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 LES MÉDECINS ET LA VIE DE LA JEUNE FILLE
Ann Voisin
Les médecins et la
vie de la jeune fille
Roman
Editions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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© Editions Persée, 2015
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DE LA MÊME AUTEURE :
Fabienne – Les négligences médicales sont-elles une fatalité ?
« Histoire de vie », Éditions l’Harmattan.
Remerciements à Paule Dehay pour la création originale de
la première et de la quatrième de couverture de ce livre.
À mes enfants
LA DEMANDE
N
ous sommes dans le service maternité-obstétrique d’un
hôpital général situé au nord de la région parisienne. Dans
une chambre, une toute jeune fille écoute Pascal qui la réconforte
tout en lui caressant la main. Fanette, qui paraît souffrir, sourit
cependant. Pensif, le jeune homme décroise en silence les longues mèches ondulées coiffées en tresses sages et, doucement,
tendrement, embrasse les cheveux de la malade. Elle rougit. « Je
l’aimais bien et je ne savais pas qu’il était si gentil » se dit-elle.
« Quelle douceur, je la trouve vraiment jolie, et cette chevelure
merveilleuse… » pense Pascal. Attendri, il s’adresse à Fanette
avec nostalgie :
« Tu te souviens, quand tu es venue pour ton premier cours
de maths. Tu t’es présentée, j’ai été immédiatement conquis par
l’adolescente délicieuse que tu étais ; ce que tu m’amusais avec
ton humour acide et tes taquineries. J’ai vite apprécié ta finesse et
ton intelligence. »
Il s’est exprimé avec une telle émotion, en lui caressant de
nouveau la main, qu’elle, émerveillée, ne répond pas, alors très
doucement :
« Fanie, je pense à toi tout le temps, surtout depuis que tu as
été opérée, tu ne me quittes pas ! À la fin de ton hospitalisation, je
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voudrais t’aider, que tu viennes vivre avec moi, tu seras heureuse,
je te le promets ! Dis-moi oui, je t’en supplie ! »
Bouleversée par cette proposition, le visage rouge et les yeux
mouillés, la petite murmure :
« Je ne peux pas, tu te rends compte, j’ai à peine seize ans et toi
tu en as vingt-cinq, et puis maman ne voudra jamais ! »
Contrarié, au bord des larmes :
« Je lui parlerai à ta mère, elle m’estime et a de l’amitié pour
moi, tu verras, elle acceptera !
— Moi je sais qu’elle ne voudra pas.
— Est-ce que tu m’aimes au moins ? » lui demande-t-il inquiet.
Elle tente de le rassurer :
« Tu es quelqu’un que je respecte. Tu m’avais dit que tu étais
avec Isabelle… Je ne veux pas laisser ma mère et mon petit frère
seuls, on est bien tous les trois.
— Comme tu me fais de la peine ! C’est vrai que je vois Isabelle,
maintenant je sais que c’est avec toi que je veux vivre. »
Elle lui paraît épuisée.
« Excuse-moi, ma Fanette, je te fatigue. »
Il pose sa tête sur l’épaule de la jeune fille qui n’ose bouger ;
tous les deux restent calmes. De ses grands bras, il entoure le corps
de la petite et se rapprochant lui dépose un baiser dans le cou et sur
la joue, enfouit sa figure dans les tresses défaites ; le visage de la
petite s’illumine d’un doux sourire, Pascal découvre cette expression et se sent envahi par le désir, l’embrasse sur le front puis, se
dirigeant vers la porte, se retourne :
« Je t’aime Fanie, souviens-toi que je t’aime, je reviens
demain ! »
Bouleversé, il rentre chez lui. « Elle ne sait pas la tendresse
folle que j’éprouve pour elle, et c’est vrai qu’avec Isabelle, nous
devions nous mettre ensemble, comment faire ? » Au fil des visites
du jeune homme, ses mots et ses gestes remplis de douceur, dont a
bien besoin l’enfant, la réconfortent plus qu’il ne l’imagine. Après
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chacun de ses départs, ravie autant qu’émue, elle peut rêver tout
en s’interrogeant sur l’amour. Peut-être a-t-elle peur parfois que
Pascal n’ait qu’un sentiment de tendresse passagère à son égard.
La maman demeure toujours dans l’expectative concernant la
maladie dont souffre sa fille. Aide-soignante depuis dix ans en
cancérologie dans un autre établissement de soins, elle s’accroche
à une erreur de sa part puisque le médecin n’a encore rien précisé ;
pour elle, ce ne peut être qu’un cancer. Sur son lieu de travail, un
jour que l’assistante se trouve dans le bureau médical, elle frappe
à cette porte.
« Bonjour madame, je voudrais vous entretenir d’un problème
personnel.
— Oui, bonjour Sophie, que se passe-t-il ?
— Ma fille hospitalisée a subi une intervention que le médecin
ne nomme pas, après l’avoir opérée, le chirurgien m’a déclaré :
“J’ai laissé le nodule qu’elle a dans le vagin afin qu’elle puisse
avoir des relations sexuelles normales plus tard”. Moi je pense
qu’elle a un cancer.
— Non voyons, ça n’est peut-être pas si grave que cela !
— Vous pensez ?
— Oui ! »
Indécise, Sophie retourne à son travail encore plus anxieuse
qu’avant l’entretien. « Je suis aide-soignante et elle me prend pour
une débile ! Comment faire pour sauver ma gosse ? »
Elle est consternée.
Quand, suivant ses horaires, elle arrive dans le service dans
lequel sa fille l’attend, elle observe que les infirmières fuient. En
arrivant chez elle, elle s’interroge : « Qu’est-ce qui les effraie à
ce point ? Dans leurs études, elles apprennent comme nous que
ça n’est pas un virus qui s’attrape, et pourquoi ont-elles si peur,
impossible de parvenir à la moindre rencontre avec un membre
de cette équipe ? Dans mon travail, je vis tous les jours avec des
personnes atteintes d’un cancer, je crains la suite. Dire que le
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chirurgien a laissé ce nodule dans le vagin de ma fille “afin qu’elle
ait une vie sexuelle normale” comme il m’a dit, ce ne peut être
qu’une métastase, et tout repartira de là ! »
Elle se réveille la nuit avec cette question : est-ce un cancer ?
Elle veut savoir, seulement elle a tellement peur. « Si ma gamine
était atteinte d’une maladie pareille, le médecin-chef ne l’aurait pas
gardée alors que nous sommes relativement proches de Villejuif.
S’il fallait défendre mon enfant, je me sens si seule, si démunie, je
ne sais ce que je dois faire ! »
En cette fin d’après-midi, après avoir tant pleuré, Sophie a
besoin de se confier à son amie infirmière qui loge dans l’appartement en dessous du sien. Caroline l’accueille chaleureusement
comme à son habitude et la pauvre maman craque littéralement
dans ses bras.
« Prends un rendez-vous chez le médecin et si tu veux, je t’y
accompagne.
— Oui, tu as raison, je vais téléphoner, je suis à bout ! »
Rentré du collège, le frère de Fanette âgé de douze ans reconnaît les sanglots de sa mère à travers les cloisons mal insonorisées
de l’immeuble, comprend que sa sœur va mal et attend, inquiet.
Plus tard, Sophie trouve la force de rencontrer le regard triste de
son fils. À la fin d’un souper silencieux, elle et Guillaume s’embrassent affectueusement et chacun rejoint sa chambre.
Dominée par la peur, la mère rencontre le médecin de cobalthérapie qui nomme la maladie. « Je ne m’étais pas trompée. »
Anéantie, et hantée par le risque de mort de son enfant, elle sait
qu’il lui faudra faire face.
Quand la petite cancéreuse sort de l’hôpital, il y a négation de
la gravité de la maladie par l’équipe puisque aucun suivi n’est
instauré par un médecin.
La mère et la fille accrochées l’une à l’autre rentrent chez elles
en ambulance.
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La malade va seule en transport spécialisé pour sa première
séance de cobalthérapie, le chauffeur ignorant sans doute sa maladie et sa souffrance ne l’aide pas à monter dans la voiture. Arrivés à
l’unité de soin, il ne lui propose pas non plus son soutien. Il allume
une cigarette et attend la jeune fille en fumant, tandis qu’elle doit
se cramponner à la rampe pour rejoindre la salle de radiothérapie.
Complètement épuisée, elle ne s’exprime pas auprès du médecin et à la fin de l’épreuve, alors qu’il l’aide à se relever, elle lui
demande :
« Docteur, c’est un kyste que j’ai ou quelque chose de plus
grave ?
Sans trop se rendre compte de l’âge de « sa patiente », ce dernier lui répond :
— Tu as eu un cancer de l’ovaire, ne t’inquiète pas, je pratique
la dose maximale et sans danger, tu verras, tout ira bien ! »
L’adolescente, assommée et choquée par cette révélation, blêmit, il lui faudra beaucoup de temps pour rejoindre l’ambulancier qui fume toujours en l’attendant. Arrivée chez elle, le visage
défait, presque livide, elle pose des questions à sa mère revenue
de son travail.
Raidie et la voix sourde :
« Dis-moi maman, l’interne qui nous avait reçues, à mon entrée
à l’hôpital, avait bien expliqué que j’avais un kyste ?
— Oui, répond doucement Sophie en regardant sa fille. »
À cet instant, elle la voit maigre, triste et pâle.
L’enfant se tient droite devant sa mère qui sent un tremblement
l’envahir, Fanette ne la lâche pas des yeux, elle veut la vérité :
« S’ils ne me l’avaient pas enlevé, j’aurais eu un cancer ?
Les larmes aux yeux et rouge d’émotion, Sophie avoue :
— Oui, ma Fanie, le chirurgien a tout enlevé pour ta sécurité.
Rappelle-toi, il te l’avait dit.
— Tu sais maman, dit la jeune fille en se rapprochant, dès le
lendemain de mon opération, je souffrais tellement que j’ai pensé
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