Rapport François GILBERT - Ordre des Avocats au Conseil d`Etat et

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Rapport François GILBERT - Ordre des Avocats au Conseil d`Etat et
Conférence du stage des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation
Séance du 5 janvier 2015
Rapport de M. François Gilbert, Quatrième secrétaire
Madame, Monsieur, bonsoir,
Celui qui prononça ces mots chaque soir, devant jusqu’à 15 millions de téléspectateurs,
pendant plus de vingt ans, a été licencié en juillet 2008. Le présentateur éconduit s’en épancha
immédiatement dans la presse, se plaignant d’avoir été « trahi ».
C’est ainsi qu’est intervenue une transaction ayant pour objet de mettre fin à toute
contestation résultant de cette rupture. Elle stipulait notamment un engagement du salarié de
s'interdire, pendant 18 mois, toute publication critiquant ou dénigrant TF1, ses programmes,
ses dirigeants et ses collaborateurs.
Mais, moins d’un mois après, l’intéressé publiait un ouvrage dans lequel il tenait des propos
très critiques à l’égard de TF1 : À demain ! En chemin vers ma liberté.
Rendez-vous fut pris. TF1 saisit le Conseil des prud’hommes d’une demande de dommageset-intérêts à raison de la violation de l’engagement de non dénigrement. Le présentateur
excipa de la nullité de la clause. En vain.
Au bout du chemin, il ne trouva pas la liberté, mais une condamnation à 400 000 € de
dommages-et-intérêts.
L’homme, qui aime rappeler cette phrase de Saint-Exupéry : « victoire, défaite, ces mots n'ont
point de sens », n’entendait pas, pour autant, en rester là. Il vous invite à répondre à la
question suivante :
« La liberté d’expression fait-elle obstacle à ce qu’une transaction restreigne le droit de
critique du salarié ? »
Mode alternatif de règlement des litiges, certes, la transaction demeure avant tout un contrat.
À ce titre, elle se trouve soumise aux dispositions de l’article 6 du code civil, aux termes
desquelles « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent
l'ordre public et les bonnes mœurs ».
Et, si une partie peut toujours renoncer aux effets acquis de l'application d'une loi, fût-elle
d'ordre public, lorsque la transaction porte sur des situations futures, elle se trouve sous la
contrainte de l’ordre public. C’est cette distinction qui implique qu’une transaction portant sur
le licenciement soit nulle si elle intervient avant celui-ci, mais en principe licite si elle
intervient après.
En l’espèce, la clause de la transaction restreint pour l’avenir la liberté d’expression du
salarié. Elle encourt donc la nullité si elle se heurte à l’ordre public.
Est-ce le cas ?
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D’abord, il ne fait guère de doute que la liberté d’expression est d’ordre public. Les droits
fondamentaux, socles des autres droits, s’imposent à tout acte, y compris d’ailleurs aux autres
règles d’ordre public.
En matière de relations de travail, l’article L. 1121-1 du code du travail consacre d’ailleurs ce
caractère d’ordre public, en énonçant que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et
aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la
nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Ensuite, la liberté d’expression est la règle, seul son abus étant réprimé.
Vous avez ainsi jugé, à plusieurs reprises, que n’était pas fautif le fait, pour un salarié, de
critiquer son employeur, au sein de l’entreprise, dans des termes ni injurieux, ni diffamatoires,
ni excessifs.
On pourrait, dès lors, être tenté de suivre la thèse du pourvoi, selon laquelle est illicite une
clause qui contraint le salarié, non seulement à ne pas abuser de son droit de critique
(l’interdiction de dénigrer), mais également à n’en pas user (l’interdiction de critiquer).
Deux considérations déterminantes nous empêchent toutefois de le suivre dans cette voie.
D’une part, il est nécessaire de faire une distinction entre l’expression dans l’entreprise et hors
de l’entreprise. Si hors de l’entreprise, le salarié bénéficie, en principe, d’une plus grande
latitude, tel n’est pas le cas lorsqu’il s’agit d’y aborder ses relations de travail.
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En effet, si la critique de l’entreprise au sein de celle-ci peut répondre à une certaine utilité,
elle devient en revanche déloyale, et vire au dénigrement, lorsqu’elle est faite hors de
l’entreprise. Et, dans une transaction faisant suite à un licenciement, la restriction du droit de
critique porte, par définition, sur celle faite en dehors de l’entreprise.
D’autre part, votre jurisprudence a été dégagée en l’absence de toute clause contraire. Elle
n’empêche pas, à notre sens, que les parties y apportent des restrictions, si elles sont justifiées
et proportionnées.
Dès lors, la question posée appelle, dans sa généralité, une réponse négative.
On ajoutera, pour être complet, qu’en l’espèce, au regard de la publicité donnée à la rupture et
des limitations quant à son objet et à sa durée, la clause apparaît bien, répondre aux conditions
de nécessité et de proportionnalité.
Vous rejetterez.
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