Anna Gréki par Gisèle Sans Ma rencontre avec Anna Gréki
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Anna Gréki par Gisèle Sans Ma rencontre avec Anna Gréki
Anna Gréki par Gisèle Sans Ma rencontre avec Anna Gréki Ma rencontre avec Anna Gréki à Alger en juin 1964 a les yeux pleins d’étoiles de la jeunesse : j’avais dix-huit ans. Poète en secret, je sus d’emblée reconnaître en elle ce feu intérieur qui illumine la vie de ceux qui veulent le meilleur pour les hommes et qui refusent d’accepter l’ordre des choses. Sa maison était à son image, accueillante, ouverte au soleil de l’Algérie, son pays qui éclairait son regard, ouverte aussi aux bonheurs de tous les jours. J’étais venue en voyage avec mon père à Alger ; c’est mon amie et professeur de piano à Paris Victoria, amie d’Anna Gréki, qui nous avait fait accueillir chez elle, mariée à Jean-Claude Melki dont elle avait un fils, Laurent. Elle décèdera en 1966 lors d’un accouchement. Son mari rentrera en France et plus tard épousera Victoria qui élèvera le fils d’Anna Gréki. Impressionnée par cette rencontre, je l’étais, sachant ce qu’elle avait vécu : engagée et militante pour l’indépendance de l’Algérie, elle avait été arrêtée en 1957, torturée et incarcérée à la prison Barberousse à Alger, puis internée au camp de Beni-Messous ; expulsée d’Algérie à sa libération, elle partira à Tunis avec son mari. Elle rentrera à Alger en 1962 après l’indépendance. De quinze ans mon aîné, elle me mit assez en confiance et en confidence pour que je lui dise que j’écrivais aussi des poèmes et que j’aimais beaucoup Paul Éluard, sentiment qu’elle partageait : « Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné, Un feu pour être son ami, Un feu pour m’introduire dans la nuit d’hiver, Un feu pour vivre mieux. » Est-ce vraiment un hasard si le début du poème de Paul Éluard, Pour vivre ici, se trouve en exergue de la préface de Bruno Doucey pour l’anthologie L’Insurrection poétique Manifeste pour vivre ici, établie par Christian Poslaniec et Bruno Doucey en janvier 2015, aux éditions Bruno Doucey, dans laquelle Anna Gréki et moi-même nous trouvons réunies ? Quoi qu’il en soit, c’est notre deuxième rencontre dans l’Insurrection poétique qui me fait témoigner aujourd’hui sur la première, pour la réédition à venir de l’œuvre d’Anna Gréki aux éditions Bruno Doucey, avec toute l’affection et l’admiration que je porte à cette femme d’exception, aussi poète d’exception. C’est alors qu’elle me fit don de son premier recueil qui venait de paraître en 1963, Algérie, capitale Alger, aux éditions Pierre-Jean Oswald, dans la collection « J’exige la parole », et la S.N.E.D à Tunis, avec une préface de Mostefa Lacheraf et une traduction en arabe par Tahar Cheriaa. Pendant qu’elle s’occupait de son fils et de la préparation du repas, je découvris ses poèmes écrits pour la plupart en prison ; ils fusaient comme des jaillissements de liberté, malgré la torture et l’enfermement, faisaient écho en moi née en 1946, après ce que j’avais pu appréhender de la guerre dans les récits de mon père et de ma mère ; poèmes d’une lutte, toujours à recommencer, contre la domination et la barbarie, présente aussi chez Paul Éluard, avec toujours l’espoir indéfectible, comme ces accents éluardiens avec la répétition d’un vers en leitmotiv scandant le poème, dans la poésie d’Anna Gréki: « L’avenir est pour demain L’avenir est pour bientôt » Dans le poème L’avenir est pour demain « On n’invente jamais seul » Dans le poème jamais seul Anna Gréki, poète révolutionnaire, comme le note Jacqueline Arnaud, que j’ai bien connue avant qu’elle ne décède en 1986, critique et professeur à l’université de Paris XIII qui a consacré beaucoup de ses travaux au écrivains du Maghreb. Cependant Anna Gréki, de son vrai nom Anna Colette Grégoire, est aussi poète de l’enfance heureuse : née à Batna en 1931dans les Aurès, elle est fille d’un instituteur laïc, très apprécié à Collo. « Aucune des maisons n’avaient besoin de porte Puisque les visages s’ouvraient dans les visages Et les voisins épars simplement voisinaient La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait C’était dans les Aurès À Menaâ » Dans le poème Menaâ Paradis perdu évoqué plus loin dans le même poème : « Du ciel blanc Les bruits d’hélices Ont remplacé les bruits d’abeilles » Paradis à reconstruire après la guerre : « Nous prendrons soin de laisser la clé sur la porte Et que la rue entre par la fenêtre ouverte La rue toute entière son soleil ses enfants La rue riche d’amis étrangers de passants Fraternels Notre maison est à qui la veut A qui a besoin de chaleur à qui a faim » Dans le poème Vivre Ces vers de générosité montrent à quel point la poésie d’Anna Gréki est moderne et intemporelle, car elle trouve un écho étonnant dans l’actualité. Anna Gréki, ayant terminé les tâches de la vie quotidienne, reprit sa conversation avec moi sur la poésie. Elle s’inquiétait maintenant de la forme de sa poésie ; elle m’interrogeait sur l’opinion que j’avais de son style, par rapport aux poèmes qui s’écrivaient à l’époque, moi qui vivait à Paris, me disait-elle. Ai-je su, à dix-huit ans, lui dire assez comme sa poésie était forte dans la lutte, mais aussi vivante et pleine de lumière… C’est pourquoi je suis heureuse de lui rendre un hommage aujourd’hui. Plus tard, j’ai découvert le reste de son œuvre, brusquement interrompue en 1966... Elle n’avait que trente cinq ans. La même année paraît après son décès, aux éditions Présence africaine, son recueil Temps forts. Dans ces poèmes, la force de l’espoir des années de lutte fait place, dès le début de l’indépendance, à l’amertume des désillusions. « J’ai senti s’effriter la chair de mon pays Dans un effort terrible de recréation » Dans le poème Avis « Quand il n’y a plus d’idées il reste toujours les mots et les morts qui sont des héros et qui servent de noms de rues de clairons, d’alibi, d’oubli » Dans le poème Les bons usages d’un bureaucrate Anna Gréki reprend, comme dans son premier recueil, des leitmotivs, mais cette fois à la tonalité déçue : « Où sont mes frères de combat Et la justice et la bonté » Dans le poème Litanies Cependant Anna Gréki espère toujours ; Son poème en 5 parties Oursins de la mémoire, comme autant de piqûres dans les 4 premières, ravive l’espoir dans la dernière : « Pourtant sous le reflux j’entends des voix qui montent dans la pulpe de demain Les yeux recommencent à voir sous la vermine la cigogne et le sourire sous la boue… Des choses chantent dans ma tête De toute douleur je compose mes magies » Gisèle Sans Octobre 2015