Sur l`ATTENTION
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Sur l`ATTENTION
COLLEGE BELGE DE FASCIATHERAPIE Sur l’ATTENTION Support de Cours Didier AUSTRY Point d’Appui Paris 2002-2003 SUR QUELQUES PROPRIETES DE L’ATTENTION Objectifs 1. Présenter d’abord les multiples facettes de l’attention, pour indiquer que l’attention, même si c’est un seul mot, recouvre en fait des réalités multiples. Cette partie veut aussi montrer que l’on peut très bien étudier ce qu’est une fonction mentale comme l’attention, à partir d’une analyse en première personne. 2. Ensuite, passer à des descriptions neurophysiologiques. Les neurosciences se sont beaucoup intéressées au problème de l’attention, du point de vue de ces mécanismes « internes ». On verra comment les multiples facettes de l’attention reposent sur des mécanismes justement distincts. Cette partie montre aussi ce que l’étude scientifique, à la troisième personne, de cette même fonction mentale, l’attention, peut fournir comme perspectives nouvelles. 3. Enfin, présenter ce qu’est l’attention pour un praticien MDB. On ne donnera pas précisément des protocoles de travail en introspection sensorielle, qui sont vus en pratique. Cette partie finale veut montrer tout ce qu’apporte l’expérience de l’éprouvé, au-delà de l’expérience personnelle et de l’expérience scientifique. 1 I. Introduction Une définition ? La première difficulté est de définir l’attention. En effet, un mot, un seul, l’attention pour de multiples sens, de multiples phénomènes ! Et pourtant, chacun a une idée intuitive de ce qu’est l’attention, et encore plus une expérience de l’attention. Alors ? Alors, commençons par cerner cette intuition. Et commençons par une citation de William James, américain, l’un des fondateurs de la psychologie à la fin du XIXème siècle : « L’attention, c’est prendre acte par l’esprit, sous forme vive et claire, d’un objet ou courant de pensées parmi tous ceux qui paraissent se présenter simultanément. Cela implique de se retirer de certaines choses pour en traiter d’autres efficacement. » Donc, le psychologue envisage l’attention comme un processus actif, un acte de l’esprit, qui reconnaît et qui choisit. Cela est vrai. Mais il faut en dire un peu plus pour cerner aussi comment l’attention se relie aux autres activités de l’esprit, notamment la perception. Alors tournons-nous maintenant vers le philosophe. MerleauPonty, philosophe du XXème siècle qui s’est beaucoup intéressé à la philosophie de la perception, précisait : « Pour la relier à la vie de la conscience, il faudrait montrer comment une perception éveille l’attention, puis comment l’attention la développe et l’enrichit. » Le philosophe, lui, s’intéresse à l’attention dans ses liens avec la conscience et la perception ; attention, perception et conscience forment ainsi une trilogie entrelacée : 2 Conscience Rend conscient ( ?) Éveille Perception Attention Enrichit On voit aussi qu’il est clair pour lui que l’attention présente deux dimensions : • c’est l’attention qui est éveillée par la perception, la perception est première ; • puis, c’est l’attention qui effectue un travail actif de développement de ce qui est simplement aperçu. Enfin, Merleau-Ponty souligne les liens privilégiés, quoique mystérieux, entre l’attention et la conscience. Donc, une dimension passive — l’attention est éveillée par les processus de perception — et une dimension active, celle que Danis Bois appelle « la part active de l’individu pour pénétrer la vie des choses ». Cette distinction nous parait la première idée à retenir : 1. On appelle d’abord ‘attention’ une propriété passive du système nerveux qui nous éveille au monde, nous met en relation avec la nouveauté, le surprenant, l’intéressant, le dangereux, bref quelque chose qui change. 2. Et on appelle aussi ‘attention’ cette faculté de préciser ce que l’on voit, que l’on entend, que l’on sent, que l’on pense, pour pénétrer vraiment ce qu’il en est. Resterait à comprendre les liens entre attention et conscience… On laissera de côté cette question délicate, tout en retenant le fait qu’il est probable que l’attention a un rôle privilégié dans l’émergence de la conscience. 3 L’attention comme on la vit Après ce premier survol, une autre façon de découvrir ce qui se cache sous le terme d’attention est de parcourir le vocabulaire et notre vie courante ! Dans quelles circonstances et avec quelles expressions utilisons-nous notre attention ? Cette section veut montrer à quels résultats on arrive, en partant seulement d’une analyse à la première personne, pour peu que l’on s’observe soi-même ! Faire attention C’est l’expression la courante. Combien de fois n’avons-nous pas entendu dans notre enfance ces mots maternels et de reproche : « Mais, fais attention, voyons, où as-tu encore la tête ? » Cette attention s’applique dans deux domaines, soit dans le domaine perceptif, soit dans le domaine cognitif. L’attention perceptive gère nos relations avec l’environnement extérieur et intérieur. L’attention cognitive s’applique aux activités de « l’esprit » : mémoire, raisonnement, décision, etc. Deux exemples : 1. Vous marchez dans la rue et, parce que vous discutiez avec quelqu’un ou que vous regardiez ailleurs, vous rentrez dans un poteau ! Fallait faire attention ! Un manque flagrant d’attention sensorielle… 2. Vous devez apprendre ce support de cours. Vous l’avez appris… et vous ratez votre contrôle continu. Fallait faire attention ! Un manque flagrant d’attention cognitive… Mais y a-t-il vraiment deux attentions, l’une cognitive, l’autre sensorielle ? L’observation de soi et des autres nous montre qu’il y a bien des différences individuelles, certains étant plus à l’aise dans leur environnement, d’autres plus attentifs à leurs pensées qu’au poteau devant eux ! 4 Est-ce que cela est suffisant pour distinguer au niveau cérébral deux attentions ? La question est toujours l’objet de discussions entre neurophysiologistes et les réponses ne sont pas tranchées. Acceptons néanmoins la distinction qui nous parait importante sur un plan pratique. Poser son attention Encore une expression éclairante. On pose son attention sur quelque chose, à l’extérieur de soi, à l’intérieur de soi, on encore sur une pensée, une idée, un souvenir. Cette fois-ci, cette expression met l’accent sur l’attention comme processus actif : on doit se tourner vers, s’engager dans, pour poser son attention sur. Par exemple, combien de fois, en pratique manuelle, avez-vous entendu des phrases comme : « Et maintenant, on va poser notre attention sur le foie, (ou sur le quadriceps, ou sur l’étendue…). » On peut aussi y voir deux caractéristiques : • Un mouvement. Poser son attention réclame de la ‘tourner vers’. • Un effort. Poser son attention c’est se poser avec attention sur la chose à examiner. LA chose à examiner ; l’attention est ici focalisée. Faire très attention Ce n’est pas vraiment une expression. Plutôt une consigne que l’on donne ou que l’on se donne dans des situations délicates : « À partir de maintenant, il va falloir faire très attention ! » Cette fois-ci, l’attention en question est de l’ordre de la vigilance. En montagne par exemple, on ne connaît pas forcément quel danger peut survenir, il peut être multiple et venir d’on ne sait où (caillou, ou crocodile, on ne sait jamais…). L’attention doit donc être importante en quantité ; par exemple, on dira « avoir une vigilance extrême ». Au contraire de l’attention focalisée évoquée ci-dessus, cette forme d’attention doit être panoramique. Parce que, dans ce genre 5 de circonstance, être focalisé sur un seul caillou, c’est prendre le risque de rater le crocodile qui nous attend derrière un rocher… Attention et inattention Être attentif, c’est aussi se rendre compte quand on est… inattentif. Mais, le passage de l’un à l’autre peut se faire graduellement. Ne pas voir un poteau devant soi est faire particulièrement preuve d’inattention ; mais W. James faisait déjà remarquer que bien des activités de notre vie de tous les jours se font avec une sorte d’attention « a minima », une attention qu’il appelait flottante. Par exemple, au volant de notre voiture, sur un trajet habituel, nous faisons très peu VRAIMENT attention. Pour peu que les circonstances ne le réclament (justement) pas, nous sommes parfaitement capables de conduire, freiner, accélérer, tourner à gauche ou à droite, tout en réfléchissant à notre journée qui vient, écouter la radio, ou répondre au téléphone… Mais que les circonstances le réclament (un crocodile à gauche, dans le passage piéton), et immédiatement l’attention flottante se transforme en attention focalisée, ou en hébétude complète ! On peut aussi remarquer en passant que ce changement d’attention a des qualités différentes suivant les personnes ou suivant l’état de la personne. Par exemple, quelqu’un de fatigué, ou quelqu'un ayant bu un peu trop, ou encore quelqu'un en dépression, aura des réactions d’attention grandement diminuées. Dans ces cas-là, aussi bien la qualité d’attention que la quantité d’attention est troublée. Transition : Attention à l’attention et apprentissage Attention et apprentissage Les exemples ci-dessus montraient qu’il existe des variations d’attention. Mais des variations en négatif, en quelque sorte. Notre expérience de praticien nous montre qu’il existe tout autant des variations d’attention en positif : l’attention s’entraîne et l’attention devient plus performante avec l’entraînement. Cet aspect des choses est très rarement pris en compte dans les études scientifiques. Les neurosciences étudient l’attention ‘comme 6 elle est’, en moyenne, habituellement, et pas du tout ce que l’attention peut devenir. Attention et attention à l’attention ! La première condition pour entraîner son attention est de pouvoir y faire… attention. Mais cela est-il possible ? Si l’attention est une seule fonction, comment peut-elle à la fois s’occuper de ce à quoi on fait attention et faire attention à ellemême ? C’était déjà la réponse négative qu’apportait Auguste Comte, philosophe de la fin du XIXème siècle. Il se servait de l’image suivante : « Faire attention à l’attention, c’est comme si on pouvait être à la fois un passant dans la rue et à un balcon en train de se regarder. Cela est parfaitement absurde ! » Il en déduisait que l’introspection, l’étude par soi-même, « à la première personne », de ses propres processus attentionnels était impossible. Et pourtant ! L’expérience montre qu’il est parfaitement possible d’être à la fois attentif à ce que l’on fait et conscient de cette attention, et même, encore plus, d’être attentif aux effets dans soi de ce que l’on est en train de faire. La conclusion naturelle à tirer n’est pas que l’attention soit capable de dédoublement (à la fois dans la rue et au balcon), c’est simplement que l’attention recouvre des processus différents, indépendants et coopérants. Si l’attention n’est pas un processus unique, une seule et unique fonction de l’esprit, il n’y a rien de contradictoire à envisager une attention particulière, par exemple liée à la perception, et dans le même temps, une autre forme d’attention qui nous permet de prendre conscience de ce qu’on fait, voit, entend, sent. Soit, d’être capable d’être à la fois acteur et spectateur ! Pour le praticien, la pratique de l’introspection sensorielle est le lieu privilégié de cet entraînement. C’est l’occasion de découvrir cette forme d’attention que j’appelle une double attention : l’attention à ce que l’on fait ou sent, et contemporainement, l’attention aux effets corporels, internes, de cette attention. 7 Mais d’abord, relions les exemples ci-dessus avec un peu de neurophysiologie. À retenir Les points clés de cette première partie 1. Attention sensorielle et attention cognitive. L’attention s’applique aussi bien dans le domaine perceptif que dans le domaine cognitif. Mais est-ce la même attention dans les deux cas, ou non ? 2. Attention externe ou exocentrée et attention interne ou égocentrée. L’attention gère aussi bien nos rapports avec l’environnement extérieur qu’intérieur. Là encore, la question est de savoir si, réellement, il s’agit de deux attentions distinctes. 3. Qualité d’attention et quantité d’attention ou vigilance. On distingue clairement une qualité d’attention de la quantité d’attention qu’on est capable de mobiliser. La quantité d’attention s’appelle plutôt vigilance. 4. Attention focalisée et attention panoramique. Il faut expérimenter la différence entre une concentration d’attention sur la tâche courante d’une attention prenant plus de globalité en compte. 5. Attention et double attention ; évolutivité de l’attention. L’évolutivité de notre attention repose sur notre capacité à prendre en compte plusieurs phénomènes en même temps. Par exemple, être conscient de ce que l’on fait en même temps que conscient de comment on le fait. 8 II. Neurophysiologie de l’attention Le chapitre précédent voulait étudier l’attention par une analyse à la première personne : l’attention comme elle nous apparaît, comme on la vit. Maintenant, il nous faut comparer cette analyse avec les données actuelles neurophysiologiques, résultats cette fois-ci obtenus dans une posture à la troisième personne : mesures, images du cerveau en fonctionnement… Quelques résultats Cette comparaison nous fournira les résultats suivants : 1. L’étude neurophysiologique montre bien que l’attention n’est pas une seule fonction mais recouvre des processus clairement différenciés. Nous verrons, dans le même temps, que cette étude confirme aussi les différentes distinctions esquissées dans le chapitre précédent. 2. La neurophysiologie nous permettra aussi de détailler le processus dynamique de l’acte attentionnel volontaire. Puis, nous verrons que cet acte de déplacer son attention, qui est au départ déplacement du regard, est en fait le processus utilisé implicitement dans tout processus attentionnel. Cela suggère des protocoles de travail de l’attention en introspection sensorielle. 3. Par contre, l’étude objective de l’attention va au-delà de l’analyse à la première personne en étudiant ce qui se passe à l’insu de la personne, c'est-à-dire les phénomènes attentionnels non conscientisés tels que : o Les phénomènes préconscients comme la réaction automatique d’attention : ce qui attire notre attention avant qu’on le remarque. Par exemple, on tourne la tête automatiquement et on remarque quelque chose d’important, mais qui ou quoi nous a fait tourner la tête ? o Les phénomènes d’inattention. À l’inverse, l’étude récente de ce qu’on a appelé l’aveuglement au changement montre les limites d’un certain type d’attention. Par exemple, dans 9 certaines expériences, le sujet est incapable de dire quels sont les changements opérés dans son environnement. Plutôt que les limites de l’attention humaine, ces études m’incitent plutôt à dire qu’il existe un potentiel perceptif important, inexploité, disponible à l’apprentissage. Les différentes attentions Dans la veine des distinctions précédentes, neurophysiologiques nous amènent à distinguer : les études o Une attention générique, qu’il est plus approprié d’appeler vigilance ; cette vigilance représente la quantité d’attention qu’on est capable de consacrer à la tâche courante. o Un processus de mobilisation attentionnel lui-même. de l’attention, o Des phénomènes pré-attentionnels, qui l’attention consciente et qui, surtout, l’activent. l’acte précédent Commençons par l’acte attentionnel, le processus le plus complexe, et qui constitue « la part active de l’individu », pour reprendre encore une fois les mots de Danis Bois. Puis nous étudierons les autres attentions, supports et prolongements de l’acte attentionnel. Enfin, nous examinerons rapidement l’opposé de l’attention, l’inattention ! II.1 Un modèle de l’acte attentionnel, selon Posner L’acte attentionnel est le processus qui consiste à porter son attention sur quelque chose de nouveau, à porter son attention d’une chose à l’autre. En toute rigueur, il faudrait donc d’abord expliquer ce qui déclenche ce changement. On supposera simplement ici que ce changement a pu être provoqué de manière automatique (je détourne mon regard vers…, mais je ne l’ai pas décidé) ou de manière volontaire (je décide de passer à autre chose). 10 La décomposition de l’acte attentionnel Porter son attention sur un événement est un acte, en fait même un acte assez complexe. L’analyse neurophysiologique permet de décomposer cet acte de la façon suivante. Supposons que nous soyons occupé à regarder devant nous et que nous entendions un bruit à notre droite ; supposons que nous voulions savoir de quoi il retourne, il nous faut : (i) Se désengager de la tâche courante. La première opération évidente : pour passer à autre chose, il faut arrêter de regarder devant. Une baisse, ou au contraire une trop grande focalisation (le nez dans le guidon, dit-on), peut empêcher cette disponibilité au changement du regard. (ii) S’orienter vers. Ensuite, il faut orienter notre tête et notre regard dans la direction recherchée. Il s’agit ici d’une orientation « spatiale » qui fait appel à un travail musculaire oculomoteur. (iii) S’engager Cela ne suffit pas, il faut engager notre attention sur l’origine du bruit : l’attention se focalise précisément sur l’objet en question. (iv) Maintenir l’attention Enfin, il nous faut maintenir notre attention sur l’objet et éviter de passer directement à autre chose ou à revenir à notre première occupation. Ce maintien peut aussi s’accompagner de questions comme : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Est-il vraiment important ? Que dois-je faire ? » Le maintien de l’attention est donc le soutien du travail (la plupart du temps implicite) d’analyse. Un modèle qui est aussi neuronal1 C’est Posner, chercheur américain, qui dans les années 1980, a proposé ce modèle. Ses recherches s’appuyaient sur des études par imagerie (imagerie du cerveau en fonction) et sur des analyses de lésions cérébrales spécifiques. 1 On peut sauter ces sections, jusqu’au chapitre suivant, dans une première lecture 11 Il a aussi montré que chacune de ces étapes est associée à une zone spécifique du cerveau (ou des zones travaillant en commun). Et l’atteinte d’une zone précise provoque le non-fonctionnement de l’étape correspondante. Zones spécifiques associées à l’acte attentionnel2 : • des zones particulières du cortex préfrontal pour le désengagement et l’engagement ; • le cortex pariétal postérieur pour l’orientation l’espace, en lien avec le cortex cingulaire ; • les aires oculomotrices déplacement du regard ; supplémentaires, dans pour le • des zones particulières du cortex préfrontal (localisées surtout à droite) pour le maintien de l’attention. Le maintien de l’attention est très lié à la vigilance que nous étudierons ci-dessous. Par exemple, une lésion des zones spécifiques du cortex préfrontal associées au désengagement de l’attention fera que la personne atteinte deviendra incapable, d’elle-même, de changer de ‘focus’, de changer d’activité. Tant qu’on ne viendra pas provoquer un changement, cette personne restera « collée » de manière permanente à ce qu’elle est en train d’accomplir. Lien attention et attention visuelle Déplacer et poser son attention, comme décrit dans l’exemple précédent, est un acte évidemment lié à l’attention visuelle (ou visuo-spatiale de manière plus générale). Et déplacer son attention, c’est déplacer son regard, et c’est donc se servir de ses muscles oculomoteurs. L’attention visuelle est bien un acte moteur ! L’importance du regard et du lien regard/attention est telle que le cerveau est doté de zones spécifiques (au niveau du cortex préfrontal) dont le seul rôle est de gérer les muscles des yeux en lien avec l’attention. L’attention (visuo-spatiale) n’est donc pas gérée au niveau du cerveau seulement par une aire autonome (comme si elle était une 2 Voir le schéma du cerveau et ses légendes, donné plus bas. De toute façon, vous aurez des cours détaillés sur la structure du cerveau 12 fonction indépendante), mais utilise directement la motricité oculaire. De plus, si on se rappelle que tout mouvement repose sur une intention, qui mobilise la motricité sans forcément déclencher le geste, on se rend compte que l’attention peut très bien utiliser la motricité oculaire même si on ne déplace pas son regard… Ces faits sont suffisamment étonnants et importants pour qu’un chercheur italien ait proposé d’en faire une théorie à part entière : la théorie prémotrice de l’attention. Le Pr. Rizzolatti, de l’Université de Pise, soutient que l’attention (visuo-spatiale) est supportée par la motricité oculaire (et de la tête), et non par une attention détachée de toute « incarnation ». De plus, cela suggère que cette attention soit aussi utilisée par les autres sens extéroceptifs. Preuve de la prédominance de la vue, par rapport aux autres sens, dans le cerveau humain. Cela m’amène à proposer l'expérience d’introspection sensorielle suivante. Étude en introspection sensorielle Il est tout à fait possible de tester cette idée en introspection sensorielle, en travaillant par exemple la perception auditive. Écouter un bruit, c’est non seulement l’entendre mais c’est aussi diriger son attention vers le bruit. Et on se rend alors compte que diriger son attention, c’est avoir mobilisé son regard, virtuellement. Il est alors intéressant d’essayer d’écouter sans déplacer son attention, avec une attention visuelle relâchée. Et l’écoute change, on ne va pas vers le bruit, c’est le son qui vient à nous, engendrant une sensation d’espace, de volume, non présent au départ ! Les autres attentions Passons à l’étude de la vigilance et des phénomènes préattentionnels. 13 La pré-attention Dans l’exemple du déplacement de l’attention, nous avions signalé que l’acte attentionnel pouvait être déclenché de manière spontanée ou automatique. Il arrive souvent que le regard se déplace sans qu’on le décide dans une direction donnée et que l’on réalise alors qu’il y a quelque chose d’important à regarder dans cette direction ! J’appelle ces réactions pré-attentionnelles, parce qu’elles se passent en dehors d’une attention consciente. Mais, il y a bien quelque part une analyse, une sorte d’attention, qui a fait dire que cet évènement était important ! Ces réactions sont permanentes et ne concernent pas seulement la perception visuelle. En fait, notre cerveau passe une grande partie de son temps à analyser toutes informations sensorielles (auditives, visuelles, toniques, etc.) qui lui parviennent et à évaluer si elles sont importantes ou pas. Ce traitement se fait notamment au niveau sous-cortical, au niveau des zones que l’on appelle système limbique (et noyaux gris centraux, voir schéma). Ces analyses ne sont pas conscientisées la plupart du temps ; mais par contre, les zones en question sont directement reliées aux zones de gestion du regard et des muscles oculomoteurs dont on a parlé dans la section précédente. Bien sur, ces analyses automatiques ne sont pas forcément précises ni complètement pertinentes, mais, face au danger potentiel, ne vaut-il pas mieux être plus informé que moins, réagir vite plus tôt que trop tard ? Cela montre aussi qu’à tout moment, nous disposons potentiellement d’une somme importante de perceptions non conscientes, ou plus ou moins confuses, plus ou moins aperçues ; elles se situent en quelque sorte à la frontière de l’attention courante. Ces perceptions peuvent être en rapport avec la tâche courante, ou sont au contraire complètement détachées du contexte. W. James, avait déjà noté, au siècle dernier, ces particularités de l’attention, et avait proposé de distinguer, dans le flot de conscience permanent, l’objet de l’attention courante et ce qui se trouve justement à la frontière de la conscience, qu’il appelait le « halo ». Nous y reviendrons dans le dernier chapitre. Notez déjà que c’est dans ce « halo » que résident souvent les informations importantes pour l’attention. Le relâchement de l’attention, la non-focalisation 14 de l’attention est une des conditions de la prise en compte de ces phénomènes de pré-attention. La vigilance Enfin, en dehors de toute attention spécifique, il existe au niveau du cerveau, une attention générique, appelée vigilance. La vigilance ne concerne pas une tâche particulière, ou une perception spécifique, elle est mobilisable quel que soit le travail à effectuer. Il s’agit là d’une question de quantité d’attention. La vigilance servira aussi à maintenir l’attention fixée sur l’objet courant. La vigilance participe donc de la mise en route et du maintien de l’effort. Au niveau neuronal, la vigilance repose principalement sur l’utilisation des neuromédiateurs spécifiques, comme la noradrénaline. Ces neuromédiateurs sont gérés par des noyaux situés dans le tronc cérébral (voir les schémas de la section suivante). Des filets nerveux partent de ces noyaux et « inondent » l’ensemble du cerveau, de manière non spécifique. Mais bien sûr, ces noyaux du tronc cérébral n’agissent pas seuls, ils sont mobilisables par le cerveau, en particulier le cortex préfrontal, là où justement se décident les changements d’attention. Songez par exemple, à la quantité de concentration et de mobilisation de toutes nos ressources que nous sommes capables d’avoir dans des situations d’urgence ! II.2 L’inattention Ces dernières années, des chercheurs se sont demandés, par curiosité, si, en fait, on n’était pas plus inattentif qu’attentif ! Par toute une série d’expériences devenues maintenant presque des classiques, ils ont effectivement montré que des changements, même énormes, dans notre environnement proche pouvaient passer complètement inaperçus. Ils ont même donné un nom à ce qui semble une caractéristique de la physiologie du cerveau : l’aveuglement au changement3. 3 Le site Internet du chercheur français, O’Regan, pionnier en ce domaine, contient de multiples petites expériences amusantes à faire soi même… 15 Une de ces expériences est la suivante. On vous montre une séquence vidéo de quelques minutes, extraite d’un match de basket. Avant la visualisation, le chercheur vous demande une tâche simple et précise, par exemple de compter combien de fois le numéro 5 a touché le ballon. Pris au jeu (c’est une expérience scientifique !), vous faites très attention. À la fin, le chercheur vous demande le résultat, que vous donnez sans problème. C’est alors qu’il ajoute, « N’avez-vous rien remarqué d’autre ? » ; à votre air interrogatif, il précise, « Quelque chose de bizarre ? » ; et vous, toujours interloqué (vous avez bien compté…), il vous précise, « Le gorille, vous n’avez pas vu le gorille qui traversait le terrain ? ». Et, rouge de confusion, vous êtes bien obligé de reconnaître votre aveuglement… L’expérience a été largement reproduite et les résultats montrent que plus de 80% des personnes ne remarquent rien. De quoi mettre en doute tous les témoignages lors d’accident ! À la réflexion, votre perspicacité de praticien vous a certainement fait flairer le piège : c’est parce que le chercheur vous demande une tâche précise, limitée, que vous avez négligé le reste. C’est la leçon à retenir : dans des conditions précises, comme une trop grande focalisation, l’attention se transforme en une inattention de tout ce qui n’est pas la tâche courante. À nous de faire attention (avec jeu de mots) ! Nous y reviendrons dans le dernier chapitre. 16 II.3 Quelques images Un schéma général du cerveau Le schéma ci-dessus représente un cerveau vu, en quelque sorte, par transparence. Les parties centrales, plus sombres, sont la représentation grossie des noyaux gris centraux et du thalamus qui se trouvent au centre du cerveau. Ces zones sont donc situées au-dessus du pont et de la moelle épinière. Nous avons vu que ces deux régions, pont et thalamus, sont responsables, en grande partie, de la gestion de la vigilance. Le thalamus est aussi très important pour toute l’analyse préalable des informations sensorielles (entrantes). 17 Une vue sagittale du cerveau Ce schéma complète le précédent en donnant un aperçu de la structure haut-bas du cerveau. De bas en haut, on y retrouve le tronc cérébral et le pont, puis le thalamus, central, et un peu au-dessus du thalamus, d’avant en arrière, le cortex cingulaire, très important dans la gestion globale de l’attention. Enfin, on voit en coupe l’hémisphère cérébral lui-même. Imaginez les nombreuses voies nerveuses, associées à la vigilance, qui partent du tronc cérébral, passent par le thalamus, pour aller innerver tout l’ensemble des hémisphères. 18 Le réseau de l’attention en action À droite, une image en IRMf du cerveau occupé à une tâche d’attention visuo-spatiale (les hémisphères sont vus par-dessus). À gauche, le schéma représente un des circuits mettant en jeu les différentes zones concernées : le centre du cortex pariétal qui gère la situation dans l’espace (noté P, dans l’image de droite), les centres responsables du déplacement du regard (notés C et F à droite), et enfin les centres, non visibles sur l’image de gauche, du cortex cingulaire, du thalamus et du tronc cérébral (la formation réticulée), responsables de la vigilance. 19 À retenir Les points clés de cette deuxième partie. 1. Au niveau neuronal, il existe des processus attentionnels clairement différenciés. Au minimum, on distingue une attention générique (la vigilance), les mécanismes d’éveil de l’attention, non forcément conscients (la pré-attention) et le processus de déplacement de l’attention. 2. La prédominance de l’attention visuo-spatiale. On retiendra aussi la forte prédominance de l’attention visuospatiale, qui pourrait bien servir de support aux autres attentions extéroceptives. 3. L’acte attentionnel est complexe. Porter son attention, c’est effectuer les étapes suivantes : se désengager, s’orienter vers, s’engager, et, enfin, maintenir son attention. 4. L’inattention et l’aveuglement au changement. Une attention focalisée est une attention plus proche d’une inattention, la porte ouverte aux phénomènes d’aveuglement au changement. 20 III. La MDB et l’attention Pour finir, remettons toutes ces informations dans le contexte de la pratique de la MDB. La notion de champ attentionnel, le péri-attentionnel et le préattentionnel La perception nous donne un objet à appréhender, que ce soit un visage, une odeur, une musique, ou encore un mouvement ; et cette perception se fait toujours par contraste, par rapport à un fond4 : la musique par rapport à un silence, le mouvement par rapport à une immobilité. De plus, l’attention se mobilise alors sur le contexte adéquat : perception auditive pour la musique, perception proprioceptive pour le mouvement… Le reste des informations perceptives passe alors au second plan. C’est cet ensemble, contexte et contraste, qu’on appelle champ attentionnel. Donc, l’attention ne consiste pas seulement à se focaliser sur un objet particulier mais prend aussi en compte, implicitement, le contexte ou le « champ » dont fait partie l’objet en question. Par exemple, en traitement manuel, si l’on s’intéresse à une articulation, le champ attentionnel va être tout ce qui est autour de l’articulation : ligaments, tendons, muscles, artères et nerfs. Bien sur, le praticien va s’intéresser aux mouvements de l’articulation elle-même ; mais son attention sera aussi concernée, plus ou poins fortement, par ce qui se passe autour de l’articulation. Plus on s’éloigne de l’articulation, et moins les informations sont susceptibles d’attirer spontanément l’attention du praticien (dans un premier temps, bien sûr). Il y a donc au centre du champ attentionnel ce qui est d’intérêt primordial pour la tâche courante et ce qui est autour, qui est susceptible de venir au centre de l’attention. Par exemple, toujours dans notre exemple, au cours d’un voyage articulaire, le praticien note une tension tendineuse qui lui suggère un problème musculaire. Mais les tensions de la dure-mère, par exemple, bien éloignées, passeront inaperçues. 4 Ce qu’on appelle la perception d’une « Gestalt » (forme globale, en allemand), d’un tout par rapport à un fond 21 On retrouve ici les notions de « focus » central et de « halo » de W. James. C’est le halo, l’ensemble des informations, plus ou moins nettes, que je propose d’appeler le péri-attentionnel. Le péri-attentionnel est donc plutôt de l’ordre du spatial : ce qui se situe autour de la tâche courante, ce qui est plus ou moins dans l’ombre de la focalisation courante, mais qui est bien en rapport avec elle. En même temps, il y a aussi ce qui peut surgir, ailleurs, la nouveauté plus ou moins intuitionnée, ce que j’ai appelé tout à l’heure les phénomènes de pré-attention. Les phénomènes préattentionnels sont donc plutôt d’ordre temporel. Par exemple, en traitement manuel, à la sortie d’un point d’appui sur le genou, l’envie vient de déplacer ses mains an niveau des lombaires, sans qu’il y ait de raison apparente. Une information qui peut très bien se révéler fort pertinente ; et qui a très bien pu être transmise du mouvement interne (du patient) au mouvement interne (du thérapeute) à l’insu de la conscience explicite du thérapeute ! Le schéma suivant se veut une illustration de tout ceci : Le champ attentionnel Le halo Évènement extérieur Focus central Évènement extérieur ‘péri-attentionnel’ (Évidemment, un vrai « champ » attentionnel n’a pas l’allure d’un rectangle, et le « halo » n’est pas un cercle autour d’un noyau central… Les flèches indiquent les évènements extérieurs qui, gérés par le pré-attentionnel viennent interrompre l’attention courante) Ce schéma n’est intéressant que dans la mesure où il permet de montrer où se situe l’évolutivité dans la perception du mouvement : le premier potentiel de perceptions se situe dans le halo attentionnel ! 22 Nous avons vu dans notre exemple précédent que beaucoup d’informations concernant l’activité courante se trouvaient justement dans le halo : mouvements à peine perçus, impulsions soupçonnées, sorties de point d’appui esquivées, ce sont toutes ces « petites perceptions » dont parle Danis Bois, à la suite du philosophe Leibniz. Pour augmenter notre perception, il faut élargir notre attention au péri-attentionnel, il nous faut relâcher l’attention et élargir notre regard, il faut nous entraîner à une attention plus globale. D’un autre côté, faire attention au pré-attentionnel, c’est aussi relâcher l’attention mais dans le sens de trouver une autre attitude, qui permette de garder notre curiosité et nous laisser enseigner par le traitement. Ces notions de péri-attentionnel et de pré-attentionnel nous amènent alors naturellement à considérer différentes qualités d’attention associées à cette évolutivité. Attention focalisée et attention panoramique Ces notions ont à voir avec la qualité d’attention, que ce soit en traitement manuel ou en pratique gestuelle. L’attention focalisée est ce qui nous permet de nous concentrer sur ce qui se passe sous les mains, ou dans l’articulation concernée par le mouvement gestuel. Mais « focalisé » indique le caractère exclusif de cette attention qui nous fait oublier, négliger tout ce qui se passe en même temps. Souvenez-vous des expériences, décrites dans le chapitre précédent, d’aveuglement aux changements : c’est l’attention exclusivement attachée aux détails qui nous fait passer à côté de l’essentiel (les gorilles sont essentiels, bien sûr). On apprend progressivement, degré par degré, à passer d’une attention localisée et focalisée à une attention englobante (ou globale). L’attention englobante est relativement facile à obtenir en traitement. D’abord en faisant attention à de plus en plus d’informations (la technique du Boléro !), puis en étant de plus en plus capable de se laisser guider par le mouvement ; l’attention globale est toujours portée par une attention cinétique. On pourra aussi distinguer l’attention panoramique, qui est une disponibilité, de cette attention globalisante. L’attention panoramique est aussi liée aux phénomènes pré-attentionnels : 23 comme nous le signalions plus haut, se laisser surprendre par l’inattendu, c’est déjà, avant, s’être rendu disponible à la chose. L’ancrage attentionnel On avance souvent que trois secondes sont un maximum d’attention possible sur une même chose. C’était déjà le chiffre donné par W. James, dans les premières expériences qu’il avait faites à la fin du XIXème siècle. Mais cette durée n’est qu’une moyenne. L’entraînement et la pratique montrent que cette limite n’est pas une limite physiologique, loin de là. L’ancrage attentionnel est de l’ordre de l’effort : « La part qualitative de l’intention », selon l’expression de Danis Bois. Par rapport à une perception extéroceptive habituelle, l’attention au mouvement en traitement manuel est à la fois plus facile et plus difficile : o L’ancrage attentionnel y est aidé par l’attention cinétique : le mouvement nous donne l’orientation à suivre, l’amplitude et la cadence. o Par contre, la difficulté de l’ancrage attentionnel se rencontre au moment du point d'appui. En effet, à ce moment, plus de mouvement à suivre ! L’attention et l’effort du praticien sont au maximum… L’ancrage attentionnel est toujours un effort mais pas toujours un effort volontaire : il y a la part active du praticien qui le maintient dans le suivi du mouvement ; mais aussi la part qualitative dont parle D. Bois est l’attention aux effets du mouvement, l’attention à la résonance dans la matière, et là, cette attention est de l’ordre du « laisser venir » et non du « aller chercher » ! Attention et attention corporéisée L’attention n’est pas un phénomène simplement cognitif ou neurophysiologique. C’est d’abord, et avant tout, un phénomène corporel. 24 D’abord, chaque modulation de l’attention se traduit par des modulations toniques, viscérales, posturales, que l’on peut parfaitement percevoir en introspection sensorielle. Ensuite, en plus des effets toniques, il y a aussi la résonance de l’action (mouvement ou traitement) du praticien dans sa matière. Pas de mouvement sans effets dans soi et pas de traitement sans effets dans le corps du praticien ! Enfin, cela veut dire aussi que l’attention au mouvement n’est pas du même ordre que l’attention associée aux autres perceptions. C’est pourquoi il est tout à fait possible de poser une attention visuelle sur quelque chose et en même temps, noter, faire attention aux effets produits par ce regard ; et ce, quelle que soit l’activité choisie. L’évolutivité de l’attention et l’épochè C’est donc l’occasion de revenir finalement sur ce que nous avions décrit dans le premier chapitre comme une double attention. Cette double attention devient disponible grâce à une attitude particulière du praticien, l’épochè. Cette disposition a été inventée par un philosophe, créateur de la phénoménologie, Husserl, au début du XXème siècle5 et reprise par un neurophysiologiste, F. Varela, pour étudier justement les phénomènes attentionnels, en relation avec les pratiques méditatives. L’épochè repose sur les trois étapes suivantes : o Le détachement par rapport au fait d’être plongé en permanence « dans le monde ». Être collé, en quelque sorte, aux évènements ne permet pas de se rendre compte de ce que l’on fait. À l’inverse, le recul par rapport à l’action, mais dans l’action, est ce qui permet un autre regard sur l’expérience. o Le retour sur soi qui permet de prendre conscience de ce qui se passe dans le monde intérieur. « Le regard se tourne vers l’intérieur », nous dit F. Varela. 5 Voir le chapitre sur l’attention dans le livre de Maria Leão, La Présence totale au Mouvement 25 Mais le praticien sait aussi que ce changement de regard n’est pas qu’un changement d’orientation, il est aussi qualitatif : l’attention se pose sur les phénomènes cinétiques. o L’attitude d’ouverture à la nouveauté, à la surprise qui est à la fois une tension et un relâchement, une activité et une passivité. Il y a tension puisque l’attention se prépare à la nouveauté et il y a relâchement parce qu’il n’y a aucune anticipation sur ce qui va advenir. L’attention au mouvement et l’attentionnalité L’épochè est le nom de l’attitude fondamentale qui nous ouvre et prépare à la nouveauté. Le monde qui s’ouvre alors au praticien est le monde de l’attentionnalité du mouvement lui-même. L’attentionnalité fera l’objet de cours à part entière, vu son importance. Le livre de Maria Leão contient aussi toutes les informations nécessaires sur ce sujet. Je resterai donc bref. L’attentionnalité a à voir avec l’évolutivité, dans la pratique manuelle aussi bien que dans la pratique gestuelle. Par exemple, en gymnastique sensorielle, nous commençons par faire un exercice ; une fois notre mouvement sensoriel éveillé, nous posons notre attention active sur le mouvement senti pour suivre et vivre le mouvement que nous sentons ; peu à peu, le mouvement prenant toute son ampleur, notre attention se transforme, elle devient de moins en moins une attention active, et nous même nous devenons de moins en moins acteur du mouvement ; notre attention se glisse dans le mouvement, nous ne vivons plus le mouvement, nous sommes le mouvement. Le mouvement nous offre non seulement les orientations et les amplitudes, mais aussi sa présence attentionnée. C’est alors que l’évolutivité de l’attention se fait le plus sentir : en effet, ce n’est plus à nous de porter notre attention activement sur le mouvement, mais c’est le moment de laisser le mouvement nous faire découvrir les zones de notre corps en demande ou imperçues ; c’est le mouvement qui porte l’attention. Nous n’avons qu’à le laisser faire, qu’à le laisser être. L’attentionnalité, c’est laisser être le mouvement, et, surtout, c’est laisser le mouvement nous enseigner. 26