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24 heures | Mercredi 19 février 2014
Point fort
Les petits drones éveillent
la crainte du «Big Brother»
Objets volants Très en vogue, ces engins téléguidés équipés de caméras nous
espionnent-ils? Des politiciens veulent serrer la vis. «Fantasme!» répliquent les mordus
Philippe Maspoli Textes
Gérald Bosshard Photos
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L
e petit appareil à quatre hélices mues par des moteurs électriques évolue dans un vrombissement de bourdon. Guidé
du bout des doigts par Pascal
Ducret au moyen d’une télécommande,
l’engin d’un poids de 680 grammes, qui
peut atteindre des pointes de 60 km/h,
revient tout seul à son point de départ
grâce au GPS intégré. Le pilote de ce Blade
350 QX, vendu 529 francs, est «tombé petit dans la marmite du modélisme».
La passion de ce serrurier sur véhicules
âgé de 42 ans est devenue son métier et il
vend depuis trois ans et demi des engins
volants au Mont-sur-Lausanne, à l’enseigne d’Aeromodelshop. Pascal Ducret les
défend aussi, ces bijoux technologiques:
«Espionner votre voisin avec ça? Ce n’est
pas si discret. Pour avoir de bonnes images, l’appareil ne doit pas s’éloigner audelà de 20 mètres. Si vous bronzez dans
votre jardin, vous l’entendez. L’espionnage, c’est du fantasme», lance-t-il.
La démocratisation de ces appareils a
en effet provoqué une intervention au
Grand Conseil vaudois: «Big Brother» dans
votre jardin, c’est pour demain», selon le
député Michel Miéville (UDC). L’élu demande au Conseil d’Etat de «statuer sur les
conditions d’utilisation des drones civils. Je
ne réclame pas une interdiction, mais il ne
faut pas que n’importe qui puisse piloter
de tels engins.» En Suisse, la législation qui
régit le pilotage de drones civils est plutôt
souple (lire ci-contre). «En France, c’est
plus compliqué et très réglementé», relève
Pascal Ducret en mentionnant les ennuis
judiciaires d’un jeune de Nancy qui a réalisé une vidéo aérienne de sa ville: il est
accusé de mise en danger d’autrui.
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«Il serait regrettable
que toute
la communauté
du modélisme
soit pénalisée»
Yves, plus de 40 ans
de modélisme,
un passionné qui
possède une vingtaine
de multirotors
Depuis deux ou trois ans, les engins
volants capables d’embarquer une petite
caméra se répandent. «J’en ai vendu une
centaine en deux ans», estime Pascal Ducret. Selon la société d’analyses économiques Teal Group, le marché mondial des
drones va plus que doubler dans les prochaines dix années, passant de 4,6 milliards de francs par an à 10,3 milliards. Leur
forme, simple aile ou multicoptère, est variable. Sur internet ou dans certaines grandes surfaces, on peut en trouver pour quelques dizaines de francs. On est loin des
drones à usage professionnel utilisés par
des architectes, des géomètres ou des réalisateurs de films, dont le coût peut atteindre
plusieurs dizaines de milliers de francs.
Le plaisir du bricoleur
«Vous ne me ferez pas dire drone, ce terme
fait penser à un appareil militaire. Ça, c’est
un multirotor», déclare Yves, qui affiche
plus de 40 ans de modélisme, en montrant
un de ses engins sur la vingtaine qu’il possède. Joue-t-il au paparazzi? Pas du tout,
assure-t-il: «Je ne suis pas photographe.
Moi, ce qui m’intéresse, c’est le montage,
la mise au point électrique, la réduction du
poids. On peut même faire de l’acrobatie
avec un multirotor», explique-t-il.
VC3
Contrôle qualité
1) Le Blade Nano QX, 119 fr.
2) Le DJI 550, envergure: 55 cm,
dès 1000 fr. sans télécommande.
3) Le Blade 180 QX, 219 fr., embarque
une minicaméra intégrée.
4) Le Hubsan X4, 248 fr., transmet
des images en direct sur l’écran
de la télécommande.
Démonstration
Pascal Ducret, passionné
de modélisme, fait voler
un quadricoptère de 35 cm
d’envergure qui peut embarquer
une petite caméra.
Règles de base
Ce que dit la loi sur la sécurité
L’utilisation des drones, définis comme
des aéronefs à but utilitaire dirigés
à distance, est régie par la législation
fédérale. La règle de base est simple:
aucune autorisation n’est nécessaire
pour guider un drone de moins de
30 kilos, à la condition qu’il reste à
portée de vue de son pilote et ne vole
jamais à moins de 5 kilomètres des
pistes d’un aérodrome. «Un petit
drone d’une trentaine de centimètres
d’envergure, au-delà de 100 mètres,
vous ne le voyez plus», relève Pascal
Ducret, d’Aeromodelshop. La portée
de la télécommande qu’il utilise, de
2 kilomètres, est donc tout ce qu’il y a
de plus théorique. Les petits drones
sont en outre limités par l’autonomie
de leur accumulateur, qui n’excède
pas une douzaine de minutes. Les
politiciens qui interviennent à propos
de ces appareils évoquent aussi les
risques de chute sur des passants.
Les utilisateurs d’engins dépassant
un poids de 500 grammes doivent
contracter une assurance responsabilité civile adaptée. «C’est important.
Or, dans les grandes surfaces et sur
internet, on ne le précise pas aux
acheteurs», relève Pascal Ducret.
Les Cantons et les Communes peuvent
prononcer d’autres restrictions, ce qui
n’est pas le cas dans le canton de Vaud.
Faut-il légiférer davantage? Pas
forcément, estime-t-on du côté de
l’Administration cantonale: des
règlements supplémentaires impliqueraient davantage de contrôles. Pascal
Ducret en appelle au bon sens: «Je dis
clairement à mes clients qu’ils ne
doivent pas utiliser leur drone audessus d’une foule. D’ailleurs, en ville,
vous voyez beaucoup de drones?» La
réponse, bien entendu, est négative.
Pascal Ducret,
42 ans, a transformé
sa passion du
modélisme en
métier. Il vend des
engins volants au
Mont-sur-Lausanne
Avec Yves, on est loin de l’espion venu
des airs. Pourtant, le risque de surveillance insidieuse inquiète jusque sous
la Coupole fédérale. «On doit avoir la garantie qu’on ne sera pas surveillé en permanence», déclare le conseiller national
Jean Christophe Schwaab, socialiste vaudois qui a cosigné un texte de son collègue genevois Manuel Tornare, déposé en
septembre dernier. Le but est d’adapter
la législation sur les drones civils. «La
sphère privée des gens doit être protégée», ajoute la Vaudoise Isabelle Moret
(PLR), également cosignataire.
Drone ou pas drone, le Code pénal
réprime la violation de la sphère privée,
que des images soient prises par-dessus
une haie ou par une fenêtre. Il est toutefois difficile de porter plainte contre un
engin qui survole anonymement un jardin. La situation est encore plus com-
plexe dans les espaces publics. «Sauf dans
les cas prévus par la loi, par exemple
quand la police enregistre du son ou des
images dans le cadre d’une enquête avec
l’accord d’une autorité judiciaire, le citoyen doit pouvoir donner son accord s’il
est reconnaissable. Il doit être averti, il
doit savoir qui enregistre et il a un droit
d’accès sur les images. Si une télévision
filme une manifestation sportive à l’aide
d’un drone au sigle de la chaîne, on peut
admettre que c’est reconnaissable et acceptable. Le drone anonyme, lui, pose
problème», explique Me Sylvain Métille,
avocat spécialisé dans les nouvelles technologies.
Photos de groupe
Afin d’encadrer l’utilisation des engins
volants, les politiciens lancent des idées:
autorisations de vol, licence de pilote ou
organisation de cours théoriques. «Rappelons-nous qu’il s’agit d’un sport, d’un
hobby. Certains utilisent leur drone pour
faire des photos aériennes d’un groupe
ou d’une fête dans leur jardin», souligne
Pascal Ducret. Il propose, quant à lui,
que la vente des drones soit réservée aux
spécialistes, capables d’instruire l’acheteur.