PuzzlE Somm AIr E - Université de Liège

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PuzzlE Somm AIr E - Université de Liège
Sommaire
Puzzle
Éditorial
Jacqueline Beckers.................................................................................................. 3
« Le métier change, la formation aussi »
Comment contribuer par la formation des agrégés aux réformes
du système éducatif
Jacqueline Beckers.................................................................................................. 4
Médecine
Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique
au développement des compétences : une autre approche
de l’enseignement des activités physiques et sportives
Marc Cloes - Anne Sophie Halkin.......................................................................... 11
Philosophie et Lettres
Quand « philosopher » devient une compétence
Véronique Dortu................................................................................................... 15
Pourquoi j’évite de rebattre les oreilles de mes étudiants avec
les compétences
Jean-Louis Dumortier............................................................................................ 19
Comment former les futurs enseignants en langues
modernes aux réformes du système éducatif ?
Germain Simons.................................................................................................... 23
Développer une compétence fondamentale : voir
Patrick Souveryns.................................................................................................. 32
L’approche par les compétences en didactique des médias
Geneviève Van Cauwenberge - Véronique étienne................................................ 39
Psychologie et
Sciences de
l’éducation
Un dispositif à visée professionnalisante
Jacqueline Beckers - Marie Delchambre - émilie Lourtie....................................... 43
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Sciences
L’enseignement par compétences en sciences biologiques :
le défi des enseignants... et des formateurs
Marie-Noëlle Hindryckx - Christine Daussogne..................................................... 48
Former les futurs professeurs de chimie à la pédagogie
des compétences : quelques propositions pratiques et
pistes de réflexion
Bernard Leyh - Vivianne Collignon-Claessen......................................................... 52
La formation aux compétences en géographie
Christine Partoune................................................................................................ 56
Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mobilisables ?
Qu’en conclure pour la formation ?
Maggy Schneider - Claude Varlet.......................................................................... 61
HEC-école de Gestion
L’approche par les compétences en didactique des sciences
de l’ULg
économiques
Jean-Marie Dujardin - Sophie Leruth - Marie-France Otto - Rosa Valle................. 67
Institut des Sciences
humaines et sociales
Faire et faire faire. Le principe d’isomorphisme dans la
formation des enseignants de Sciences sociales
Jean-François Guillaume - Michel Xhonneux........................................................ 73
Annonce..............................................................................................78
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Éditorial
Jacqueline Beckers
Éditrice responsable
Éditorial
Ce numéro de Puzzle est un peu particulier ; il est centré sur un thème unique : comment les futurs enseignants du secondaire supérieur,
nos étudiants d’agrégation, sont-ils préparés, ou du moins sensibilisés, à travailler au développement des compétences de leurs élèves ?
La thématique est unique, les manières de l’aborder sont évidemment diversifiées, riches des spécificités disciplinaires et de la sensibilité des professeurs de didactique spéciale à cette visée éducative.
Dans tous les cas, la réflexion critique et/ou innovante par rapport aux
acceptions d’une démarche orientée vers le développement de compétences et par rapport aux références officielles est au rendez-vous.
Jacqueline BECKERS
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Le métier change, la formation aussi
Jacqueline BECKERS
Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, Service de Didactique
spéciale de la Psychologie et des Sciences de l’éducation
Université de Liège
« Le métier change, la formation aussi »1
Comment contribuer par la formation des
agrégés aux réformes du système éducatif ?
1. Les réformes : quelques
éléments contextuels
La réforme de la formation initiale des
agrégés (8 février 2001 – MB 22-0201) est justifiée par la double nécessité
de préparer les futurs enseignants à
concrétiser les réformes du système
éducatif et à favoriser l’apprentissage
de tous les élèves dont la diversité
va croissant, particulièrement dans
l’enseignement secondaire. Dans sa
priorité 5 (« Mieux préparer les enseignants »), le « Contrat pour l’école »
(31 mai 2005) réaffirme le rôle de la
formation dans l’évolution du système éducatif vers plus d’efficacité et
d’équité.
La Communauté française de Belgique
a promulgué, au terme d’une série
d’évaluations portant sur son système
éducatif (Beckers, 2006), un décret
définissant les missions prioritaires
de l’enseignement et organisant les
structures propres à les atteindre,
communément appelé « Décret-missions » (24 juillet 1997 – MB 23-0997). L’article 6 de ce décret définit les
objectifs généraux de l’enseignement
obligatoire. Le deuxième de ces objectifs prévoit d’« amener tous les élèves
à s’approprier des savoirs et à acquérir
des compétences qui les rendent aptes
à apprendre toute leur vie et à prendre
une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ». Par rapport
à l’idéal d’une égalité des chances
d’accès aux différentes filières de formation, caractéristique des revendications démocratiques de plusieurs pays
européens dans les années 60, s’affirme
ici une nouvelle figure d’égalité, celle
des acquis, savoirs et compétences
jugés essentiels à une insertion réussie
dans la société actuelle tant sur le plan
économique que social et culturel.
Cet objectif sera, dans ce but, précisé
par des référentiels communs à toutes
les écoles, rédigés par des groupes de
travail inter-réseaux et adaptés aux différents niveaux scolaires et matières.
La fixation de références identiques,
résultats minimaux à atteindre avec
tous les élèves, devrait limiter les
sources de la disparité dans les occasions d’apprendre liée notamment à
la liberté pédagogique des pouvoirs
organisateurs.
En Communauté française de Belgique, la responsabilité de certifier est,
pour l’essentiel, laissée aux établissements. Le Décret-missions prévoit
néanmoins de mettre à la disposition
des enseignants, à titre indicatif, des
outils qui devraient les aider à vérifier
le degré de maîtrise des compétences
de leurs élèves. Construits et expérimentés eux aussi par des groupes de
travail inter-réseaux, ils décrivent des
épreuves-types ainsi que leurs paramètres de construction et les illustrent
chaque fois d’un exemple que les enseignants devraient pouvoir transposer
au parcours d’apprentissage de leurs
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
propres élèves. Ils commencent à être
disponibles sur le site « enseignement.
be ».
Il ne s’agit donc pas d’imposer des
outils clés sur porte. Aucune obligation
ne pèse sur leur utilisation. Cependant,
le Décret-missions précise, par exemple en son article 31, que le contrôle du
niveau des études « comprend aussi la
vérification :
- de l’adéquation entre les activités proposées aux élèves et les compétences
et savoirs requis ;
- de l’équivalence du niveau des
épreuves d’évaluation administrées
aux élèves à celui des épreuves produites par la Commission des outils
d’évaluation »,
et, en son article 99, que
« Les décisions du Conseil de recours
[contre les décisions du conseil de
classe] se fondent sur la correspondance entre les compétences acquises
par l’élève et les compétences qu’il doit
normalement acquérir ainsi que sur
l’équivalence du niveau des épreuves
d’évaluation administrées aux élèves
et à celui des épreuves produites par
les différentes Commissions des outils
d’évaluation. ».
Ces avancées en matière d’évaluation
devraient faciliter l’harmonisation des
exigences ; par ailleurs, des évaluations
externes diagnostiques non certificatives permettent aux enseignants de
situer les acquis de leurs élèves2.
L’introduction des compétences dans
Le métier change, la formation aussi
les prescrits du système éducatif en
Communauté française de Belgique
s’inscrit dans un contexte d’austérité
et une logique industrielle d’efficacité (D erouet , 1992) : évaluation,
recherche d’efficience, autonomie
croissante aux pouvoirs locaux. L’État,
de « providentiel » qu’il était dans les
trente glorieuses devient « évaluateur »
(Neave, 1985) ; il exerce sa responsabilité en conservant, par des mécanismes d’évaluation, l’emprise sur
l’atteinte des objectifs communs. Cette
contextualisation doit rendre le monde
éducatif attentif, elle ne suffit pas pour
voir dans ce changement curriculaire
le signe d’une école vendue au monde
de l’entreprise (voir par exemple les
analyses de N. Hirtt, 1996).
Bien comprise, la réforme curriculaire
signifiée par le raccourci « approche
par compétences », devrait orienter
les pratiques pédagogiques vers plus
d’efficacité et d’équité. Les résultats
des élèves de la Communauté française
de Belgique aux évaluations externes
(par exemple, les récentes études
PISA) se caractérisent par une faiblesse
dans la maîtrise de tâches complexes,
celles qui vont au-delà de l’application
suggérée de « procédures de base » et
par une grande disparité : les moyennes dans différentes matières cachent
d’énormes écarts entre les élèves selon
leur origine socio-culturelle et la part
de variance des résultats liée à l’école
est très élevée, particulièrement au
niveau secondaire (voir Lafontaine et
Blondin, 2004).
2. Une « approche par
compétences » : de quoi
s’agit-il ?
* C’est d’abord, en Communauté
française de Belgique comme dans
d’autres systèmes éducatifs, une manière de définir des attendus de l’école,
des objectifs terminaux à atteindre.
Le Décret-missions (1997) définit,
en son article 5, premier paragraphe,
la compétence comme « l’aptitude à
mettre en œuvre un ensemble organisé
de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain
nombre de tâches ».
L’utilisation par le Décret-missions du
mot « tâche »3, emprunté à l’ergonomie
cognitive souligne que la compétence
renvoie à l’action, à une transformation matérielle ou symbolique d’un
réel contextualisé : convaincre un
interlocuteur, modéliser un phénomène
observé, critiquer une interprétation,
dessiner un schéma de montage…,
autant de finalités de tâches dont les
conditions doivent par ailleurs être
précisées.
Les exemples pris ici, autorisés par la
mention « ensemble organisé de… »
de la définition décrétale, décrivent
une tâche ouverte : plutôt que d’obéir
à des règles fixes qui, si elles sont
respectées, garantissent la réussite de
l’action (procédure simple ou algorithme de résolution), elle appelle la
recherche d’une ou de procédure(s)
adéquate(s), nécessitant une adaptation
des démarches au contexte, autorisant
des approches différentes, voire des solutions multiples. La coutume scolaire
conduit parfois à dénaturer une tâche
ouverte en la répétant à l’identique,
ou en la guidant pas à pas de l’extérieur (par une consigne qui découpe
les étapes ou suggère les ressources
à mobiliser), la tâche perd alors son
caractère complexe… En conséquence,
on considèrera comme complexe une
tâche ouverte, « inédite » pour l’élève
auquel elle s’adresse, et gérée de manière autonome par celui-ci. Un curriculum qui vise le développement de
compétences ambitionne d’apprendre
à chacun des élèves à s’acquitter de
telles tâches complexes4.
* C’est ensuite mettre en place d’autres
pratiques pédagogiques et évaluatives.
Si l’enjeu démocratique du système
éducatif est précisément d’être ambitieux sur l’essentiel, il doit en conséquence mettre les élèves, à l’école, en
situation d’acquérir et de mobiliser
des ressources au service de tâches
complexes en les aidant à y faire face.
Ces tâches appellent chez l’élève
une attitude curieuse et confiante,
assumant l’incertitude de la situation.
Cette attitude critique face au savoir
doit impérativement être travaillée à
l’école ; c’est sur de tels terrains que
les inégalités socio-culturelles sont les
plus importantes en effet.
Ainsi les enseignants ont-ils deux responsabilités s’ils veulent développer
des compétences chez leurs élèves.
Tout d’abord, continuer à consacrer du
temps pour l’acquisition de concepts,
de théories, de procédures et d’algorithmes au pouvoir instrumental fort…
ainsi qu’à la vérification de leur maîtrise. Si c’est effectivement en situation
que les savoirs (déclaratifs et procéduraux) prennent sens, cette rencontre ne
suffit pas à leur intériorisation comme
ressources par l’élève. Pour maximiser
les chances qu’ils soient effectivement
mobilisés en situation, ils doivent avoir
été travaillés et mémorisés dans certaines conditions que la psychologie cognitive a bien mises en évidence (voir
Beckers, 2002b, pp. 92 à 98).
Mais ce n’est pas suffisant, il faudra
aussi apprendre aux élèves à mobiliser ces ressources au bon moment
pour faire face à des tâches nouvelles
mais proches d’autres tâches déjà
rencontrées. La compétence ne s’exprime pas par la réussite d’une tâche
singulière mais d’une famille de tâches mobilisant les mêmes invariants
opératoires (Vergnaud, 1996). Les
processus de décontextualisation et de
recontextualisation, accessibles à un
apprenant donné à un moment de son
parcours, lui permettent de construire
des manières efficaces d’organiser son
action, valables pour des tâches de plus
en plus diversifiées. La généralisation
est au cœur de l’acquisition d’une compétence, c’est l’extension progressive
des tâches auxquelles il peut faire face
qui définit le niveau de développement d’une compétence chez un sujet.
S’engager dans l’action, la réussir et
comprendre le comment et le pourquoi
de cette réussite sont les composantes
à travailler simultanément pour le développement d’individus compétents
et émancipés.
Les auteurs (voir par exemple Le Boterf, 2000 ; Perrenoud, 2000 ; Roegiers, 2000) s’accordent généralement
sur la nécessité de limiter le nombre
de compétences à introduire dans
un référentiel portant sur un niveau
pédagogique donné, sinon la volonté
démocratique de les travailler à l’école
avec chacun restera un vœu pieux.
Le développement des compétences
demande en effet du temps et des
exercices. Ici aussi, comme pour les
ressources, il faut choisir et, selon
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Le métier change, la formation aussi
l’endroit du curriculum où l’on se
trouve, préparer les élèves à s’acquitter
de catégories de tâches répertoriées
comme essentielles à un champ disciplinaire donné et à des approches
interdisciplinaires prometteuses ou
alors, pour les sections professionnalisantes, critiques pour l’exercice d’un
métier. De telles tâches devraient aider
l’individu à comprendre et à agir et
dès lors, à s’émanciper. Si l’on veut
vraiment orienter un curriculum vers
la construction de compétences, il ne
suffit pas de plonger les élèves dans
des situations problématiques diverses
au gré de son inspiration ou des occasions qui s’offrent, il est indispensable
d’identifier de telles « familles » de
tâches en articulant critères épistémologiques et critères développementaux
(Beckers, 2002).
3. Les rôles possibles de la
formation
L’analyse du contexte sociétal d’apparition de l’approche par compétences
et de ses finalités est traitée avec les
étudiants d’agrégation dans le cours
d’« Analyse de l’institution scolaire
et des politiques éducatives ». C’est
dans les cours de didactique spéciale
et à l’occasion des stages qui lui sont
associés que les enjeux épistémologiques de cette approche, ses spécificités
méthodologiques, ses promesses, ses
dangers et ses difficultés peuvent être
touchées du doigt par les étudiants et
analysées dans une démarche critique qui convient au professionnel de
l’enseignement qu’ils se préparent à
devenir.
Différents chantiers peuvent être
ouverts à cet égard.
3.1. Prendre distance
et enrichir le prescrit :
référentiels, programmes,
outils d’évaluation
Les référentiels sont approuvés par le
Gouvernement et adoptés par le Parlement ; ils constituent donc un prescrit
légal : les « Socles de compétences »
pour l’enseignement fondamental et
l’enseignement secondaire du premier
degré, les « Compétences terminales
et savoirs communs » de la filière de
qualification (humanités techniques
et professionnelles), les « Profils de
qualification et de formation » pour
les options groupées de cette filière et,
pour chacune des matières de la filière
des humanités générales et technologiques, les « Compétences terminales
et savoirs requis » dont la maîtrise est
attendue à la fin de l’enseignement
secondaire.
Le public formé à l’agrégation est
concerné par les trois derniers référentiels évoqués.
Si l’existence même des référentiels
constitue, dans le paysage belge
marqué par une extrême décentralisation, une avancée qu’il faut saluer,
ces premiers essais ne sont pas tous
concluants, loin s’en faut… Il faut
donc espérer que leur statut décrétal,
qui heureusement les protège des
oubliettes, ne rende pas impossible leur
modification à la lumière de réflexions
épistémologiques plus approfondies,
d’expérimentations dans les classes et
d’hypothèses qu’elles suggèrent… La
formation initiale est un lieu privilégié
pour des avancées de ce type.
Les choix ou l’absence de choix qui
s’expriment au travers des référentiels
existants méritent d’être questionnés
avec les futurs enseignants…
* Les référentiels qui sont censés préciser les attentes au terme des humanités
générales et technologiques s’intitulent
tous « compétences terminales et savoir requis », ce qui pourrait exprimer
la volonté de préciser l’essentiel à
garantir sur un double plan : celui des
savoirs et celui des compétences. L’illusion de cohérence suggérée par cet
intitulé identique s’efface rapidement
quand on se penche un peu plus avant
sur les référentiels propres à chaque
discipline. Une grande diversité d’approches signe l’absence d’un cadre
conceptuel de référence commun, sans
doute dommageable à la cohérence
d’une réforme qui concerne un même
corps d’enseignant. Nous n’y reviendrons pas ici (voir à ce sujet, Beckers
et Voos, 2007), mais insisterons davantage sur l’absence de positionnement
clair, dans un certain nombre de cas,
sur ce qu’il faut considérer comme
l’essentiel à garantir au minimum à
tous les élèves.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Par exemple, pour réguler, sur le plan
des « savoirs requis » les grandes disparités entre écoles, on s’attendrait à
ce que les référentiels établissent une
distinction entre :
- des savoirs déclaratifs et procéduraux
considérés comme des ressources
incontournables pour comprendre son
environnement et y agir et dès lors
susceptibles d’être spécifiquement visés comme résultat d’un apprentissage
organisé et
- des contenus disciplinaires utilisables
comme des matériaux interchangeables permettant le développement
de compétences. Leur choix pourrait
être optionnel, fondé sur les contextes
d’apprentissage.
Cette distinction est loin d’être claire
dans chacun de ces petits livres verts…
et s’il fallait considérer comme ressources incontournables les listes
parfois longues fournies par certains
d’entre eux, le réalisme de la proposition mériterait d’être sérieusement
examiné…
Le nombre des compétences propres
à la discipline, présentées sous des
étiquettes variables, est aussi très
différent selon les référentiels : 4 en
histoire, 4 en langues modernes, 5 en
langues anciennes… mais 44 en biologie, 56 en chimie, 66 en physique…
où elles désignent plutôt des savoirs
et savoir-faire. L’articulation des savoirs aux compétences est donc loin
d’être toujours claire… Le lien entre
ces compétences disciplinaires et les
« compétences » transversales donne
également lieu à des différences notoires d’interprétation. Il faut dire que le
Décret-missions a introduit une ambiguïté certaine en désignant (art. 5 § 9)
comme « compétences » transversales
les « attitudes, démarches mentales
et démarches méthodologiques communes aux différentes disciplines, à
acquérir et à mettre en œuvre au cours
de l’élaboration des différents savoirs
et savoir-faire ; leur maîtrise vise à une
autonomie croissante d’apprentissage
des élèves ». Le terme « compétences »
se référant, comme on l’a vu, à des
actions situées paraît inapproprié dans
l’acception retenue ici (voir à ce sujet
Rey,1996).
Des tâches poursuivant la même finalité, par exemple problématiser au départ
Le métier change, la formation aussi
de l’analyse de documents de natures
diverses, peuvent être proposées en
histoire, en géographie, en sciences,
en sociologie..., elles vont effectivement solliciter des activités mentales
du même type chez les élèves, mais
dans des conditions d’exploitation qui
diffèrent fortement : les documents à
analyser seront variables ; les concepts
permettant d’interpréter correctement
les données sont également spécifiques. Ces caractéristiques, liées au
champ disciplinaire, peuvent expliquer,
chez un même élève, des niveaux de
réussite très variables à ce type de
tâche selon sa contextualisation. Les
travaux de psychologie cognitive
(voir Glaser, 1986) ont en effet bien
mis en évidence que la qualité des
démarches mentales d’un individu
dépend grandement de son degré de
maîtrise des contenus abordés (voir
aussi Chi, Glaser et Farr, 1988). C’est
à nouveau l’articulation des savoirs
aux compétences qui est en jeu ici, ce
qui n’enlève rien à l’intérêt d’exploiter des démarches semblables dans
des contextes diversifiés et multiples,
disciplinaires ou interdisciplinaires, et
de conceptualiser les démarches ainsi
mises en œuvre. Cette approche devrait
aider l’élève à développer son pouvoir
d’action sur le monde et à se construire
comme individu réflexif autonome et
responsable.
La place accordée aux compétences
transversales dans les référentiels est
très diverse. Dans certains, elles sont
totalement absentes (français, langues
modernes), à l’inverse d’autres leur
font une large place (géographie,
histoire, langues anciennes, mathématiques, sciences), parfois sans les
nommer. Dans d’autres cas encore,
les compétences relevées comme spécifiques à la discipline sont formulées
en termes franchement transversaux
(sciences économiques et sociales)…
Enfin, peu de référentiels ouvrent la
voie à des regroupements de tâches au
moins à titre d’hypothèse de travail à
tester. Seuls les référentiels d’histoire
et de langues modernes fournissent des
éléments facilitant la conception de
familles de tâches. Quant aux langues
anciennes, il nous semble pouvoir
considérer les cinq compétences ciblées comme des grandes finalités des
tâches à proposer ; il y a donc là aussi
une esquisse de famille.
* Le problème de l’articulation des
savoirs aux compétences et de l’existence même de savoirs clairement
objectivés se pose de manière dramatique dans le référentiel intitulé
« compétences terminales et savoirs
communs » censé présenter l’essentiel
des attendus relativement aux cours
généraux dispensés aux élèves de
l’enseignement qualifiant. À ce niveau,
n’est-ce pas davantage un vide qu’une
absence de cohérence et de clarté qu’il
faut regretter. Dans une perspective
d’égalisation des acquis prioritaires,
par ailleurs garantis par la délivrance
du même diplôme (on se souviendra
que les élèves des sections techniques
et, après une septième année, les élèves
des sections professionnelles, peuvent
prétendre à l’obtention du CESS),
l’existence même de deux types de
référentiels, totalement distincts,
élaborés par des groupes de travail
différents, pose un problème éthique
déjà évoqué en août 1997, au moment
de notre première université d’été (voir
Beckers, 1998)…
* Les référentiels spécifiquement dédiés aux options groupées des différentes filières du qualifiant5 s’inscrivent
d’emblée dans une autre logique : celle
du développement de compétences
professionnelles idéalement articulées
aux situations professionnelles récurrentes dans les diverses conditions
d’exercices du métier.
L’option prise ici a été d’élaborer, sous
l’égide de la Commission Communautaire des Professions et des Qualifications (CCPQ), des référentiels-métiers
décrivant, pour des emplois-types6, les
grandes fonctions ou ensemble de tâches concourant, au sein d’une activité
productive, à assurer un certain type de
résultats. De cette analyse des tâches
auxquelles les travailleurs accomplis
font face dans l’exercice de leur métier,
les opérateurs de formation dégagent
les activités et compétences dont ils
peuvent prendre en charge l’apprentissage ; celles-ci sont organisées et décrites dans les profils de formation votés
eux aussi par le Parlement et adoptés
par le Gouvernement comme les autres
référentiels en Communauté française
de Belgique. La démarche adoptée en
l’occurrence présente bien une spécificité par rapport à l’élaboration des
référentiels pour l’enseignement général. Elle n’échappe pas cependant à la
multiplication de micro-compétences
qui risquent bien de faire perdre de vue
le but prioritaire du métier.
Les demandes des employeurs ne sont
pas toujours dénuées d’ambiguïté entre
une revendication générale d’adaptabilité, voire même de culture générale
qui en serait le garant et les revendications d’une adéquation étroite entre
les profils de formation et des attentes
pointues par rapport aux tâches professionnelles des métiers existants
actuellement. Ces deux positions
renvoient bien à la distinction établie
par Guy Le Boterf (1994) entre une
approche « analytique » de la compétence, correspondant à la génération
du taylorisme et de la pédagogie par
objectifs, et une approche « combinatoire » comme disposition à agir.
Là aussi l’attitude critique des futurs
enseignants est de rigueur.
Si la référence manque de clarté sur
l’essentiel à garantir et sur l’articulation, dans cet essentiel, des compétences et des ressources qu’elles
mobilisent, les programmes risquent
de concrétiser de manière très diverse
ces exigences. Or, davantage que les
référentiels, ce sont les programmes
qui guident au quotidien le travail
des enseignants. Ceux-ci doivent être
approuvés par une Commission des
programmes ayant pour tâche de vérifier s’ils permettront effectivement
d’atteindre les prescriptions décrétales,
puis par le Ministre en charge de l’éducation. Cependant, cette commission
ne peut suppléer aux imprécisions
ou incohérences des référentiels euxmêmes…
Notre université pluraliste prépare les
enseignants de tous les réseaux. La
confrontation des différents programmes est instructive, elle permet de
repérer dans certains d’entre eux ce
qui comble les vides et devrait enrichir
l’approche méthodologique… L’analyse critique des manuels, quand ils
existent, peut avoir les mêmes effets.
* La construction des outils d’évaluation des compétences, proposés, rappelons-le, à titre indicatif, peut offrir une
nouvelle occasion de préciser le cadre
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Le métier change, la formation aussi
de référence. Ainsi, à l’occasion du suivi scientifique des groupes de travail de
la filière générale et technologique de
l’enseignement secondaire, J. Beckers
et S. Andrianne ont tenté d’orienter
la réflexion vers la proposition, à titre
d’hypothèses, de familles de tâches.
L’existence décrétale de référentiels
qui dans certains cas, ne s’y prêtaient
pas du tout n’a pas facilité les choses,
l’absence de didacticiens dans certains
groupes non plus... Par ailleurs, les
situations proposées par les groupes
de travail concrétisent, aux yeux des
enseignants et des futurs enseignants,
les types de tâches dont devraient pouvoir s’acquitter les élèves et éclairent
dès lors les apprentissages nécessaires.
Elles leur offrent aussi des occasions
d’essais à mener dans leurs classes, ce
qui est une source incontournable de
réflexion.
3.2. S’essayer aux
changements de pratiques
appelés par cette modification
curriculaire
Ce deuxième chantier engage dans
l’action professionnelle. C’est elle qui,
préparée et analysée en retour, amorce
la construction des compétences et de
l’identité professionnelle des futurs
enseignants. La collaboration avec les
maîtres de stage est d’autant plus précieuse que le terrain des compétences
n’est pas encore totalement défriché.
Les apports et les gains sont partagés,
comme dans toute vraie communauté
d’apprentissage.
L’orientation du curriculum vers le
développement et l’évaluation des
compétences complexifie l’exercice du
métier des enseignants et des élèves. Et
on peut craindre que cette complexité
transforme le souci démocratique
prôné par la réforme en sources d’inégalités importantes. Conduire avec les
futurs enseignants une réflexion autour
des difficultés liées à ce changement
de paradigme est une responsabilité
importante des formateurs.
La gestion de tâches ouvertes réclame
de l’élève des stratégies mentales de
haut niveau taxonomique : identification du but de la tâche, anticipation
des démarches et des ressources, pla-
nification et mise en œuvre organisée
des actions… Ces stratégies supposent
un engagement cognitif que tous ne
sont pas prêts ni également préparés
à consentir…
Le milieu familial avec ses pratiques
éducatives, ses habitudes de vie et de
langage, ses codes socio-linguistiques
(voir déjà B ernstein , 1975 ; voir
aussi Kherroubi et Rochex, 2004) joue
souvent un rôle déterminant dans le
développement de telles stratégies. Les
élèves issus de milieux socio-culturellement défavorisés auront peut-être
moins bénéficié de ces occasions ; le
risque que ces pédagogies ouvertes
soient dès lors élitaires est réel. Perrenoud l’avait déjà évoqué en 1985 à
propos des pédagogies du projet. Le
même danger guette une pédagogie
par compétence mal comprise. Quand
la tâche proposée aux élèves est trop
ouverte, répondant à un contrat didactique trop flou, les élèves les plus
démunis ne peuvent mobiliser que leur
expérience première et immédiate du
monde et ne peuvent redéfinir la tâche
de manière pertinente convoquant
les ressources et s’engageant dans le
registre du travail attendu de l’école.
Cependant, ne proposer à ces élèves
que des tâches morcelées ou guidées
pas à pas, favorisant une réussite à
court terme entretient l’illusion d’un
apprentissage réussi alors qu’il n’autorise le développement d’aucune compétence… (voir Beckers, 2005). Il y
a donc un enjeu démocratique majeur
à alerter les futurs enseignants sur ces
risques et à les outiller pour qu’ils les
évitent.
L’enseignant aménage des situations
avec l’intention de faire construire aux
élèves un certain savoir. Cet implicite
n’est pas également décodé par chacun.
C’est de la responsabilité de l’enseignant de centrer tous les élèves sur
les enjeux d’apprentissage de la tâche
plutôt que sur sa seule effectuation, de
les engager tous dans un traitement
cognitif des objets proposés, éventuellement avec des moyens différenciés,
de les inviter tous à en dégager des
implications pour d’autres tâches du
même ordre, dans d’autres situations…
Cette clarification du contrat didactique
est une condition sine qua non d’une
approche vraiment démocratique de
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
l’égalité des acquis : à un niveau élevé
d’exigence pour tous.
Pour le jeune enseignant, l’action
professionnelle ainsi profilée est tout
aussi complexe.
Quand l’organisation d’une leçon
relève principalement d’une logique
des contenus, la maîtrise des savoirs
disciplinaires est suffisante pour la
construire. Quand il s’agit de mettre les
élèves face à une situation qui invite à
agir et à construire au travers de cette
action et de sa conceptualisation un savoir essentiel parce que réexploitable,
il y a bien d’autres maîtrises à développer chez le futur enseignant !
Imaginer des situations de découverte
permettant de se représenter la tâche
et les ressources nécessaires, proposer
des moments d’apprentissage intégrateur auxquels sont associées des procédures d’évaluation formative invitant
explicitement l’élève à conceptualiser
ses démarches, prévoir la vérification
du niveau de maîtrise individuel de la
compétence en proposant une tâche
similaire à celles de l’apprentissage
mais inédite. Autant de tâches professionnelles rapidement évoquées ici qui
nécessitent des connaissances approfondies de la discipline qu’on enseigne
mais ne s’y réduisent pas !
Que dire alors de la difficulté de planifier sur une année le déroulement des
différentes séquences d’enseignementapprentissage. C’est une démarche
cruciale puisqu’elle doit articuler en
un processus cohérent le travail sur
des ressources et leur organisation
cohérente et l’aménagement de tâches
complexes de différentes familles
exploitées à des fins de découverte,
d’apprentissage et d’évaluation. Cette
composante de la professionnalité des
enseignants est, à mon sens, impossible à travailler dans les conditions
contextuelles d’une formation initiale
n’offrant que des stages de durée limitée. Des manuels organisés dans cette
logique devraient pouvoir soutenir les
premiers pas dans le métier.
Dans des proportions variables selon
les disciplines, les savoirs enseignés
dans les licences universitaires, à la
pointe des derniers développements
dans le domaine, ne correspondent
pas aux savoirs à enseigner aux élèves
même si ceux-ci sont dans les dernières
Le métier change, la formation aussi
années de l’enseignement général, a
fortiori s’ils fréquentent des sections
techniques et professionnelles où les
cours généraux ont parfois bien du
mal à résister aux pressions étroitement utilitaristes qui les appauvrissent
considérablement.
Peut-être la maîtrise de ces savoirs
pointus aident-ils à prendre de la
distance, à mieux dégager les noyaux
durs indispensables à la compréhension
profonde d’un champ de savoir et dès
lors à la perception de ses apports à
l’éducation de citoyen ? Rien n’est
moins sûr. C’est loin en tous cas d’être
l’objet d’une attention délibérée de la
part des spécialistes chargés des cours
universitaires. C’est incontestablement
une première difficulté pour un enseignant débutant, difficulté d’ordre épistémologique mais aussi psychologique
nécessitant parfois un vrai travail de
deuil : comment transformer, sans le
dénaturer, un patrimoine culturel en
source d’apprentissage accessible à des
enfants ou à des adolescents dans des
contextes divers.
Parfois même, à propos des leçons à
donner en stage, la question se pose
de réapprendre, correctement, des
savoirs de base pour pouvoir les faire
construire par autrui : il n’y a pas de
temps pour ça dans la formation disciplinaire dispensée à l’université, il peut
être difficile d’en trouver pendant les
heures dévolues au cours de didactique
spéciale.
L’approche par compétence actuellement préconisée dans l’enseignement
va-t-elle accentuer ces vieilles difficultés ? Elle augmente incontestablement
chez les stagiaires le sentiment de
non familiarité : ils n’ont pas souvent
connu cette approche au secondaire.
Pour ma part, j’avancerai une double
hypothèse : cette déstabilisation ouvre
une porte intéressante pour une réappropriation des savoirs comme ressources (intelligibilité du monde, pouvoir
d’action sur celui-ci, construction
identitaire) et le cours de « didactique
spéciale » offre un cadre de référence
conceptuel et des occasions d’apprendre ensemble autorisant ce travail de
réappropriation.
Avec une bonne dose d’optimisme
certes, on pourrait même penser que
cette entrée nouvelle dans les savoirs
de sa discipline puisse enrichir les
démarches qu’on y poursuit plus généralement, y compris dans des phases de
spécialisation et de recherche ; ce qui
reviendrait à escompter des effet collatéraux bénéfiques de l’insertion dans
les masters de la finalité didactique…
La tâche est passionnante mais gigantesque. La description des initiatives
prises dans les différents services de
didactique devrait permettre l’enrichissement réciproque. C’est l’objectif de
ce numéro.
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opératoire et forme prédicative de la
connaissance. Puzzle, 11, 10-18.
Notes
Titre de la brochure de vulgarisation
présentant la réforme de la formation
des enseignants.
2 Décret relatif à l’évaluation externe
des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et au Certificat d’Études de Base au terme de
l’enseignement primaire, adopté le
30 mai 2006.
3
La tâche, c’est ce qu’il y a à faire ;
elle est définie en ergonomie par le
but à atteindre et les conditions dans
1
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
lesquelles il doit être atteint (Leplat,
1992, p. 24).
4
Avec des nuances de formulation
sur lesquelles nous ne reviendrons
pas ici, différents auteurs s’accorderaient sur cette définition (voir Allal,
2000 ; B arbier , 1996 ; B eckers ,
2002 ; G illet , 1991 ; L e B oterf ,
1994 ; Perrenoud, 2000 ; Roegiers,
2000 ; T ardif , 1992 ; V ergnaud ,
2002).
5
Certaines agrégations sont particulièrement en phase avec ce type
d’enseignement. Ainsi, les agrégés
en psychologie et sciences de l’éducation jouent un rôle crucial dans la
formation des jeunes professionnels
des métiers de l’humain comme les
puéricultrices, les agents d’éducation,
les animateurs, les aides familiales et
sanitaires ; les économistes jouent
également un rôle dans la préparation
à certains métiers de ce secteur.
6
Regroupement de différents métiers
concrets qui satisfont à un même type
de fonction au sein d’une activité productive et présentent donc des similitudes dans les activités professionnelles,
s’exprimant notamment par l’utilisation de techniques apparentées, un
niveau de qualification et des formes
d’organisation de travail proches.
Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences
Marc Cloes, Anne-Sophie Halkin
Faculté de Médecine, service de Didactique de l’éducation physique
Université de Liège
Sensibilisation des étudiants de l’AESS en
éducation physique au développement des
compétences :
une autre approche de l’enseignement des
activités physiques et sportives
1. De la « gym » à l’éducation
physique
En Belgique, bien que l’éducation du
corps ait toujours eu un statut différent
de celui accordé au développement des
connaissances, un cours « de gymnastique » a toujours été associé à l’enseignement obligatoire. Cette situation
diffère pourtant selon l’âge des élèves.
En effet, ce cours a été intégré dans les
programmes de l’enseignement secondaire dès 1850 mais n’est apparu dans
le programme des cours obligatoires du
primaire qu’en 1979. Si l’appellation
« gymnastique » a été officiellement
remplacée par « éducation physique »
en 1971, pour la plupart des acteurs de
l’enseignement – élèves, enseignants,
parents – les séances d’éducation
physique restent encore aujourd’hui
des « cours de gym », situation qui
dévalorise quelque peu les changements « philosophiques » associés à
l’évolution de la dénomination.
Les finalités de ce cours ont fluctué
depuis le 19e siècle. De vocation initialement militaire, visant à contribuer
à l’établissement d’une société forte,
elles sont devenues progressivement
hygiénistes, centrées sur le développement harmonieux de l’organisme,
grâce à la mise en action de toutes ses
parties. Au début des années 70, elles
ont répondu à une orientation sportive
avant de se porter actuellement davantage sur le développement de toutes les
dimensions de la motricité (cognitives,
sensorimotrices et sociales).
Le décret de 1997 définissant les missions des enseignements fondamental
et secondaire en Communauté française
lui confère le même rôle qu’à toutes les
autres disciplines scolaires, à travers
les objectifs généraux et compétences
transversales (Ministère de l’éducation, 1997). De manière spécifique, les
principes généraux présentés dans les
documents précisant les socles de compétence et les compétences terminales
(Ministère de la Communauté française, 1999, 2000) mettent clairement
en évidence que le rôle des enseignants
en éducation physique est directement
lié au développement de compétences
appartenant à trois champs disciplinaires (la condition physique, les habiletés
gestuelles et la coopération sociomotrice) dans l’objectif d’améliorer
la santé, la sécurité, l’expression et la
culture motrice. Dès lors, ces quatre
aspects sont aujourd’hui assimilés aux
finalités premières de la discipline.
2. Quatre défis pour les
formateurs
Reposant sur un travail réalisé préalablement à l’arrivée du décret mission,
deux groupes de réflexion – un animé
par l’équipe d’enseignants et de chercheurs de l’Unité d’Education par
le Mouvement de l’U.C.L. et l’autre
influencé par l’Inspection d’éducation
physique de l’AGERS – ont élaboré
deux visions différentes de l’Education
physique. Celles-ci ont conduit lors
de la mise en place de la réforme de
l’enseignement, à une interprétation
différente des textes officiels par les
responsables des deux principaux
réseaux d’enseignement de la Communauté française. Il en a découlé
la mise en place de programmes de
cours différents selon les réseaux mais
aussi des divergences dans la manière
de fixer les priorités d’enseignement
et d’appréhender la construction des
séquences d’apprentissage. Ce manque
d’uniformité interréseaux complique
ainsi la tâche des praticiens mais aussi
des formateurs. Ces derniers doivent
donc relever un premier défi : faire
comprendre les buts de l’enseignement
de l’éducation physique à des jeunes
dont l’expérience scolaire personnelle
est extrêmement diversifiée.
Par ailleurs, à l’instar de Parlebas
(1976) considérant l’éducation physique comme une pédagogie d’intervention qui vise à transformer les conduites
motrices des élèves, l’approche centrée
sur le développement de compétences
souligne l’ancrage de cette discipline
dans une motricité plus large que celle
appartenant à l’éducation sportive,
relançant la traditionnelle opposition
entre le sport et l’éducation physique
(Hébert, 1925). Ceci place les formateurs face à un deuxième défi : amener
les étudiants issus pour leur grande
majorité du monde sportif et engagés
prioritairement dans leur formation par
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
11
Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences
amour du sport (Groupe de recherche
interuniversitaire, 2003) à intégrer les
objectifs de l’éducation physique parmi
lesquels la recherche de performance
n’est guère valorisée.
Face à la croissance impressionnante
de la prévalence de l’obésité et à
l’augmentation de la sédentarisation
des populations des pays développés,
les plus hautes autorités en matière
de santé publique se sont accordées
pour désigner l’éducation physique
comme la pierre angulaire du développement d’un style de vie actif (Tappe
et Burgeson, 2004) au sein de projets
d’établissement cohérents (Pate et al.,
2006). Malgré ce support international,
largement documenté dans les contenus proposés au sein des filières de
formation des enseignants en éducation
physique, il convient d’admettre que
la perception de cette discipline au
niveau secondaire s’écarte de l’image
militante et idéalisée transmise aux
étudiants (De Knop et al., 2005). La
promotion d’un style de vie actif
n’étant pas clairement mentionnée dans
les textes officiels de la Communauté
française (au-delà de la finalité santé
associée à la condition physique), le
troisième défi des formateurs consiste
dès lors à faire admettre aux étudiants
d’adopter cette philosophie même si les
praticiens ont une perception diffuse de
leur rôle à ce niveau (Cloes, Del Zotto
& Motter, soumis).
Il convient par ailleurs de noter que
la publication du décret mission de
1997 et des textes nécessaires à son
application a très largement perturbé
les enseignants que les réformes ont
l’habitude d’agacer. Si certains auteurs
tels que Carlier (1998) soulignaient
l’intérêt de ces changements, les témoignages et réactions des enseignants
sur le terrain ne permettent toujours
pas de considérer que ces derniers
ont intégré cette nouvelle manière de
penser leur travail. Prenant conscience
de la réalité scolaire, les étudiants de
l’AESS éprouvent ainsi des difficultés
à trouver un équilibre. Cette mise à
l’épreuve représente le quatrième défi
auquel les formateurs sont confrontés :
aider les jeunes enseignants à appliquer les modes d’action qui viennent
de leur être proposés en résistant à la
tentation de se conformer au poids de
12
la tradition.
En tant que formateurs, présenter le
concept de compétence aux étudiants
et, surtout, leur faire adopter une attitude ouverte mais vigilante, soucieuse
de chercher en quoi et comment cette
notion va les accompagner dans la
mise en œuvre de pratiques d’enseignement efficaces, font partie des
missions primordiales que nous nous
sommes fixées dans le cadre du cours
de didactique spéciale. Cet article vise
à décrire les principaux contenus théoriques et pratiques que nous proposons
de manière à sensibiliser les étudiants
à la philosophie de la pédagogie des
compétences et à les convaincre de
l’intégrer le plus efficacement possible
dans leurs activités d’enseignement.
3. Un plan d’action
multipolaire
Le cours de didactique spéciale débute
par une séance théorique au cours de
laquelle les « compétences des enseignants » sont identifiées. Il s’agit essentiellement d’analyser les définitions
et les textes officiels afin de produire
des exemples. Ces derniers sont commentés afin d’éveiller les étudiants
à la finalité de leur formation. Par
ailleurs, ils sont également confrontés
aux objectifs de l’enseignement et
aux compétences transversales dans la
perspective de souligner l’intégration
du spécialiste de la motricité dans
l’éducation globale des élèves qui lui
sont confiés. Partant des propositions
des étudiants, le didacticien illustre
ainsi une facette du métier qu’ils ne
perçoivent généralement pas souvent.
Cette démarche est appuyée par une intervention de l’Inspection en éducation
physique de la Communauté française.
Un des quatre inspecteurs est en effet
invité à présenter les compétences
telles qu’elles sont envisagées par le
décret et mises en application dans les
écoles. L’intervenant présente ainsi les
documents officiels que les enseignants
doivent produire afin de souligner l’importance des compétences dans l’action
éducative : préparations, journal de
classe et cahier de bord, etc.
En articulant théorie et pratique, les
25 compétences spécifiques de l’édu-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
cation physique sont ensuite passées
en revue. Dans la partie théorique, les
étudiants sont invités à partager leurs
représentations à propos de chaque
compétence disciplinaire. Les distinctions existant entre les deux principaux
réseaux d’enseignement (champs et
axes) sont mises en évidence. Des
exemples issus de la pratique quotidienne sont abondamment fournis.
Ils sont puisés directement dans les
expériences vécues par les membres du
service de didactique spéciale puisque
certains de ces derniers occupent des
fonctions pédagogiques dans l’enseignement secondaire.
Dans le cadre de « séminaires pratiques », une approche visant à intégrer
les compétences dans une préparation
de cours est proposée. Elle se base sur
trois étapes. La première consiste à
déterminer les compétences à exploiter
dans les différents champs ou axes à
long terme (c’est-à-dire pour un cycle
complet d’une même activité) et à
court terme (pour une leçon). Dans
la seconde étape, il s’agit de « transcrire » les compétences choisies en
termes d’objectifs d’apprentissage de
la discipline à long terme et à court
terme. Pour la troisième étape, il reste
à imaginer les activités à proposer aux
élèves en relation avec les compétences et les objectifs fixés, c’est-à-dire
identifier quelles situations d’apprentissage il convient de mettre en place
pour atteindre les objectifs associés au
développement des compétences.
Les étudiants sont ensuite invités à
mettre en pratique les notions vues au
moyen d’exercices écrits, à réaliser
seuls ou à plusieurs en classe. En
voici un exemple : une compétence à
travailler avec une classe imaginaire
de x élèves est tirée au sort. Il s’agit
d’exprimer celle-ci en termes d’objectifs d’apprentissage par rapport à une
discipline sportive donnée et ensuite,
de décrire de manière précise une
situation d’apprentissage permettant
de développer la compétence en question. Les propositions des étudiants
sont présentées oralement dans une
perspective de partage d’informations
et d’échanges mutuels. Cet exercice
est généralement associé à un intense
processus de réflexion critique.
Un travail plus important, toujours
Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences
axé sur les compétences en éducation
physique, à réaliser à domicile leur
est aussi proposé. Dans celui-ci, l’étudiant prépare un cycle de six leçons
dans une discipline de son choix. Sa
tâche consiste à détailler le processus
d’organisation des compétences. L’étudiant doit clairement illustrer les liens
entre les tâches d’apprentissage et les
compétences recherchées. Il propose
également un plan d’action dans cette
même discipline, en prévoyant une
évolution des compétences à atteindre
de la 4e à la 6e année du secondaire. Enfin, les projets sont présentés oralement
devant la classe et font l’objet d’une
nouvelle discussion constructive. Les
productions sont mises en commun
(CD-rom) et contribuent à l’enrichissement du répertoire personnel de chaque
étudiant.
Dans un deuxième temps, plusieurs
séances de cours (théorie seule, pratique seule, combinaison des deux) sont
consacrées à la didactique spécifique
de disciplines sportives particulières.
Les contenus proposés aux étudiants
reposent sur une analyse des compétences qu’il est possible de développer
grâce à la pratique de l’activité. Ces
activités représentent toujours un moment important car elles permettent de
confronter la représentation sportive
qu’ont les étudiants (apprentissage
technique, recherche de performance)
aux finalités éducatives de la discipline utilisée pour faire acquérir des
compétences physiques, motrices et/ou
sociales.
L’évaluation est un moyen incontournable pour apprécier la maîtrise des
compétences et l’atteinte des objectifs
annoncés. Dans l’idéal, l’évaluation en
éducation physique a lieu à l’issue de
chaque thème d’apprentissage, en référence aux compétences poursuivies,
dont elle est supposée vérifier le déve-
loppement à l’aide d’une situation d’intégration (Klein et Hardman, 2007).
Les étudiants sont invités à produire
un document d’évaluation standardisé
en s’aidant d’une fiche guide de référence de manière à suivre directement
la ligne de conduite imposée. En effet,
bon nombre d’enseignants en fonction
évaluent dans l’urgence, sans trop de
références aux objectifs poursuivis, à
l’aide d’une épreuve unique simple,
« pour mettre une note dans le bulletin » (Cloes, 2003).
Au cours de leurs stages de responsabilité, les étudiants ont pour mission
de préparer les leçons afin de pouvoir
montrer à leurs superviseurs – maîtres
de stage et membres du service de
didactique – comment le processus
d’enseignement mis en place peut être
considéré comme pertinent dans la
perspective du développement de compétences ciblées lors de chaque séance.
Il leur est aussi demandé d’apporter
« une valeur ajoutée » par rapport à ce
qu’un entraîneur pourrait proposer. Les
débriefings sont toujours une occasion
de développer la pratique réflexive.
Dans chaque stage de responsabilité,
l’étudiant enregistre sa prestation (4e ou
5e séance) au moyen d’un caméscope,
ses interventions verbales étant captées
grâce à un émetteur FM. Ce dispositif
lui permet de se déplacer librement
dans toute salle de sport et de disposer
d’un matériel de choix pour réaliser
une séance de pratique réflexive.
Celle-ci se déroule en plusieurs temps.
Tout d’abord, le stagiaire effectue une
autoscopie en respectant un guide
d’analyse comportant plusieurs questions sur l’appréciation du travail des
compétences visées dans la leçon. Par
la suite, l’enregistrement vidéo est présenté à un moniteur pédagogique – un
enseignant expérimenté – qui sollicite
également la réflexion de l’étudiant et
l’incite à revenir sur divers épisodes
parmi lesquels l’adéquation des situations d’apprentissage par rapport aux
objectifs annoncés constitue un thème
particulièrement récurrent.
à l’issue de leurs stages, les étudiants
sont invités à rédiger un rapport dans
lequel ils doivent à nouveau souligner
la place qu’ils ont réservée au développement des compétences. Ceci fait
d’ailleurs l’objet d’une question individualisée dans le cadre de l’examen
théorique de didactique spéciale.
Enfin, comme cela vient d’être mis en
évidence, l’évaluation des étudiants
accorde une place non négligeable à la
manière avec laquelle ils sont capables
de construire et d’animer des leçons
en se focalisant sur des compétences
particulières. Ainsi, lors de la leçon
d’examen (en situation réelle), le didacticien spécialiste centre notamment
son attention sur cet aspect. Dans le
cadre de l’examen théorique, outre la
question individualisée relative à une
des leçons proposées lors des stages,
les étudiants tirent au sort des questions
les amenant à montrer comment ils
procéderaient pour atteindre un objectif
défini le plus précisément possible
(encadré).
Conclusion
Pour conclure, centrer son enseignement sur l’acquisition de compétences
ne coule pas de source. Un effort s’impose pour fixer des cadres de références
et des repères permettant d’exploiter
cette notion devenue incontournable.
Une priorité de la formation consiste
à amener les enseignants débutants à
s’interroger sur l’impact des décisions
qu’ils prennent avant, pendant et après
l’intervention.
En didactique spéciale de l’éducation
physique, par l’intermédiaire des di-
Exemple de question posée en juin 2007 à l’examen de didactique spéciale
Vous êtes engagé dans un cycle de volley-ball avec une classe de 3e degré. Pour la prochaine leçon, vous comptez sur
21 élèves actifs et 3 dispensés. Vous disposez d’un plateau, de 12 ballons ainsi que de tout le matériel utile. Votre objectif consiste à développer la compétence 3.2 (« capter efficacement les signaux émis par ses partenaires et y réagir de
manière interactive ») en travaillant la distinction réceptionneur/non réceptionneur. Proposez le contenu de votre leçon
(40 minutes de temps utile) en veillant à impliquer au maximum les élèves dans leurs apprentissages et à respecter les
principes susceptibles d’augmenter leur motivation. N’oubliez pas de justifier vos choix.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
13
Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences
verses activités théoriques et pratiques
qui jalonnent le cours, nous tentons de
construire un canevas qui permettra
aux étudiants de démystifier la notion
de compétence. Ce développement
s’effectue avec nos étudiants afin
d’obtenir un consensus.
Les avis, commentaires et suggestions
formulés par les principaux intéressés
lors de tables de discussion organisées
chaque année en fin de formation
confortent notre conception. En effet,
lors de ces séances, le sentiment prédominant est très favorable. D’un point de
vue plus personnel, nous devons rester
modestes dans le sens où l’aisance affichée par les stagiaires dans la maîtrise
de la pédagogie des compétences reste
sujette à de nettes différences interindividuelles, soulignant tout l’intérêt des
formations continuées.
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compétences en éducation physique.
Réflexions et propositions. Puzzle,
13, 30-36.
Cloes, M., Del Zotto, D. & Motter,
P. (nd). What PE teachers do to promote a lifelong active lifestyle in ������
their
14
students? An analysis by the critical
incidents technique in Wallonia.
Texte soumis pour publication dans
les actes du Congrès international
de l’AIESEP de Sapporo. Tsukuba :
University of Tsukuba.
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CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
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Quand « Philosopher » devient une compétence
Véronique Dortu
Faculté de Philosophie & Lettres, service de Didactique de la Philosophie
Université de Liège
Quand « philosopher » devient
une compétence
1. Mise au point
On s’en doute, travailler les compétences dans le cadre du cours de didactique
de la philosophie n’est pas chose simple. La raison de cette difficulté n’est
pas de définir le champ conceptuel de
cette méthode, mais de s’accorder avec
les directives officielles. Nous sommes
en effet confrontés à une situation relativement floue. Jusqu’à présent, ma
recherche au sujet des compétences
dans le cadre du cours de didactique
spéciale en philosophie a porté sur un
nécessaire travail de clarification. Dès
lors, que l’on ne s’attende pas ici à trouver les principes d’application de cette
réforme vieille de déjà dix ans, mais
espérons tout au moins comprendre ce
que l’on attend des enseignants. Mon
pari est celui-là : leur « apprendre »
la manière de faire philosopher des
adolescents.
Prenons les choses dans l’ordre pour
tenter de situer le problème. Tout
d’abord, et ceci n’est pas un scoop,
nous formons de futurs professeurs de
morale et non de futurs professeurs de
philosophie. Une première question
se pose dès lors : faut-il établir une
distinction entre des compétences en
morale et des compétences en philosophie ? Deuxièmement, les cours
« dits philosophiques » ne disposent
d’aucun référentiel de compétences
établi aux travers de ce que nous
nommons communément les « petits
livrets verts » et qui assurent la cohérence de cette méthodologie. C’est
donc de façon singulière que chaque
pouvoir organisateur y va de sa perception dans l’établissement d’une
pédagogie par compétences dans les
cours « dits philosophiques ». Seuls
les programmes des cours de religion
catholique et de morale se caractérisent
par une réflexion répondant au Décret
Missions dans le chef de la pédagogie
par compétences. Les autres programmes devraient, par ailleurs, bientôt
s’y conformer. Le Conseil supérieur
des cours philosophiques fraîchement
élu a établi son cahier des charges en
conséquence. En attendant, voyons
comment a été envisagée l’approche
par compétences dans les deux cours
déjà concernés.
2. La foi et les compétences :
enjeux du cours de religion
catholique
En religion catholique, les choses
semblent claires. Le programme est
introduit par une mise au point nécessaire à la pédagogie des compétences.
Les exigences du Décret-Missions sont
ainsi scrupuleusement respectées.
La construction du sens de la vie
constitue l’objectif essentiel du cours.
On tente d’y arriver par la confrontation explicite entre les questions
existentielles, les éléments culturels et
les ressources de la foi. Voici pour la
démarche élémentaire1. à côté de cette
première exigence, tout le déroulement
méthodologique du cours est désormais
pensé en fonction de compétences
disciplinaires, transversales ou terminales. Les grilles du programme appa-
raissent comme autant de suggestions
de séquences de cours qui se fondent
sur dix thèmes et doivent concourir à
l’acquisition de certaines compétences par les élèves. Ceci constitue les
entrées et balises qui permettent aux
enseignants de faire le meilleur usage
du programme durant les six années du
secondaire. Le choix de la thématique
est laissé à l’enseignant en fonction de
plusieurs facteurs, tels que par exemple
les attentes du public ou préférences
de l’enseignant. Les redites sont toutefois évitées par l’obligation de ne
recourir qu’à deux entrées en matière
pour chaque degré2. En regard des dix
thèmes retenus, onze compétences
ont été dégagées. C’est à l’enseignant
qu’il revient d’établir son choix de
compétences en fonction des sujets
qu’il envisage. Pour chaque degré, il y
a cependant une série de compétences
qui constituent un socle incontournable, qui fera l’objet d’une évaluation
en fin de chaque degré. Chacune des
compétences disciplinaires est formulée de manière prédicative. Elles sont
assorties d’une explication supplémentaire et de moyens possibles pour les
mettre en œuvre. Les voici énumérées
sans plus de commentaires :
1. Lire et analyser les textes bibliques
2. Décoder le mode de relation au
religieux
3. Pratiquer l’analyse historique.
4. Interroger et se laisser interroger par
les sciences positives et humaines.
5. Pratiquer le questionnement philosophique.
6. Discerner les registres de réalité du
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
15
Quand « Philosopher » devient une compétence
langage.
7. Expliciter le sens des symboles et
des rites.
8. Construire une argumentation éthique.
9. Pratiquer le dialogue œcuménique,
interreligieux et interconvictionnel.
10. Explorer et décrypter différentes
formes d’expression littéraire et artistique.
11. Discerner et analyser la dimension
sociale de la vie humaine.
Il me semblait nécessaire de faire écho
à ce travail, que j’estime remarquable,
tant par sa concision que par sa possible
efficacité. Je sais par ailleurs qu’il ne
me revient pas, au cours de didactique
de la philosophie, de former les futurs
professeurs de religion. Cette tâche
revient à l’Institut supérieur de catéchèse et de pastorale et je sais que l’on
consacre quelques heures à l’analyse
de ce programme et de son articulation
autour des onze compétences.
3. Morale et philosophie :
pour des compétences
identiques Ma tâche est moins aisée. La formation initiale des futurs professeurs de
morale se fonde en partie sur l’analyse
des programmes du réseau de la Communauté française et du réseau de la
Province de Liège. Le réseau de la ville
de Liège s’est aligné sur le document
du réseau de la Communauté française.
Le manque de cohérence entre les réseaux au sujet d’une même matière ne
nous facilite pas le travail. Ce qui est
sans doute plus inquiétant, c’est que la
même perception de la pédagogie par
compétences ne semble pas partagée.
On peut en effet constater que dans le
programme de morale de la Province,
qui est en phase de révision complète
et donc encore en plein chantier, on en
est encore à hésiter sur la distinction
entre compétences et objectifs. La
seule certitude semble résider dans le
fait que ce seront des valeurs à promouvoir au cours qui détermineront
toute la méthodologie à suivre. Si le
programme de la Communauté française a déterminé des compétences, je
doute que les enseignants de ce réseau
soient plus à l’aise avec cette pédagogie que ceux du réseau provincial.
16
Les inspectrices en fonction ont bien
compris le malaise. Elles tentent d’y
remédier, en consacrant bon nombre
de réunions pédagogiques à clarifier
la problématique3.
Pour l’ensemble du cours de morale
non confessionnelle dans le secondaire,
on compte quatre champs de compétences disciplinaires. Le premier définit
des capacités à sentir ou ressentir. Ce
sont des compétences socio-affectives.
« Elles visent le développement de
la sensibilité, liées à la construction
de l’identité, du lien social, et de
l’ouverture au monde, à la nature et
à l’art ». Le deuxième définit des capacités à penser et faire sens. Ce sont
les compétences cognitives. « Elles
visent à amener l’élève à conceptualiser, problématiser, argumenter, faire
sens, se distancier par l’esprit critique,
pratiquer le libre examen et développer la pensée inductive, analogique,
métaphorique et créative ». Deux
autres points précisent encore toute
l’importance d’apprendre à penser et
à pratiquer le libre examen et d’apprendre à penser avec les autres. Le
troisième définit des capacités à choisir.
Ce sont les compétences éthiques. Elles
contribuent au développement de la
conscience morale qui est lié à l’élaboration de l’autonomie du jugement
moral par le libre examen, du jugement
esthétique, du choix des valeurs et de
la responsabilité citoyenne.
Enfin, le quatrième champ de compétences définit des capacités à agir. Ce
sont des compétences décisionnelles.
Celles qui en définitive semblent le
mieux pouvoir réaliser les trois principaux objectifs du cours de morale.
Les compétences dites transversales
définies dans le programme font référence d’une part à l’éthique et d’autre
part à la citoyenneté démocratique. Ces
deux types de compétences transversales rejoignent exactement les champs
de compétences disciplinaires, l’un
relatif à l’éthique, l’autre au pouvoir
de décision. Ceci n’est pas pour faciliter la nécessité d’y voir clair dans la
préparation des séquences de leçons.
Avec ces compétences transversales,
il s’agit donc d’amener l’élève, par la
pratique de la clarification des valeurs
et du débat argumenté, à choisir luimême ses critères moraux en accord
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
avec un souci d’universalisation. Ceci
devrait contribuer à la construction de
son identité. Quant aux compétences
de citoyenneté démocratique, elles touchent à un apprentissage des principes
et valeurs liés aux droits de l’homme
et par voie de conséquence amènent à
s’intéresser aux réalités politiques et
juridiques du pays. Ces compétences
supposent encore la préparation à la
participation active de la part de chaque
élève en tant que citoyen au sein de la
société, sa capacité à s’y engager et à y
exercer sa parole démocratique.
Quant à moi, je propose de resserrer
l’ensemble des compétences transversales autour de trois types d’exigences.
Je les tiens en droite ligne des enseignements de Pierre Somville, qui les a
expérimentées pendant quinze années
dans ses propres classes. Optant pour
un plancher résolument minimaliste et
sans entrer dans le détail des programmes - mais en parfait accord avec eux -,
je proposerai pour la classe de quatrième l’exigence suivante : qu’un seul
parle à la fois, maître ou élève, étant
entendu que l’enseignant reste celui qui
distribue la parole. Cette exigence de
départ est la seule façon d’organiser le
groupe afin que le débat soit possible,
que chacun, à tour de rôle, puisse y
écouter l’autre, même si - et surtout si les avis divergent. L’expérience montre
que cet apprentissage-là, souvent difficile, reste la clé du bon fonctionnement
de la classe considérée comme une
micro-société. Les principes d’écoute
et de liberté de parole y sont, en effet,
possibles, moyennant cet accord, sorte
de contrat, à quoi chacun doit accepter
de souscrire.
La chose étant acquise, en classe de
cinquième, on peut passer à autre chose. En plus du constat de se trouver tout
à coup face à de jeunes adultes, heureuse métamorphose des adolescents
turbulents de l’année précédente, on
peut miser sur la compétence d’écoute
et de respect de l’autre dûment (et
durement ?) obtenue en quatrième.
L’effort peut désormais porter sur un
autre genre d’exercice : le résumé d’un
texte d’idées. La première question y
est de contextualiser l’extrait, ce qui
suppose une (ou quelques) leçon(s)
théorique(s), puis de le faire lire, en
l’expliquant au besoin, avant de pas-
Quand « Philosopher » devient une compétence
ser, en classe, au résumé écrit. à ce
stade, la difficulté reste toujours de
faire admettre qu’un résumé n’est pas
un copié-collé reprenant les phrases
du texte, mais une vraie radiographie,
dont le but est d’établir le « squelette »
d’une argumentation, en faisant ressortir les opérateurs logiques et autres
mots-outils.
En sixième, enfin, là où le contenu proprement philosophique apparait avec
le plus de netteté, on peut proposer, un
cran plus haut, l’exercice de rédaction
d’un semblable texte d’idées, traditionnellement appelé « dissertation ».
Après avoir appris à lire, il convient
d’apprendre à écrire. Le tout suppose
ici a fortiori une théorisation et une
contextualisation préalables non moins
que conclusives et ouvertes sur d’autres
entrées conceptuelles, logiques, idéologiques, éthiques, esthétiques, voire
affectives…
Le projet peut sembler modeste. Il l’est
en effet. Cependant, à viser trop haut,
on risque, par effet pervers, de ne rien
obtenir.
Quant aux compétences plus directement et spécifiquement disciplinaires,
ne devraient-elles pas, par souci de
clarté encore, se résumer aux compétences définies exclusivement pour le
troisième degré ? Les deux dernières
années de l’enseignement secondaire
sont consacrées à l’initiation philosophique finalisant l’éducation morale.
Les objectifs sont aussi précisés fonction de cette exigence philosophique.
Ils sont au nombre de cinq : disponibilité à l’étonnement, aptitude à la
décentration, ouverture à la réflexion,
approche critique des savoirs, des
normes et des valeurs, et enfin une
interrogation sur le sens de la vie.
Atteindre ces objectifs demande que
soit mise en place une méthodologie
didactique bien spécifique. Celle qui a
été retenue est inspirée des travaux de
Michel Tozzi. La problématisation, la
conceptualisation, l’argumentation et
enfin l’engagement perçus comme les
quatre compétences fondamentales des
deux années du degré de détermination
permettant l’aboutissement de ces cinq
objectifs.
M. Tozzi définit un noyau dur dans
l’apprentissage du philosopher. C’est
son processus didactique articulé
autour de la problématisation-conceptualisation-argumentation, auxquels
il adjoint trois compétences philosophiques essentielles, à savoir la
discussion philosophique, la lecture
philosophique et l’écriture philosophique. Cette structure est le fruit d’une
longue réflexion et a largement fait
ses preuves. Le programme du cours
de morale non confessionnelle s’en
inspire. Quant à nous, et considérant
sa qualité, nous prenons la liberté de
nous en servir, et peut-être même de
nous le réapproprier. C’est pour cette
raison que nous nous permettrons d’en
modifier quelques aspects, sans toucher
au fond.
Je traduirai par compétences, les trois
éléments du dispositif que M. Tozzi
dénomme « capacités ». Ces compétences seront mesurables par les capacités, que M. Tozzi envisage en tant
que compétences, de lecture, d’écriture
et de discussion.
Ainsi entendue dans un cours de morale, la maîtrise des compétences que
je viens d’évoquer signifie que l’élève
puisse philosopher, c’est-à-dire « penser par soi-même »4. Le programme de
morale pourrait très bien se contenter
de ces quelques compétences sans
pour autant négliger tous les aspects
socio-affectifs, cognitifs, éthiques et
décisionnels qui à mon sens sont à
envisager autrement que sous le titre
de compétences. Ceci relève peut-être
du lieu commun, mais je me dois de le
souligner, plus le projet sera modeste,
dans le sens d’une liste aussi courte
que possible de compétences, plus
il sera efficacement intégré par les
enseignants.
Dans un tel projet, nul n’aura de difficulté à comprendre l’idée qu’il faille
travailler des capacités avec les élèves.
Celles-ci ne seraient pas non plus trop
nombreuses et en suivant le raisonnement de M. Tozzi, on pourrait très bien
les restreindre à trois : lecture, écriture
et discussion.
Envisagé avec quelques compétences réalistes, l’évaluation au cours
de morale deviendrait d’emblée plus
pertinente. évaluer des compétences de
problématisation, de conceptualisation
et d’argumentation au travers des capacités à lire, écrire et discuter philosophiquement est tout à fait envisageable
de manière objective, avec des critères
de notation préalablement définis. Ceci
mettrait fin à la difficulté que rencontre
trop souvent le professeur de morale,
à savoir la suspicion des élèves quand
à des notes qu’ils contestent, parce
qu’ils estiment ne pouvoir être jugés
sur leur avis.
C’est dans le sens de cette clarification
radicale que j’envisage l’apprentissage
par compétences avec les étudiants de
l’agrégation en philosophie. Si certains
de mes collègues, maîtres de stages, y
voient l’ombre d’une systématisation,
je les arrête tout de suite. J’ai eu à peine
deux ans de fonction pour réussir à les
convaincre de l’utilité de cette pratique, il me reste maintenant à pouvoir
préciser mes objectifs, à multiplier les
rencontres avec les praticiens et à affiner mes exigences auprès des étudiants
pour les préparer au mieux à leur métier
de demain.
Exiger des futurs professeurs de morale qu’ils construisent le déroulement
d’une leçon en vertu d’un processus
didactique strict répondant aux exigences d’une pédagogie par compétences
n’est pas nécessairement dogmatique.
Pour ce faire et d’une manière qui
demande à être complétée, je procède
avec les étudiants de manière assez
simple. Je consacre deux séances de
cours à l’approche par compétences.
Pour introduire le sujet, je distribue
toute la série des brochures « Compétences terminales et savoirs requis ».
Je leur demande de les consulter avec
attention, de prendre note des passages incontournables. Ensuite, je leur
présente les tenants et aboutissants de
ces publications, dont les disciplines
« dites philosophiques » sont, je l’ai
dit précédemment, ignorées. Je leur
demande alors d’imaginer et de rédiger,
selon quelques consignes précises, un
document du même type pour le cours
de morale. Je précise que l’exercice
s’appuie sur une bonne connaissance
du programme de morale et de son référentiel, vus lors de séances précédentes.
Le document est à réaliser pour la semaine suivante. Cette première séance
est encore pour la suite consacrée à la
mise en place du champ conceptuel des
compétences. Je les informe aussi de
manière nuancée et critique des courants pédagogiques qui en sont soit dé-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
17
Quand « Philosopher » devient une compétence
fenseurs, soit détracteurs. La semaine
suivante, la séquence de cours débute
par un tour de table. Les étudiants
présentent leur travail qui sera analysé
en groupe. Cette discussion est suivie
d’un exposé sur le processus didactique
de problématisation-conceptualisation
et argumentation, lequel est par de
nombreux exemples tirés de manuels
de philosophie. Je conclus cette leçon
en insistant sur l’exigence de construire
les schémas de leçon sur base de ces
exemples. J’insiste pour dire que cette
façon de faire est loin d’être parfaite,
mais qu’elle fait en tout cas partie du
début de mon cheminement didactique.
18
Après la table rase due au travail critique des prescrits envisagés dans ma
thèse, le temps est venu de proposer
du neuf.
Notes
Pour plus de détails, je renvoie à
mon ouvrage, Les cours philosophiques revisités : une utopie ? (2006).
Liège : éd. de l’Université de Liège,
Coll. Sociopolis,.
2
Il y a donc en tout soixante grilles. On
en compte une par entrée, donc deux
par degré. Comme il y a trois degrés,
cela fait six grilles à multiplier par le
1
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
nombre de thématiques.
Je ne reviendrai pas sur les définitions
de compétences et autres concepts
liés à ce champ méthodologique.
Tout est clair depuis notamment le
livre de J. Beckers, (2002). Développer et évaluer les compétences
à l’école : vers plus d’efficacité et
d’égalité, Bruxelles : Labor, Coll.
Pédagogie des compétences.
4 Sur cette notion, je renvoie à mon
ouvrage, Idem.
3
Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences
Jean-Louis Dumortier
Faculté de Philosophie & Lettres, service de Didactique des Langues et
Littératures romanes
Université de Liège
Pourquoi j’évite de rebattre les oreilles de
mes étudiants avec les compétences
Passons très vite sur ce que tout le
monde sait dans notre microcosme.
à la fin des années 90, suite au décret
de la C.F.W.B. du 30 juillet 1997 redéfinissant les missions de l’école, le
Ministère de l’éducation a entrepris
une réforme consistant à énoncer les
objectifs d’apprentissage en termes de
compétences et à ériger ces dernières
en objets de certification.
Des représentants de tous les réseaux
d’enseignement ont alors — ceci est
un peu moins connu — collaboré,
dans la hâte et sous la férule d’un
maître d’œuvre pour qui « réfléchir »
(sérieusement) ne faisait pas rime
avec « aboutir » (rapidement), à la
rédaction de référentiels de compétences qui, depuis 1999, président à
l’enseignement des différentes disciplines. Dans l’enseignement général et
technologique tout au moins, car il fut
regrettablement décidé de mettre sous
le boisseau le travail de ceux que l’on
avait chargés de définir des compétences pour les cours généraux dispensés
dans l’enseignement dit aujourd’hui
« qualifiant ». J’incline à penser que
la récente réforme du qualifiant pâtit
de cette décision, mais il n’y a pas lieu
d’en dire ici davantage1.
Aux candidats à l’agrégation dont
m’incombe la formation professionnelle s’agissant de la discipline « français », je ne manque pas de signaler,
lors de ma leçon inaugurale, l’existence
du référentiel intitulé Compétences
terminales et savoirs requis en français. C’est le prescrit légal, leur dis-je
en substance, et en tant qu’agents de
l’institution, vous devez le connaître et
le respecter. Mais ce respect n’implique
pas que vous renonciez à l’exercice du
jugement critique. Ne sacrifiez jamais
votre liberté de pensée sur l’autel des
instructions officielles : ces instructions
changeront au cours de votre carrière,
elles changeront probablement plus
d’une fois, et votre effarement, votre
indignation, voire votre résistance au
changement seront alors à la mesure
de votre sacrifice.
J’ajoute, pour contrebalancer les violons, que le référentiel est à apprendre
par cœur, à suspendre à la lampe de
chevet, à encadrer avec la photo des
enfants, à consulter trois fois par jour,
à faire assurer (très cher) contre le vol,
à emporter même à la plage, à sauver
prioritairement en cas de catastrophe
naturelle et, surtout, à sortir, mine de
rien, avec le journal de classe et les prépas du jour, en cas de visite de l’inspecteur ou du conseiller pédagogique.
Plus sérieusement, je préviens :
1°) en tant que stagiaires, vous n’aurez
pas à vous conformer à un (ou des)
modèle(s) d’action considéré(s) par
moi-même comme conforme(s) à la
lettre — ne parlons pas d’esprit — du
référentiel ; vous aurez en revanche à
répondre aux attentes de vos maîtres
de stage. Ces derniers exigeront ou
n’exigeront pas que vous enseigniez
de manière à favoriser, dans le chef
des élèves, le développement de compétences et, s’ils l’exigent, vraisemblablement désigneront-ils par « compétences » des objectifs d’apprentissage
sans commune mesure les uns avec les
autres, ce qui ne laissera pas de vous
rendre perplexes, pour peu que vous ne
soyez pas du genre à foncer nez dans
le guidon ;
2°) l’examen et les leçons publiques
consisteront en la présentation et en la
défense d’un dispositif d’apprentissage
visant à rendre les élèves capables d’effectuer une tâche complexe, révélatrice
d’une compétence de communication2.
Tout au long de l’année, vous aurez
l’occasion, au cours de didactique spéciale, d’observer et de mettre en question soit des dispositifs de ce genre, soit
des pièces de tels dispositifs3.
Pourquoi invité-je des jeunes gens sans
expérience professionnelle à considérer d’un œil critique un référentiel
de compétences que, par ailleurs, je
les engage vivement à respecter ?
Pourquoi refusé-je de leur faire prendre, dès le départ, le « bon pli » qui
consisterait à ordonner tout leur travail
de stagiaires à l’objectif de permettre
le développement de compétences de
communication4 ?
Pour plusieurs raisons dont je vais
faire état dans un instant, mais au
nombre desquelles on chercherait en
vain quelque prévention de ma part à
l’endroit du projet de substituer à un
apprentissage du français finalisé par
l’acquisition et certifié par la restitution de savoirs sur la langue ou sur la
littérature, un apprentissage finalisé,
lui, par des compétences de lecture
et d’écriture, d’écoute et de prise de
parole impliquant la mobilisation de
ces savoirs, un apprentissage certifié
sur la base de tâches où trouvent à se
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
19
Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences
concrétiser les compétences susdites.
Plus je réfléchis à ce projet de substitution, plus je trouve, même en jouant
à l’avocat du diable, de raisons de
l’approuver. Si les savoirs langagiers
et littéraires ne sont pas des ressources
pour comprendre et pour produire des
discours, s’ils ne servent pas aux élèves, d’abord, à prendre place dans la
communauté discursive scolaire spécifiée par la discipline « français »5, s’ils
ne leur facilitent pas l’accès à d’autres
communautés discursives scolaires
(toutes les disciplines ayant leur discours propre et bien des connaissances
langagières étant indispensables à la
compréhension comme à la production
de ces discours disciplinaires), si les savoirs en question ne leur permettent pas
d’avoir ensuite, dans l’enseignement
supérieur, dans l’exercice d’une profession, dans toutes les situations de la
vie publique ou privée, une intelligence
plus vive de ce qui se dit ou s’écrit,
avec ou sans intention artistique, s’ils
ne leur permettent pas de bénéficier de
possibilités plus étendues de prendre
la parole ou, le cas échéant, la plume,
alors je doute qu’ils aient vraiment leur
place dans le patrimoine intellectuel
qu’une génération entend léguer à la
génération suivante.
Sur l’entreprise de restructurer le
cours de français, dans l’enseignement
obligatoire, en faisant de certaines
compétences de communication les
piliers du nouvel édifice, ma position
est donc sans ambiguïté. Mais alors
pour quels motifs me gardé-je bien de
présenter à mes étudiants le référentiel
Compétences terminales et savoirs requis en français comme l’instrument de
navigation qui doit leur donner le bon
cap ? Quel démon pervers me pousse
à ne pas choisir, de manière exclusive,
des maîtres de stage qui se servent irréprochablement de cet instrument-là,
et à ne pas imposer à mes stagiaires de
l’utiliser eux-mêmes… quitte à donner
l’exemple de (ce que je tiendrais pour)
son bon usage ?
De la première raison, j’ai maintes fois
fait état, dans cette revue même et dans
bien d’autres : le référentiel susdit n’est
pas, à proprement parler, un référentiel
de compétences de communication ; ce
qu’on y trouve c’est une énumération,
plus ou moins organisée, de capacités,
20
générales ou particulières, susceptibles d’être comptées au nombre des
ressources impliquées par telle ou
telle compétence. Il suffit, si l’on veut
s’en convaincre, de lire la définition
d’une compétence figurant à l’article
5 du décret de 1997 : on constatera
sans nulle peine qu’aucun des quelque
soixante-dix (!)6 items du référentiel ne
correspond à cette définition-là — que
les rédacteurs n’ont pas lue ? dont ils
n’ont pas tenu compte ? dont il ne leur a
pas été permis de tenir compte ? Je n’en
sais rien et peu importe : quoi qu’il en
soit, le résultat est fâcheux. En cas de
doute persistant, ou d’obstination à
croire que le titre du « livre de la loi »
correspond bien à son contenu, que
l’on consulte le référentiel concernant
les langues modernes étrangères.
Combien de compétences ? Quatre.
Soixante-dix d’un côté, quatre de
l’autre : c’est, d’une part, beaucoup
trop, de l’autre beaucoup trop peu
pour qu’il s’agisse effectivement,
ici ou là, d’aptitudes à mobiliser les
ressources nécessaires à la résolution
des problèmes typiques d’une famille
de situations de communication. Car
c’est cela, une compétence de communication. Cela et pas autre chose. Et
cela étant, est-ce que je faillis à mon
devoir d’universitaire en mettant mes
étudiants en garde contre la tentation
de se fier à une boussole affolée et à un
sextant faussé ?
Ma seconde raison d’agir comme je
le fais est la suivante : j’ai souvent eu
l’occasion de constater que les items
du référentiel sont utilisés comme
autant de vignettes de conformité
pour dédouaner des activités n’ayant
que fort peu de chose à voir avec le
développement de compétences de
communication. Mes étudiants, que
j’ai un temps contraints, à l’occasion
de l’examen ou des leçons publiques,
de mettre en rapport leur dispositif
d’apprentissage et le référentiel, m’ont
plus d’une fois dit que je leur imposais
ainsi un exercice dont le formalisme
les décevait, eu égard à mes propres
exigences quant à l’appropriation
des activités qu’ils avaient conçues
à l’objectif de développement d’une
compétence de communication. Les
étudiants sont assez généralement lucides quand à l’inutilité de certains tra-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
vaux… Par ailleurs, j’ai fréquemment
été perplexe en considérant ce que
certains maîtres de stage proposaient
comme leçons aux stagiaires — la
plupart du temps avec la conviction de
travailler eux-mêmes selon la logique
des compétences. Perplexité n’est pas
dénigrement. Ni contestation. Ni même
critique : j’ai beaucoup de respect et de
gratitude pour chacun des collègues du
secondaire qui acceptent de collaborer
avec mon Service. Mais je suis bien
forcé de constater que la conception
d’une compétence n’est pas la chose
du monde la mieux partagée dans le
cercle des professeurs de français. Et
je constate également que la réussite
relative des uns ou des autres, s’agissant de la motivation des élèves à apprendre et de leur aptitude à utiliser ce
qu’ils ont appris, n’est pas fonction de
leur conception des compétences. Dès
lors, pourquoi dirais-je à mes étudiants
qu’hors celle du décret de 1997, sur
laquelle s’accordent maints spécialistes
et que je tiens donc moi-même pour
solidement fondée, il n’est pour eux
point de salut ?
Mais pourquoi m’acharner sur le référentiel, m’objectera-t-on sans doute,
alors qu’existent des programmes qui
éclairent davantage les enseignants
néophytes sur la question des compétences ? C’est exact : les commissions
qui ont établi les programmes se sont
efforcées de tricoter les brins de compétences figurant dans le référentiel.
Malheureusement, le point est large
dans le programme du réseau libre et
il est serré dans celui du réseau officiel.
Mes étudiants proviennent des deux
réseaux et, mis à part quelques-uns
aux fermes convictions idéologiques,
ils sont disposés à enseigner dans celui
qui leur proposera le plus vite le poste
le plus désirable. Aussi ne me vois-je
pas soutenir qu’une compétence de
communication c’est ce qui est désigné
ainsi dans tel programme plutôt que
dans tel autre.
Soit, oublions les programmes, concédera peut-être mon contradicteur :
restent les documents produits par la
Commission des Outils d’évaluation,
un organe interréseaux qui corrige le
tir mal ajusté des auteurs du référentiel
et ceux différemment ciblés des commissions de programme. Je reconnais
Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences
très volontiers que ces documents
contiennent des dispositifs d’apprentissage d’une grande qualité et tout à
fait propres au développement de véritables compétences de communication.
Je pourrais assurément les utiliser pour
exemplifier la procédure à suivre afin
de construire un dispositif d’apprentissage de nature à rendre les élèves
aptes à effectuer une tâche complexe
de communication et à manifester ainsi
qu’ils ont développé, jusqu’à un certain
point tout au moins, la compétence
de réaliser des tâches apparentées à
celle-là, des tâches appartenant à la
même famille que celle-là. Je pourrais
soumettre les outils d’évaluation à la
réflexion de mes étudiants, comme je
soumets à leur réflexion les dispositifs
ou les parties de dispositifs que j’ai
moi-même élaborés. Je pourrais faire
bon poids en ajoutant des chapitres
entiers de manuels récents, conçus selon l’esprit de la réforme pédagogique
dite des compétences : j’en ai dirigé,
j’en ai cosigné, j’en ai même écrit
intégralement un. Si je projetais de
rompre mes étudiants à une méthode
de travail convenant bien au développement de compétences de communication, assurément ne manquerais-je
pas de moyens de réaliser ce projet.
Mais ce n’est décidément pas le mien.
Je ne souhaite pas que les A.E.S.S.
à la formation desquels je contribue
soient obsédés par les compétences
parce que — c’est la troisième raison
que je ferai valoir — je constate depuis
plusieurs années que la crispation sur
l’objectif de rendre les élèves aptes à
effectuer une tâche de communication
complexe (autrement dit l’objectif de
les pourvoir de la compétence d’accomplir ce genre de tâches) conduit à
oublier ce qu’est un cours. De français
en l’occurrence.
Un cours de français, c’est un enchaînement d’activités orientées par des
buts d’apprentissage des contenus de
la discipline. Des contenus redéfinis
en termes de compétences de communication conditionnant l’accès à la
communauté discursive scolaire, n’y
revenons pas, mais qui n’en devraient
pas moins présenter une organisation
globale. Un cours de français, c’est
un enchaînement d’activités orientées
également par la prise de conscience
des acquis disciplinaires et de leur
contribution à la formation générale, un
enchaînement d’activités susceptible
de faire naître le désir de comprendre et
de produire les discours spécifiques de
la communauté en question. Or, ce qui
me frappe et m’afflige, quand je considère les effets les plus communs de la
réforme susdite, c’est, d’une part la fréquente solution de continuité entre les
séquences d’activités, d’autre part…
l’effusion de sens entraînant le manque
de désir de comprendre et de produire
les genres de discours qui spécifient la
communauté discursive scolaire. Les
séquences finalisées par une tâche de
communication se juxtaposent au lieu
de s’enchaîner et si les élèves sont
(dans le meilleur des cas) conscients
de ce qu’ils apprennent à faire au cours
d’une séquence, ils savent de moins
en moins pourquoi ils apprennent à
faire cela. Le mal n’est pas nouveau,
me dira-t-on. D’accord, ce n’est pas
depuis ce matin que les élèves passent
de l’étude de la pensée des Lumières à
celle des chansons à la mode et ce n’est
pas depuis ce matin qu’ils font leur
« métier d’élève » sans se demander
— ou sans songer à demander — pourquoi Rabelais et Montaigne plutôt que
les séries télévisées. Ce qui est nouveau
et à mes yeux bien regrettable, c’est la
couche de bonne conscience que le fait
d’œuvrer au développement de compétences répand sur ce qui est parfois un
fatras sans rime ni raison. Vous avez
en point de mire une tâche-problème
de communication, vous ne perdez
pas de vue la mire, vous faites ce qu’il
faut pour rendre les élèves — pardon !
tous les élèves — capables d’effectuer
cette tâche, vous êtes dans le bon,
mon ami. Pas besoin de réfléchir ni de
faire réfléchir davantage. Quand vous
aurez terminé, vous pourrez passer à
autre chose.
Mes heures (de cours) sont comptées :
plus j’en consacrerai au développement de compétences professionnelles
permettant à mes étudiants d’œuvrer,
demain, au développement des compétences de communication, moins
j’en pourrai employer à susciter leur
pensée critique sur des questions (que
j’estime) cruciales comme celles-ci :
1°) quels sont, à votre avis, les apports propres de la discipline « fran-
çais » à la formation générale dispensée durant la scolarité obligatoire,
2°) en quoi la communauté discursive
scolaire spécifiée par cette discipline
se différencie-t-elle des communautés
discursives scientifiques, littéraires et
linguistiques, dont vous avez appris à
comprendre et à produire les discours ?
3°) sur quoi pouvez-vous faire fond
et que vous manque-t-il (en fait de
savoirs langagiers, en fait de savoirs
littéraires) pour donner aux adolescents les moyens et l’envie de prendre
place dans la communauté discursive
scolaire propre à votre discipline — et
pour leur donner accès à d’autres communautés discursives scolaires ?
4°) quel est le rapport entre telle activité de français — il en est tant de
routinières ! — et l’apport particulier
du cours à la formation générale ; s’il
en existe un, comment le rendre (plus)
sensible aux élèves ?
5°) comment tenir compte des pratiques culturelles hédonistes et consuméristes de la plupart des adolescents
sans renoncer à leur donner accès à
des œuvres, littéraires ou non, dont la
qualité ne s’accommode guère de ces
pratiques-là ?
6°) quelle attitude adopter face à des
usages de la langue qui diffèrent de
celui dont résulte le discours de la
communauté scolaire ?
7°) comment rencontrer les attentes et
répondre aux besoins spécifiques des
élèves dont le rapport à la langue, le
rapport aux savoirs langagiers et littéraires est fort différent du vôtre étant
donné leurs ancrages socioculturels ?
8°) où trouver le fil rouge grâce auquel
les apprenants auront les meilleures
chances de percevoir que les tâches
disciplinaires d’aujourd’hui ne sont pas
sans relation avec celles d’hier, que les
ressources nécessaires pour se mettre
à l’œuvre maintenant ont, en grande
partie, été précédemment acquises ?
Restons-en là : l’énumération pourrait continuer longtemps. Elle suffit
amplement, me semble-t-il, pour que
l’on comprenne ce que je souhaite faire
comprendre : à mon estime, la logique
« technicienne » des compétences et,
derrière cette logique, le formidable
(au sens étymologique du terme : effrayant) projet d’évaluation pyramidale
dans lequel s’inscrivent les épreuves
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
21
Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences
internationales et le travail des commissions chargées d’outiller les professeurs pour assurer et pour contrôler
le développement des compétences
sont gros du danger de cantonner la
réflexion des enseignants, de canaliser
leur questionnement, d’orienter leurs
doutes, de restreindre leurs possibilités
d’initiative, bref de faire d’eux des
agents institutionnels plutôt que des
acteurs de l’éducation. Juste un mot
là-dessus.
L’agent exécute les tâches qui lui incombent, sans s’interroger sur le sens
de ce qu’il fait, sur ce qu’il veut, lui, en
le faisant et en le faisant ainsi. Dans une
situation donnée, l’agent joue les rôles
correspondant aux positions sociales
qu’il occupe. Sans réfléchir à l’intention de ses actes, qui est la représentation du rapport entre les motifs et les
buts de ces derniers. Sans réfléchir non
plus à leur efficacité ni à leur efficience.
L’acteur, lui, agit intentionnellement. Il
évalue lui-même ses choix comme ses
gestes et il régule son action compte
tenu de cette évaluation. Lorsqu’il
juge ainsi de ce qu’il fait compte tenu
de l’intention dont procède et qui dynamise son action, c’est son histoire,
ce sont ses valeurs, ses normes de
comportement, ses besoins, ses désirs,
ses projets personnels qui interagissent
avec la prise de conscience de ses rôles
sociaux et avec sa volonté de les assumer, ou d’assumer certains d’entre eux
aux dépens de certains autres. L’acteur
ne refuse pas de jouer un rôle social
ou plusieurs, mais il n’accepte pas
de n’être qu’un agent et de soumettre
sans discussion son auto-évaluation
à l’évaluation d’un tiers patenté qui
apprécie impartialement sa manière
de jouer son rôle. L’acteur n’est pas
confiné dans l’institution.
« Combien de maîtres aspirent à être
des acteurs plutôt que des agents ? »
me souffle dans l’oreille mon contra-
22
dicteur. Je détourne la tête. Je regarde
mes étudiants. Je veux croire qu’il
y a en chacun d’eux une disposition
à répondre : « Moi j’y aspire ! ». Je
fais mon possible pour renforcer cette
disposition-là. Et je me garde de leur
rebattre les oreilles avec les compétences.
Notes
Si quelqu’un entreprend un jour
d’écrire l’histoire de la réforme de
1997 avec plus de liberté d’expression que je ne m’en accorde — ce
sera sans doute quand il y aura prescription des erreurs —, il substituera
des noms à mes périphrases, renoncera à mes déterminations indéfinies
comme à mes nominalisations et ne
se servira pas de la forme passive
pour dissimuler les agents. Quant à
moi, si je m’abstiens de « faire des
personnalités » (comme on disait
jadis), c’est moins par souci des
convenances que par crainte de mêler
les exécutants et les responsables et
d’ainsi décharger ces derniers d’une
part de leurs responsabilités.
2
Le canevas de ce dispositif figure
dans le numéro 10 de Puzzle.
3 Je mets à la disposition des étudiants
un portefeuille dont le contenu varie
chaque année. Y figurent des leçons
ou des séquences de leçons de nature
à susciter la réflexion, entre autres
quant au rapport entre appropriation
des savoirs et développement des
compétences.
4
La langue ne sert pas qu’à communiquer, j’en conviens. Elle sert aussi
à appréhender le monde, à le mettre
en ordre, à le connaître. Et elle sert
également à élargir le champ du
connaissable bien au-delà des limites de l’environnement immédiat.
Je ne me ferai pas prier davantage
1
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
pour reconnaître la spécificité de ses
usages artistiques : l’intention artistique singularise la production du
« discours littéraire », elle requiert,
dans la « conduite esthétique », une
qualité d’attention procédant de la
reconnaissance de cette intention, et
l’on ne saurait donc, en tant qu’enseignant de français, faire bon marché
de considérables différences dans
les modes de communication. S’il
importe de s’accorder là-dessus, il
n’importe pas moins d’admettre que
l’évaluation des élèves est conditionnée par le fait qu’ils disent ou qu’ils
écrivent, à propos d’objets propres à
la discipline, quelque chose à quelqu’un, dans un contexte spécifique.
En d’autres mots, qu’ils communiquent. C’est donc au développement
de compétences de communication
que l’enseignant de français doit
œuvrer.
5
Une communauté discursive, c’est
un groupe humain au sein duquel
circulent certains genres de discours
sur certains objets. Une communauté
discursive disciplinaire, c’est un
groupe humain dont les activités
langagières sont finalisées par la
production de connaissances dans
un champ disciplinaire donné. Les
communautés discursives scientifiques, spécifiées par telle ou telle
discipline de recherche, sont (plus ou
moins) distinctes des communautés
discursives scolaires, spécifiées les
disciplines enseignées au cours de
la scolarité.
6
Pour avancer ce chiffre approximatif,
je m’en tiens aux « compétences »
devant donner lieu à une certification
et j’écarte des items qui figurent dans
la partie « savoirs disciplinaires »,
items dont, soit dit en passant, certains s’apparentent plus à des compétences que ceux contenus dans la
partie « compétences terminales ».
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
Germain Simons
Faculté de Philosophie & Lettres, service de Didactique spéciale des Langues et
Littératures germaniques
Université de Liège
Comment former les futurs enseignants en
langues modernes aux réformes du système
éducatif ?
Cet article s’articule autour des quatre
points suivants :
1. Quelques réflexions liminaires pour
cadrer la problématique.
2. Description et commentaire des démarches entreprises au sein du Service
de didactique spéciale des Langues et
Littératures germaniques (DSLLG) de
l’ULg dans ce domaine.
3. Problèmes rencontrés et esquisses
de solution.
4. Bibliographie.
1. Quelques réflexions
liminaires pour cadrer la
problématique
a. La formation initiale ne peut prétendre, à elle seule, former les (futurs)
enseignants aux réformes du système
éducatif. Certes, nous jouons un rôle
important dans cette entreprise, mais
il importe que les responsables de la
formation continuée prennent le relais.
Nous pensons que cette intervention
des opérateurs de la formation continuée devrait se faire le plus tôt possible
dans le parcours professionnel du jeune
enseignant et que cette intervention
pourrait être organisée en collaboration
avec les opérateurs de la formation
initiale.
b. La didactique spéciale ne peut former, à elle seule, les futurs enseignants
aux réformes du système éducatif. Il
importe que chaque cours ou séminaire
du programme de l’AESS ou de la future finalité didactique1 prenne sa part
de responsabilité dans ce processus
de formation, et que nous communiquions davantage sur les objectifs et
contenus de nos cours afin d’éviter les
redondances.
c. Le rôle de la formation initiale à
l’université est certes de former les
futurs enseignants aux réformes du
système éducatif ; cela étant - et c’est
sans doute là une des spécificités de
la formation universitaire - le rôle
de notre formation initiale est aussi
d’amener les futurs enseignants à poser
un regard critique sur les réformes du
système éducatif.
d. Le problème de la pertinence des
« savoirs savants » enseignés aux
étudiants pendant leur formation
scientifique par rapport aux besoins
linguistiques engendrés par les dernières réformes du système éducatif – en
ce compris la réforme de l’approche
communicative dans le domaine des
langues étrangères - est beaucoup trop
important et complexe pour n’être
qu’esquissé dans le cadre du présent
article. Il en va de même du questionnement, légitime, que l’on peut avoir
sur le niveau de maîtrise de ces savoirs
savants par les futurs enseignants. Dans
le présent article, nous feignons de
croire que tous nos étudiants ont une
maîtrise au moins satisfaisante des
savoirs savants qui leur ont été enseignés, et que ces savoirs sont bel et bien
indispensables pour l’exercice de leur
future profession ; notre rôle consiste
donc à les amener progressivement à
assurer la transposition didactique de
ces savoirs maîtrisés.
2. Description des démarches
entreprises au sein du Service
de didactique spéciale des
Langues et Littératures
germaniques de l’ULg dans ce
domaine
Notre formation en DSLLG se caractérisant par de nombreux « allers
et retours » entre le cours, les exercices didactiques, les stages d’observation et d’enseignement et les
séminaires de pratiques réflexives,
on ne peut considérer l’ordre de présentation des sous-points suivants
comme strictement chronologique.
2.1. Informer
Pour que les (futurs) enseignants puissent mettre en pratique les réformes du
système éducatif, il est évidemment indispensable qu’ils soient d’abord informés
de l’existence des prescrits légaux. C’est
là, apparemment, une évidence. Apparemment seulement car nous sommes
parfois étonnés de constater que certains
(jeunes) enseignants sont extrêmement
hostiles à un décret, à un référentiel de
compétences ou à un programme… qu’ils
ne connaissent pas ou très/trop mal.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
23
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
Dans le cadre du cours de DSLLG, les
étudiants sont invités à lire certains
extraits du Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement
fondamental et de l’enseignement
secondaire et organisant les structures
propres à les atteindre et du Contrat
pour l’école – 10 priorités pour nos
enfants -, l’intégralité des référentiels
Socles de compétences en langues
modernes et Compétences terminales
et savoirs requis en langues germaniques, ainsi que les programmes de
langues germaniques de la Communauté française et de langues modernes
de l’Enseignement libre2. Les quatre
premiers documents sont présentés et
commentés par l’enseignant, les deux
autres, en revanche, sont présentés par
des groupes de trois à quatre étudiants,
leur tâche consistant à synthétiser le
document et à en présenter une analyse
critique à leurs pairs3. Enfin, au terme
de ces présentations, les étudiants sont
invités à préparer une liste de questions
qu’ils auront l’occasion de poser à deux
experts ayant participé activement à la
conception de ces documents officiels.
à titre d’exemple, lors de l’année
académique 2006-2007, nous avons
invité Mme N. Bya, responsable du
secteur langues modernes à la Fédération de l’Enseignement secondaire
catholique, co-auteur du programme de
langues modernes de l’Enseignement
libre, et M. M. Dahmen, inspecteur
de langues germaniques à la Communauté française et co-président de la
Commission du programme de langues
germaniques de la Communauté française (programme de l’enseignement
de transition). Précisons que certains
extraits ou chapitres de ces documents
officiels sont illustrés par des exemples
de séquences didactiques expérimentales et d’outils d’évaluation qui ont été
conçus, mis en pratique et évalués par
des membres du service de DSLLG
dans le cadre de différentes recherchesactions. Ainsi, lors de l’année académique 2006-2007, deux exemples de
séquences didactiques expérimentales
articulées autour du concept de situation-problème ont été présentées
aux étudiants. La première (Beckers,
Simons, et al, 2001 ; 2002) portait sur
l’identification et l’enseignement des
stratégies de communication effica-
24
ces ; la seconde (Van Hoof, 2002) sur
l’insertion des technologies de l’information et de la communication (TIC)
dans une séquence d’apprentissage
articulée autour du concept de situation-problème. Précisons que la lecture
critique des prescrits légaux mentionnés ci-avant ainsi que les exemples de
mise en pratique de ces réformes, font
partie intégrante de l’examen, ce qui
nous garantit, au minimum, une lecture
(attentive) de ces documents par tous
les étudiants.
Soulignons également que, dans le
cadre du cours de DSLLG, la réforme
de « l’approche par compétences » est
aussi abordée à travers un éclairage
historique. Ainsi, les étudiants découvrent que, dans le domaine des langues
étrangères, cette réforme trouve son
origine dans les travaux réalisés par le
Conseil de l’Europe dans les années 70.
Les « champs thématiques » qui sont
repris dans les documents Socles de
compétences en langues modernes et
Compétences terminales et savoirs
requis en langues modernes ainsi que
dans les programmes de langues germaniques/modernes sont quasiment
des « copiers-collers » du célèbre
Threshold Level English4 de J. van Ek
datant de 1976, et il en va de même
pour la liste des fonctions langagières
reprise dans le référentiel Compétences
terminales… Quant au concept même
de « compétences », on le retrouve déjà
sous le libellé « four skills » dans les
programmes de langues germaniques
du début des années 80 ainsi que dans
tous les manuels du début de l’approche communicative.
Dans le cadre de ce volet historique du
cours, nous tentons donc d’expliquer
les éléments qui - sur le plan national
mais aussi international - ont conduit à
la réforme de « l’approche par compétences », mais aussi à la révolution de
l’approche communicative. Sur la base
de cet éclairage du passé, nous tentons
également d’émettre quelques hypothèses sur l’avenir de l’enseignement
des langues étrangères en Communauté
française de Belgique. Dans ce cadre,
nous sommes amenés à aborder, entre
autres, le développement spectaculaire
des programmes d’immersion, mais
aussi l’avènement de ce que certains
chercheurs ont appelé le « nouvel
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
éclectisme » (Puren, 1994).
S’il est de notre devoir d’informer les
futurs enseignants sur ces réformes
et de faire en sorte qu’ils se les approprient, il est aussi de notre devoir
d’universitaire de susciter chez eux
une réflexion critique sur ces réformes. Pour amener les étudiants à cette
réflexion critique, nous travaillons sur
trois axes.
L’analyse de ces réformes à la lumière
d’autres volets du cours théorique, dont
le volet « histoire des méthodes, » que
nous venons de brièvement décrire, et
le volet « recherche en didactique ». à
ce sujet, il nous paraît en effet intéressant d’amener les étudiants à essayer
de découvrir quels sont les fondements
théoriques qui peuvent sous-tendre
telle ou telle partie du programme de
langues germaniques ou des référentiels de compétences. Par exemple,
l’importance très relative accordée à
une présentation linéaire et systématique des faits grammaticaux dans le programme de langues modernes de l’Enseignement libre et, dans une moindre
mesure, dans celui de la Communauté
française, trouve sans aucun doute
son origine dans une conception assez
Krashénienne (Krashen, 1981 ; 1985)
de l’acquisition des langues étrangères,
conception selon laquelle l’élève « apprend » principalement - y compris les
structures grammaticales - par (simple)
exposition à un « comprehensible
input », qui doit se situer un degré
au-dessus du niveau de l’élève (i + 1).
Selon Krashen, l’ordre d’acquisition
de la langue étrangère ne suit pas (nécessairement) l’ordre d’enseignement,
ce qui le conduit à relativiser fortement
l’importance d’une progression linéaire dans l’enseignement des structures
grammaticales, mieux ou pire encore,
à remettre en doute l’utilité même de
l’enseignement de la grammaire.
Pour prendre un autre exemple, qui
n’est pas sans rapport avec le premier,
le concept « d’approche en spirale »
que l’on retrouve dans tous les programmes de langues étrangères ainsi
que dans les manuels de l’approche
communicative, trouve également partiellement son origine dans un courant
de recherche qui développe la thèse
selon laquelle l’apprentissage d’une
langue étrangère suit un ordre univer-
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
sel, qui est, du moins en grande partie,
indépendant de la langue maternelle de
l’apprenant (Pienemann, 1986 ; 1999).
La conséquence didactique de cette
découverte linguistique est la suivante : comme les élèves d’une classe
ne sont pas tous au même stade de
développement, il convient de revenir
fréquemment sur les mêmes structures
grammaticales et de les affiner ; bref,
il est indispensable de travailler « en
spirale » pour avoir plus de chances
de rencontrer chaque élève au moment
où elle/il est prêt(e), dans son interlangue, à acquérir telle ou telle structure
linguistique.
Le débat avec des auteurs de ces réformes (voir point 2.4.).
La mise à l’épreuve de ces prescrits légaux dans les classes (voir point 2.3.).
2.2. Préparer in vitro
Une partie du cours de DSLLG est
organisée sous forme d’exercices destinés à aider les étudiants à concevoir
des plans de séquences didactiques
ciblant les quatre macro-compétences
langagières (compréhensions à la lecture et à l’audition, expressions écrite
et orale) ainsi que les savoirs et savoirfaire linguistiques (lexique, fonctions
langagières, grammaire).
Un premier exercice consiste à partir
d’une « unit » complète extraite d’un
manuel et à sélectionner, dans tout le
matériel proposé, des activités susceptibles d’être intégrées dans un plan
de séquence didactique cohérent de
quatre, six ou huit heures de cours5.
Généralement, nous essayons de proposer cet exercice dans les trois langues
germaniques, en utilisant comme support des manuels récents de l’approche
communicative fréquemment utilisés
par les maîtres de stage. En procédant
de la sorte, nous familiarisons les
étudiants avec des outils qu’ils seront
amenés à utiliser pendant les stages6,
mais nous suscitons également une
réflexion critique par rapport à ces
outils : Cette « unit » est-elle en
phase avec les prescrits légaux ?7 Si
non, que lui manque-t-il ? L’ordre des
activités proposées vous semble-t-il
propice à l’apprentissage ? Justifiez
votre réponse. Tous les exercices sontils indispensables ? Manque-t-il des
exercices ? De quel type ? Pourquoi ?
Force est de constater que cette analyse
critique des manuels s’avère de plus en
plus indispensable.
Un autre exercice, plus difficile,
consiste à créer toute une séquence
didactique (plan et activités prévues
dans chaque leçon) qui soit adaptée à
un certain nombre de paramètres qui
sont imposés aux étudiants (année
d’études, niveau de langue, nombre
d’élèves, nombre d’heures de cours,
compétences ciblées en priorité dans la
séquence). Cette séquence doit impérativement inclure une brève évaluation
ainsi qu’une séance de remédiation.
Comme outil de référence pour cette
séquence didactique, les étudiants
ont à leur disposition un syllabus qui
propose divers schémas didactiques
ainsi qu’une grande variété d’exercices d’entraînement et de transfert
(Simons, 1999). Les propositions des
étudiants sont commentées par le
formateur dans le cadre des exercices
didactiques.
Afin de faciliter le passage de ces exercices de préparation de séquences et de
leçons à leur mise en pratique dans les
classes (voir point 2.3.), nous proposerons aux étudiants, dès l’année académique prochaine, des exercices de
« micro-teaching » assistés par la vidéo.
2.3. Exercer in vivo
C’est lors des stages d’enseignement
que les étudiants sont amenés à mettre
en pratique les nouveaux savoirs et
savoir-faire présentés dans le cadre
du cours théorique et des exercices didactiques afférents. à l’heure actuelle,
trois grandes périodes de stage sont
fixées par le Cifen : novembre, janvier/
février et avril/mai. Pour affronter ce
« choc de la réalité » (Veenman, 1984),
il nous semble important que, pour le
premier stage, les étudiants puissent
évoluer dans un climat sécurisant sur
le plan affectif ; c’est la raison pour
laquelle nous leur permettons de réaliser ce premier stage (2 x 6 heures)
dans leur ancienne école8. La deuxième
période de stage, la plus longue, est
celle où les étudiants peuvent le plus
travailler dans la durée. Généralement,
ils donnent cours dans deux classes
différentes (une par langue) pendant
deux semaines ; ils prestent donc
seize heures de cours (2 x 8 heures).
La dernière période de stage est de
nouveau plus courte (2 x 6 heures) et
intègre les leçons publiques, qui, dans
notre cas, sont de « vraies leçons »
réalisées in situ.
Sur l’ensemble des stages, chaque étudiant est observé, au minimum, six fois
par les membres du service de DSLLG,
ce qui nous permet, entre autres,
d’évaluer le niveau d’assimilation des
réformes du système éducatif par les
étudiants. Notons que les représentants du service et les maîtres de stage
utilisent la même grille d’évaluation,
laquelle grille est évidemment communiquée aux étudiants avant le début
des stages ; par ailleurs, les étudiants
peuvent consulter toutes les grilles
d’évaluation après chaque période de
stage. Ce mode de fonctionnement
poursuit un quadruple objectif :
a. attirer clairement l’attention des étudiants sur ce que nous considérons être
les critères de qualité d’une séquence
didactique et, de manière générale, de
l’enseignement moderne des langues
germaniques ;
b. permettre aux étudiants de s’autoréguler au cours des stages ;
c. assurer la plus grande cohérence
possible entre les différents évaluateurs (les différents représentants du
service et les différents maîtres de
stage) ;
d. familiariser les étudiants avec
cette démarche de transparence dans
l’évaluation pour qu’une fois devenus
enseignants, ils la pratiquent également
avec leurs élèves.
Signalons également qu’au terme du
premier stage, nous proposons aux
étudiants qui ont éprouvé de grosses
difficultés d’être filmés pendant la
deuxième période de stage 9. Cette
leçon filmée fait alors l’objet d’un
séminaire d’autoscopie dont l’objectif est la prise de conscience, par
l’étudiant, des problèmes qu’il a
rencontrés en classe et la recherche
de solutions pour les stages à venir.
2.4. Partager les expériences
d’enseignement et réfléchir
sur ses pratiques et sur celles
de ses pairs
Les séminaires de pratiques réflexives
(dix heures) organisés pendant les périodes de stages sont un moment-clé de
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
25
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
la formation initiale. Après avoir testé,
ces cinq dernières années, diverses
formules, plus au moins convaincantes, nous avons finalement opté pour
une organisation en deux temps, qui
nous donne satisfaction. Lors des
trois premiers séminaires de pratiques
réflexives qui sont organisés pendant
les stages de novembre, nous amenons
les étudiants à partager leurs expériences d’enseignement. Sur la base des
notes que nous avons prises lors de
nos visites de stages, nous invitons les
étudiants à décrire et à commenter les
activités qu’ils ont réalisées en classe ;
le plus souvent, il s’agit d’activités ou
de leçons qui nous ont paru particulièrement riches et innovantes10 et qui sont
en phase avec les dernières réformes de
l’enseignement des langues étrangères. Concrètement, les étudiants sont
d’abord invités à présenter brièvement
le contexte dans lequel ils évoluaient,
les objectifs qu’ils poursuivaient dans
cette séquence, les grandes étapes de
la démarche didactique adoptée, puis
à décrire, de manière plus précise, la
leçon ou l’activité didactique repérée
par les membres du service. Enfin,
au terme de cette présentation, nous
demandons aux autres étudiants s’ils
ont donné une leçon ou organisé une
activité semblable, et comparons les
manières de procéder. Cet échange
débouche généralement sur des suggestions de modification/amélioration
de la leçon/activité présentée11. Force
est de constater que les étudiants sont
très réceptifs lors de ces échanges
d’expériences ; le fait que ces (parties
de) leçons aient été présentées et surtout données par leurs pairs – et non,
par exemple, par des professeurs chevronnés, des moniteurs pédagogiques
ou des inspecteurs - explique sans
doute, en grande partie, la qualité de
cette écoute.
Les trois autres séminaires sont organisés pendant les stages de janvier/février. Dans cette deuxième
phase, nous travaillons davantage
sur les problèmes rencontrés par les
étudiants pendant les stages. Pour que
nous ayons l’occasion de préparer
ces séminaires, nous demandons aux
étudiants de nous envoyer par courriel
des exemples de problèmes qu’ils ont
vécus en classe et qu’ils souhaitent voir
26
traiter dans les séminaires de pratiques
réflexives (voir point 2.5.). En équipe,
nous analysons alors les problèmes qui
nous ont été soumis. Enfin, lors des
séminaires, avec l’aide des étudiants,
nous proposons des pistes de solution
pour résoudre ces problèmes.
Outre l’intérêt évident que ces séminaires présentent quant à l’échange de
pratiques innovantes et à la résolution
(partielle) de problèmes spécifiques
rencontrés pendant les stages, nous
sommes convaincus que cette manière
de procéder offre un autre avantage :
elle apprend au futur enseignant à
parler de ses pratiques à ses collègues,
or on sait que cette démarche de verbalisation n’est pas si répandue dans les
salles de professeurs - a fortiori quand
elle porte sur les difficultés voire les
échecs rencontrés -. Cette démarche
est pourtant essentielle car on sait que
ce mutisme dans lequel s’enferment
parfois les (jeunes) enseignants peut
parfois les conduire à un « burnout »
précoce voire à l’abandon de la profession. Parler des succès et des échecs
que l’on rencontre en classe est donc
important et, exactement comme pour
l’autonomie (voir point 2.6.), nous
sommes convaincus que cela s’apprend.
2.5. Articuler théorie et
pratique didactiques
Lors de ces séminaires de pratiques
réflexives, il nous arrive de réactiver
des éléments théoriques abordés dans
le cadre du cours de didactique spéciale, voire de présenter de nouvelles
notions théoriques. Bien souvent, les
étudiants y sont davantage réceptifs
à ce moment-là que pendant le cours,
sans doute parce que ces notions
théoriques apparaissent alors comme
des outils susceptibles de les aider à
mieux comprendre et à résoudre une
situation problématique qu’ils viennent
de vivre12. à titre d’exemples, lors de
l’année académique 2006-2007, deux
grands problèmes ont été soulevés par
les étudiants : celui de la gestion de
l’hétérogénéité des niveaux de maîtrise
- un problème qui occupe une place importante dans le Contrat pour l’école13
- et celui de l’évaluation de performances complexes en expression orale et
écrite - un des épineux problèmes de
l’approche par compétences dans le
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
domaine des langues étrangères -.
En ce qui concerne la problématique
de la gestion de l’hétérogénéité, nous
avons présenté aux étudiants les résultats d’une recherche-action que nous
avions réalisée dans ce domaine avec
de jeunes enseignants (B eckers &
Simons, 2000). Le problème de l’évaluation des compétences a, quant à
lui, été traité en trois temps. Dans le
cadre du cours théorique, nous avons
d’abord fourni quelques grands principes de base relatifs à l’évaluation
des compétences (Simons, 1999, pp.
158-164). Cette information a ensuite
été complétée, toujours dans le cadre
du cours, par les communications de
Mme N. Bya et de M. M. Dahmen,
tous les deux membres d’un groupe
de travail au sein de la Commission
« outils d’évaluation, » qui nous ont
présenté bon nombre d’outils d’évaluation produits par cette commission.
Notons que ces communications ont
donné lieu à un véritable débat entre les
étudiants et ces experts, débat qui fut
parfois animé, mais toujours constructif, ce qui démontre, nous semble-t-il,
que nos étudiants ont acquis un esprit
critique affûté. Enfin, dans le cadre des
pratiques réflexives, nous avons reçu
Melle A. Campo, étudiante en 3e licence
en sciences de l’éducation qui a présenté aux étudiants une grille d’évaluation
de l’expression orale qu’elle a testée,
dans le cadre de son mémoire, sur des
élèves du secondaire apprenant l’allemand en tant que langue étrangère.
Après avoir décrit et commenté la tâche
d’expression orale soumise aux élèves
ainsi que sa grille d’évaluation critériée, elle a invité les étudiants à visionner différentes productions d’élèves et
à utiliser sa grille pour les évaluer. La
séance s’est achevée par une discussion
sur les points forts et faibles de cette
grille d’évaluation et par la formulation
de suggestions destinées à l’améliorer.
2.6. Rendre les étudiants
autonomes
Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre
les enseignants du secondaire se plaindre du manque d’autonomie de leurs
élèves. Depuis peu, on entend parfois
le même type de critiques à l’égard des
étudiants de l’université, en ce compris
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
ceux de l’AESS. Force est de constater que, dans le domaine de l’aide
apportée aux étudiants, l’université
a beaucoup changé ces dix dernières
années, les étudiants étant aujourd’hui
beaucoup plus « encadrés » - d’aucuns
diront « maternés » voire « assistés »
– qu’auparavant, surtout au niveau
du baccalauréat14. L’AESS n’échappe
pas à cette tendance générale puisque,
depuis une dizaine d’années, nous bénéficions, grâce au Cifen, du soutien de
moniteurs pédagogiques dont la fonction première est d’aider les étudiants
dans la conception et l’exploitation de
leurs séquences de cours.
Loin de nous l’idée de remettre en
question et encore moins de critiquer
cette aide indispensable apportée aux
étudiants, tant au niveau du baccalauréat que de l’AESS, d’autant qu’en
ce qui concerne cette dernière, elle
permet aux services de didactique
spéciale d’engager, pour quelques
dizaines d’heures par an, des enseignants qui sont toujours en contact
direct avec la réalité du terrain, ce qui
est fondamental pour une formation
à caractère professionnel comme la
nôtre. En revanche, il nous semble
que si nous voulons que nos étudiants
s’approprient pleinement les réformes
du système éducatif, si nous souhaitons
aussi, plus globalement, que les futurs
enseignants amènent leurs élèves du
secondaire à devenir des élèves plus
autonomes et plus responsables, bref,
si nous voulons rompre avec ce cercle vicieux du manque d’autonomie
des élèves du secondaire  manque
d’autonomie des étudiants à l’université  manque d’autonomie des enseignants  manque d’autonomie des
élèves…, il importe que nos étudiants
de l’AESS et ceux de la future filière
didactique se libèrent progressivement
de l’aide fournie par les moniteurs pédagogiques et autres assistants. En un
mot comme en cent, il faut qu’au terme
de cette formation initiale, les étudiants
soient capables de voler de leurs propres ailes. Convaincus que l’autonomie
s’apprend, et qu’elle s’apprend par
un processus de balises que l’on fixe,
dans un premier temps, aux étudiants,
puis qu’on leur retire progressivement,
nous imposons les séances de monitorat pour les 1er et 2e stages, mais les
supprimons lors du troisième et dernier
stage. Pour l’année académique prochaine, nous envisageons de les rendre
facultatives lors du 2e stage. Selon la
même logique, on pourrait imaginer
fixer, pour chaque période de stages,
des exigences différentes, allant du
plus « directif/assisté » (par exemple,
travailler avec telle « unit » de tel manuel), au tout début de la formation, au
plus « permissif/autonome » (l’étudiant
choisit, avec l’accord de l’enseignant,
les objectifs qu’il poursuivra dans cette
séquence, construit sa tâche d’aboutissement et élabore toutes les activités
d’apprentissage nécessaires), à la fin
de la formation.
3. Problèmes rencontrés et
esquisses de solution
3.1. De la nécessité de
disposer de périodes de stage
suffisamment nombreuses et
longues
Dans une formation professionnalisante, les problèmes d’ordre logistique
sont tout sauf insignifiants. C’est un
secret de polichinelle que la pédagogie
par situation-problème recommandée
par le programme de langues modernes
de l’Enseignement libre, et, à quelques
nuances près, par le programme de langues germaniques de la Communauté
française, est assez « chronophage ».
Heureusement, depuis la réforme de
l’AESS introduite en septembre 2001,
le volume d’heures de stages d’enseignement a doublé, passant de vingt
heures de stages à quarante. La difficulté que nous rencontrons cependant
en DSLLG est de trouver assez de maîtres de stage qui acceptent d’accueillir
des stagiaires dans leurs classes pour
une période suffisamment longue (au
minimum deux semaines dans la même
classe) pour leur permettre de mettre
en place des séquences plus complexes
articulées autour de situations-problèmes. Et quand bien même la majorité
des professeurs accepterait, il faudrait
encore que nous disposions de périodes
de stages suffisamment longues pour que
ce soit réalisable, ce qui – c’est du moins
le cas pour la Faculté de Philosophie et
Lettres - risque de devenir difficile à partir de l’année académique prochaine15.
3.2. De l’écart voire du fossé
qui peut parfois exister entre
les pratiques préconisées par
les uns et les autres
Un des problèmes majeurs que nous
rencontrons dans cette entreprise de
formation des agrégés aux réformes
du système éducatif est qu’un certain
nombre de maîtres de stage avec lesquels nous travaillons – une grosse
centaine d’enseignants dans le cas
de l’AESS en Langues et Littératures
germaniques à l’ULg - ne sont pas
toujours suffisamment bien informés
sur les objectifs et le contenu de ces
réformes, et encore moins formés à
les appliquer. Autre cas de figure, pas
si rare que cela : les maîtres de stage
sont bien informés voire formés, mais
n’adhèrent pas (du tout) à ces réformes.
Notons d’emblée que cela ne signifie
pas pour autant qu’ils soient automatiquement de « mauvais enseignants »,
d’autant que ces réformes ne sont pas
exemptes de reproches. Toujours est-il
que nos étudiants se trouvent parfois
dans une situation très inconfortable,
tiraillés entre, d’une part, des pratiques
conseillées par le didacticien spécialiste (et/ou généraliste), ses assistants et
ses moniteurs pédagogiques - quand il
n’y a pas de contradictions entre ceuxci, ce qui peut aussi arriver -, et, d’autre
part, les pratiques du maître de stage,
qui peuvent parfois être (très) éloignées
des premières mentionnées. Certes,
la diversité des éclairages peut-être
bénéfique à la formation de l’identité
professionnelle mais nos étudiants ont
également besoin, surtout au début de
la formation initiale, d’un minimum
de cohérence.
De toute évidence, il importe que nous
travaillions encore davantage avec les
responsables de la formation continuée pour que les pratiques que nous
préconisons et celles recommandées
par les maîtres de stage soient plus
proches16. C’est dans ce sens que nous
œuvrons depuis plus de six ans puisque
nous avons mené trois programmes de
recherches-actions avec l’inspection
des langues germaniques de la Communauté française (Beckers, Simons,
Dahmen et al, 2001-2002 ; 2002-2004 ;
2004-2006) pour et avec certains de
nos maîtres de stage. Les principaux
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
27
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
résultats de ces recherches sont présentés, par le didacticien spécialiste, dans
le cadre de la formation initiale, mais
aussi, par l’inspection, dans le cadre de
journées de formation continuée. Bien
sûr, il peut paraître plus économique et
efficace de former directement – par
exemple, par le biais de journées d’études ou de colloques – les maîtres de
stage qui reçoivent nos étudiants dans
leurs classes17, et les deux démarches
peuvent d’ailleurs être complémentaires ; mais, pour tout dire, nous ne sommes guère convaincus de l’efficacité de
cette procédure à moyen et à long termes. à l’instar de T.R. Guskey (1986),
nous pensons que les enseignants ne
modifient de manière substantielle leur
manière d’enseigner que s’ils ont eu
l’occasion de concevoir et de tester des
innovations dans leurs propres classes,
et que ces dernières s’avèrent, à leurs
yeux, efficaces. Nous pensons que si
le discours tenu par nos maîtres de
stage se rapproche du nôtre mais que
leur pratique en classe - observée par
les étudiants dans le cadre des stages
d’observation - continue à s’écarter
radicalement des modèles proposés au
cours de DSLLG, alors nos étudiants
seront encore plus déboussolés. Nul
doute que, dans cette communication
didactique parasitée, entre le discours
et la pratique, nos étudiants finiront par
croire ce qu’ils ont vu, dans la classe,
plutôt que ce qu’ils ont entendu, dans
la salle des professeurs.
3.3. De la nécessité
de mieux encadrer les
jeunes professeurs lors
de leur première année
d’enseignement
La formation des enseignants aux réformes du système éducatif est certes
de la responsabilité de la formation
initiale, mais c’est aussi celle de la
formation continuée. Force est de
constater que le contexte des stages
d’enseignement reste un contexte relativement artificiel puisque le maître
de stage assiste aux cours et que les
classes confiées aux étudiants sont,
dans la très grande majorité des cas,
et c’est bien normal, des classes qui
ne posent guère de problèmes. Les
témoignages de nos anciens étudiants
28
sur les premiers mois d’enseignement
après l’agrégation montrent que le
« choc de la réalité » est parfois extrêmement rude. Par ailleurs, la littérature
scientifique dans ce domaine démontre
que la manière avec laquelle les jeunes
enseignants vont négocier cette période
critique est susceptible de déterminer
(positivement ou négativement) le reste
de leur carrière d’enseignant (Huberman , 1989). Il importe donc, selon
nous, que l’on encadre davantage les
jeunes enseignants lors de ces premiers
mois d’enseignement, d’autant que,
pendant cette période charnière, ils
sont encore relativement « plastiques »
sur le plan didactique, ce qui n’est plus
nécessairement le cas après quelques
années d’enseignement. Pour faciliter
ce passage délicat de la formation initiale vers la formation continuée, pour
créer cette indispensable passerelle
qui aujourd’hui semble faire défaut,
on pourrait imaginer – pour autant que
l’on débloque des moyens humains et
financiers pour cette entreprise - organiser certains modules de formation
continuée en collaboration avec l’inspection et les responsables de la formation continuée. La double formule
que nous avons testée dans le cadre des
séminaires de pratiques réflexives – le
partage de pratiques innovantes, d’une
part, et l’analyse de difficultés vécues
par une majorité de jeunes enseignants
et la recherche collégiale de solutions
appropriées, d’autre part – pourrait
être explorée.
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Notes
à partir de l’année académique
2007-2008, le programme de l’AESS
(30 ECTS) sera, à l’exception de la
Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, intégré dans le
programme de maîtrise, soit étalé sur
les deux années, soit concentré exclusivement sur la seconde. L’AESS
pourra cependant toujours être suivie
« séparément » comme c’est le cas
actuellement.
2
Par manque de temps, nous travaillons principalement sur les
documents officiels produits par ces
deux réseaux.
3
Cette présentation se fait obligatoirement avec rétroprojecteur. Plus
tard dans l’année, les étudiants,
toujours répartis en petits groupes,
doivent synthétiser et commenter
un chapitre d’un ouvrage théorique
sur la recherche en didactique des
langues étrangères ; ce travail doit
être présenté avec le support du
logiciel PowerPoint. Les étudiants
ont bien sûr été familiarisés avec
ces outils dans le cadre des exercices
didactiques.
4
On relèvera au passage que l’idée
consistant à fixer, pour tous les
élèves, un minimum à atteindre (cf.
Socles de compétences) existait déjà,
vingt-cinq avant, sur le plan européen, dans le domaine des langues
étrangères (cf. Niveaux-Seuils).
5
Précisons que les manuels de l’ap1
30
proche communicative, surtout ceux
d’anglais, présentent souvent des
« units » aussi riches que touffues.
Dans certains cas, réaliser en classe
une unit in extenso peut prendre de
trois à quatre semaines de cours à raison de quatre périodes par semaine ;
il importe donc d’apprendre aux
étudiants à faire des choix.
6
Une séance d’information sur les manuels de l’approche communicative
ainsi que sur les revues scolaires et
autres adresses Internet est également
prise en charge par les moniteurs
pédagogiques avant les stages.
7
Contrairement à d’autres disciplines, nous ne souffrons pas, dans le
domaine des langues étrangères,
d’une inadéquation entre les objectifs et contenus des manuels, d’une
part, et les objectifs et contenus des
prescrits légaux de la Communauté
française, d’autre part. Certes les
manuels – surtout ceux de langues
anglaise et allemande – ne sont pas
parfaitement en phase avec les référentiels et programmes publiés par la
Communauté française de Belgique,
mais comme ces derniers sont profondément influencés par les travaux
du Conseil de l’Europe, et que tous
les manuels de langues étrangères actuels se basent sur ces documents de
référence européens, les différences
ne sont guère importantes. En ce qui
concerne les manuels de néerlandais,
on trouve encore une plus grande
adéquation avec les prescrits légaux
de la Communauté française parce
que, dans la majorité des cas, les
maisons d’édition sont belges.
8
Ils ne peuvent cependant choisir leurs
anciens professeurs, et ce pour les
deux raisons principales suivantes :
d’une part, il s’avère que les étudiants
ont souvent profondément intégré
le mode d’enseignement de leurs
anciens professeurs, et, d’autre part,
il n’est pas rare que le lien affectif
parfois très fort qui peut exister entre
le maître et son ancien élève biaise
considérablement l’évaluation du
stage.
9
Initialement, nous proposions à tous
les étudiants d’être filmés, mais cette
formule s’est avérée beaucoup trop
lourde pour le service. Aujourd’hui,
nous réservons exclusivement ces sé-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
minaires aux étudiants qui éprouvent
des difficultés, et, plus précisément,
des difficultés liées à la « présence
en classe » et à la gestion du/des
groupe(s). Ces séminaires restent
néanmoins facultatifs. Pour plus
d’informations au sujet des objectifs
et de la méthodologie de ce séminaire
d’autoscopie, voir SIMONS, 1997a
et 1997b.
10
Le plus souvent… mais pas exclusivement car il nous arrive également
de relever des leçons ou activités
assez traditionnelles mais qui ont
été remarquablement bien menées
en classe. Il va sans dire que, dans la
mesure du possible, nous essayons de
solliciter tous les étudiants.
11
Au terme de cette année académique
2006-2007, nous allons demander
aux étudiants de nous fournir, sous
forme électronique, une séquence
didactique dont ils sont particulièrement satisfaits. Une partie de ces
séquences fera l’objet d’une « publication » sur la page FTP du service.
Toutes ces séquences seront précédées d’une description succincte
du contexte d’enseignement (type
d’enseignement, classe, année et
niveau de langue, nombre d’élèves),
des objectifs poursuivis, des grandes
étapes de la démarche didactique,
ainsi que d’une rubrique… « Et si
c’était à refaire… ».
12
Qu’on ne se méprenne pas sur nos
propos : quand les éléments théoriques du cours de didactique spéciale peuvent être « raccrochés à… »
(mieux encore, « découverts à partir
de… ») une expérience vécue par
les étudiants, cela facilite sans aucun
doute leur compréhension de cet
élément théorique. Cela étant, nous
estimons que ce serait faire preuve
d’une grande naïveté que de croire
que tous les éléments théoriques du
cours de didactique spéciale peuvent
être découverts à travers l’expérience
vécue par les étudiants en situation
de stage.
13
Dans la priorité 5 « Mieux préparer les enseignants » du Contrat
pour l’école (p. 31), on peut lire :
« […] Développer des modules de
formation spécifique à l’attention
des « formateurs de formateurs »
qui s’inscrivent dans les priorités du
Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ?
présent Contrat […] : détection rapide
des difficultés d’apprentissages, remédiation, maîtrise des apprentissages
de base, utilisation des référentiels,
gestion de groupes hétérogènes… ».
Lors de l’année scolaire 2006-2007,
une formation à la gestion de l’hétérogénéité a d’ailleurs été organisée par
l’inspection des langues germaniques
de la Communauté française.
14
On pense, en particulier, aux assistants pédagogiques qui sont détachés,
pour un mi-temps, de l’enseignement
secondaire, et qui organisent, pour les
étudiants en difficulté, des séances de
répétition ou de remédiation en 1re
année de baccalauréat.
Suite à l’insertion de l’AESS dans le
programme de maîtrise, nous avons
dû diminuer le nombre de semaines
réservées aux stages d’enseignement,
passant de douze semaines à neuf ;
par ailleurs, ces semaines de stages
sont réparties sur quatre petites périodes sur les deux années de maîtrise
(trois fois deux semaines d’affilée et
une fois trois semaines d’affilée), ce
qui limite encore les possibilités de
travailler avec une même classe dans
la durée.
16
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Encore une fois, il ne s’agit pas
d’uniformiser les discours et pratiques
des uns et des autres, mais de faire
en sorte qu’il y ait quand même une
15
base commune de référence afin que
les jeunes enseignants ne soient pas
complètement perdus.
17
Dans ce cas, il conviendrait alors
de passer un contrat clair avec les
maîtres de stage et de les rémunérer
de manière décente – ce qui n’est
pas le cas à l’heure actuelle - pour
cet investissement dans la formation
initiale. Pour l’université, l’intérêt
de ce contrat serait qu’elle pourrait
alors avoir davantage d’attentes
voire d’exigences à l’égard des maîtres des stage avec lesquelles elle
travaillerait.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
31
Développer une compétence fondamentale : voir
Patrick Souveryns
Faculté de philosophie & lettres, Service de didactique de
l’histoire de l’art et archéologie
Université de Liège
Développer une compétence
fondamentale : voir
1. Donner à voir et apprendre
à regarder
L’image est omniprésente autour de
nous. Affirmer que notre civilisation
occidentale est celle de l’image, réelle
et virtuelle (Vignaux, 2003), est devenu un poncif. Cette omniprésence
et son corollaire, la surconsommation
qu’elle favorise, présentent un danger
réel, résultant de la facilité illusoire de
la lecture des images. Singulièrement,
le système scolaire continue presque
exclusivement à favoriser l’écrit, la
conceptualisation verbale, comme
source de connaissance. Pourtant,
sans un certain degré d’intimité avec
l’image (conceptualisation non verbale), nous devenons les jouets de ce
moyen de communication. Apprendre
aux jeunes générations à lire les images
devient une réelle nécessité.
Il n’est pas donné à tout le monde de
voir « juste ». Développer la compétence « voir » est fondamental pour
les cours d’histoire de l’art, analyse
esthétique et analyse de l’image. Exercer l’œil à capter avec méthode un
ensemble de données et analyser notre
perception des objets (d’art) qui nous
entourent, est un acte fondateur de
l’ensemble des compétences à déployer
durant le cursus de nos élèves. Tout est
problème de perception et particulièrement de perception visuelle.
Enseigner l’histoire de l’art ou l’analyse de l’image repose sur un acte
32
fondamental : le geste de désignation
(montrer du doigt quelque chose à
quelqu’un). Ce geste simple en apparence construit une véritable structure
triangulaire. Notre « triangle didactique » se réalise dans le geste pour
« donner à voir » (l’enseignant qui
désigne, l’élève à qui la désignation est
destinée, et l’œuvre ou l’image, cible
de la désignation).
Désigner, c’est ainsi signifier. Il existe
deux gestes de désignation : le « pointage proto impératif » dont la fonction
est d’ordonner, et la « désignation proto
déclarative » dont la fonction est de
communiquer, donc de partager.
Le pointage proto impératif est l’archétype de ce qu’on peut appeler «
l’objectivation », c’est-à-dire le fait
de montrer l’objet – c’est le geste qui
permet par exemple à l’enfant, le doigt
pointé et le bras tendu dans la même
direction, de désigner l’objet qu’il
veut. La désignation proto déclarative
introduit quant à elle la capacité de
communiquer avec autrui au sujet d’un
objet ; elle nous occupe de manière
très concrète.
Les nouvelles techniques de communication viennent en renfort pour
amplifier l’efficacité du geste. Du
doigt pointé à la lampe-flèche, du
pointeur laser au PowerPoint, le geste
de désignation reste un acte fondamental de notre approche didactique.
Notre triangle didactique se veut donc
visualisation, en tant que présentation
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
temporaire sur un support des résultats
d’un traitement d’informations, ou, par
définition, mise en évidence, d’une
façon très matérielle, de l’action et des
effets d’un phénomène. Le « donner à
voir », structure et méthode de notre
triangle didactique, se développe toujours à partir de ce geste simple.
La maîtrise d’un geste aussi élémentaire est essentielle. Ce premier pas
vers l’analyse est une perception « guidée ». La visite d’un musée ou d’une
exposition relève de la même approche.
Le geste de désignation existe depuis
que nous communiquons et partageons. Comme les enseignants, les
artistes nous montrent, dans le silence
du temps, ce que signifie leur monde.
Pensons à cette magnifique Vierge aux
rochers du Louvre, peinte par Vinci,
où l’ange Uriel désigne le Baptiste.
Uriel signifie « Lumière de Dieu » en
hébreu. La lumière n’est-elle pas un
moyen pour montrer ce qui est à voir ?
Faisons alors la lumière sur …
Enseigner l’histoire de l’art, c’est entrer dans la peau d’autrui, entrer dans la
peau de l’œuvre et raconter ce voyage.
Dans la culture humaine, les récits sont
le principal support de la construction
et de la transmission du sens1. L’œuvre,
création solitaire, devient dans les mots
de l’enseignant un partage. Et l’art devient une belle histoire. L’œuvre commence son périple initiatique dans nos
yeux. Elle continue par notre esprit et
parfois touche notre âme. Son impact,
Développer une compétence fondamentale : voir
lié à sa puissance en tant que vecteur
de sens, transite par notre « lentille »
perceptuelle. Il faut donc éveiller le
regard et ouvrir l’esprit. « Simuler » et
« stimuler » sont deux « actions » qui
facilitent la résonance particulièrement
recherchée entre l’œuvre et l’élève.
Histoire de l’art sensu stricto, théories
de l’art, esthétique, critique d’art,
ouverture vers l’analyse de l’image
et intégration des pratiques et des
technologies de l’information et de la
communication confèrent à l’appréciation du fait artistique sa complexité et sa
spécificité. Nous devons en outre nous
adapter à la diversité des situations et
à leurs implications didactiques avec
les profils d’apprenants les plus divers.
Par notre formation, nous sommes
conscients à tout le moins des enjeux
de notre discipline.
Habituellement, nous entendons le terme image dans une acception restreinte.
Pour nous, historien d’art, il ne s’agit pas
d’évaluer le tout-venant de la production visuelle, mais des documents qui,
témoignant d’états de conscience et de
culture, ont été sélectionnés par le grand
musée imaginaire de l’histoire. Changer
de position semble nécessaire pour jeter
un pont entre notre culture de l’image,
quelque peu élitiste, et la culture de nos
élèves. Nous devons mettre les images
actuelles au service du grand musée
imaginaire. Médiatisation à outrance
ou surconsommation de l’image ca-
ractérisent notre époque. Or les racines
des images actuelles se cachent dans
des terres de références : les clés des
images d’aujourd’hui nous viennent du
passé. Par l’analyse de l’image, il est
possible d’ouvrir le concept d’histoire
de l’art. Lire une image, c’est dépasser
le stade de l’analyse des éléments qui
la constituent pour mettre au jour ce qui
fondamentalement fait sens. Une telle
compréhension suppose des méthodes
d’appréciation permettant à l’élève
d’établir avec les images une relation
qui ne fasse pas de lui un consommateur
passif. Notre objectif est d’assurer une
formation équilibrée dont les piliers
indispensables sont la perspective historique – axe majeur de l’histoire de
l’art –, l’analyse esthétique et l’analyse
des significations. C’est la raison d’être
de l’intervention des historiens de l’art
dans le monde de la communication
iconique. L’enseignement systématique de ce langage spécifique éviterait
une disparition de la compréhension
des images qui ont fait notre histoire
et qui fondent les images actuelles et
à venir.
Pour résumer, la pensée verbale utilise
comme support le langage phonétique,
localisé chez l’homme dans l’hémisphère gauche, dans les aires de Broca et
de Wernicke. La pensée visuelle, elle, a
pour support le langage visuel, celui-ci
s’élaborant dans les différentes aires visuelles, la globalisation des opérations
étant localisée dans l’hémisphère droit.
Le langage visuel peut être considéré
comme un langage source spécifique
au cerveau et indépendant des langages
verbaux. Contrairement à la pensée
verbale, linéaire et considérée comme
limitée, la pensée visuelle est globale et
permet d’aborder directement la complexité du monde sensible. Elle utilise
des unités de sens et non des mots. Ces
deux formes de pensée ont tout intérêt
à collaborer …
Une expression anglo-saxonne comme
Visual thinkers (penseurs visuels) met
en évidence le fait que certains d’entre
nous recourent davantage à la pensée
visuelle qu’à la pensée linguistique.
Il est évident que nous utilisons les
deux formes de pensées, une des deux
façons de penser dominant l’autre. Mais
affirmer la supériorité d’un mode de
pensée sur l’autre est une absurdité !
Pourtant, force est de constater que la
pensée visuelle selon Rudolf Arnheim,
Ronald D. Davis ou Maria J. Krabbe2
offre bien quelques atouts tels que
rapidité décisionnelle et gestion de la
complexité.
En conséquence, lorsque nous enseignons une compétence, nous devons
penser comment nous pourrions aussi
l’enseigner de manière visuelle. Les
chances de réussite d’un apprentissage
sont plus grandes si nous utilisons systématiquement une approche visuelle
des compétences (renforcement).
Tableau 1 : Explicitations de la compétence regarder
Aspects transversaux
aspects disciplinaires
regarder3
Structurer l’observation.
Savoir utiliser une grille d’analyse.
Analyser, synthétiser et globaliser les données sensibles de la perception.
Percevoir des récurrences formelles qui caractérisent le style d’un artiste ou d’une époque.
Identifier et tresser des relations.
Distinguer ainsi vision objective et subjective.
Apprendre à décrire une œuvre de manière objective. Nourrir une vision subjective par une observation plus rigoureuse des éléments plastiques.
Nourrir la mémoire.
Engranger des références visuelles afin de nourrir une création plastique et de percevoir un fil
conducteur de préoccupations formelles, idéologiques à travers l’histoire de l’art.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
33
Développer une compétence fondamentale : voir
2. Voir, regarder … de
l’iconographie à l’iconologie
L’iconographie est une branche de
l’histoire de l’art consacrée à l’étude
des thèmes en arts visuels et de leur
contenu ou sens profond. Comme on le
constate dans le tableau 2, l’iconologie
continue simplement l’iconographie.
Une des caractéristiques de la méthode
iconographique conçue par Panofsky
est de « focaliser » sur l’intention derrière l’œuvre. Dans un premier temps,
cette méthode a été critiquée parce
qu’elle situait les opérations de l’imaginaire artistique dans la région du
conscient et des intentions rationnelles,
ou considérait qu’elles s’y développent
prioritairement. Suite aux théories
d’Erwin Panofsky et de Roelof Van
Straten (1994), ce tableau 2 présente
les étapes d’une méthode qui tient
compte de la critique d’Otto Pätch
(1994) dans la mesure où nous devons
différencier l’intention explicite de
l’intention non explicite (deux phases
de l’interprétation). Les deux phases
descriptives de l’iconographie s’attardent à ce qui est montré (opérations
de dénotation). Les deux phases interprétatives de l’iconographie focalisent
sur ce qui est suggéré (opérations de
connotation).
Tableau 2 : Synthèse des différentes approches
Démarche
d’interprétation
Inventorier tout ce que l’on voit dans la
représentation, de même que les aspects
formels (couleurs, composition, etc.) sans
établir de relation ou d’interprétation
Phase d’interprétation
Outils pour l’interprétation
Description préiconographique
Connaissance du monde extérieur
(familiarité avec objets, événements,
coutumes, etc.)
Description iconographique
Connaissance des thèmes et des sujets
en art, de même que des divers modes de
leur représentation au fil du temps.
Connaissance des sources directes ou
indirectes de l’artiste (par ex., littéraires,
visuelles, etc.)
Connecter les éléments de la représentation
entre eux et énoncer le thème et le sujet sans
amorce de découverte du sens profond
Interprétation iconographique
Connaissance des sens « cachés » possibles et interprétation des sources de
l’artiste.
Connaissance de l’interprétation d’œuvres analogues
Identifier le sens profond (et aussi symbolique) de la représentation résultant explicitement de l’intention de l’artiste
Interprétation iconologique
Connaissance approfondie des caractéristiques sociales, historiques et culturelles d’une période (par ex., politique,
religion, vie quotidienne, vision du
monde, etc.)
Identifier les sens profonds de l’œuvre (et
aussi symboliques) ne résultant pas explicitement de l’intention de l’artiste, mais
néanmoins inclus dans l’œuvre
Les compétences disciplinaires et les outils d’évaluation sont déterminés par les objectifs essentiels du cours :
- Apprendre à voir (système de perception + système de représentation).
- Apprendre à exprimer les premières impressions et à réaliser une description objective.
- Dépasser le stade des impressions par l’analyse (de l’émotion à la raison).
- Réaliser la synthèse des observations.
- Appliquer différentes grilles d’analyse dans différentes situations.
- Apprendre à mémoriser le visuel et le textuel.
- Développer le sens de la recherche.
L’analyse multidisciplinaire implique les critères d’évaluation suivants :
Mémorisation des grilles de lecture et des données historiques, techniques et esthétiques, du vocabulaire spécifique.
Application des grilles d’analyse.
Reproduire une analyse.
Réaliser une analyse.
34
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Développer une compétence fondamentale : voir
La faculté d’un élève à réaliser un
transfert des critères d’analyse dans
une situation nouvelle est l’objectif
essentiel, la compétence terminale. On
évalue sa progression selon le niveau
d’étude (gradation des difficultés) et
son évolution vers une maturité analytique.
Une grille d’analyse est le résultat d’une
synthèse de différentes recherches. Le
caractère schématique et dichotomique
de telles grilles d’analyse, s’il n’est pas
sans danger, ne constitue pas moins un
passage nécessaire et obligé. Il reste
bien entendu indispensable d’affiner
le processus de manière à dépasser les
clivages mis en place.
L’évaluation de la perception (voir regarder) de l’art ne peut que s’appuyer
sur la méthode choisie pour approcher
les œuvres. Plus l’approche est complexe, plus nombreux sont les critères
d’apprentissage et d’évaluation. Les
compétences terminales déterminent
les critères d’évaluation et les objectifs particuliers du cours : apprendre
à voir (système de perception et système de représentation), apprendre à
exprimer les impressions premières,
dépasser le stade des impressions par
l’analyse (de l’émotion à la raison),
réaliser une description objective,
réaliser la synthèse des observations,
appliquer différentes grilles d’analyse
dans différentes situations, apprendre
à mémoriser le visuel et le textuel
(images et références) et développer le
sens de la recherche choc, séduction,
refus, charme ou répulsion concrétisés
en quelques mots expriment les impressions/émotions premières. Après
une initiation à l’analyse, l’élève va
devoir communiquer autre chose que
des jugements de goût du type « j’aime
» ou « je n’aime pas ». Aujourd’hui, un
des vices de moins en moins cachés
de notre société est le phénomène
d’acceptation /rejet sur le mode rapide /
expéditif, ce bien nommé « phénomène
du zapping » encore appelé « principe
d’alternance » dans un langage politiquement correct. Une attitude de ce
type, qui contamine tous les secteurs
relationnels, est récurrente et maladive.
Elle repose de toute évidence sur le
subjectif et nous semble simplement
résulter d’un manque d’analyse voire
d’un manque de maturité. L’analyse
est synonyme de maturité. Une analyse
structurée contraint à la comparaison
des premières impressions aux nouvelles inductions. La remise en question
d’un jugement rapide incite à prononcer ultérieurement des avis moins
péremptoires, car plus nuancés. Dans
un souci constant d’ouverture analytique, le cours permettra à l’élève de se
dégager des réactions quasiment instinctives (Paulus, 1973) pour donner
une dimension intelligente et humaine
au jugement et à la critique..
Certes, l’approche empirique de l’œuvre d’art garde ses droits (les émotions
premières sont à la base de cette approche empirique).
Lors des exercices de didactique portant sur l’analyse de la composition et
des tendances chromatiques (composants plastiques) de différentes œuvres
significatives, les étudiants de l’agrégation sont confrontés aux compétences
à développer chez leurs futurs élèves.
La compétence « regarder » (structurer
l’observation) est fondamentale. La
récurrence des exercices permet l’acquisition d’une approche systématique
ouverte. Chaque œuvre est analysée
par un étudiant différent. Sur base des
éléments délivrés, le groupe de travail
doit dégager les composants plastiques
(voir tableau 3).
L’observation est ainsi structurée. La
compétence est ainsi acquise. L’image
est un tout dont chaque partie subit une
analyse au point par point. La multiplicité des regards (différents étudiants
= différentes perceptions) permet une
sensibilisation à l’interactivité indispensable entre les futurs enseignants et
leurs futurs élèves. Lors de son cursus,
chaque étudiant réalise ainsi une série
d’analyses confrontées aux regards
critiques des autres. Chaque analyse se
voit ainsi complétée. L’étudiant évolue
vers la maîtrise de cette compétence essentielle qu’il va devoir transmettre.
Dans un deuxième temps, la recherche
sur la perception visuelle nous permet
de faire évoluer nos approches méthodologiques. Un regard qualifié de
culturel diverge d’un regard naturel
(non-initié). Analyser le regard d’un
élève dont la compétence « regarder
» (structurer l’observation) n’est pas
encore développée, permet à l’enseignant ou au futur enseignant de faire
Tableau 3 : Les composants
plastiques
Composants plastiques (point,
ligne, plan, volume, composants
lumineux, sonores, olfactifs, fixes
ou mobiles...) et constituants de
l’œuvre (support, médium, matériau).
Matières et textures correspondantes (lisse, mou, poreux, nervuré,
froid, brillant, fluide, rêche, malléable, pesant...).
Couleurs (teinte, ton, clarté, saturation), monochrome, camaïeu,
passage, complémentarité, dégradé,
modulation, dominante, qualité n
quantité, valeurs.
Lumière (éclairage, contre-jour,
sfumato, clair-obscur, modelé, ombre propre, ombre portée).
Espace propre, figuré, espace plan,
profond, homogène ou discontinu,
délimité, tactile, virtuel, espace
couleur, espace lumière, espace
réel.
Point de vue (plongée, contre-plongée...), différents types de plans de
vision, cadre et hors cadre, champ
et hors champ, recadrage, profondeur de champ, frontalité, étendue,
étagement, détail n ensemble,
contexte.
Traduction de l’espace : perspective
albertienne, atmosphérique, isométrique, axonométrique, curviligne,
étagement, chevauchement, rabattement.
Structure, composition, organisation, construction, règle, schéma,
principe géométrique, enveloppe,
forme n informe.
Rythme, rupture, dégradé, régularité, progression, ponctuation,
absence.
Statisme n dynamisme, équilibre
n déséquilibre, symétrie n dissymétrie, ordre n désordre.
Contraste, opposition, contour, dualité, forme n fond, plein n vide,
net n flou, passage.
Format, échelle, taille, dimension,
proportion, articulation au site.
Homogénéité, hétérogénéité, disparité, hiérarchisation, assemblage
composite, hybridité.
[…]
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
35
Développer une compétence fondamentale : voir
la jonction entre « ce qui est » et « ce
qui sera ».
3. Une didactique assistée …
par une technologie de pointe
La pensée visuelle est étudiée scientifiquement par les technologies actuelles (imagerie médicale), mais l’Eye
Tracking4 (suivi du regard) occupe
particulièrement notre attention.
Ce système permet de quantifier les
zones d’attention et de déterminer quel
objet ou forme retient le plus, de façon
presque inconsciente, notre attention.
En plus de la quantification, ce système
donne aussi une idée chronologique
de la suite d’objets que notre esprit
analyse. Eye Tracking est une technique permettant de suivre le regard et
de se rendre compte des voies suivies
par l’utilisateur pour lire une image. Il
s’agit du regroupement d’un ensemble
de techniques permettant d’enregistrer
les mouvements oculaires. Les oculomètres5 les plus courants analysent
des images de l’œil capturées par une
caméra, souvent en lumière infrarouge,
pour calculer la direction du regard
du sujet. En fonction de la précision
souhaitée, différentes caractéristiques
de l’œil sont analysées. L’une des techniques du suivi de la position du regard
est celle du reflet cornéen, qui a notamment l’avantage de fournir une bonne
précision des mesures tout en laissant
le participant libre de ses mouvements.
Cette technique consiste à envoyer des
faisceaux de lumière infrarouge émis
par un ensemble de diodes au centre
de la pupille. Les reflets infrarouges
renvoyés par la cornée de l’œil sont
ensuite détectés et permettent, après
calcul, de repérer le centre de la pupille
et de connaître la position de fixation
de l’œil sur une cible. L’oculométrie
n’est pas seulement destinée à des
applications informatiques6, mais peut
être utilisée pour toute analyse où l’on
a besoin de connaître ce que voient, ce
que regardent les « cobayes ». Grâce
à la miniaturisation et à la puissance
accrue des systèmes informatiques,
les résultats précis et significatifs de
l’Eye Tracking en font une méthode
effectivement fiable. L’oculométrie est
utilisée comme technique de mesure
pour la recherche en psychologie, en
36
ergonomie et pour les tests de projets
publicitaires. D’autres applications de
l’oculomètre existent afin de mettre en
place une interface homme-machine7
efficace et rapide. L’objectif est de
concevoir des systèmes informatiques
qui soient ergonomiques, donc adaptés
à leur contexte d’utilisation.
« Les yeux sont le miroir de l’âme
», dit le proverbe. Pour nous, ils sont
avant toute chose le miroir du cerveau.
Un regard révèle une pensée. Tous les
professeurs un peu chevronnés savent
en analysant le regard de leurs élèves
si la compréhension est ou n’est pas
au rendez-vous. Les mouvements de
l’œil sont difficilement maîtrisables
par l’être humain. En conséquence,
c’est une méthode très efficace pour
apprécier ou mesurer le ressenti (impressions) et mettre en évidence les
processus conscients et inconscients
par lesquels nous accédons aux contenus sémantiques ou sémiologiques de
textes et/ou images. Sans passer par la
description objective, il est ainsi possible de lire un ensemble de données
révélatrices. Notre recherche sur la
perception des formes et des couleurs
d’une œuvre peinte peut s’enrichir
grâce aux informations fournies par
une telle technique. Nous analysons
les œuvres selon des principes divers
mais essentiellement culturels.
Ces pratiques analytiques sont-elles
parallèles aux données fournies par
l’Eye Tracking ? L’analyse perceptive
sur des bases culturelles doit être mise à
l’épreuve de ce système. Confirmation
ou infirmation de nos pratiques analytiques. Nous pourrons alors adapter
nos grilles d’analyse d’après des bases
scientifiques fiables.
Le Great American Nude 98 de Tom
Wesselmann (1967) est le type même
d’œuvre à faire passer par l’analyse
du regard (Wesselmann, 1967). Image
composée de quelques objets disposés
autour d’un nu féminin, elle semble au
premier abord d’une simplicité déconcertante. À plusieurs égards, elle s’apparente à une nature morte davantage
qu’à un véritable nu.
Le motif du nu féminin est récurrent
dans l’œuvre de cet artiste emblématique du Pop Art new-yorkais.
Depuis 1960, date à laquelle il entame
sa série de grands nus, Wesselmann
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n’a cessé de distiller la féminité pour
en extraire l’essence picturale. Son
Grand nu américain n°98 est un grand
format en trois dimensions constitué
par la superposition de cinq toiles
ayant la forme d’un buste et d’un
visage féminins, d’une cigarette, d’un
cendrier, d’une boîte de mouchoirs
jetables et d’une orange. Empruntant à
la communication de masse une technique rigoureuse, Wesselmann crée
un environnement artificiel, aseptisé
et néanmoins cru dans lequel la femme
mise en scène est assimilée à un objet
sexuel. L’ensemble du corps est réduit
à ses attributs érotiques et sexuels : les
seins et les tétons turgescents d’un rose
éclatant, la bouche ouverte et sensuelle
soulignée d’un rouge à lèvres brillant,
la longue chevelure blonde. Le visage,
tronqué, dépourvu de nez et d’yeux, est
dépouillé de toute singularité expressive. Ainsi épurée, l’image apparaît
comme un de ces nombreux clichés
diffusés dans la société américaine des
années 1960. Une image très publicitaire en somme.
Les quatre objets de la vie quotidienne
associés à cette image féminine fragmentée sont représentatifs de la nouvelle société américaine dans laquelle
tout est consommable, éphémère et
jetable. Par leur forme élémentaire et
leurs couleurs artificielles, ces motifs
sont eux-mêmes des symboles sexuels
qui renvoient à l’image dégradée de
la femme. L’orange est épluchée,
déshabillée, avant d’être mangée. La
cigarette permet de « tirer un coup ». Le
cendrier est le réceptacle des déchets
des plaisirs enfumés comme la femme
est le réceptacle de la jouissance
de l’homme. Une fois consommée,
la femme est à son tour jetée tel un
vulgaire mouchoir usagé. Les formes
courbes et arrondies de la féminité (les
fragments de corps féminin, l’orange,
la volute de fumée, le mouchoir en
papier) se heurtent à quelques lignes
droites et anguleuses du monde masculin dans lequel se dressent des formes
phalliques (la cigarette, le cendrier, la
boîte bleue).
Les volumes sont créés par de larges
aplats colorés peu nuancés dont les
formes découpées sont simplifiées.
Les couleurs, brillantes et glaciales,
rappellent celles employées dans le
Développer une compétence fondamentale : voir
domaine de l’affiche publicitaire. Le
style de Tom Wesselmann apparaît
comme impersonnel, froid, dénué de
toute émotion. L’œuvre est ainsi réduite à une image banale, identifiable
par tout un chacun. Par sa forme et
son contenu, elle est indirectement
provocante. On pourrait la qualifier de
pornographique. Or elle est née à une
époque turbulente caractérisée par des
changements radicaux dans la société.
En effet, les années soixante marquent
le début d’une ère nouvelle : celle de la
consommation à outrance et de la publicité qui envahit les murs, les écrans
et les esprits ; celle bien entendu de
l’émancipation sexuelle de la femme
avec l’arrivée d’une contraception efficace. Pour Tom Wesselmann, il s’agit
d’explorer l’efficacité de stéréotypes
érotiques et de dénoncer leur utilisation
dans l’imagerie publicitaire.
Notre regard posé sur tel ou tel objet
(femme comprise) est-il un effet de
nos émotions ou de notre analyse ?
Une série de tests comprenant quelques
questions fondamentales doit être mise
en place pour comprendre le chemin
perceptif d’une œuvre au premier abord
aseptisée. Lors de ces tests, quatre groupes doivent être définis sur la dichotomie « masculin/féminin » et sur une
base culturelle « sans formation/avec
formation » artistique.
Les questions portent sur les différents objets (relation à l’objet) et sur
les parties anatomiques du nu (choix
particulier). La première question reste
commune à l’ensemble des groupes
formés : « L’image vous séduit-elle ?
» ou « L’image vous plaît-elle ? ». La
question posée en fin de parcours est
récurrente : « L’image vous plaît-elle
toujours ? ».
« Quel objet avez-vous vu en premier ?
». « Pourquoi avez-vous regardé en premier cet objet ? », etc. Le questionnement va dans le sens de l’énumération
avec justification. Il se poursuit par la
liaison des objets réunis par l’artiste
de manière à faire comprendre que
leur choix n’a rien d’insignifiant ni de
hasardeux. En effet, leur assemblage
repose sur le mode particulier de la
connotation. Sans formation à l’analyse
de l’image, est-il possible de soulever le
drap pudique qui enveloppe l’œuvre ?
C’est loin d’être évident. Le système
Eye Tracking peut apporter la solution
en montrant scientifiquement que la
perception visuelle d’un même objet est
extrêmement variable d’un individu à
un autre, ce qui implique des émotions
différentes et des compréhensions distinctes. Cette perception visuelle est
intimement liée au contexte psychosociologique8 et culturel …
« Il n’est pire sourd que celui qui ne
veut pas entendre. » On peut parler
d’oblitération dans le champ perceptif.
Le déni n’est certes pas l’apanage du
sens de l’audition. Alors, changeons
de sens ! Une certaine forme de refus
de la réalité peut déboucher sur la
réaction suivante : ne pas voir physiquement ce que l’on ne veut pas voir
mentalement. Cette scotomisation est
l’exclusion inconsciente d’une réalité
extérieure du champ de conscience, le
fait qu’un état affectif empêche de voir
la réalité. Cet acte psychique consiste à
effacer sélectivement de la pensée et de
la mémoire, un événement vécu comme
intolérable9.
Quand une œuvre comme le Grand
nu américain atteint un tel niveau de
connoté, son analyse peut subir le choc
du déni, un refus du sujet traité par l’artiste. La rupture avec les référents personnels, dans ce cas précis une pudeur
certaine vis-à-vis de la sexualité, nous
entraîne vers un parcours analytique
plus délicat. « Ne pas voir ce qui est »
constitue un acte de scotomisation.
Bien des œuvres sont touchées par ce
déni lors de l’analyse. Oblitération dans
le champ des perceptions ou oblitération dans le champ des émotions ?
Une collaboration entre le service
d’Anne-Sophie Nyssen10 (étudiant le
comportement humain en situations
naturelle et virtuelle) et le service de
didactique spéciale H.A.A. va débuter prochainement. Sur la base d’une
sélection d’une quinzaine d’œuvres,
l’Eye Tracking va nous permettre une
analyse comparative entre le regard
d’un groupe d’initiés à la lecture
d’œuvres d’art et d’un autre groupe
de non-initiés. Lecture culturelle vs
lecture naturelle … Il est certain que
notre approche culturelle sera remise
en question par cette expérience. En
conséquence, notre méthode de travail
se verra modifiée et les apprentissages
en seront plus justes.
Notes
Voir, sur ce sujet, Bruner. (2002). Jérôme, Pourquoi nous racontons-nous
des histoires ?, trad. de l’anglais par
Yves Bonin. Paris : RETZ.
2
Beelddenken est l’expression néerlandaise qui signifie littéralement
la reflexion par l’image, la pensée visuelle. http://www.euronet.
nl/~mjkbeeld/ adresse du site de
Maria J. Krabbe.
3
La première des compétences développées en histoire de l’art et analyse
esthétique (programme : technique
de transition « Art »).
4
Les champs d’expérimentation sont
l’analyse du processus de balayage
de l’œil pour rechercher, déterminer
et interpréter une information, l’étude
de la façon dont les gens regardent,
analysent et interprètent une image
en fonction d’un contexte ou d’un
vécu, l’étude de la façon par laquelle
nous pouvons influer sur l’interprétation des gens en introduisant un
contexte défini, etc.
5
L’oculométrie regroupe un ensemble
de techniques permettant d’enregistrer les mouvements oculaires.
6
Dans l’informatique, l’oculométrie
est utilisée comme technique de mesure pour la recherche en ergonomie
et le parcours visuel des pages web.
Les mouvements oculaires de l’internaute sont utilisés pour « jauger »
les sites Web. La technique de l’EyeTracking permet de déterminer, en
fonction de la position de la rétine,
les zones sur lesquelles se pose ou
se fixe le regard.
D’autres applications existent utilisant l’oculométrie comme moyen
de pointage dans une interface
homme-machine. Au lieu d’utiliser
une souris, l’utilisateur du système
donne ses instructions à la machine
directement par ses yeux.
7
L’IHM (interaction ou interface
homme/machine) étudie la façon
dont les humains interagissent avec
les ordinateurs ou entre eux à l’aide
d’ordinateurs.
8
Analyse des rapports entre les facteurs émotionnels et affectifs et la
vie en société.
9
Sigmund Freud considérait la scotomisation comme déni de la réalité.
1
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
37
Développer une compétence fondamentale : voir
La racine grecque skotos signifie
obscurité. La scotomisation obscurcit
une partie des souvenirs de la même
façon qu’un scotome altère une partie
du champ visuel.
10
Contact (Service d’Anne-Sophie Nyssen) : Adélaïde Blavier
Dépt / Unité : Département de personne et société/Psychologie du
travail et des entreprises
Adresse : BAT. B32 Faculté de
Psychologie et des sciences de
l’éducation
boulevard du Rectorat, 5
4000 Liège 1 - Belgium
38
Email :[email protected]
Tél : +32 4 3663177
Bibliographie
Pätch, O. (1994).Questions de méthodes en histoire de l’art, Paris :
Macula.
Panofsky, E. (1967). Essais d’iconologie, traduction de l’anglais par
Claude Herbette et Bernard Teyssèdre, présenté et annoté par Bernard
Teyssèdre, Paris : Gallimard. �������
Traduction française de Studies in iconology
paru en 1939.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Paulus, J. (1973). Jean, Réflexes, émotions, instincts, Bruxelles : Pierre
Mardaga.
Van Straten, R. (1994). An introduction to iconography, translation from
the German by Patricia de Man (Revised english edition), Amsterdam :
Gordon & Breach Publishers.
V ignaux , G. (2003). Du signe au
virtuel. Les nouveaux chemins de
l’intelligence, Paris : Seuil.
Wesselmann, T. Great American Nude
98, 1967, huile sur toile, Cologne,
Museum Ludwig.
L’approche par les compétences en didactique des médias
Geneviève Van Cauwenberge
Avec la participation de Véronique Etienne
Faculté de Philosophie & Lettres, éducation aux médias
Université de Liège
L’approche par les compétences en
didactique des médias
À la différence de celui des autres
matières, l’enseignement des médias
dans notre pays n’a pas fait l’objet
d’un texte officiel le redéfinissant en
terme de compétences à faire acquérir
aux élèves. Il n’y a pas de petit livret
vert des compétences disciplinaires en
éducation aux médias. Et pour cause,
l’enseignement des médias à l’école
est envisagé dans nos programmes de
cours comme une activité transversale
exercée à l’occasion de l’apprentissage
d’autres disciplines.
Cette situation est regrettable. L’enseignement des médias en Communauté
française de Belgique doit être repensé.
Tout d’abord, son contenu demande
à être précisé. Le champ de connaissance couvert par l’enseignement des
médias est très vaste et mal délimité.
L’approche de ce domaine d’étude à
l’école est encore largement soumise
aux désirs de chaque enseignant en
particulier et de ses élèves. De nombreuses initiatives remarquables pour
former les jeunes à l’audiovisuel sont
prises par des professeurs motivés et
dynamiques. Par ailleurs, diverses instances (Le Conseil de l’éducation aux
médias, MédiaAnimation, le Centre
audiovisuel de Liège, Les Grignoux à
Liège, les départements de didactiques
des universités) mènent un travail de
réflexion sur la pédagogie des médias
dans notre pays et travaillent à mettre
au point des outils pédagogiques destinés aux enseignants : les manuels,
fiches d’analyses de films et autres
didacticiels ne cessent de se multiplier. Il faut s’en réjouir. Néanmoins,
l’absence de coordination entre les
différents agents et le flou qui caractérise les contenus de l’enseignement des
médias en Belgique ne peut persister
parce qu’une telle hétérogénéité est
source d’inégalité entre les jeunes.
Son contenu devrait être circonscrit de
façon précise et claire en fonction des
besoins des adolescents et des compétences qui leur sont nécessaires pour
faire face au monde contemporain.
D’autre part, l’étude des médias
devrait faire l’objet de cours spécifiques. L’approche interdisciplinaire
des médias est enrichissante pour les
élèves mais elle n’est pas suffisante.
On ose espérer qu’à l’heure où nos
voisins européens mettent en œuvre
un véritable enseignement des médias
au niveau du secondaire, une réforme
ne tardera pas à s’imposer en Belgique
et que l’étude de l’audiovisuel et de la
presse écrite trouvera enfin la place
qui lui revient au sein de notre système
d’enseignement.
On l’aura compris, le didacticien
spécialisé en Information et Communication se trouve face à la question
qui fait l’objet du présent numéro de
Puzzle : « Comment préparons-nous
nos étudiants à une pédagogie par les
compétences dans le cadre du cours
de didactique spéciale ? » dans une
situation un peu particulière puisqu’il
est amené à travailler en l’absence de
compétences disciplinaires édictées par
décret. Il est cependant loin de manquer
d’outils théoriques sur la question. La
littérature relative à la didactique des
médias tant dans le monde anglo-saxon
que francophone est en effet traversée
par une réflexion sur les compétences.
Pour faire entrer les médias à l’école,
il fallait prouver que leur abord pouvait
contribuer à l’acquisition de compétences transversales, les didacticiens
se sont d’emblée attelés à ce travail de
légitimation. Par exemple, l’ouvrage
de D. Lusted (1991) structure l’enseignement des medias autour de l’étude
de concepts clés : langage, narration,
institution, audience, représentation,
production, et met fortement l’accent
sur les compétences qui peuvent être
développées chez les jeunes par l’abord
de ces concepts. Le texte de B. Moore
qui clôture le recueil, « Media education », fait de l’aptitude à analyser
l’image et la bande-son d’un document
audiovisuel la compétence essentielle
à développer chez les adolescents, en
argumentant qu’elle leur permettra de
mieux évaluer les informations véhiculées par les médias et de comprendre
les fondements de leur plaisir spectatoriel. Le rapport sur l’éducation aux
médias rédigé en 1996 par le Conseil
de l’éducation aux médias rejoint
ces conclusions. Il précise clairement
que « L’éducation aux médias vise à
dépasser la transmission active des
connaissances pour s’inscrire dans
l’acquisition de compétences (…).
L’éducation aux médias vise à développer un ensemble de savoirs, savoir-faire
et savoir être permettant d’opérationnaliser les objectifs généraux de l’enseignement » (Conseil de l’éducation aux
médias, 1996). Il assigne ensuite deux
objectifs majeurs à cet enseignement :
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
39
L’approche par les compétences en didactique des médias
« apprendre à être un spectateur actif,
un explorateur autonome et un acteur
de la communication médiatique » et
« utiliser l’image audiovisuelle comme
une véritable technologie au service
de l’intelligence ». Le rapport s’aligne, par ailleurs, sur l’articulation des
apprentissages autour de concepts proposée par les didacticiens britanniques
et détaille une série de compétences
liées à des activités d’enseignement
spécifiques à effectuer dans le cadre
des différents cours du cursus scolaire
(français, histoire, géographie, mathématique, éducation physique). En
France également, la question de l’acquisition des compétences est au cœur
de la réflexion sur l’enseignement de
l’audiovisuel. La fonction du formateur
rappelle G. Jacquinot (1998, p. 313)
dans un texte sur l’enseignement de la
télévision « est de faire acquérir des
compétences pour permettre non pas
le savoir pour le savoir, ou le savoir
pour la culture générale, mais le savoir
pour le savoir-faire ». Pour le Clemi
(Centre de liaison de l’enseignement
et des moyens d’information) il s’agit
de former les jeunes à la citoyenneté,
d’en faire les acteurs de la démocratie.
A. Bergala dont les écrits portent sur
l’initiation au cinéma comme art, se
fixe quant à lui pour objectif la formation du goût des élèves par la fréquentation des chefs d’œuvre du cinéma.
Les compétences privilégiées par les
didacticiens sont, faut-il le rappeler,
intimement liées à leur conception des
enjeux éducatifs de l’étude des médias
et sur ce point, comme nous l’avons
indiqué plus haut, leurs opinions divergent largement.
Avant de nous engager dans la formation de nos étudiants à une pédagogie
par les compétences, il nous paraît dès
lors essentiel, en l’absence de programme établi, de commencer le cours de
didactique des médias par une réflexion
sur les enjeux éducatifs de leur étude au
niveau de l’enseignement secondaire :
qu’allons-nous enseigner aux élèves et
avec quelle finalité ?
Au sortir de leurs études en Information et Communication, les étudiants
sont animés du désir de transmettre à
leurs élèves le savoir qu’ils ont acquis
au cours de leur formation. Les premières leçons qu’ils préparent sont souvent
40
calquées sur le modèle transmissif de
l’enseignement universitaire et ont
des contenus très spécialisés. Notre
premier souci est d’amener les futurs
professeurs à réfléchir aux priorités à
établir dans leur enseignement. De quoi
les élèves ont-ils besoin ? C’est-à-dire,
comme le précise L. Porcher (2006) p.
189 : « de quoi ont-ils le souhait (besoins ressentis) et de quoi manquentils (besoins objectifs) ? Les deux sont
indispensables pour fixer le concept de
besoins. Il y a en effet, des besoins dont
les élèves, par définition, ne peuvent
percevoir l’existence par eux-mêmes,
précisément parce qu’ils ne peuvent
pas savoir tout ce qui leur est nécessaire
pour devenir compétents ».
Répondre à cette question implique
que l’on s’interroge sur le rapport des
jeunes aux médias. Les jeunes ont un
savoir préalable sur les médias et des
préconceptions nombreuses sur le
monde de l’audiovisuel acquises en
dehors de l’école, en famille notamment. Le professeur ne peut pas les
ignorer. Chacun a un point de vue sur
la télévision parce qu’elle est domestique et que chacun passe en moyenne
plusieurs heures par jour à la regarder.
Il en va de même du cinéma. Chacun
voit des films, chacun pense connaître
le cinéma. Le professeur doit être
conscient des représentations souvent
contradictoires que les jeunes se font
de la télévision et de l’image mythique
que la plupart d’entre eux ont du monde
du cinéma (univers de la réussite et de
la célébrité) (Odin, 1987). Il doit savoir
qu’il devra se positionner par rapport
à elles. Il doit donc aussi s’interroger
sur sa propre relation à ces objets, sur
les écarts entre sa culture et ses goûts
et ceux des élèves. Il doit par ailleurs
apprendre à tirer profit des compétences que les jeunes ont acquis par
la fréquentation des médias ; c’est à
partir d’elles qu’il devra travailler à la
construction d’un savoir scolaire avec
les élèves, un savoir d’une autre nature
que la connaissance qui résulte de leur
expérience de spectateur.
Amener les étudiants en agrégation à
ces questionnements n’est pas toujours
aisé. Soucieux de réussir au mieux
leurs stages d’enseignement, ils attendent du didacticien des modèles
de leçons idéales dont ils pourraient
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
s’inspirer plutôt que des propositions
pédagogiques. Leur demande est pressante. Or en y satisfaisant, nous irions
nous-mêmes à l’encontre d’une pédagogie par les compétences, visant à
l’autonomie de l’apprenant, dont nous
cherchons précisément à inculquer
les principes à nos étudiants. B. Rey
et M. Staszewski (2004, p. 23) l’ont
bien vu : « Cette approche méthodologique rompt résolument avec le
cours « clé sur porte ». Le professeur
aura certes défini à l’avance, pour luimême, les principaux objectifs qu’il
poursuit en termes d’appropriation des
savoirs par les élèves ; il aura préparé
des dispositifs didactiques visant à
obliger les élèves à confronter leurs
représentations de ces savoirs à celles
amenées par le professeur. Mais (…)
le professeur n’est plus celui qui pose
toutes les questions et qui fournit toutes
les réponses. Il devient une personneressource, au service d’apprenants qui
cherchent ». Cette représentation de
l’enseignant comme un professionnel
qui aide les élèves à acquérir certaines
compétences scientifiques pour les
rendre accessibles aux jeunes peut être
mal vécue. Comme le dit J. Beckers
dans l’introduction de ce numéro de
Puzzle, il y a un travail de deuil à faire.
L’application dans le cadre du cours de
didactique spéciale d’une pédagogie
par les compétences entend les aider
dans cette voie. Notre enseignement
est fondé sur le travail en groupe. Nous
proposons à nos étudiants de concevoir collectivement des dispositifs
pédagogiques visant à l’appropriation
de macro-compétences, nous leur
demandons ensuite de déterminer les
compétences plus spécifiques dont les
élèves auront besoin pour y arriver.
Nous décrirons brièvement ici, à titre
d’exemple, comment nous menons
avec nos étudiants un questionnement
sur les procédures didactiques visant
à l’acquisition de deux compétences :
apprendre à regarder, apprendre à
s’exprimer.
Notre objectif est d’apprendre aux
futurs enseignants à s’interroger sur
leur pratique. Nous voulons aussi les
initier à l’échange sur des questions de
méthodologie et au dialogue convivial,
autant d’aptitudes qui leur seront utiles
dans l’exercice de leur métier.
L’approche par les compétences en didactique des médias
Apprendre à regarder
Nous commençons par une mise
au point théorique sur ce qu’il faut
entendre par apprendre à regarder.
Apprendre à regarder des images :
c’est apprendre à observer, à décrire, à
verbaliser ce que l’on voit. Apprendre à
regarder permet d’acquérir des capacités d’attention, d’expression et d’avoir
un rapport plus critique aux images.
Nous demandons ensuite aux étudiants
de réfléchir en groupe à la conception
d’une leçon visant à l’acquisition de
l’aptitude à regarder. Nous leur remettons le questionnaire suivant pour
orienter leur réflexion :
1 Quelle méthode adopter ? Analyse
orale collective, analyse écrite individuelle ou création d’une image par
les élèves.
2 Quel type d’images étudier ? Faut-il
partir d’images choisies par les élèves, celles qu’ils aiment, ou d’images
proposées par le professeur ? Quels
sont les problèmes liés à chacun de
ces choix ?
3 Quelle place fera-t-on à l’image dans
la séquence pédagogique ? Va-t-on
partir de l’image et se focaliser sur elle,
sera-t-elle illustrative, servira-t-elle de
base à une évaluation ?
4 Quelles sont les conditions à créer
pour permettre aux élèves d’observer
attentivement les images ? Sur quel
support les images seront-elles présentées ?
5 Comment amener les élèves à s’interroger sur les images ? Faut-il leur
remettre une grille d’analyse, leur proposer de confronter l’image à analyser
à une autre image ?
6 Quelle est la place qui sera faite à
l’expression de l’émotion que les élèves peuvent ressentir face aux images
et qui occulte parfois leur aptitude à
l’observation minutieuse ?
7 Comment apprendre aux élèves à
décrire une image ? De quels savoirs
particuliers ont-ils besoin pour effectuer cet exercice, la maîtrise d’un
vocabulaire technique, des notions
théoriques sur les données plastiques
de l’image, une aptitude à l’écriture ?
Il s’agit ici d’amener les étudiants à
comprendre l’intérêt qu’il y a à proposer des concepts aux élèves lorsqu’ils
leur sont utiles pour effectuer une tâche
plutôt que de les initier à ces concepts
par un exposé théorique préalable.
8 Comment évaluer l’apprentissage ?
L’exercice est suivi d’une mise en
commun des réponses proposées par
chacun des groupes. Nous faisons alors
part de notre propre réflexion sur la
question en allant parfois à l’encontre
des propositions faites par l’ensemble
de la classe. Nous nous appuyons sur
des exemples concrets. Par exemple, en
ce qui concerne le choix des images à
étudier avec les élèves nous présentons
à la classe des projets de leçon intéressants sur des films qu’ils auraient exclus, les jugeant trop difficiles comme
Chamonix de V. Mréjen.
Apprendre à regarder, c’est développer
chez l’élève l’aptitude à observer et à
décrire l’image. Mais c’est aussi lui
apprendre à s’interroger sur les représentations, sur ce que l’image donne à
voir et comment, sur la production, la
diffusion et la réception des images.
Nous abordons ces différents concepts
avec les étudiants. Nous leur demandons ensuite de concevoir un projet
de leçon, en préparation individuelle à
domicile, et de le présenter à la classe
au cours suivant. L’évaluation se fait
collectivement.
Apprendre à s’exprimer
Envisageons à présent une seconde
compétence : apprendre à s’exprimer.
Réaliser un projet de création. Nous
recourons à nouveau au travail en
groupe et nous proposons aux étudiants
un questionnaire destiné à structurer
leur réflexion.
1 Dans quel but l’exercice va-t-il être
réalisé ? Développer le sens esthétique
des élèves, maîtriser une technique ?
Quelle importance faut-il accorder au
produit fini ?
2 Quels sont les problèmes pratiques
et techniques auxquels le professeur
risque d’être confronté lors de la
réalisation d’exercices de création ?
Comment gérer le prêt de matériel, les
difficultés horaires ?
3 Comment les groupes de travail
seront-ils constitués ? Combien d’élèves par groupe, les groupes seront-ils
déterminés ou non par l’enseignant ?
Le professeur doit-il ou non attribuer
un rôle précis à chacun des membres
du groupe ? Quelles compétences le
travail en groupe permet-il d’acquérir
aux élèves ?
4 Quel type d’exercice allons-nous
demander aux élèves ? Quelles consignes allons-nous leur donner ? Quelle
progression installer dans les exercices
demandés aux élèves ?
5 Quels sont les obstacles que les élèves risquent de rencontrer lors de la
réalisation de leur projet ? Quel rôle
le professeur peut-il jouer pour aider
les élèves à sortir de ces difficultés ?
Quand doit-il intervenir et comment ?
6 Faut-il montrer aux élèves un exemple « réussi » de projet de réalisation
analogue à celui qui leur est demandé ?
7 Est-il nécessaire de s’aligner sur
les modes de production du système
industriel et commercial ? Faut-il faire
réaliser un story-board aux élèves ?
8 Comment amener les jeunes à être
inventifs plutôt que de se conformer
aux modèles dominants du clip, de la
publicité, des séries télévisées ?
9 Dans quelles circonstances les travaux d’élèves seront-ils visionnés ?
Seront-ils présentés à l’ensemble de
la classe, à toute l’école, aux parents
d’élèves ?
10 Comment évaluer les travaux d’élèves ? Quels seront les critères d’évaluation et quelle part accorderons-nous à
chacun d’eux (aptitude à travailler en
groupe, originalité du projet, qualité
technique de la réalisation) ? Quelles
sont les difficultés liées à l’évaluation d’exercices de création ? Cette
question a pour objet de faire réfléchir
les futurs professeurs à l’implication
affective des élèves dans les travaux de
création et de les sensibiliser au risque
de blesser certains d’entre eux si l’on
n’y prend garde.
Le partage des conclusions de chacun
des groupes est, comme pour l’exercice
précédent, suivi de propositions émises
par le didacticien. Le témoignage d’un
enseignant en classe et la lecture de
compte-rendu d’expériences par des
praticiens viennent étoffer la réflexion.
Nous demandons aussi à nos étudiants
de lire certains textes d’A. Bergala qui
pratique sans vraiment la nommer une
pédagogie centrée sur l’appropriation
de compétences via la pratique.
On le voit, le cours de didactique
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
41
L’approche par les compétences en didactique des médias
des médias est conçu comme un lieu
d’échange d’expériences, de savoir et
de questions sur la pratique pédagogique (Pourquoi apprendre ? Qu’est-ce
qu’apprendre ?). Il n’entend nullement
apporter aux étudiants les réponses à
toutes les questions qu’ils rencontreront dans leur métier d’enseignant mais
vise plutôt à les armer des compétences
nécessaires pour y faire face.
Bibliographie
Conseil de l’éducation aux médias.
(1996). L’éducation à l’audiovisuel
42
et aux médias. Dossier de synthèse.
Bergala, A. (1992). Le cinéma en
jeu. Aix-en-Provence : Institut de
l’image. Diffusion en ligne : CRDP
de Paris. 2005.
J acquinot , G. (1998). « Repenser
l’enseignement de la télévision », in
Bourdon J. & Jost, F. (sous la direction de), Penser la télévision. Paris :
Nathan, pp. 310 - 330.
Lusted, D. (1991). The Media Studies
Book. A guide for teachers. London :
Routledge.
Moore, B. « Media education », in
David Lusted, op. cit., pp. 171-190.
Odin, R. (1987). Odin a souligné ce fait
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
dans un texte souvent cité : « Rêverie
pédagogique », in L’ école-Cinéma,
Hors Cadre, n°5, pp. 17-31.
Porcher, L. (2006). Les médias entre
éducation et communication. Paris :
Vuibert.
Rey, B. & Staszewski, M. (2004).
Enseigner l’histoire aux adolescents.
Démarches socio-constructivistes.
Bruxelles : De Boeck.
Un dispositif à visée professionnalisante
Jacqueline Beckers, Marie Delchambre, Emilie Lourtie
Faculté de Psychologie & des Sciences de l’éducation, Service de Didactique
spéciale en psychologie et en sciences de l’éducation
Université de Liège
Un dispositif à visée professionnalisante
1. Deux métiers de professeur
Les agrégés en psychologie et sciences
de l’éducation peuvent dispenser des
cours de sciences humaines (sciences
sociales, communication, psychologie…) à des élèves de l’enseignement
secondaire supérieur général et technique de transition mais, le plus souvent,
ils s’adressent à des élèves inscrits
dans des formations qualifiantes préparant à des métiers du secteur 8, dits
de « services aux personnes » tels que
auxiliaire familiale et sanitaire ou puéricultrice relevant de l’enseignement
professionnel ; agent d’éducation,
animateur sportif ou socio-culturel relevant de l’enseignement technique.
Le premier stage de l’année est organisé dans la filière de transition, celle
qui est la plus proche de l’enseignement secondaire que les futurs agrégés ont eux-mêmes fréquentée. Dès
lors, les premiers cours de didactique
spéciale travaillent les grands axes de
l’activité enseignante – préparer une
séquence de leçon, gérer des activités
d’enseignement-apprentissage et évaluer les acquis des élèves et la qualité
de son enseignement – par des mises
en situation relatives à des thématiques
régulièrement abordées dans ce type de
classes. Une première sensibilisation
au développement de compétences, en
parallèle avec la découverte du référentiel des « compétences terminales et
savoirs requis en sciences sociales » au
terme des humanités générales et technologiques, consiste à les engager dans
un travail intentionnel et délibéré avec
les élèves relativement à des démarches
méthodologiques rigoureuses (parfois
dénommées « compétences transversales ») au service de la maîtrise de
concepts de sciences humaines.
Les deux autres stages se déroulent
dans l’enseignement qualifiant, une
fois dans une section technique, et
l’autre fois dans une section professionnelle. La diversité des publics que
les futurs agrégés sont susceptibles de
rencontrer est de cette manière prise
en compte mais, au total, leurs heures
de pratique sont plus nombreuses dans
le secondaire de qualification. C’est là
en effet qu’ils ont le plus de chances
de trouver un emploi et c’est là aussi
que, dans l’équipe des enseignants, ils
occupent souvent une place privilégiée,
dispensant des cours de l’option et souvent accompagnant, voire coordonnant
les stages des élèves.
C’est donc au développement de
compétences professionnelles qu’ils
devraient contribuer à l’occasion de ces
deux stages. En tous cas, le dispositif
de formation les y engage et situe ce
développement dans un processus de
construction identitaire professionnelle. C’est sur cette partie de la formation
que l’article est centré.
2. S’informer sur les métiers
auxquels on prépare et sur les
compétences à développer
2.1. La complexité des métiers
Les enseignants des sections professionnalisantes partagent avec les
enseignants du général les missions
d’instruire, de socialiser, d’émanciper
les jeunes générations. Ils ont en outre
des responsabilités spécifiques liées à
la préparation à un métier : permettre
l’acquisition des connaissances qui
fondent l’action professionnelle ou
l’orientent, offrir des occasions de
s’essayer aux démarches requises,
développer des attitudes, des normes,
des valeurs, un habitus partagés par
ceux qui sont reconnus pour exercer
le métier. Par les postes qu’ils occupent dans le qualifiant, les agrégés en
psychologie et sciences de l’éducation
prennent une part importante de ces
responsabilités ; ils doivent donc y
être formés.
Quand on prépare à un métier, il est
essentiel, pour donner du sens aux
apprentissages proposés, de prendre
l’exercice de celui-ci en considéra-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
43
Un dispositif à visée professionnalisante
tion : le contexte sociologique de son
exercice et de son évolution, la réalité
des situations de travail et l’activité
des professionnels dans ces situations.
C’est l’enjeu d’une didactique professionnelle (Raisky, 1996; Pastré,
2002).
Les métiers du secteur 8 font partie,
comme l’enseignement d’ailleurs,
des métiers de l’interaction humaine.
Le but du travail y est souvent formulé dans les termes d’une mission
générale, peu procéduralisée ; la part
d’auto-détermination du bénéficiaire
de l’action professionnelle rend celle-ci
partiellement imprévisible et incontrôlable, nécessitant de fréquents réajustements et une prise en compte maximale des informations contextuelles
et de l’histoire de la relation (Leplat,
1997)… Ces métiers offrent donc en
grand nombre des tâches ouvertes au
sens défini dans l’article introductif
(Beckers) dont on ne peut s’acquitter
qu’en intégrant compétences techniques et compétences relationnelles et
en maîtrisant les normes de langage
et de comportements des institutions
spécifiques où ces métiers s’exercent
(Pastré et al., 2006).
En outre et plus spécifiquement, les
métiers de « service aux personnes »
sont dévolus à l’accompagnement en
première ligne de bénéficiaires fragiles,
ce qui accroît la part de responsabilité des travailleurs. Leur importance
pour l’équilibre de la société est très
grande : ils jouent un rôle essentiel de
sauvegarde, de maintien ou de restauration de l’autonomie, de relais vers
d’autres professionnels. L’écart entre
les responsabilités, le statut déprécié
des travailleurs et le faible niveau de
qualification exigé ne manque pas
d’interpeller.
Même si l’on n’a pas prise, à court
terme en tout cas, sur ces enjeux sociétaux, ils tissent une toile de fond à
l’exercice du métier d’enseignant dans
ces sections qu’on ne peut ignorer en
préparation de stage.
2.2. Une initiation
méthodologique
On ne peut raisonnablement prétendre,
dans le temps limité imparti à la formation initiale, explorer sérieusement
les tâches et les rôles des 4-5 métiers
44
auxquels nos agrégés sont susceptibles de préparer. Il nous est cependant
apparu indispensable d’engager la
formation dans la voie de la didactique
professionnelle pour amorcer avec les
étudiants une démarche qu’ils pourront
poursuivre une fois engagés sur le
terrain. Quelles démarches avons-nous
exploitées dans ce but ?
Pour chacun des métiers d’un secteur,
des profils de qualification et de formation élaborés conjointement par
des représentants de l’enseignement
et de la CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications) définissent les compétences
à développer au départ d’une analyse
des tâches qu’accomplissent les travailleurs confirmés. L’avis des professionnels sur ces référentiels n’est pas
toujours positif (Beckers et al., 2006)
car, sous un émiettement de tâches, les
buts prioritaires du métier ne sont pas
nécessairement mis en lumière.
Le « stage d’activité scolaire hors
cours », prévu par le décret et donc le
programme d’agrégation, est mis au
service d’une immersion, hélas beaucoup trop brève, dans un lieu d’exercice
du métier auquel se forment les élèves
que nos étudiants vont rencontrer lors
de leur stage 2. Ils accompagnent
durant une journée des professionnels
dans leurs activités quotidiennes et
les interrogent sur leur perception des
tâches et des rôles professionnels. Les
données ainsi récoltées sont complétées
par d’autres sources (documents écrits
et vidéos) offrant des témoignages et
images du métier. Des rencontres ont
été organisées avec des personnes-ressources en contact privilégié avec ces
milieux professionnels. L’ensemble de
ces données, confrontées au prescrit,
permet de porter un regard critique
sur celui-ci, de réfléchir aux grandes
familles de tâches des métiers exercés,
à leurs buts prioritaires et aux compétences essentielles à développer lors de
la formation.
Tout comme un enjeu de la pédagogie
par compétences dans les diverses
disciplines scolaires est de repérer les
familles de problèmes que cette discipline doit permettre de traiter efficacement (voir Schneider et Varlet dans
ce numéro), l’enjeu de cette pédagogie
en didactique professionnelle est bien
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
de structurer les apprentissages selon
les grandes familles de tâches critiques
du métier. D’un côté comme de l’autre,
il ne s’agit pas simplement d’appliquer
des démarches transversales rigoureuses à des contenus spécifiques même si
cette préoccupation présente aussi un
intérêt formatif.
3. Concilier responsabilités du
métier et public : un défi de
taille !
Comme pour les autres sections du
secondaire qualifiant, beaucoup d’élèves de ces filières du secteur 8 s’y
retrouvent non par choix mais par
relégation. Ils ne souhaitent pas nécessairement exercer le métier, ils en
ont d’ailleurs fréquemment une image
tronquée : « être puéricultrice c’est
jouer, câliner de petits enfants comme
le ferait une maman… », « être agent
d’éducation c’est surveiller des enfants
à problèmes… ». La proximité des
tâches professionnelles avec les actes
quotidiens fait que l’identité professionnelle doit se construire en rupture
plutôt qu’en continuité avec l’identité biographique (Dubar, 2000). Par
ailleurs, on s’interroge sur la difficulté
que représente l’engagement dans une
construction identitaire professionnelle
pour des adolescents souvent marqués
par un parcours scolaire chaotique qui
n’est pas sans effet sur l’image qu’ils
ont d’eux-mêmes, et ce, d’autant plus
qu’ils sont en pleine élaboration de
leur identité personnelle. Par ailleurs,
il n’est pas rare que certaines caractéristiques de leur contexte de vie
personnelle entrent en résonance avec
les problèmes qu’ils ont à gérer sur le
plan professionnel : difficultés comportementales ou sociales, dépendance
financière…
Le travail des représentations et attitudes est pour toutes ces raisons
particulièrement délicat. Par exemple,
présenter des situations nuancées
de maltraitance subtile vis-à-vis des
personnes âgées (par exemple les
faire dîner à 11 h, les obliger à aller
aux toilettes à un moment précis…)
les amène à les considérer comme
des actes normaux dont ils ne voient
pas le danger. À l’inverse, entrer par
des situations choquantes (coups et
Un dispositif à visée professionnalisante
blessures) schématise l’opposition
« agresseur-victime », les empêche de
s’identifier avec cet agresseur potentiel
et de remettre en question leurs comportements.
Les difficultés que les élèves de l’enseignement technique et professionnel ont
eues avec l’école jusque là et les faibles
exigences de la formation risquent
d’engager sur la voie du pragmatisme,
de l’utilitarisme, des apprentissages
purement techniques alors même que
les métiers appellent autre chose. Le
processus de deuil que doit effectuer
chaque enseignant par rapport à sa matière lorsqu’il se prépare à l’enseigner
à d’autres pourrait prendre ici, dans le
chef des psychopédagogues, une forme
particulièrement aiguë…
La formule magique « tenir compte des
caractéristiques de son public » peut
justifier des actions très diverses : de
propositions sur mesure qui enferment
chacun dans ses limites (ils n’aiment
pas écrire donc on ne les fait jamais
écrire, ils sont allergiques à la théorie,
donc on n’en aborde pas…) aux projets
de justice corrective qui investissent
dans la recherche de moyens pour
permettre de dépasser les différences
qui face à une situation se révèlent être
des handicaps. Ainsi a-t-on le droit de
passer aux élèves des comportements
irrespectueux ou irresponsables face
aux bénéficiaires en stage au nom de
leur passé personnel douloureux !
L’importance sociétale des métiers
auxquels les enseignants préparent des
élèves au profil scolaire et personnel
particulier, dans le cadre de formations
d’un niveau de qualification faible,
souligne la difficulté de la tâche. La
responsabilité est énorme, le travail
à mener gigantesque et les conditions
difficiles. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles la constitution de
réseaux avec les maîtres de stage est
souhaitée même si son organisation
matérielle reste difficile. La demande
est particulièrement importante relativement au développement et à l’évaluation d’attitudes professionnelles
liées à l’interaction avec autrui dans le
champ de la relation d’aide : comment
dépasser l’intuition en fondant son
action sur des savoirs éminemment
complexes sachant que les futurs professionnels auxquels on s’adresse n’ont
ni l’envie ni la formation permettant
d’entrer en profondeur dans ceux-ci.
Comment faire la part entre son propre
vécu, son histoire et celle des bénéficiaires, est-il possible de se construire
en aidant l’autre à le faire, comment
ne pas s’engager dans une relation
personnelle d’affiliation (puéricultrice,
éducateur et non parent), comment
respecter les limites de son rôle pro-
fessionnel (puéricultrice, éducateur
et non psychologue) ? Le travail avec
les maîtres de stage s’engage via les
projets menés par les stagiaires.
4. L’isomorphisme d’un
dispositif de formation
Par rapport à leurs condisciples futurs
agrégés des différentes facultés qui
prépareront des élèves à explorer et à
maîtriser un savoir particulier (histoire,
mathématique, langue seconde…), les
futurs agrégés en psychologie et sciences de l’éducation, quand ils enseignent
dans le qualifiant, ont un rôle spécifique à jouer : préparer des élèves à une
activité professionnelle alors qu’ils
se préparent eux-mêmes à un métier :
celui d’enseignants. Le dispositif de
formation qui leur est proposé autour
des stages 2 et 3 exploite délibérément
l’isomorphisme : il leur fait vivre et
réfléchir sur des facettes d’un dispositif
professionnalisant qu’ils sont aussi
invités à mettre en œuvre, au moins
partiellement, avec leurs élèves.
Ce dispositif (Beckers, 2003-2004,
p. 62) privilégie une entrée par l’activité
professionnelle (le stage) et la réflexion
sur cette activité. Ses différentes composantes et leur articulation visent le travail, en formation initiale, des compétences et de l’identité professionnelle.
Pour permettre aux futurs professionnels de développer compétences et identité professionnelles
Avec en point de mire les finalités de lʼaction professionnelle et les tâches récurrentes qui en constituent le noyau critique…
Ia. Les savoirs
(concepts-théories de
référence : grilles de
lecture et dʼanalyse des
réalités professionnelles)
Ils permettent de comprendre
et de fonder des actes
pertinents
IIb. Mettre face à des tâches
professionnelles en interaction avec des
acteurs dans un contexte authentique
(pratiques sociales : stages)
Ib. Les savoir-faire
(techniques et
procédures)
Ils évitent la surcharge
cognitive en situation
I. Garantir et vérifier
la maîtrise de ressources
IIa. Mettre face à des tâches
complexes proches de la vie
professionnelle qui invitent à la
mobilisation intégrée des
ressources pertinentes
(tâches dʼintégration)
IVa. Travailler les critères de
réussite de lʼaction professionnelle
Ic.Les attitudes et
représentations
socioprofessionnelles
Elles poussent à agir
conformément aux valeurs et à
lʼéthique de la profession
Ces ressources auront plus de chance dʼêtre mobilisables
-si les trois composantes (action, réflexion,
communication) sont travaillées
-si le lien avec les pratiques sociales est explicité
et idéalement vécu
anticiper
clarifier
le contrat
conceptualiser
Intérioriser
(auto-évaluation)
IVb. Fonder lʼévaluation
certificative
sur toutes les
composantes et leur
intégration
seulement si elles ont
été travaillées
III. Favoriser un retour réflexif
et partagé sur lʼaction pour
engranger les résultats de
lʼexpérience
Mise à distance de lʼaction (transfert de
compétences) et prise de recul sur son
fonctionnement (construction identitaire)
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
45
Un dispositif à visée professionnalisante
Pour le deuxième stage, dit « stageprojet », qui bénéficie d’une durée
favorable, sont négociées avec le terrain
des conditions d’exploitation d’une
séquence cohérente, aussi articulée que
possible sur le stage des élèves. Les futurs agrégés, en duos, sont invités à :
- développer des compétences professionnelles cohérentes avec l’analyse
des familles de tâches critiques du
métier ;
- garantir et vérifier la maîtrise des
ressources à mobiliser ;
- travailler des attitudes et des représentations socio-professionnelles ;
- mettre face à des tâches complexes
proches de la vie professionnelle ou de
la vie professionnelle (stages) ;
- favoriser un retour réflexif et partagé
sur l’action ;
- travailler les critères de réussite de
l’action professionnelle ;
- évaluer le degré de maîtrise de la ou
des compétence(s) travaillée(s).
Le stage 3 les invite à réexploiter, seul
et dans une autre section, un maximum
de composantes du dispositif professionnalisant avec leurs élèves.
Les tâches proposées aux futurs agrégés au cours de didactique spéciale sont
situées dans le dispositif : moments de
synthèses théoriques (par exemple sur
la construction identitaire, le travail des
attitudes, la didactique professionnelle…), mesure et travail des représentations (par exemple à propos des élèves
du qualifiant), occasion d’exercices
(par exemple rédaction de questions,
de critères…), mais aussi, plus particulièrement, exploitation de situations
quasi professionnelles d’intégration
et de pratiques réflexives. Celles-ci
font l’objet d’une attention particulière. Outre ce qu’elles apportent à
leur formation propre d’enseignants,
elles sont aussi analysées sur le plan
méthodologique dans la perspective
de leur transposition aux élèves. Des
fiches méthodologiques adaptées au
public du secondaire qualifiant sont
amendées suite à ces expériences vécues et réfléchies.
Deux types de situations d’intégration
sont particulièrement exploitées, à côté
des simulations et des projets : les analyses de cas et les jeux de rôles.
Les analyses de cas ne consistent pas
un apprentissage expérientiel. Comme
46
leur nom l’indique, elles consistent,
pour les étudiants, à analyser une
situation lue, filmée ou jouée (le plus
souvent dans ces deux derniers cas
avec le support d’une grille d’observation) et à proposer une suite et/ou des
alternatives. Ici, la réflexion se fait sur
l’action et le paradigme est plutôt celui
de l’expertise : les participants étudient
une situation à la lumière des savoirs de
référence ; les hypothèses ne sont pas
mises à l’épreuve de la pratique. L’analyse des démarches méthodologiques
vécues par les étudiants d’agrégation
et de leurs effets alimentent la réflexion
sur l’exploitation de telles analyses de
cas dans leurs classes.
Les jeux de rôles, et particulièrement
les ateliers praxéologiques (Saint- Arnaud, 2001), permettent à l’étudiant
de s’exercer à l’interaction avec tout
ce qu’elle a d’imprévisible et d’émergeant dans la situation. Ils permettent
de mieux comprendre les réactions
de l’autre et les siennes propres. Au
départ d’une situation contextualisée
(fictive ou vécue), plusieurs intervenants en succession testent leurs
hypothèses de réaction en les jouant
face à un interlocuteur. Par un système
de cartons de couleur, il exprime son
degré de satisfaction en fonction des
réactions captées chez l’interlocuteur
et modifie ses interventions (régulation
dans l’action). Le debriefing après une
séquence d’interactions (réflexion sur
l’action) permet de comprendre ce qui
s’est passé et peut dès lors contribuer à
l’amélioration des interactions futures.
Ici, on est bien dans une forme d’apprentissage expérientiel.
Ces démarches d’apprentissage sont
particulièrement intéressantes à exploiter dans la formation à des métiers
où les interactions humaines rendent
chaque situation singulière et complexe ; ce qui nécessite de la part des
professionnels une constante adaptation en recourant au raisonnement,
à la créativité, voire à leur intuition.
Ils travaillent dans un paradigme de
l’incertitude contrairement aux métiers
techniques où des règles universelles
garantissent une certaine efficacité à
l’action et permettent de fonctionner
dans un paradigme de l’expertise.
Ces ateliers praxéologiques utilisés,
avec des situations fictives, en amont
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
des stages permettent de s’y préparer.
Ils peuvent aussi être exploités au
retour des stages à propos de situations vécues et constituent dès lors
une formule de pratiques réflexives
particulièrement appropriée aux élèves
du qualifiant compte tenu de leurs difficultés à entrer dans un processus de
réflexion sur l’action. Lors des retours
de stage, les échanges spontanés et non
outillés empruntent souvent la voie de
relations primaires (Bakhtine, 1984) :
ce qui s’est passé sur mon lieu de stage,
qui j’ai rencontré, ce que j’ai trouvé de
bien, ce que j’ai eu du mal à digérer, ce
qui ressemble à ma vie personnelle…
L’évocation de l’action professionnelle
est relativement aisée. C’est un travail
de nature intellectuelle plus complexe
qui permet de dépasser les épisodes
vécus, d’analyser l’action pour la
reconstruire à un autre niveau : celui
de la conceptualisation de cette action
professionnelle (Samurçay et Pastré,
1998) construisant une connaissance
réexploitable ultérieurement (décontextualisation et institutionnalisation).
D’autres approches (méthode narrative, méthode métaphorique) ont
également été exploitées en pratiques
réflexives avec les agrégés après leurs
stages et leur transposition aux élèves
du secondaire étudiée.
Pour que les expériences vécues
en formation laissent des traces et
fournissent un soubassement solide
auquel les expériences professionnelles
ultérieures pourront venir s’accrocher,
l’intériorisation des critères de qualité
de l’action professionnelle et leur intégration aux représentations et attitudes
socioprofessionnelles est indispensable
chez nos étudiants comme chez leurs
élèves. Les situations d’intégration et
les pratiques réflexives constituent une
occasion de travailler délibérément ces
critères en amont et en aval des stages.
Ce travail peut prendre utilement la
voie de démarches d’auto-évaluation
mutuelles (entre condisciples) et de
co-évaluation (enseignant-élève). Le
travail de transposition du vécu des
agrégés à l’exploitation avec leurs
élèves du qualifiant prend, ici aussi,
en compte la difficulté observée chez
ceux-ci de réfléchir et surtout de parler
ou d’écrire de façon distanciée au sujet
du déroulement de leur action profes-
Un dispositif à visée professionnalisante
sionnelle, de son contexte et de leurs
propres réactions.
Ces démarches visant l’auto-régulation auront d’autant plus de légitimité
qu’elles seront aussi soutenues dans
le milieu de travail à l’occasion des
stages, ce qui souligne l’importance
d’une articulation réussie entre les
écoles et les milieux professionnels.
Cette articulation est de la responsabilité des enseignants qui coordonnent
et accompagnent les stages. Les futurs
agrégés sont invités à s’impliquer aussi
dans de telles démarches, notamment
à l’occasion du stage 3.
5. Quelques mots pour
conclure
Ce texte s’est attaché à décrire comment le cours de didactique spéciale en
psychologie et sciences de l’éducation
prépare les futurs agrégés à contribuer
au développement des compétences et
de l’identité professionnelles des élèves du qualifiant auxquels ils s’adresseront le plus souvent. Les enjeux de
ce travail qui, dans le temps imparti,
ne peut être qu’une amorce sont qu’ils
prennent conscience de l’importance
et de la spécificité du rôle qu’ils ont
à jouer dans ce contexte et qu’ils se
soient engagés dans des démarches
professionnelles qu’ils pourront affiner et réguler quand ils exerceront le
métier.
Bibliographie
Bakhtine, M. (1984). Esthétique de
la création verbale. Paris : Éditions
Gallimard.
B eckers , J. (2003-2004). Amorcer
et accompagner le développement
professionnel en formation initiale,
Université de Liège. À paraître chez
De Boeck en décembre 2007 sous
le titre « Développer les compétences et l’identité professionnelle en
formation initiale : L’enseignement
et autres métiers de l’interaction
humaine ».
Beckers, J, François, N., Gilson, V.,
& Grégoire, Ch. (2006, août). Développer les compétences et l’identité
professionnelle des élèves de la filière
de qualification (secteur service aux
personnes). Rapport final de la seconde année de recherche. Liège : Service de Didactique professionnelle
et de Formation des Enseignants de
l’Université de Liège.
Dubar, Cl. (2000). La socialisation,
construction des identités sociales
et professionnelles, 3 e éd. Paris :
A. Colin.
Leplat, J. (1997). Regards sur l’activité en situation de travail : Contribution à la psychologie ergonomique.
Paris : PUF.
Pastré, P. (2002, janvier-février-mars).
L’analyse du travail en didactique
professionnelle. Revue française de
pédagogie, 138, 9-17.
Pastré, P., Mayen, P. & Vergnaud, G.
(2006, janvier-février-mars). La
didactique professionnelle : note de
synthèse. Revue française de pédagogie, 154, 145-198.
Raisky, C. (1996). Doit-on en finir
avec la transposition didactique ?
Essai de contribution à une théorie didactique. In C. Raisky & M. Caillot
(Éds), Au-delà des didactiques, le didactique. Débats autour de concepts
fédérateurs (pp. 37-59). Bruxelles :
De Boeck Université.
Saint-Arnaud, Y. (2001). La réflexion
dans l’action : un changement de
paradigme. Recherche et formation,
36, 17-27.
Samurçay, R., & Pastré, P. (1998).
L’ergonomie et la Didactique.
L’émergence d’un nouveau champ
de recherche : Didactique professionnelle, Actes du colloque « Recherche et Ergonomie », Toulouse,
février 1998.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
47
L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs
Marie-Noëlle Hindryckx, Christine Daussogne
Faculté des Sciences, service de Didactique des Sciences biologiques
Université de Liège
L’enseignement par compétences en sciences
biologiques : le défi des enseignants…
et des formateurs
Selon les rôles de la formation initiale identifiés par J. Beckers dans
ce numéro, nous pouvons mettre en
évidence deux phases importantes dans
la formation des futurs enseignants en
biologie : la phase d’appropriation
des prescrits en matière d’enseignement pour construire des séquences de
leçons à tester et la phase d’analyse de
ces construits mis en œuvre, en vue de
les optimiser.
Concrètement, la phase d’appropriation commence dès le début de la
formation, la phase d’analyse en découlera au fil de la formation.
1. Faire émerger les
représentations du métier et
de ses outils…
Pour un futur enseignant en sciences
biologiques, le concept « enseigner »,
évoque d’abord1 la possibilité de « transmettre des savoirs », « des savoirs
savants les plus exacts possible ». Vient
ensuite l’envie de donner « le goût des
sciences », de donner « les bagages
pour ceux qui voudront se destiner aux
études universitaires scientifiques » et
« éviter les écueils » qu’eux-mêmes ont
traversés…
Par contre, quand on leur demande ce qui
leur a donné l’envie de s’intéresser aux
sciences dans leurs cours de l’enseignement secondaire, ce sont souvent les activités pratiques (dissections, laboratoires,
visites de terrain, …) qui sont citées.
La première mise en situation de la
formation demande aux étudiants2 futurs AESS biologie, de « préparer une
48
leçon » sur un thème imposé, puis de
répondre à quelques questions faisant
émerger les démarches qu’ils ont mises
en place pour procéder à cette préparation. Souvent, les étudiants vont revoir
les notions scientifiques visées dans
leurs cours d’Université ou dans un livre de référence-matière3, puis dans les
cours vécus au secondaire. Rarement
les documents officiels sont évoqués ;
les livres scolaires du secondaire supérieur ne sont pas mentionnés non plus.
Ces préparations sont donc strictement
basées sur la transmission d’un savoir
académique, souvent de très (trop) haut
niveau. Quand le rôle des protagonistes
est envisagé par l’étudiant, il consiste
à décrire les actions de l’enseignant,
jamais celles des élèves…
2. Déconstruire pour mieux
reconstruire ensemble
Un premier grand chantier de déconstruction et reconstruction des préparations est mis en place. Par groupes, accompagnés d’un enseignant moniteur
pédagogique4, les étudiants découvrent
les documents de référence officiels
(livret « compétences terminales et savoirs requis en sciences », les programmes, les manuels d’accompagnement
des programmes…) et commerciaux
(livres scolaires de tous bords, sites
Internet utiles...). C’est souvent leur
premier contact avec le concept de
« compétences ».
Les exercices d’enseignement donnés
à l’université devant des étudiants des
sections physique, chimie et biologie
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
et l’expérience du premier stage réel
d’enseignement (environ dix heures à
prester) vont permettre aux étudiants
d’essayer de construire des leçons
qui intègrent tous ces nouveaux éléments.
Force est de constater qu’à ce stade
d’appropriation du concept de compétence, beaucoup d’étudiants, s’ils sont
capables d’identifier des compétences,
citent dans leur préparation toutes
celles qui pourraient être exercées
dans le cadre du thème choisi. De
plus, peu d’entre eux, arrivent à bâtir
des activités mettant effectivement en
jeu les compétences annoncées. Par
exemple, le futur enseignant qui réalise
une expérience démonstrative (une
expérience d’osmose, par ex.) devant
les élèves, pense exercer chez eux la
compétence « expérimenter ». Beaucoup ne perçoivent pas la différence,
et par là les enjeux visés, en fonction
de ce que fait le maître et surtout, de
ce que font les élèves.
3. De l’importance du vécu…
Partant du constat que, selon Astolfi
et al. (1997, p. 9) « il paraît cohérent
que les dispositifs développés par les
intervenants lors d’une formation
présentent une certaine parenté avec
ce que le formé aura à installer pour
ses élèves, à son retour dans sa classe5,
nous proposons aux futurs enseignants,
une activité mettant en œuvre les
démarches que nous espérons voir
émerger dans les classes.
Cette activité est mise en place dans le
L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs
cadre du cours de didactique spéciale
en biologie pour aider les étudiants
à percevoir les nuances - parfois de
taille - entre les différentes formes de
la démarche expérimentale.
Des ateliers expérimentaux présentant
différents statuts de la démarche expérimentale sont organisés pendant une
séance de cours (trois heures). Après
avoir vécu ces ateliers par groupe de
deux ou trois, les étudiants s’interrogent sur la signification de ceux-ci :
la position, le vécu de l’apprenant
est-il le même s’il suit un protocole
expérimental ou s’il est mis face à un
défi ? Quels sont les apprentissages
réels pour l’élève s’il doit construire
lui-même le protocole expérimental
qui permettra d’isoler une variable du
système ? Les expériences remarquablement illustrées dans des émissions
très prisées par les enseignants telles
que « C’est pas sorcier », ont-elles
le même statut (entendons par là : le
même vécu pour l’élève) qu’une expérience menée en classe par les élèves
ou par l’enseignant ? Les expériences
racontées dans les manuels scolaires
peuvent-elles remplacer les expériences vécues en classe ?…
Prendre la position de l’élève dans un
premier temps, puis se décentrer pour
atteindre celle de l’enseignant, permet
souvent aux étudiants de mieux appréhender ce concept de compétence
et surtout d’identifier clairement celui
qui, en fin de compte, doit l’exercer :
l’élève.
4. La préparation, un outil de
changement…
Un retour réflexif sur les pratiques
de stage au début de la formation
est aussi l’occasion de revenir sur la
construction de la préparation et son
utilité. Beaucoup d’étudiants sont tentés d’écrire leurs préparations a posteriori, pour alimenter leurs rapports de
stage … Ce n’est évidemment pas le
but … Rédiger une préparation fonctionnelle doit permettre à l’enseignant
d’identifier clairement les compétences scientifiques et spécifiques 6 du
document « compétences terminales
et savoirs requis en sciences », de
développer les objectifs précis de son
enseignement ; d’écrire en vis-à-vis la
part prise par les élèves et par lui-même
dans les démarches d’apprentissage, et
ce, avant la séquence. Quand celle-ci a
été mise en place en classe, un retour
sur ce qu’il s’y est passé, tant au niveau
de l’enseignant que des élèves, permettra d’amender cette préparation et d’en
faire un outil de changement.
5. De la cohérence et de
l’adéquation de l’évaluation
des apprentissages…
L’étape suivante, pour les futurs enseignants, est d’essayer de comprendre
l’importance cruciale de l’évaluation
dans cet apprentissage par compétences. Peut-on faire travailler les élèves
sur un logiciel de simulation de situations expérimentales (par exemple
« Reflexarc » ou « Drosofly »7) puis
évaluer les apprentissages uniquement
sur la base d’un questionnaire à choix
multiples (QCM), vérifiant surtout
l’apprentissage d’un contenu ? N’est-il
pas nécessaire d’aller plus loin ? Mais
comment évaluer des compétences et
quelles compétences ?
évaluer par compétences, c’est évaluer
un « ensemble organisé de tâches complexes, c’est-à-dire ouvertes et inédites
pour l’élève auquel elles s’adressent
et gérées de manière autonome par
celui-ci » B eckers (2007). Cette
partie de la formation pose beaucoup
de difficultés aux futurs enseignants.
D’autant que, lors de leurs pratiques
de stages actifs ou d’observation, les
étudiants rencontrent peu d’occasions
d’évaluer leurs enseignements et donc
peu d’opportunités d’échanges à ce
sujet avec leur(s) maître(s) de stage.
Cette tâche d’évaluation est complexe,
tant pour l’enseignant novice que pour
l’enseignant chevronné. Peu d’échanges d’outils ont lieu à ce niveau.
Le suivi des travaux des commissions
chargées de construire des outils
d’évaluation en lien avec le document
« compétences terminales et savoirs
requis en sciences » maintenant disponibles en partie sur le net8, permet
déjà aux étudiants d’y voir un peu plus
clair. Depuis cette année, une chargée
de mission dans la commission pour les
sciences, Madame A. Lahousse, vient
expliquer aux étudiants la démarche
de cette commission et montre les
outils concrets qui en découlent. Un
enseignant du secondaire supérieur,
Monsieur P. Boxus, vient également
témoigner de la façon dont il met en
œuvre les compétences dans sa classe,
de la construction de la séquence de
leçon à sa mise en œuvre puis à son
évaluation. Il propose des séquences
thématiques complètes des deuxième
et troisième niveaux du secondaire.
Cette articulation concrète des compétences et de leur évaluation est,
semble-t-il, profitable, car les leçons
d’examens de cette fin d’année9, ont
montré une adéquation vraiment plus
forte entre les compétences annoncées
dans les préparations de leçons et les
évaluations prévues par les étudiants.
Les familles de tâches concrétisent
bien ces notions de « complexes » et
« inédites» : le nombre de compétences articulées est faible ; l’évaluation
proposée est inédite en regard de la
situation d’enseignement proposée ;
les critères et les indicateurs définis
pour fixer la note de l’élève sont présents également. Les types de tâches
dont doivent pouvoir s’acquitter les
élèves sont précisées et éclairent ainsi
sur les apprentissages nécessaires en
amont. Il reste alors à l’étudiant de
s’essayer à suivre une des propositions
de matrices d’évaluation pour s’en
imprégner et ainsi espérer « calquer »
cette façon de faire pour d’autres points
du programme.
Pendant leur stage le plus long10, certains ont tenté de mettre en place une
évaluation en fin de séquence. Cette
recherche d’adéquation entre les apprentissages et leur évaluation permet
des échanges très constructifs pour les
deux parties entre les maîtres de stage
et leurs élèves. Certains maîtres de
stage ont d’ailleurs signalé à ce propos,
l’enrichissement mutuel et l’appel d’air
frais, provoqués par ce chantier. Les
aller-retour entre les acteurs de terrain,
les futurs enseignants et les formateurs,
restent la pierre angulaire d’une formation initiale et continuée de qualité
pour former « une vraie communauté
d’apprentissage » (voir les propos de
J. Beckers de ce n°22 du Puzzle…).
L’examen de stage relativement à
l’agrégation en sciences biologiques,
consiste à présenter une leçon publique11 dans une classe du secondaire
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
49
L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs
d’un établissement liégeois. Ainsi, les
étudiants eux-mêmes sont évalués sur
leur propre maîtrise d’une compétence
complexe et mobilisatrice d’acquis
variés, à savoir : enseigner à des élèves
du secondaire…
6. Faire le deuil de sa
Science et travailler des
compétences… pour tous…
Un changement de type d’enseignement au cours des stages actifs est souvent très révélateur pour les étudiants.
Issus en majorité de l’enseignement
général, avec des options fortes, les
étudiants commencent leurs stages
dans des écoles à public plutôt favorisé
et de type général. Ce « déjà connu »
les rassure.
Quand ils sont confrontés à un public
de l’enseignement technique et/ou
professionnel, les paramètres sont très
différents : les élèves fonctionnent
beaucoup plus sur un mode affectif,
les ambitions de contenus poussés
doivent être abandonnées et souvent,
les démarches qu’ils mettent en œuvre
auprès des élèves leur apparaissent
clairement comme inappropriées.
Les élèves de l’enseignement qualifiant
envoient généralement des messages
très clairs à leurs enseignants. Trop
d’attendus de matière… les évaluations sont catastrophiques ; trop peu
de démarches actives… l’activité prend
naissance dans la classe sous forme de
bavardages intempestifs ; des mises en
situation qui ne concernent pas ou peu
les élèves et leur quotidien… c’est le
décrochage et l’échec.
Pourtant, les stagiaires reviennent
vraiment enrichis de ce passage « à
tabac », avec une autre vision de leur
métier, des élèves et de l’institution.
Une étudiante a « avoué » aux autres,
lors des séminaires d’examen de
didactique spéciale, avoir utilisé des
panneaux de format A3 représentant
les os du pied avec des éléments prédécoupés représentant les différentes
parties d’une articulation à situer sur
ce schéma en guise de synthèse. Une
autre a demandé à ses élèves de lui
expliquer la formation d’un OGM à
partir de textes et à l’aide d’un matériel
constitué de ficelle, œufs « Kinder »,
perles et boules de Noël… « Ce n’est
50
pas ridicule ? ! », « Ils vont croire
que l’on se moque d’eux ! » « Et nous
alors, on sert à quoi ? »…
N’oublions pas que tous les élèves
doivent avoir acquis des compétences,
pas seulement ceux qui se passeraient
bien de nous pour apprendre… Des
approches plus concrètes offrent souvent une porte d’entrée plus accessible
à des élèves qui demandent un suivi
plus important.
Baignés depuis plusieurs années dans
un monde de scientifiques, les étudiants
à l’agrégation en sciences biologiques
éprouvent souvent des difficultés à se
rendre compte que les élèves actuels
du secondaire ne sont plus à l’image
d’eux-mêmes ; que le langage du scientifique, sa façon de penser, de réfléchir,
constituent parfois déjà un obstacle
pour leurs interlocuteurs. Des séminaires d’épistémologie12 et histoire des
sciences sont organisés sous forme de
discussions pour évoquer ces caractéristiques intrinsèques du scientifique et
de la science. Différents sujets y sont
abordés, dont l’évolution qui reste un
sujet difficile à enseigner.
Les séminaires interdisciplinaires13
sont également l’occasion de prendre
du recul et de mieux définir ainsi sa
spécificité d’enseignant en sciences.
Les projets que les groupes d’étudiants
doivent imaginer leur permettent de
voir la richesse que constitue l’approche par compétences. Le travail de
chaque enseignant « spécialiste » au
sein d’une équipe interdisciplinaire ne
se résume pas au simple partage des
tâches ingrates : l’enseignant des mathématiques calcule le prix du voyage,
le professeur de géographie son itinéraire, le professeur de biologie, les
menus des repas… Ces collaborations
sont de réelles occasions de travailler
des compétences complexes de façon
intégrée chez leurs élèves qui gardent
souvent une vision très parcellaire de
leurs apprentissages.
Voilà quelques réflexions qui montrent
qu’enseigner est un art et former les
enseignants un défi !
Notes
Un questionnaire individuel de représentations au début de leur formation
initiale permet de mettre en évidence
1
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
ces différents aspects.
Dans ce texte, le terme « étudiant »
désigne les futurs agrégés de l’enseignement secondaire supérieur en
biologie, et le terme « élève » désigne
un élève du secondaire supérieur.
3
Ex. : Campbell, N.A. (1995), 3th ed.
« biologie », adapté et révision scientifique de R. M athieu . De Boeck
Université : 1 190 p.
4
Les moniteurs-pédagogiques sont des
enseignants du secondaire supérieur
en poste, impliqués dans la formation
des futurs enseignants.
5
« On peut donc parler d’un certain
homomorphisme entre les situations
formatives (vécues et analysées) et
les situations didactiques (construites et gérées) et insister sur le fait
que la « forme » choisie pour la
formation importe au moins autant
que son contenu … Il est fréquent de
constater que ce sont les modalités de
formation qui fournissent les points
d’appui les plus importants pour
modifier les pratiques. » (Astolfi et
al., 1997).
6
Voir à ce propos l’article « former les
futurs professeurs de chimie à la pédagogie des compétences » B. Leyh
et V. Collignon de ce numéro de
Puzzle .
7
Logiciels développés par G. Swinnen
et commercialisés par Inforef, rue E.
Wacken, 1b 4000 Liège.
8
voir http://www.enseignement.
be/prof/dossiers/eval/outilhgt_biologie.asp
9
L’examen de didactique spéciale en
biologie consiste en un séminaire de
présentation de leçons performantes
et qui feront l’objet d’une diffusion
au sein de la promotion.
10
Généralement, la période du mois
de janvier se prête bien à des stages
plus imposants, constitués d’une
vingtaine d’heures prestées par l’étudiant. Les enseignants du secondaire
sont en effet plus disponibles à cette
période de l’année.
11
Le thème de la leçon est celui qui
correspond au programme réel des
élèves qui accueillent nos étudiants
au mois de mai. Chacun dispose
de 50 minutes de leçon. Un jury
composé de membres du Service
de Didactique de la Biologie et de
la Faculté des Sciences, assiste à la
2
L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs
performance. Celle-ci est ensuite
discutée avec le stagiaire et notée.
12
Ce cours est dispensé par le professeur B. Leyh pour les chimistes, les
physiciens et les biologistes.
13
Ces séminaires organisés par Mr
N. Leclercq concernent toutes les
facultés qui organisent une agrégation à l’ULg.
Bibliographie
Astolfi, J.P., Darot E., GinsburgerVogel Y., Toussaint J. (1997) Motsclés de la didactique des sciences.
De Boeck Université Pratiques
pédagogiques.
Beckers, J. (2007). « Le métier change, la formation aussi » (1) Comment
contribuer par la formation des
agrégés aux réformes du système
éducatif ?Puzzle n°22.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
51
Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences
Bernard Leyh, Viviane Collignon-Claessen
Faculté des Sciences, Service de Didactique de la Chimie
Université de Liège
Former les futurs professeurs de chimie
à la pédagogie des compétences : quelques
propositions pratiques et pistes de réflexion
1. Introduction
En humanités générales et technologiques, deux niveaux d’enseignement
des sciences doivent être distingués.
Les sciences dites « de base » (une
période de chacune des trois sciences
par semaine) sont définies comme
« nécessaires à chacun pour gérer sa vie
de citoyen »1 tandis que les « sciences
générales », à raison de généralement
deux périodes hebdomadaires de
physique, de chimie et de biologie,
s’adressent à « ceux qui orientent leur
formation vers les sciences, les mathématiques ou la technologie »1. Si
le référentiel de compétences1 retient,
pour la chimie en sciences générales,
56 compétences spécifiques à dévelop-
Sciences de base
52
per, dont l’intitulé est fréquemment très
précis et ne représente parfois qu’une
paraphrase des savoirs à enseigner, il
décrit également, dans sa partie introductive, un certain nombre de compétences génériques2, communes à la
biologie, la chimie et la physique : six
pour les sciences de base, neuf pour les
sciences générales. Elles sont reprises
dans le tableau ci-dessous.
Sciences générales
1
Confronter ses représentations avec les
théories établies
1
S’approprier des concepts fondamentaux, des modèles
ou des principes
2
Modéliser : construire un modèle qui rend
compte de manière satisfaisante des faits
observés
2
Conduire une recherche et utiliser des modèles
3
Expérimenter
3
Utiliser des procédures expérimentales
4
Maîtriser des savoirs scientifiques permettant de prendre une part active dans une
société technico-scientifique
4
Bâtir un raisonnement logique
5
Bâtir un raisonnement logique
5
Utiliser des procédures de communication
6
Communiquer
6
Résoudre des applications concrètes
7
Utiliser les outils mathématiques et informatiques
adéquats
8
Utiliser des savoirs scientifiques pour enrichir des
représentations interdisciplinaires
9
établir des liens entre des démarches et notions vues
en sciences et vues ailleurs
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences
On retrouve dans cette liste, ce n’est
pas une surprise, les fondements de
toute formation scientifique :
a. La maîtrise des savoirs fondamentaux et la résolution d’applications
concrètes, orientées, pour les sciences
de base, vers les notions qui favorisent un rôle actif dans une société
technico-scientifique. La portée de ces
compétences est logiquement élargie
dans l’option « sciences générales ».
Sont ici concernées principalement les
compétences n°1 et 6 (3). Il serait un
peu artificiel d’en séparer les compétences n°2, 3, 4 et 7 qui interviennent
nécessairement dans des proportions
variables lors de toute séquence de
cours.
b. L’éveil aux aspects épistémologiques de la discipline : rôle primordial
de l’expérimentation et de l’induction,
modélisation, apport de la logique
déductive, mathématisation pour les
sciences générales. Les compétences
n°2, 3, 4, 7 et, dans une certaine mesure, 9, rentrent dans cette catégorie.
c. La communication (compétence
n°5)
d. L’interdisciplinarité, au sein des
sciences elles-mêmes d’abord, dans
une perspective plus large ensuite
(compétences n°8 et 9)
C’est sur la base de ce regroupement
en quatre familles de compétences que
nous nous proposons d’esquisser les
options du cours de didactique spéciale de la chimie : comment rendre
nos futurs professeurs de chimie les
plus aptes possible à développer, chez
leurs élèves, les compétences que nous
venons de rappeler ? Nous aborderons,
dans une dernière partie, un aspect
essentiel, quoique délicat : l’évaluation
des compétences.
2. La maîtrise des savoirs
fondamentaux et la
résolution d’applications
concrètes dans la perspective
d’une pédagogie des
compétences (compétences
n°1 à 4, 6 et 7)
Il peut, de prime abord, paraître superflu, voire abusif, d’imposer à de jeunes
spécialistes de leur discipline une
démarche réflexive sur la manière de
transmettre des éléments de leur propre
savoir aux élèves d’humanités. Ne suffit-il pas de vulgariser clairement et/ou
de suivre, pas à pas, tel ou tel manuel
reconnu ? – pourrait-on objecter. Si
la maîtrise des disciplines à enseigner
est évidemment une condition sine qua
non, celle-ci est loin d’être suffisante,
surtout dans le cadre d’une pédagogie
des compétences pour laquelle il est
impérieux de toujours mettre en lumière les relations entre le contexte,
le problème à résoudre, et les outils,
les savoirs à mettre en œuvre. Les
mêmes outils, et diverses combinaisons
de ceux-ci, peuvent servir à résoudre
des problèmes très divers alors qu’un
même problème peut être abordé sous
des angles variables, faisant appel à
des concepts spécifiques. C’est donc
de cette capacité à mettre en relation
contexte et savoirs dont il faut armer les
élèves. Or l’enseignement universitaire
ne prépare guère – ce n’est sans doute
pas son rôle – à réaliser une telle transposition au niveau de l’enseignement
secondaire. Redécouvrir le langage des
humanités, dans sa nouvelle parure de
compétences, est, pour beaucoup de
stagiaires un choc culturel, surtout s’ils
ont choisi d’abord une autre voie avant
d’aborder l’agrégation. Comment tentons-nous de les y préparer ?
Dès les premiers cours de didactique
spéciale, après une présentation générale des objectifs du décret-missions
et une première réflexion générale sur
la motivation des élèves, leurs préconceptions, les styles d’enseignement
et d’apprentissage (Barke & Harsch
2001), nous soumettons les étudiants
de l’agrégation en chimie à des exercices pratiques appelés « micro-enseignements ». Au cours de ceux-ci, ils
prépareront et présenteront une leçon
devant leurs condisciples et devant les
didacticiens aidés de collaborateurs
pédagogiques issus d’établissements
d’enseignement secondaire. Afin de
favoriser la collaboration entre stagiaires et le partage d’expériences,
les étudiants préparent ces leçons par
groupe de deux, même s’ils doivent les
présenter oralement de manière individuelle. La phase initiale de préparation
des leçons s’effectue dans le cadre des
heures de cours de didactique spéciale
sous la guidance personnalisée des
didacticiens. Le laboratoire de chimie
du service de didactique, ainsi que
l’aide du personnel technique, sont à
leur disposition. Nous insistons sur la
nécessité d’inclure dans la présentation
les étapes suivantes :
- mise en situation (contextualisation)
- expérimentation
- exploitation des résultats expérimentaux et modélisation éventuelle
Chaque leçon fait l’objet d’une discussion approfondie visant à renforcer les
points positifs, à corriger les faiblesses
et à dégager des pistes d’amélioration.
Cette première « épreuve du feu » est
bien sûr le prélude à de nombreuses
autres leçons, dans le cadre des 40 heures de stages de responsabilité en
établissements scolaires, réparties sur
trois périodes de l’année. Les stagiaires
AESS sont invités à préciser dans leurs
préparations, qui seront incluses dans
le rapport de stage, les compétences
qu’ils souhaitent développer chez les
élèves au cours des différentes leçons
et la méthodologie qu’ils mettent en
œuvre dans ce but. Chaque visite de
didacticien spécialiste lors des stages
est à visée purement formative. Nous
cherchons à évaluer les progrès des
stagiaires dans leur manière de guider
chaque élève vers une autonomie croissante, vers une meilleure perception du
raisonnement scientifique et, dès lors,
vers une capacité accrue à résoudre
des tâches de complexité adaptée au
niveau d’enseignement. Les séances
de pratiques réflexives sont également
l’occasion d’analyser de manière
critique les méthodologies mises en
place en vue de l’acquisition, par les
élèves, de compétences scientifiques
génériques.
Une partie des stages doit être prestée
en humanités techniques de qualification ou professionnelles, afin que les
futurs agrégés prennent conscience des
spécificités de ces filières d’enseignement. C’est l’occasion d’insister à nouveau sur l’impérieuse nécessité de faire
percevoir par les élèves à quel point les
sciences, et la chimie en particulier,
aident à comprendre la réalité concrète,
en choisissant des exemples pertinents
pour la filière d’enseignement concernée. Il s’agit souvent d’une remise en
question fondamentale pour nos futurs
enseignants, qui doivent (ré)apprendre
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
53
Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences
des notions parfois très techniques
peu envisagées dans leur formation
antérieure (la chimie médicinale, la
chimie des produits cosmétiques, de
l’ébénisterie, du monde de l’automobile …) et qui sont amenés, plus encore
que dans l’enseignement général, à
revoir la manière de donner du sens
aux apprentissages des adolescents. En
outre, nous demandons aux étudiants
de l’agrégation de réaliser un travail
personnel sur la chimie d’un objet de
la vie courante, laissé à leur choix, afin,
entre autres, de les sensibiliser aux
aspects appliqués de notre discipline
et de développer leur culture générale
dans ce domaine. Enfin, il est important
de souligner que le cours de sciences
dans l’enseignement qualifiant est aussi
le lieu où l’éducation à la citoyenneté
dans une société technico-scientifique
trouve naturellement sa place : nous
tentons d’y sensibiliser nos stagiaires.
Trois séminaires sont consacrés spécifiquement à la compétence n°6,
« résoudre des applications concrètes », au cours desquels nous faisons
expérimenter par nos étudiants les
démarches susceptibles de rendre leurs
élèves capables de développer une
méthodologie logique et efficace de
résolution de problèmes.
Outre ces expériences pratiques, nous
offrons également aux futurs enseignants de chimie, dans le cadre du
cours de didactique spéciale, plusieurs
occasions de rencontrer divers acteurs
du monde de l’enseignement secondaire issus des différents réseaux :
directeurs, inspecteurs et professeurs
de sciences. Ceux-ci leur présentent,
lors d’exposés dont nous veillons
à garantir le caractère interactif, la
manière dont ils perçoivent et mettent
en œuvre la nouvelle pédagogie des
compétences définie par le décretmissions. Soulignons qu’un de ces
exposés est spécifiquement orienté
vers l’enseignement qualifiant. C’est
également l’occasion de proposer une
analyse plus détaillée des programmes
de cours et de présenter le matériel
didactique – manuels scolaires, outils
multi-médias, appareillage de laboratoire – disponible et conforme aux
objectifs de l’enseignement en Communauté Française de Belgique.
Guider des élèves vers la maîtrise de
54
compétences à résoudre des tâches
scientifiques plus ou moins complexes,
c’est – on l’aura compris – leur faire
vivre et progressivement dominer, tout
en restant réaliste et modeste, la démarche scientifique. Encore faut-il que
l’enseignant y ait réfléchi lui-même
au préalable. C’est le point que nous
abordons maintenant.
3. Aspects épistémologiques
(compétences n° 2, 3, 4, 7 et 9)
Qu’on ne se méprenne pas. Il ne s’agit
pas ici de chercher à transformer nos
futurs enseignants en des théoriciens
du développement des sciences. Il
s’agit plutôt de les aider à mieux
percevoir comment se construisent
les sciences et, en particulier, celle
dont ils sont spécialistes, pour leur
permettre, en toute connaissance de
cause, de faire parcourir, à leur tour,
un bout de ce chemin à leurs élèves.
Des compétences essentielles sont
ici en jeu : elles sont reprises dans le
tableau sous les numéros 2, 3, 4, 7 et,
partiellement, 9.
L’assise des sciences biologiques,
chimiques et physiques est avant tout,
au moins depuis le siècle des lumières,
expérimentale. Il faut en convaincre
les élèves. Pour cela, les professeurs
doivent disposer d’une batterie d’expériences élégantes, simples, répondant
à des normes de sécurité et d’hygiène
strictes et s’insérant de manière logique
dans une perspective didactique. Qui
plus est, l’approche expérimentale est
une des plus efficaces pour motiver
les élèves : (Barke & Harsch, 2001
et Nakhleh, Polles & Malina, 2002)
elle les place en situation, génère un
certain suspense si elle est bien mise en
scène et donc stimule leur curiosité et
met leurs préconceptions à l’épreuve.
Elle impose également des critères
d’objectivité, de rigueur et d’honnêteté intellectuelle. Bref, une excellente
école de sciences et de vie, à condition,
évidemment, de disposer des bonnes
expériences. Celles-ci sont en fait nombreuses et existent sous de multiples
variantes. Mais peu de recueils récents
et suffisamment détaillés existent et
le professeur en début de carrière est
souvent relativement démuni, d’autant
plus que les travaux pratiques qu’il
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
a réalisés durant son curriculum de
licence poursuivaient incontestablement des buts très différents. Aussi
organisons-nous plusieurs séances de
laboratoire focalisées respectivement
sur les matières des 4e, 5e et 6e années,
au cours desquelles les étudiants de
l’AESS peuvent voir et réaliser des
expériences de démonstrations de
cours ou de pratique de laboratoire et
en discuter la pertinence didactique.
Ces séances sont organisées en collaboration avec des professeurs chevronnés
de l’enseignement secondaire. Signalons également qu’un séminaire relatif
au respect des normes de sécurité et
d’hygiène est organisé dès les premières semaines de l’année académique
afin que les étudiants soient informés
avant le début de leurs stages.
La démarche expérimentale s’inscrit
dans une perspective plus large en interaction avec d’autres actes intellectuels
essentiels : l’émission d’hypothèses
scientifiques, la conception d’expériences complémentaires, l’élaboration de
modèles et de théories, la vérification
– ou la réfutation – de ceux-ci. Une
réflexion épistémologique présentant
les grands courants de pensée contemporains (T ro , 2004 ; M achamer ,
1998 ; Chalmers, 1999 ; Soler, 2000 ;
Besnier, 2005 ; Verhaeghe, Wolfs,
Simon & Compère, 2004) est proposée
aux étudiants lors de quatre séminaires
illustrés de nombreux exemples historiques et de suggestions d’applications
didactiques concrètes au niveau de
l’enseignement secondaire.
Deux séminaires supplémentaires
abordent le sujet, pédagogiquement délicat mais épistémologiquement riche,
de la découverte la structure atomique
et de l’interprétation de la structure
moléculaire (l’éternel problème de la
liaison chimique !).
4. La communication
(compétence n°5)
Lors des différentes activités décrites
dans la première section, les futurs enseignants ont l’occasion de réfléchir aux
méthodes susceptibles de promouvoir
les compétences de communication de
leurs élèves. Partant du principe de la
valeur de l’exemple, nous stimulons
nos stagiaires à adopter une attitude
Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences
irréprochable en la matière : précision
et concision du langage, structuration
du discours, utilisation de symboles et
d’unités reconnus par l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée,
soin de l’iconographie.
une tâche pratique de conception d’une
épreuve d’évaluation. Cette démarche
concourt, nous l’espérons, à démystifier
un des aspects les plus délicats et les
plus controversés de la pédagogie des
compétences.
7. En guise de conclusion
5. Interdisciplinarité
(compétence n°8)
Depuis plusieurs années, nous collaborons avec les titulaires des cours de
didactique spéciale de biologie (Professeur M.-N. Hindryckx) et de physique (Professeur F. Grandjean) et une
fraction non négligeable des activités
est commune : micro-enseignements,
témoignages des acteurs du monde de
l’enseignement secondaire, séminaires
d’épistémologie. Les étudiants des
trois disciplines ont ainsi l’occasion de
confronter leurs expériences et d’exprimer leurs convergences comme leurs
divergences de vue, en prélude à leur
future carrière où de telles situations
constitueront leur lot quotidien. Il faut
également signaler que le service de
didactique de la chimie participe, dans
la mesure de ses possibilités, aux séminaires d’approches interdisciplinaires
animés par N. Leclercq.
6. évaluation des
compétences
évaluer le degré de maîtrise des compétences est une étape cruciale, tant pour
l’élève que pour son professeur. Les
épreuves-types mises au point par les
groupes de travail inter-réseaux ont été
évoquées par J. Beckers en introduction
de ce numéro. Dans le cadre du cours de
didactique spéciale, nous invitons deux
membres de ces groupes afin de sensibiliser nos étudiants à cet aspect essentiel.
Après une présentation générale des
enjeux et des pistes de solutions disponibles, nous proposons à nos stagiaires
Guider les élèves dans leur acquisition
de compétences est, certes, une tâche
bien plus ambitieuse, que la simple
– mais est-ce vraiment si simple ?
– transmission de connaissances. L’un
n’exclut pas l’autre, évidemment. Ce
défi pour les professeurs de l’enseignement secondaire en est un également,
et de taille, pour les enseignants de
didactique spéciale. Nous avons mis
en œuvre toute une série d’activités, de
séminaires, de travaux pratiques, en vue
de mieux armer les futurs enseignants
qui nous sont confiés. Elles ont été
brièvement décrites dans les pages qui
précèdent. Nous avons cherché à faire
correspondre à chaque activité que nous
proposons un certain nombre des compétences qu’il s’agit d’éveiller chez les
élèves. Il est clair qu’une telle découpe
est un peu artificielle et n’a pour seul but
que de clarifier l’exposé. Bon nombre
d’activités font référence à plusieurs
compétences. Nous voudrions insister
sur un dernier point. Nous cherchons
à réaliser un équilibre délicat entre un
souci constant d’être le plus pratique,
le plus concret possible et la volonté
de ménager des temps de réflexion
plus théorique. Il nous semble en effet
que l’apprentissage tout au long de la
vie, cette fameuse formation continuée,
condition essentielle pour que la flamme
du bon enseignant reste vive, ne peut
que bénéficier de la maîtrise de quelques clefs de lecture théoriques dont
on peut modestement espérer qu’elles
survivront à l’évolution, difficilement
prévisible, de notre enseignement et
aux réformes probables dont il sera le
bénéficiaire … ou la victime.
Notes
Compétences terminales et savoirs
requis en sciences. Humanités générales et technologiques. Ministère de
la Communauté Française de Belgique.http://www.enseignement.be
2
Ces compétences sont appelées
« compétences scientifiques » dans le
document «Compétences terminales
et savoirs requis en sciences. Humanités générales et technologiques »
repris sous référence 1.
3
Dans la suite de ce texte, les numéros de référence des compétences
seront ceux de l’option « sciences
générales »
1
Bibliographie
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l’épistémologie. Un manuel d’initiation pour les maîtres et formateurs.
Bruxelles : De Boeck.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
55
La formation aux compétences en géographie
Christine Partoune
Faculté des Sciences, Service de Didactique des Sciences géographiques
Université de Liège
La formation aux compétences en géographie
1. Au pied du mur
Pour commencer le premier cours de
didactique spéciale en géographie, les
étudiants sont invités à se présenter.
Le tour de table s’effectue à travers
un défi : chacun est invité à placer une
gommette sur une carte de Belgique
pour signaler à quel endroit il/elle
habite. Mais la carte n’est pas banale :
seul le relief est représenté. Il arrive
que l’on tâtonne, alors que pour des
géographes, c’est évidemment beaucoup plus facile que pour d’autres.
On corse l’exercice. Quels sont les
événements de l’actualité belge dont
on parle beaucoup ? Où se situent
Bruxelles, Francorchamps, l’aéroport
de Charleroi ?
Une autre question vient au secours de
quelqu’un qui est en panne : « Comment peut-on l’aider en donnant des indices sans lui donner la réponse ? ».
à l’aide d’un second document qui
donne à voir d’autres repères, on vérifie
les réponses. C’est une carte d’occupation du sol, où seuls les noms de
quelques grandes villes sont indiqués.
à partir de cette activité en apparence
purement ludique et ayant pour effet
de briser la glace dans le groupe, une
première série d’informations sont
recueillies à partir des questions suivantes :
- Que s’est-il passé dans la tête de
chacun, une fois la consigne donnée
(pensées, ressenti) ?
- était-ce facile ou difficile ? Plus pour
certaines personnes que pour d’autres ?
Pourquoi ?
56
- Quels sont les référents géographiques
qui ont été mobilisés ? Quelles sont les
erreurs qui ont été commises ? Quels
sont les savoirs qui manquaient ?
- Quels sont les indices qui ont été utiles à ceux qui ont été aidés ? Quels sont
ceux qui ont contribué à les « perdre »
davantage ?
- Que révèlent les indices donnés par
les « secouristes » sur leurs hypothèses
implicites à propos des savoirs manquants et/ou utiles ?
- Quels sont les sentiments ressentis par
chacun, à l’issue de l’exercice ?
- Chacun a-t-il appris quelque chose
de neuf ?
- Comment réussir plus facilement ce
défi à l’avenir ?
- Comment pourrait-on rendre l’exercice plus facile ? Ou plus difficile ?
S’ensuit une seconde activité, qui
consiste à dresser une carte schématique de Belgique avec les points de
repères jugés les plus utiles par chacun
sur la base des deux documents utilisés,
puis une mémorisation du schéma et
une restitution. La confrontation des
productions soulève un questionnement essentiel de la part des étudiants :
« N’y a-t-il pas une « bonne réponse »
qu’il aurait fallu donner aux élèves,
plutôt que leur permettre de mémoriser
un schéma peut-être incomplet ? »
Au cours de l’analyse réflexive de
l’ensemble de la séquence, les réponses
nuancées et variables d’une personne
à l’autre permettent de mettre en évidence toute une série de choses :
- l’importance du discours intérieur de
chacun à propos de la tâche, révélateur
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
de la façon dont chacun la considère
a priori ;
- la grande diversité des stratégies pour
réussir une tâche simple ;
- la grande diversité des savoirs et savoir-faire dans le groupe par rapport à
la localisation des lieux en Belgique et
à la schématisation, malgré le fait que
tous soient géographes de formation ;
- le renversement de posture par rapport à un enseignement traditionnel,
quand le besoin d’en savoir davantage
naît du défi à relever et du désir de
s’améliorer ;
- la notion de rupture par rapport aux
représentations initiales, qui force à
reconsidérer ces dernières et à les enrichir (principes de bases du constructivisme) ;
- les stratégies d’autosocioconstruction
des nouveaux savoirs, savoir-faire et
savoir-être, fondées sur la confiance en
l’apprenant et dans le groupe ;
- la place et le rôle de l’enseignant,
davantage animateur d’une démarche
et accompagnateur d’apprentissage que
« donneur de leçon » ;
- la prééminence de la construction
et de l’appropriation d’un référentiel
personnel et explicite en matière de
localisation, sur la seule mémorisation
d’une série de lieux sur une carte.
Et, pour clôturer, une question essentielle : « Mais pourquoi apprendre à
localiser ? »
En général, la réponse fuse comme une
évidence : « Localiser, c’est très important en géographie ! ». Mais encore… ?
à quoi cela sert-il de localiser ? Pourquoi est-ce important d’acquérir un
La formation aux compétences en géographie
référentiel spatial ? Pourquoi est-ce
important, tout simplement, d’être
capable de (se) situer dans l’espace ?
Et puis plus largement, à quoi sert la
géographie ? à quoi sert un cours de
géographie dans le secondaire ? Quel
est le sens de notre mission d’enseignant ? de professeur de géographie ?
La déroute est perceptible, le malaise
est palpable. Nous sommes bien en
présence de questions de sens, de questions fondamentales déstabilisantes et
qui pourraient, si nous n’y apportons
pas de réponse, nous faire basculer
dans le vide (de sens) ou au contraire
nous ancrer plus profondément dans
le confortable royaume des dogmes.
à décrypter certaines leçons, on peut
se demander en effet si l’exercice de
localisation, préambule classiquement
considéré comme incontournable à
toute « bonne » leçon de géographie,
ne correspond pas davantage à un rituel
qu’à une nécessité. Nous sommes au
pied du mur !
2. De ruptures en ressources
Ainsi, le cours de didactique spéciale
amène d’emblée les étudiants à questionner leur identité de géographe et
de professeur de géographie, à sortir
de ce qui pourrait devenir du dogmatisme, faute de questionnement
épistémologique, à quitter le modèle de
l’empreinte souvent traditionnelle de
leurs professeurs du secondaire pour
inventer d’autres manières de donner
cours, pour apprendre à diversifier leur
style d’enseignement. Comment ? En
construisant ensemble et progressivement de nouvelles références, à partir
de leurs représentations initiales. En
effet, le socioconstructivisme que nous
prônons, les étudiants vont d’abord
l’expérimenter eux-mêmes, tout au
long de l’année.
Depuis qu’elle est sous la houlette de
B. Mérenne-Schoumaker, la didactique spéciale en géographie est encadrée d’une part par un professeur de
didactique pour les cours théoriques,
d’autre part par des professeurs-chercheurs du secondaire pour les séances
d’exercices, ceux-ci précédant généralement ceux-là. Nous avons donc
toujours préconisé la structuration
théorique au départ d’un tâtonnement
expérimental. Ce faisant, nous étions
déjà dans l’approche par compétences,
fondée sur une série de tâches concourant à la réalisation d’une tâche globale
éminemment complexe : produire une
séquence de cours et la défendre devant ses pairs avant de l’expérimenter
en stage.
Aujourd’hui, l’ensemble des cours et
ateliers est constitué d’un patchwork
où s’articulent réflexions épistémologiques (par exemple sur les concepts
de territoire, de paysage, de dévelop-
pement durable ou sur l’approche systémique), cadrage institutionnel (décret
missions, programmes, objectifs,
évaluation,…), cadrage pédagogique
(intelligences multiples, diversité des
styles d’apprentissage et des styles
d’enseignement), démarches méthodologiques (situation-problème, jeux
de simulation, pédagogie du projet,
débats, excursions, travaux sur le terrain), focus sur des outils didactiques
spécifiques (cartes, photos et autres
images, graphiques, articles de presse,
conceptogrammes, organigrammes,…)
et pratiques réflexives.
Cet accompagnement des étudiants
dans la construction de leur métier
d’enseignant est nourri depuis de plus
de vingt cinq ans par les recherches
en didactique menées au Laboratoire
de méthodologie de la géographie
(LMG). Les étudiants disposent d’un
support spécifique écrit par B. Mérenne-Schoumaker (2005). Ouvrage
majeur dans le domaine, il réunit des
référentiels très éclairants (grilles de
lecture, typologies, schémas), facilitant
une intégration des éléments théoriques ; il contient surtout toute une
série de fiches synthétiques pratiques
susceptibles d’aider les étudiants à
baliser leur travail.
Les étudiants peuvent également accéder à tous les travaux de recherche
du LMG, publiés sur internet depuis
1996 www.geoeco.ulg.ac.be/lmg, et
Tableau 1. Interprétation des finalités du décret missions en finalités pour le cours de géographie
FINALITÉS DU DÉCRET DES MISSIONS
aFINALITÉS POUR LE COURS DE GÉOGRAPHIE
Avoir confiance en soi
aAvoir confiance en soi dans l’espace.
Développer sa personnalité
aSe sentir de quelque part
Pouvoir apprendre toute sa vie
aPouvoir se construire des outils pour penser et comprendre l’espace
Devenir citoyen responsable
aPoser des actes personnels/collectifs en étant conscient
de leur impact sur le cadre de vie
Contribuer au développement d’une société
démocratique, pluraliste et ouverte aux autres cultures
aContribuer aux questionnements d’une société sur la
façon d’organiser et de gérer l’occupation de l’espace par
les individus et les groupes sociaux qui y vivent.
S’émanciper socialement
aComprendre les liens entre clivages sociaux et ségrégations spatiales.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
57
La formation aux compétences en géographie
notamment aux résultats d’une recherche interréseaux en éducation financée
par le Ministère de la Communauté
française sur les compétences terminales en géographie (www.geoeco.ulg.
ac.be/lmg/competences).
Dans le cadre de cette recherche, une
de nos premières tâche fut de traduire
les finalités reprises à l’article 6 du décret missions en finalités pour l’enseignement de la géographie (en italique
dans le tableau), avant d’en dégager
des compétences (Partoune, 1998).
Pour en revenir à l’instant où les étudiants étaient mis au pied du mur, c’est
donc cet outil, le décret missions, que
nous leur proposons comme première
ressource. Il trouve ainsi sa place dans
notre dispositif, non pas comme une
prescription rébarbative, mais comme
un socle auquel nous pouvons nous
ancrer pour bâtir notre réflexion disciplinaire. Nous visitons ce décret
missions avec les étudiants pour en
dévoiler tout le potentiel.
Au travers d’un débat, les enjeux de
chacune de ces finalités sont mis en
évidence, tant pour les jeunes que pour
la société. Alors, les choses s’illuminent pour les étudiants, et apprendre à
(se) localiser trouve tout son sens. Par
exemple, pour construire son identité,
il est indispensable de pouvoir d’abord
se sentir de quelque part. Pourtant, la
plupart des jeunes semble avoir une
image très pauvre de la Belgique ;
ils ont du mal à en parler, en dehors
de quelques poncifs. émerge alors
le concept de territoire, qui a pris la
place du concept d’espace dans les
programmes. Le besoin d’avoir un territoire à soi reconnaissable et reconnu
est fondamental, constitutif de tout
être humain, tout autant que d’être en
mesure de partager des territoires. Mais
que veut dire « faire sien » ? Que signifie « s’approprier ses territoires » ?
Le débat se poursuit. Cela signifie par
exemple prendre conscience de ses
racines et de leur spatialisation, porter
sur son environnement un autre regard,
affûté et orienté en fonction de grilles
de lecture et d’analyse, apprendre à véritablement s’implanter dans l’espace
en tant que citoyen éclairé…
« Présenter une image spatiale de ses
territoires » peut alors être envisagé
comme une tâche complexe qui peut
58
témoigner du développement de la
personnalité du jeune si elle s’entend
comme l’occasion de faire siens les
territoires proches tout autant que ceux
qui sont éloignés, et qui pourtant le
concernent indirectement. « Apprendre
à négocier l’utilisation d’un territoire »
vise au développement d’une forme
d’intelligence particulière, une « intelligence territoriale partagée », avec
ses savoirs, savoir-faire et savoir-être
spécifiques.
Ce travail de débats en cascade et
d’énonciation progressive des compétences des géographes amène les étudiants à revisiter des concepts ou des
outils qu’ils s’étaient appropriés d’une
manière assez abstraite durant leur
formation initiale, à en apprécier toute
la richesse, à les questionner en termes
d’enjeux et à en appliquer l’usage à
eux-mêmes et à leur propre environnement. Ils élaborent plus que jamais leur
identité de géographes ! Tout au long
de la formation en didactique spéciale,
ce questionnement épistémologique
revient de manière lancinante pour les
y aider : « Est-ce bien une leçon de
géographie ? Qu’est-ce que cela veut
dire aujourd’hui ? En quoi notre travail
contribue-t-il à tendre vers les finalités
du décret missions ? ».
3. L’émancipation scolaire
Au cours de leur formation, si les
étudiants sont invités à s’appuyer sur
le décret missions, nous les encourageons cependant à en faire la critique,
comme d’ailleurs des autres documents
officiels qui balisent le métier d’enseignant. Certes, le décret missions
pose quelques valeurs fortes, comme
préparer nos élèves à « contribuer à
une société démocratique et ouverte
aux autres cultures ». Profitons donc de
cette injonction pour vivifier nos cours
en introduisant ces valeurs comme des
contraintes dans les situations-problèmes. Par exemple, poser un diagnostic
territorial en nous demandant dans
quelle mesure l’aménagement du
territoire est le résultat de pratiques démocratiques et manifeste une ouverture
à la diversité culturelle.
Mais l’on peut aussi regretter que le
texte s’arrête là et n’intègre pas comme
visée éthique le souci des générations
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
futures et de l’environnement, puisque
la Belgique s’est officiellement engagée à sensibiliser sa population aux
principes du développement durable,
notamment via l’enseignement. Ainsi,
pour reprendre le questionnement sur
l’importance d’apprendre à localiser
les choses évoqué au début de cet
article, il apparaît crucial de localiser
pour apprendre à s’y retrouver sur le
plan éthique, car nous avons besoin
de savoir d’où viennent les vêtements
que nous achetons et les situer dans
un référentiel comme un « atlas du
développement durable et équitable »
pour devenir davantage conscient
des impacts de nos choix en tant que
consommateur et pour changer de
comportement si nécessaire afin d’être
concrètement plus solidaires.
Plus largement se pose ici, dans le
cadre de l’agrégation, toute la question de la formation de l’enseignantcitoyen, du développement de son
regard critique par rapport à ce qui
lui est officiellement demandé, de la
mesure de sa marge de manœuvre,
aussi. Le décret missions nous invite
à aider les élèves à s’émanciper socialement. Nous pouvons nous demander
dans quelle mesure nos étudiants sont
familiers avec cette démarche, tant
intellectuelle qu’émotionnelle, et sont
eux-mêmes émancipés, à commencer
de l’école (démarche éminemment
paradoxale pour quelqu’un qui choisit
d’y rester !). S’affranchir de la peur
de l’inspection, oser une parole libre
publiquement, envisager de s’engager
personnellement dans la réflexion sur
les programmes : ce rôle émancipatoire
qui nous incombe, pensons-nous, n’est
pas aisé.
L’examen critique avec les étudiants
des textes officiels qui concernent les
professeurs de géographie peut être
vécu comme un acte subversif qui les
met mal à l’aise. Vaudrait-il mieux
masquer les lacunes, les incohérences
et le manque de rigueur ? Il nous semble au contraire important de prendre
nos responsabilités. Ainsi, nous avons
déjà évoqué la confusion qui règne au
sein des professeurs de géographie à
propos de la notion de situation-problème (Partoune, 2002), dont le sens
varie d’un document à l’autre et qui
contraste avec la même notion dans les
La formation aux compétences en géographie
programmes des autres disciplines.
Dans le texte définissant les compétences terminales et savoirs requis
en géographie, la situation-problème
est entendue comme une production
demandée aux élèves, cataloguée en
termes de compétence transversale :
« énoncer une situation-problème
relative à un territoire-société (s’interroger) » (Ministère de la Communauté
Française 1999, p.3).
Dans le programme du cours de géographie pour les deuxième et troisième
degrés de la Communauté française,
la confusion est totale : la situationproblème semble d’abord présentée
comme une démarche pédagogique
particulière, en faisant d’ailleurs référence à P. Meirieu (Ministère de la
Communauté Française, 2000, p. 6 :
« les principales caractéristiques d’une
situation-problème sont : proposer aux
élèves une tâche problématique… »),
puis plus loin comme une problématique au départ d’une recherche (Ministère de la Communauté Française, 2000,
p. 7 : « les élèves devront appréhender
une situation-problème prise dans l’ici
ou dans l’ailleurs – phase d’exploration
et de questionnement »).
Dans le programme correspondant de
l’enseignement catholique, c’est manifestement comme une problématique
que la situation-problème est entendue
(Fesec, 2000, p. 13 : « Au départ d’un
milieu donné, l’élève formule une situation-problème qui met en évidence
l’influence de l’espace… » - « à partir
d’une situation-problème relative à
l’organisation d’un territoire, l’élève
présente les acteurs de cette situation,
leurs rôles dans la dynamique du territoire et sa position argumentée face
à cette situation-problème »).
Ce qu’une démarche de situation-problème bien comprise apporte d’essentiel, c’est bien autre chose : elle repose
sur une recherche de sens et sur un
ciblage très précis des apprentissages
à réaliser, condition sine qua non
pour définir une tâche complexe, des
conditions d’exécution de la tâche et
des contraintes pertinentes.
En tant que didacticiens, il nous appartient d’informer nos étudiants de ces
distorsions dans les programmes de
géographie par rapport à l’entendement
de la situation-problème dans le reste
du monde francophone ! Et de souligner qu’en raison de ces distorsions,
la démarche de situation-problème
est clairement escamotée dans les
textes officiels, alors qu’elle convient
à merveille à l’approche par compétences. Il convient de les en avertir,
car d’une part ils devront être à même
de dialoguer avec les inspecteurs et de
comprendre ce qu’ils veulent dire par
situation-problème, d’autre part espérons qu’ils rencontreront, au travers de
lectures sur internet ou dans des colloques en didactique de la géographie,
des collègues étrangers qui pratiquent
la démarche de situation-problème
sensu pedagogico.
Quant aux compétences disciplinaires
prescrites dans les différents programmes, l’on peut regretter qu’elles
s’apparentent davantage à des savoirfaire (« analyser les composantes du
territoire, rechercher des causes et des
conséquences ») qu’à des compétences
au sens du décret missions (« l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble
organisé de savoirs, de savoir-faire et
d’attitudes permettant d’accomplir un
certain nombre de tâches »), où la notion de tâche concrète est essentielle.
4. Un cadre minimal pour
démontrer que la géo, c’est
utile
Nous l’avons vu, l’approche par compétences est très exigeante. Investir
dans cette voie en vaut vraiment la
peine, nos étudiants en sont convaincus
après leurs stages. Mais si l’on veut
se garder de tomber dans l’imposture,
peut-on prétendre sans rougir qu’il
est possible de la mettre dûment en
œuvre avec une période de 50 mn par
semaine et sans local de géographie, ce
qui signifie à peu près sans matériel didactique à sa disposition ? Poursuivre
une finalité sans en avoir les moyens,
c’est choisir la voie du découragement
à terme, et du renoncement ! Les nombreux professeurs des réseaux officiels
rencontrés lors des formations continuées en témoignent à suffisance, mais
semblent peu écoutés. La Fédération
des Professeurs de Géographie a depuis
de nombreuses années tenté de sensibiliser les responsables de l’éducation à
ce sujet, mais en vain. L’approche par
compétences a ses limites et il s’agit
d’aider nos étudiants à faire preuve de
discernement à cet égard.
Avec un cadre minimal, a fortiori dans
le cadre d’un cours d’option « géographie », nous pouvons dire que l’approche par compétences a véritablement
redynamisé le cours de géographie.
Quels sont les exemples de tâches qui
exigent, pour être menées à bien, de
passer par une analyse des composantes du territoire ? Qui a besoin, dans
son métier, de rechercher les causes et
les conséquences d’une problématique
territoriale ? ou de schématiser l’organisation d’un territoire ? Pour aboutir à
quel type de production ? Voilà le type
de question que nous encourageons nos
étudiants à se poser pour s’approprier
cette notion de compétences. On aboutit alors à des idées de tâches complexes comme « Réaliser une plaquette de
promotion d’une région afin d’y attirer
des investisseurs » - ce qui supposera,
en amont, d’inventorier les atouts et les
faiblesses de la région en question, et
de produire notamment une image synthétique percutante de l’espace. Sans
passer par cette étape, on risque fort
de ne pas dévier du tout de l’approche
conventionnelle, et de demander aux
élèves de schématiser l’organisation
spatiale d’un territoire pour le plaisir
de schématiser, sans relier cet exercice
à une tâche qui a du sens.
L’approche par compétences définie
dans le décret missions invite donc
à une remise en question méthodologique, dont les principes sont susceptibles de séduire une génération
davantage pragmatique qu’idéaliste :
partir de situations-problèmes complexes pour construire des savoirs et
des savoir-faire appropriés. Plus facile
à adopter qu’à concrétiser, cependant,
malgré l’ardent désir de nos étudiants
de démontrer à leurs élèves que la
géographie, c’est très utile dans la vie
quotidienne !
5. Le précieux soutien des
maîtres de stage
Choisir une destination et une formule
de vacances, prendre position dans un
débat sur l’aménagement d’un lieu public, évaluer la qualité d’un paysage : le
travail d’élaboration de situations-pro-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
59
La formation aux compétences en géographie
blèmes à partir de tâches susceptibles
de concerner les élèves déroute les
étudiants, habitués à traiter un sujet
pour lui-même. Marqués par un modèle
magistocentré qui leur a manifestement
convenu, ils n’échappent pas à la tentation de le reproduire, malgré la formation qu’ils reçoivent à l’agrégation et
qui les équipe, tant intellectuellement
que pratiquement, pour mettre en place
des démarches d’apprentissage participatives et actives, et malgré la lecture
des programmes, où ce type d’approche est largement encouragé.
Par chance, depuis que la formation
continuée est devenue obligatoire,
les enseignants en fonction sont plus
largement initiés à l’approche par
compétences dans leur discipline,
s’approprient le langage qui y est lié
et modifient progressivement leur
manière de travailler.
Cette évolution est clairement perceptible au travers de l’accompagnement
que nos maîtres de stage les plus jeunes
assurent, par la réduction des écarts
entre les méthodes pratiquées dans les
classes et celles qui sont prônées par
l’équipe de formation en didactique.
Pouvons-nous attribuer une part de ce
changement à l’approche par compétences que nous avons développée avec
ces mêmes maîtres de stage depuis une
bonne dizaine d’années ? Nous aimons
le croire…
Nous constatons en tout cas que nos
étudiants sont davantage que par le
passé bousculés de part et d’autre
hors de leurs rails et priés de revoir
leur copie : plus question d’aborder
la théorie d’abord, puis de passer au
concret ; plus question non plus de se
contenter de la participation active de
quelques élèves pour se conforter dans
60
l’impression que la leçon a « bien marché » et dans l’illusion que « tous sont
en train d’apprendre ». Une démarche
de situation-problème bien comprise et
rigoureusement menée doit mettre tous
les élèves devant un obstacle à franchir
et quelque chose à apprendre.
L’essayer, c’est en général l’adopter !
Lorsque nos étudiants osent prendre
le risque de renverser le processus,
qu’ils arrivent à proposer une phase
d’accrochage motivante et cohérente
et une situation-problème bien conçue,
avec des outils didactiques adaptés, la
récompense est au rendez-vous. Jeu
de rôle « Pour ou contre le barrage des
Trois Gorges en Chine ? », projet de
plan d’aménagement pour le quartier
devant la nouvelle gare des Guillemins,
détermination d’un cahier de charges
pour implanter des éoliennes en Wallonie, recherche des coupables potentiels
du meutre de Dorothy Heathcote aux
confins de l’Amazonie, … : non seulement les élèves sont enthousiastes et
participent activement, mais en plus
ils en redemandent et… en gardent
manifestement la trace. CQFD ! La
pyramide des apprentissages est désormais incarnée par des expérimentations
convaincantes à partir desquelles il est
difficile de rebrousser chemin vers le
cours exclusivement magistral sans
ressentir une dissonance cognitive
encourageant la rupture et le changement.
Le chemin étant plus facile à emprunter
en groupe, le partage des idées et des
productions de chacun fait partie intégrante du processus de formation, tout
autant que le partage d’expériences et
le renforcement positif mutuel.
Espérons qu’à terme, nos étudiants
continueront à défendre des stratégies
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
d’apprentissage constructivistes efficaces, qui ont du sens et inscrites au
cœur du plaisir d’apprendre, malgré
les contraintes institutionnelles et
sociétales qu’ils ne manqueront pas
de rencontrer.
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Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ?
Maggy SchneideR, Claude Varlet
Service de Didactique des Mathématiques
Université de Liège
Le cas des mathématiques : compétences ou
savoirs mobilisables ? Qu’en conclure pour
la formation ?
1. Le cas des mathématiques :
compétences ou savoirs
mobilisables ? Qu’en conclure
pour la formation ?
Expliquer en quoi un cours de didactique des mathématiques prépare les
futurs professeurs à enseigner dans le
cadre de la réforme dite « des compétences » suppose de montrer au préalable comment la didactique permet de
penser et d’opérationnaliser les enjeux
de cette réforme. C’est donc par ce
long détour que nous commencerons
cet article.
De manière récurrente, se clame la nécessité d’une retombée des apprentissages scolaires en termes de transferts
dans la vie sociale ou professionnelle
ou, au sein de l’école, d’une discipline
à l’autre. On peut considérer que la
réforme des compétences participe de
cette déclaration d’intentions, louable
en soi, même si la réforme en question
ne se réduit pas à cela. C’est le point de
vue que nous privilégierons ici.
Comme l’ont développé plusieurs
chercheurs (e.a. B. R ey , 1996), ce
« mythe du transfert » a mis l’accent
sur les compétences communes à plusieurs disciplines telles que synthétiser,
communiquer…, plutôt que sur des
savoirs spécifiques, ces compétences
transversales devenant des principes
organisateurs des programmes scolaires et des référentiels d’évaluation en
Belgique comme dans d’autres pays.
Or, ce déplacement d’accent n’est pas
sans risque. D’une part, il tend à écraser
les spécificités épistémologiques des
disciplines alors qu’il y a tout lieu de
penser que les compétences transversa-
les prennent des formes très particulières
d’une discipline à l’autre, en fonction
de leur épistémologie propre ainsi
qu’illustré par M. Schneider (2004) en
mathématiques. D’autre part, il risque
de conduire à un phénomène de « décatégorisation » des questions étudiées
à l’école (M. Schneider, 2006a), alors
que, comme nous l’expliquerons plus
loin, les savoirs sont des outils culturels
qui permettent de fédérer en catégories
les questions jugées fondamentales par
l’humanité, afin d’y répondre plus efficacement. Pour ces raisons et sans changer de perspective pour ce qui est des
finalités, il nous paraît plus heureux de
penser en termes de savoirs mobilisables
qu’en termes de compétences. C’est ce
que vous voulons illustrer et argumenter
ici. D’abord, en nous expliquant sur ce
que cela signifie à travers un exemple
qui sera mieux compris de tous : celui de
l’histoire (section 1), ensuite en montrant
en quoi la spécificité des mathématiques
nous pousse à adopter ce point de vue
(sections 2 et 3) et en l’illustrant sur un
exemple qui concerne l’enseignement
qualifiant (section 4). Enfin, la section
5 traitera de la formation proprement
dite des élèves-professeurs, à la lumière
de l’analyse faite au cours des sections
précedentes.
1.1. Penser en termes de
savoirs « mobilisables » ; un
parallèle avec l’enseignement
de l’histoire
Dans le même numéro de PUZZLE,
J. B eckers insiste sur la nécessité
d’organiser un enseignement axé sur
le développement des compétences à
partir de familles de tâches qu’il lui
paraît indispensable d’identifier « en
articulant critères épistémologiques
et critères développementaux ». Nous
souscrivons entièrement à ce propos
dont nous imaginons une déclinaison
que nous allons tenter d’expliquer en
prenant l’exemple de l’histoire, non
pas parce que nous avons quelque
prétention de dire ce qu’il faut faire
dans l’enseignement de cette discipline
mais tout simplement pour nous faire
comprendre de nos collègues non mathématiciens.
Une première manière d’envisager les
familles de tâches en histoire est celle
du référentiel des compétences terminales. Tel que synthétisé par J. Beckers
(2002), ce référentiel discerne quatre
compétences : se poser des questions,
critiquer, synthétiser et communiquer,
articulées à des familles de tâches
voire identifiées à elles. La première
compétence couvre deux familles
de tâches : se poser des questions et
se documenter sur une question. La
deuxième compétence reprend cette
dernière tâche et comprend en outre
la famille : analyser et critiquer des
sources. La compétence synthétiser
est spécifiée par la famille établir une
synthèse et formuler une hypothèse
explicative. Quant à la compétence
communiquer, elle est précisée par la
famille communiquer un savoir historique. Les conditions de réalisation de
la tâche sont précisées, en particulier,
les types de documents disponibles :
iconographies, textes, ... Enfin, ces
compétences doivent être croisées avec
des concepts (tels que migration, croissance, démocratie, …) et des moments
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Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ?
clefs dont le choix est déclaré arbitraire
pourvu « qu’ils aient été travaillés en
classe ». Ces familles de tâches ne sont
pas forcément spécifiques de l’histoire : la seule mention qui est faite à la
discipline concernée est englobée dans
la dernière compétence : c’est bien un
savoir historique qu’il s’agit de communiquer. Et l’on imagine aisément
une grille de compétences analogue
pour la géographie avec des supports
et concepts différents, du moins en
partie. Ce qui est d’ailleurs tout à fait
cohérent avec la réforme qui insiste
sur des apprentissages transversaux
par rapport aux disciplines.
Mais il est une autre manière de
formuler les familles de tâches que
nous inspire la lecture d’un exemple
de situation d’évaluation imaginée à
partir du référentiel qui vient d’être
décrit (Cecafoc, 2003). Il s’agit de
clarifier la situation dans les Balkans
à la veille de la première guerre mondiale. Des documents sont fournis :
cartes, tracts et déclarations politiques
entre autres. Les élèves doivent produire une synthèse de deux pages dans
laquelle ils identifient les différents
protagonistes et interprètent le type de
tensions en présence. Parmi les critères d’évaluation relatifs au fond, les
auteurs prévoient que « les motifs des
tensions soient identifiés à la lumière
d’un concept » sans préciser lequel.
L’outil interprétatif qu’ils s’attendent
à voir exploiter par les élèves, à partir
des documents fournis, est le concept
de nationalisme étudié auparavant
en classe à propos des tensions européennes de la fin du XIXe siècle et du
début du XXe siècle. La compétence
qui labellise le travail demandé est
synthétiser et renvoie donc à la famille
de tâches : établir une synthèse et formuler une hypothèse explicative. Mais
pourquoi la formuler ainsi ? Alors que
l’essentiel du travail consiste à exploiter un concept précis afin d’analyser un
conflit et, pourvu qu’il n’y ait pas trop
de proximité temporelle entre l’apprentissage du concept et le moment
où l’élève doit le mobiliser, laisser à
sa charge le choix du ou des concept(s)
le(s) plus pertinent(s) pour analyser
un conflit particulier : ce pourrait être
le concept de nationalisme mais aussi
a priori celui de crise qui prend en
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compte une dimension économique
et, dans des situations plus complexes,
plusieurs concepts enchevêtrés. Notre
incompétence dans ce domaine nous
empêche d’imaginer les familles de
tâches spécifiques d’une formation historique, bien que analyser un conflit ou
situer un événement dans son époque
sont des idées qui nous viennent spontanément à l’esprit, mais nous avons
senti l’intérêt d’une telle approche
dans un cours conçu par A. Maingain
(2000) où les élèves sont invités à regrouper, différencier et reconnaître des
situations relevant de divers systèmes
idéologico-politiques à la lumière des
outils que sont les concepts tels que le
totalitarisme, la sociale-démocratie,
l’impérialisme, … Dans un tel cours,
le choix du concept « analyseur » est, à
partir d’un moment donné, à charge de
l’élève. Bien sûr, la dévolution d’une
telle initiative suppose un travail préalable, en classe, d’analyse des concepts
historiques ainsi que des invariants et
des spécificités de diverses situations
précises.
Cette deuxième manière de définir des
familles de tâches se structure davantage autour des concepts du programme
dont J.-L. J adoulle et M. B ouhon
(2003) soulignent pertinemment le
rôle crucial dans la formation historique, chacun de ces concepts étant
une « clé de lecture qui doit permettre
au jeune de faire face à des situations
nouvelles » car « forgé par la confrontation de situations divergentes et la
mise en lumière des invariants qui les
rapprochent » (FESeC, 2000). Elle demande à l’élève du discernement pour
choisir le ou les concepts-analyseurs
mais lui assure aussi une visibilité de
l’étude qu’on peut attendre de lui pour
devenir compétent en histoire. Sans
approfondir davantage l’enseignement
de l’histoire, nous avons là un point
de comparaison qui nous permet de
situer notre choix pour l’enseignement des mathématiques, à savoir une
formulation des familles de tâches
et même des compétences structurée
par les concepts propres à cette discipline et donc plus respectueuse de
sa spécificité épistémologique. Nous
le justifions dans les sections qui suivent. Contentons-nous pour l’instant
d’avancer que les questions traitées
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en mathématiques, qu’elles soient ou
non issues d’autres disciplines, sont
précisément fédérées par les concepts
et c’est ce qui fait l’efficacité des
mathématiques : ainsi, le mouvement
rectiligne uniformément accéléré et la
recherche du rectangle d’aire maximum et de périmètre imposé sont deux
problèmes qui mobilisent une même
fonction du second degré. L’enjeu
majeur d’apprentissage devient alors
le choix de concepts appropriés dans
une situation donnée. C’est pourquoi
nous préférons parler de savoirs mobilisables que de compétences, l’élève
compétent n’étant jamais que celui qui
mobilise le ou les savoirs pertinents à
bon escient.
1.2. Des compétences
prétendument transversales
Parmi les compétences qui s’affichent
résolument transversales, la communication a la cote au point de prendre
une place très importante dans tous les
référentiels. C’est aussi une des compétences majeures des programmes
de mathématiques québecois où l’on
parle de « communiquer en langage
mathématique ».
Cette place est-elle légitime dans toutes
les disciplines ? Si cela l’est certainement en ce qui concerne les cours
de langues, il nous paraît exagéré,
par exemple, d’orienter à ce point les
« situations-problèmes » ou « familles
de situations » au sens de X. Roegiers
(2000) en sciences vers la communication sociale : faire une affiche ou un
exposé sur tel sujet à l’adresse de tel
public. Ce n’est pas là, à nos yeux, des
« situations fondamentales » au sens de
G. Brousseau (1998), ni des sciences
ni des mathématiques, ces situations
n’étant pas spécifiques des épistémologies respectives de ces disciplines.
Ce qui n’empêche pas bien sûr qu’un
élève puisse apprendre des sciences
ou des mathématiques en préparant
une affiche ou en faisant un exposé, ni
qu’on lui impose de présenter de manière claire et structurée sa résolution
d’un problème.
Cela nous amène à proposer un cadrage
didactique de la communication au sein
des mathématiques. Celle-ci peut avoir
une fonction essentiellement didactique. Dans l’évaluation par exemple :
Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ?
un élève sera invité à expliquer tel
concept au professeur dans le but de
lui prouver qu’il l’a bien compris.
Une autre fonction didactique de la
communication a trait à la construction de savoirs. Nous renvoyons ici
aux « situations de communication »
de G. Brousseau (Ib.) dans lesquelles
un jeu d’échanges entre des émetteurs
ou des récepteurs débouche sur la
construction collective d’un concept :
ce pourrait être, par exemple, des messages verbaux à propos du graphique
d’une fonction qui fassent apparaître
les caractéristiques déterminantes des
graphiques cartésiens. On touche là à
une forme de communication inhérente
à la construction des savoirs entre pairs,
incontournable dans la mesure où cette
construction a un caractère social, que
les pairs soient les mathématiciens euxmêmes faisant valider leurs travaux par
le biais de publications ou les élèves
d’une même classe invités à constituer
une « communauté scientifique » (au
sens de M. Legrand, 1997). Depuis
la réforme des compétences, les situations de communication ont envahi la
plupart des cours, mais l’objectif d’apprentissage d’un savoir spécifique à la
discipline a tendance à disparaître pour
être remplacé par un autre objectif :
l’acte de communication lui-même, en
un sens large, et tout ce qu’il suppose
telle que la prise en compte de la spécificité du public-cible, etc. Cela nous
semble a priori dommageable dans
certaines disciplines pour lesquelles la
communication n’est pas centrale.
Mais il est un aspect plus essentiel
que nous voudrions soulever ici : c’est
que le langage mathématique n’est pas
prioritairement un langage de communication mais avant tout, pour s’en
tenir ici au seul registre algébrique, un
assemblage de symboles dont la manipulation permet, moyennant le respect
de certaines règles, un traitement automatique de l’information dont on peut
tirer une connaissance supplémentaire.
Illustrons cette spécificité du langage
algébrique au moyen d’un exemple
amusant par lequel G. Polya (1967)
situe le projet qu’a caressé Descartes de
ramener tout problème à la résolution
d’équations. Supposons que l’on vous
dise : Un fermier possède des poules et
des lapins. Ces animaux ont ensemble
cinquante têtes et cent quarante pattes.
Cette information ne vous donne pas
le nombre de poules et le nombre de
lapins que possède ce fermier. Qu’à
cela ne tienne. En désignant par x le
nombre de poules et par y le nombre
de lapins et en tenant compte bien sûr
de la morphologie respective de ces
animaux, vous pouvez traduire l’information reçue par les écritures x + y =
50 (1 tête par poule, 1 par lapin et un
total de 50 têtes) et 2x + 4y = 140 (2
pattes par poule, 4 par lapin et un total
de 140 pattes). A partir de là et, pourvu
que vous vous souveniez de certaines
règles d’algèbre, vous pouvez écrire
la deuxième équation sous la forme
x + 2y = 70, lui soustraire la première
équation et obtenir le nombre de lapins
y = 20 ; enfin, sachant que x + y = 50,
vous déduisez le nombre de poules
x = 30. G. Polya montre deux autres
façons de résoudre le problème : le
tâtonnement qui devient bien périlleux
si les nombres sont moins « ronds » et
la trouvaille d’une idée lumineuse, qui
n’est pas à la portée du premier venu,
et qui consisterait à imaginer cette
circonstance peu probable : « Un jour
le fermier surprit un spectacle vraiment
extraordinaire : chaque poule se tenait
sur une patte et chaque lapin sur ses
pattes de derrière. Dans cette situation
remarquable la moitié des pattes était
utilisée, c’est-à-dire soixante-dix. Dans
ce nombre soixante-dix, chaque poule
est comptée juste une fois par tête,
mais chaque lapin est compté deux fois
par tête. Retranchons alors du nombre
soixante-dix, le nombre total de têtes,
qui est égal à 50 ; il reste le nombre
de têtes de lapins – c’est-à-dire 70
– 50 = 20 lapins ! Et bien sûr, trente
poules ». La morale que l’on peut tirer
de cet exemple est qu’un maniement
quasiment irréfléchi de symboles
mathématiques, toutefois régi par des
règles strictes, supplée le tâtonnement
laborieux ou l’absence d’idée géniale.
D’où une économie de pensée pour des
crétins paresseux que savent être les
mathématiciens quand c’est utile. D’où
aussi le projet caressé par Descartes de
tout traduire en langage algébrique jusque y compris le traitement des figures
géométriques.
Là ne s’arrête pas la puissance du
langage algébrique. Il permet aussi
de valider une généralisation mais
aussi de catégoriser, au moyen de
symboles communs, des problèmes
a priori étrangers les uns aux autres.
Ainsi l’écriture y = ax2 + bx + c pour
modéliser tant le MRUA en physique
que le problème des rectangles isopérimétriques, problèmes que nous avons
déjà évoqués à la section 1.
Avec cet exemple de la compétence
communiquer, mais aussi d’autres
compétences : faire preuve d’esprit critique et formuler et valider des hypothèses, M. Schneider (2004) illustre à
quel point les compétences dites transversales se déclinent différemment,
d’une discipline à l’autre, en fonction
de leur épistémologie propre. Ce qui
soulève bien sûr la question de leur
transfert effectif et des obstacles auquel
il se heurte. B. Rey (1996) développe,
quant à lui, que la transversalité n’est
pas de l’ordre de la compétence mais
de celui de l’intention : « Il ne suffit pas
qu’un élève possède une compétence
particulière pour qu’il l’utilise à bon
escient dans une situation donnée. Il
faut surtout que le sens qu’il attribue à
cette situation lui permette d’envisager
de mettre en œuvre cette compétence ».
Parmi les intentions candidates à la
transversalité, cet auteur pointe l’intention rationnelle sur laquelle nous
reviendrons à la section 5.
1.3. Le cas de la résolution de
problèmes
Si communiquer n’est pas la finalité
première d’un cours de mathématiques,
on peut espérer que la compétence
résoudre un problème y prenne une
place importante. Mais là aussi, les
choses ne se présentent pas forcément
comme on s’y attend et il faut se méfier
d’un regard trop généraliste. Comme
pour l’histoire, l’enseignement à la
résolution de problèmes est en tension
entre une organisation pensée autour
de démarches générales et une autre
structurée par les savoirs. Dans la
première, on insistera sur l’apprentissage des étapes d’une résolution de
problèmes telles que distinguées par
A.H. Schœnfeld (1989) : la lecture
de l’énoncé, l’analyse du problème,
l’exploration des solutions possibles,
la planification d’une ou de plusieurs
stratégies de solution, l’application de
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Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ?
la ou des solutions, la vérification de la
solution en regard des données initiales. La seconde approche est organisée
autour de catégories de problèmes et de
techniques de résolution proprement
mathématiques que d’aucuns qualifient
de stratégies spécifiques comme la
méthode de programmation linéaire
ou celle des dérivées pour optimiser
une grandeur variable ou encore la
méthode des deux lieux pour construire
un objet géométrique satisfaisant des
contraintes données.
Cette alternative renvoie à un débat
sensible au sein de la psychologie
cognitive sur l’opportunité de fonder
un apprentissage à la résolution de
problèmes sur les stratégies générales
plutôt que sur les stratégies spécifiques
et dont J. Tardif (1992 et 1999) fait le
bilan suivant. Il souligne l’inefficacité
des enseignements de stratégies générales, telle qu’éprouvée par plusieurs
recherches dont il rapporte ainsi la
conclusion : « l’enseignement de
stratégies spécifiques de résolution
de problèmes est une orientation qui
rend le plus probable le transfert des
apprentissages » et, parmi les facteurs
influant sur l’enseignement et l’apprentissage des stratégies de résolution de
problèmes, pointe le développement
d’une base de stratégies spécifiques,
l’organisation de ces connaissances
dans la mémoire à long terme et une
métacognition prenant la forme d’un
enseignement explicite de stratégies
spécifiques et de leurs conditions
d’utilisation.
C’est le même bilan du côté des modèles de didactique des mathématiques
dont M. Schneider (2002 et 2006b) déduit une manière crédible d’apprendre
aux élèves à résoudre des problèmes
mathématiques et qu’elle formule schématiquement comme suit, à la lumière
des « praxéologies » d’Y. Chevallard
(1992). Des questions relevant d’une
même problématique seraient exposées
d’entrée de jeu aux élèves, par exemple
des questions concernant l’évaluation
de grandeurs inaccessibles ; elles leur
seraient ensuite dévolues pourvu qu’elles aient pu se traduire en situations
adidactiques (une forme spécifique des
situations-problèmes chez G. Brousseau, 1998), ou, à défaut, explorées
par le professeur devant les élèves par
64
le biais d’un discours métacognitif
portant sur le savoir et l’objet principal
de la dévolution sera alors l’exploration de la technique dans un champ
de problèmes parents. De cet examen
qui ferait ressortir l’essence commune
de ces questions devrait émerger une
technique type de résolution. Les
questions seraient alors cristallisées
en une classe de problèmes et le discours technologique qui valide cette
« technique » (au sens large du terme)
déboucherait sur un embryon (ou un
pan de théorie), lequel institutionnaliserait la technique comme répondant à
cette classe de problèmes. Les élèves
seraient alors entraînés à la résolution
de problèmes de cette classe et invités
à explorer le domaine d’opérationnalité
de la technique de résolution jusqu’à en
éprouver les limites. Ils seraient enfin
évalués sur leur capacité à transférer la
méthode de résolution à de nouveaux
problèmes de la même classe. Ce qui
suppose qu’on leur ait appris à gérer
une certaine variabilité. Ainsi, en ce
qui concerne l’exemple des distances
inaccessibles, on pourrait faire varier
les paramètres suivants : le ou les théorèmes exploités (triangles semblables,
théorème de Pythagore, résolution de
triangles rectangles ou quelconques), le
nombre de triangles ou de sous-figures
utilisés, le fait que ces figures se situent
ou non dans un même plan, le fait
qu’elles puissent ou non être dessinées
à l’échelle, le fait que l’énoncé soit ou
non assorti d’emblée d’un dessin montrant un point de vue « approprié », la
possibilité ou l’obligation de prendre
des mesures sur le terrain, la possibilité
d’avoir recours à une calculatrice, …
Dans une telle perspective, les savoirs
construits outillent les élèves pour
résoudre une classe particulière de
problèmes, puis une autre et ainsi
de proche en proche de sorte qu’ils
disposent d’un arsenal de connaissances leur permettant de faire face à un
nombre sans cesse croissant de types de
problèmes. Un enjeu de transfert non
négligeable se profile dès que l’élève,
susceptible de maîtriser plusieurs
classes de problèmes, doit reconnaître,
par analyse des invariants et des spécificités, à quelle classe appartient tel ou
tel problème qui lui est proposé, tout
comme un expert le ferait d’ailleurs.
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D’où l’intérêt de proposer des évaluations où, de manière affichée et effective, différentes classes de problèmes
sont brassées d’une année à l’autre, afin
d’éviter les effets de contrat poussant
l’élève à adopter telle méthode ou
telle autre en fonction des contenus de
programmes travaillés pendant l’année
en cours. Ainsi, si un problème doit
être modélisé par une fonction, il y a
des chances actuellement qu’il s’agisse
d’une fonction exponentielle ou logarithmique lorsque la question est posée
en dernière année du secondaire en
Belgique puisque les autres types de
fonctions font partie des programmes
des années antérieures. Les outils
d’évaluation devraient donc intégrer
la mobilisation des savoirs d’une année
scolaire à l’autre.
1.4. Mobiliser un savoir
mathématique dans des
cours relevant d’une option
qualifiante : l’exemple de
la dérivée en résistance des
matériaux
Comme nous l’avons déjà illustré,
le propre des mathématiques est de
proposer un traitement décontextualisé de problèmes d’origines diverses.
Pensons au calcul des dérivées qui
règle aussi bien des questions de « coût
marginal » en économie, de « vitesse »,
« accélération » ou « intensité de
courant » en physique, de « variation
de la concentration d’un médicament
dans le sang » en pharmacologie ou
de « vitesse de réaction chimique » …
pour n’en citer que quelques-unes.
La grande difficulté pour l’élève est
de maîtriser suffisamment le concept
mathématique lui-même pour en comprendre les potentialités dans chacune
de ces disciplines. En outre, il doit
affronter d’importantes différences
dans les usages associés au concept
d’une discipline à l’autre ou, plus généralement d’une institution à l’autre,
comme dirait Y. Chevallard (1992).
En particulier, l’institution « cours
techniques » se démarque de l’institution « cours de mathématiques »
par des différences de vocabulaire,
des déplacements d’accents, … Le
transfert d’un même concept d’une institution à l’autre devient, pour l’élève,
si périlleux qu’il n’est envisageable
Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ?
qu’au prix d’un travail didactique
important du professeur lui-même que
nous illustrons ci-dessous dans un cas
où il atteint son paroxysme : celui de
l’enseignement qualifiant.
Dans cette filière d’enseignement plus
qu’ailleurs, le professeur de mathématiques est astreint à des contraintes :
déterminer les savoirs pertinents pour
la formation aux pratiques du métier,
discerner comment d’autres disciplines
prennent en charge le traitement des
savoirs mathématiques.
L’application des concepts mathématiques pour résoudre des problèmes
issus d’une autre institution amène à
utiliser un langage et des symboles
propres à cette institution. L’enseignant
en mathématiques doit s’approprier ce
langage maîtrisé par les élèves et doit
connaître le référentiel des connaissances techniques. à titre d’exemple, dans
une discipline comme la résistance
des matériaux, le symbole Ψ, appelé
« papillon », est utilisé pour décrire la
concavité, la courbure de la déformée,
courbe décrite par l’axe d’une poutre
fléchie. Ce symbole est inexistant dans
l’institution mathématique.
Au-delà de cette difficulté langagière,
l’enseignant doit adapter les savoirs
mathématiques aux savoirs spécifiques
des professions. Ainsi, en résistance
des matériaux, le technicien, dans la
recherche du moment fléchissant
extrémal, met davantage l’accent sur
le changement de signe de la dérivée
alors que le mathématicien, dans sa
quête d’un extremum, insiste prioritairement sur l’annulation de la dérivée.
Dans l’enseignement secondaire,
la recherche des extrema se décline
presque exclusivement dans le cas de
fonctions dérivables et un point anguleux apparaît comme une curiosité
mathématique. Il en est autrement en
résistance des matériaux où le moment
fléchissant maximal est régulièrement
défini par un tel point. En outre, le
concept de fonction défini dans les manuels scolaires mathématiques est mis
à mal dans les diagrammes des efforts
tranchants ou des moments fléchissants, représentations graphiques des
fonctions de sollicitation d’une poutre.
En effet, dans ces diagrammes, le technicien ou l’ingénieur représentent ce
qu’ils appellent des fonctions par des
graphiques qui peuvent comporter des
segments parallèles à l’axe des ordonnées, ce qui serait jugé incongru dans
l’institution mathématique.
Le travail de l’enseignant en mathématiques consiste alors à concilier et
à relier les pratiques différentes des
deux institutions, l’enseignant joue
un rôle de facilitateur de la transposition des connaissances mathématiques aux « situations » techniques et
réciproquement ; l’élève est appelé
quotidiennement, voire heure après
heure, à réaliser ce va-et-vient entre
deux univers.
La compréhension du sens d’un concept
mathématique par une approche extérieure au domaine purement mathématique est donc très exigeante sur le plan
de l’explicitation mais, en contrepartie,
offre l’avantage de rejoindre l’intérêt
des élèves et de constituer une source
de motivation importante.
2. La formation des
professeurs à la lumière de
l’analyse précedente
Préparer les futurs agrégés à leur métier
d’enseignant revient à leur demander
de faire « le grand écart » entre le
« possible » et le « réel ». D’une part,
il y a ce que les recherches en didactique ont pu mettre en évidence, en matière de possibilités d’apprentissages
mathématiques pour des élèves d’un
niveau donné, dans un cadre scolaire
pas forcément « porteur » a priori.
Ces possibilités ne sont pas utopiques
mais elles supposent des approches
qui respectent des conditions à la
fois épistémologiques, cognitives et
didactiques. D’autre part, beaucoup
de pratiques enseignantes semblent
mésestimer de telles potentialités, tout
simplement par méconnaissance ou
découragement. Il ne s’agit pas de juger : il est vrai que les professeurs sont
confrontés aujourd’hui à des contextes
délicats dans lesquels on leur demande
de faire mieux qu’auparavant. L’enjeu
majeur de la formation initiale est, dans
ce cadre, de fournir aux professeurs
débutants des outils de pensée qui leur
permettront un regard distancié par
rapport au fonctionnement scolaire
actuel auquel participent non seulement les enseignants mais aussi les
décideurs politiques et les experts qui
les éclairent.
Illustrons cela à propos de la réforme
des compétences qui s’est traduite par
des injonctions institutionnelles telles
que « l’élève doit être acteur de son
propre apprentissage », inspirées, parfois de manière lointaine, de théories
d’apprentissage « socio-constructivistes ». Dans les programmes scolaires,
manuels et cours de mathématiques,
ces injonctions ont donné lieu à de
multiples « situations-problèmes »
dont le fonctionnement est douteux
(M. Schneider & A. Mercier, à paraître), faute de respecter certaines conditions telles que :
- Le savoir visé doit apporter une réponse optimale à une question posée
préalablement et qui est paradigmatique d’une classe de problèmes mathématiques.
- Cette question doit être comprise
d’entrée de jeu par les élèves, leur
permettre d’engager des savoirs anciens et d’éprouver les limites de ces
derniers.
- Il doit exister un « milieu » et un
« contrat » qui permettent aux élèves
de situer collectivement leurs stratégies
par rapport à la « nécessité » mathématique et non pas par rapport aux attentes
qu’ils supposent, à tort ou à raison,
dans le chef du professeur.
Ces conditions devraient favoriser
chez l’élève une posture visée par les
didacticiens des mathématiques depuis
que l’échec de la réforme des mathématiques modernes des années 70 a
mis à l’avant-plan le problème du sens.
Cette posture, je la rapprocherais de
l’intention rationnelle évoquée plus
haut et que B. Rey (1996) décrit en ces
termes : « Il faut qu’il [l’élève] cesse de
voir la vérité comme dépendante d’une
forme de rapport à autrui. Il faut que,
dans sa relation au savoir, il passe de
l’obéissance à une règle saisie comme
arbitraire à la compréhension de la
nécessité […] tant que l’élève croît le
maître parce que c’est le maître, c’est
que l’intention rationnelle n’est pas
établie ».
Malheureusement, de nombreuses
situations-problèmes conçues sur le
tas conduisent à des effets contraires,
faute d’avoir été construites sur base
d’une analyse a priori à la fois épis-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
65
Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ?
témologique et didactique. L’enjeu de
la formation consiste alors à montrer
ce phénomène aux futurs professeurs,
en jouant tant sur de bons exemples
de situations-problèmes que sur des
contre-exemples, tout aussi instructifs,
et surtout de les initier aux concepts
didactiques qui leur permettront d’analyser les unes et les autres : en l’occurrence les concepts de situation adidactique, milieu et contrat didactique de
G. Brousseau (1998).
Là ne s’arrête pas la formation en
didactique : il s’agit d’apprendre à
construire des situations-problèmes qui
fonctionnent, au sens décrit plus haut,
ou, à tout le moins et vu la difficulté de
l’entreprise, d’apprendre à améliorer le
quotidien des cours de mathématiques.
Et ce, de plusieurs points de vue :
- concevoir des « exposés » qui mettent en évidence les « vraies raisons
d’être » (au sens d’Y. Chevallard,
1992), ayant été à l’origine des savoirs
mathématiques enseignés ou les faisant
vivre encore aujourd’hui, dans certaines communautés scientifiques ou dans
certains milieux professionnels ;
- éviter de donner des réponses à des
questions qui n’ont pas été posées ;
- organiser l’enseignement autour de
« familles de tâches » signifiantes
que l’on peut ensuite croiser pour
apprendre aux élèves à réaliser des
transferts ;
- allier un travail proprement mathématique et une réelle ouverture à des problèmes issus des autres disciplines ;
- améliorer les questions posées aux
élèves au sein d’un cours « dialogué »,
modalité d’enseignement la plus répandue ;
- reconnaître, dans leurs réponses, les
formes embryonnaires des savoirs
mathématiques et les erreurs relevant
d’obstacles d’apprentissage « profonds » dont on peut déceler des traces
dans l’histoire des mathématiques et
chez la plupart des individus.
Cela suppose qu’une place importante soit octroyée, tant dans le cours
de didactique que dans les stages, à
l’analyse épistémologique des savoirs
mathématiques à enseigner, à celle de
leur transposition didactique et des
obstacles d’apprentissage prévisibles
d’ordre épistémologique, ontogénétique, didactique ou psychologique.
66
Mais cette formation très conceptuelle
ne doit pas mettre les futurs agrégés en
porte-à-faux par rapport à leurs maîtres de stages ou aux futurs collègues
avec lesquels ils devront collaborer.
C’est pourquoi, le cours de didactique
se situe au-delà d’une perspective
normative. Il ne s’agit pas de faire
« adopter » ou « rejeter » globalement
telle ou telle manière d’enseigner,
même si chacune d’elles peut être
conjuguée selon des modalités qui
ne se valent pas et qui peuvent faire
l’objet de critères d’évaluation. Ce
qui est cherché avant tout, c’est à favoriser chez les étudiants d’agrégation
une posture de questionnement qu’ils
abandonneront sans doute au début de
leur carrière, le temps de trouver leurs
« marques », mais à laquelle on espère
qu’ils reviendront le plus vite possible
pour s’y tenir jusqu’à la fin de leur
vie professionnelle. La progression de
l’enseignement est à ce prix …
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L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques
Jean-Marie Dujardin
Avec la collaboration de Sophie Leruth, Marie-France Otto et Rosa Valle
Service de Didactique des Sciences économiques
HEC-école de Gestion de l’Université de Liège
L’approche par les compétences en
didactique des sciences économiques
L’objectif de cet article est d’expliquer
comment, dans le cours de didactique
des sciences économiques, nous préparons les étudiants de l’AESS à travailler
selon une démarche de pédagogie par
les compétences, afin de les familiariser aux situations d’enseignement
qu’ils rencontreront dans leurs stages
de responsabilité, tout d’abord, dans
leur vie professionnelle, ensuite.
Nous avons délibérément choisi de
traiter dans cet article des compétences en sciences économiques dans
l’enseignement qualifiant. Certes, dans
l’enseignement général, où nos agrégés
enseignent dans l’option « sciences
économiques », la pédagogie par
les compétences est également très
importante. Il y existe cependant des
différences significatives avec l’enseignement qualifiant. Par souci de
concision, nous avons choisi de traiter
de l’enseignement qualifiant, dans le
prolongement de l’intérêt pour l’enseignement qualifiant de l’Université
d’été du CIFEN 2006.
Nous commencerons par expliquer
brièvement les spécificités et les paradoxes de l’approche par les compétences en sciences économiques. Ensuite,
dans un souci de concrétisation, nous
décrirons deux situations d’enseignement vécues actuellement par des
professeurs de sciences économiques
dans leur pratique quotidienne. Nous
présenterons les démarches du cours de
didactique des sciences économiques
à travers lesquelles nous préparons les
étudiants de l’AESS à prendre en charge de telles situations. Nous conclurons
quant aux enjeux de la pédagogie par
les compétences pour les futurs enseignants en sciences économiques.
1. Spécificités et paradoxes
de l’approche par les
compétences en sciences
économiques
L’économie et la gestion d’entreprise sont familières de la notion de
compétence. Depuis une vingtaine
d’année environ, le concept de compétence « fait fortune » dans ce champ
de connaissance. La gestion des compétences est aujourd’hui un thème
essentiel de la gestion des ressources
humaines dans l’entreprise et dans les
organisations. Les notions de bilan de
compétence, de capital compétences
de l’entreprise, de validation des acquis, de « knowledge management »
sont des éléments importants dans les
sciences de gestion.
Parmi les pionniers de l’approche par
les compétences dans les organisations,
on retrouve G. Le boterf (1997a et b),
souvent cité dans les recherches pédagogiques sur les compétences.
Parmi les thèmes de recherche en gestion des compétences aujourd’hui, on
peut citer (Dujardin, 2006) :
- l’anticipation des compétences (au
niveau d’une région, d’une organisation, etc.) ;
- le transfert de compétences entre générations de travailleurs dans le cadre
du Pacte de solidarité entre générations
(les travailleurs « 45+ » , le tutorat et
l’accompagnement des jeunes, etc.) ;
- la validation des compétences et
la validation des acquis de l’expérience ;
- les compétences des managers.
Par ailleurs, par rapport à la démarche
de la Commission Communautaire des
Professions et des Qualifications, qui a
défini les profils de qualification et de
formation, on peut s’attendre à ce que
les économistes et les gestionnaires
soient en « pays de connaissance » : ce
sont les partenaires sociaux, représentants des employeurs et des syndicats
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
67
L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques
de travailleurs, qui définissent les
compétences à maîtriser par les élèves
du qualifiant, en fonction des activités
réalisées dans des emplois-types en
entreprise.
Si le concept de compétence est
familier aux gestionnaires et aux
économistes et qu’il s’est développé
un peu plus tôt dans l’entreprise que
dans le domaine de l’enseignement,
on pourrait s’attendre à ce que les étudiants en économie et en gestion soient
très à l’aise avec les concepts liés aux
compétences lorsqu’ils sont appliqués
au domaine de l’enseignement. Il n’en
est rien. Comme pour tous les autres
étudiant(e)s de l’AESS, la découverte
de l’approche par les compétences
dans l’enseignement est une sorte de
révolution, qui force le futur professeur
du secondaire et ses élèves à réfléchir
en termes de savoir, savoir-faire et
attitudes à combiner et à mobiliser, et
non plus en termes de contenus.
Après ces quelques précisions concernant l’approche par les compétences en
économie, intéressons-nous maintenant
aux situations concrètes vécues par les
enseignants de sciences économiques
« sur le terrain ».
2. Situations concrètes
d’enseignement vécues par
des professeurs de sciences
économiques
Une première situation, notamment
inspirée du Projet école-CompétenceEntreprise (D ony et T chogninou ,
2006), concerne une section tourisme
appelée « Agent(e) en accueil et Tourisme »(5° Technique de qualification).
Une des six fonctions du programme
est « la vente de voyages à forfait ».
Les apprentissages se réfèrent au référentiel de compétences de la section
(CCPQ, 1996 et 2001).
Les principales compétences à travailler pour la fonction « vente de
voyages à forfait » sont : le calcul du
forfait et la réservation du voyage.
Pour développer ces compétences,
le professeur propose une situation
d’apprentissage : un cas pratique qui
illustre la demande d’un couple avec
deux enfants de 9 ans et 10 ans. Celuici désire se rendre à Port El Kantaoui
pour un séjour plage à l’hôtel « X »
68
du 9 au 16 juillet en pension complète.
Au départ de cette situation, les élèves
devront :
- calculer le montant du forfait ;
- réserver le voyage.
En ce qui concerne le calcul, les élèves découvrent qu’ils ont besoin de
connaissances et de savoir-faire divers
comme le vocabulaire spécifique utilisé
chez les agents de voyage où interviennent des suppléments et des réductions.
Et c’est là que le professeur intervient
et donne les informations, les méthodes
de calcul, etc.
En ce qui concerne la réservation,
l’élève devra vérifier, au moyen de
programmes informatiques, auprès du
tour-opérateur, les disponibilités de vol
et de logement et ensuite, effectuer la
réservation. Afin de conclure sa vente,
il devra compléter un bon de commande
et le faire signer par le client. Au lieu
d’expliquer de manière théorique les
méthodes de vente de voyage, le professeur met les élèves en situation réelle et
est présent pour donner les explications
indispensables.
Dans ce dispositif d’apprentissage, la
construction des compétences pour la
vente du voyage à forfait, se réalise de
manière interdisciplinaire : y collaborent, outre le professeur de sciences
économiques, celui de mathématique
(calculs des coûts de voyage, des
marges réalisées, etc.), de français
(rédaction d’une lettre, d’un bon de
commande, etc.), de langues étrangères
(ex. anglais), de secrétariat (traitement
de texte, etc.), d’histoire (histoire et
culture des pays sélectionnés), de géographie touristique (climat, sites des
pays retenus, etc.).
C’est donc ensemble que les professeurs construisent les situations d’apprentissage et les épreuves d’évaluation
qui serviront à vérifier la maîtrise des
compétences.
Une deuxième situation concerne une
section de comptabilité (6e Technique
de qualification). Les élèves de cette
section ont un cours d’informatique
de gestion dans lequel ils abordent différents logiciels (le tableur, un logiciel
comptable, une base de données, un
logiciel fiscal,…). Les apprentissages
doivent chaque fois se référer au référentiel des compétences à maîtriser
de la section « Technicien en compta-
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
bilité ». Pour étudier le logiciel Excel,
nous avons choisi de les faire travailler
sur la compétence de l’établissement de
factures de vente à automatiser (CCPQ,
1996 et 2000).
La situation d’apprentissage porte sur
les factures évolutives : « Vous faites
votre stage dans la librairie papeterie
« Papier en stock SPRL » et le responsable des ventes vous charge de réaliser
plusieurs modèles de facture en fonction de certaines contraintes… Lesquelles ? Vous allez les découvrir… » Les élèves reçoivent des consignes
qu’ils doivent respecter, mais ils travaillent à leur rythme, en autonomie, le
professeur étant là pour les orienter, les
conseiller, les guider si nécessaire. Ils
reçoivent les factures une à une qu’ils
vérifient eux-mêmes dans le cahier de
correction mis à leur disposition par le
professeur. Ils ne peuvent passer à la
réalisation de la facture suivante que si
la facture précédente a été vérifiée par
le professeur (formules- automatisation
de celles-ci, respect des consignes,
etc.). Progressivement, les factures se
compliquent mais elles utilisent toujours les notions vues auparavant tout
en introduisant de nouvelles formules.
Pour « découvrir et s’approprier » celles-ci, les élèves disposent de « fiches
théoriques de travail » qu’ils doivent
d’abord « réaliser » avant de les appliquer.
Dans cette situation également, la
construction des compétences peut se
faire de manière interdisciplinaire :
en plus des notions de comptabilité, il
s’agit de travailler avec le professeur
de mathématique (calculs à réaliser),
de français (rédaction de documents,
correction de la langue), d’informatique
(traitement de texte, Excel, etc.).
3. Comment former les
étudiants de l’AESS à ces
situations professionnelles ?
Nous décrivons ci-après les démarches
mises en œuvre dans le cours de didactique des sciences économiques afin
de préparer les étudiant(e)s à gérer de
telles situations d’enseignement.
C’est tout d’abord dans le schéma de
préparation d’une séquence didactique
que nous rendons l’étudiant(e) AESS
attentif(ve) à une définition précise des
L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques
compétences à atteindre par les élèves
du qualifiant.
Notre schéma de préparation - qui vaut
tant pour l’enseignement général que
pour l’enseignement qualifiant- est le
suivant :
1. QUI sont les élèves, le groupeclasse ? (nombre, caractéristiques,
connaissances de base, valeurs, centres
d’intérêts, etc. ?).
2. QUEL est le programme ? Quel est le
contenu d’apprentissage de la séquence
didactique ? (enseigner QUOI ?).
3. POURQUOI cette séquence didactique, ces contenus d’apprentissages (compétences transversales,
compétences disciplinaires, profil de
formation) ?
4. COMMENT construire cette séquence (moyens pédagogiques, situations
d’apprentissage, stratégies didactiques,
styles d’enseignement, etc.) ?
5. Comment éVALUER les apprentissages des élèves suite à cette séquence ?
(QUELS RéSULTATS ?).
Chacun des points de ce guide de
préparation d’une leçon fait l’objet de
nombreuses questions plus précises,
qui permettent de l’opérationnaliser.
Nous nous intéresserons plus particulièrement au 3e point, celui qui traite
du « POURQUOI ? », c’est-à-dire des
objectifs et des compétences à maîtriser
par les élèves.
Ainsi, après avoir caractérisé le groupe
des élèves (point 1) et les contenus
d’apprentissage (point 2), l’étudiant(e)
AESS est invité(e) à réfléchir sur
les compétences à faire acquérir aux
élèves. Cette réflexion est menée de
manière approfondie et systématique
selon les questions suivantes qui se
réfèrent au « Décret-Missions » du
24/07/1997 ainsi qu’à diverses sources
plus opérationnelles (Genard, 2002 ,
Dony & Tchogninou, 2006).
1° Quelles sont les compétences cognitives à faire acquérir aux élèves ?
Il s’agit ici des compétences définies
dans le cadre du profil de formation
et de qualification de la Commission
Communautaire des professions et
des Qualifications (CCPQ). On notera
qu’il s’agit plus spécifiquement de
compétences professionnelles très opérationnelles plutôt que de compétences
cognitives.
Ainsi, pour le métier d’« Agent(e) en
Accueil et Tourisme », les principales
compétences cognitives - nous donnons ici seulement un extrait du profil
de qualification - sont (CCPQ, 1996
et 2001) :
- Le calcul de forfait.
- La réservation d’un voyage.
- Le respect des règles d’établissement
d’un bon de commande.
- L’utilisation des références courantes
des différents voyagistes (brochures,
programmes informatiques).
- La relation commerciale entre l’agent
de voyages, le tour-opérateur et le
client.
En ce qui concerne le métier de
« Technicien en comptabilité », les
compétences - un extrait seulement que nous relèverons, sont (CCPQ, 1996
et 2000) :
- Connaître et comprendre les règles d’établissement des documents
commerciaux courants relatifs à la
facturation .
- Vérifier l’application des règles
d’établissement des documents commerciaux.
- Effectuer les calculs, y compris en devises, en tenant compte des réductions
commerciales, des escomptes accordés,
des frais de transport, des acomptes
reçus, de la consignation d’emballages, de la récupération d’emballages
consignés, de la TVA, etc…
- Connaître les conditions de validité
de tous les documents relatifs aux opérations diverses.
- Connaître, comprendre et appliquer
les procédures fixées pour la vérification, l’approbation, la justification
et le calcul d’opérations diverses , en
l’occurrence la fiche de paie.
2° Quelles compétences méthodologiques ?
Même si celles-ci sont plus relatives
à l’enseignement général selon les
prescrits du Décret Missions, nous estimons important que les futurs enseignants développent des compétences
méthodologiques auprès des élèves, à
titre d’exemple :
- gestion du temps (planification - sélection - hiérarchisation et alternance
des tâches - prévisions) ;
- prise de notes (structuration - sélection
- techniques - fiabilité - relecture) ;
- respect des consignes (lecture - interprétation - application) ;
- tenue des documents et du matériel
(ordonnance - règles) ;
- recherche de l’information (saisie structuration - traitement) ;
- esprit d’initiative ( responsabilisation - créativité - autoévaluation) ;
- expression ;
- etc.
L’étudiant(e) de l’A.E.S.S. pourra, à
titre d’exemple, pourra mettre l’accent
sur la gestion du temps et le respect des
consignes.
3° Quelles compétences relationnelles ou attitudes (au sens de l’Article 5
du Décret-Missions du 24/7/97) ?
De même, nous souhaitons rendre les
futur(e)s enseignant(e)s attentifs(ves)
au développement de compétences
relationnelles (ou attitudes à intégrer
dans la réalisation de tâches complexes) auprès des élèves, à titre
d’exemple :
- respect d’autrui (convivialité - tolérance - solidarité) ;
- coopération (ouverture au dialogue participation - intégration - négociation) ;
- esprit d’initiative (curiosité intellectuelle - hypothèse - projet - production) ;
- sens de l’effort ( motivation - volonté - persévérance) ;
- adaptabilité (souplesse - mobilité).
- écoute - respect d’autrui ; - etc.
L’étudiant(e) de l’AESS choisira , par
exemple, de développer le sens de
l’écoute et l’esprit de coopération.
Après cette réflexion systématique sur
les compétences, il est important de
relier les compétences sélectionnées
avec les autres points de la leçon.
Il s’agit notamment de relier les compétences avec les moyens pédagogiques
et les situations d’apprentissage, celles
rencontrées dans la situation professionnelle. Dans les deux exemples
proposés, ce sont notamment celle du
cas concret de « vente de voyage au
forfait » et celle de la gestion des factures d’une librairie « Papier en stock
SPRL », décrites ci-avant.
L’étudiant(e) AESS est invité(e) à
construire un tableau de description du
processus pédagogique de la leçon par
un « micro-découpage » des activités
de celle-ci. Nous donnons ici un bref
exemple :
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
69
L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques
Qui fait quoi ?
Professeur ? élèves ?
Moyens pédagogiques ?
Situations d’apprentissage
Compétences travaillées
Le professeur explique le Description de la librairie pa- 5 minutes
cas concret de la librairie peterie
papeterie
écoute
Le professeur explique la Facture de la librairie
méthode de travail dans cette papeterie
séquence, donne les consignes
et distribue la facture présélectionnée et la commente
écoute
Respect des consignes
5 minutes
Les élèves travaillent avec la Réaliser une à une les factures 25 minutes
facture selon les consignes en fonction des contraintes
reçues
Respect des consignes
Gestion du temps
Connaître, comprendre et vérifier
l’application des règles d’établissement de la facture
Les élèves reçoivent les « fiches Lire les fiches, les réaliser et 10 minutes
théoriques de travail »
puis les appliquer à chacune
des nouvelles factures à traiter
Respect des consignes
Gestion du temps
Vérifier les conditions de validité
des documents avec le cahier de
correction
…
…
…
La préparation de la leçon exige
donc la construction d’une démarche
didactique précise, avec un « microdécoupage » très fin, en particulier
concernant les compétences.
Tout ce travail de préparation sur les
compétences fera l’objet d’une communication auprès des élèves. Lors de
leur stage de responsabilité, les étudiants sont invités, en début de leçon
en particulier, à expliquer aux élèves
les compétences cognitives, méthodologiques et relationnelles qu’ils vont
travailler en cours de leçon. De même,
nous les invitons à « faire le point »
70
Timing ?
…
sur ces compétences en fin de leçon,
si possible de manière individualisée
avec les élèves.
Le dernier point – essentiel – de la
préparation est celui de l’évaluation
des apprentissages. Dans le schéma
de préparation de la leçon présenté ciavant, l’évaluation est conçue comme
une « boucle de feed-back », une vérification des compétences qui ont été
définies préalablement dans la leçon.
Pour chacune des compétences cognitives - ou compétences professionnelles spécifiques - définies, il s’agit de
sélectionner des critères d’évaluation
et des indicateurs de maîtrise. L’élève
sera placé dans une situation professionnelle différente de celle vue au
cours, mais similaire. Dans l’exemple
des « factures évolutives », cette situation sera :
« Vous êtes affecté temporairement au
service personnel pour aider le responsable à réaliser, en Excel, une feuille
de paie automatisée aussi bien pour un
ouvrier qu’un employé ».
Dans cette situation d’évaluation de
compétences professionnelles, les critères d’évaluation et les indicateurs de
maîtrise seront, à titre d’exemple :
Critères
Indicateurs
Qualité de la présentation de la fiche de paie
La fiche de paie est construite selon les instructions ,
c-à-d. identique à celle qui leur a été remise (présentation,
mise en forme,…).
Exactitude des formules à encoder
Les calculs sont exacts si on apporte des modifications
- à la rémunération,
- à la fonction du travailleur.
Adéquation de l’impression
Les documents imprimés sont conformes aux consignes.
Autonomie
L’ensemble est réalisé sans assistance.
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques
On procèdera de la même façon en ce qui concerne la « vente de voyages au forfait ».
Les critères d’évaluation et de maîtrise seront, à titre d’exemple :
Critères
Indicateurs
L’exactitude du traitement de la demande
Le calcul de forfait est exact.
Le bon de commande est correctement rempli.
L’efficacité d’utilisation des outils informatiques
Les données sont encodées à bon escient.
La réservation auprès du tour-opérateur a été effectuée.
Afin de vérifier la maîtrise des compétences professionnelles, l’étudiant(e)
AESS est ensuite invité(e) à préciser
les types de questions d’évaluation
qu’il posera aux élèves : questions
fermées (vrai/faux, appariement,
« chasser l’intrus », QCM, « mots
croisés », etc.) et questions ouvertes
(à production courte, à production
longue). Il précisera ensuite les critères
de notation.
Lors du déroulement de la leçon, les
compétences peuvent être évaluées de
manière formative (questions en cours
de leçon) et sommative (interrogation
en fin de leçon). Le contrôle en fin de
leçon porte sur les questions définies
ci-dessus et notées selon les critères
fixés (pondération accordée à chaque
critère).
Lors de la correction-remédiation du contrôle, il est important que
l’étudiant(e) AESS donne, dans la
mesure du possible, à chaque élève, un
commentaire par rapport à ses points
forts et ses points à améliorer sur les
compétences annoncées.
Cette progression personnelle sur les
compétences, tout au long des séquences didactiques du cours de sciences
économiques, pourra être communiquée lors du conseil de classe. Elle
permettra de mieux construire les compétences du profil de formation avec les
collègues des autres disciplines.
4. En guise de conclusion : les
enjeux de l’approche par les
compétences pour les futurs
enseignants en sciences
économiques
Nous avons déjà remarqué que l’appro-
che par les compétences est au départ
déconcertante pour les étudiant(e)s de
l’AESS, car ils sont davantage habitués, de par leur formation universitaire, à réfléchir en termes de contenu.
Ce n’est pas simple pour eux d’organiser leurs séquences didactiques
en fonction de savoirs, savoir-faire
et attitudes à combiner et à mobiliser
par les élèves du secondaire. Cette
difficulté est également ressentie par
les enseignants en fonction. Certains
s’interrogent sur l’adéquation et le
niveau d’exigence des profils de qualification définis en collaboration avec
le milieu professionnel. Il reste donc
du travail pour intégrer la pédagogie
par les compétences dans les pratiques
quotidiennes d’enseignement.
Les étudiant(e)s de l’AESS peuvent,
à travers leurs expériences de stage,
comprendre l’importance d’une approche interdisciplinaire pour une
pédagogie par les compétences dans
l’enseignement qualifiant. Certes,
chaque professeur peut travailler
à la construction des compétences
« seul dans sa classe », mais ce n’est
que lorsque tous les professeurs d’une
même classe travaillent ensemble à
construire des compétences sur la base
de situations professionnelles, que
cette pédagogie révèle véritablement
tout son potentiel et toutes ses qualités.
Les étudiants se rendent ainsi compte
de l’importance de travailler par projets
interdisciplinaires, comme ils le font
dans le cadre du Séminaire d’approche
interdisciplinaire de l’AESS. Ils peuvent ainsi mieux comprendre la « plusvalue » de l’approche interdisciplinaire
et mesurer le chemin qui reste à faire
pour implanter cette approche dans les
écoles secondaires.
Tout en restant réalistes par rapport à
la situation des écoles, ils découvrent
qu’un travail interdisciplinaire efficace
nécessite un support institutionnel :
projet promu par la direction de l’établissement, organisation des horaires
par « blocs de travail » de 3 ou 4 heures
plutôt que par périodes de 50 minutes
(Dujardin, 2007). Ils comprennent
que le travail interdisciplinaire peut
également suivre une démarche qualité appliquée à l’école : réunion
entre enseignants avec ordre du jour,
documents de travail, compte rendu
de progression, gestion de projet, etc.
(Dony & Tchogninou, 2006).
Un dernier élément qui préoccupe les
étudiant(e)s de l’AESS durant leur
stage - de même que les maîtres de
stage que nous rencontrons - est la
gestion du temps pour l’organisation
des apprentissages. Il s’agit de gérer
ce temps non seulement pour l’organisation de telles séquences didactiques
(ex. la vente au forfait), mais également
pour l’ensemble des séquences qui
vont in fine permettre de construire
les compétences à maîtriser à l’issue
d’un degré (ex. à l’issue du 3e degré).
à travers ces questions, les étudiant(e)s
peuvent prendre conscience de l’intérêt
d’outils tels que la gestion de projets,
les plannings, les fiches de travail, les
plans d’action pour la construction
d’un curriculum fondé sur les compétences.
Bibliographie
CCPQ (Commission Communautaire
des Professions et des Qualifications), S7 : économie-PQ : Employé
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
71
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cadre d’une conférence à l’attention
des dirigeants d’entreprises wallonnes). Belgique : HEC-Liège.
Faire et faire faire
Jean-François Guillaume, Michel Xhonneux
Institut des Sciences Humaines et Sociales
Service de Didactique des Sciences sociales
Université de Liège
Faire et faire faire.
Le principe d’isomorphisme dans la formation
des enseignants de sciences sociales
1. Prendre de la hauteur pour
travailler les représentations
initiales
Pour le chercheur et pour le formateur
en sciences humaines et sociales,
l’approche par compétences n’est pas
une démarche contre nature. Bien au
contraire. L’objet des sciences humaines et sociales – pour faire simple,
l’homme en société – invite d’emblée à
un croisement ou à une articulation des
perspectives théoriques et oblige à un
effort de décryptage de la complexité.
Les sciences sociales sont d’ailleurs
nées des évolutions qui ont bousculé
le mode d’organisation des sociétés
rurales et traditionnelles. Depuis la
fin du 18e siècle, elles n’ont cessé de
perfectionner leurs grilles de lecture et
de produire des corps de savoirs organisés qui ont eux-mêmes contribué au
changement social. Ainsi, les travaux
des sociologues ont largement inspiré
des réformes pédagogiques et orienté
les politiques éducatives dans les pays
occidentaux.
Il n’est donc guère étonnant que les
compétences inscrites dans l’approche
des sciences économiques et sociales soient formulées en des termes
« franchement » transversaux. Il est
par contre plus surprenant que ces
approches, en ce compris une formation axée sur le fonctionnement des
instances juridiques et politiques de
nos sociétés contemporaines, occupent
une place aussi résiduelle dans les
programmes scolaires actuels. Si l’on
accepte de prendre un peu de hauteur
ou de distance, on pourra constater
que les découpages disciplinaires
existants apprennent plus sur l’histoire
du système scolaire que sur les enjeux
actuels de l’éducation ou de la formation des jeunes générations. Et il faut
bien constater que dans les réformes
scolaires, les limites disciplinaires
conservent une vigueur étonnante.
Procédons ici par analogie. Imaginons
que pour concevoir un plan de développement d’une localité, on consulte
les plans cadastraux existants. Ce que
ces plans révèlent, c’est en définitive
une série de découpages organisant la
distribution et l’affectation des sols en
fonction des exigences ou des préoccupations d’époques antérieures.
Deux options, entre autres, peuvent
se présenter aux décideurs : préserver
le patrimoine existant, parce qu’il
conserve une valeur historique et
culturelle forte ou parce que les propriétaires des parcelles s’opposent avec
vigueur à toute idée de changement ;
redessiner les contours et réaménager
l’espace, parce qu’il s’agit d’affronter
de nouveaux enjeux ou parce que les
propriétaires des parcelles ont perçu
l’intérêt d’une valorisation de leur
patrimoine.
Construire un projet de formation
s’inscrivant dans la perspective d’un
monde en évolution, d’une société
« cognitive » ou d’une société de
l’information oblige à se questionner
sur la validité et la pertinence des
découpages antérieurs. Non pas qu’il
faille nécessairement tout brûler ou
faire arracher les haies et les murs par
une armée de bulldozers. Mais on peut
pousser les futurs professionnels qui
assumeront la responsabilité de l’éducation à prendre un peu de hauteur pour
comprendre toute la relativité (culturelle et historique) des modes actuels
d’organisation scolaire. Le monde de
la formation peut-il être correctement
ou objectivement appréhendé quand on
n’a jamais quitté sa petite parcelle, ou
quand on a rehaussé les murs qui l’entouraient pour la protéger des regards
extérieurs ?
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
73
Faire et faire faire
C’est le premier effort auquel le cours
de Didactique des sciences sociales
invite les étudiants : questionner les
représentations initiales du métier
pour les déconstruire. C’est là aussi
une compétence inscrite au cœur
même du référentiel édité par la Communauté française de Belgique pour
les sciences sociales : « travailler ses
représentations, exprimer ses propres
représentations, les confronter à celles
d’autrui, prendre conscience de la
contingence de ces représentations,
évaluer leurs modifications en fin de
recherche ».
Le dispositif de formation mis en place
dans le cadre du cours de Didactique
des sciences sociales doit donc répondre à ce premier objectif : pousser
l’étudiant à travailler ses représentations. Afin de faire comprendre la
pertinence de cet objectif, mais aussi sa
complexité et sa difficulté, nous avons
pris le parti de procéder par isomorphisme (« Enseigner aux enseignants
comme on voudrait qu’ils enseignent »,
ou mieux encore : « Former les enseignants comme on voudrait qu’ils
forment les élèves ») et de faire vivre
par l’étudiant un dispositif l’amenant
à questionner ses représentations, à
les confronter à celles d’autrui et à en
percevoir la contingence. Pas question
ici de procéder par un brainstorming,
ou par un tour de table invitant chacun
à exprimer ses attentes. Pas question ici
d’inviter chacun à un questionnement
introspectif en « se positionnant »
vis-à-vis de sa formation. Il ne s’agira
donc pas de « dire » ce que l’on pense
mais de « faire » ce que l’on croit juste,
bon ou fondé de faire. Les représentations initiales seront mobilisées dans
le cours d’une action, c’est-à-dire la
résolution de différents problèmes : la
présentation d’une notion « élémentaire », la présentation d’une leçon
sur une thématique imposée. Nous y
reviendrons.
2. Ne pas compter sur la
bonne volonté individuelle
mais agir sur les dimensions
structurelles de la situation
d’apprentissage
Notre démarche s’inspire d’un postulat fondamental, voire fondateur, de
74
l’approche des sciences sociales : la
nécessaire distinction entre une logique
intentionnelle et une logique objective.
Il s’agit ici de prendre ses distances à
l’égard d’une représentation qui fait
des intentions individuelles le moteur
essentiel de toute vie sociale. Il faut
alors accepter de nager à contre-courant car dans la vie de tous les jours,
on a tendance à considérer que nos
intentions ou nos motivations orientent
largement le cours des événements.
Ainsi, on estimera que pour qu’un
enfant ou qu’un adolescent réussisse
à l’école, il faut d’une part qu’il le
veuille et d’autre part qu’il consacre
suffisamment de temps à l’étude des
matières qui composent le programme
de sa formation. On tend ainsi à privilégier une conception des choses où
domine une logique intentionnelle :
tout se passe comme si les acteurs
se donnent des objectifs déterminés,
choisissent ensuite les moyens requis et
organisent leurs actions pour atteindre
ces objectifs.
La réalité apparaît cependant bien plus
complexe. Il arrive très souvent que
les actions individuelles ou collectives produisent des effets tout à fait
inattendus de leurs protagonistes, le
cours des événements ayant suivi une
logique objective, indépendante de la
conscience des acteurs. Ainsi, on ne
peut résumer la réussite scolaire à la
simple rencontre de la bonne volonté
des protagonistes (professeurs et élèves) pas plus qu’à l’adéquation entre un
savoir restitué par l’élève et les attentes
du professeur. Car la réussite scolaire
est le fruit d’une série d’interactions,
dont il convient avant tout de percevoir
le déroulement objectif.
En d’autres termes, il faut construire
l’approche de la réalité sociale au
départ de l’idée qu’il ne suffit pas de
vouloir pour pouvoir. Parce que l’action humaine est d’emblée une action
sociale : elle doit compter avec la présence d’autrui et d’éléments structurels
(règles, normes, valeurs, etc.) qui tout à
la fois encadrent, limitent et permettent
l’échange.
C’est donc dire que la réflexion sur les
dimensions structurelles du dispositif
de formation sont ici déterminantes : il
ne s’agit pas de faire appel ou de compter sur la bonne volonté individuelle,
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
mais il s’agit de mettre en place un
cadre dans lequel il n’est pas possible
de ne pas entamer une réflexion sur ses
représentations initiales. C’est-à-dire
un cadre non routinier, inhabituel, voire
inconfortable ou insécurisant. Parce
que dans le confort des routines, qu’il
s’agisse de celui du cours magistral ou
de la séance de brainstorming, on n’est
guère poussé à la réflexion. Il faut donc
proposer une tâche et formuler des
consignes qui vont installer le doute,
déstabiliser, inquiéter.
Plus précisément, il faut « jouer » sur
– ou avec – deux composantes structurelles de tout échange social : les règles
et les ressources.
3. Agir sur les références
normatives
Précisons avec le sociologue anglais
Anthony Giddens (1987, La constitution de la société, Paris, PUF), la portée
du concept de « règle ».
Les règles de la vie sociale consistent
en des techniques ou des procédures
généralisables que l’on emploie en
cours d’action. Les règles peuvent
être très formelles (comme dans le cas
de législations, de règlements d’ordre
intérieur) ou moins formelles (comme
dans le cas des habitudes, des routines
– dans ce cas, la règle peut se comprendre au sens de « régularité »). Les règles remplissent une double fonction :
d’une part, elles indiquent comment
il faut agir, se comporter ou se tenir
dans une situation sociale donnée (la
sanction, positive ou négative, renforce
la pertinence de la règle) ; d’autre
part, elles permettent d’interpréter
une situation sociale donnée, puisque
la règle implique la régularité. C’est à
travers les règles que se constitue le
sens d’une situation, d’un geste, d’une
parole, d’un regard, etc.
La connaissance des règles, précise
Giddens, se manifeste avant tout dans
une conscience pratique, dans un
« savoir-faire » : il n’est pas nécessaire
d’exprimer verbalement la règle, il
suffit de montrer qu’on l’a intériorisée.
Dans ses activités quotidiennes, la
plupart d’entre nous fait généralement
preuve d’une grande maîtrise et d’une
grande connaissance de ces règles, et
nous disposons ainsi d’une capacité
Faire et faire faire
générale d’intervention dans un ensemble indéterminé de circonstances
sociales. Nous partons donc du postulat de la « compétence » sociale des
futurs enseignants, de leur capacité
à décoder une situation nouvelle,
même si cet exercice ne va pas de soi
et occasionne quelque souffrance ou
quelque inquiétude.
3.1. Mettre en œuvre de
nouvelles règles du jeu
Dans le dispositif de formation mis en
place, il n’est pas question pour nous
d’une longue présentation verbale des
règles du jeu. Nous privilégierons
leur mise en œuvre effective. Toutefois, parce qu’il s’agit de répondre
à des exigences légales « incontournables », certaines des règles du jeu
sont fixées dans un document écrit :
l’engagement pédagogique remis au
début de la première séance précise
les modalités d’évaluation, le poids
respectif dans la note finale des différents travaux demandés.
D’autres règles, fondamentales elles
aussi, ne sont pas énoncées verbalement mais elles sont mises en œuvre :
il s’agira pour les futurs enseignants
de les identifier à travers le processus
de formation qui leur est proposé.
Première règle : la préparation d’un
cours doit être faite « à l’envers » ;
l’enseignant doit partir de la fin.
Les exercices individuels de présentation d’une séquence de leçons
se terminent inlassablement par la
même question, une fois posées une
série d’observations ponctuelles :
« Quand tu t’es assis à ton bureau,
avec toute ta documentation, qu’as-tu
commencé à écrire ? ». La réponse
ne va pas de soi, et il faut au cours
des expérimentations successives,
accepter de trébucher, de commettre
des « gaffes », de se tromper pour
dégager la règle et sa justification.
« Le premier réflexe pour le novice
est d’abord d’envisager une méthode
intéressante pour donner la matière,
ensuite de penser à ce qu’il va réellement transmettre pour finalement
construire son évaluation », écrivait
l’une de nos étudiantes dans une
note d’auto-évaluation. Mais on finit
par comprendre que si le contenu de
l’évaluation finale n’a pas été fixé,
sous une forme qui peut varier, le cheminement sera bel et bien hasardeux
et périlleux. « Le vent n’est guère
favorable à celui qui ne sait où il va »
(Sénèque).
Deuxième règle : le souci essentiel
de l’enseignant doit porter sur la
conception, l’aménagement, la gestion et l’évaluation d’une situation
d’apprentissage, règle résumée en une
proposition simple mais en définitive
assez redoutable : le professeur entre
en classe et met les élèves au travail.
Ici aussi, la réponse ne va pas de soi,
parce que l’idéal professionnel du futur enseignant est encombré par l’idée
qu’il doit avant tout exercer un contrôle sur « sa » classe, maintenir l’ordre
et le calme, ou à l’inverse, se montrer
attentif à la qualité de la relation. Il
faut beaucoup de temps pour comprendre que la qualité des échanges
est tributaire de la qualité du dispositif
d’apprentissage, de la pertinence et
de la validité des tâches proposées. Il
faut beaucoup de vigilance aussi pour
que le futur enseignant ne vienne pas à
conclure que faire travailler les élèves
constitue la façon la plus commode
de maintenir le calme dans sa classe.
En d’autres termes que la vertu d’une
situation d’apprentissage ne réside
pas dans la possibilité qu’elle offre
d’affirmer une position de contrôle
ou de domination unilatérale : si les
élèves sont mis au travail, c’est parce
que le travail demandé répond à des
besoins précis, liés aux finalités de la
formation qu’ils suivent.
Troisième règle : compter ses mots.
L’essentiel du métier ne consiste pas
à transmettre son savoir, et une leçon
ne se résume pas à une conférence ou
à un exposé magistral. Trop souvent,
la parole du professeur tend à masquer
les lacunes du dispositif mis en place
ou les faiblesses de la préparation
initiale. Et l’on en vient à concevoir
que l’un des pires dangers qui guette
le professeur, c’est la gorge sèche.
« Excusez-moi, il faut que je boive, je
n’arrive plus à parler », avait soufflé
après dix minutes d’un monologue
ininterrompu l’un de nos étudiants qui
avait choisi de commencer une leçon
sur le processus de fédéralisation de la
Belgique par un historique aussi peu
digeste qu’éprouvant…
3.2. Un exercice déstabilisant
La première séance du « cours » de
Didactique des sciences sociales est
élaborée autour de ces trois principes.
Elle débute par un bref tour de table, au
cours duquel les participants décrivent
brièvement leur parcours scolaire et/ou
professionnel, se poursuit par la distribution de l’engagement pédagogique
et la lecture des éléments essentiels,
puis par la mise au travail des étudiants. Il n’y a donc pas d’échange
collectif sur les projets ou les attentes
de chacun à l’aube de la formation. Les
formateurs « comptent » leurs mots ;
l’essentiel n’est pas dans ce qui se
dit mais dans ce qui doit être fait. La
figure du « magister » ou de l’enseignant universitaire est volontairement
délaissée : les étudiants s’intègrent
dans un dispositif de formation à visée
professionnalisante. Il n’y a pas non
plus de montage powerpoint ou de
transparents qui fixeraient d’emblée
les choses. Le savoir – portant ici sur
les modalités de transposition didactique – sera questionné, élaboré au fur et
à mesure des expérimentations et des
exercices réalisés par le groupe. Après
chacune des séances, c’est une feuille
reprenant différentes propositions qui
est remise et lue aux étudiants : dans
ces « éléments pour une pratique réflexive », nous livrons aux étudiants
une série de propositions ou nous leur
renvoyons une série de questions1. Il
n’y a donc pas de syllabus, mais une
invitation à (re)composer soi-même la
trame de la formation, à identifier les
objectifs poursuivis, à identifier les
questions importantes et les éléments
plus accessoires.
Après cette brève présentation, quatre
groupes d’étudiants sont constitués.
Une consigne générale leur est donnée : « Imaginez que vous êtes face
à une classe, c’est le début de l’année
et un élève vous pose une question.
Comment allez-vous y répondre ?
Réfléchissez ensemble à la façon dont
vous allez y répondre et imaginez le
moyen de savoir si vous avez été bien
compris ». Chaque groupe doit aborder
l’un des quatre exercices suivants :
1. Expliquez en mots simples et compréhensibles ce que veut dire « exécuter la loi ». Chacun sait qu’il y a trois
niveaux de pouvoir en Belgique : le
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
75
Faire et faire faire
pouvoir législatif, le pouvoir exécutif
et le pouvoir judiciaire. Mais ça veut
dire quoi, « exécuter la loi » ?
2. Expliquez en mots simples et compréhensibles la différence entre un
impôt et une cotisation sociale.
3. Expliquez en mots simples et compréhensibles la différence entre égalité
et équité.
4. Expliquez en mots simples et compréhensibles la différence entre un
préavis et un C4.
Sous des aspects d’apparente banalité,
la tâche proposée n’est pas anodine.
Dans le dispositif de formation, elle a
du sens et même un « double sens » :
elle possède une signification et elle
donne une direction.
Premièrement, elle vise à installer le
doute chez l’étudiant : comment, après
un parcours universitaire, ne serait-on
pas capable de répondre à une question
aussi simple ? Après tout, il s’agit de
connaissances de base, de savoirs qui
ont été, pour certains, appréhendés
dès l’école primaire, et pour d’autres,
qui sont liés à la vie quotidienne.
Mais l’exercice se révèle terriblement
difficile : ainsi, aucun étudiant n’a
été jusqu’ici capable de donner une
explication claire et complète de ce
qui constitue le travail de l’exécutif.
On a bien de la peine à expliquer ce
que fait le ministre – ou ses collaborateurs – dans son cabinet : arrive-t-il
le matin, pose-t-il sa mallette sur son
bureau, se frotte-t-il les mains en
disant : « Ca y est, je vais exécuter
la loi » ? En cela, la tâche proposée
oblige à se départir d’une conviction
largement répandue auprès des futurs
enseignants : celle d’être le dépositaire
d’un Savoir reconnu et légitime, le
Savoir universitaire.
Si la difficulté de réponse ou l’absence
de réponse constituent en elles-mêmes des éléments importants dans le
processus de formation, on perçoit
dans les réactions individuelles à ces
difficultés la trace des représentations
initiales et les enjeux émotionnels
qui les entourent. Il est parfois très
difficile d’admettre son ignorance, ses
erreurs et de considérer que l’erreur
est source d’apprentissage. L’erreur
paraît d’emblée condamnable et porter
en elle le risque d’une stigmatisation :
« Il ne sait pas et il veut devenir prof ».
76
Dès cette première séance, on peut
percevoir le poids de ce que certains
sociologues désignent comme des
« réservoirs » ou des « stocks de
connaissances » et les schèmes d’interprétation qui les structurent. Force
est de constater que ces schèmes sont
profondément imprégnés du mode
d’apprentissage qui a prévalu dans
leur parcours scolaire : ils concernent
tout à la fois la distribution du savoir
entre maître et élèves, l’organisation
spatiale, le niveau sonore de la classe,
la posture corporelle, etc. Intuitivement, chacun tente d’instaurer les
règles de fonctionnement conformes à
une représentation « habituelle » d’un
ordre scolaire, de retrouver ces routines indispensables au maintien d’un
sentiment de sécurité ontologique,
parce que la régularité de ces routines
implique la prévisibilité.
Il faut donc, afin de pousser chacun
à travailler ses représentations, entamer un long travail de sape des idées
reçues : ainsi, contrairement à ce que
l’on pense, il y a des choses qu’on ne
sait pas ou pire, il y a choses que l’on
croit savoir mais qui s’avèrent fausses,
incomplètes ou indicibles.
Deuxièmement, la tâche porte sur des
matières qui seront au cœur même du
dispositif de formation, et plus particulièrement au cœur du syllabus qui sera
rédigé collectivement à destination
d’étudiants du secondaire. La porte
ouverte à l’entrée ne débouche pas sur
une voie sans issue ; le premier exercice indique la direction dans laquelle
diriger ses efforts.
Après cette première séance, les autres
compétences identifiées dans le référentiel de la Communauté française
seront davantage abordées : être capable de prendre part activement à un
travail d’équipe, maîtriser les acquis
théoriques de base, recueillir et traiter
des informations en fonction d’une
recherche, analyser des informations.
Les étudiants en formation sont invités
à concevoir collectivement un syllabus
portant sur l’organisation du système
politique, du système judiciaire et du
système électoral belge. Ce syllabus
sera exploité dans le cadre de séminaires « citoyenneté » organisés chaque
année pour les élèves de dernière année de différentes écoles de la CFWB,
CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007
et pris en charge par les étudiants de
l’AESS en sciences sociales.
4. Mobiliser les ressources
pertinentes
La réalisation des objectifs visés
n’implique pas seulement la constitution d’un ordre normatif, la définition
(formelle ou non) de règles qui étant
comprises par chacun des participants,
faciliteront une réflexion collective. Il
faut également mobiliser les ressources
pertinentes, soit celles qui permettront
d’infléchir les représentations initiales : pas parce que nous rejetons la
référence magistrale, mais parce qu’il
nous semble utile, voire indispensable, que la formation initiale propose
d’autres modes d’apprentissage, plus
adaptés aux exigences nouvelles des
modes d’organisation sociale, politique, économique et professionnelle
des sociétés contemporaines.
Ces ressources tiennent selon nous à la
pratique professionnelle du formateur
et à la connaissance du « terrain » :
pour faire bref, les étudiants considèrent que « les formateurs savent de
quoi ils parlent ». L’une des premières questions que pose un apprenti
ébéniste à son patron est de savoir
combien de travaux il a déjà réalisés.
Et s’il venait à lui répondre : « Je n’en
ai jamais fait » ou « J’ai arrêté de travailler il y a quelques années déjà »,
que deviendrait sa crédibilité ?
Elles tiennent aussi à la maîtrise des
savoirs disciplinaires placées au cœur
du dispositif de formation : les exercices que nous proposons supposent
une connaissance des mécanismes
juridiques, politiques et sociologiques.
Sans cela, il ne serait guère possible de
renvoyer des questions ou des observations pertinentes aux étudiants : on
serait tenté d’aller trop vite en donnant
d’emblée la réponse, ou on finirait par
se perdre parce qu’on emprunte un
chemin mal balisé.
Dès lors, les ressources tiennent à la
capacité d’identifier précisément les
tâches qui devront être prises en charge
par l’étudiant à l’issue de sa formation.
Chaque acte posé, chaque consigne
donnée, chaque feed-back adressé
trouve sa justification en regard de
l’objectif final. De telle sorte que
Faire et faire faire
certaines observations, mineures aux
yeux de l’étudiant, sont au contraire
déterminantes dans le processus de
formation ; ou inversement, que des
événements majeurs aux yeux de
l’étudiant, sont secondaires en regard
de l’objectif final.
Le caractère transformateur des ressources, écrit G iddens , est intrinsèquement lié à l’actualisation des
codes et des sanctions normatives. Si
notre démarche est largement basée
sur l’expérimentation et l’exploitation réflexive des exercices proposés,
elle n’est pas exempte de jugements
évaluatifs : qu’il s’agisse de souligner
la pertinence d’une tentative même
maladroite d’organiser « autrement »
la situation d’apprentissage, ou de
mettre en évidence les risques associés
à une façon de régler un « incident »,
d’aborder le groupe-classe, d’évaluer
les apprentissages, etc. Ce faisant, il
ne s’agit pas pour nous de « donner »
la « bonne » réponse au problème
proposé, mais d’inviter à la réflexion
et surtout de formuler les « bonnes »
questions. Il nous semble ainsi plus
efficace pour l’étudiant en formation
de ne pas se demander « s’il est un
bon professeur » ou « s’il arrivera à
tenir sa classe », mais de se demander
« s’il a fait du bon travail ». Ou mieux
encore, si « tout le groupe a fait du
bon travail ».
Si le dispositif de formation est élaboré
autour d’un fil conducteur et de principes fondamentaux – qui constituent
notre traduction d’un apprentissage
basé sur les compétences –, il n’est pas
pour autant une structure rigide ne permettant aucun écart. Il y a place pour
la négociation. Cette négociation peut
s’opérer de façon formelle, lorsqu’il
s’agit de redéfinir des échéances ou le
contenu de certains travaux demandés :
les étudiants présentent leurs arguments, émettent des demandes. Mais
la forme la plus fréquente prise par la
négociation est celle des inflexions que
nous apportons dans le déroulement du
processus en fonction des observations
que nous avons réalisées : il ne s’agit
pas ici de parler, de débattre mais de
réajuster le tir lorsque nous percevons
qu’une tâche demandée n’a pas produit les effets escomptés. Et en cela,
nous rejoignons la proposition émise
par Jacqueline Beckers dans le texte
d’introduction de ce Puzzle : « C’est
de la responsabilité de l’enseignant de
centrer tous les élèves sur les enjeux
d’apprentissage de la tâche plutôt que
sur sa seule effectuation, de les engager
tous dans un traitement cognitif des
objets proposés, éventuellement avec
des moyens différenciés, de les inviter
tous à en dégager des implications
pour d’autres tâches du même ordre,
dans d’autres situations… Cette clarification du contrat didactique est une
condition sine qua non d’une approche
vraiment démocratique de l’égalité des
acquis : à un niveau élevé d’exigence
pour tous ».
Note
Voici à titre d’exemple le feed-back remis aux étudiants à l’issue de la première séance du cours de Didactique des sciences
sociales de l’année académique 2006-2007.
1
Objectifs principaux de la 1ère séance ? à compléter…
P
……………………………………………………………………………………
P
……………………………………………………………………………………
P
……………………………………………………………………………………
Ce qu’il faut garder à l’esprit…
P
Il faut être humble ou retrouver son humilité quels que soient son parcours, son expérience, son âge ou ses titres…
Tout le monde recommence (au mieux) à zéro.
P
L’agrégation n’est pas une année à réussir à tout prix, il faut se réserver le droit d’abandonner.
P
Il ne faut pas confondre ce que l’on fait et ce que l’on est.
P
Il faut se réserver le droit à l’erreur, accepter son erreur et renoncer à plaider pour la justifier.
Ce qu’on a découvert
P
Ce n’est pas un métier facile.
P
Il ne faut plus commencer par une définition : on est plus efficace en partant d’un exemple.
P
Il ne faut pas dire tout ce qu’on sait.
Les questions auxquelles il faut apporter de « bonnes » réponses…
P
Quand faut-il voir la théorie ?
P
Comment faire pour poser les questions ?
Les « mauvaises » questions qu’il faut oser poser
P
Est-ce qu’il ne faut préparer que les quinze premières minutes ?
Cette dernière question avait été posée après la présentation de la tâche proposée pour la séance suivante : chaque étudiant
sera amené à présenter une séquence de leçon portant sur une thématique imposée (système judiciaire belge, organisation
politique de la Belgique, normes de justice distributive, système électoral belge). Les étudiants jouent le rôle des élèves ;
seul le premier quart d’heure de la leçon est « joué » par l’étudiant stagiaire, le reste de la leçon faisant l’objet d’une brève
présentation orale.
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La Chimie au service des Experts - Lévitation et Magnétisme
Du 2 octobre au 9 novembre 2007, l’ASBL Science et Culture organise, dans la salle du Théâtre
Royal Universitaire, au Domaine de l’ULg au Sart Tilman, une série de démonstrations scientifiques
interactives.
Quarante expériences spectaculaires de Physique et de Chimie, particulièrement adaptées aux élèves de l’Enseignement
secondaire supérieur, seront présentées et commentées par des animateurs lors de séances d’une durée de 2 heures qui auront
lieu tous les lundis, mardis, jeudis et vendredis à 10 h et à 14 h, ainsi que les mercredis à 10 h. Chaque visiteur recevra un
livret-guide de 40 pages richement illustrées.
Le détail du programme est disponibles à l’adresse suivante : http://www.sci-cult.ulg.ac.be/Expo2007.html
Tarif : 4,00 € par élève (livret-guide compris) Entrée gratuite pour les accompagnateurs
Renseignements et réservations : 04/366.35.85
Inauguration (entrée libre) : le lundi 1 octobre à 17h00
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