Espagne : régularisation et intégration sociale et

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Espagne : régularisation et intégration sociale et
culture(s)
L’immigration est devenue un énorme défi démocratique pour un pays comme
l’Espagne, qui avait connu jusqu’à la fin des années 80 une longue et massive tradition de population émigrante ou en exil en Europe et en Amérique latine. La fin de
la dictature, la consolidation de la démocratie et l’entrée dans la Communauté européenne ont amené le retour d’une majorité des Espagnols de l’extérieur.
Espagne : régularisation
et intégration sociale
et politique
accueillir no 244
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Ces dernières années, de profondes
transformations, des développements
rapide, ainsi que la croissance et la prospérité ont aussi conduit vers l’Espagne,
comme porte et vitrine de l’Europe, les
habitants des pays géographiquement
voisins du nord de l’Afrique et culturellement proche de l’Amérique latine,
deux zones avec lesquelles se creusait
un différend économique et démocratique chaque fois plus flagrant.
encourus et ce solde augmenteront
jusqu’à 3 000 millions vers 2010. Par
ailleurs, presque 2 millions, 18,7 % de
cotisants à la Sécurité sociale, sont des
immigrants, ce qui maintient le bilan
social en équilibre positif. Pourtant, ces
résultats ne font pas oublier les problèmes subsistants : la faible productivité, la fragilité de l’emploi en cas de
crise dans les secteurs plus ciblés (agriculture, construction,...) ainsi que les
demandes futures.
La régularisation et l’intégration
Entre 2000 et 2007, le nombre des
immigrants en Espagne est passé de
920 000 à 4,48 millions (selon le dernier
enregistrement
communal).
L’année 2005 a été spécialement marquée par la procédure extraordinaire de
régularisation entamée par le nouveau
gouvernement de José Luis Rodriguez
Zapatero qui a fait sortir de l’économie
irrégulière et de l’exploitation illégale
plus de 750 000 personnes, après
l’échec des successives opérations partielles de régularisation appliquées par
le gouvernement de droite.
Le succès de l’action du gouvernement
du Parti socialiste ouvrier espagnol
(Psoe) en 2005 pour sortir les immigrants de la clandestinité s’est basé sur
trois axes principaux : un accord cadre
fort avec les partenaires sociaux, un
plan rigoureux de lutte contre l’immigration illégale et un engagement solide
en faveur de l’intégration positive des
immigrants dans la société espagnole.
Les conséquences de l’accord du gouvernement avec les syndicats et le
patronat ont permis que les ressources
obtenues par les effets économiques de
l’immigration excédent 2 000 millions
d’euros (soit 0,02 % du Pib) ; les coûts
En ce qui concerne la lutte contre
l’immigration clandestine et contre les
mafias, le gouvernement espagnol a
immédiatement inscrit son action dans
une logique concertée et renforcée au
sein de l’Union européenne, dont le premier fruit est l’agence Frontex pour la
vigilance des frontières maritimes et
terrestres.
Finalement, l’engagement en faveur de
l’intégration des immigrants s’est matérialisé au début par la création en 2005
du Fonds d’intégration des immigrés,
avec une allocation de 120 millions
d’euros qui était partagée en 60 % entre
l’accueil et l’intégration, et 40 % pour
améliorer le niveau d’éducation. Il faut
noter le contraste avec les 7 millions
d’euros que le dernier gouvernement de
droite avait destinés en 2004 à l’intégration des immigrants. Actuellement,
le gouvernement du Psoe vient
d’adopter le Plan stratégique de
citoyenneté et intégration pour
2007-2010 avec un budget de plus de
2 005 millions d’euros et douze
actions : accueil, éducation, emploi,
logement, services sociaux, santé,
enfance et jeunesse, égalité de chances,
femme, participation, sensibilisation et
co-développement.
Il est important de signaler que les
débats qui ont mené le gouvernement à
cet engagement clair en faveur de l’intégration des immigrants et qui retracent
le parcours d’autres pays d’immigration
trouvent un fort écho aussi au sein de
l’Union européenne et a pour effet que
la Commission a mis sur la table, entre
autres, des propositions concernant des
sanctions pénales contre l’emploi
illégal des immigrants, pour donner la
priorité à l’intégration à l’école ou un
engagement fort pour garantir l’assistance sanitaire aux immigrants en situation irrégulière.
Mais pour que cette intégration économique, sociale et culturelle puisse se
faire en pleine garantie, il faut l’accompagner de la promotion des droits politiques et civils, pour faciliter l’intégration des immigrants aussi dans la prise
des décisions. Dans ce sens, le Tribunal
constitutionnel espagnol vient tout juste
de donner raison au Psoe en déclarant
inconstitutionnels trois articles de la loi
pour les étrangers adoptée par le gouvernement du PP en 2000. Ces articles
conditionnaient l’exercice du droit de
réunion, d’association et la liberté
d’adhérer à un syndicat aux étrangers
ayant déjà obtenu l’autorisation préalable de séjour ou de résidence en
Espagne. La reconnaissance des droits
civils n’est jamais acquise pour toujours. Il faut, donc, rester vigilant.
Les droits politiques
Concernant les droits politiques, spécialement le droit de vote et d’être éligible,
les choses avancent encore très lentement. Et pourtant, le droit de vote pour
les étrangers signifie plus pour la
société d’accueil en termes d’approfondissement de la démocratie que pour les
Cette conviction est à la base de la
citoyenneté européenne, ainsi que la
volonté de faciliter une meilleure intégration dans le pays d’accueil. Le développement du concept de « citoyenneté
européenne » a été un des grands acquis
du Traité de Maastricht et a donné un
grand élan au droit de suffrage dans
l’UE en ajoutant aux droits des nationaux des États membres le droit de circuler et de résider librement dans le territoire de l’UE, le droit à la protection
diplomatique dans les pays tiers, le droit
de pétition devant le Parlement européen et les médiateurs des États membres, ainsi que le droit de voter et d’être
éligible dans l’État membre de résidence pour les élections locales et les
élections au Parlement européen dans
les mêmes conditions que les nationaux
de cet État.
L’Espagne n’a pas opposé d’objections
significatives aux propositions de la
commission à ce sujet dans la directive
94/80/EC sur les élections municipales
et le droit de vote et d’éligibilité des
citoyens de l’Union : la loi organique
du régime électoral général espagnol a
été modifiée pour inclure la reconnaissance des droits de suffrage actif et
passif aux résidents communautaires
dans les mêmes conditions que les
citoyens espagnols. Dans les trois élections qui ont suivi à cette ouverture, la
participation n’a pas été trop élevée
(environ un quart des résidents avec le
droit de vote ont exercé ce droit), cela
est dû surtout à des problèmes d’enregistrement pour le vote et aux difficultés linguistiques. Pourtant, l’essor
dans le vote des citoyens communautaires a renforcé les positions en faveur
du vote des immigrants et a relancé le
débat, aussi bien en Espagne que dans
l’UE.
Aujourd’hui, seulement une minorité
des pays de l’UE ont reconnu aux immigrants le droit de vote et le droit à être
candidats : l’Irlande depuis 1963, la
Belgique
(avec
presque
10 %
Au Parlement européen, les débats sur
la citoyenneté européenne n’ont pas
encore abouti à des résultats conclusifs
en faveur du droit de vote des immigrants, malgré le recours à la Convention du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie
politique locale de 1992, qui ne résout
pas non plus le problème que pose l’exigence de réciprocité par rapport aux
pays qui ne sont pas membres du
Conseil.
Et c’est précisément ce principe de réciprocité, qui a été inscrit comme condition dans l’article 13.2 de la Constitution espagnole de 1978, qui représente
actuellement le plus grand obstacle au
progrès du droit de soufrage actif et
passif pour les immigrants. Pourtant, ce
principe de réciprocité n’était pas prévu
pour être appliqué aux immigrants.
En 1978, les auteurs de la première
Constitution démocratique après la dictature de Franco ne pensaient pas du
tout à l’immigration, mais aux presque
million et demi d’émigrants espagnols
qui résidaient à l’étranger. L’intérêt primordial était de garantir le meilleur traitement possible pour les travailleurs
espagnols de la part des États de destination en imposant la réciprocité aux
droits octroyés par l’Espagne aux étrangers. La réalité espagnole a beaucoup
changé depuis 1978, et les limites
constitutionnelles
qui
auparavant
étaient nécessaires posent aujourd’hui
des problèmes nouveaux pour lesquels
le gouvernement socialiste propose
toute une série des mesures dans le Plan
stratégique de citoyenneté et intégration
2007-2010, déjà en vigueur.
politiques des immigrants : 78 % des
Espagnols pensent que les immigrants
devraient avoir le droit d’obtenir la
nationalité espagnole ; 61 % pensent
qu’ils devraient pouvoir voter aux élections locales et 53 % aux élections
générales.
Le Plan stratégique espagnol prend
comme base la Convention de 1992 du
Conseil de l’Europe, ainsi que la
communication de la Commission de
2003, les décisions du Conseil de l’UE
de 2004 et les différentes résolutions du
Parlement européen sur l’intégration
des immigrants. Il reconnaît le droit de
vote des immigrants comme le chemin
qui facilite leur intégration et leur participation dans le processus démocratique pour construire un espace public
commun et éviter les risques de ghetto.
Concernant les possibilités d’exercer le
droit de vote offertes par la Constitution
espagnole aux immigrants, le Plan
signale qu’au niveau local, il est exigé
la signature préalable des conventions
bilatérales avec les pays d’origine
(application du principe de réciprocité).
La bonne nouvelle est que le même Plan
propose comme objectif dans son Programme PAR 8 de « stimuler la célébration des conventions bilatérales qui
incluent le droit de suffrage au niveau
local ».
En ce qui concerne le niveau régional
et national, le Plan reconnait qu’il est
nécessaire d’avoir la nationalité espagnole et il explique les conditions ainsi
que les dérogations pour certains pays
(résidence légale et continue de 10 ans
en général, de 2 ans pour les pays avec
des liens historiques et 5 ans pour les
réfugiés). Cette possibilité est devenue
une voie assez utilisée (54 524 étrangers ont obtenu la nationalité espagnole
en 2006) et qui trouve un reflet significatif dans l’armée espagnole, dont un
5,5 % sont déjà des étrangers.
Inès Ayala Sender
Députée MPE groupe du PSE
Parlement européen
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Ce nouveau Plan prend note du fait que
la majorité des Espagnols sont en faveur
de la reconnaissance des droits
1
Pour la situation en France voir Accueillir no 241,
mars 2007, intitulée « La participation des étrangers à la vie civique ».
culture(s)
d’étrangers) depuis 2004, le Danemark
depuis 1981, l’Autriche pour les élections locales à Vienne en 2002, la Suède
depuis 1975 pour les élections locales
et régionales, le Luxembourg depuis
2003, la Finlande depuis 1996, les
Pays-Bas depuis 1985 et l’Italie pour
les élections locales à Rome en 2004.
Tout récemment, les nouveaux États
membres de l’UE, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie l’ont aussi
reconnu. En général, le temps de résidence que ces pays exigent pour
octroyer le droit de vote aux immigrants
oscille entre deux et cinq ans 1.
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accueillir no 244
candidats au vote eux-mêmes (en
Espagne, il s’agît de 9 % de la population : 21,88 % en provenance des pays
de l’UE, 12,17 % des Européens non
UE, 23,48 % originaires de l’Afrique,
35,25 % de l’Amérique latine et le reste
en provenance des États-Unis, Asie...
La moyenne d’âge est de 34 ans,
(54,17 % des hommes, 45,83 % des
femmes).