Les procédés humoristiques en rédaction. Les bons maux de l`humour

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Les procédés humoristiques en rédaction. Les bons maux de l`humour
Les procédés humoristiques en rédaction
Les bons maux de l’humour
par Karine Brochu
Pour apporter une touche d’humour à vos
textes, oubliez les jeux de mots préparés et
les figures de rhétorique de votre manuel
préféré. L’improvisation et l’esprit
d’à-propos sont plus savoureux que le
calembour forcé.
L’humour ne s’apprend pas dans les livres. Les
journalistes et les rédacteurs expérimentés
n’utilisent aucun guide rédactionnel de procédés
humoristiques. Certains ne connaissent même pas
l’expression. Lorsque j’ai demandé à JeanSimon Gagné, journaliste et chroniqueur au
Soleil, de m’accorder une entrevue sur le sujet, il
m’a répondu qu’il serait heureux d’apprendre ce
qu’est un procédé humoristique ! Quant à
Ghislaine Rheault, chroniqueuse au même journal,
elle ne savait pas trop ce qu’elle pourrait bien me
raconter. Et pourtant !
L’humour en exemples
Yvon Deschamps, Sol, Pierre Légaré,
Daniel Lemire sont tous des humoristes que l’on
peut voir et entendre. Lorsqu’on lit leurs textes,
on peut encore rire de leur humour. Pourquoi ?
Parce que l’humour reste une forme d’esprit, à
l’oral comme à l’écrit. Le rédacteur qui émaille
son texte de pincées d’humour adresse ainsi un
clin d’œil à ses lecteurs, en leur présentant la
réalité sous un jour plaisant, insolite ou absurde.
Que savez-vous de l’ironie, de la parodie et de la
satire ? Plus que vous ne le croyez ! L’ironie se
laisse voir par l’intention railleuse et perfide de
certains propos moqueurs : « C’est un auteur très
estimable (c’est-à-dire médiocre). » La parodie
est plutôt une imitation comique, telle que les
nombreuses adaptations de La cigale et la
fourmi. Quant à la satire, c’est un écrit qui
caricature une situation ou une personne. Les
pamphlets et les critiques acerbes en sont de
bons exemples… bien qu’ils ne soient pas
toujours humoristiques.
« Le comique est lié à une petite revanche
ludique sur tout ce qui est mécanique, régulier,
toujours prévisible et parfois monotone à force
d’être raisonnable », écrit Jean Cazeneuve,
auteur de plusieurs livres sur le bonheur, la joie et
l’amour de la vie. Vous désirez être comique ?
Alors, manipulez le calembour, un jeu de mots
qui reste au ras des syllabes et qui joue sur le son
plus que sur le sens. Vous voulez des
calembours ? Parcourez les titres des articles de
l’hebdomadaire Voir : « Puerto Viagra »,
« Métier d’or », « Détroit d’esprit », « Matière à
réfection ». Réflexion faite, on les juge assez
amusants tout en étant informatifs. Les
calembours sont toujours les bienvenus, même
dans les articles sérieux : « Les Italiens sont un
peuple très ancien, car ils ont Milan » ; « Le
champagne est un vin très vieux, car sa mousse
tache et grise. » Patrick Coppens, dans son
Ludictionnaire québécois, a même opté pour le
calembour pour définir les mots :
• La France : la mère-partie,
• Québec : Hostie-nation,
• Dieu : le meilleur des monstres.
Il nous apprend aussi que la grammaire équivaut
à des problèmes conjugaux et que la langue
française est la mieux pendue, à défaut d’être la
plus répandue.
Le mot d’esprit joue également avec les mots,
mais va au-delà des astuces lexicales. À la fois
plus profond et plus léger que le calembour, le
mot d’esprit ne brille que s’il est naturel,
spontané. André Maurois, écrivain français du
Rédiger. Le magazine de la rédaction professionnelle
no 3, 1999-2000
XXe siècle, disait d’ailleurs : « Il ne suffit pas
d’avoir de l’esprit. Il faut en avoir assez pour
s’abstenir d’en avoir trop. » Le mot d’esprit fait
rarement rire. Parfois sourire, mais pas toujours.
Par contre, en une seule phrase, il libère du
quotidien, change la perspective.
Bien rire et laisser dire
Mais pourquoi donc utiliser l’humour ? Certes,
pour accrocher le lecteur, mais aussi pour
provoquer chez lui un étonnement et une réflexion
implicitement guidés. « Le but de l’humour est de
“poivrer” un texte pour le rendre plus attrayant,
plus intéressant, soutient Alberto delBurgo,
pigiste et rédacteur en chef d’Actualités CDN.
Faire ressortir l’aspect cocasse d’une situation
dramatique réussit souvent à la dédramatiser.
Rire d’un politicien peut être beaucoup plus
efficace que de le critiquer ». Pour JeanSimon Gagné, l’humour écrit, « c’est un
assaisonnement qui permet de rendre le texte
intéressant, de lui donner du relief. » Alors, SVP,
relevez-moi cette sauce ! Surprenez vos lecteurs
en « salant », en « poivrant », en « pimentant »,
en « épiçant » vos textes.
Peut-on toujours utiliser l’humour ? Cela dépend
parfois du genre, parfois du sujet. Un billet
d’humeur se prête beaucoup mieux à l’exercice
qu’un texte purement informatif. Parallèlement,
certains sujets traités selon l’approche
humoristique peuvent laisser un goût amer.
Néanmoins, l’humour est généralement bien vu,
pour autant qu’il soit de bon goût, jamais
saugrenu, ni déplacé. « Je ne fais pas d’humour
avec ce que je ne trouve pas drôle », révèle
Ghislaine Rheault. Le mot d’ordre : l’humour à
tout prix, non merci !
Comment procéder pour mettre de l’humour
dans ses textes ? Pas de chance : il n’existe
aucune recette miracle ! Personne n’utilise les
mêmes procédés stylistiques, encore moins de la
même façon. « Je m’inspire des circonstances,
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des situations quotidiennes vécues par tout le
monde pour les dédramatiser et pour en rire »,
constate Anik Brochu, rédactrice pour Adorable,
un magazine pour les adolescentes.
Ghislaine Rheault, quant à elle, voit d’abord une
caricature et visualis e des images pour aborder
son sujet : « Je voudrais être capable de dessiner
pour faire des caricatures. » Elle imagine souvent
des dialogues entre des gens dans des endroits
précis, ce qui l’amène à superposer deux réalités
différentes ou à faire un parallèle entre
deux situations qui ne semblent pas reliées. Les
comparaisons originales et l’utilisation du langage
familier sont d’autres exemples de son humour
vivifiant, tout comme les pastiches de lettres.
Rappelez-vous madame de Sévigné et monsieur
de Pomponne et imaginez la correspondance
entre madame la marquise Boucher (pardon, je
voulais dire madame la mairesse) et monsieur le
ministre Chevrette…
Ça passe ou ça casse
L’humour ne passe pas toujours bien. Parfois, les
procédés humoristiques du rédacteur ne sont pas
compris des lecteurs. « Comme j’écris pour les
jeunes, mon style doit être léger et très imagé. Je
fais des blagues faciles, mais il peut arriver que
les jeunes ne saisissent pas celles à double
sens », admet Anik Brochu. Il en va de même
lorsqu’on écrit pour les adultes, certains traits
d’humour s’avèrent subtils et nécessitent
différents degrés d’interprétation. « Écrire à
plusieurs niveaux, j’aime bien jouer là-dessus,
affirme Ghislaine Rheault. Toutefois, j’évite les
allusions que les lecteurs pourraient ne pas
comprendre. »
Et il reste ces difficiles, ces lecteurs qui
n’entendent pas à rire. « Mais, que voulez-vous,
le rédacteur aussi doit avoir du plaisir à écrire ! »
Finalement, pour apporter une touche d’humour
à vos textes, apprenez donc à « cuisiner » les
sons, la syntaxe, le sens des mots et les
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perspectives. Rehausser au besoin de guillemets,
de parenthèses et du style télégraphique. Répétez
le tout, contredisez-vous, concoctez des
tournures risibles ou grotesques, faites même des
erreurs… volontaires ! L’important, c’est le
naturel bien mijoté. Et n’ayez crainte, l’efficacité
de l’humour dépend plus de l’expressivité et de la
spontanéité du rédacteur que de ses talents
d’humoriste devant une salle remplie de
spectateurs ! Il y a toujours une plume
là-dessous…
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