les Météores - Volpeimages

Transcription

les Météores - Volpeimages
TOURISME
LE MYSTÈRE DES 9 SITES SACRÉS
DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX JEAN-FRANÇOIS COLOSIMO (TEXTE)
ET PASCAL BESSAOUD/LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS).
LES MÉTÉORES,
FENÊTRE
SUR L’INVISIBLE
Tout au nord de la Grèce, en Thessalie, la main de Dieu a
dessiné un paysage mystique unique au monde :
les Météores, « fulgurance ténue jetée entre ce monde présent
et l’autre à venir ». Une invitation au voyage vertical.
Le monastère
d’Aghia Triada
(la sainte Trinité),
sans doute le plus
spectaculaire
des Météores.
Il est l’un
des 6 encore
debout, sur 24
à l’apogée
du site, aux XVeXVIIIe siècles.
TOURISME
LE MYSTÈRE DES 9 SITES SACRÉS
Célébration de Pâques aux Météores, la fête la plus importante du rite orthodoxe. A gauche, les icônes sont descendues des monastères vers le petit bourg de Kastraki. Au centre, le père Ioannis en son église de Kastraki. A droite, prosternation et ferveur intense des villageois.
Lundi de Pâques :
le père Ioannis
(en retrait)
invite ses fidèles
à allumer
leurs cierges.
« Christos
anesti » ! Christ
est ressuscité.
Les reliques de
saint-Etienne
portées par un
jeune du village.
Elles en feront
le tour avant
de retourner
au monastère
d’Aghios
Stephanos.
TOURISME
LE MYSTÈRE DES 9 SITES SACRÉS
Nectarios et Theophanis Aparas, deux frères qui firent du monastère de Varlaam l’un des plus florissants des Météores.
A gauche, un détail d’un plafond de Varlaam. A droite, une icône très sainte, présentée lors des fêtes de Pâques.
74
LE FIGARO MAGAZINE - Samedi 8 juillet 2006
Perché sur
sa colonne
de grès à près
de 300 mètres
de hauteur,
le monastère
de Roussanou
n’a longtemps
été accessible
que par
des échelles
de corde.
TOURISME
LE MYSTÈRE DES 9 SITES SACRÉS
L
es géologues prétendent qu’il s’agirait d’un immense
bouchon qui obstruait, il y a quelques centaines de
milliers d’années, la mer de Thessalie et qui aurait
fini disloqué, fendu, déchiqueté sous les assauts de
l’impérieux Olympe et de la houleuse Egée. Approximative
science... Les Anciens savent, eux, que la main de Dieu dessina
ce paysage mystique en prévision de l’art de l’icône, afin de former l’œil des peintres sacrés, de codifier leurs œuvres vouées à
en répéter inlassablement les pics, les rochers et les vertiges.
Qu’elle fit pleuvoir d’en haut ces dentelles de granit, les ficha
dans la glaise pour mieux les tirer vers les étoiles, et les garder
suspendues entre ciel et terre afin d’illustrer concrètement cet
impalpable mystère qui, chez les théologiens, se nomme la
grâce. Que, dès l’origine, cette même main, immatérielle et souveraine, destina ces failles et escarpements aux ermites et autres
chasseurs d’absolu, ivres de supplications, de silences et d’extases qui y trouveraient leur royaume afin que la nostalgie des
anges continue de hanter la mémoire des hommes. Meteora :
ni de ce monde, présent, ni de l’autre, à venir, mais une fulgurance ténue, jetée entre les deux. Une déchirure en coin de
l’éternité. Une fenêtre sur l’invisible.
Des Météores, au fil des années, j’ai gravi les marches,
dévalé les sentes, inspecté les pitons et les ravines dans une
contemplation sans cesse recommencée. Je les ai vus forteresses
imprenables dans le brouillard de février, lorsque le givre obscurcit le tuf, puis solitudes désolées dans la fournaise d’août
lorsque le soleil illumine le grès. Je les ai arpentés sous la bruine
qui réveille la tourbe et rappelle le péché, puis sous l’orage qui
noie le térébinthe et lave l’âme. Il aura fallu ces tours et retours
pour que la leçon se fasse claire et trouve les mots pour se dire :
ici, plutôt que de visiter, on apprend à être visité. Ici, dehors,
c’est dedans. Car cette géographie minérale est intérieure. Ce
sont les tréfonds de votre cœur que vous parcourez.
Ici, on apprend aussi à être attentif aux ombres qui
accompagnent le marcheur, vigilant quant aux murmures que
porte la brise. Comme tout lieu de l’esprit, les Météores bruissent de présences pour qui consent à s’ouvrir en s’oubliant. De
mon premier pèlerinage en 1976 – à l’adolescence, il y a trente
ans déjà, et certains monastères étaient encore occupés par des
communautés masculines – j’étais reparti avec l’image de
l’ossuaire de Varlaam pour viatique. A la question de savoir
combien de moines comptait le couvent, le père Ephrem
m’avait répondu en centaines ou milliers, je ne sais plus, recensant tous les membres de la fraternité depuis sa fondation. Il
n’est qu’une humanité, des morts et des vivants. Ici, nous
réapprenons que nous sommes tous en voyage. Vertical.
L’homme est là depuis la nuit des temps, troglodyte au
début, ascète ensuite, moine enfin. La chronique note la
présence d’ermites à l’entour de l’an mil. Mais les Météores
n’entrent vraiment dans l’histoire qu’au XIV e siècle avec
l’aventure d’Athanase, venu du mont Athos peupler ce désert
de pierres. De ses origines, on ne saura rien. Lui-même, orphelin, les taira. Mais la guerre, qui lui a pris ses parents, court
d’un bout à l’autre de sa destinée. Militaire d’abord, elle se
découvrira mystique.
En 1317, Athanase fuit, adolescent, le ducat latin
d’Athènes que viennent de mettre à sac les Catalans.
Commence une longue errance à travers l’empire ravagé par
76
LE FIGARO MAGAZINE - Samedi 8 juillet 2006
les batailles, les famines, les épidémies : Thessalonique, l’Athos,
Constantinople, la Crète... Ici, les rhéteurs lui enseignent Platon.
Là, les moines l’initient à l’hésychasme, à la méthode d’oraison
perpétuelle qui unit le souffle à la rumination du nom de Jésus.
Il sera un des leurs, il le sait, le veut. Il le devient sur la SainteMontagne, dans la skite de Magoula, sous le patronage de
Grégoire le Sinaïte pour qui il n’est d’autre but à la vie de
l’homme que la vision de Dieu.
Mais la guerre le rattrape, les pirates turcs cette fois.
L’Athos est dévasté. Nouvel exil. Un disciple du Sinaïte,
Jacques, devenu patriarche des Serbes, les envoie, lui et son
compagnon Grégoire, près de Stagai, la moderne Kalambaka.
Il leur a promis la quiétude. Ils découvrent une solitude,
aride, lunaire, abyssale. Il leur a parlé de grottes, d’ermitages.
A l’ombre d’un piton surnommé la « Colonne », ils trouvent
une chapelle creusée dans le roc et vouée aux archanges.
Grégoire veut partir. Athanase brûle de rester. Pour autant la
guerre continue. La nuit, lorsqu’il veille, le démon le frappe,
le bouscule. Ne pas céder au vertige. Ne pas tomber dans le
vide. Nul, alors, ne peut plus rien pour lui. Hormis Dieu.
La guerre fait rage, aussi, là-bas, au loin, dans le monde.
Les batailles perdues par Byzance tournent à la litanie. Partout
les Ottomans avancent. Gallipoli est tombée, la Thrace, la Macédoine sont occupées, les Bulgares reculent, la Thessalie, l’Epire
craquent, Andrinople est assiégée... Le saint, sur son rocher,
prédit que Thessalonique tiendra. Nous sommes en 1372.
Thessalonique tient. Momentanément. Miraculeusement.
Il reste à Athanase huit ans à vivre. Il ignorera tout des
malheurs qui suivront, la défaite des Serbes et de leurs alliés au
Kosovo en 1389, la chute de Constantinople en 1453, la mort
du dernier empereur, les armes à la main, sur les remparts de
la seconde Rome. Mais c’est entouré d’une multitude de disciples qu’il s’endormira, d’un sommeil éternel, en 1380. Parmi
eux, un prince qui a troqué la pourpre contre la bure, l’ancien
despote Jean Ouroch Paléologue, l’héritier des Némanides, le
neveu du tsar Etienne Douchan, qui bâtira le monastère de la
Transfiguration, le Grand Météore. Au sein d’un monde asservi
au glaive, Athanase vient ainsi de fonder une nouvelle Thébaïde
de moines qui, pendant des siècles de captivité, incarneront la
résistance de tout un peuple.
Lors de leur apogée, aux XVe-XVIIIe siècles, les Météores
abriteront vingt-quatre monastères. Aujourd’hui, il n’en
reste que six. Toujours la guerre, en effet, ou plutôt les guerres,
qu’elles aient été de libération nationale, mondiale ou civile,
menées contre les Turcs en 1821, contre les Allemands en
1944, contre les Grecs communistes en 1948... Les massacres
des janissaires, les saccages des nazis, les incendies des staliniens se seront efforcés de réduire à néant ce refuge naturel,
planté au cœur de la Grèce, à l’intersection des Balkans, au
carrefour de l’Europe. En vain. Les antiques systèmes de filins,
cordages, paniers et nacelles sont là pour en attester : on
n’entre aux Météores que désarmé, nu.
D’où la paix que l’on y ressent et reçoit, mais au prix de
l’élévation, c’est-à-dire du délaissement de soi. C’est ce
contraste que montrent les fresques les plus saisissantes qui,
à Roussanou, racontent le temps des martyrs et l’heure du
Jugement dernier : les supplices infligés aux saints, impassibles,
baignant dans une rivière de sang se donnent en miroir des
>>>
TOURISME
LE MYSTÈRE DES 9 SITES SACRÉS
peines appliquées aux damnés, défigurés, engloutis dans un
fleuve de feu : la purification des sens est émancipation de la
mort. A Varlaam, Sisoès, le saint ermite d’Egypte contemple en
toute quiétude le squelette d’Alexandre le Grand, mis au jour
par quelque lion : la conquête des passions, et non pas des
nations, est source d’immortalité. Au Grand Météore abonde
l’image de Jean le Baptiste, le prophète du désert qui se nourrissait de sauterelles et de miel, décapité sur ordre de Salomé,
devenu ainsi le chef des légions angéliques et le messager du
Christ dans l’au-delà comme ici-bas. Mais c’est à Saint-Nicolas
Anapausas, « du profond repos », sous le pinceau sans égal de
Théophane le Crétois, qu’éclate le drame cosmique dont les
Météores se veulent le théâtre : l’ancien Adam est dans l’Eden
à nommer les animaux tandis que le nouvel Adam descend
dans l’Hadès. A l’homme qui désire retrouver le paradis, il faut
un Dieu qui ne craigne point l’enfer.
CARNET DE VOYAGE
2 bus par jour, à 8 h et 14 h, gare
centrale, Odos Zossimadon).
En train : un InterCity AthènesKalambaka direct par jour (départ
à 16 h, gare de Larissa, 5 h de
trajet). En bus : une dizaine de
liaisons par jour Athènes-Trikala
(départ Terminal B, Odos Liossion,
5 h de trajet), correspondance
pour Kalambaka toutes les demiheures (25 min. de trajet).
Kastraki, petit village tapi
au pied des Météores.
UTILE
Accès aisé à Kalambaka, au pied
des Météores, à partir des grandes
villes de Grèce continentale. Ce
gros bourg est hélas abîmé par le
tourisme. Le village limitrophe de
Kastraki garde plus de charme. En
raison des heures d’ouverture,
compter deux jours pour visiter les
six monastères. Voir absolument
le Grand Météore et Saint-Nicolas
Anapausas. Climat, lumière,
fréquentation : privilégier le
printemps précoce et l’automne
tardif. Renseignements : office
national hellénique du
tourisme, 3, avenue de l’Opéra,
75001 Paris (01.42.60.65.75).
COMMENT
S’Y RENDRE ?
3 vols quotidiens Paris-Athènes
sur Air France (0.820.820.820 ;
www.airfrance.fr), 2 vols sur
Olympic Airlines
(01.44.94.58.58 ; www.olympicairlines.com), puis correspondance
intérieure en avion, AthènesIoannina (4 rotations
quotidiennes Olympic Airlines et
Aegean Airlines), l’aéroport le plus
proche des Météores (150 km ;
78
HÉBERGEMENT
A Kalambaka : version « luxe »,
on préférera l’Amalia
(00/30.24.32.07.22.16), 130 €
la double et vue imprenable,
au Divani (nombreux groupes) ;
catégorie confort, l’Eldeweiss
(00/30.24.32.02.39.66) s’impose
par sa piscine. 65 € la double avec
vue. A Kastraki : côté aventure,
le bien nommé France
(00/30.24.32.02.41.86), fréquenté
par Nicolas Hulot, est tenu par le
francophone Ludovic, spécialiste
de trek. 45 € la double avec vue.
Tonalité chic, la pension
Doupiani (00/30.24.32.07.53.26),
maison de maître perdue parmi
les vignes n’en est pas moins
climatisée (50 € la double).
BONNES TABLES
A Kalambaka : à l’ombre d’une
tonnelle, la pension Koka Roka,
sur les hauteurs, offre une bonne
cuisine traditionnelle (10 €) ; plus
au centre, chez Gertzos se
distingue par ses réminiscences
d’Asie mineure (15 €). Parmi les
cafés branchés de la place
Dimoula, l’Ego demeure le plus
« bouzouki ». Carte internationale
et piano-bar dans les hôtels
Amalia et Divani (20 €). A
Kastraki : les plats rustiques, cuits
au feu de bois, et le vin maison,
non filtré, du Plakias Gardenia
(10 €), à côté de l’église, accablent
l’indolence des mezzés et grillades
du Babitsa, néanmoins pardonné
LE FIGARO MAGAZINE - Samedi 8 juillet 2006
Or, désormais, les Météores retentissent aussi des sanglots
de leur propre déclin. De quand le dater ? Du premier escalier
taillé dans le roc à flanc du spectaculaire monastère d’Aghia Triada
en 1925 ? De l’ouverture d’un petit musée dans le réfectoire
d’Aghios Stephanos en 1960 ? Du départ du père Aimilianos et de
sa communauté pour l’Athos, de leur troc du Grand Météore contre
Simonos Petra, lui aussi juché sur une falaise, en 1973 ? On peut
maudire le tourisme de masse. Mais plus d’une fois, dans la cohue,
le bruit, la vulgarité, j’ai vu tel homme, telle femme, tel enfant, venu
de nulle part, se poser en coin d’une stalle, se taire, s’incliner. Et chacune de ces fois, j’ai su que le père Ephrem avait raison, que je revenais ici et que j’y reviendrais toujours pour cela, pour cette simple
certitude que les générations qui s’y étaient succédé ne dormaient
pas, que les gardiens des Météores veillaient, prêts à escorter chez le
plus petit visiteur le moindre désir du ciel. ■
La semaine prochaine : Bénarès, plus près de l’infini
pour sa terrasse ombragée (12 €).
Le jardin du bar ABG, dans la
montée vers les monastères, offre
un havre nocturne.
L’INSTANT MAGIQUE
Le crépuscule, vu du belvédère
naturel que forment les grands
rochers de Psaropetra, facilement
accessibles à partir de la route qui
mène à Aghios Stephanos. Le
soleil, en disparaissant, semble
refermer quelque invisible
couvercle sur les Météores.
LE BÉMOL
L’invasion touristique au cœur de
ces solitudes historiques. Afin
d’éviter les bus de badauds, il suffit
d’inverser leur parcours, de
commencer dès l’ouverture par
Saint-Nicolas et de finir au
crépuscule par le Grand Météore.
QUE RAPPORTER ?
Du magasin monastique de SaintNicolas, le plus raffiné, chapelets,
icônes et encensoirs, et disques
de musique liturgique byzantine.
De l’épicerie fine à la sortie de
Kalambaka, vins, huiles, salaisons
et fromages, dont la remarquable
feta épirote Dodoni.
LIRE
Pour la visite, Stelios Papadopoulos,
Meteora, la Thessalie de l’Ouest,
Atlantis, 1990. Pour la perspective,
George Castellan, Histoire des
Balkans, Fayard, 1999. Pour la
poésie, Jacques Lacarrière,
Le Dictionnaire amoureux de la
Grèce, Plon, 2001. Pour la
mystique qui lie les Météores à
l’Athos, Archimandrite Aimilianos,
Sous les ailes de la colombe,
Ormylia, 2000. ■
J.-F. C.
CARTE : OLIVIER CAILLEAU
>>>

Documents pareils

Météores, Thessalonique, 2 – 6 mai 2012

Météores, Thessalonique, 2 – 6 mai 2012 Les formes physique et mentale sont excellentes ! Petit-déjeuner avalé, je décide donc de parcourir le site des Météores à pied pour éviter une cohabitation non désirée avec les touristes du matin ...

Plus en détail

Guide Michelin Plus près de Dieu C`est au 11` s. que les premiers

Guide Michelin Plus près de Dieu C`est au 11` s. que les premiers ère, et envers leurs 1 descendants spirituels, aujourd'hui Chargés de conserver ce patrimoine culturel et religieux impressionnant. A l'origine de tous ces monastères, une poignée d'ermites venus s...

Plus en détail