand, 17eme ch., 28 février 1995, Pas., 1994, III, 53; R.W., 1995-96, p. 674.
20
Civ. Bruxelles, 28 février 1927, 19 décembre 1928, Ing.-Cons., 1929, p. 16. Strowel & Derclaye, op.
cit. n. 7, p. 21.
21
Civ. Bruxelles, 24 novembre 1987, Ing.-Cons., 1988, p. 38.
© Estelle Derclaye 2008.
3
© Estelle Derclaye 2008.
d’exposition22, une table, une lampe, des couvertures23, et même une praline prenant
la forme de la Belgique.24
4. Le cumul entre le droit d’auteur et le droit des dessins et modèles est total.25 Ainsi,
seulement les dessins qui ne sont pas originaux même s’ils sont nouveaux et
possèdent un caractère individuel ne sont pas protégés par le droit d'auteur, ce qui est
très rare.26
Droits et test de contrefaçon
5. Les règles sont très similaires aux règles françaises. La reproduction peut ne pas
être totale. Elle peut être partielle s’il y a copie des éléments originaux de l’oeuvre,
même en partie.27 “Dans son appréciation, le juge doit tenir compte des ressemblances
et non des différences entre les deux œuvres. C’est l’impression totale ou globale qui
est déterminante. Si cette impression globale confirme que les deux œuvres sont
ressemblantes, la contrefaçon est établie. Il suffit pour établir la contrefaçon que les
éléments importants, spécifiques et substantiels de l’œuvre soient repris dans l’œuvre
contrefaisante. Le fait que des éléments extérieurs ou supplémentaires soient ajoutés à
l’œuvre contrefaisante n’élimine pas la contrefaçon. On ajoutera que le critère de la
confusion, même s’il peut être un élément supplémentaire pour apprécier l’intention
de contrefaire en droit d’auteur, ne devrait pas être déterminant pour juger de
l’existence ou non d’une contrefaçon.”28 En d’autres termes, l’absence de risque de
confusion n’élimine pas la contrefaçon; par ailleurs, si le risque de confusion existe,
c’est un signe additionnel qu’il y a peut-être contrefaçon.29 D’autres règles valent
d’être mentionnées. “L’originalité éventuelle de l’œuvre seconde n’empêche pas la
contrefaçon mais celle-ci n’aura pas lieu si cette originalité se porte sur les éléments
originaux de l’œuvre première et les masque au point que l’on ne peut plus y voir un
emprunt de ces éléments (…). Le caractère médiocre ou moins attirant de la
reproduction n’élimine pas la contrefaçon.”30
1.1.2. La jurisprudence
6. Les juridictions ont appliqué loyalement le critère d’originalité. Elles ont continué à
suivre leur jurisprudence, réaffirmant qu’une oeuvre est protégeable même si elle est
composée d’éléments banaux ou connus pour autant que la combinaison est
originale.31 Dans un autre cas, pour apprécier l’originalité, une cour semble examiner
22
Bruxelles, 2 mars 2005, NjW 2006, liv. 145, 565.
Pour ces trois derniers exemples, voy. note 85 Strowel & Derclaye, op. cit. n. 7, p. 30 et note 106, p.
34.
24
Bruxelles, 8eme ch., 3 mai 2005, A&M, 2005, p. 299, note J. Ceuleers; Bull. B.M.M. 2006 (reflet), p.
40; IRDI 2006, p. 54.
25
Berenboom, op. cit. n. 9, p. 54. Le protocole du 20 juin 2002 adopté par les pays du Benelux pour
transposer la directive dessins et modèles a abrogé les articles 22 et 24 de la loi uniforme Benelux de
sorte que la condition de caractère artistique marqué a disparu et que le droit d'auteur continue après
l’expiration du droit sur le dessin ou modèle enregistré. Ibid., p. 55.
26
Berenboom, op. cit. n. 9, p. 55.
27
De Visscher & Michaux, op. cit. n. 11, p. 65 citant A. & H.-J. Lucas, Traité de la propriété littéraire
et artistique, Paris: Litec, 1994, p. 220-234, n. 246-258 et A. Berenboom, Le Nouveau Droit d’auteur,
1997, p. 108-115, n. 75-79.
28
Strowel & Derclaye, op. cit. n. 7, p. 163-164 (citant quelques cas).
29
De Visscher & Michaux, op. cit. n. 11, p. 69.
30
Ibid., p. 69.
31
Bruxelles, 27 avril 2007, IRDI, 2008, p. 91, Etam c. Mer du Nord (dessin de poisson); Liège, 18
décembre 2006, Jean Cassegrain c. Elegance Fashion et Design Benelux, GmbH Rolf Effergelt, IRDI,
23
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l’état antérieur de la technique énonçant que la combinaison ne peut être trouvée dans
aucun dessin ou modèle antérieur. Elle ajoute, de façon moins controversée, que le
dessin est le résultat de la créativité complètement indépendante des impératifs
techniques.32 Deux cas récents concernaient des articles de mode. De manière
intéressante, dans le premier cas, qui concernait des sacs Longchamp33, la cour utilisa
le critère de confusion pour déterminer l’originalité. Les modèles de sacs (qui
appartenaient à la célèbre gamme de pliage) étaient originaux; le modèle antérieur
(Lederer) ne compromettait pas l’originalité des sacs Longchamp parce que par sa
forme, ses proportions et les matériaux utilisés il ne pouvait pas être confondu avec
ceux de Longchamp. Dans la seconde affaire, il s’agissait de savoir si le droit d’auteur
subsistait dans deux bijoux créés par Jean Dinh Van.34 L’aspect spécial desdits bijoux
subsistait dans l’utilisation d’un mécanisme de fermeture élaboré par le créateur qui
était utilisé dans les domaines techniques et entre autres le secteur maritime, mais pas
dans le secteur de la joaillerie. Le créateur avait fait des efforts quant au choix et à la
combinaison innovatrice de chacun des éléments (inspiration de la menotte, design,
taille, largeur, matériau, couleur, fonctionnalité…). Donc, le premier bijou fut reconnu
original car il portait l’empreinte de la personnalité de son auteur. Le fait que le bijou
n’était pas enregistré comme dessin ou modèle dans le Benelux n’avait pas
d’importance. L’autre bijou (un pendentif) était aussi original et protégé par le droit
d'auteur.
7. Une autre affaire récente concernait un casque d’équitation réalisé par Heaume
Activités, qui agit contre International Riding Helmets pour contrefaçon du droit
d'auteur dans le casque. L’aspect spécifique en question était une bande qui courait
tout le long du casque. La cour décida qu’une oeuvre doit juste montrer la
personnalité de son auteur, elle n’a pas besoin de démontrer un certain degré de
complexité.35 Le demandeur ne recherchait pas la protection du droit d'auteur dans la
forme du casque lui-même. Toutefois, la cour a rappelé que même si la forme du
heaume répond à un but fonctionnel, ces contraintes techniques n’empêchent pas
l’œuvre d’être protégée si le résultat est supérieur à la seule réponse donnée à cellesci. La bande ne remplissait pas de fonction technique dans ce cas (par exemple
permettre à l’air de circuler et ventiler la tête du cavalier) donc elle était protégée.
Contrefaçon
8. De nouveau, les cours et tribunaux appliquent fidèlement les principes. Dans les
affaires Longchamp et Etam36, les juges ont rappelé que les ressemblances comptent
plus que les différences.37 Dans l’affaire Etam, la cour ajouta aussi que l’apparence
2007, p. 26 (sac Longchamp); Civ. Liège, 5 octobre 2007, Ing.-Cons., 2008, p. 59, Balladin c. MV
Distribution et al. (les sacs Balladin étaient originaux car la combinaison d’éléments utilitaires non
originaux peut être originale). Pour des décisions antérieures, voy. Berenboom, op. cit. n. 9, p. 86 citant
Bruxelles, 7 décembre 1999, IRDI, 2000, p. 34 (Kipling); Civ. Gand, 5 avril 2000, IRDI, 2000, p. 108.
32
Bruxelles, 16 septembre 2005, Ing.-Cons., 2005, p. 370 (porte-serviette).
33
Liège, 18 décembre 2006, IRDI, 2007, p. 26 (Jean Cassegrain c. Elégance Fashion et Design
Benelux, GmbH Rolf Effergelt).
34
Bruxelles, 21 janvier 2002, M.P. & SA Elégance et Prestige c. S e.a., IRDI, 2002, p. 80. Voy.
http://dinhvan.com/frn/collections/menottes_dinh_van/bague_chaine_menottes_dinh_van/or_jaune
35
Bruxelles, 7 décembre 2007, Heaume Activités c. Aktis & International Riding Helmets, Ing.-Cons.,
2008, p. 32. On peut voir le casque sur http://www.gpa-sport.com/casques/fiche.php?idprod=23
36
See op. cit. n. 31.
37
Voy. aussi Bruxelles, 7 décembre 2007, Heaume Activités c. Aktis & International Riding Helmets,
Ing.-Cons., 2008, p. 32 (le casque de International Riding Helmets était quasi identique. Seule la
© Estelle Derclaye 2008.
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générale des dessins était identique malgré les différences dans le détail et que la
copie ne devait pas être totale mais pouvait être partielle. Dans l’affaire Longchamp38,
les sacs des défendeurs étaient quasi identiques à ceux de Longchamp. Ils avaient les
mêmes caractéristiques, c’est-à-dire une base rectangulaire, un rabat, une poignée, une
fermeture éclair avec des languettes labiées et la possibilité d’être repliés en une
pochette plus petite fixée par le rabat. Les proportions et le contraste des couleurs
étaient aussi identiques. Les seules différences étaient que le cuir était remplacé par
du similicuir, les poignées par des sangles de nylon et la finition des sacs était moins
soignée. Il y avait une même impression globale de sorte que la confusion était
possible pour un oeil non averti. Dans l’affaire Etam, la cour ajouta aussi que
l’apparence générale identique était susceptible de créer la confusion dans l’esprit du
public. Pour les juges, dans les affaires Jean Dinh Van et Balladin, le fait qu’il y ait
confusion ou pas entre les articles des demandeur et défendeur était non pertinent.39
1.2. Le droit des dessins et modeles
1.2.1. La loi
9. La loi belge transposant la directive dessins et modèles suit fidèlement le texte de
cette dernière de sorte que l’on peut immédiatement regarder comment elle a été
interprétée par les juges. Un aspect important à noter, qui devrait moins concerner le
secteur de la mode cependant, est que la loi belge a choisi l’option donnée par la
directive en ce qui concerne la réparation des pièces d’un produit complexe. Selon
l’article 14 ter, « le droit exclusif à un dessin ou modèle qui constitue une pièce d'un
produit complexe n'implique pas le droit de s'opposer à l'utilisation du dessin ou
modèle à des fins de réparation de ce produit complexe en vue de lui rendre son
aspect initial ». Comme indiqué à la section 1.1.1., le principe du cumul total
s’applique et le droit d'auteur et le droit sur les dessins et modèles peuvent être
cumulés avec d’autres droits de propriété intellectuelle également (par exemple droit
des marques, brevets, concurrence déloyale, information confidentielle ou secrets
d’affaires).
1.2.2. La jurisprudence
10. A ma connaissance, il n’y a qu’une décision publiée sur le nouveau droit des
dessins et modèles et une seule décision concernant un dessin ou modèle
communautaire enregistré en Belgique. La décision appliquant le nouveau droit
n’interprète pas la directive ou le nouveau droit Benelux de quelque manière et n’est
des lors pas intéressante.40 L’autre décision concerne le litige parallèle Procter &
Gamble c. Reckitt et n’a pas (encore) été publiée. Elle concerne la contrefaçon et sera
examinée ci-dessous.
La disette de jurisprudence belge doit cependant être complétée par la jurisprudence
néerlandaise ainsi que les décisions de la Cour de Justice Benelux.
largeur de la bande était plus grosse (quelques millimètres) et il y avait un trou d’aération
supplémentaire); Bruxelles, 16 septembre 2005, Ing.-Cons., 2005, p. 370 (porte-serviettes).
38
Voy. ci-dessus, n. 33.
39
Bruxelles, 21 janvier 2002, M.P. & SA Elégance et Prestige c. S e.a., IRDI, 2002, p. 80; Civ. Liège,
5 octobre 2007, Balladin c. MV Distribution et al., Ing.-Cons, 2008, p. 59.
40
Civ. Gand, 3 mars 2008, IRDI, 2008, p. 288 (caves à vin).
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6
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Objets exclus
11. Plusieurs juridictions néerlandaises ont interprété la disposition excluant les
dessins et modèles dont les aspects sont exclusivement déterminés par leur fonction
technique. S’il y a des alternatives dans la forme que la fonction doit remplir même si
elles sont limitées, chaque forme peut être protégée et l’exception ne s’applique pas.41
La règle est bien illustrée par un cas récent dans lequel la cour d’appel de s’
Hertogenbosch jugea que la forme de « sac de couchage » d’une protection pour
couverts n’était pas exclusivement dictée pas sa fonction technique.42 Il y a d’autres
supports avec différentes formes sur le marché qui sont aussi destinées à protéger des
couverts.
Conditions de protection
12. Quand le créateur a peu de marge de manoeuvre, un dessin ou modèle peut
remplir la condition de caractère individuel même s’il y a très peu de différences avec
les dessins antérieurs. De petites différences peuvent dans ce cas créer une impression
générale différente.43 Deux cas illustrent ce principe. Dans une affaire concernant des
supports pour de l’éclairage d’urgence, la liberté du créateur était limitée parce qu’une
partie de la taille du produit devait se conformer à une norme.44 La seconde affaire
dont il a été question ci avant, concernait un modèle de protection pour des couverts
qui avait pour but de présenter les couverts et les protéger de la saleté et des
égratignures, et la liberté de création du créateur n’était pas limitée.45
13. Les juridictions néerlandaises ont interprété le concept d’utilisateur averti de
manière similaire par rapport aux autres Etats Membres; en d’autres termes, il n’est
pas le consommateur moyen ou le profane. Il a une connaissance élevée des modèles
existant dans le secteur en question46 et peut voir des points de différences frappants
qui échapperaient à l’attention du consommateur moyen.47 Dans certains cas,
cependant, même l’utilisateur averti ne peut pas distinguer de telles similitudes. Ceci
se voit bien dans une décision du tribunal de première instance d’Utrecht qui décide
que, dans le secteur des protections pour couverts, l’utilisateur averti est le
restaurateur. Celui-ci achète des produits bon marché en grand nombre et
n’entreprend pas une recherche poussée. Donc, il y a de grandes chances qu’il ne
remarque pas des différences proches entre deux protections pour couverts.48
Titularité
41
Trib. Maastricht, 16 mai 2002, BIE 2002, 436; IER 2002, 317, confirmé par La Haye, 4 novembre
2003, BIE 2004, 267.
42
’s Hertogenbosch, 12 février 2008, IER, 2008, p. 149-151 (Europochette), note AKS.
43
H. Vanhees, Het Beneluxmodel, Bruxelles: De Boek & Larcier, 2006, p. 21.
44
La Haye, 9 mars 2004, BIE, 2005, 115.
45
Trib. Utrecht, 3 juin 2004, BIE 2005, 162.
46
Trib. Zutphen, 24 mars 2004, BIE 2005, 66. Voy. aussi Vanhees, op. cit. n. 43 (l’utilisateur averti de
la pilule Viagra comprend les médecins généralistes, les pharmaciens et les patients à qui la pilule a été
prescrite. La pilule a quatre bouts ronds et quatre faces similaires et elle est bleue. Une autre impression
globale est créée dans les esprits de ce groupe de personnes par la pilule Sigra (elle a six bouts, est plate
et bleue)).
47
Trib. Assen, 1 juillet 2004, IER 2004, 406. Voy. aussi Arnhem, 13 mai 2003, Ing.-Cons., 2004, 173
(pour des supports pour de l’éclairage d’urgence, les utilisateurs avertis sont les électriciens et les
architectes qui installent ces systèmes. Ils doivent, mieux que les profanes, être capables de distinguer
les différences qui déterminent l’impression globale).
48
Trib. Utrecht, 3 juin 2004, BIE, 2005, 162.
© Estelle Derclaye 2008.
7
© Estelle Derclaye 2008.
14. Sur cette question, qui est rarement disputée, il y a une décision intéressante de
juin 2007 par la Cour de Justice Benelux concernant un stand d’exposition.49 Un
créateur (qui n’est pas nommé dans l’affaire, la société de gestion collective agissant
en son nom) avait pendant plusieurs années conçu des stands d’exposition pour
Electrolux pour être utilisés durant Batibouw, la célèbre foire annuelle de la maison.
Même si Electrolux n’avait pas demandé au créateur de concevoir un stand à nouveau
pour l’année 1999, il en utilisa cependant un qui ressemblait très fort à celui de 1998
aussi conçu par ledit créateur. La société de gestion collective agit contre Electrolux
pour contrefaçon. La question centrale cependant était de savoir si c’était le créateur
ou Electrolux qui était le titulaire du modèle. La loi ancienne était applicable mais la
nouvelle loi n’a pas changé sur ce point. La cour de Cassation belge posa deux
questions à la Cour Benelux. La première question était de savoir s’il est nécessaire
pour un dessin ou modèle d’être enregistré pour que l’article 6(2) de la loi Benelux
sur les dessins et modèles s’applique. L’article 6(2) dispose que seul le créateur du
dessin ou modèle a le droit de l’enregistrer. La cour répondit à la question par la
négative. La deuxième question demande si le commanditaire doit être considéré
comme le créateur du dessin ou modèle, selon ledit article 6(2), quand un dessin ou
modèle est créé dans le cadre d’un contrat de commission dans un but d’utilisation
commerciale ou industrielle, mais si le dessin ou modèle n’est pas fait ou
commercialisé par le commanditaire. En particulier, la question demandait si le dessin
ou modèle qui est loué pour un usage unique – ce qui exclut qu’il est créé dans le but
d’être fait ou commercialisé par le commanditaire – peut être considéré comme un
dessin ou modèle créé dans un but d’utilisation commerciale ou industrielle. Après
avoir examiné les travaux préparatoires de la loi Benelux, la cour répondit de nouveau
par la négative.
Droits et test de contrefaçon
15. L’article 14(1) de la loi Benelux prévoit que le titulaire des droits peut agir en
contrefaçon contre des dessins et modèles identiques ou “qui ne produi[sen]t pas sur
l'utilisateur averti une impression globale différente”. Les juridictions hollandaises ont
jugé que le test ne diffère pas beaucoup de celui de la loi ancienne, c'est-à-dire “qui
présente[nt] seulement des différences secondaires”.50 Selon un commentateur, cela
veut dire que le danger de confusion a été abandonné comme critère.51 Cela signifie
également qu’il peut y avoir des situations ou deux modèles présentent clairement des
différences mais génèrent néanmoins la même impression générale conduisant à la
contrefaçon.52 Dans une affaire concernant des paquets pour des chips, la cour d’appel
d’Amsterdam décida que les différences entre les produits n’étaient pas suffisamment
frappantes après un premier examen rapide par le consommateur de chips (que la cour
jugea être l’utilisateur averti dans ce cas-ci).53 Après un examen postérieur, on pouvait
voir les différences. Cependant, ces différences créaient toujours la même impression
globale puisque l’utilisateur averti ne voyait pas habituellement les deux types de
paquets simultanément. Il y avait donc contrefaçon. Toutefois, il reste vrai que,
comme l’utilisateur averti peut voir des différences frappantes qui échapperaient au
49
Electrolux
Home
Products
c.
Sofam,
n.
A2006/3,
disponible
sur
http://jure.juridat.just.fgov.be/?lang=fr
50
Dans la même veine, voy. Trib. La Haye, 24 décembre 2003, BIE 2005, 79 et Trib. La Haye, 22 juin
2003, BIE 2004, 562.
51
Vanhees, op. cit. n. 43, p. 113.
52
Vanhees, op. cit. n. 43, p. 114, se référant à Amsterdam, 25 mars 2004, IER 2004, p. 349.
53
Ibid.
© Estelle Derclaye 2008.
8
© Estelle Derclaye 2008.
consommateur moyen, il établit moins vite une impression générale similaire que le
consommateur moyen de sorte qu’il y a moins souvent contrefaçon en droit des
dessins et modèles.54 Les dessins et modèles doivent être comparés dans leur
entièreté.55
16. Les juridictions belges ont interprété le test de contrefaçon seulement une fois
jusqu’à présent, dans l’affaire paneuropéenne impliquant Procter & Gamble. Procter
& Gamble agit dans six pays européens contre Reckitt Benckiser pour contrefaçon du
modèle de son désodorisant Febreze, un vaporisateur cylindrique avec une gachette.
Le tribunal de première instance de Bruxelles jugea que “les caractéristiques des deux
modèles différaient seulement par des détails insignifiants de sorte qu’ils étaient
considérés comme identiques” (nous soulignons).56 Cette décision est dans la même
lignée que celle de la cour d’appel de Paris57 mais contraste fortement avec la décision
des cours autrichienne et anglaise dans la même affaire, qui conclurent qu’il n’y avait
pas contrefaçon.58 En conséquence, l’interprétation du test de contrefaçon conduit à
des résultats très différents dans plusieurs Etats Membres.
1.3. Le droit de la concurrence déloyale
17. Le droit de la concurrence déloyale belge est basé sur le principe de la liberté de
copie et les juridictions ont déclaré certains types de copiage contraires aux usages
honnêtes en matière commerciale sur la base de la concurrence déloyale. C’est une loi
spéciale qui règle les comportements déloyaux, la “Loi sur les Pratiques du commerce
et sur l’information et la protection du consommateur” (LPCC)59 même si, comme on
le sait, le droit de la responsabilité délictuelle (article 1382 du Code Civil) peut aussi
être utilisé. Cependant, ce dernier est moins utile c'est-à-dire qu’il est moins efficace
que l’action en cessation organisée par la LPCC. En effet, l’action en cessation ne
requiert pas la preuve d’un dommage actuel et permet au demandeur de mettre fin au
comportement. Une relation de concurrence entre les parties n’est pas requise. La
disposition centrale est l’article 93 de la LPCC qui prévoit qu’“est interdit tout acte
contraire aux usages honnêtes en matière commerciale par lequel un vendeur porte
atteinte ou peut porter atteinte aux intérêts professionnels d’un ou de plusieurs autres
vendeurs”. Il n’y a pas de définition plus précise donc le nombre d’actes qui peuvent
être considérés contraires aux usages honnêtes en matière commerciale est
potentiellement infini et déterminé par les cours et tribunaux.
18. Ainsi, les juridictions belges ont créé l’action en concurrence déloyale pour
parasitisme (ou copie servile) en 193660 et la cour de cassation les a suivis en 1954.61
En résumé, cette action permet d’empêcher la simple copie. Dans les années 1960 et
1970, la référence à la concurrence parasitaire continua à grandir et dans les années
54
Voy. Arnhem 13 mai 2003, BIE, 2004, 24 (éclairage d’urgence).
Pour une application, voy. Amsterdam, 27 mai 2004, IER, 2004, 346.
56
11 mai 2006, para. 3.3.2 (non publiée), citée par D. Stone “Some clarity, some confusion: 12 P&G v
Reckitt Benckiser decisions help explain registered Community designs”, [2008] JIPLP, p. 379.
57
Paris, 14eme ch., A, 14 janvier 2007, Reckitt v Procter & Gamble, disponible sur
http://oami.europa.eu/pdf/design/cdcourts/Air_Wick.pdf
58
[2007] EWCA Civ 936 (Court of Appeals of England and Wales).
59
M.B. 29 août 1991; en vigueur le 29 février 1992.
60
Voy. Prés. Trib. Com. Bruxelles, 24 juillet 1936, Ing.-Cons., 1937, p. 18 (le défendeur fut condamné
pour copie servile parce que la copie lui permit de vendre son produit à un prix plus bas). Voy. par ex.
M. Buydens, La protection de la quasi-création, Larcier: Bruxelles, 1993, p. 710.
61
Cass., 4 novembre 1954, Ing.-Cons., 1954, 249.
55
© Estelle Derclaye 2008.
9
© Estelle Derclaye 2008.
1980, le parasitisme fut systématiquement utilisé par les concurrents dont les créations
étaient copiées et fut largement accepté par les juridictions dans le royaume.62 Ainsi,
jusqu’à récemment, les décisions contre la reconnaissance de l’action étaient rares.63
Mais dans les années 1990, des décisions semblèrent rejeter l’action, faisant croire à
sa disparition. Dès lors, une copie pouvait être seulement empêchée si elle créait un
risque de confusion dans l’esprit du public.64 Ensuite, de l’année 2000 jusqu’à
présent, l’action sembla revenir en force, un nombre de cours d’appel la reconnaissant
clairement (parfois en ajoutant des conditions telles que l’exigence d’une création un
tant soit peu originale, d’investissements financiers ou d’un parasitisme systématique
et continu).65 En conclusion, la situation concernant l’action en concurrence déloyale
pour parasitisme en Belgique est incertaine. Comme la Cour de Cassation ne s’est pas
prononcée depuis ces dernières décisions, il n’est pas clair que l’action survive et si
oui, quelles sont ses conditions. Mais généralement, on peut dire que les demandeurs
peuvent être assez sûrs que leur action en concurrence déloyale pour parasitisme aura
des chances de succès vu la jurisprudence actuelle des cours d’appel.
2. Les autres Etats Membres
19. Quelle est la situation dans les autres Etats Membres? Il n’est pas possible dans
l’espace disponible ici d’examiner le droit de tous les Etats Membres, et encore moins
de faire une comparaison détaillée avec quelques-uns. Mais on peut faire les
remarques comparatives suivantes entre la Belgique, la France, l’Italie et le RoyaumeUni, pour prendre seulement quelques pays intéressants.66
20. En France, les principes de droit d’auteur sont similaires à ceux applicables en
Belgique: il n’y a pas de catégorisation, toutes les œuvres de l’esprit sont protégeables
du moment qu’elles soient originales et le critère d’originalité est le même. Le
principe du cumul total entre droit d’auteur et droit des dessins et modèles est aussi
applicable. Le test de contrefaçon est aussi similaire si pas identique (impression
62
Voy. Anvers, 30 mai 1988, Rev. Dr. Com., 1988, p. 949; Bruxelles, 14 mars 1989, Ing.-Cons., 1989,
p. 115; Trib. Com. Bruxelles, 9 juin 1989, Rev. Dr. Com., 1991, p. 331; Trib. Com. Verviers, 10
Octobre 1989, Ing.-Cons., 1990, p. 178; Trib. Com. Namur, 29 Novembre 1990, Ing.-Cons., 1991, p.
172, toutes citées par J. Passa, Contrefaçon et concurrence déloyale, Publications de l’IRPI no. 15,
Paris: Litec, 1997, p. 273. Voy. également Buydens, op. cit. n. 60, p. 712.
63
Voy. par ex. Prés. Trib. Com. Bruxelles, 17 décembre 1969, Ing.-Cons., 1972, p. 82 (l’utilisation de
brochures dont la forme est identique à celle du demandeur n’est pas déloyale si cette forme n’est pas
originale et est utilisée par des concurrents); Prés. Com. Bruxelles, 7 novembre 1974, JCB, 1975, 385
(la copie de documentation commerciale et technique consistant en des représentations banales et ne
résultant d’aucun effort créatif cher n’est pas un acte de concurrence parasitaire); Trib. Com. Bruxelles,
5 mai 1980, Ing.-Cons., 1980, p. 356.
64
Trib. com. Namur, 22 mai 1996, J.T., 1997, p. 62; Trib. Com. Anvers, 9 octobre 1997, AJT, 1997-98,
p. 581; Liège, 17 février 1998, Rev. Dr. Com. Belge, 1998/6, p. 415, note Putzeys; Liège, 13 octobre
1998, Rev. Dr. Com. Belge, 1998/6, p. 410. Voy. aussi Prés. Trib. Com. Courtrai, 6 septembre 1996,
R.D.C., 1997, p. 47, note De Vuyst ; Prés. Com. Bruxelles, 19 juillet 1995, Belgacom c. Kapitol
Trading, Ann. Prat. Comm., 1995, p. 788, note Byl; R.D.C., 1996, p. 747 et Strowel & Derclaye, op.
cit. n. 7, p. 340, n. 388.
65
Voy. par ex. Liège, 28 septembre 2000, Ann. Prat. Comm., 2000, 441; Bruxelles, 19 septembre 2002,
Ann. Prat. Comm., 2002, 342; Gand, 14 février 2005, Ann. Prat. Comm., 2005, 485; Bruxelles, 20
septembre 2006, Ann. Prat. Comm., 2006, 498; Bruxelles, 7 décembre 2006, Ann. Prat. Comm., 2006,
522.
66
Pour des détails sur les lois et jurisprudences française et italienne, voy. E. Derclaye, “Are fashion
designers better protected in continental Europe than in the United Kingdom? An analysis of the recent
case law in France, Italy and the United Kingdom”, forthcoming, 2009.
© Estelle Derclaye 2008.
10
© Estelle Derclaye 2008.
globale, les ressemblances comptent plus que les différences, le risque de confusion
n’est pas requis mais peut aider à établir la contrefaçon). Comme les juridictions
françaises ont fidèlement suivi la loi, le droit d'auteur français ne protège pas les
créateurs mieux que le droit d'auteur belge.67 D’autre part, les lois sur le droit
d’auteur italien et britannique sont moins généreuses. Même si en Italie, comme en
France et en Belgique, les oeuvres ne doivent pas être catégorisées pour être
protégeables, la condition d’originalité semble être plus élevée. La loi sur le droit
d'auteur requiert que les dessins ou modèles industriels aient un caractère créatif et
une valeur artistique. La grande majorité des juridictions italiennes a interprété ces
termes comme des conditions séparées et requis un niveau d’originalité supérieur à
celui requis pour les autres oeuvres. De la même manière, au Royaume-Uni, les
dessins et modèles (et donc ceux des articles de mode) tombent généralement dans la
catégorie d’oeuvres « d’artisanat artistique » qui requiert que les œuvres soient
artistiques, en plus d’être originales.68 Ce critère a été interprété de différentes
manières mais il est certain que le niveau est haut, et proche du mérite artistique (donc
plus élevé que le niveau d’originalité en Belgique et en France). De plus, au
Royaume-Uni, les oeuvres doivent d’abord être catégorisées, ce qui laisse certains
dessins ou modèles sans protection par le droit d'auteur ab initio. Toutefois, une fois
que les oeuvres sont protégées, les tests de contrefaçon en Italie et au Royaume-Uni
ressemblent très fortement à ceux de la France et de la Belgique.69 Mais peut-être que
la règle selon laquelle les similitudes sont plus importantes que les différences
constitue une différence qui pourrait rendre la preuve de la contrefaçon en France,
Italie et Belgique plus facile à démontrer qu’au Royaume-Uni.
21. D’autre part, l’interprétation du droit des dessins et modèles par les juridictions
dans les quatre pays en question (et cinq si on compte aussi les Pays-Bas) est très
similaire si pas identique. L’exception pour les dessins et modèles exclusivement
dictés par leur fonction, certainement grâce à son interprétation étroite par l’Avocat
Général dans l’affaire Philips c. Remington70, trouve une interprétation identique dans
les différents pays. Donc, dans beaucoup de cas, l’exception d’effet technique n’aura
pas d’incidence.71 Les cours et tribunaux sont aussi d’accord pour dire que
67
Notez cependant que dans un cas récent concernant des panneaux de signalisation, une cour d’appel
a retenu qu’il doit y avoir une intention esthétique qui fait que l’objet “mérite” la protection du droit
d'auteur. Voy. Paris 4eme ch. A, 14 septembre 2005, Marcal c. Pardo citée par P. De Candé, Prop.
Intell., 2006, p. 455. Cette décision est tellement en contradiction avec les principes légaux (le mérite
n’est pas requis, seulement l’originalité) qu’elle devrait rester isolée dans le futur.
68
Les dessins (deux dimensions) d’articles de mode tels que des motifs seraient cependant
normalement catégorisés comme œuvres graphiques ou peintures et dès lors protégés au niveau normal
d’originalité (c'est-à-dire habileté, jugement, labeur et/ou capital suffisants). Le mérite artistique n’est
pas requis. Donc, sur cet aspect pour les dessins (deux dimensions), la protection au Royaume-Uni est
plus forte qu’en Belgique, en France et en Italie et la plupart des pays de droit civil, qui ont tous un
niveau de d’originalité plus élevé (c'est-à-dire requérant la créativité).
69
Pour des détails sur les test français et italiens, voy. par ex. Lucas, op. cit. n. 27; P.Y. Gauthier,
Propriété littéraire et artistique, Paris: Presses Universitaires de France, 6eme éd., 2007 et A. Musso,
Diritto di autore sulle opera dell’ingegno letterarie e artistiche, Bologna, Zanichelli, 2008.
70
Dans ses conclusions générales du 21 janvier 2001 dans l’affaire C-299/99, l’Avocat Général RuizJarabo Colomer dit que “autrement dit, le niveau de «fonctionnalité» doit être supérieur pour permettre
de constater le motif d'exclusion en matière de dessins et modèles; l'élément pris en compte ne doit pas
seulement être nécessaire, mais indispensable pour obtenir un résultat technique précis: la fonction
impose la forme («form follows function») (8). Cela signifie qu'un modèle fonctionnel peut néanmoins
être digne de protection si l'on peut démontrer que la même fonction technique peut être obtenue par
une forme différente » (para 34).
71
Voy. Stone, op. cit. n. 56, p. 382.
© Estelle Derclaye 2008.
11
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l’utilisateur averti n’est pas un expert ni un créateur ou encore un consommateur
moyen mais un utilisateur qui est bien au courant des tendances dans le secteur du
produit en question. En ce qui concerne les contraintes à la liberté du créateur, les
juridictions s’accordent aussi pour dire que si le secteur est encombré, des différences
même légères sont suffisantes pour conférer un caractère individuel au dessin ou
modèle. Cependant, de graves discordances existent quant au test de la contrefaçon.
L’interprétation de celui-ci diffère dans les divers Etats Membres et conduit à des
résultats différents. Alors que les juridictions sont d’accord que le risque de confusion
n’est pas pertinent et que le test “d’impression globale” n’est pas une “comparaison
fragmentée de particularités complètement détaillées”72, le test appliqué par la cour
d’appel d’Angleterre et du pays de Galles diffère de celui appliqué par les juridictions
françaises, belges et italiennes. Au Royaume-Uni, le test de contrefaçon n’est pas le
même que le test pour la condition de protection c'est-à-dire le caractère individuel.
Une impression seulement différente permet d’échapper à la contrefaçon (alors qu’une
impression clairement différente est requise pour le caractère individuel), ce qui
conduit à moins de cas de contrefaçon.73 En France, les deux tests sont identiques. En
fait, ni les travaux préparatoires du règlement ni ses articles 6 et 10 ne suggèrent un
test différent pour la validité et pour la contrefaçon.74 Cette divergence est bien
illustrée par les diverses décisions auxquelles sont parvenues les cours dans les six
Etats Membres où le litige entre Procter & Gamble et Reckitt fut tranché.75
22. Finalement, des quatre systèmes juridiques, la Belgique est clairement celui qui
protège le mieux les créateurs quand il s’agit d’utiliser le droit de la concurrence
déloyale. Comme on l’a vu, en Belgique, les demandeurs peuvent s’appuyer sur
l’action concurrence déloyale pour parasitisme pour sanctionner la simple copie de
leurs dessins, qu’ils soient protégés ou non par des droits de propriété intellectuelle.
La tendance actuelle de la cour de Cassation française est de rejeter l’action en
concurrence déloyale pour parasitisme76, même si certaines cours d’appel sont
toujours en sa faveur. Donc les créateurs sont généralement mieux protégés en
Belgique qu’en France sur ce point. En fait, cela dépendra beaucoup de la juridiction
saisie du litige. En Italie, les créateurs sont encore moins protégés qu’en France et
donc a fortiori moins qu’en Belgique puisqu’il est très clair maintenant que le risque
de confusion est un aspect nécessaire de l’action en concurrence déloyale pour
72
Termes utilisés par le Handelsgericht de Vienne dans l’affaire Procter & Gamble c. Reckitt et
reformulés par d’autres juridictions dans les litiges parallèles. Voy. Stone, op. cit. n. 56, p. 383 citant le
tribunal à la p. 8 et aussi le Oberster Gerichtshof, para. 1.2. Toutes les juridictions dans l’affaire étaient
d’accord que ce qui est en question est l’impression visuelle et non pas le goût, le toucher, l’odeur ou le
son. Ibid., p. 384. Sur ce point, le Règlement est clair.
73
Procter & Gamble v. Reckitt Benckiser [2007] EWCA Civ 936 (CA), para. 35.
74
Stone, op. cit. n. 56, p. 383. La cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles s’appuie uniquement
sur le considérant 14 du règlement pour fonder un test différent pour le caractère individuel.
75
C'est-à-dire l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni. Voy. Stone,
op. cit. n. 56.
76
Voy. Cass. com., 20 février 2007, PIBD 2007, III, no. 853, p. 380; Cass. com., 23 janvier 2007,
Movitex et Daxon c. Fuego, PIBD, 2007, no. 849, III, p. 258; Cass. com., 12 juin 2007, Solstiss c. Erco
Pizzi,
disponible
sur
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000075
30316&fastReqId=484986935&fastPos=1; Cass. com., 1 juillet 2008, 1633 v Sté Conception de presse
et d’édition (SCPE), PIBD, 2008, no. 885, III, p. 674. Mais comp. Cass. com., 12 juin 2007, Bollé c.
Euro
Protection,
disponible
sur
http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT0000178
95625&fastReqId=1567160901&fastPos=2
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© Estelle Derclaye 2008.
parasitisme.77 Au Royaume-Uni, cette action n’existe pas. Les créateurs peuvent donc
seulement agir en « passing-off » (qui requiert le risque de confusion). Enfin, il est
important de noter que, comme indiqué dans l’introduction, dans les quatre pays, il
peut aussi y avoir des différences dans les aspects du droit non examinés dans cet
article, par exemple la titularité et les exceptions aux droits.
Conclusion
23. En conclusion, la situation en France est très similaire à celle de la Belgique, ce
qui n’est pas surprenant puisque leurs lois sur le droit d'auteur et la concurrence
déloyale sont très semblables. Cependant, il apparaît que la Belgique protège les
créateurs un peu mieux parce que l’interprétation jurisprudentielle de l’action en
concurrence déloyale pour parasitisme est plus généreuse que sa lecture actuelle par la
cour de Cassation française. Plus généralement, le droit belge est aussi clairement plus
protecteur que le droit anglais ou italien. La morale de l’histoire est que les créateurs
ont de meilleures chances de réussir dans une triple action en Belgique. Donc, s’ils le
peuvent, ils sont donc avisés d’agir en justice en Belgique plutôt qu’en France, en
Italie ou au Royaume-Uni.
Par ailleurs, d’autres “trous” dans la protection peuvent être exploités par les parties
au litige. Par exemple, il y plus d’exceptions dans les lois sur le droit d'auteur que
dans les lois sur les dessins et modèles. Les demandeurs préféreront donc peut-être
agir uniquement sur la base d’une contrefaçon de leurs dessins et modèles. De plus, le
nombre d’exceptions au droit d'auteur diffère encore beaucoup entre les Etats
Membres, ce qui ajoute à l’intérêt du “law-shopping” celui du forum-shopping.
Toutefois, ce “shopping” n’est pas idéal et ne fait rien pour le bon fonctionnement du
marché intérieur. La Commission européenne a encore beaucoup de travail dans le
domaine de la concurrence déloyale et le droit d'auteur sur ce plan mais comme cela
se présente à l’heure actuelle, il est très improbable que des initiatives seront prises
bientôt pour remédier à cet état des choses.78 En tout cas, il sera intéressant de voir si
l’action en concurrence déloyale pour parasitisme survivra en Belgique et, surtout si
les Etats Membres continueront à interpréter les conditions de la directive dessins et
modèles harmonieusement. De toute façon, une décision de la Cour de Justice des
Communautés est d’ores et déjà urgente sur le test de contrefaçon puisqu’il est
interprété de manière différente dans au moins trois Etats Membres (importants).
Alors que des divergences dans la protection des dessins et modèles continueront
sûrement à exister en Europe parce que les lois sur les droits d’auteur et la
concurrence déloyale divergent encore substantiellement sur des aspects importants,
c'est-à-dire respectivement, le parasitisme, l’objet de la protection, les conditions de
protection et les exceptions, il y au moins de l’espoir que tôt ou tard, une
interprétation par la Cour de Justice de la Directive dessins et modèles mettra les
touches finales à l’œuvre d’harmonisation concernant les dessins et modèles
enregistrés entreprise il a maintenant déjà une décennie.79
77
Cass. 28 février 2008, n. 5437, Il Diritto Industriale, 2008, 277 ff. (Mega Blocks c. Lego Systems).
Sur cette question dans le domaine du droit d'auteur, voy. E. Derclaye (eds.), Research Handbook on
the Future of EU Copyright, Cheltenham: Edward Elgar, 2009, spécialement l’introduction et la
conclusion.
79
Une toute première décision a été récemment (le 2 juillet 2009) rendue par la Cour de Justice sur la
question de la titularité et donc malheureusement pas sur le test de contrefaçon. Voy. C-32/08,
78
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13
© Estelle Derclaye 2008.
Fundación Española para la Innovación de la Artesanía (FEIA) c. Cul de Sac Espacio Creativo, S.L.
and Acierta Product & Position, S.A., disponible sur www.curia.europa.eu
© Estelle Derclaye 2008.
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