PDF - Marc Dio

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PDF - Marc Dio
Cette histoire relève de la fiction. Toutes ressemblances avec des personnages
existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite. Elle est la propriété de son
auteur. Merci de mentionner son origine en cas de citation.
marcdio.com
*
— Vic, Criais-je, Remets-lui sa laisse !
Victor courut vers Hug et rattacha la laisse qu'il avait à la main au collier de
son chien. Je hochais la tête, satisfaite.
— Voilà, maintenant, tu peux aller plus loin.
Victor me lança un de ses sourires de canaille avant de s'éloigner en trottinant.
Je reprenais ma cigarette et soupirais.
Je détestais le début du printemps ; il faisait trop froid ici. Quand j'étais
gamine, je me jurais de partir vivre dans un endroit où il n'y aurait pas d'hiver. Je ne
voulais ni printemps, ni automne. Je détestais ces espèces d'entre-deux humides où
on ne savait plus comment s'habiller. Enfin, les rêves de gamine étaient loin, et pas
de vie au soleil pour moi : j'étais restée dans ma banlieue parisienne, dans un HLM
pourri dont j'avais assez peu d'espoir de sortir. J'allai certainement terminer vieille
fille avec des chats. Victor viendrait me voir de temps à autre, pour Noël ou une
fête des mères, un pitoyable bouquet de supermarché acheté à la va-vite à la main.
Il resterait vingt minutes et me parlerait de son boulot. Je lui parlerai de mon
chômage et de mes napperons au crochet, puis il s'en irait pour les six prochains
mois. Et j'en discuterai ensuite pendant des heures avec Madame Alvarez, la
concierge, comme si cela avait été le plus bel événement de l'année.
Je frissonnais de dégoût et secouais les épaules pour me débarrasser de cette
vision d'horreur. Non, définitivement, non : je me flinguerai avant d'en arriver là.
— Ali ! Regarde, le pigeon, il a plus de doigts à ses pattes, c'est trop marrant !,
S'esclaffa Victor, accroupi devant un énorme pigeon noir à l’œil mauvais.
Je tirais une nouvelle fois sur ma cigarette et soufflais en donnant un coup
d'index pour faire tomber la cendre à mes pieds.
— Appelle-moi maman.
— Oui, Ali, Me répondit-il en se lançant à la poursuite d'un nouveau pigeon
avec Hug.
Je levais les yeux au ciel en reprenant ma cigarette avant de jeter un nouveau
coup d’œil à mon portable qui reposait sur mes genoux.
J'attendais désespérément un appel de l'agence pour laquelle je travaillais.
J'avais besoin de boulot, et vite, ou bien l'argent allait manquer. Enfin, il manquait
déjà, mais disons que là, les choses allaient devenir vraiment très compliquées.
Je relevais le nez vers Vic.
— Vic, marche pas dans les flaques, enfin, tu vas salir tes chaussures !, Le
houspillais-je.
— Oui, Ali, Répondit-il machinalement en s'éloignant des flaques de boue.
Hug jappa en essayant d'attraper les lacets des chaussures de Victor.
Je me frottais le front et faisais le bilan : pas de boulot depuis une semaine,
plus un sous de côté, plus un sous sur le compte et, pour compléter le tableau
idyllique, ma voiture venait de me lâcher. Je n'avais pas encore payé la facture
d'électricité du mois d'avril, je n'osais même pas penser au loyer dont j'étais censée
m'acquitter dans sept jours, et Victor avait besoin d'une paire de chaussures
neuves... Non, vraiment, il fallait que je songe à gagner au loto.
Un homme d'une quarantaine d'année avec un sac en papier à la main vint
s'asseoir à côté de moi. Je levais les yeux au ciel, exaspérée : il ne pouvait pas se
choisir un autre banc, ce con ?
Je tirais sur ma cigarette et laissais échapper un soupir d’agacement
parfaitement audible en m'arrangeant pour expirer ma fumée dans sa direction. Il ne
sembla pas voir que sa présence m'importunait et commença à déballer son
sandwich. Le bruit du papier et l'odeur de la charcuterie... Mon ventre émit un
gargouillis sonore. Je fermais les yeux et soufflais.
J'avais pris un peu de hanches et il fallait vraiment que je m'en débarrasse,
mais entre Victor, ses gâteaux et ses bonbons, et cet abruti qui venait me narguer
avec son appétissant sandwich... C'était du jambon sec italien, en plus, et de la
grande qualité à en juger par le logo du restaurant que je pouvais apercevoir sur le
papier. Le pain semblait cuit à point, doré, tiède et moelleux.
Je me tournais d'un quart pour fusiller l'homme du regard. Il ne me remarqua
même pas, trop occupé à mordre dans son superbe sandwich. Je prenais ma
cigarette et inspirais profondément avant d'expirer toutes ma fumée dans sa
direction. Manque de bol pour lui, le vent était de mon côté, et il se prit l'intégralité
de mon nuage de nicotine en pleine figure.
Il se tourna vers moi en fronçant les sourcils et fit un mouvement de la main
pour se débarrasser de ma fumée.
— S'il vous plaît, vous pouvez arrêter de faire ça ?
J'affichais mon plus beau sourire narquois, ma cigarette entre les lèvres.
— Arrêter de faire quoi ?
— De me souffler votre fumée dans les bronches.
Je haussais les épaules et laissais échapper un ricanement moqueur.
— Je ne suis pas responsable du sens du vent. Si vous n'êtes pas content, libre
à vous d'aller vous choisir un autre banc, hein. J'étais là avant vous, il me semble.
Je me délectais de ma cigarette et soufflais la fumée vers le ciel. Mon attitude
sembla le scandaliser.
— Oh, à d'autres, s'il vous plaît. Vous le faites exprès et c'est moi qui dois me
déplacer ?
— C'est vous qui êtes gêné par moi et pas l'inverse, Dis-je en ramenant ma
cigarette à mes lèvres, Abruti de non-fumeur, Marmonnais-je de façon parfaitement
audible.
— Figurez-vous que j'ai fumé pendant longtemps, S'emporta-t-il, Et sans le
cancer de ma mère, je fumerais sans doute toujours. Mais ce qui m'agace
profondément, c'est de devoir me prendre votre fumée dans la...
— Super ta vie, mec, L'interrompis-je moqueuse.
Il écarquilla les yeux.
— Qu... mais... Vous n'êtes vraiment qu'une... qu'une pimbêche.
L'insulte me fit rire.
— Oulala, attention ! Monsieur sort ses insultes façon seizième...
Je jetais ma cigarette au sol et l'écrasais avec mes escarpins bon marché que
j'avais trouvés sur internet et qui ressemblaient vaguement à un modèle
de Louboutin.
— Trou du cul, va, Ajoutais-je en me levant.
J'attrapais mes lunettes de soleil ornées d'un fameux double C croisés sertis de
strass, une coquetterie « tombée du camion » et récupérée par mon petit frère pour
mon anniversaire, et les glissais sur mon nez.
— Vous avez vraiment un problème, Me lança-t-il dégoûté.
Il commençait à me gonfler l'autre avec son sandwich. J'abaissais mes lunettes
d'un cran.
— Ouais, mon problème, c'est toi, Dis-je en le regardant par-dessus ma
monture.
J'affichais un rictus plein de provocation. Il resta sans voix.
Je rangeais mon paquet de cigarettes dans la poche de mon imperméable
rouge, satisfaite par sa mine déconfite, et m'éloignais pour rejoindre Vic.
— Victor, on rentre. Viens.
Victor accourut vers moi.
— Qu'est-ce qui se passe Ali ?, Me demanda-t-il inquiet.
Il jeta un œil derrière moi pour comprendre ce qui m'avait fait fuir.
— Maman, Le corrigeais-je, On s'en va. Tu pourras remercier l'abruti là
derrière, Dis-je en désignant le crétin au sandwich du pouce.
— Espèce de connasse, Baragouina le type.
Je soufflais un grand coup et fermais les yeux pour me contenir.
J'aurais pu me retourner pour l'arroser copieusement d'insultes, j'aurais été
seule, je ne m'en serais pas privée d'ailleurs et il aurait vraiment passé un mauvais
moment, mais j'avais la petite main de Vic dans la mienne.
Je secouais la tête pour oublier et souriais à Vic qui me fixait, intrigué.
— Allez, on est parti ?
Je quittais le square d'un pas pressent. Victor sautillait à côté de moi et Hug,
dont les petites pattes ne lui permettaient pas d'aller très vite, trottinait rapidement
pour ne pas se faire larguer.
— J'ai faim, Me dit Victor tandis que nous arrivions sur le trottoir.
Je soupirais.
— On va rentrer à la maison et je te ferai ce que tu veux, ça te va ?
Il ne répondit pas. Nous continuâmes à marcher en silence.
— J'aimerais bien manger au McDonald's, Me dit-il soudain.
Je plissais les yeux : des frites, des odeurs de poulet frit et de steak grillé...
pourquoi fallait-il que mon mercredi ressemble à une plongée en enfer ?
— OK, Soufflais-je, résignée, Tu veux quoi : nuggets ou cheeseburger ?
— Nuggets !, Répondit-il tout joyeux tandis que nous traversions la rue pour
atteindre le fast-food.
Il était quinze heures lorsque nous arrivâmes à Argenteuil.
Nous avions l'habitude de passer une partie de notre mercredi matin sur Paris,
pas très loin de la tour Eiffel. Cela faisait partie de nos petits rituels, comme la
pizza du vendredi ou la visite à mes parents le dimanche. C'était également un
moyen d'obliger Victor à faire autre chose que squatter ses consoles de jeux vidéo
et puis, j'en profitais pour espionner les élégantes parisiennes.
— Ali, je peux jouer à la console ?, Me demanda Vic alors que nous venions à
peine de passer la porte de l'appartement.
Je lui jetais un œil sévère en accrochant mon manteau au porte-manteau.
— Tu as fait tes devoirs ?
Il lâcha un petit soupir d'exaspération.
— Oui, tu me les as déjà fait faire hier soir...
Je l'aidais à se défaire de son manteau. Je le regardais là, devant moi, avec sa
petite frimousse et ses petits yeux noisette, dans sa petite chemise Ralph Lauren et
son jeans Calvin Klein kids... et je craquais totalement !
— Bon, vas-y, tu peux y aller, Cédais-je le sourire aux lèvres, Mais pas trop
longtemps, hein !
— Ouais !, S'écria-t-il en se jetant sur l'étagère où je cachais toujours sa
console.
Il tâtonna à l'aveugle et l'attrapa avant d'aller s'installer sur le canapé qui me
servait également de lit. Nous habitions un modeste deux pièces et j'avais, en toute
logique, laissé la chambre à Victor.
Je récupérais le sac en plastique qui contenait la robe que j'avais achetée la
veille et me dirigeais vers notre minuscule salle de bain pour faire un essai. Il
s'agissait d'une robe noire très près du corps, un trente-six, parce que je ne voulais
mettre que cette taille. Je retournais ensuite au salon pour me regarder dans le
miroir de l'entrée. Je tournais plusieurs fois sur moi-même et posais mes mains sur
mes hanches en faisant la moue : il fallait que j'arrête de manger. Et pour un
moment.
— Wouah, t'es super jolie comme ça !, S'exclama la petite voix de Vic.
Je ris en me tournant vers lui.
— T'es gentil mon petit loup, mais c'est pas tout à fait vrai.
Je récupérais mon paquet de cigarettes que j'avais laissé dans mon
imperméable et revenais vers le salon pour rejoindre Vic. Je m'arrêtais près de la
fenêtre et l'entrouvrais pour être certaine qu'il ne respirerait pas ma fumée.
— Moi, je te trouve super belle, pourquoi tu t'aimes pas ?, Me demanda-t-il
avec son petit air naïf.
Je ris, ma cigarette entre les lèvres, et jouais du briquet pour l'allumer. Je
soufflais.
— Mon petit loup, tu comprendras quand tu seras plus grand !
Je glissais mon briquet dans mon paquet de cigarettes et déposais celui-ci sur
l'étagère derrière moi. La plus haute, pour être certaine que Vic ne l'atteigne pas. Il
fit la grimace.
— Tu dis tout le temps ça, mais je suis grand ! A l'école, on m'a dit que j'étais
le plus grand de la classe.
Je ne pus m'empêcher de sourire en reprenant une bouffée.
— Alors disons plutôt... quand tu seras au collège ?
Il fit un drôle de petit bruit avec sa bouche.
— C'est dans super longtemps! C'est dans..., Il s'arrêta là, le nez en l'air. Il
comptait, Cinq ans, Dit-il enfin.
Je tendais la main vers lui et jouais avec ses cheveux blonds.
— Tu verras, ça passe trop vite, Lui assurais-je avec une pointe de regrets
dans la voix.
Mon téléphone se mit à sonner. Vic sauta du canapé et attrapa le téléphone sur
la table basse pour me le tendre.
— Merci, loup.
Je contemplais l'écran et soufflais en apercevant le numéro affiché.
— Allô ?
— Allô, Aliénor ? Salut, tu vas bien ? Je te dérange pas j'espère ?
C'était Mike, le secrétaire de l'agence. Je m'éclaircis la gorge.
— Non, non, jamais, et oui, tout va bien. Que me vaut le plaisir de cet appel ?
— Et bien, je ne sais pas si tu es au courant, mais ce week-end, c'est le salon
de la voile, porte de Versailles.
— Ah oui ?, Demandais-je en feignant la surprise.
Les filles m'en avaient parlé, bien évidemment, mais ma fierté m'interdisait de
le faire comprendre à Mike : j'étais la dernière à avoir été contactée...
— Oui, j'ai un client qui cherche encore quelques hôtesses pour son stand. Je
me suis dit que ça pourrait t'intéresser.
Je fis un geste vainqueur avec le poing qui amusa Vic.
— Oh oui, oui, pourquoi pas... c'est quoi comme client ?
Je m'imaginais déjà parader en maillot de bain ou en costume de marin sexy.
— Ce serait une mission d'une semaine pour un représentant en gilet de
sauvetage.
Je fis la grimace : définitivement pas aussi glamour que ce qu'Angela m'avait
promis, mais j'avais besoin d'argent alors hors de question de faire la fine bouche.
Au point où j'en étais, j'aurais même accepté de parader habillée en homard géant.
— OK, ça me va. Il y a un briefing, j'imagine ?
— Oui, demain après-midi. Je t'envoie les informations par mail.
— Parfait.
— Et tu passeras à l'agence signer deux, trois papiers ? Je te filerai les horaires
dans le mail.
— Oui, aucun problème.
— Impec. Ali, alors à demain. Bye.
— Ça marche, byebye !, Lançais-je avant de raccrocher.
Je sautillais sur place, ravie : je n'aurais pas à me coltiner la pâtisserie ce moisci !
Je n'aimais pas l'école et je ne m'y étais donc pas attardée. J'avais terminé avec
une formation basique en cuisine, pas par passion, non, mais bien parce que c'était
ce qu'il y avait de plus accessible. J'avais un vrai don pour la cuisine et pour moi,
c'était facile. J'avais cependant un « petit » défaut qui m'avait empêchée de
poursuivre dans cette voie : je détestais toutes formes de règlement ou d'autorité.
Dans ces conditions, difficile pour moi d'envisager d'intégrer une brigade de
cuisine. Et puis, j'étais jolie, je le savais, pas la peine de s’embarrasser de fausse
modestie : dès l'âge de douze ans, j'avais compris que j'avais un truc en plus, un
petit quelque chose qui me permettait bien des facilités. J'avais de longs cheveux
châtains, un petit nez légèrement retroussé, des yeux verts rieurs, des lèvres
pulpeuses juste ce qu'il fallait, une superbe poitrine qui mettait en valeur mon
ventre plat et musclé, un cul à faire pâlir d'envie les stars américaines... et avec un
sourire je décrochais la lune.
Alors, après ma formation de cuisinière que j'avais péniblement terminée pour
faire plaisir à mes parents, j'avais fait un peu de mannequinat et de figuration. Je
passais mon temps à courir les castings et les auditions en espérant que ça marche,
qu'on me repère. Et puis, Victor était arrivé. Il m'avait fallu plus d'argent et des
boulots plus réguliers pour m'assurer qu'il ne manque de rien, alors je m'étais mise
à faire l'hôtesse d'accueil dans les salons, les réceptions privées, les meetings
d'entreprises, les soirées événementielles, les clubs parisiens qui devaient remplir
leurs salles avec des gens beaux. Je vivais de petit boulot en petit boulot et évitais
surtout de penser au lendemain. Résultat, aujourd'hui, j'avais vingt-neuf ans et je
commençais doucement à accuser les années. Difficile pour moi de rivaliser avec
les petites nénettes de vingt piges ultra gaulées qui n'avaient pas un petit monstre à
gérer à la maison. Il n'avait que six ans, bientôt sept, et je voulais qu'il ait des
souvenirs heureux de son enfance, avec ce qu'il fallait de gâteaux, de bonbons, de
pizzas et de spaghettis à la bolognaise. Impossible de ne pas craquer de temps en
temps, et si en plus de l'âge, je commençais à prendre du poids, il allait falloir que
je songe très sérieusement à une reconversion. Au début, j'étais très demandée et
souvent mise en avant. Puis, petit à petit, on m'avait gentiment demandé de reculer
pour laisser la place aux plus jeunes, plus fraîches, plus belles. Et je savais que plus
le temps passerait, plus les choses se compliqueraient. Malheureusement pour moi,
je ne savais pas faire grand-chose d'autre.
Depuis le début de l'année, j'avais trouvé une solution lorsqu'il fallait racheter
des vêtements neufs à Vic ou bien lui faire un beau cadeau : je faisais des
démonstrations dans les supermarchés pour une grande marque de farine. Je faisais
goûter cakes et cookies préparés par mes blanches mains aux clients pressés qui
m'envoyaient balader neuf fois sur dix. Un travail pénible et désagréable pour des
gens stupides et mal-aimables, mais qui nous permettait de vivre un peu mieux.
— C'était l'agence, Expliquais-je à Victor qui semblait totalement absorbé par
sa partie de Mario Bros sur sa console.
— Ah oui ?, Demanda-t-il sans me regarder.
— Oui, Répondis-je ravie.
Je déposais mon téléphone sur la table et écrasais ma cigarette dans mon
cendrier.
— Allez, j'ai envie de cuisiner un peu. Qu'est-ce qui te ferait plaisir pour le
goûter ?
J'entendis la petite musique qui annonçait le décès de Mario. Vic releva le nez
vers moi, pensif.
— Hum... un marbré au chocolat !
— Et un marbré au chocolat, un, Dis-je en m'éloignant vers le coin cuisine.
J'arrivais au centre de formation le jeudi à quatorze heures, exactement
comme Mike me l'avait demandé dans son mail. Je saluais les quelques hôtesses
déjà installées dans la salle et m'asseyais sur une des chaises mises à notre
disposition. Je prenais place entre Flora et Akofa et cherchais Angela du regard.
Je me penchais vers Flora.
— Où est Angie ?, Demandais-je dans un chuchotement.
— Elle est à l’hôpital, Me répondit Flora sans même me regarder.
Je la fixais, affolée. Elle daigna enfin me jeter un coup d’œil.
— Je t'expliquerai à la pause, Marmonna-t-elle entre ses dents ultra blanches.
Une vieille bonne-femme antipathique entra en trombe avec quelques notices
explicatives sous le bras. Je me redressais et faisais mine de l'écouter nous rabâcher
pendant une demi-heure l'importance de la bonne qualité des matériaux composants
un gilet de sauvetage. Je n'écoutais que d'une oreille et faisais mentalement la liste
de tout ce qui avait pu arriver à Angela.
Depuis plusieurs mois, elle parlait souvent de médecins, d'analyses et de
rendez-vous à l'hôpital. J'avais essayé de deviner, de comprendre, à travers les
quelques indices qu'elle daignait laisser, ce dont il pouvait s'agir, mais j'avais
surtout compris qu'elle ne souhaitait pas en parler. Elle pleurait parfois et s'absentait
longtemps. Angela était la plus âgée de l'agence et je la considérais comme une
grande sœur. Je l'appréciais vraiment beaucoup et la savoir malade me peinait. La
pause avait donc à peine débuté que je me jetais sur Flora.
— Alors, pourquoi est-ce qu'elle à l’hôpital ?, Demandais-je sans pouvoir
dissimuler mon inquiétude.
Flora prit son air pincé de Madame je-sais-tout qui me gonflait profondément.
— Écoute, je sais pas trop si je peux t'en parler. C'est vachement personnel, tu
vois.
Je soupirais en levant les yeux au ciel, ma cigarette entre les doigts.
— Arrête, t'es juste au courant parce que tu te fais sauter par Mike et que vous
faites des cancans au plumard et rien d'autres, viens pas me la jouer confidences, tu
veux ?
Elle tourna écarlate.
— Bon, bah, en fait, ça fait un moment qu'Angela et son mari essaient d'avoir
un bébé...
Je la fixais dans l'attente de la suite.
— Et apparemment, c'est encore raté, M'annonça-t-elle désolée.
Je me décomposais. J'ignorais tout ça.
— Mais... elle l'a perdu ou bien c'est une dépression parce qu'ils n'y arrivent
pas ?
Flora haussa les épaules.
— J'en sais pas plus, Dit-elle en rentrant dans la salle.
Je restais dans la petite cours, ma cigarette entre les lèvres.
Je n'avais pas imaginé une seconde qu'Angela pouvait connaître ce genre de
problème et je repensais tout à coup à mon Victor. Il était arrivé un peu par hasard
et je me sentais rougir de honte en repensant à toutes les fois où j'avais maudit sa
naissance.
La formation prit fin vers quinze heures, ce qui me laissait largement le temps
de passer à l'agence signer les quelques papiers pour Mike avant d'aller chercher
Vic.
Je n'aimais pas aller le chercher à l'école. Enfin, si, j'aimais le voir sourire en
m'apercevant, se jeter dans mes bras, me serrer contre lui, heureux de me retrouver
après une longue journée de séparation, j'aimais l'entendre me dire que je lui avais
manqué et commencer à me raconter ce qu'il avait appris dans la journée, mais je
détestais l'ambiance devant le portail de l'école. Tous ces parents qui se toisaient les
uns les autres, persuadés que leurs progénitures valaient mieux que celles du
voisin... ce que ça pouvait rendre con l'amour parental.
J'allumais une nouvelle cigarette en regardant une femme exhiber fièrement
son horrible bébé qui ressemblait à un crapaud. Il tirait la langue en bavant et avait
le visage aussi rougeot que l'alcoolique qui lui servait de mère. Je faisais une
grimace de dégoût et détournais les yeux pour tomber nez-à-fesses avec l’énorme
arrière-train d'une mère appuyée nonchalamment sur la poussette qui contenait son
cinquième lardon. C'était fascinant comme le fait de devenir mère signifiait perdre
tout sens du sex-appeal pour certaines. Enfin, ces messieurs n'étaient pas beaucoup
mieux : gras au bide, jogging et poils disgracieux... difficile de faire plus
repoussant. Je relevais les yeux de l'immense postérieur écœurant pour tomber sur
une femme entourée de marmots tous plus mal élevés les uns que les autres : ils
couraient et crapahutaient partout tandis qu'elle hurlait leurs prénoms dignes des
pires soap américains pour tenter de les calmer. Je souriais en coin en contemplant
cette foire aux monstres. Un père beuglait à un autre à quel point son gamin était
exceptionnel... Je levais les yeux au ciel : de toutes façons, aucun de leurs marmots
débiles ne rivalisaient avec mon Victor, c'était tellement évident !
La sonnerie marquant la fin des cours retentit enfin.
Victor prenait toujours son temps et faisait rarement parti des premiers sortis.
J'aperçus enfin ses cheveux blonds et son adorable sourire. Dès qu'il me vit, il se
mit à faire de grands gestes avec les bras dans ma direction. Je lui souris en
répondant discrètement par un petit signe de la main. Il accéléra le pas et
abandonna son ami Ahmed pour venir se jeter contre moi.
— Maman !, Dit-il en me serrant contre lui.
Je ris en l'embrassant sur la tête.
— Salut, terreur. Bien travaillé ?
Il me fit un petit signe de tête pour approuver.
— Bon, voilà le deal, Dis-je en me mettant accroupie pour être à sa hauteur,
Demain soir, je dois travailler tard, donc tu iras dormir chez Giani et Valérie.
— Oh, Lâcha-t-il déçu.
— Attends !, Dis-je en levant le doigt, le sourire aux lèvres, Du coup, je te
propose que la pizza du vendredi devienne exceptionnellement... la pizza du jeudi !
Son visage s'illumina.
— Oh oui, trop bien !, Dit-il enthousiaste.
Je me relevais et l'attrapais par la main.
— Allez, viens. On rentre.
Nous rentrâmes main dans la main vers notre cité HLM en passant par la
boulangerie pour acheter un pain au chocolat à Vic. Je lui faisais faire ses devoirs,
un peu de lecture et quelques additions, avant de le laisser filer vers sa console de
jeu. Vers dix-neuf heures, je commandais notre pizza Margherita chez Luciano, la
pizzeria située juste en bas de l'immeuble, et j'allais ensuite la chercher avec Hug,
histoire de m'épargner les frais de livraison. Victor et moi nous installâmes sur la
petite table de la cuisine pour déguster notre belle italienne.
— Alors, comme ça, tu as eu la deuxième meilleure note de la classe à ton
évaluation d'écriture ?, Demandais-je en refermant le carton de la pizza dont je
venais d'extirper deux parts.
Vic me fit un petit signe de tête en se saisissant de la part de pizza trois fois
trop grande pour lui que je venais de déposer dans son assiette.
— Oui, mais c'est Sarah qui a eu la meilleure note, Dit-il un peu déçu.
Je ris en me rasseyant en face de lui et attrapais ma canette de soda light pour
l'ouvrir.
— Et bah, c'est pas grave : tant mieux pour elle !
Il haussa les épaules.
— Oui mais c'est pas juste... sa mère, elle est prof ! Alors forcément, elle est
trop forte.
Je hochais la tête.
— Oui, c'est sûr que ça aide quand on part avec ce genre d'avantage, mais je
suis certaine que si tu travailles bien, un jour, tu arriveras à la battre.
Il rit malicieusement.
— Ouais, mais j'aime pas trop travailler...
— Ça, j'ai remarqué, hein, Dis-je en réajustant le col de son polo sous son
pull-over, Et alors, raconte un peu, Ahmed, il est toujours fou amoureux de Lilou ?
Il me fit signe non de la tête.
— Non, ils se sont disputés. Je crois qu'Ahmed maintenant il préfère Julie.
Je fronçais les sourcils, intriguée.
— Julie ?
Il hocha la tête, concentré sur sa part de pizza.
— Oui, c'est la nouvelle. Ahmed, il l'aime bien mais je sais pas pourquoi, elle
est pas gentille avec moi.
— Ah oui ?, Demandais-je amusée.
— Oui, elle dit des trucs méchants quand je dis quelque chose. Pourtant, je lui
ai rien fait... enfin, je crois pas, Dit-il en plongeant dans ses souvenirs.
Je repris une gorgée de soda et déposais la cannette sur la table.
— Peut-être que c'est justement parce qu'elle t'aime bien qu'elle n'est pas
gentille...
Il écarquilla les yeux et s'apprêta à parler.
— Ta, ta,ta, Lui dis-je en lui faisant un signe négatif de l'index, Avale ce que
tu as dans la bouche avant de parler.
Il mâcha rapidement et avala.
— C'est pas normal : si elle m'aime bien, elle devrait être gentille avec moi !,
Protesta-t-il.
Je souris un peu plus.
— Les filles, c'est un peu compliqué.
Il souffla en reposant sa part de pizza dans son assiette.
— Ouais, mais du coup, j'ai peur qu'elle se moque de moi.
Je le fixais, inquiète.
Victor était un petit garçon sérieux, mais très positif, et c'était rare de le voir
aussi soucieux.
— Pourquoi ? Qu'est-ce qui ferait qu'elle se moquerait de toi ? Tes
vêtements ?
Il secoua la tête.
— Non, en fait, c'est bientôt la piscine à l'école. Le vendredi, on fait
gymnastique, mais le mois prochain, ce sera piscine et ça me fait peur.
— Pourquoi ça te fait peur ?
— Bah... je sais pas nager.
Je hochais plusieurs fois la tête, les yeux rivés à ma canette de soda : je n'avais
pas pensé à ce détail.
— Tu sais quoi ? Ce week-end, j'ai du travail, mais celui d'après, je t'emmène
à la piscine : on va t'apprendre à nager !
Il sourit en coin en regardant sa pizza.
— Merci, Ali, Dit-il un peu gêné.
— Je t'en prie mon bonhomme, c'est normal, je suis là pour ça, Répondis-je en
attrapant une serviette pour essuyer la sauce tomate que sa part de pizza lui avait
laissée au coin de la bouche.
Je couchais Victor un peu avant vingt et une heures, et restais un moment
devant la télé à enchaîner quelques cigarettes devant une fiction française
complètement débile tout en caressant mon chien qui paressait sur mes genoux. Je
finis par m’endormir comme ça, affalée devant la télé, sans même prendre la peine
de déplier mon canapé.
Le lendemain matin, je déposais Vic à l'école avec son sac contenant ses
affaires pour le week-end. Je l'embrassais plusieurs fois pour lui faire comprendre à
quel point il allait me manquer. Il râla en se frottant la joue et me reprocha de
toujours lui laisser des marques de rouge à lèvre.
J'avais rendez-vous en début d'après-midi porte de Versailles, pour repérer les
lieux... et me faire laver une dernière fois le cerveau à grands coups de « les
gilets Seacuritex sont les meilleurs gilets de la planète ». Le salon faisait une
nocturne pour son ouverture et je savais que je ne serais donc pas chez moi avant au
moins minuit.
Nous étions censées être quatre à travailler pour le même client : Flora,
Angela, Akofa et moi. Autant dire que nous étions clairement ce que l'agence avait
de mieux en stock : Flora était une superbe blonde d'un mètre quatre-vingt avec des
yeux bleu-translucide, Anggie une adorable eurasienne au regard espiègle et Akofa
une sublime ghanéenne au sourire lumineux. J'arrivais parfaitement à tenir la
comparaison avec mes collègues et, pour être tout à fait honnête, je n'en étais pas
peu fière.
— Salut ma poule, Me salua Akofa en me voyant arriver dans le vestiaire qui
était mis à notre disposition.
— Salut, Répondis-je en tendant le cou vers elle pour lui faire la bise.
Elle se prêta au jeu.
— Wahou, magnifique, Dit-elle avec un petit mouvement de sourcils en me
détaillant de la tête aux pieds.
Je ris en posant mon sac à main dans un casier. J'y récupérais mon rouge à
lèvre.
— Et ouais ! Ça demande du travail, mais ça fait son petit effet...
Akofa rit.
— Qui sait ? Peut-être que tu vas tomber sur un beau milliardaire venu
remplacer son yacht !, Me dit-elle en se concentrant sur son miroir de poche pour
remettre un peu de mascara.
Je faisais un mouvement avec ma lèvre inférieure pour étaler au mieux mon
rouge bon marché.
— Oh, crois-moi, c'est absolument pas ce que je cherche. Je suis pas Flora...
Elle éclata de rire en rangeant son tube de mascara.
— A peine arrivée, elle était déjà en train de discuter avec le fils de cet acteur,
là... Ah, tu sais, celui qui a eu un césar y a deux ans...
Elle cherchait désespérément son nom en claquant des doigts. Je haussais les
épaules et rangeais mon rouge à lèvre dans mon sac.
— C'est Flora, hein, Soupirais-je, Tant qu'il a un compte en banque bien
fourni ou une bobine vaguement connue, elle écartera les cuisses.
Akofa s'esclaffa d'un rire sonore.
— Non mais t'as pas honte ? Espèce de vipère ! , Me reprocha-t-elle
gentiment.
La réputation de Flora auprès de l'agence n'était plus à faire, et je savais
parfaitement qu'Akofa partageait mon point de vue.
— Quoi ?, Demandais-je innocemment, Tu la connais et tu sais que j'exagère
à peine.
Je refermais la porte du casier où je venais de déposer mon sac et y plaçais le
petit cadenas que j'utilisais toujours dans ces occasions.
Akofa fit la moue.
— Mouais, on est toutes un peu comme ça, non ? On cherche toutes quelqu'un
qui nous fera rêver.
Je remettais rapidement mes cheveux en place et remontais les armatures de
mon soutien-gorge dans un geste totalement dénué d’élégance.
— Non, moi, je ne cherche personne.
Elle m'adressa un regard un coin, plein de sous-entendu.
— Arrête, ça doit bien te titiller dans le bas du ventre de temps en temps...
Sa façon de dire les choses me fit rire.
— Je ne nie pas que, parfois, j'ai besoin de m'amuser un peu, mais je ne
cherche pas de relation suivie.
Elle plissa le front, sceptique.
— Vu comment t'es foutue, y en a un paquet qui doit avoir envie de t'épouser !
Je souris en remettant mes seins en place dans mon décolleté.
— Peut-être, mais crois-moi, j'ai une méthode infaillible pour être certaine
qu'ils ne s'attachent jamais !
— Ah oui ?, Me demanda-t-elle intriguée.
Je hochais la tête et jetais un œil dans le miroir du vestiaire, satisfaite par mon
allure générale.
— Oooh oui, Me contentais-je de répondre avant de quitter le vestiaire.
Je passais la soirée à sourire poliment, à tendre des plateaux chargés de verres
de mousseux, à rire faussement en entendant une blague de mauvais goût sur les
femmes ou les étrangers. A ce moment-là, je n'étais pas moi. Je n'étais pas vraiment
Aliénor Giardini, la gamine de banlieue avec un enfant à charge et sa bagnole en
train de croupir au fin fond d'un box pourri parce que la somme qui se trouvait sur
son compte banque ne comportait même pas trois chiffres. Là, j'étais l'éblouissante
et épatante Ali, une femme, une vraie, pleine de charme, qui faisait vibrer le cœur
des hommes et mettait à mal celui de leurs femmes.
Angela n'était pas là ce soir. Flora m'expliqua rapidement qu'elle faisait une
dépression et que son arrêt maladie avait été prolongé d'une semaine. Je soupirais
en pensant à Angela et me jurais d'aller lui rendre visite dès que possible. Je jetais
un œil vers le gros bonhomme que Flora essayait de séduire : costume
Célio légèrement élimé aux coudes, pantalon reprisé, chemise H&M... Elle
manquait cruellement d'observation : ce mec n'avait pas un rond, c'était évident.
— Excusez-moi, Appela une voix derrière moi.
Je me tournais vers l'homme qui venait de m'interpeller, mon plateau avec mes
flûtes de « champagne » à la main.
— Oui, Monsieur, en quoi puis-je vous aider ?, Fis-je en adoptant mon sourire
le plus éblouissant.
— Vous ne sauriez pas où je peux trouver...
Il s'arrêta là et me dévisagea bizarrement. Je le fixais moi aussi sans
comprendre sa réaction. Est-ce que je le perturbais à ce point ? Je le détaillais
rapidement. Il n'était pas désagréable à regarder avec son style légèrement négligé.
Grand, cheveux d'un gris élégant, cravate dé-serrée et barbe de quelques jours...
Appétissant.
Il me pointa du doigt.
— Vous ! Vous êtes la conna... heu, la fille avec la cigarette de mercredi !
Je le dévisageais un moment et ouvrais la bouche en réalisant.
— Le trou du... heu, le mec au sandwich !, Dis-je en le pointant du doigt à
mon tour.
Nous nous contemplâmes quelques secondes sans un mot, en nous désignant
l'un l'autre de l'index.
Il était assez différent du jour où je l'avais croisé sur son banc. Je lui avais
donné la quarantaine mais il devait en réalité être dans la petite trentaine, peut-être
même moins, difficile de juger avec sa barbe de trois jours. Il avait assez belle
allure quand il ne se tenait pas voûté derrière une tranche de jambon gras.
Un drôle de rictus apparut sur ses lèvres, me sortant de mes réflexions. Je
réalisais tout à coup que je n'étais pas du tout en position de force et qu'il lui était
facile de se venger de ma petite agression. Je ne le lâchais pas des yeux et secouais
la tête.
— Oh non....
— Ah si..., Répondit-il avec un air de lutin.
Il se frotta le menton et jeta un œil aux gilets de sauvetage qui étaient
entreposés sur la table à côté de nous.
— Dites-moi, ce serait possible d'avoir une petite... démonstration ?
Je baissais les épaules et penchais la tête sur le côté en l'assassinant du regard.
— Vous déconnez là ?
Il posa sa main sur sa poitrine.
— Moi ? Oh, mais non, voyons, je n'oserais jamais m'amuser comme ça, aux
dépends de quelqu'un qui essaie juste de faire convenablement son travail. Ce serait
bien trop cruel... à moins que... attendez, je suis quoi déjà ? Ah oui ! Un trou du cul,
c'est ça ?
Je soutenais son regard, furieuse. Il tendit la main et attrapa une coupe de
mousseux de mon plateau.
— Je crois que j'ai très envie d'en savoir plus sur ces gilets de sauvetage...,
Dit-il avec une certaine satisfaction avant de porter la flûte à ses lèvres.
Je soupirais bruyamment et jetais le plateau que j'avais dans les mains sur la
table, à côté des gilets. Il me regardait faire derrière son verre, un sourire ravi aux
lèvres. J'avais envie de lui démolir la face. J'attrapais un des gilets dans un geste
brusque et l'enfilais sur ma magnifique robe noire. Je le foudroyais du regard et
attrapais la boucle de la ceinture pour resserrer celle-ci autour de moi. Je tirais
fortement sur la boucle, marquant ainsi ma taille et révélant aux yeux des visiteurs
la pire partie de mon anatomie : mes hanches.
Je relevais le nez vers lui et posais mes deux mains sur mes hanches histoire
de cacher la misère.
— Voilà, satisfait ?, Demandais-je amère.
Il fit la moue.
Le coût d'un gilet de sauvetage étant relativement élevé, nous n'avions le droit
de n'en actionner qu'un seul pour toute la durée du salon et j’espérais donc que ce
moment viendrait le plus tard possible, parce qu’une fois gonflé, je serais contrainte
de ne plus utiliser que ce gilet-là, et inutile de dire que nous étions loin de mes
préférences en matière de mode.
— J'aimerais beaucoup le voir... en action, Me dit-il avec un sourire
machiavélique.
Je le taillais en pièce du regard et actionnais la valve qui permettrait au gilet
de se gonfler. En exactement deux secondes et neuf dixièmes, je me retrouvais
entourée de deux énormes boudins d'un orange des plus criards et des moins
élégants.
Il me demanda alors de faire tout un tas de mouvements plus débiles les uns
que les autres pour, soi-disant, lui démontrer la souplesse des matériaux. Les
visiteurs qui passaient devant notre stand riaient en me voyant me contorsionner
dans tous les sens. Lui, était totalement hilare.
— C'est bon ? Ça va ? Ça vous suffit ?, Demandais-je sans amabilité.
Je me redressais et récupérais mes chaussures que j'avais été forcé de retirer
pour exécuter certains de ces exercices dignes d'une gymnaste.
Il riait tellement qu'il en avait les larmes aux yeux.
— Oui, c'est bon... je crois que... je crois que j'ai suffisamment abusé de votre
patience, Dit-il entre deux ricanements moqueurs.
Je remettais mes escarpins et défaisais la ceinture de mon gilet. Akofa s'arrêta
près de moi.
— Tu peux prendre ta pause, ma belle, Dit-elle avant de s'éloigner.
Je soufflais soulagée.
Je retirais vivement le gilet et le jetais dans les mains de mon tortionnaire. Ce
dernier réagit à peine.
— Bonne soirée, Dis-je en hachant les mots.
L'envie d'ajouter un « ducon » était forte, mais j'aurais pu avoir des
problèmes, et j'en cumulais déjà suffisamment comme ça.
Je m'éloignais rapidement vers les vestiaires et récupérais mon sac à main.
J'avais besoin de m'en griller une.
Je sortais du hall des expositions pour m'installer sur les marches qui
descendaient vers le trottoir. J'allumais ma cigarette et fermais les yeux en
savourant le parfum de la nicotine se répandre en moi. Je regardais le ciel étoilé.
Qu'est-ce que j'avais bien pu faire pour être aussi malchanceuse ? La probabilité de
croiser ce sale type ici ne devait pas être bien grande, et pourtant...
Je sortais mon téléphone portable de mon sac à main pour lire les messages
que j'avais pu recevoir pendant la soirée. Il y avait deux messages de ma mère qui
m'annonçait avoir pris des photos de Victor en train de faire une tarte. Le premier
message était vide, ma mère s'étant, comme à son habitude, trompée en voulant
joindre la photo, mais dans le second message, je pouvais admirer mon petit
homme à moi avec le rouleau à pâtisserie dans les mains et de la farine jusque sur
le bout du nez. Je contemplais sa photo et reprenais ma cigarette.
— Il fait frais ce soir, vous devriez vous couvrir.
Je levais les yeux au ciel en entendant sa voix.
— Sérieux, lâchez-moi, Lançais-je sans même daigner le regarder.
Je l'entendis se rapprocher. Je levais le nez vers lui. Il me regardait d'en haut,
le sourire aux lèvres. Je retirais ma cigarette pour parler.
— Je suis en pause là, vous n'avez pas le droit de venir me faire chier.
Il fit un petit mouvement de sourcils, apparemment surpris par ma façon de
parler, puis il se laissa tomber assis à côté de moi. Il resta silencieux un long
moment. Je rangeais rapidement mon téléphone dans mon sac à main.
— Excusez-moi pour ce soir, Dit-il soudain, Je n'aurais... jamais dû profiter de
la situation de cette façon. C'était malhonnête.
Je lui jetais un regard en biais. Il semblait sincère, mais je n'avais pas envie de
pardonner comme ça. Je tirais à fond sur ma cigarette et me tournais face à lui. Je
lui soufflais toute ma fumée au visage. Il plissa les yeux.
— Vous êtes tout excusé, Dis-je avec un sourire narquois.
Il secoua la tête en riant.
— J'aimerais reprendre depuis le début. Gustave De Lantais, Dit-il en me
tendant la main.
Je ne pus m'empêcher de pouffer.
— Et bah, vos parents n'ont eu aucune pitié hein, Dis-je en attrapant la main
qu'il me tendait pour la serrer énergiquement, Ali Giardini.
Il reprit sa main.
— Ali ? C'est joli, c'est de quelle origine ? Italienne ?
Je soupirais en me concentrant sur ma cigarette.
— Ouais, Me contentais-je de répondre.
Je levais mes yeux vers les siens et ne soutenais son regard qu'une fraction de
seconde. Il avait de bien jolis yeux bleu-gris qui me donnaient l'impression de
connaître toutes mes pensées.
— Bon, OK : c'est Ali pour Aliénor, Capitulais-je sans même qu'il n'ait
demandé quoi que ce soit.
Il écarquilla les yeux.
— Aliénor ? Comme... la duchesse d'Aquitaine ?
Je fis la grimace : pourquoi fallait-il qu'il ait de la culture ?
— Oui, Reconnus-je, Ma mère adore les têtes couronnées alors... voilà le
résultat. Enfin, pas de quoi frimer, hein, Gustave...
Il rit doucement.
— Appelle-moi Gus, je t'appellerai Ali.
J'approuvais d'un hochement de tête.
— Ça me va.
Je reprenais ma cigarette et me contentais de savourer ma pause dans la nuit.
— Alors comme ça, quand tu n'agresses pas les gens dans les parcs publics, tu
fais l'hôtesse dans les salons, hein ?
Je ris légèrement : qu'est-ce que ça pouvait bien lui foutre, franchement...
— Ouais, Soufflais-je, Les salons, les boîtes branchées, les réceptions
quelconques... On m'invite et je fais tapisserie.
Il hocha la tête, pensif.
— Et parfois, Continuais-je, Je tombe sur un connard qui me fait faire
n'importe quoi, juste pour le plaisir de m'emmerder...
Il rit doucement.
— Je suis désolé. Vraiment, S'excusa-t-il avec un joli regard plein de sincérité.
Je souris en le regardant.
— Bah, c'est rien. J'ai l'habitude, Dis-je en reprenant ma cigarette.
Je soupirais en regardant la nuit.
— La vie est dure, hein ?, Dit-il tout à coup.
Son ton grave me fit rire.
— Oh que oui !, Approuvais-je en repensant à tous mes problèmes.
Je continuais à fumer ma cigarette à côté de lui. Il ne disait rien, les yeux rivés
à l'horizon. Je le regardais en coin. Il ne souriait pas et semblait aussi paumé que
moi.
— Vous aussi ça n'allait pas fort ce soir. C'est pour ça que vous m'avez
demandé de faire tout ça, n'est-ce pas ?
C'était à peine une question. Il sourit légèrement et hocha plusieurs fois la tête.
— Perspicace, Souffla-t-il.
Nous restâmes silencieux encore un moment. Il tenta un rapide coup d’œil
dans ma direction.
— Si... si ça peut te rassurer, je crois que je n'avais pas autant ri depuis des
années.
Je ricanais.
— Et bah... c'est déjà ça !
Il se mordait la lèvre.
— Tu... tu ne m'en veux pas ?
Je secouais la tête et jetais mon mégot au sol pour l'écraser avec mon pied.
— Non, Reconnus-je, J'ai des tas de défauts mais je ne suis pas rancunière.
Il parut soulagé.
— Ah oui ? Et qu'est-ce que tu as comme défauts alors ?, Demanda-t-il
amusé.
Je ris un peu en refermant mon manteau sur ma poitrine histoire de me
réchauffer.
— Et bien, je suis... paresseuse, capricieuse, dépensière, insoumise... et puis,
je m'énerve tout le temps.
— Nooon ? Vraiment ?, Dit-il un peu sarcastique.
Je soupirais en levant les yeux vers le ciel.
— Une catastrophe ! Je monte tout de suite dans les tours, on dirait une ado.
J'insulte tout le monde d'abord et ensuite, je réfléchis. Et je m'aperçois que, la
plupart du temps, j'avais tort.
Il hocha la tête en se pinçant les lèvres pour ne pas rire franchement.
— Ah, et je suis fière aussi, Admis-je en évitant de le regarder dans les yeux.
Il haussa les épaules.
— Ça, ce n'est pas forcément un défaut.
Je fis la moue.
— Ça dépend. Je suis tellement fière que je suis incapable de présenter des
excuses. Même quand j'ai traité quelqu'un de trou du cul alors qu'il ne m'avait rien
fait...
Il sourit.
— Oh, peut-être qu'au fond, il le méritait un peu...
Je me plongeais dans ses yeux gris.
— Non. Je ne crois pas, non, Articulais-je lentement.
Nous restâmes quelques secondes comme ça, nos regards suspendus l'un à
l'autre.
— Bon, Soufflais-je, Je vais vous laisser. Je dois encore tenir la conversation à
des gens pétés de thunes pendant au moins..., Je jetais un œil à ma montre, Oh !
Une heure et quart... ça passe vite finalement, Dis-je pour moi-même.
Gus me regarda me lever.
— Merci d'être venu me présenter vos excuses et, qui sait, peut-être à un de
ces jours ?
— Peut-être, oui, Se contenta-t-il de répondre tristement.
— Bye, Dis-je avec un petit signe de la main.
Je m'éloignais vers le hall des expositions.
— Ali, attends, M'appela-t-il.
Je me tournais vers lui.
— Oui ?
Il se leva et s'approcha un peu. Il évitait de me regarder dans les yeux et
semblait gêné.
— Tu... tu penses qu'on pourrait... se revoir un soir ? Juste... comme ça, pour
parler. Comme ce soir.
Je restais sans voix, sous la surprise.
— Oh ! Heu... et bien...
— En tout bien tout honneur, bien sûr, S'empressa-t-il d'ajouter pour me
convaincre.
Il me fixait par en dessous, penaud. Mon regard glissa sur lui.
Je n'avais eu personne depuis un moment. Je m'arrangeais toujours pour que
les hommes ne soient que de passage dans ma vie, je n'avais pas envie d'imposer
qui que ce soit à Victor, alors il ne les rencontrait jamais. Le seul avec lequel j'avais
eu une relation un peu plus poussée qu'avec les autres était Julian, un de mes
anciens petits copains de lycée qui m'avait retrouvée deux ans plus tôt. J'avais
succombé parce qu'il était toujours aussi beau et qu'il me rappelait pathétiquement
ma jeunesse et le souvenir d'une époque insouciante. Le problème avec Julian,
c'était qu'il n'avait pas changé. Même pas un tout petit peu, et j'avais vraiment
l'impression de sortir avec Julian, le copain du lycée. Sauf que moi, j'avais mûri, je
n'avais plus seize ans, et les ballades en scooter ou les après-midi passés chez ses
parents ne me correspondaient plus. J'avais donc préféré mettre rapidement un
terme à cette relation avant que Victor ne s'attache trop à Julian.
Je faisais rapidement le compte : six mois. Six longs mois d'abstinence. Je
n'étais pas particulièrement obsédée, mais comme tout le monde, j'avais des
besoins, des envies, et je n'étais pas une grande adepte de la satisfaction en solitaire.
Alors quand je regardais Gus, sa belle allure, son regard mystérieux et ce sourire
charmant, je me disais qu'il pourrait bien combler mes besoins et mes envies...
Je soufflais discrètement et secouais la tête pour tenter de me reprendre :
j'avais des principes et je devais m'y tenir.
— Je suis désolée, Gus, mais c'est très compliqué de sortir avec moi, Dis-je
lentement.
Il me fixait, intrigué.
— Oui, Repris-je, En fait, il y a deux conditions et malheureusement, vous
n'en remplissez qu'une seule.
Il fronça les sourcils.
— Quelles conditions ?
J'adoptais un sourire mutin.
— La première, c'est de porter une cravate..., Dis-je m'approchant de lui.
Il fit un petit signe de tête.
— Ça, c'est bon, Rétorqua-t-il avec un sourire satisfait.
— Et la seconde..., Je plongeais mes yeux au fond des siens et m'arrêtais juste
en face de lui, C'est d'être marié.
Mes mots semblèrent lui faire le même effet qu'un jet d'eau glacé en pleine
figure.
— Marié ?, Me demanda-t-il consterné.
Je haussais les épaules.
— Oui, je ne fréquente que des hommes mariés, Répondis-je sur un ton
désinvolte.
Il ricana, accusant le choc de cette condition un peu limite.
— Et... il y a une raison à cela ?, Demanda-t-il prudent.
Je souris en attrapant sa cravate que je resserrais d'un coup sec.
Cravate Versace, chemise Burberry, costume italien sur mesure...
— C'est plus simple, Dis-je en remettant sa cravate en place, Moins d'attache,
et je suis certaine qu'ils ne cherchent rien de plus qu'une belle nuit torride.
Il hocha la tête.
— D'accord. A un moment, j'ai cru que tu fantasmais sur la bedaine, les poils
disgracieux et l'absence d'hygiène.
J'éclatais de rire.
— Non, Soufflais-je, Enfin, voilà. Vous savez désormais pourquoi vous
n'avez aucune chance avec moi.
Je passais ma main sur son épaule solide avant de m'éloigner à regret. C'était
un bien beau spécimen de la gent masculine.
Il me fixait bizarrement. Je l'interrogeais du regard. Il prit son temps et sortit
lentement la main de sa poche pour me montrer son annulaire gauche.
— Je crois que... c'est mon jour de chance.
Je fixais l'alliance qu'il avait au doigt et souriais, bizarrement ravie de
constater qu'il entrait dans mes critères.
— On pourrait peut-être se voir...
— Je termine à vingt-deux heures trente, L'interrompis-je.
Il parut surpris par la rapidité de la proposition. S'il savait... Au lieu de faire
toutes ces simagrées, il aurait mieux fait d'en venir directement au fait, nous aurions
pu entamer les préliminaires durant ma pause ! Quelle stupide perte de temps!
— Wow, ce... ce soir ? Je... OK, OK.
Je me glissais au creux de son cou, jusqu'à son oreille.
— Il y a un hôtel pas très loin, Chuchotais-je de ma voix la plus sensuelle.
Je reculais un peu et lui adressais un clin d’œil assorti de mon sourire le plus
coquin. Il était figé sur place, ébahi par mon audace. Je m'éloignais à reculons et
embrassais ma main pour lui envoyer un baiser imaginaire. Il ne réagit pas, ce qui
me fit rire. Je m'échappais vers le hall des expositions en remuant exagérément mes
fesses de droite à gauche, histoire de titiller sa curiosité.
Je passais ma dernière heure de travail sur un petit nuage, absolument ravie
par la perspective de m'accorder un moment de plaisir avec ce bel inconnu. C'était
un peu fou, un peu bête aussi sans doute, mais c'était exactement ce dont j'avais
besoin pour m'échapper de ma vie monotone.
Il était vingt-deux heures trente et quelques minutes quand j'arrivais devant le
hall, à l'endroit exact où je l'avais quitté une heure plus tôt. Il pleuvait à seaux.
— Et merde, Pestais-je en tentant de rabattre le col de mon manteau pour me
protéger des gouttes de pluie.
J'avais opté pour mon long manteau noir qui mettait ma ligne en valeur, mais
qui était dépourvu de capuche, et j'avais bien évidemment oublié de prendre un
parapluie. Je scrutais la rue mais ne trouvais aucune trace de Gus. Je paniquais un
peu : et s'il avait changé d'avis ? Je me retrouverais comme une cruche à prendre le
train de banlieue à minuit, dans une robe outrancière, parce que j'avais décliné
l'offre d'Akofa qui proposait de me ramener en voiture.
Je restais un long moment à attendre sous la pluie. En vain.
Je jetais un œil à ma montre. Il était presque vingt-trois heures, peu de chance
que mon rencard débarque désormais et il fallait que je me rende à l'évidence : je
m'étais pris un vilain râteau. Je soupirais en m'éloignant vers l'arrêt de bus le plus
proche quand une grosse voiture allemande s'arrêta à mon niveau. Je fus soulagée
d'apercevoir son visage par la fenêtre entrouverte.
— Bonsoir, Me salua-t-il avec un sourire crispé, Je suis désolé de t'avoir fait
attendre...
Je souris franchement.
— Ça n'a absolument aucune importance !, Le rassurais-je en faisant le tour
de la voiture pour m'installer à côté de lui.
Je refermais la porte derrière moi et secouais légèrement mes cheveux
humides. Ce geste n'avait absolument aucun intérêt si ce n'était celui de minauder
un peu devant mon compagnon de soirée. Mais lorsque je relevais le nez, je ne le
retrouvais pas à me contempler avec un air béat, non. Il avait les yeux rivés à ses
mains, posées à dix heures dix sur le volant, et semblait au bord du malaise. Je
baissais les épaules et souriais discrètement.
— Quelque chose ne va pas ?, Demandais-je doucement.
Il resta muet, perdu dans ses pensées. Il ne semblait même pas m'avoir
entendue.
Je ris en me laissant tomber contre le dossier du siège passager. Il tourna enfin
la tête vers moi, inquiet. Je lui jetais un regard bienveillant.
— T'as plus envie ?
Il baissa la tête et soupira.
— Je suis désolé.
Je haussais les épaules et tapotais amicalement une de ses mains toujours
accrochées fermement au volant.
— C'est pas grave. T'es un type bien, c'est rare, Dis-je en toute sincérité.
Ma remarque ne sembla pas le rassurer.
Je n'avais pas l'habitude de pousser à l'adultère, ce n'était pas mon genre, moimême étant plutôt possessive avec les hommes. Je me contentais de répondre aux
sollicitations de ces messieurs délaissés par leurs femmes, elles-mêmes n'étant sans
doute pas des modèles de fidélité... Du moins, c'était ce que je préférais penser.
— Je peux te demander un service ?, Demandais-je en regardant droit devant
moi.
— Heu... oui, quoi donc ?, Répondit-il méfiant.
Je souris timidement en regardant mes mains sur mes genoux.
— Tu peux me ramener chez moi ? J'ai pas très envie de prendre les transports
en commun à cette heure-ci, Me justifiais-je.
Il sourit, apparemment soulagé de voir que je ne cherchais pas à lui soutirer
autre chose qu'un voyage en voiture jusque dans ma banlieue.
— Bien sûr, Dit-il en passant la première.
Je lui expliquais vaguement où j'habitais. Je n'étais pas particulièrement fière
de mon HLM, alors je lui demandais de me déposer sur le parking du supermarché
situé en bas de la cité. Je ferais le reste du chemin à pieds.
Le voyage en voiture se fit dans le silence. Il n'y avait qu'un joli fond de
musique classique, du Beethoven si je me fiais à mes maigres connaissances en la
matière. Ma mère aimait dire que sa Sonate au clair de lune était sa musique
préférée, mais nous savions tous parfaitement qu'en réalité, sa chanson préférée
était Bambino de Dalida.
Je fermais les yeux et somnolais légèrement jusqu'à ce que nous arrivions près
d'Argenteuil. Il suivit mes indications et arriva enfin devant le supermarché.
— C'est bon, Dis-je en défaisant ma ceinture de sécurité, Tu peux me déposer
ici.
Il arrêta la voiture et coupa le contact.
— Bon, et bien, merci pour la ballade, hein, Dis-je en me tournant vers lui.
Il sourit tristement en regardant ses doigts qui jouaient sur le levier de vitesse.
— Merci à toi.
Je le regardais là, devant moi, gêné parce qu'il m'avait dit non et je le trouvais
juste... drôlement attendrissant. Il me rappelait un peu Victor quand celui-ci se
trouvait face à une situation difficile et qu'il ne savait plus quoi faire.
Je levais prudemment la main et caressais ses cheveux. Il ne réagit pas et se
laissa faire. Je faisais glisser ma main plus bas, sur sa nuque, pour l'inviter à se
rapprocher. Il n'opposa aucune résistance. Je fermais les yeux et posais mes lèvres
sur les siennes. Je ne voulais pas l'allumer ou quoi que ce soit dans ce style. J'en
avais juste envie sur le moment.
Il lui fallut quelques secondes pour réagir. Quelques secondes qui me parurent
durer une éternité. Ses lèvres se saisirent des miennes et mon cœur s'emballa.
C'était tellement doux, tellement prudent, c'était rare qu'un homme se montre aussi
délicat envers moi. Je trouvais cette façon de faire bien agréable, voir même...
excitante. J'accentuais un peu la pression de ma bouche sur la sienne tandis qu'il
entrouvrait les lèvres pour rendre notre baiser un peu moins sage. Il avait un petit
goût d'alcool pas complètement désagréable.
Je m'éloignais et rouvrais les yeux.
— Hum... Vodka ?, Demandais-je le sourire aux lèvres.
Il ne riait et me fixait, son regard gris plongé dans le mien. Il leva doucement
la main et fit glisser ses doigts le long de ma joue.
— J'en avais besoin, Se contenta-t-il de répondre.
Mes yeux ne quittaient plus les siens. J'étais totalement subjuguée par
l'intensité de son regard à ce moment-là et par cette couleur qui me plaisait
étrangement. Je tendais les lèvres vers lui et fermais les yeux. Il vint à ma rencontre
et me laissa reprendre le baiser que j'avais interrompu plus tôt. Mais ce n'était plus
timide ou réservé, c'était sensuel et passionné. J'attrapais sa main que je glissais sur
ma cuisse pour lui faire comprendre qu'il pouvait. Nos souffles s'emballèrent un
peu plus, et à en juger par la cadence de ses lèvres et la pression de sa main, il
n'avait pas connu ces sensations depuis un moment.
— Il y a un hôtel pas loin, Dis-je dans un souffle.
— D'accord, Répondit-il avant de revenir faire jouer une dernière fois sa
langue avec la mienne.
Je me rasseyais correctement tandis qu'il remettait le contact. Je ne pouvais
m'empêcher de sourire en pensant à la suite de la soirée.
Il s'arrêta sur le parking de l'hôtel bas de gamme situé juste à l'entrée de la
ville jusqu’auquel je l'avais guidé. J'ouvrais la portière et descendais de la voiture
sans attendre. Il descendit à son tour et referma sa voiture. Ses mains tremblaient
autour de ses clefs : il stressait. J'attrapais sa main en marchant vers l'hôtel. Il me
jeta un regard apeuré auquel je répondis par un sourire apaisant. Je ne voulais pas le
voir angoisser, bien au contraire, je ne voulais que son bonheur !
Nous entrâmes dans l'hôtel main dans la main. Il paya la chambre en évitant
de me regarder, sans doute un peu gêné par le sourire goguenard de la
réceptionniste. Il récupéra la clef de la chambre et nous nous dirigeâmes vers les
ascenseurs pour rejoindre l'étage.
Je le sentais m'échapper peu à peu. A mesure que nous avancions vers
l'inéluctable, il recommençait à hésiter. Les portes de l’ascenseur s'ouvrirent et il
m'invita à passer la première. Je lui faisais signe non avec mon doigt et l'obligeais à
monter le premier. Il n'insista pas et m'obéit docilement. Je montais à sa suite. Il
appuya sur le bouton du troisième. Les portes n'étaient même pas encore
complètement refermées que je m’approchais de lui, telle la lionne sur sa proie.
J'avais envie de le plaquer vivement contre la paroi de l'ascenseur, de palper son
entrejambe en lui collant ma langue au fond de la bouche... mais je me ravisais en
voyant son regard trouble. Je caressais doucement sa joue, dans un geste rassurant.
Il baissa la garde une fraction de seconde. Je comprenais alors que mon petit
agneau n'aimait pas la violence et semblait céder à la douceur. Je levais donc
prudemment mes lèvres vers les siennes et échangeais avec lui un baiser d'une rare
tendresse. Il ferma les yeux et sa main vint jouer timidement dans mes cheveux. Je
me laissais aller à un petit râle de plaisir qui sembla à son goût. Les portes de
l'ascenseur s'ouvrirent. Je décollais mes lèvres des siennes.
— On est arrivé, Dis-je tout bas.
Il cligna plusieurs fois des yeux, visiblement toujours sous le coup de
l'émotion du baiser que je venais de partager avec lui. Je l’attrapais par la main et
l'invitais à me suivre hors de l’ascenseur. Il avait désormais ce regard qu'avait la
plupart des hommes lorsqu'ils me contemplaient, emplie d'un mélange de
convoitise et de désir, et je savais qu'il ne reculerait plus.
Il s'arrêta devant la porte de la chambre et l'ouvrit. Il me fit un signe pour
m'inviter à entrer. Je ne me faisais pas prier et entrais dans la pièce dont je faisais
rapidement le tour des yeux. Classique et un peu cheap, mais ce serait bien
suffisant pour une nuit sans sommeil. Je me tournais vers lui. Il se tenait debout,
devant la porte fermée, les deux mains dans les poches et il me regardait. Non,
non : il m'admirait. Je retirais mon manteau que je déposais sur la chaise au tissu
douteux. J'avançais vers lui, le regard joueur. Il ne bougeait plus, ne souriait plus. Il
ne faisait plus rien.
Je m'arrêtais devant lui et l'embrassais comme un peu plus tôt dans la voiture.
Je l'attrapais par les épaules pour l'inviter à me suivre. Il ne me résista pas et
m'obéit docilement. Je le poussais sur le lit. Il se laissa tomber assis, mais ne me
quitta pas des yeux une seconde. Je retirais mes chaussures et me défaisais de mes
collants le plus sensuellement possible. Ah, j'aurais préféré me défaire élégamment
de mes bas, mais je n'avais pas prévu que la soirée terminerait aussi agréablement.
Je le regardais avec un air coquin en faisant glisser le tissu le long de mes jambes. Il
semblait se délecter du spectacle et se mordait discrètement la lèvre en me
regardant faire.
Je revenais vers le lit et l'obligeais à s'allonger pour me placer au-dessus de
lui. Il se prêta au jeu. Je sentis ses mains descendre le long de mon dos et me
caresser les fesses tandis que nos baisers s'enflammaient. Je plissais les yeux et
soufflais discrètement : j'aimais beaucoup trop cette sensation, il fallait que j'agisse,
et vite.
Je me redressais et attrapais mon sac à main que j'avais laissé par terre pour
récupérer un préservatif. Je ne leur laissais jamais prendre nos précautions : je
connaissais trop bien leurs fantasmes et leurs habitudes d'hommes mariés pour
savoir que la capote, ce n'était carrément pas une évidence pour eux.
Je m'amusais à le faire jouer entre mes doigts en lui adressant un regard plein
de promesses. J'aperçus une petite étincelle d'angoisse au fond de ses yeux. Il tenta
de se reprendre presque aussitôt mais c'était trop tard et j'avais vu ce qui le
troublait : il se demandait s'il allait être à la hauteur. Il n'avait pas besoin d'être à la
hauteur : je l'étais pour deux.
J'abandonnais mon préservatif sur le lit et l'invitais à se redresser pour lui
retirer sa veste. Je balançais cette dernière plus loin sans ménagement. Je défaisais
ensuite sa cravate et la déposais à côté de moi. Je déboutonnais sa chemise
lentement, prenant le temps d'embrasser chaque nouvelle partie de son corps qui
s'offrait à moi. Pas de musculature excessive, ni d'outrageuse moquette ou de
piercing équivoque, mais des muscles bien dessinés et une peau douce et lisse...
bref, exactement ce que j'aimais.
Je faisais glisser sa chemise le long de ses épaules où découvrais... un
tatouage.
— Oh, Fis-je en riant, Monsieur est un rebelle... tu caches bien ton jeu !
Il sourit, gêné. Mon cœur fit une drôle d'embardée.
— Une erreur de jeunesse, M'expliqua-t-il en désignant son épaule où se
trouvait gravée une sorte de tête de mort stylisée.
Je levais les sourcils.
— J'adore...
— Ah oui ?, Demanda-t-il perdu.
Je hochais la tête.
— Oui, c'est... sexy, Dis-je en rapprochant mes lèvres de son épaule pour
l'embrasser sur son tatouage, mes yeux toujours accrochés aux siens.
Il lâcha un petit soupir désespéré.
— Tu es vraiment... merveilleuse.
Son compliment me mit le rose aux joues.
On m'avait dit que j'étais belle, jolie, sexy, ou même quelques autres trucs
beaucoup moins classes mais qui passaient quand on avait quelques verres dans le
nez et plus tellement de vêtements sur le dos, mais on ne m'avait encore jamais dit
que j'étais merveilleuse. Peut-être était-ce un peu la vodka qui parlait, mais il y
avait quelque chose de sincère dans ce compliment, quelque chose dans sa façon de
prononcer ces quelques mots et de me regarder à ce moment-là, qui me donnait
envie de croire qu'il le pensait un peu.
Je me penchais en avant pour l'embrasser avec mon cœur, le genre de baiser
que je réservais à ceux qui en valaient vraiment la peine. Je voulais juste le
remercier de me donner l'impression d'être exceptionnelle alors que je savais au
fond de moi que ce que je m'apprêtais à faire était le truc le plus minable au monde.
— Merci, Chuchotais-je en reprenant sa cravate.
Je le poussais à se rallonger sur le lit. Il se laissa tomber en arrière. J'attrapais
ses poignets que je plaçais au-dessus de sa tête et nouais ceux-ci avec sa cravate. Il
me regardait faire, impressionné.
La plupart des mecs trouvaient ça excitant, mais pour moi, c'était surtout une
façon d'instaurer des limites et de la distance. En effet, difficile de s'attacher à
quelqu'un lorsqu'on ignore les sensations qu'il peut vous offrir.
Il sourit en me voyant vérifier son attache.
— Voilà, Dis-je satisfaite.
— Ma foi, Observa-t-il, C'est plutôt bien parti.
Je souris en défaisant sa ceinture que je faisais sensuellement glisser entre mes
doigts avant de la jeter plus loin, sur sa veste. Il me regardait faire, l’œil brillant. Je
prenais mon temps pour défaire la fermeture Éclair de ma robe. Je me tortillais
légèrement de droite à gauche, à califourchon sur lui, histoire de stimuler la bête. Je
retirais lentement ma robe, faisant durer le plaisir de la découverte. Je balançais ma
robe derrière moi, sans même regarder où elle atterrit. Il souriait en me contemplant
avec envie. Petit soutien-gorge noir très simple, mais je n'avais pas besoin de
subterfuge : je sublimais la lingerie et non l'inverse.
Je me penchais sur lui et collais ma bouche à la sienne sans élégance.
— Ça fait un moment que j'ai pas baisé, Avouais-je d'une voix rauque.
Il plissa les yeux.
— Super classe, Dit-il en faisant la grimace.
Je ris en lui retirant son pantalon.
— Oh, allez, fais pas ton prude, là ! Toi aussi, ça fait longtemps que tu t'es pas
envoyé en l'air, et je suis sûre que ça t'excite de m'entendre parler comme ça.
Je jetais le pantalon plus loin et retirais rapidement ses chaussettes. Il réfléchit
quelques secondes.
— Hum, ouais, non, je suis pas sûr que cette façon de parler soit très
excitante...
Je levais un sourcil en le regardant devant moi. Le boxer Dolce & Gabana...
classe.
— Mmh..., Fis-je défaisant les attaches de mon soutien-gorge avant de
balancer vivement celui-ci plus loin pour lui laisser tout le loisir d'admirer la plus
belle partie de mon anatomie.
Il me sembla que sa mâchoire était tombée.
— Permets-moi de te dire que..., Je me rasseyais sur lui pour l'embrasser à
pleine bouche. Je le sentis trembler, Tu es... un petit menteur, Ajoutais-je en faisant
glisser ma main plus bas, histoire de découvrir ce que cachait Dolce &
Gabana. Parfait. Ce mec était PAR-FAIT.
Nous reprîmes nos baisers enivrants.
J'aimais beaucoup la sensation de ses lèvres sur les miennes. Il avait une façon
toute personnelle de m'embrasser, à la fois timide et sensuelle, c'était très agréable.
Je tremblais en sentant la caresse de ses doigts sur mes hanches... Ses doigts sur
mes hanches ?! Je rouvrais les yeux, paniquée : il me touchait !
Il m'attrapa par la taille et me retourna contre le lit. Comment avait-il fait pour
défaire sa cravate ? J'étais pourtant une experte en la matière !
— Attends, attends, attends, Dis-je sur un ton qui trahissait un peu de panique.
Je fermais les yeux en sentant ses mains sur mes cuisses. Chaque fois que ses
doigts me frôlaient, mon cœur se soulevait, et j'étais prise d'un étrange frisson.
— Moi aussi, on m'a appris à faire des nœuds, Me dit-il en m'embrassant dans
le cou.
J'avais l'impression que sa bouche était brûlante. Je le serrais contre moi et
basculais la tête en arrière en soufflant bruyamment.
— Et surtout..., Il se redressa pour pouvoir me regarder dans les yeux. Son
sourire me donna un nouveau frisson, A les défaire...
Je tentais de me reprendre et ravalais bruyamment ma salive en sentant sa
bouche descendre sur moi.
— Non, non, attends, Tentais-je de lutter, C'est pas comme ça que... Oh
oui... !
Il faisait jouer ses lèvres sur la partie de mon corps que je lui avais fièrement
présentée quelques secondes plus tôt. Je plissais les yeux : pourquoi était-ce si
bon ?
— Tu veux... me rattacher ?, Me demanda-t-il entre deux baisers.
Je secouais la tête : tant pis, il m'en fallait encore, plus, beaucoup, tout de
suite, tout le temps.
— Non, Soufflais-je en secouant la tête, C'est juste que... t'étais pas censé me
toucher, Dis-je en m'accrochant aux draps.
Monsieur se faisait délicieusement entreprenant et l'intensité de ma voix avait
augmenté sur la fin de ma phrase qui avait ensuite terminée dans un petit
gémissement de plaisir. Ma réaction sembla le rassurer.
— Comment résister ?, Me demanda-t-il avant de reprendre ses baisers... à un
endroit ignorer par beaucoup trop de mes précédents partenaires.
Était-ce juste parce que je ne m'étais pas laissée aller depuis un long moment
en compagnie d'un homme, ou bien était-il particulièrement doué ? Ou un combiné
des deux ? Je l'ignorais, mais en tout cas, j'avais rarement pris autant de plaisir. Il
me touchait comme je n'avais jamais laissé personne me toucher depuis deux ans...
Et comme jamais aucun homme ne m'avait touchée tout court.
Au début, j'évitais un maximum de le toucher pour compenser un peu le fait
qu'il se soit détacher et instaurer ainsi une nouvelle forme de distance... mais au
bout de dix minutes (oui, dix minutes, oui), j’abandonnais et lui caressais les
cheveux, la nuque, les épaules, le dos, les fesses... j'enfonçais mes ongles dans sa
peau, le pressais contre moi pour l'inviter à plus d'intensité et l'embrassais avec
passion pour lui montrer à quel point il me faisait vibrer. Jamais un homme n'avait
autant cherché à me satisfaire et c'était un pur bonheur. Je tentais d'être à sa
hauteur, de me montrer aussi généreuse que lui, et j'avais le sentiment que lui aussi
passait un agréable moment.
Je soufflais longuement, épuisée. Il déposait des tas de petits baisers dans mon
cou. Nous étions redescendus de notre petit nuage et il allait falloir parler.
Habituellement, je m'arrangeais pour éviter les discussions sur l'oreiller, mais là,
étant donnée notre position, j'allais avoir du mal à filer sans son consentement.
— Ça va ?, Me demanda-t-il inquiet.
Il était à bout de souffle.
Je ris franchement en passant ma main dans ses cheveux soyeux. Je m'étais
pourtant suffisamment exprimée ce soir pour qu'il n'ait aucun doute sur la qualité de
sa « performance », mais je comprenais qu'il était enfermé dans des habitudes et
qu'aujourd'hui, perdu dans l'inédit, il avait besoin qu'on le rassure.
— C'était absolument parfait, Dis-je sans pouvoir m'empêcher de sourire.
— Vraiment ?, Me demanda-t-il incrédule.
Je hochais plusieurs fois la tête avec un regard entendu.
— Ooooh oui. Vraiment.
Il souffla, soulagé, et retrouva le sourire.
— Non, parce que ça faisait un moment que j'avais pas...
Il s'arrêta là et regarda ailleurs. Je l'invitais à continuer du regard.
— … Et je pense que tu n'en as strictement rien à faire !, Conclut-il un peu
sarcastique.
Je ris doucement en caressant sa poitrine. J'aurais pu passer ma nuit sous cet
homme...
— Si ça peut te rassurer, ça ne se voit pas du tout !
Il rit, un peu gêné.
Nous nous tûmes progressivement, les yeux dans les yeux. Il perdit son
sourire et se pencha lentement vers moi pour m'embrasser. Je fermais les yeux et
m'accrochais à lui en tremblant.
Nous nous étions un peu embrassés ce soir... Bon, en fait, nous nous étions
beaucoup embrassés... non, en vérité, nous avions passé notre temps à ça, mais ça
n'avait rien à voir avec ce qui se passait là. Tout au long de la soirée, c'était moi qui
l'avais embrassé et il se contentait de répondre. Là, ce n'était pas moi qui menais la
danse, c'était lui. Et ce n'était pas le baiser d'un amant d'un soir chargé de
reconnaissance et de culpabilité. Il y avait des tas de choses que je ne comprenais
pas dans ce baiser : de la tendresse, de l'admiration et autre chose. Quelque chose
que j'avais peur de comprendre.
Quand ses lèvres s'étaient emparées des miennes, il m'avait pris quelque chose
d'autre, quelque chose de beaucoup plus précieux. Quelque chose que je ne
récupérerai jamais.
Il s'éloigna doucement.
— Waouh..., Lâcha-t-il dans un souffle.
Nous respirions tous les deux très vite et mes mains ne pouvaient plus quitter
sa nuque, impossible. Je ne savais plus parler. Je levais les yeux vers lui et fus prise
d'un vertige.
— Un souci ?, Demanda-t-il rieur.
Il avait vu que quelque chose n'allait pas. Je secouais la tête, refusant de
comprendre ce qui m'arrivait.
— Non, rien... c'est juste que... je...
Je regardais ses yeux gris, ce bleu si particulier qui me transperçait et ce
sourire extraordinaire, et mon cœur fit un truc horrible dans ma poitrine.
— Ta femme, Dis-je d'une traite.
Il écarquilla les yeux, abasourdi par le mot que j'avais osé prononcer.
— Elle... elle a de la chance, Balbutiais-je pour tenter de rattraper mes délires.
J'étais en train de déconner à bloc. Il se crispa totalement.
— Je ne suis pas certain de partager cet avis, Dit-il froidement en s'éloignant.
Je me rasseyais en tirant le drap sur moi. Je tremblais, je respirais mal, j'avais
très chaud et je n'arrivais plus à penser.
— Je... je vais... à la salle de bain, hein, Dis-je en me relevant.
Je ramassais rapidement mes affaires et filais vers la salle de bain. Il me
regarda m'échapper sans comprendre. Je fermais la porte derrière moi et soufflais
longuement.
Oh merde, quel malaise ! Qu'est-ce que j'étais en train de faire, là ? Qu'est-ce
qui m'avait pris de lui balancer ça ? Oh non, non, non. Je me tapotais le visage en
me regardant dans le miroir. Non, ce n'était pas le moment de m'amouracher d'un
type comme lui. J'allumais l'eau et prenais une douche rapide, histoire de me
remettre les idées en place. En sortant de la douche, je m'aperçus que ça n'avait pas
marché du tout et que je ressentais toujours cette espèce de petit haut-le-cœur
chaque fois que je pensais à lui.
Je me rhabillais à la va-vite et restais un moment à me regarder dans le miroir
en faisant des exercices de respiration pour tenter de me calmer.
— Pas de panique, tout va bien, Tentais-je de me convaincre, Surtout, pas de
panique...
Je retrouvais à peu près une contenance et décidais de le rejoindre avant qu'il
ne s'inquiète. Je soufflais une dernière fois et ouvrais la porte de la salle de bain
d'un geste vif. Il n'y avait plus personne dans la chambre.
— Gus ?, Appelais-je en faisant le tour de la pièce du regard.
J'étais abasourdie : il s'était tiré encore plus vite que moi habituellement. Je
m'approchais du lit et trouvais sa carte de visite posée sur les draps entortillés. Il
avait simplement écrit « Merci pour la soirée ».
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