L`état du droit international à La Haye

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L`état du droit international à La Haye
HAGUE JUSTICE JOURNAL I JOURNAL JUDICIAIRE DE LA HAYE
VOLUME/VOLUME 2 I NUMBER/ NUMÉRO 3 I 2007
L’état du droit international à La Haye :
Des développements en droit pénal international et en droit de la mer
Harry Post*
Dans cette édition du Journal judiciaire de La Haye-Hague Justice Journal, deux
affaires importantes de délimitation maritime et deux problématiques complexes et
fondamentales du droit pénal international sont examinées et éclaircies. L’arrêt de la
Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans
l’affaire Zelenović a mis fin aux épouvantables affaires des « viols de Foča ». Matteo Fiori
examine cet épisode affreux de la guerre en Bosnie et étudie ce que la jurisprudence
relative à ces événements a apporté à l’identification et à la sanction du crime de viol. Le
jugement dans l’affaire Sefer Halilović a conduit Harmen van der Wilt à une discussion sur
la notion de « contrôle effectif », au centre de la doctrine de la responsabilité du supérieur
hiérarchique. Un troisième arrêt de Chambre d’appel, cette fois dans l’affaire Simba devant
le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), est abordé par Roland Adjovi. Il se
penche sur les raisons pour lesquelles tous les moyens d’appel ont été rejetés, y compris
celui ayant trait à la peine. Pour ce qui est du droit international général, Martin Pratt et
Yoshifumi Tanaka traitent de deux affaires de délimitations maritimes rendues, l’une par la
Cour internationale de Justice (CIJ) et l’autre par un tribunal d’arbitrage spécial. Les
jugements dans ces affaires (Nicaragua c. Honduras et Guyana c. Suriname) montrent
quelques divergences dans l’approche de la délimitation.
Le 31 octobre 2007, la Chambre d’appel du TPIY a rendu son jugement dans
l’affaire Dragan Zelenović. Ce jugement mit fin aux affaires dîtes des « viols de Foča ».
Dans son article publié dans cette édition, Matteo Fiori a décrit ces événements
comme suit :
Des camps de viol furent mis en place ; les femmes musulmanes furent détenues et subirent
les plus odieuses violations de leurs droits humains élémentaires. Les victimes traversèrent
une épreuve indescriptible, vivant dans une peur permanente et ce durant une longue
période qui, pour autant que cela soit possible, a exacerbé leur traumatisme.
*
Harry Post est rédacteur en chef du HJJ-JJH et rédacteur en chef du Portail judiciaire de La Haye.
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Le juge Mumba, président de la chambre de première instance déclara que « des membres
des forces armées serbes de Bosnie avaient recours au viol comme instrument de terreur.
Un instrument dont ils pouvaient user en toute liberté contre quiconque et quand bon leur
semblait ». Les auteurs de crimes tels que Zelenović, continua-t-il, ont « manifesté le
mépris le plus criant pour la dignité des femmes et leur droit humain fondamental à
l’autodétermination en matière sexuelle et ce à un degré qui dépasse, de très loin, ce qu’en
l’absence d’une meilleure formule, on pourrait qualifier de “degré habituel de gravité des
viols en temps de guerre” ». Les atrocités commises dans cette zone marquent selon M.
Fiori « l’une des pages les plus sombres de la guerre ».
L’auteur poursuit en expliquant l’historique assez compliqué des procédures de ces
affaires. Deux d’entre elles, à l’encontre de Gojko Janković et Radovan Stanković, furent
les deux premières affaires du TPIY à être renvoyées devant une cour nationale, la Cour de
Bosnie-Herzégovine. Tous deux furent jugés coupables par la cour de Sarajevo et
condamnés à de longues peines d’emprisonnement. Malheureusement, le 25 mai 2007,
Stanković parvint à s’évader et il est toujours en fuite. Déjà en 2001 et 2002 (dans les
jugements en l’affaire Kunarac et al.), le TPIY avait condamné à de longues peines de
prison, trois autres auteurs de crimes à Foča. Au total, huit accusés ont été inculpés dans
les affaires des « viols de Foča ». Six d’entre eux, dont Zelenović, ont été condamnés et
deux sont décédés dans l’attente de leur procès.
Matteo Fiori conclut son exposé par une évaluation détaillée de l’état du droit en
matière de « viol en tant que crime contre l’humanité ». Il explique que grâce à la
jurisprudence de Foča, certains problèmes particulièrement délicats de définition des
éléments spécifiques du crime de viol ont été identifiés et traités. La relation complexe
entre le viol et la torture a aussi été clarifiée. La jurisprudence Foča a permis de souligner
que « le viol en droit international compte parmi les crimes les plus graves et qu’il n’y aura
pas d’indulgence envers les auteurs de tels crimes ».
Le jugement du 16 octobre 2007 de la Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire
Sefer Halilović aborde la notion importante de « contrôle effectif », qui joue un rôle crucial
dans la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique. L’identification et
l’explication progressive de la responsabilité du supérieur hiérarchique est sans doute l’une
des plus importantes contributions que la jurisprudence du TPIY ait apportées au droit
pénal international. Le prix à payer est peut-être que cette notion est devenue de plus en
plus compliquée, mais une telle évolution semble s’accorder avec la complexité toujours
croissante des conflits armés modernes. Harmen van der Wilt analyse le lien de
subordination dans le cas d’un chef militaire de facto (Halilović était chef de l’état-major
du commandement suprême de l’Armée de Bosnie-Herzégovine en 1993). Cette affaire
porte sur le lien de subordination et la « capacité matérielle à prévenir et à sanctionner les
crimes », qui en découle. La Chambre d’appel déclare que le cœur de la responsabilité du
supérieur hiérarchique est le « contrôle effectif » sur les subordonnés, qui implique « la
capacité matérielle à prévenir et à sanctionner les auteurs des crimes ». La Chambre
d’appel a aussi dû aborder la question de savoir si Halilović avait vraiment eu l’opportunité
de prévenir ou de punir les crimes de guerre en question. Était-il, en effet, en mesure
d’exercer un « contrôle effectif » ? De l’opinion de la Chambre d’appel, Halilović n’était
pas en position de le faire. Dans son analyse détaillée, Harmen van der Wilt explique que
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le fait de démontrer si un chef militaire a ou non une telle capacité déjoue l’approche
« binaire » de la doctrine selon laquelle les personnes « commandent » ou « sont
commandées ». Il peut s’agir d’une tâche très exigeante que d’évaluer adéquatement la
situation réelle (telle que ce fut le cas dans cette affaire). Harmen van der Wilt conclut son
article en suggérant que les difficultés inhérentes à la doctrine du supérieur hiérarchique
pourraient expliquer la popularité croissante de « l’instrument […] moins subtil qu’est
celui de la participation à une entreprise criminelle commune ».
La notion d’entreprise criminelle commune a aussi joué un rôle important dans
l’affaire contre Aloys Simba (un militaire de carrière dans l’armée rwandaise) devant la
Chambre d’appel du TPIR. Simba aurait été impliqué dans pas moins de cinq massacres.
La chambre de première instance l’avait reconnu coupable de génocide et d’extermination
en tant que crime contre l’humanité et l’avait condamné à 25 ans d’emprisonnement pour
son implication dans deux des massacres. La chambre de première instance avait déclaré
que Simba n’avait pas participé à une entreprise criminelle commune en ce qui concerne
les trois autres massacres. La Défense et l’Accusation ont toutes deux fait appel de cette
décision. Toutefois, le 27 novembre 2007 tous les moyens d’appels ont été rejetés.
Dans son commentaire sur l’arrêt dans l’affaire Simba, Roland Adjovi examine de
façon critique et détaillée les raisons de ces rejets. La possible responsabilité de Simba
pour sa participation à une entreprise criminelle commune a été traitée par la Chambre
d’appel dans son rejet des deux moyens d’appel de l’Accusation. Les remarques finales de
Roland Adjovi se rapportent à la longueur de la peine. Le procureur a contesté la peine
d’emprisonnement de 25 ans, trouvant celle-ci trop légère au regard des conclusions de la
chambre de première instance selon lesquelles Simba était l’un des acteurs principaux du
génocide. Toutefois, la Chambre d’appel a décidé de ne pas restreindre la discrétion de la
chambre de première instance en la matière et a confirmé la peine de 25 ans.
La Cour internationale de Justice (CIJ) a de nouveau tranché un différend frontalier
dans les Caraïbes, opposant cette fois le Honduras et le Nicaragua. Au cours de ses 60 ans
d’histoire, la CIJ a sans aucun doute apporté une contribution importante à la stabilité et à
la paix croissantes dans la région. Rien que pour le Nicaragua et l’Honduras, elle a été
impliquée dans des différends frontaliers à pas moins de trois reprises. Martin Pratt, un
spécialiste de ces conflits, explique le jugement de la CIJ du 8 octobre 2007 qui a mis fin à
la dernière de ces affaires, à la plus grande satisfaction des deux gouvernements. Au cours
de la procédure, l’affaire a évolué au-delà de la seule délimitation maritime pour traiter
d’une question de souveraineté sur des cayes situées entre 30 et 40 miles marins de la côte.
En accord avec la jurisprudence antérieure, la Cour détermina la souveraineté (en faveur du
Honduras) sur la base d’« effectivités limitées » évitant ainsi une application du principe de
l’uti possidetis juris. Martin Pratt considère la décision concernant la frontière maritime
comme relativement équilibrée et acceptable bien que la Cour ait choisi de ne pas
commencer par le tracé de la ligne d’équidistance (comme cela semblait être la pratique
établie en matière de délimitation des frontières maritimes) mais plutôt d’adopter la
méthode de la bissectrice. Cependant, sa critique de la décision concerne plus les aspects
techniques de la délimitation que le choix de la méthode. De l’opinion de l’auteur, la Cour
serait avisée, en ce qui concerne ces aspects techniques, de suivre l’exemple donné par les
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tribunaux d’arbitrage de récentes affaires, notamment La Barbade c. Trinité-et-Tobago et
Guyana c. Suriname.
Yoshifumi Tanaka écrit d’ailleurs un commentaire sur cette dernière affaire
particulièrement intéressante1. Le 3 juin 2000, le différend entre le Guyana et le Suriname
concernant leur frontière maritime a failli dégénérer en un conflit armé entre les deux
États, lorsque le gouvernement du Suriname a eu recours à l’usage de la force pour
s’opposer à des activités d’exploration pétrolière menées en conformité avec une licence
attribuée par le Guyana dans la zone en litige. Le tribunal a estimé que l’action menée par
le Suriname était une menace d’action militaire en violation du droit international. Il n’a
cependant pas attribué de compensation, parce que les dommages n’avaient pas été
prouvés de façon suffisamment convaincante. En ce qui concerne la délimitation de la
frontière maritime, M. Tanaka juge que cette sentence est conforme à la pratique
internationale récente en ce qui concerne les délimitations maritimes, en donnant la
préférence au principe de l’équidistance. À ce sujet, l’auteur pense que la méthode de la
bissectrice choisie par la CIJ en l’affaire Honduras c. Nicaragua n’est pas sans soulever
des questions bien que la Cour ait rappelé que la méthode de l’équidistance restait la règle.
De manière générale, il souligne que la sentence Guyana c. Suriname enrichit un peu plus
la jurisprudence en matière de délimitations maritimes.
Comme toujours, ce numéro entièrement bilingue du HJJ-JJH s’achève par un
panorama des principales décisions prisent par les cours, les organisations et les tribunaux
internationaux basés à La Haye et émises entre août et décembre 2007.
(Bologne, janvier 2008)
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Yoshifumi Tanaka a publié un commentaire sur l’affaire La Barbade c. Trinité-et-Tobago dans le HJJ-JJH,
volume 2, n°1 (2007)
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