PuzzlE Somm AIr E - Université de Liège
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PuzzlE Somm AIr E - Université de Liège
Sommaire Puzzle Éditorial Jacqueline Beckers.................................................................................................. 3 « Le métier change, la formation aussi » Comment contribuer par la formation des agrégés aux réformes du système éducatif Jacqueline Beckers.................................................................................................. 4 Médecine Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences : une autre approche de l’enseignement des activités physiques et sportives Marc Cloes - Anne Sophie Halkin.......................................................................... 11 Philosophie et Lettres Quand « philosopher » devient une compétence Véronique Dortu................................................................................................... 15 Pourquoi j’évite de rebattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences Jean-Louis Dumortier............................................................................................ 19 Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? Germain Simons.................................................................................................... 23 Développer une compétence fondamentale : voir Patrick Souveryns.................................................................................................. 32 L’approche par les compétences en didactique des médias Geneviève Van Cauwenberge - Véronique étienne................................................ 39 Psychologie et Sciences de l’éducation Un dispositif à visée professionnalisante Jacqueline Beckers - Marie Delchambre - émilie Lourtie....................................... 43 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Sciences L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants... et des formateurs Marie-Noëlle Hindryckx - Christine Daussogne..................................................... 48 Former les futurs professeurs de chimie à la pédagogie des compétences : quelques propositions pratiques et pistes de réflexion Bernard Leyh - Vivianne Collignon-Claessen......................................................... 52 La formation aux compétences en géographie Christine Partoune................................................................................................ 56 Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mobilisables ? Qu’en conclure pour la formation ? Maggy Schneider - Claude Varlet.......................................................................... 61 HEC-école de Gestion L’approche par les compétences en didactique des sciences de l’ULg économiques Jean-Marie Dujardin - Sophie Leruth - Marie-France Otto - Rosa Valle................. 67 Institut des Sciences humaines et sociales Faire et faire faire. Le principe d’isomorphisme dans la formation des enseignants de Sciences sociales Jean-François Guillaume - Michel Xhonneux........................................................ 73 Annonce..............................................................................................78 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Éditorial Jacqueline Beckers Éditrice responsable Éditorial Ce numéro de Puzzle est un peu particulier ; il est centré sur un thème unique : comment les futurs enseignants du secondaire supérieur, nos étudiants d’agrégation, sont-ils préparés, ou du moins sensibilisés, à travailler au développement des compétences de leurs élèves ? La thématique est unique, les manières de l’aborder sont évidemment diversifiées, riches des spécificités disciplinaires et de la sensibilité des professeurs de didactique spéciale à cette visée éducative. Dans tous les cas, la réflexion critique et/ou innovante par rapport aux acceptions d’une démarche orientée vers le développement de compétences et par rapport aux références officielles est au rendez-vous. Jacqueline BECKERS CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Le métier change, la formation aussi Jacqueline BECKERS Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, Service de Didactique spéciale de la Psychologie et des Sciences de l’éducation Université de Liège « Le métier change, la formation aussi »1 Comment contribuer par la formation des agrégés aux réformes du système éducatif ? 1. Les réformes : quelques éléments contextuels La réforme de la formation initiale des agrégés (8 février 2001 – MB 22-0201) est justifiée par la double nécessité de préparer les futurs enseignants à concrétiser les réformes du système éducatif et à favoriser l’apprentissage de tous les élèves dont la diversité va croissant, particulièrement dans l’enseignement secondaire. Dans sa priorité 5 (« Mieux préparer les enseignants »), le « Contrat pour l’école » (31 mai 2005) réaffirme le rôle de la formation dans l’évolution du système éducatif vers plus d’efficacité et d’équité. La Communauté française de Belgique a promulgué, au terme d’une série d’évaluations portant sur son système éducatif (Beckers, 2006), un décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement et organisant les structures propres à les atteindre, communément appelé « Décret-missions » (24 juillet 1997 – MB 23-0997). L’article 6 de ce décret définit les objectifs généraux de l’enseignement obligatoire. Le deuxième de ces objectifs prévoit d’« amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ». Par rapport à l’idéal d’une égalité des chances d’accès aux différentes filières de formation, caractéristique des revendications démocratiques de plusieurs pays européens dans les années 60, s’affirme ici une nouvelle figure d’égalité, celle des acquis, savoirs et compétences jugés essentiels à une insertion réussie dans la société actuelle tant sur le plan économique que social et culturel. Cet objectif sera, dans ce but, précisé par des référentiels communs à toutes les écoles, rédigés par des groupes de travail inter-réseaux et adaptés aux différents niveaux scolaires et matières. La fixation de références identiques, résultats minimaux à atteindre avec tous les élèves, devrait limiter les sources de la disparité dans les occasions d’apprendre liée notamment à la liberté pédagogique des pouvoirs organisateurs. En Communauté française de Belgique, la responsabilité de certifier est, pour l’essentiel, laissée aux établissements. Le Décret-missions prévoit néanmoins de mettre à la disposition des enseignants, à titre indicatif, des outils qui devraient les aider à vérifier le degré de maîtrise des compétences de leurs élèves. Construits et expérimentés eux aussi par des groupes de travail inter-réseaux, ils décrivent des épreuves-types ainsi que leurs paramètres de construction et les illustrent chaque fois d’un exemple que les enseignants devraient pouvoir transposer au parcours d’apprentissage de leurs CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 propres élèves. Ils commencent à être disponibles sur le site « enseignement. be ». Il ne s’agit donc pas d’imposer des outils clés sur porte. Aucune obligation ne pèse sur leur utilisation. Cependant, le Décret-missions précise, par exemple en son article 31, que le contrôle du niveau des études « comprend aussi la vérification : - de l’adéquation entre les activités proposées aux élèves et les compétences et savoirs requis ; - de l’équivalence du niveau des épreuves d’évaluation administrées aux élèves à celui des épreuves produites par la Commission des outils d’évaluation », et, en son article 99, que « Les décisions du Conseil de recours [contre les décisions du conseil de classe] se fondent sur la correspondance entre les compétences acquises par l’élève et les compétences qu’il doit normalement acquérir ainsi que sur l’équivalence du niveau des épreuves d’évaluation administrées aux élèves et à celui des épreuves produites par les différentes Commissions des outils d’évaluation. ». Ces avancées en matière d’évaluation devraient faciliter l’harmonisation des exigences ; par ailleurs, des évaluations externes diagnostiques non certificatives permettent aux enseignants de situer les acquis de leurs élèves2. L’introduction des compétences dans Le métier change, la formation aussi les prescrits du système éducatif en Communauté française de Belgique s’inscrit dans un contexte d’austérité et une logique industrielle d’efficacité (D erouet , 1992) : évaluation, recherche d’efficience, autonomie croissante aux pouvoirs locaux. L’État, de « providentiel » qu’il était dans les trente glorieuses devient « évaluateur » (Neave, 1985) ; il exerce sa responsabilité en conservant, par des mécanismes d’évaluation, l’emprise sur l’atteinte des objectifs communs. Cette contextualisation doit rendre le monde éducatif attentif, elle ne suffit pas pour voir dans ce changement curriculaire le signe d’une école vendue au monde de l’entreprise (voir par exemple les analyses de N. Hirtt, 1996). Bien comprise, la réforme curriculaire signifiée par le raccourci « approche par compétences », devrait orienter les pratiques pédagogiques vers plus d’efficacité et d’équité. Les résultats des élèves de la Communauté française de Belgique aux évaluations externes (par exemple, les récentes études PISA) se caractérisent par une faiblesse dans la maîtrise de tâches complexes, celles qui vont au-delà de l’application suggérée de « procédures de base » et par une grande disparité : les moyennes dans différentes matières cachent d’énormes écarts entre les élèves selon leur origine socio-culturelle et la part de variance des résultats liée à l’école est très élevée, particulièrement au niveau secondaire (voir Lafontaine et Blondin, 2004). 2. Une « approche par compétences » : de quoi s’agit-il ? * C’est d’abord, en Communauté française de Belgique comme dans d’autres systèmes éducatifs, une manière de définir des attendus de l’école, des objectifs terminaux à atteindre. Le Décret-missions (1997) définit, en son article 5, premier paragraphe, la compétence comme « l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». L’utilisation par le Décret-missions du mot « tâche »3, emprunté à l’ergonomie cognitive souligne que la compétence renvoie à l’action, à une transformation matérielle ou symbolique d’un réel contextualisé : convaincre un interlocuteur, modéliser un phénomène observé, critiquer une interprétation, dessiner un schéma de montage…, autant de finalités de tâches dont les conditions doivent par ailleurs être précisées. Les exemples pris ici, autorisés par la mention « ensemble organisé de… » de la définition décrétale, décrivent une tâche ouverte : plutôt que d’obéir à des règles fixes qui, si elles sont respectées, garantissent la réussite de l’action (procédure simple ou algorithme de résolution), elle appelle la recherche d’une ou de procédure(s) adéquate(s), nécessitant une adaptation des démarches au contexte, autorisant des approches différentes, voire des solutions multiples. La coutume scolaire conduit parfois à dénaturer une tâche ouverte en la répétant à l’identique, ou en la guidant pas à pas de l’extérieur (par une consigne qui découpe les étapes ou suggère les ressources à mobiliser), la tâche perd alors son caractère complexe… En conséquence, on considèrera comme complexe une tâche ouverte, « inédite » pour l’élève auquel elle s’adresse, et gérée de manière autonome par celui-ci. Un curriculum qui vise le développement de compétences ambitionne d’apprendre à chacun des élèves à s’acquitter de telles tâches complexes4. * C’est ensuite mettre en place d’autres pratiques pédagogiques et évaluatives. Si l’enjeu démocratique du système éducatif est précisément d’être ambitieux sur l’essentiel, il doit en conséquence mettre les élèves, à l’école, en situation d’acquérir et de mobiliser des ressources au service de tâches complexes en les aidant à y faire face. Ces tâches appellent chez l’élève une attitude curieuse et confiante, assumant l’incertitude de la situation. Cette attitude critique face au savoir doit impérativement être travaillée à l’école ; c’est sur de tels terrains que les inégalités socio-culturelles sont les plus importantes en effet. Ainsi les enseignants ont-ils deux responsabilités s’ils veulent développer des compétences chez leurs élèves. Tout d’abord, continuer à consacrer du temps pour l’acquisition de concepts, de théories, de procédures et d’algorithmes au pouvoir instrumental fort… ainsi qu’à la vérification de leur maîtrise. Si c’est effectivement en situation que les savoirs (déclaratifs et procéduraux) prennent sens, cette rencontre ne suffit pas à leur intériorisation comme ressources par l’élève. Pour maximiser les chances qu’ils soient effectivement mobilisés en situation, ils doivent avoir été travaillés et mémorisés dans certaines conditions que la psychologie cognitive a bien mises en évidence (voir Beckers, 2002b, pp. 92 à 98). Mais ce n’est pas suffisant, il faudra aussi apprendre aux élèves à mobiliser ces ressources au bon moment pour faire face à des tâches nouvelles mais proches d’autres tâches déjà rencontrées. La compétence ne s’exprime pas par la réussite d’une tâche singulière mais d’une famille de tâches mobilisant les mêmes invariants opératoires (Vergnaud, 1996). Les processus de décontextualisation et de recontextualisation, accessibles à un apprenant donné à un moment de son parcours, lui permettent de construire des manières efficaces d’organiser son action, valables pour des tâches de plus en plus diversifiées. La généralisation est au cœur de l’acquisition d’une compétence, c’est l’extension progressive des tâches auxquelles il peut faire face qui définit le niveau de développement d’une compétence chez un sujet. S’engager dans l’action, la réussir et comprendre le comment et le pourquoi de cette réussite sont les composantes à travailler simultanément pour le développement d’individus compétents et émancipés. Les auteurs (voir par exemple Le Boterf, 2000 ; Perrenoud, 2000 ; Roegiers, 2000) s’accordent généralement sur la nécessité de limiter le nombre de compétences à introduire dans un référentiel portant sur un niveau pédagogique donné, sinon la volonté démocratique de les travailler à l’école avec chacun restera un vœu pieux. Le développement des compétences demande en effet du temps et des exercices. Ici aussi, comme pour les ressources, il faut choisir et, selon CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Le métier change, la formation aussi l’endroit du curriculum où l’on se trouve, préparer les élèves à s’acquitter de catégories de tâches répertoriées comme essentielles à un champ disciplinaire donné et à des approches interdisciplinaires prometteuses ou alors, pour les sections professionnalisantes, critiques pour l’exercice d’un métier. De telles tâches devraient aider l’individu à comprendre et à agir et dès lors, à s’émanciper. Si l’on veut vraiment orienter un curriculum vers la construction de compétences, il ne suffit pas de plonger les élèves dans des situations problématiques diverses au gré de son inspiration ou des occasions qui s’offrent, il est indispensable d’identifier de telles « familles » de tâches en articulant critères épistémologiques et critères développementaux (Beckers, 2002). 3. Les rôles possibles de la formation L’analyse du contexte sociétal d’apparition de l’approche par compétences et de ses finalités est traitée avec les étudiants d’agrégation dans le cours d’« Analyse de l’institution scolaire et des politiques éducatives ». C’est dans les cours de didactique spéciale et à l’occasion des stages qui lui sont associés que les enjeux épistémologiques de cette approche, ses spécificités méthodologiques, ses promesses, ses dangers et ses difficultés peuvent être touchées du doigt par les étudiants et analysées dans une démarche critique qui convient au professionnel de l’enseignement qu’ils se préparent à devenir. Différents chantiers peuvent être ouverts à cet égard. 3.1. Prendre distance et enrichir le prescrit : référentiels, programmes, outils d’évaluation Les référentiels sont approuvés par le Gouvernement et adoptés par le Parlement ; ils constituent donc un prescrit légal : les « Socles de compétences » pour l’enseignement fondamental et l’enseignement secondaire du premier degré, les « Compétences terminales et savoirs communs » de la filière de qualification (humanités techniques et professionnelles), les « Profils de qualification et de formation » pour les options groupées de cette filière et, pour chacune des matières de la filière des humanités générales et technologiques, les « Compétences terminales et savoirs requis » dont la maîtrise est attendue à la fin de l’enseignement secondaire. Le public formé à l’agrégation est concerné par les trois derniers référentiels évoqués. Si l’existence même des référentiels constitue, dans le paysage belge marqué par une extrême décentralisation, une avancée qu’il faut saluer, ces premiers essais ne sont pas tous concluants, loin s’en faut… Il faut donc espérer que leur statut décrétal, qui heureusement les protège des oubliettes, ne rende pas impossible leur modification à la lumière de réflexions épistémologiques plus approfondies, d’expérimentations dans les classes et d’hypothèses qu’elles suggèrent… La formation initiale est un lieu privilégié pour des avancées de ce type. Les choix ou l’absence de choix qui s’expriment au travers des référentiels existants méritent d’être questionnés avec les futurs enseignants… * Les référentiels qui sont censés préciser les attentes au terme des humanités générales et technologiques s’intitulent tous « compétences terminales et savoir requis », ce qui pourrait exprimer la volonté de préciser l’essentiel à garantir sur un double plan : celui des savoirs et celui des compétences. L’illusion de cohérence suggérée par cet intitulé identique s’efface rapidement quand on se penche un peu plus avant sur les référentiels propres à chaque discipline. Une grande diversité d’approches signe l’absence d’un cadre conceptuel de référence commun, sans doute dommageable à la cohérence d’une réforme qui concerne un même corps d’enseignant. Nous n’y reviendrons pas ici (voir à ce sujet, Beckers et Voos, 2007), mais insisterons davantage sur l’absence de positionnement clair, dans un certain nombre de cas, sur ce qu’il faut considérer comme l’essentiel à garantir au minimum à tous les élèves. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Par exemple, pour réguler, sur le plan des « savoirs requis » les grandes disparités entre écoles, on s’attendrait à ce que les référentiels établissent une distinction entre : - des savoirs déclaratifs et procéduraux considérés comme des ressources incontournables pour comprendre son environnement et y agir et dès lors susceptibles d’être spécifiquement visés comme résultat d’un apprentissage organisé et - des contenus disciplinaires utilisables comme des matériaux interchangeables permettant le développement de compétences. Leur choix pourrait être optionnel, fondé sur les contextes d’apprentissage. Cette distinction est loin d’être claire dans chacun de ces petits livres verts… et s’il fallait considérer comme ressources incontournables les listes parfois longues fournies par certains d’entre eux, le réalisme de la proposition mériterait d’être sérieusement examiné… Le nombre des compétences propres à la discipline, présentées sous des étiquettes variables, est aussi très différent selon les référentiels : 4 en histoire, 4 en langues modernes, 5 en langues anciennes… mais 44 en biologie, 56 en chimie, 66 en physique… où elles désignent plutôt des savoirs et savoir-faire. L’articulation des savoirs aux compétences est donc loin d’être toujours claire… Le lien entre ces compétences disciplinaires et les « compétences » transversales donne également lieu à des différences notoires d’interprétation. Il faut dire que le Décret-missions a introduit une ambiguïté certaine en désignant (art. 5 § 9) comme « compétences » transversales les « attitudes, démarches mentales et démarches méthodologiques communes aux différentes disciplines, à acquérir et à mettre en œuvre au cours de l’élaboration des différents savoirs et savoir-faire ; leur maîtrise vise à une autonomie croissante d’apprentissage des élèves ». Le terme « compétences » se référant, comme on l’a vu, à des actions situées paraît inapproprié dans l’acception retenue ici (voir à ce sujet Rey,1996). Des tâches poursuivant la même finalité, par exemple problématiser au départ Le métier change, la formation aussi de l’analyse de documents de natures diverses, peuvent être proposées en histoire, en géographie, en sciences, en sociologie..., elles vont effectivement solliciter des activités mentales du même type chez les élèves, mais dans des conditions d’exploitation qui diffèrent fortement : les documents à analyser seront variables ; les concepts permettant d’interpréter correctement les données sont également spécifiques. Ces caractéristiques, liées au champ disciplinaire, peuvent expliquer, chez un même élève, des niveaux de réussite très variables à ce type de tâche selon sa contextualisation. Les travaux de psychologie cognitive (voir Glaser, 1986) ont en effet bien mis en évidence que la qualité des démarches mentales d’un individu dépend grandement de son degré de maîtrise des contenus abordés (voir aussi Chi, Glaser et Farr, 1988). C’est à nouveau l’articulation des savoirs aux compétences qui est en jeu ici, ce qui n’enlève rien à l’intérêt d’exploiter des démarches semblables dans des contextes diversifiés et multiples, disciplinaires ou interdisciplinaires, et de conceptualiser les démarches ainsi mises en œuvre. Cette approche devrait aider l’élève à développer son pouvoir d’action sur le monde et à se construire comme individu réflexif autonome et responsable. La place accordée aux compétences transversales dans les référentiels est très diverse. Dans certains, elles sont totalement absentes (français, langues modernes), à l’inverse d’autres leur font une large place (géographie, histoire, langues anciennes, mathématiques, sciences), parfois sans les nommer. Dans d’autres cas encore, les compétences relevées comme spécifiques à la discipline sont formulées en termes franchement transversaux (sciences économiques et sociales)… Enfin, peu de référentiels ouvrent la voie à des regroupements de tâches au moins à titre d’hypothèse de travail à tester. Seuls les référentiels d’histoire et de langues modernes fournissent des éléments facilitant la conception de familles de tâches. Quant aux langues anciennes, il nous semble pouvoir considérer les cinq compétences ciblées comme des grandes finalités des tâches à proposer ; il y a donc là aussi une esquisse de famille. * Le problème de l’articulation des savoirs aux compétences et de l’existence même de savoirs clairement objectivés se pose de manière dramatique dans le référentiel intitulé « compétences terminales et savoirs communs » censé présenter l’essentiel des attendus relativement aux cours généraux dispensés aux élèves de l’enseignement qualifiant. À ce niveau, n’est-ce pas davantage un vide qu’une absence de cohérence et de clarté qu’il faut regretter. Dans une perspective d’égalisation des acquis prioritaires, par ailleurs garantis par la délivrance du même diplôme (on se souviendra que les élèves des sections techniques et, après une septième année, les élèves des sections professionnelles, peuvent prétendre à l’obtention du CESS), l’existence même de deux types de référentiels, totalement distincts, élaborés par des groupes de travail différents, pose un problème éthique déjà évoqué en août 1997, au moment de notre première université d’été (voir Beckers, 1998)… * Les référentiels spécifiquement dédiés aux options groupées des différentes filières du qualifiant5 s’inscrivent d’emblée dans une autre logique : celle du développement de compétences professionnelles idéalement articulées aux situations professionnelles récurrentes dans les diverses conditions d’exercices du métier. L’option prise ici a été d’élaborer, sous l’égide de la Commission Communautaire des Professions et des Qualifications (CCPQ), des référentiels-métiers décrivant, pour des emplois-types6, les grandes fonctions ou ensemble de tâches concourant, au sein d’une activité productive, à assurer un certain type de résultats. De cette analyse des tâches auxquelles les travailleurs accomplis font face dans l’exercice de leur métier, les opérateurs de formation dégagent les activités et compétences dont ils peuvent prendre en charge l’apprentissage ; celles-ci sont organisées et décrites dans les profils de formation votés eux aussi par le Parlement et adoptés par le Gouvernement comme les autres référentiels en Communauté française de Belgique. La démarche adoptée en l’occurrence présente bien une spécificité par rapport à l’élaboration des référentiels pour l’enseignement général. Elle n’échappe pas cependant à la multiplication de micro-compétences qui risquent bien de faire perdre de vue le but prioritaire du métier. Les demandes des employeurs ne sont pas toujours dénuées d’ambiguïté entre une revendication générale d’adaptabilité, voire même de culture générale qui en serait le garant et les revendications d’une adéquation étroite entre les profils de formation et des attentes pointues par rapport aux tâches professionnelles des métiers existants actuellement. Ces deux positions renvoient bien à la distinction établie par Guy Le Boterf (1994) entre une approche « analytique » de la compétence, correspondant à la génération du taylorisme et de la pédagogie par objectifs, et une approche « combinatoire » comme disposition à agir. Là aussi l’attitude critique des futurs enseignants est de rigueur. Si la référence manque de clarté sur l’essentiel à garantir et sur l’articulation, dans cet essentiel, des compétences et des ressources qu’elles mobilisent, les programmes risquent de concrétiser de manière très diverse ces exigences. Or, davantage que les référentiels, ce sont les programmes qui guident au quotidien le travail des enseignants. Ceux-ci doivent être approuvés par une Commission des programmes ayant pour tâche de vérifier s’ils permettront effectivement d’atteindre les prescriptions décrétales, puis par le Ministre en charge de l’éducation. Cependant, cette commission ne peut suppléer aux imprécisions ou incohérences des référentiels euxmêmes… Notre université pluraliste prépare les enseignants de tous les réseaux. La confrontation des différents programmes est instructive, elle permet de repérer dans certains d’entre eux ce qui comble les vides et devrait enrichir l’approche méthodologique… L’analyse critique des manuels, quand ils existent, peut avoir les mêmes effets. * La construction des outils d’évaluation des compétences, proposés, rappelons-le, à titre indicatif, peut offrir une nouvelle occasion de préciser le cadre CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Le métier change, la formation aussi de référence. Ainsi, à l’occasion du suivi scientifique des groupes de travail de la filière générale et technologique de l’enseignement secondaire, J. Beckers et S. Andrianne ont tenté d’orienter la réflexion vers la proposition, à titre d’hypothèses, de familles de tâches. L’existence décrétale de référentiels qui dans certains cas, ne s’y prêtaient pas du tout n’a pas facilité les choses, l’absence de didacticiens dans certains groupes non plus... Par ailleurs, les situations proposées par les groupes de travail concrétisent, aux yeux des enseignants et des futurs enseignants, les types de tâches dont devraient pouvoir s’acquitter les élèves et éclairent dès lors les apprentissages nécessaires. Elles leur offrent aussi des occasions d’essais à mener dans leurs classes, ce qui est une source incontournable de réflexion. 3.2. S’essayer aux changements de pratiques appelés par cette modification curriculaire Ce deuxième chantier engage dans l’action professionnelle. C’est elle qui, préparée et analysée en retour, amorce la construction des compétences et de l’identité professionnelle des futurs enseignants. La collaboration avec les maîtres de stage est d’autant plus précieuse que le terrain des compétences n’est pas encore totalement défriché. Les apports et les gains sont partagés, comme dans toute vraie communauté d’apprentissage. L’orientation du curriculum vers le développement et l’évaluation des compétences complexifie l’exercice du métier des enseignants et des élèves. Et on peut craindre que cette complexité transforme le souci démocratique prôné par la réforme en sources d’inégalités importantes. Conduire avec les futurs enseignants une réflexion autour des difficultés liées à ce changement de paradigme est une responsabilité importante des formateurs. La gestion de tâches ouvertes réclame de l’élève des stratégies mentales de haut niveau taxonomique : identification du but de la tâche, anticipation des démarches et des ressources, pla- nification et mise en œuvre organisée des actions… Ces stratégies supposent un engagement cognitif que tous ne sont pas prêts ni également préparés à consentir… Le milieu familial avec ses pratiques éducatives, ses habitudes de vie et de langage, ses codes socio-linguistiques (voir déjà B ernstein , 1975 ; voir aussi Kherroubi et Rochex, 2004) joue souvent un rôle déterminant dans le développement de telles stratégies. Les élèves issus de milieux socio-culturellement défavorisés auront peut-être moins bénéficié de ces occasions ; le risque que ces pédagogies ouvertes soient dès lors élitaires est réel. Perrenoud l’avait déjà évoqué en 1985 à propos des pédagogies du projet. Le même danger guette une pédagogie par compétence mal comprise. Quand la tâche proposée aux élèves est trop ouverte, répondant à un contrat didactique trop flou, les élèves les plus démunis ne peuvent mobiliser que leur expérience première et immédiate du monde et ne peuvent redéfinir la tâche de manière pertinente convoquant les ressources et s’engageant dans le registre du travail attendu de l’école. Cependant, ne proposer à ces élèves que des tâches morcelées ou guidées pas à pas, favorisant une réussite à court terme entretient l’illusion d’un apprentissage réussi alors qu’il n’autorise le développement d’aucune compétence… (voir Beckers, 2005). Il y a donc un enjeu démocratique majeur à alerter les futurs enseignants sur ces risques et à les outiller pour qu’ils les évitent. L’enseignant aménage des situations avec l’intention de faire construire aux élèves un certain savoir. Cet implicite n’est pas également décodé par chacun. C’est de la responsabilité de l’enseignant de centrer tous les élèves sur les enjeux d’apprentissage de la tâche plutôt que sur sa seule effectuation, de les engager tous dans un traitement cognitif des objets proposés, éventuellement avec des moyens différenciés, de les inviter tous à en dégager des implications pour d’autres tâches du même ordre, dans d’autres situations… Cette clarification du contrat didactique est une condition sine qua non d’une approche vraiment démocratique de CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 l’égalité des acquis : à un niveau élevé d’exigence pour tous. Pour le jeune enseignant, l’action professionnelle ainsi profilée est tout aussi complexe. Quand l’organisation d’une leçon relève principalement d’une logique des contenus, la maîtrise des savoirs disciplinaires est suffisante pour la construire. Quand il s’agit de mettre les élèves face à une situation qui invite à agir et à construire au travers de cette action et de sa conceptualisation un savoir essentiel parce que réexploitable, il y a bien d’autres maîtrises à développer chez le futur enseignant ! Imaginer des situations de découverte permettant de se représenter la tâche et les ressources nécessaires, proposer des moments d’apprentissage intégrateur auxquels sont associées des procédures d’évaluation formative invitant explicitement l’élève à conceptualiser ses démarches, prévoir la vérification du niveau de maîtrise individuel de la compétence en proposant une tâche similaire à celles de l’apprentissage mais inédite. Autant de tâches professionnelles rapidement évoquées ici qui nécessitent des connaissances approfondies de la discipline qu’on enseigne mais ne s’y réduisent pas ! Que dire alors de la difficulté de planifier sur une année le déroulement des différentes séquences d’enseignementapprentissage. C’est une démarche cruciale puisqu’elle doit articuler en un processus cohérent le travail sur des ressources et leur organisation cohérente et l’aménagement de tâches complexes de différentes familles exploitées à des fins de découverte, d’apprentissage et d’évaluation. Cette composante de la professionnalité des enseignants est, à mon sens, impossible à travailler dans les conditions contextuelles d’une formation initiale n’offrant que des stages de durée limitée. Des manuels organisés dans cette logique devraient pouvoir soutenir les premiers pas dans le métier. Dans des proportions variables selon les disciplines, les savoirs enseignés dans les licences universitaires, à la pointe des derniers développements dans le domaine, ne correspondent pas aux savoirs à enseigner aux élèves même si ceux-ci sont dans les dernières Le métier change, la formation aussi années de l’enseignement général, a fortiori s’ils fréquentent des sections techniques et professionnelles où les cours généraux ont parfois bien du mal à résister aux pressions étroitement utilitaristes qui les appauvrissent considérablement. Peut-être la maîtrise de ces savoirs pointus aident-ils à prendre de la distance, à mieux dégager les noyaux durs indispensables à la compréhension profonde d’un champ de savoir et dès lors à la perception de ses apports à l’éducation de citoyen ? Rien n’est moins sûr. C’est loin en tous cas d’être l’objet d’une attention délibérée de la part des spécialistes chargés des cours universitaires. C’est incontestablement une première difficulté pour un enseignant débutant, difficulté d’ordre épistémologique mais aussi psychologique nécessitant parfois un vrai travail de deuil : comment transformer, sans le dénaturer, un patrimoine culturel en source d’apprentissage accessible à des enfants ou à des adolescents dans des contextes divers. Parfois même, à propos des leçons à donner en stage, la question se pose de réapprendre, correctement, des savoirs de base pour pouvoir les faire construire par autrui : il n’y a pas de temps pour ça dans la formation disciplinaire dispensée à l’université, il peut être difficile d’en trouver pendant les heures dévolues au cours de didactique spéciale. L’approche par compétence actuellement préconisée dans l’enseignement va-t-elle accentuer ces vieilles difficultés ? Elle augmente incontestablement chez les stagiaires le sentiment de non familiarité : ils n’ont pas souvent connu cette approche au secondaire. Pour ma part, j’avancerai une double hypothèse : cette déstabilisation ouvre une porte intéressante pour une réappropriation des savoirs comme ressources (intelligibilité du monde, pouvoir d’action sur celui-ci, construction identitaire) et le cours de « didactique spéciale » offre un cadre de référence conceptuel et des occasions d’apprendre ensemble autorisant ce travail de réappropriation. Avec une bonne dose d’optimisme certes, on pourrait même penser que cette entrée nouvelle dans les savoirs de sa discipline puisse enrichir les démarches qu’on y poursuit plus généralement, y compris dans des phases de spécialisation et de recherche ; ce qui reviendrait à escompter des effet collatéraux bénéfiques de l’insertion dans les masters de la finalité didactique… La tâche est passionnante mais gigantesque. La description des initiatives prises dans les différents services de didactique devrait permettre l’enrichissement réciproque. C’est l’objectif de ce numéro. Bibliographie Allal, L. (2000). Acquisition et évaluation de compétences en situation. In J. Dolz & E. Ollagnier, L’énigme de la compétence en éducation (pp. 77-95). Bruxelles : De Boeck, (Raisons éducatives ; 2). Barbier, J.-M. (1996). Introduction. In J.-M. B arbier (dir.), Savoirs théoriques et savoirs d’action. Paris : PUF. Beckers, J. (1998, juin). Analyse des enjeux et des changements requis par les nouvelles missions de l’école : Pistes de travail pour les ateliers. Puzzle, 4, 15-22. B eckers , J. (2002). Développer et évaluer des compétences à l’école : vers plus d’efficacité et d’équité. Bruxelles : Labor. Beckers, J. (2005). Est-il possible de faire de la pédagogie par compétences une alliée de l’équité à l’école ? Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale, 21-22, 41-64. B eckers , J. (2006). Enseignant en Communauté française de Belgique : mieux comprendre le système, ses institutions et ses politiques éducatives pour mieux situer son action. Bruxelles : De Boeck Université. 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Paris : PUF. Vergnaud, G. (2002, janvier). Forme opératoire et forme prédicative de la connaissance. Puzzle, 11, 10-18. Notes Titre de la brochure de vulgarisation présentant la réforme de la formation des enseignants. 2 Décret relatif à l’évaluation externe des acquis des élèves de l’enseignement obligatoire et au Certificat d’Études de Base au terme de l’enseignement primaire, adopté le 30 mai 2006. 3 La tâche, c’est ce qu’il y a à faire ; elle est définie en ergonomie par le but à atteindre et les conditions dans 1 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 lesquelles il doit être atteint (Leplat, 1992, p. 24). 4 Avec des nuances de formulation sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, différents auteurs s’accorderaient sur cette définition (voir Allal, 2000 ; B arbier , 1996 ; B eckers , 2002 ; G illet , 1991 ; L e B oterf , 1994 ; Perrenoud, 2000 ; Roegiers, 2000 ; T ardif , 1992 ; V ergnaud , 2002). 5 Certaines agrégations sont particulièrement en phase avec ce type d’enseignement. Ainsi, les agrégés en psychologie et sciences de l’éducation jouent un rôle crucial dans la formation des jeunes professionnels des métiers de l’humain comme les puéricultrices, les agents d’éducation, les animateurs, les aides familiales et sanitaires ; les économistes jouent également un rôle dans la préparation à certains métiers de ce secteur. 6 Regroupement de différents métiers concrets qui satisfont à un même type de fonction au sein d’une activité productive et présentent donc des similitudes dans les activités professionnelles, s’exprimant notamment par l’utilisation de techniques apparentées, un niveau de qualification et des formes d’organisation de travail proches. Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences Marc Cloes, Anne-Sophie Halkin Faculté de Médecine, service de Didactique de l’éducation physique Université de Liège Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences : une autre approche de l’enseignement des activités physiques et sportives 1. De la « gym » à l’éducation physique En Belgique, bien que l’éducation du corps ait toujours eu un statut différent de celui accordé au développement des connaissances, un cours « de gymnastique » a toujours été associé à l’enseignement obligatoire. Cette situation diffère pourtant selon l’âge des élèves. En effet, ce cours a été intégré dans les programmes de l’enseignement secondaire dès 1850 mais n’est apparu dans le programme des cours obligatoires du primaire qu’en 1979. Si l’appellation « gymnastique » a été officiellement remplacée par « éducation physique » en 1971, pour la plupart des acteurs de l’enseignement – élèves, enseignants, parents – les séances d’éducation physique restent encore aujourd’hui des « cours de gym », situation qui dévalorise quelque peu les changements « philosophiques » associés à l’évolution de la dénomination. Les finalités de ce cours ont fluctué depuis le 19e siècle. De vocation initialement militaire, visant à contribuer à l’établissement d’une société forte, elles sont devenues progressivement hygiénistes, centrées sur le développement harmonieux de l’organisme, grâce à la mise en action de toutes ses parties. Au début des années 70, elles ont répondu à une orientation sportive avant de se porter actuellement davantage sur le développement de toutes les dimensions de la motricité (cognitives, sensorimotrices et sociales). Le décret de 1997 définissant les missions des enseignements fondamental et secondaire en Communauté française lui confère le même rôle qu’à toutes les autres disciplines scolaires, à travers les objectifs généraux et compétences transversales (Ministère de l’éducation, 1997). De manière spécifique, les principes généraux présentés dans les documents précisant les socles de compétence et les compétences terminales (Ministère de la Communauté française, 1999, 2000) mettent clairement en évidence que le rôle des enseignants en éducation physique est directement lié au développement de compétences appartenant à trois champs disciplinaires (la condition physique, les habiletés gestuelles et la coopération sociomotrice) dans l’objectif d’améliorer la santé, la sécurité, l’expression et la culture motrice. Dès lors, ces quatre aspects sont aujourd’hui assimilés aux finalités premières de la discipline. 2. Quatre défis pour les formateurs Reposant sur un travail réalisé préalablement à l’arrivée du décret mission, deux groupes de réflexion – un animé par l’équipe d’enseignants et de chercheurs de l’Unité d’Education par le Mouvement de l’U.C.L. et l’autre influencé par l’Inspection d’éducation physique de l’AGERS – ont élaboré deux visions différentes de l’Education physique. Celles-ci ont conduit lors de la mise en place de la réforme de l’enseignement, à une interprétation différente des textes officiels par les responsables des deux principaux réseaux d’enseignement de la Communauté française. Il en a découlé la mise en place de programmes de cours différents selon les réseaux mais aussi des divergences dans la manière de fixer les priorités d’enseignement et d’appréhender la construction des séquences d’apprentissage. Ce manque d’uniformité interréseaux complique ainsi la tâche des praticiens mais aussi des formateurs. Ces derniers doivent donc relever un premier défi : faire comprendre les buts de l’enseignement de l’éducation physique à des jeunes dont l’expérience scolaire personnelle est extrêmement diversifiée. Par ailleurs, à l’instar de Parlebas (1976) considérant l’éducation physique comme une pédagogie d’intervention qui vise à transformer les conduites motrices des élèves, l’approche centrée sur le développement de compétences souligne l’ancrage de cette discipline dans une motricité plus large que celle appartenant à l’éducation sportive, relançant la traditionnelle opposition entre le sport et l’éducation physique (Hébert, 1925). Ceci place les formateurs face à un deuxième défi : amener les étudiants issus pour leur grande majorité du monde sportif et engagés prioritairement dans leur formation par CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 11 Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences amour du sport (Groupe de recherche interuniversitaire, 2003) à intégrer les objectifs de l’éducation physique parmi lesquels la recherche de performance n’est guère valorisée. Face à la croissance impressionnante de la prévalence de l’obésité et à l’augmentation de la sédentarisation des populations des pays développés, les plus hautes autorités en matière de santé publique se sont accordées pour désigner l’éducation physique comme la pierre angulaire du développement d’un style de vie actif (Tappe et Burgeson, 2004) au sein de projets d’établissement cohérents (Pate et al., 2006). Malgré ce support international, largement documenté dans les contenus proposés au sein des filières de formation des enseignants en éducation physique, il convient d’admettre que la perception de cette discipline au niveau secondaire s’écarte de l’image militante et idéalisée transmise aux étudiants (De Knop et al., 2005). La promotion d’un style de vie actif n’étant pas clairement mentionnée dans les textes officiels de la Communauté française (au-delà de la finalité santé associée à la condition physique), le troisième défi des formateurs consiste dès lors à faire admettre aux étudiants d’adopter cette philosophie même si les praticiens ont une perception diffuse de leur rôle à ce niveau (Cloes, Del Zotto & Motter, soumis). Il convient par ailleurs de noter que la publication du décret mission de 1997 et des textes nécessaires à son application a très largement perturbé les enseignants que les réformes ont l’habitude d’agacer. Si certains auteurs tels que Carlier (1998) soulignaient l’intérêt de ces changements, les témoignages et réactions des enseignants sur le terrain ne permettent toujours pas de considérer que ces derniers ont intégré cette nouvelle manière de penser leur travail. Prenant conscience de la réalité scolaire, les étudiants de l’AESS éprouvent ainsi des difficultés à trouver un équilibre. Cette mise à l’épreuve représente le quatrième défi auquel les formateurs sont confrontés : aider les jeunes enseignants à appliquer les modes d’action qui viennent de leur être proposés en résistant à la tentation de se conformer au poids de 12 la tradition. En tant que formateurs, présenter le concept de compétence aux étudiants et, surtout, leur faire adopter une attitude ouverte mais vigilante, soucieuse de chercher en quoi et comment cette notion va les accompagner dans la mise en œuvre de pratiques d’enseignement efficaces, font partie des missions primordiales que nous nous sommes fixées dans le cadre du cours de didactique spéciale. Cet article vise à décrire les principaux contenus théoriques et pratiques que nous proposons de manière à sensibiliser les étudiants à la philosophie de la pédagogie des compétences et à les convaincre de l’intégrer le plus efficacement possible dans leurs activités d’enseignement. 3. Un plan d’action multipolaire Le cours de didactique spéciale débute par une séance théorique au cours de laquelle les « compétences des enseignants » sont identifiées. Il s’agit essentiellement d’analyser les définitions et les textes officiels afin de produire des exemples. Ces derniers sont commentés afin d’éveiller les étudiants à la finalité de leur formation. Par ailleurs, ils sont également confrontés aux objectifs de l’enseignement et aux compétences transversales dans la perspective de souligner l’intégration du spécialiste de la motricité dans l’éducation globale des élèves qui lui sont confiés. Partant des propositions des étudiants, le didacticien illustre ainsi une facette du métier qu’ils ne perçoivent généralement pas souvent. Cette démarche est appuyée par une intervention de l’Inspection en éducation physique de la Communauté française. Un des quatre inspecteurs est en effet invité à présenter les compétences telles qu’elles sont envisagées par le décret et mises en application dans les écoles. L’intervenant présente ainsi les documents officiels que les enseignants doivent produire afin de souligner l’importance des compétences dans l’action éducative : préparations, journal de classe et cahier de bord, etc. En articulant théorie et pratique, les 25 compétences spécifiques de l’édu- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 cation physique sont ensuite passées en revue. Dans la partie théorique, les étudiants sont invités à partager leurs représentations à propos de chaque compétence disciplinaire. Les distinctions existant entre les deux principaux réseaux d’enseignement (champs et axes) sont mises en évidence. Des exemples issus de la pratique quotidienne sont abondamment fournis. Ils sont puisés directement dans les expériences vécues par les membres du service de didactique spéciale puisque certains de ces derniers occupent des fonctions pédagogiques dans l’enseignement secondaire. Dans le cadre de « séminaires pratiques », une approche visant à intégrer les compétences dans une préparation de cours est proposée. Elle se base sur trois étapes. La première consiste à déterminer les compétences à exploiter dans les différents champs ou axes à long terme (c’est-à-dire pour un cycle complet d’une même activité) et à court terme (pour une leçon). Dans la seconde étape, il s’agit de « transcrire » les compétences choisies en termes d’objectifs d’apprentissage de la discipline à long terme et à court terme. Pour la troisième étape, il reste à imaginer les activités à proposer aux élèves en relation avec les compétences et les objectifs fixés, c’est-à-dire identifier quelles situations d’apprentissage il convient de mettre en place pour atteindre les objectifs associés au développement des compétences. Les étudiants sont ensuite invités à mettre en pratique les notions vues au moyen d’exercices écrits, à réaliser seuls ou à plusieurs en classe. En voici un exemple : une compétence à travailler avec une classe imaginaire de x élèves est tirée au sort. Il s’agit d’exprimer celle-ci en termes d’objectifs d’apprentissage par rapport à une discipline sportive donnée et ensuite, de décrire de manière précise une situation d’apprentissage permettant de développer la compétence en question. Les propositions des étudiants sont présentées oralement dans une perspective de partage d’informations et d’échanges mutuels. Cet exercice est généralement associé à un intense processus de réflexion critique. Un travail plus important, toujours Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences axé sur les compétences en éducation physique, à réaliser à domicile leur est aussi proposé. Dans celui-ci, l’étudiant prépare un cycle de six leçons dans une discipline de son choix. Sa tâche consiste à détailler le processus d’organisation des compétences. L’étudiant doit clairement illustrer les liens entre les tâches d’apprentissage et les compétences recherchées. Il propose également un plan d’action dans cette même discipline, en prévoyant une évolution des compétences à atteindre de la 4e à la 6e année du secondaire. Enfin, les projets sont présentés oralement devant la classe et font l’objet d’une nouvelle discussion constructive. Les productions sont mises en commun (CD-rom) et contribuent à l’enrichissement du répertoire personnel de chaque étudiant. Dans un deuxième temps, plusieurs séances de cours (théorie seule, pratique seule, combinaison des deux) sont consacrées à la didactique spécifique de disciplines sportives particulières. Les contenus proposés aux étudiants reposent sur une analyse des compétences qu’il est possible de développer grâce à la pratique de l’activité. Ces activités représentent toujours un moment important car elles permettent de confronter la représentation sportive qu’ont les étudiants (apprentissage technique, recherche de performance) aux finalités éducatives de la discipline utilisée pour faire acquérir des compétences physiques, motrices et/ou sociales. L’évaluation est un moyen incontournable pour apprécier la maîtrise des compétences et l’atteinte des objectifs annoncés. Dans l’idéal, l’évaluation en éducation physique a lieu à l’issue de chaque thème d’apprentissage, en référence aux compétences poursuivies, dont elle est supposée vérifier le déve- loppement à l’aide d’une situation d’intégration (Klein et Hardman, 2007). Les étudiants sont invités à produire un document d’évaluation standardisé en s’aidant d’une fiche guide de référence de manière à suivre directement la ligne de conduite imposée. En effet, bon nombre d’enseignants en fonction évaluent dans l’urgence, sans trop de références aux objectifs poursuivis, à l’aide d’une épreuve unique simple, « pour mettre une note dans le bulletin » (Cloes, 2003). Au cours de leurs stages de responsabilité, les étudiants ont pour mission de préparer les leçons afin de pouvoir montrer à leurs superviseurs – maîtres de stage et membres du service de didactique – comment le processus d’enseignement mis en place peut être considéré comme pertinent dans la perspective du développement de compétences ciblées lors de chaque séance. Il leur est aussi demandé d’apporter « une valeur ajoutée » par rapport à ce qu’un entraîneur pourrait proposer. Les débriefings sont toujours une occasion de développer la pratique réflexive. Dans chaque stage de responsabilité, l’étudiant enregistre sa prestation (4e ou 5e séance) au moyen d’un caméscope, ses interventions verbales étant captées grâce à un émetteur FM. Ce dispositif lui permet de se déplacer librement dans toute salle de sport et de disposer d’un matériel de choix pour réaliser une séance de pratique réflexive. Celle-ci se déroule en plusieurs temps. Tout d’abord, le stagiaire effectue une autoscopie en respectant un guide d’analyse comportant plusieurs questions sur l’appréciation du travail des compétences visées dans la leçon. Par la suite, l’enregistrement vidéo est présenté à un moniteur pédagogique – un enseignant expérimenté – qui sollicite également la réflexion de l’étudiant et l’incite à revenir sur divers épisodes parmi lesquels l’adéquation des situations d’apprentissage par rapport aux objectifs annoncés constitue un thème particulièrement récurrent. à l’issue de leurs stages, les étudiants sont invités à rédiger un rapport dans lequel ils doivent à nouveau souligner la place qu’ils ont réservée au développement des compétences. Ceci fait d’ailleurs l’objet d’une question individualisée dans le cadre de l’examen théorique de didactique spéciale. Enfin, comme cela vient d’être mis en évidence, l’évaluation des étudiants accorde une place non négligeable à la manière avec laquelle ils sont capables de construire et d’animer des leçons en se focalisant sur des compétences particulières. Ainsi, lors de la leçon d’examen (en situation réelle), le didacticien spécialiste centre notamment son attention sur cet aspect. Dans le cadre de l’examen théorique, outre la question individualisée relative à une des leçons proposées lors des stages, les étudiants tirent au sort des questions les amenant à montrer comment ils procéderaient pour atteindre un objectif défini le plus précisément possible (encadré). Conclusion Pour conclure, centrer son enseignement sur l’acquisition de compétences ne coule pas de source. Un effort s’impose pour fixer des cadres de références et des repères permettant d’exploiter cette notion devenue incontournable. Une priorité de la formation consiste à amener les enseignants débutants à s’interroger sur l’impact des décisions qu’ils prennent avant, pendant et après l’intervention. En didactique spéciale de l’éducation physique, par l’intermédiaire des di- Exemple de question posée en juin 2007 à l’examen de didactique spéciale Vous êtes engagé dans un cycle de volley-ball avec une classe de 3e degré. Pour la prochaine leçon, vous comptez sur 21 élèves actifs et 3 dispensés. Vous disposez d’un plateau, de 12 ballons ainsi que de tout le matériel utile. Votre objectif consiste à développer la compétence 3.2 (« capter efficacement les signaux émis par ses partenaires et y réagir de manière interactive ») en travaillant la distinction réceptionneur/non réceptionneur. Proposez le contenu de votre leçon (40 minutes de temps utile) en veillant à impliquer au maximum les élèves dans leurs apprentissages et à respecter les principes susceptibles d’augmenter leur motivation. N’oubliez pas de justifier vos choix. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 13 Sensibilisation des étudiants de l’AESS en éducation physique au développement des compétences verses activités théoriques et pratiques qui jalonnent le cours, nous tentons de construire un canevas qui permettra aux étudiants de démystifier la notion de compétence. Ce développement s’effectue avec nos étudiants afin d’obtenir un consensus. Les avis, commentaires et suggestions formulés par les principaux intéressés lors de tables de discussion organisées chaque année en fin de formation confortent notre conception. En effet, lors de ces séances, le sentiment prédominant est très favorable. D’un point de vue plus personnel, nous devons rester modestes dans le sens où l’aisance affichée par les stagiaires dans la maîtrise de la pédagogie des compétences reste sujette à de nettes différences interindividuelles, soulignant tout l’intérêt des formations continuées. Bibliographie Carlier, G. (1998). La pédagogie des compétences : une chance à saisir par les professeurs d’éducation physique. Revue de l’éducation physique, 38,3, 133-138. Cloes, M. (2003). L’évaluation des compétences en éducation physique. Réflexions et propositions. Puzzle, 13, 30-36. Cloes, M., Del Zotto, D. & Motter, P. (nd). What PE teachers do to promote a lifelong active lifestyle in ������ their 14 students? An analysis by the critical incidents technique in Wallonia. Texte soumis pour publication dans les actes du Congrès international de l’AIESEP de Sapporo. Tsukuba : University of Tsukuba. De Knop, P., Theeboom, M., Huts, K., D e M aertelaer , K., C loes , M. (2005). 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CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Décret « Missions de l’école ». Bruxelles : Cabinet de la Ministre de l’éducation. M i n i s t è r e d e l a C o m m u n a u t é française (1999). Socles de compétences. Enseignement fondamental et premier degré de l’Enseignement secondaire. Bruxelles : Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique. M i n i s t è r e d e l a C o m m u n a u t é française (2000). Compétences terminales et savoirs requis en éducation physique. Bruxelles : Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique. Parlebas, P. (1976). Activités physiques et éducation motrice. Paris: éditions Revue E.P.S. Pate, R., Davis, M., Robinson, T., Stone, E., McKenzie, T. & Young, J. (2006). 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La raison de cette difficulté n’est pas de définir le champ conceptuel de cette méthode, mais de s’accorder avec les directives officielles. Nous sommes en effet confrontés à une situation relativement floue. Jusqu’à présent, ma recherche au sujet des compétences dans le cadre du cours de didactique spéciale en philosophie a porté sur un nécessaire travail de clarification. Dès lors, que l’on ne s’attende pas ici à trouver les principes d’application de cette réforme vieille de déjà dix ans, mais espérons tout au moins comprendre ce que l’on attend des enseignants. Mon pari est celui-là : leur « apprendre » la manière de faire philosopher des adolescents. Prenons les choses dans l’ordre pour tenter de situer le problème. Tout d’abord, et ceci n’est pas un scoop, nous formons de futurs professeurs de morale et non de futurs professeurs de philosophie. Une première question se pose dès lors : faut-il établir une distinction entre des compétences en morale et des compétences en philosophie ? Deuxièmement, les cours « dits philosophiques » ne disposent d’aucun référentiel de compétences établi aux travers de ce que nous nommons communément les « petits livrets verts » et qui assurent la cohérence de cette méthodologie. C’est donc de façon singulière que chaque pouvoir organisateur y va de sa perception dans l’établissement d’une pédagogie par compétences dans les cours « dits philosophiques ». Seuls les programmes des cours de religion catholique et de morale se caractérisent par une réflexion répondant au Décret Missions dans le chef de la pédagogie par compétences. Les autres programmes devraient, par ailleurs, bientôt s’y conformer. Le Conseil supérieur des cours philosophiques fraîchement élu a établi son cahier des charges en conséquence. En attendant, voyons comment a été envisagée l’approche par compétences dans les deux cours déjà concernés. 2. La foi et les compétences : enjeux du cours de religion catholique En religion catholique, les choses semblent claires. Le programme est introduit par une mise au point nécessaire à la pédagogie des compétences. Les exigences du Décret-Missions sont ainsi scrupuleusement respectées. La construction du sens de la vie constitue l’objectif essentiel du cours. On tente d’y arriver par la confrontation explicite entre les questions existentielles, les éléments culturels et les ressources de la foi. Voici pour la démarche élémentaire1. à côté de cette première exigence, tout le déroulement méthodologique du cours est désormais pensé en fonction de compétences disciplinaires, transversales ou terminales. Les grilles du programme appa- raissent comme autant de suggestions de séquences de cours qui se fondent sur dix thèmes et doivent concourir à l’acquisition de certaines compétences par les élèves. Ceci constitue les entrées et balises qui permettent aux enseignants de faire le meilleur usage du programme durant les six années du secondaire. Le choix de la thématique est laissé à l’enseignant en fonction de plusieurs facteurs, tels que par exemple les attentes du public ou préférences de l’enseignant. Les redites sont toutefois évitées par l’obligation de ne recourir qu’à deux entrées en matière pour chaque degré2. En regard des dix thèmes retenus, onze compétences ont été dégagées. C’est à l’enseignant qu’il revient d’établir son choix de compétences en fonction des sujets qu’il envisage. Pour chaque degré, il y a cependant une série de compétences qui constituent un socle incontournable, qui fera l’objet d’une évaluation en fin de chaque degré. Chacune des compétences disciplinaires est formulée de manière prédicative. Elles sont assorties d’une explication supplémentaire et de moyens possibles pour les mettre en œuvre. Les voici énumérées sans plus de commentaires : 1. Lire et analyser les textes bibliques 2. Décoder le mode de relation au religieux 3. Pratiquer l’analyse historique. 4. Interroger et se laisser interroger par les sciences positives et humaines. 5. Pratiquer le questionnement philosophique. 6. Discerner les registres de réalité du CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 15 Quand « Philosopher » devient une compétence langage. 7. Expliciter le sens des symboles et des rites. 8. Construire une argumentation éthique. 9. Pratiquer le dialogue œcuménique, interreligieux et interconvictionnel. 10. Explorer et décrypter différentes formes d’expression littéraire et artistique. 11. Discerner et analyser la dimension sociale de la vie humaine. Il me semblait nécessaire de faire écho à ce travail, que j’estime remarquable, tant par sa concision que par sa possible efficacité. Je sais par ailleurs qu’il ne me revient pas, au cours de didactique de la philosophie, de former les futurs professeurs de religion. Cette tâche revient à l’Institut supérieur de catéchèse et de pastorale et je sais que l’on consacre quelques heures à l’analyse de ce programme et de son articulation autour des onze compétences. 3. Morale et philosophie : pour des compétences identiques Ma tâche est moins aisée. La formation initiale des futurs professeurs de morale se fonde en partie sur l’analyse des programmes du réseau de la Communauté française et du réseau de la Province de Liège. Le réseau de la ville de Liège s’est aligné sur le document du réseau de la Communauté française. Le manque de cohérence entre les réseaux au sujet d’une même matière ne nous facilite pas le travail. Ce qui est sans doute plus inquiétant, c’est que la même perception de la pédagogie par compétences ne semble pas partagée. On peut en effet constater que dans le programme de morale de la Province, qui est en phase de révision complète et donc encore en plein chantier, on en est encore à hésiter sur la distinction entre compétences et objectifs. La seule certitude semble résider dans le fait que ce seront des valeurs à promouvoir au cours qui détermineront toute la méthodologie à suivre. Si le programme de la Communauté française a déterminé des compétences, je doute que les enseignants de ce réseau soient plus à l’aise avec cette pédagogie que ceux du réseau provincial. 16 Les inspectrices en fonction ont bien compris le malaise. Elles tentent d’y remédier, en consacrant bon nombre de réunions pédagogiques à clarifier la problématique3. Pour l’ensemble du cours de morale non confessionnelle dans le secondaire, on compte quatre champs de compétences disciplinaires. Le premier définit des capacités à sentir ou ressentir. Ce sont des compétences socio-affectives. « Elles visent le développement de la sensibilité, liées à la construction de l’identité, du lien social, et de l’ouverture au monde, à la nature et à l’art ». Le deuxième définit des capacités à penser et faire sens. Ce sont les compétences cognitives. « Elles visent à amener l’élève à conceptualiser, problématiser, argumenter, faire sens, se distancier par l’esprit critique, pratiquer le libre examen et développer la pensée inductive, analogique, métaphorique et créative ». Deux autres points précisent encore toute l’importance d’apprendre à penser et à pratiquer le libre examen et d’apprendre à penser avec les autres. Le troisième définit des capacités à choisir. Ce sont les compétences éthiques. Elles contribuent au développement de la conscience morale qui est lié à l’élaboration de l’autonomie du jugement moral par le libre examen, du jugement esthétique, du choix des valeurs et de la responsabilité citoyenne. Enfin, le quatrième champ de compétences définit des capacités à agir. Ce sont des compétences décisionnelles. Celles qui en définitive semblent le mieux pouvoir réaliser les trois principaux objectifs du cours de morale. Les compétences dites transversales définies dans le programme font référence d’une part à l’éthique et d’autre part à la citoyenneté démocratique. Ces deux types de compétences transversales rejoignent exactement les champs de compétences disciplinaires, l’un relatif à l’éthique, l’autre au pouvoir de décision. Ceci n’est pas pour faciliter la nécessité d’y voir clair dans la préparation des séquences de leçons. Avec ces compétences transversales, il s’agit donc d’amener l’élève, par la pratique de la clarification des valeurs et du débat argumenté, à choisir luimême ses critères moraux en accord CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 avec un souci d’universalisation. Ceci devrait contribuer à la construction de son identité. Quant aux compétences de citoyenneté démocratique, elles touchent à un apprentissage des principes et valeurs liés aux droits de l’homme et par voie de conséquence amènent à s’intéresser aux réalités politiques et juridiques du pays. Ces compétences supposent encore la préparation à la participation active de la part de chaque élève en tant que citoyen au sein de la société, sa capacité à s’y engager et à y exercer sa parole démocratique. Quant à moi, je propose de resserrer l’ensemble des compétences transversales autour de trois types d’exigences. Je les tiens en droite ligne des enseignements de Pierre Somville, qui les a expérimentées pendant quinze années dans ses propres classes. Optant pour un plancher résolument minimaliste et sans entrer dans le détail des programmes - mais en parfait accord avec eux -, je proposerai pour la classe de quatrième l’exigence suivante : qu’un seul parle à la fois, maître ou élève, étant entendu que l’enseignant reste celui qui distribue la parole. Cette exigence de départ est la seule façon d’organiser le groupe afin que le débat soit possible, que chacun, à tour de rôle, puisse y écouter l’autre, même si - et surtout si les avis divergent. L’expérience montre que cet apprentissage-là, souvent difficile, reste la clé du bon fonctionnement de la classe considérée comme une micro-société. Les principes d’écoute et de liberté de parole y sont, en effet, possibles, moyennant cet accord, sorte de contrat, à quoi chacun doit accepter de souscrire. La chose étant acquise, en classe de cinquième, on peut passer à autre chose. En plus du constat de se trouver tout à coup face à de jeunes adultes, heureuse métamorphose des adolescents turbulents de l’année précédente, on peut miser sur la compétence d’écoute et de respect de l’autre dûment (et durement ?) obtenue en quatrième. L’effort peut désormais porter sur un autre genre d’exercice : le résumé d’un texte d’idées. La première question y est de contextualiser l’extrait, ce qui suppose une (ou quelques) leçon(s) théorique(s), puis de le faire lire, en l’expliquant au besoin, avant de pas- Quand « Philosopher » devient une compétence ser, en classe, au résumé écrit. à ce stade, la difficulté reste toujours de faire admettre qu’un résumé n’est pas un copié-collé reprenant les phrases du texte, mais une vraie radiographie, dont le but est d’établir le « squelette » d’une argumentation, en faisant ressortir les opérateurs logiques et autres mots-outils. En sixième, enfin, là où le contenu proprement philosophique apparait avec le plus de netteté, on peut proposer, un cran plus haut, l’exercice de rédaction d’un semblable texte d’idées, traditionnellement appelé « dissertation ». Après avoir appris à lire, il convient d’apprendre à écrire. Le tout suppose ici a fortiori une théorisation et une contextualisation préalables non moins que conclusives et ouvertes sur d’autres entrées conceptuelles, logiques, idéologiques, éthiques, esthétiques, voire affectives… Le projet peut sembler modeste. Il l’est en effet. Cependant, à viser trop haut, on risque, par effet pervers, de ne rien obtenir. Quant aux compétences plus directement et spécifiquement disciplinaires, ne devraient-elles pas, par souci de clarté encore, se résumer aux compétences définies exclusivement pour le troisième degré ? Les deux dernières années de l’enseignement secondaire sont consacrées à l’initiation philosophique finalisant l’éducation morale. Les objectifs sont aussi précisés fonction de cette exigence philosophique. Ils sont au nombre de cinq : disponibilité à l’étonnement, aptitude à la décentration, ouverture à la réflexion, approche critique des savoirs, des normes et des valeurs, et enfin une interrogation sur le sens de la vie. Atteindre ces objectifs demande que soit mise en place une méthodologie didactique bien spécifique. Celle qui a été retenue est inspirée des travaux de Michel Tozzi. La problématisation, la conceptualisation, l’argumentation et enfin l’engagement perçus comme les quatre compétences fondamentales des deux années du degré de détermination permettant l’aboutissement de ces cinq objectifs. M. Tozzi définit un noyau dur dans l’apprentissage du philosopher. C’est son processus didactique articulé autour de la problématisation-conceptualisation-argumentation, auxquels il adjoint trois compétences philosophiques essentielles, à savoir la discussion philosophique, la lecture philosophique et l’écriture philosophique. Cette structure est le fruit d’une longue réflexion et a largement fait ses preuves. Le programme du cours de morale non confessionnelle s’en inspire. Quant à nous, et considérant sa qualité, nous prenons la liberté de nous en servir, et peut-être même de nous le réapproprier. C’est pour cette raison que nous nous permettrons d’en modifier quelques aspects, sans toucher au fond. Je traduirai par compétences, les trois éléments du dispositif que M. Tozzi dénomme « capacités ». Ces compétences seront mesurables par les capacités, que M. Tozzi envisage en tant que compétences, de lecture, d’écriture et de discussion. Ainsi entendue dans un cours de morale, la maîtrise des compétences que je viens d’évoquer signifie que l’élève puisse philosopher, c’est-à-dire « penser par soi-même »4. Le programme de morale pourrait très bien se contenter de ces quelques compétences sans pour autant négliger tous les aspects socio-affectifs, cognitifs, éthiques et décisionnels qui à mon sens sont à envisager autrement que sous le titre de compétences. Ceci relève peut-être du lieu commun, mais je me dois de le souligner, plus le projet sera modeste, dans le sens d’une liste aussi courte que possible de compétences, plus il sera efficacement intégré par les enseignants. Dans un tel projet, nul n’aura de difficulté à comprendre l’idée qu’il faille travailler des capacités avec les élèves. Celles-ci ne seraient pas non plus trop nombreuses et en suivant le raisonnement de M. Tozzi, on pourrait très bien les restreindre à trois : lecture, écriture et discussion. Envisagé avec quelques compétences réalistes, l’évaluation au cours de morale deviendrait d’emblée plus pertinente. évaluer des compétences de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation au travers des capacités à lire, écrire et discuter philosophiquement est tout à fait envisageable de manière objective, avec des critères de notation préalablement définis. Ceci mettrait fin à la difficulté que rencontre trop souvent le professeur de morale, à savoir la suspicion des élèves quand à des notes qu’ils contestent, parce qu’ils estiment ne pouvoir être jugés sur leur avis. C’est dans le sens de cette clarification radicale que j’envisage l’apprentissage par compétences avec les étudiants de l’agrégation en philosophie. Si certains de mes collègues, maîtres de stages, y voient l’ombre d’une systématisation, je les arrête tout de suite. J’ai eu à peine deux ans de fonction pour réussir à les convaincre de l’utilité de cette pratique, il me reste maintenant à pouvoir préciser mes objectifs, à multiplier les rencontres avec les praticiens et à affiner mes exigences auprès des étudiants pour les préparer au mieux à leur métier de demain. Exiger des futurs professeurs de morale qu’ils construisent le déroulement d’une leçon en vertu d’un processus didactique strict répondant aux exigences d’une pédagogie par compétences n’est pas nécessairement dogmatique. Pour ce faire et d’une manière qui demande à être complétée, je procède avec les étudiants de manière assez simple. Je consacre deux séances de cours à l’approche par compétences. Pour introduire le sujet, je distribue toute la série des brochures « Compétences terminales et savoirs requis ». Je leur demande de les consulter avec attention, de prendre note des passages incontournables. Ensuite, je leur présente les tenants et aboutissants de ces publications, dont les disciplines « dites philosophiques » sont, je l’ai dit précédemment, ignorées. Je leur demande alors d’imaginer et de rédiger, selon quelques consignes précises, un document du même type pour le cours de morale. Je précise que l’exercice s’appuie sur une bonne connaissance du programme de morale et de son référentiel, vus lors de séances précédentes. Le document est à réaliser pour la semaine suivante. Cette première séance est encore pour la suite consacrée à la mise en place du champ conceptuel des compétences. Je les informe aussi de manière nuancée et critique des courants pédagogiques qui en sont soit dé- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 17 Quand « Philosopher » devient une compétence fenseurs, soit détracteurs. La semaine suivante, la séquence de cours débute par un tour de table. Les étudiants présentent leur travail qui sera analysé en groupe. Cette discussion est suivie d’un exposé sur le processus didactique de problématisation-conceptualisation et argumentation, lequel est par de nombreux exemples tirés de manuels de philosophie. Je conclus cette leçon en insistant sur l’exigence de construire les schémas de leçon sur base de ces exemples. J’insiste pour dire que cette façon de faire est loin d’être parfaite, mais qu’elle fait en tout cas partie du début de mon cheminement didactique. 18 Après la table rase due au travail critique des prescrits envisagés dans ma thèse, le temps est venu de proposer du neuf. Notes Pour plus de détails, je renvoie à mon ouvrage, Les cours philosophiques revisités : une utopie ? (2006). Liège : éd. de l’Université de Liège, Coll. Sociopolis,. 2 Il y a donc en tout soixante grilles. On en compte une par entrée, donc deux par degré. Comme il y a trois degrés, cela fait six grilles à multiplier par le 1 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 nombre de thématiques. Je ne reviendrai pas sur les définitions de compétences et autres concepts liés à ce champ méthodologique. Tout est clair depuis notamment le livre de J. Beckers, (2002). Développer et évaluer les compétences à l’école : vers plus d’efficacité et d’égalité, Bruxelles : Labor, Coll. Pédagogie des compétences. 4 Sur cette notion, je renvoie à mon ouvrage, Idem. 3 Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences Jean-Louis Dumortier Faculté de Philosophie & Lettres, service de Didactique des Langues et Littératures romanes Université de Liège Pourquoi j’évite de rebattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences Passons très vite sur ce que tout le monde sait dans notre microcosme. à la fin des années 90, suite au décret de la C.F.W.B. du 30 juillet 1997 redéfinissant les missions de l’école, le Ministère de l’éducation a entrepris une réforme consistant à énoncer les objectifs d’apprentissage en termes de compétences et à ériger ces dernières en objets de certification. Des représentants de tous les réseaux d’enseignement ont alors — ceci est un peu moins connu — collaboré, dans la hâte et sous la férule d’un maître d’œuvre pour qui « réfléchir » (sérieusement) ne faisait pas rime avec « aboutir » (rapidement), à la rédaction de référentiels de compétences qui, depuis 1999, président à l’enseignement des différentes disciplines. Dans l’enseignement général et technologique tout au moins, car il fut regrettablement décidé de mettre sous le boisseau le travail de ceux que l’on avait chargés de définir des compétences pour les cours généraux dispensés dans l’enseignement dit aujourd’hui « qualifiant ». J’incline à penser que la récente réforme du qualifiant pâtit de cette décision, mais il n’y a pas lieu d’en dire ici davantage1. Aux candidats à l’agrégation dont m’incombe la formation professionnelle s’agissant de la discipline « français », je ne manque pas de signaler, lors de ma leçon inaugurale, l’existence du référentiel intitulé Compétences terminales et savoirs requis en français. C’est le prescrit légal, leur dis-je en substance, et en tant qu’agents de l’institution, vous devez le connaître et le respecter. Mais ce respect n’implique pas que vous renonciez à l’exercice du jugement critique. Ne sacrifiez jamais votre liberté de pensée sur l’autel des instructions officielles : ces instructions changeront au cours de votre carrière, elles changeront probablement plus d’une fois, et votre effarement, votre indignation, voire votre résistance au changement seront alors à la mesure de votre sacrifice. J’ajoute, pour contrebalancer les violons, que le référentiel est à apprendre par cœur, à suspendre à la lampe de chevet, à encadrer avec la photo des enfants, à consulter trois fois par jour, à faire assurer (très cher) contre le vol, à emporter même à la plage, à sauver prioritairement en cas de catastrophe naturelle et, surtout, à sortir, mine de rien, avec le journal de classe et les prépas du jour, en cas de visite de l’inspecteur ou du conseiller pédagogique. Plus sérieusement, je préviens : 1°) en tant que stagiaires, vous n’aurez pas à vous conformer à un (ou des) modèle(s) d’action considéré(s) par moi-même comme conforme(s) à la lettre — ne parlons pas d’esprit — du référentiel ; vous aurez en revanche à répondre aux attentes de vos maîtres de stage. Ces derniers exigeront ou n’exigeront pas que vous enseigniez de manière à favoriser, dans le chef des élèves, le développement de compétences et, s’ils l’exigent, vraisemblablement désigneront-ils par « compétences » des objectifs d’apprentissage sans commune mesure les uns avec les autres, ce qui ne laissera pas de vous rendre perplexes, pour peu que vous ne soyez pas du genre à foncer nez dans le guidon ; 2°) l’examen et les leçons publiques consisteront en la présentation et en la défense d’un dispositif d’apprentissage visant à rendre les élèves capables d’effectuer une tâche complexe, révélatrice d’une compétence de communication2. Tout au long de l’année, vous aurez l’occasion, au cours de didactique spéciale, d’observer et de mettre en question soit des dispositifs de ce genre, soit des pièces de tels dispositifs3. Pourquoi invité-je des jeunes gens sans expérience professionnelle à considérer d’un œil critique un référentiel de compétences que, par ailleurs, je les engage vivement à respecter ? Pourquoi refusé-je de leur faire prendre, dès le départ, le « bon pli » qui consisterait à ordonner tout leur travail de stagiaires à l’objectif de permettre le développement de compétences de communication4 ? Pour plusieurs raisons dont je vais faire état dans un instant, mais au nombre desquelles on chercherait en vain quelque prévention de ma part à l’endroit du projet de substituer à un apprentissage du français finalisé par l’acquisition et certifié par la restitution de savoirs sur la langue ou sur la littérature, un apprentissage finalisé, lui, par des compétences de lecture et d’écriture, d’écoute et de prise de parole impliquant la mobilisation de ces savoirs, un apprentissage certifié sur la base de tâches où trouvent à se CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 19 Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences concrétiser les compétences susdites. Plus je réfléchis à ce projet de substitution, plus je trouve, même en jouant à l’avocat du diable, de raisons de l’approuver. Si les savoirs langagiers et littéraires ne sont pas des ressources pour comprendre et pour produire des discours, s’ils ne servent pas aux élèves, d’abord, à prendre place dans la communauté discursive scolaire spécifiée par la discipline « français »5, s’ils ne leur facilitent pas l’accès à d’autres communautés discursives scolaires (toutes les disciplines ayant leur discours propre et bien des connaissances langagières étant indispensables à la compréhension comme à la production de ces discours disciplinaires), si les savoirs en question ne leur permettent pas d’avoir ensuite, dans l’enseignement supérieur, dans l’exercice d’une profession, dans toutes les situations de la vie publique ou privée, une intelligence plus vive de ce qui se dit ou s’écrit, avec ou sans intention artistique, s’ils ne leur permettent pas de bénéficier de possibilités plus étendues de prendre la parole ou, le cas échéant, la plume, alors je doute qu’ils aient vraiment leur place dans le patrimoine intellectuel qu’une génération entend léguer à la génération suivante. Sur l’entreprise de restructurer le cours de français, dans l’enseignement obligatoire, en faisant de certaines compétences de communication les piliers du nouvel édifice, ma position est donc sans ambiguïté. Mais alors pour quels motifs me gardé-je bien de présenter à mes étudiants le référentiel Compétences terminales et savoirs requis en français comme l’instrument de navigation qui doit leur donner le bon cap ? Quel démon pervers me pousse à ne pas choisir, de manière exclusive, des maîtres de stage qui se servent irréprochablement de cet instrument-là, et à ne pas imposer à mes stagiaires de l’utiliser eux-mêmes… quitte à donner l’exemple de (ce que je tiendrais pour) son bon usage ? De la première raison, j’ai maintes fois fait état, dans cette revue même et dans bien d’autres : le référentiel susdit n’est pas, à proprement parler, un référentiel de compétences de communication ; ce qu’on y trouve c’est une énumération, plus ou moins organisée, de capacités, 20 générales ou particulières, susceptibles d’être comptées au nombre des ressources impliquées par telle ou telle compétence. Il suffit, si l’on veut s’en convaincre, de lire la définition d’une compétence figurant à l’article 5 du décret de 1997 : on constatera sans nulle peine qu’aucun des quelque soixante-dix (!)6 items du référentiel ne correspond à cette définition-là — que les rédacteurs n’ont pas lue ? dont ils n’ont pas tenu compte ? dont il ne leur a pas été permis de tenir compte ? Je n’en sais rien et peu importe : quoi qu’il en soit, le résultat est fâcheux. En cas de doute persistant, ou d’obstination à croire que le titre du « livre de la loi » correspond bien à son contenu, que l’on consulte le référentiel concernant les langues modernes étrangères. Combien de compétences ? Quatre. Soixante-dix d’un côté, quatre de l’autre : c’est, d’une part, beaucoup trop, de l’autre beaucoup trop peu pour qu’il s’agisse effectivement, ici ou là, d’aptitudes à mobiliser les ressources nécessaires à la résolution des problèmes typiques d’une famille de situations de communication. Car c’est cela, une compétence de communication. Cela et pas autre chose. Et cela étant, est-ce que je faillis à mon devoir d’universitaire en mettant mes étudiants en garde contre la tentation de se fier à une boussole affolée et à un sextant faussé ? Ma seconde raison d’agir comme je le fais est la suivante : j’ai souvent eu l’occasion de constater que les items du référentiel sont utilisés comme autant de vignettes de conformité pour dédouaner des activités n’ayant que fort peu de chose à voir avec le développement de compétences de communication. Mes étudiants, que j’ai un temps contraints, à l’occasion de l’examen ou des leçons publiques, de mettre en rapport leur dispositif d’apprentissage et le référentiel, m’ont plus d’une fois dit que je leur imposais ainsi un exercice dont le formalisme les décevait, eu égard à mes propres exigences quant à l’appropriation des activités qu’ils avaient conçues à l’objectif de développement d’une compétence de communication. Les étudiants sont assez généralement lucides quand à l’inutilité de certains tra- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 vaux… Par ailleurs, j’ai fréquemment été perplexe en considérant ce que certains maîtres de stage proposaient comme leçons aux stagiaires — la plupart du temps avec la conviction de travailler eux-mêmes selon la logique des compétences. Perplexité n’est pas dénigrement. Ni contestation. Ni même critique : j’ai beaucoup de respect et de gratitude pour chacun des collègues du secondaire qui acceptent de collaborer avec mon Service. Mais je suis bien forcé de constater que la conception d’une compétence n’est pas la chose du monde la mieux partagée dans le cercle des professeurs de français. Et je constate également que la réussite relative des uns ou des autres, s’agissant de la motivation des élèves à apprendre et de leur aptitude à utiliser ce qu’ils ont appris, n’est pas fonction de leur conception des compétences. Dès lors, pourquoi dirais-je à mes étudiants qu’hors celle du décret de 1997, sur laquelle s’accordent maints spécialistes et que je tiens donc moi-même pour solidement fondée, il n’est pour eux point de salut ? Mais pourquoi m’acharner sur le référentiel, m’objectera-t-on sans doute, alors qu’existent des programmes qui éclairent davantage les enseignants néophytes sur la question des compétences ? C’est exact : les commissions qui ont établi les programmes se sont efforcées de tricoter les brins de compétences figurant dans le référentiel. Malheureusement, le point est large dans le programme du réseau libre et il est serré dans celui du réseau officiel. Mes étudiants proviennent des deux réseaux et, mis à part quelques-uns aux fermes convictions idéologiques, ils sont disposés à enseigner dans celui qui leur proposera le plus vite le poste le plus désirable. Aussi ne me vois-je pas soutenir qu’une compétence de communication c’est ce qui est désigné ainsi dans tel programme plutôt que dans tel autre. Soit, oublions les programmes, concédera peut-être mon contradicteur : restent les documents produits par la Commission des Outils d’évaluation, un organe interréseaux qui corrige le tir mal ajusté des auteurs du référentiel et ceux différemment ciblés des commissions de programme. Je reconnais Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences très volontiers que ces documents contiennent des dispositifs d’apprentissage d’une grande qualité et tout à fait propres au développement de véritables compétences de communication. Je pourrais assurément les utiliser pour exemplifier la procédure à suivre afin de construire un dispositif d’apprentissage de nature à rendre les élèves aptes à effectuer une tâche complexe de communication et à manifester ainsi qu’ils ont développé, jusqu’à un certain point tout au moins, la compétence de réaliser des tâches apparentées à celle-là, des tâches appartenant à la même famille que celle-là. Je pourrais soumettre les outils d’évaluation à la réflexion de mes étudiants, comme je soumets à leur réflexion les dispositifs ou les parties de dispositifs que j’ai moi-même élaborés. Je pourrais faire bon poids en ajoutant des chapitres entiers de manuels récents, conçus selon l’esprit de la réforme pédagogique dite des compétences : j’en ai dirigé, j’en ai cosigné, j’en ai même écrit intégralement un. Si je projetais de rompre mes étudiants à une méthode de travail convenant bien au développement de compétences de communication, assurément ne manquerais-je pas de moyens de réaliser ce projet. Mais ce n’est décidément pas le mien. Je ne souhaite pas que les A.E.S.S. à la formation desquels je contribue soient obsédés par les compétences parce que — c’est la troisième raison que je ferai valoir — je constate depuis plusieurs années que la crispation sur l’objectif de rendre les élèves aptes à effectuer une tâche de communication complexe (autrement dit l’objectif de les pourvoir de la compétence d’accomplir ce genre de tâches) conduit à oublier ce qu’est un cours. De français en l’occurrence. Un cours de français, c’est un enchaînement d’activités orientées par des buts d’apprentissage des contenus de la discipline. Des contenus redéfinis en termes de compétences de communication conditionnant l’accès à la communauté discursive scolaire, n’y revenons pas, mais qui n’en devraient pas moins présenter une organisation globale. Un cours de français, c’est un enchaînement d’activités orientées également par la prise de conscience des acquis disciplinaires et de leur contribution à la formation générale, un enchaînement d’activités susceptible de faire naître le désir de comprendre et de produire les discours spécifiques de la communauté en question. Or, ce qui me frappe et m’afflige, quand je considère les effets les plus communs de la réforme susdite, c’est, d’une part la fréquente solution de continuité entre les séquences d’activités, d’autre part… l’effusion de sens entraînant le manque de désir de comprendre et de produire les genres de discours qui spécifient la communauté discursive scolaire. Les séquences finalisées par une tâche de communication se juxtaposent au lieu de s’enchaîner et si les élèves sont (dans le meilleur des cas) conscients de ce qu’ils apprennent à faire au cours d’une séquence, ils savent de moins en moins pourquoi ils apprennent à faire cela. Le mal n’est pas nouveau, me dira-t-on. D’accord, ce n’est pas depuis ce matin que les élèves passent de l’étude de la pensée des Lumières à celle des chansons à la mode et ce n’est pas depuis ce matin qu’ils font leur « métier d’élève » sans se demander — ou sans songer à demander — pourquoi Rabelais et Montaigne plutôt que les séries télévisées. Ce qui est nouveau et à mes yeux bien regrettable, c’est la couche de bonne conscience que le fait d’œuvrer au développement de compétences répand sur ce qui est parfois un fatras sans rime ni raison. Vous avez en point de mire une tâche-problème de communication, vous ne perdez pas de vue la mire, vous faites ce qu’il faut pour rendre les élèves — pardon ! tous les élèves — capables d’effectuer cette tâche, vous êtes dans le bon, mon ami. Pas besoin de réfléchir ni de faire réfléchir davantage. Quand vous aurez terminé, vous pourrez passer à autre chose. Mes heures (de cours) sont comptées : plus j’en consacrerai au développement de compétences professionnelles permettant à mes étudiants d’œuvrer, demain, au développement des compétences de communication, moins j’en pourrai employer à susciter leur pensée critique sur des questions (que j’estime) cruciales comme celles-ci : 1°) quels sont, à votre avis, les apports propres de la discipline « fran- çais » à la formation générale dispensée durant la scolarité obligatoire, 2°) en quoi la communauté discursive scolaire spécifiée par cette discipline se différencie-t-elle des communautés discursives scientifiques, littéraires et linguistiques, dont vous avez appris à comprendre et à produire les discours ? 3°) sur quoi pouvez-vous faire fond et que vous manque-t-il (en fait de savoirs langagiers, en fait de savoirs littéraires) pour donner aux adolescents les moyens et l’envie de prendre place dans la communauté discursive scolaire propre à votre discipline — et pour leur donner accès à d’autres communautés discursives scolaires ? 4°) quel est le rapport entre telle activité de français — il en est tant de routinières ! — et l’apport particulier du cours à la formation générale ; s’il en existe un, comment le rendre (plus) sensible aux élèves ? 5°) comment tenir compte des pratiques culturelles hédonistes et consuméristes de la plupart des adolescents sans renoncer à leur donner accès à des œuvres, littéraires ou non, dont la qualité ne s’accommode guère de ces pratiques-là ? 6°) quelle attitude adopter face à des usages de la langue qui diffèrent de celui dont résulte le discours de la communauté scolaire ? 7°) comment rencontrer les attentes et répondre aux besoins spécifiques des élèves dont le rapport à la langue, le rapport aux savoirs langagiers et littéraires est fort différent du vôtre étant donné leurs ancrages socioculturels ? 8°) où trouver le fil rouge grâce auquel les apprenants auront les meilleures chances de percevoir que les tâches disciplinaires d’aujourd’hui ne sont pas sans relation avec celles d’hier, que les ressources nécessaires pour se mettre à l’œuvre maintenant ont, en grande partie, été précédemment acquises ? Restons-en là : l’énumération pourrait continuer longtemps. Elle suffit amplement, me semble-t-il, pour que l’on comprenne ce que je souhaite faire comprendre : à mon estime, la logique « technicienne » des compétences et, derrière cette logique, le formidable (au sens étymologique du terme : effrayant) projet d’évaluation pyramidale dans lequel s’inscrivent les épreuves CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 21 Pourquoi j’évite de rabattre les oreilles de mes étudiants avec les compétences internationales et le travail des commissions chargées d’outiller les professeurs pour assurer et pour contrôler le développement des compétences sont gros du danger de cantonner la réflexion des enseignants, de canaliser leur questionnement, d’orienter leurs doutes, de restreindre leurs possibilités d’initiative, bref de faire d’eux des agents institutionnels plutôt que des acteurs de l’éducation. Juste un mot là-dessus. L’agent exécute les tâches qui lui incombent, sans s’interroger sur le sens de ce qu’il fait, sur ce qu’il veut, lui, en le faisant et en le faisant ainsi. Dans une situation donnée, l’agent joue les rôles correspondant aux positions sociales qu’il occupe. Sans réfléchir à l’intention de ses actes, qui est la représentation du rapport entre les motifs et les buts de ces derniers. Sans réfléchir non plus à leur efficacité ni à leur efficience. L’acteur, lui, agit intentionnellement. Il évalue lui-même ses choix comme ses gestes et il régule son action compte tenu de cette évaluation. Lorsqu’il juge ainsi de ce qu’il fait compte tenu de l’intention dont procède et qui dynamise son action, c’est son histoire, ce sont ses valeurs, ses normes de comportement, ses besoins, ses désirs, ses projets personnels qui interagissent avec la prise de conscience de ses rôles sociaux et avec sa volonté de les assumer, ou d’assumer certains d’entre eux aux dépens de certains autres. L’acteur ne refuse pas de jouer un rôle social ou plusieurs, mais il n’accepte pas de n’être qu’un agent et de soumettre sans discussion son auto-évaluation à l’évaluation d’un tiers patenté qui apprécie impartialement sa manière de jouer son rôle. L’acteur n’est pas confiné dans l’institution. « Combien de maîtres aspirent à être des acteurs plutôt que des agents ? » me souffle dans l’oreille mon contra- 22 dicteur. Je détourne la tête. Je regarde mes étudiants. Je veux croire qu’il y a en chacun d’eux une disposition à répondre : « Moi j’y aspire ! ». Je fais mon possible pour renforcer cette disposition-là. Et je me garde de leur rebattre les oreilles avec les compétences. Notes Si quelqu’un entreprend un jour d’écrire l’histoire de la réforme de 1997 avec plus de liberté d’expression que je ne m’en accorde — ce sera sans doute quand il y aura prescription des erreurs —, il substituera des noms à mes périphrases, renoncera à mes déterminations indéfinies comme à mes nominalisations et ne se servira pas de la forme passive pour dissimuler les agents. Quant à moi, si je m’abstiens de « faire des personnalités » (comme on disait jadis), c’est moins par souci des convenances que par crainte de mêler les exécutants et les responsables et d’ainsi décharger ces derniers d’une part de leurs responsabilités. 2 Le canevas de ce dispositif figure dans le numéro 10 de Puzzle. 3 Je mets à la disposition des étudiants un portefeuille dont le contenu varie chaque année. Y figurent des leçons ou des séquences de leçons de nature à susciter la réflexion, entre autres quant au rapport entre appropriation des savoirs et développement des compétences. 4 La langue ne sert pas qu’à communiquer, j’en conviens. Elle sert aussi à appréhender le monde, à le mettre en ordre, à le connaître. Et elle sert également à élargir le champ du connaissable bien au-delà des limites de l’environnement immédiat. Je ne me ferai pas prier davantage 1 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 pour reconnaître la spécificité de ses usages artistiques : l’intention artistique singularise la production du « discours littéraire », elle requiert, dans la « conduite esthétique », une qualité d’attention procédant de la reconnaissance de cette intention, et l’on ne saurait donc, en tant qu’enseignant de français, faire bon marché de considérables différences dans les modes de communication. S’il importe de s’accorder là-dessus, il n’importe pas moins d’admettre que l’évaluation des élèves est conditionnée par le fait qu’ils disent ou qu’ils écrivent, à propos d’objets propres à la discipline, quelque chose à quelqu’un, dans un contexte spécifique. En d’autres mots, qu’ils communiquent. C’est donc au développement de compétences de communication que l’enseignant de français doit œuvrer. 5 Une communauté discursive, c’est un groupe humain au sein duquel circulent certains genres de discours sur certains objets. Une communauté discursive disciplinaire, c’est un groupe humain dont les activités langagières sont finalisées par la production de connaissances dans un champ disciplinaire donné. Les communautés discursives scientifiques, spécifiées par telle ou telle discipline de recherche, sont (plus ou moins) distinctes des communautés discursives scolaires, spécifiées les disciplines enseignées au cours de la scolarité. 6 Pour avancer ce chiffre approximatif, je m’en tiens aux « compétences » devant donner lieu à une certification et j’écarte des items qui figurent dans la partie « savoirs disciplinaires », items dont, soit dit en passant, certains s’apparentent plus à des compétences que ceux contenus dans la partie « compétences terminales ». Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? Germain Simons Faculté de Philosophie & Lettres, service de Didactique spéciale des Langues et Littératures germaniques Université de Liège Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? Cet article s’articule autour des quatre points suivants : 1. Quelques réflexions liminaires pour cadrer la problématique. 2. Description et commentaire des démarches entreprises au sein du Service de didactique spéciale des Langues et Littératures germaniques (DSLLG) de l’ULg dans ce domaine. 3. Problèmes rencontrés et esquisses de solution. 4. Bibliographie. 1. Quelques réflexions liminaires pour cadrer la problématique a. La formation initiale ne peut prétendre, à elle seule, former les (futurs) enseignants aux réformes du système éducatif. Certes, nous jouons un rôle important dans cette entreprise, mais il importe que les responsables de la formation continuée prennent le relais. Nous pensons que cette intervention des opérateurs de la formation continuée devrait se faire le plus tôt possible dans le parcours professionnel du jeune enseignant et que cette intervention pourrait être organisée en collaboration avec les opérateurs de la formation initiale. b. La didactique spéciale ne peut former, à elle seule, les futurs enseignants aux réformes du système éducatif. Il importe que chaque cours ou séminaire du programme de l’AESS ou de la future finalité didactique1 prenne sa part de responsabilité dans ce processus de formation, et que nous communiquions davantage sur les objectifs et contenus de nos cours afin d’éviter les redondances. c. Le rôle de la formation initiale à l’université est certes de former les futurs enseignants aux réformes du système éducatif ; cela étant - et c’est sans doute là une des spécificités de la formation universitaire - le rôle de notre formation initiale est aussi d’amener les futurs enseignants à poser un regard critique sur les réformes du système éducatif. d. Le problème de la pertinence des « savoirs savants » enseignés aux étudiants pendant leur formation scientifique par rapport aux besoins linguistiques engendrés par les dernières réformes du système éducatif – en ce compris la réforme de l’approche communicative dans le domaine des langues étrangères - est beaucoup trop important et complexe pour n’être qu’esquissé dans le cadre du présent article. Il en va de même du questionnement, légitime, que l’on peut avoir sur le niveau de maîtrise de ces savoirs savants par les futurs enseignants. Dans le présent article, nous feignons de croire que tous nos étudiants ont une maîtrise au moins satisfaisante des savoirs savants qui leur ont été enseignés, et que ces savoirs sont bel et bien indispensables pour l’exercice de leur future profession ; notre rôle consiste donc à les amener progressivement à assurer la transposition didactique de ces savoirs maîtrisés. 2. Description des démarches entreprises au sein du Service de didactique spéciale des Langues et Littératures germaniques de l’ULg dans ce domaine Notre formation en DSLLG se caractérisant par de nombreux « allers et retours » entre le cours, les exercices didactiques, les stages d’observation et d’enseignement et les séminaires de pratiques réflexives, on ne peut considérer l’ordre de présentation des sous-points suivants comme strictement chronologique. 2.1. Informer Pour que les (futurs) enseignants puissent mettre en pratique les réformes du système éducatif, il est évidemment indispensable qu’ils soient d’abord informés de l’existence des prescrits légaux. C’est là, apparemment, une évidence. Apparemment seulement car nous sommes parfois étonnés de constater que certains (jeunes) enseignants sont extrêmement hostiles à un décret, à un référentiel de compétences ou à un programme… qu’ils ne connaissent pas ou très/trop mal. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 23 Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? Dans le cadre du cours de DSLLG, les étudiants sont invités à lire certains extraits du Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre et du Contrat pour l’école – 10 priorités pour nos enfants -, l’intégralité des référentiels Socles de compétences en langues modernes et Compétences terminales et savoirs requis en langues germaniques, ainsi que les programmes de langues germaniques de la Communauté française et de langues modernes de l’Enseignement libre2. Les quatre premiers documents sont présentés et commentés par l’enseignant, les deux autres, en revanche, sont présentés par des groupes de trois à quatre étudiants, leur tâche consistant à synthétiser le document et à en présenter une analyse critique à leurs pairs3. Enfin, au terme de ces présentations, les étudiants sont invités à préparer une liste de questions qu’ils auront l’occasion de poser à deux experts ayant participé activement à la conception de ces documents officiels. à titre d’exemple, lors de l’année académique 2006-2007, nous avons invité Mme N. Bya, responsable du secteur langues modernes à la Fédération de l’Enseignement secondaire catholique, co-auteur du programme de langues modernes de l’Enseignement libre, et M. M. Dahmen, inspecteur de langues germaniques à la Communauté française et co-président de la Commission du programme de langues germaniques de la Communauté française (programme de l’enseignement de transition). Précisons que certains extraits ou chapitres de ces documents officiels sont illustrés par des exemples de séquences didactiques expérimentales et d’outils d’évaluation qui ont été conçus, mis en pratique et évalués par des membres du service de DSLLG dans le cadre de différentes recherchesactions. Ainsi, lors de l’année académique 2006-2007, deux exemples de séquences didactiques expérimentales articulées autour du concept de situation-problème ont été présentées aux étudiants. La première (Beckers, Simons, et al, 2001 ; 2002) portait sur l’identification et l’enseignement des stratégies de communication effica- 24 ces ; la seconde (Van Hoof, 2002) sur l’insertion des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans une séquence d’apprentissage articulée autour du concept de situation-problème. Précisons que la lecture critique des prescrits légaux mentionnés ci-avant ainsi que les exemples de mise en pratique de ces réformes, font partie intégrante de l’examen, ce qui nous garantit, au minimum, une lecture (attentive) de ces documents par tous les étudiants. Soulignons également que, dans le cadre du cours de DSLLG, la réforme de « l’approche par compétences » est aussi abordée à travers un éclairage historique. Ainsi, les étudiants découvrent que, dans le domaine des langues étrangères, cette réforme trouve son origine dans les travaux réalisés par le Conseil de l’Europe dans les années 70. Les « champs thématiques » qui sont repris dans les documents Socles de compétences en langues modernes et Compétences terminales et savoirs requis en langues modernes ainsi que dans les programmes de langues germaniques/modernes sont quasiment des « copiers-collers » du célèbre Threshold Level English4 de J. van Ek datant de 1976, et il en va de même pour la liste des fonctions langagières reprise dans le référentiel Compétences terminales… Quant au concept même de « compétences », on le retrouve déjà sous le libellé « four skills » dans les programmes de langues germaniques du début des années 80 ainsi que dans tous les manuels du début de l’approche communicative. Dans le cadre de ce volet historique du cours, nous tentons donc d’expliquer les éléments qui - sur le plan national mais aussi international - ont conduit à la réforme de « l’approche par compétences », mais aussi à la révolution de l’approche communicative. Sur la base de cet éclairage du passé, nous tentons également d’émettre quelques hypothèses sur l’avenir de l’enseignement des langues étrangères en Communauté française de Belgique. Dans ce cadre, nous sommes amenés à aborder, entre autres, le développement spectaculaire des programmes d’immersion, mais aussi l’avènement de ce que certains chercheurs ont appelé le « nouvel CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 éclectisme » (Puren, 1994). S’il est de notre devoir d’informer les futurs enseignants sur ces réformes et de faire en sorte qu’ils se les approprient, il est aussi de notre devoir d’universitaire de susciter chez eux une réflexion critique sur ces réformes. Pour amener les étudiants à cette réflexion critique, nous travaillons sur trois axes. L’analyse de ces réformes à la lumière d’autres volets du cours théorique, dont le volet « histoire des méthodes, » que nous venons de brièvement décrire, et le volet « recherche en didactique ». à ce sujet, il nous paraît en effet intéressant d’amener les étudiants à essayer de découvrir quels sont les fondements théoriques qui peuvent sous-tendre telle ou telle partie du programme de langues germaniques ou des référentiels de compétences. Par exemple, l’importance très relative accordée à une présentation linéaire et systématique des faits grammaticaux dans le programme de langues modernes de l’Enseignement libre et, dans une moindre mesure, dans celui de la Communauté française, trouve sans aucun doute son origine dans une conception assez Krashénienne (Krashen, 1981 ; 1985) de l’acquisition des langues étrangères, conception selon laquelle l’élève « apprend » principalement - y compris les structures grammaticales - par (simple) exposition à un « comprehensible input », qui doit se situer un degré au-dessus du niveau de l’élève (i + 1). Selon Krashen, l’ordre d’acquisition de la langue étrangère ne suit pas (nécessairement) l’ordre d’enseignement, ce qui le conduit à relativiser fortement l’importance d’une progression linéaire dans l’enseignement des structures grammaticales, mieux ou pire encore, à remettre en doute l’utilité même de l’enseignement de la grammaire. Pour prendre un autre exemple, qui n’est pas sans rapport avec le premier, le concept « d’approche en spirale » que l’on retrouve dans tous les programmes de langues étrangères ainsi que dans les manuels de l’approche communicative, trouve également partiellement son origine dans un courant de recherche qui développe la thèse selon laquelle l’apprentissage d’une langue étrangère suit un ordre univer- Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? sel, qui est, du moins en grande partie, indépendant de la langue maternelle de l’apprenant (Pienemann, 1986 ; 1999). La conséquence didactique de cette découverte linguistique est la suivante : comme les élèves d’une classe ne sont pas tous au même stade de développement, il convient de revenir fréquemment sur les mêmes structures grammaticales et de les affiner ; bref, il est indispensable de travailler « en spirale » pour avoir plus de chances de rencontrer chaque élève au moment où elle/il est prêt(e), dans son interlangue, à acquérir telle ou telle structure linguistique. Le débat avec des auteurs de ces réformes (voir point 2.4.). La mise à l’épreuve de ces prescrits légaux dans les classes (voir point 2.3.). 2.2. Préparer in vitro Une partie du cours de DSLLG est organisée sous forme d’exercices destinés à aider les étudiants à concevoir des plans de séquences didactiques ciblant les quatre macro-compétences langagières (compréhensions à la lecture et à l’audition, expressions écrite et orale) ainsi que les savoirs et savoirfaire linguistiques (lexique, fonctions langagières, grammaire). Un premier exercice consiste à partir d’une « unit » complète extraite d’un manuel et à sélectionner, dans tout le matériel proposé, des activités susceptibles d’être intégrées dans un plan de séquence didactique cohérent de quatre, six ou huit heures de cours5. Généralement, nous essayons de proposer cet exercice dans les trois langues germaniques, en utilisant comme support des manuels récents de l’approche communicative fréquemment utilisés par les maîtres de stage. En procédant de la sorte, nous familiarisons les étudiants avec des outils qu’ils seront amenés à utiliser pendant les stages6, mais nous suscitons également une réflexion critique par rapport à ces outils : Cette « unit » est-elle en phase avec les prescrits légaux ?7 Si non, que lui manque-t-il ? L’ordre des activités proposées vous semble-t-il propice à l’apprentissage ? Justifiez votre réponse. Tous les exercices sontils indispensables ? Manque-t-il des exercices ? De quel type ? Pourquoi ? Force est de constater que cette analyse critique des manuels s’avère de plus en plus indispensable. Un autre exercice, plus difficile, consiste à créer toute une séquence didactique (plan et activités prévues dans chaque leçon) qui soit adaptée à un certain nombre de paramètres qui sont imposés aux étudiants (année d’études, niveau de langue, nombre d’élèves, nombre d’heures de cours, compétences ciblées en priorité dans la séquence). Cette séquence doit impérativement inclure une brève évaluation ainsi qu’une séance de remédiation. Comme outil de référence pour cette séquence didactique, les étudiants ont à leur disposition un syllabus qui propose divers schémas didactiques ainsi qu’une grande variété d’exercices d’entraînement et de transfert (Simons, 1999). Les propositions des étudiants sont commentées par le formateur dans le cadre des exercices didactiques. Afin de faciliter le passage de ces exercices de préparation de séquences et de leçons à leur mise en pratique dans les classes (voir point 2.3.), nous proposerons aux étudiants, dès l’année académique prochaine, des exercices de « micro-teaching » assistés par la vidéo. 2.3. Exercer in vivo C’est lors des stages d’enseignement que les étudiants sont amenés à mettre en pratique les nouveaux savoirs et savoir-faire présentés dans le cadre du cours théorique et des exercices didactiques afférents. à l’heure actuelle, trois grandes périodes de stage sont fixées par le Cifen : novembre, janvier/ février et avril/mai. Pour affronter ce « choc de la réalité » (Veenman, 1984), il nous semble important que, pour le premier stage, les étudiants puissent évoluer dans un climat sécurisant sur le plan affectif ; c’est la raison pour laquelle nous leur permettons de réaliser ce premier stage (2 x 6 heures) dans leur ancienne école8. La deuxième période de stage, la plus longue, est celle où les étudiants peuvent le plus travailler dans la durée. Généralement, ils donnent cours dans deux classes différentes (une par langue) pendant deux semaines ; ils prestent donc seize heures de cours (2 x 8 heures). La dernière période de stage est de nouveau plus courte (2 x 6 heures) et intègre les leçons publiques, qui, dans notre cas, sont de « vraies leçons » réalisées in situ. Sur l’ensemble des stages, chaque étudiant est observé, au minimum, six fois par les membres du service de DSLLG, ce qui nous permet, entre autres, d’évaluer le niveau d’assimilation des réformes du système éducatif par les étudiants. Notons que les représentants du service et les maîtres de stage utilisent la même grille d’évaluation, laquelle grille est évidemment communiquée aux étudiants avant le début des stages ; par ailleurs, les étudiants peuvent consulter toutes les grilles d’évaluation après chaque période de stage. Ce mode de fonctionnement poursuit un quadruple objectif : a. attirer clairement l’attention des étudiants sur ce que nous considérons être les critères de qualité d’une séquence didactique et, de manière générale, de l’enseignement moderne des langues germaniques ; b. permettre aux étudiants de s’autoréguler au cours des stages ; c. assurer la plus grande cohérence possible entre les différents évaluateurs (les différents représentants du service et les différents maîtres de stage) ; d. familiariser les étudiants avec cette démarche de transparence dans l’évaluation pour qu’une fois devenus enseignants, ils la pratiquent également avec leurs élèves. Signalons également qu’au terme du premier stage, nous proposons aux étudiants qui ont éprouvé de grosses difficultés d’être filmés pendant la deuxième période de stage 9. Cette leçon filmée fait alors l’objet d’un séminaire d’autoscopie dont l’objectif est la prise de conscience, par l’étudiant, des problèmes qu’il a rencontrés en classe et la recherche de solutions pour les stages à venir. 2.4. Partager les expériences d’enseignement et réfléchir sur ses pratiques et sur celles de ses pairs Les séminaires de pratiques réflexives (dix heures) organisés pendant les périodes de stages sont un moment-clé de CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 25 Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? la formation initiale. Après avoir testé, ces cinq dernières années, diverses formules, plus au moins convaincantes, nous avons finalement opté pour une organisation en deux temps, qui nous donne satisfaction. Lors des trois premiers séminaires de pratiques réflexives qui sont organisés pendant les stages de novembre, nous amenons les étudiants à partager leurs expériences d’enseignement. Sur la base des notes que nous avons prises lors de nos visites de stages, nous invitons les étudiants à décrire et à commenter les activités qu’ils ont réalisées en classe ; le plus souvent, il s’agit d’activités ou de leçons qui nous ont paru particulièrement riches et innovantes10 et qui sont en phase avec les dernières réformes de l’enseignement des langues étrangères. Concrètement, les étudiants sont d’abord invités à présenter brièvement le contexte dans lequel ils évoluaient, les objectifs qu’ils poursuivaient dans cette séquence, les grandes étapes de la démarche didactique adoptée, puis à décrire, de manière plus précise, la leçon ou l’activité didactique repérée par les membres du service. Enfin, au terme de cette présentation, nous demandons aux autres étudiants s’ils ont donné une leçon ou organisé une activité semblable, et comparons les manières de procéder. Cet échange débouche généralement sur des suggestions de modification/amélioration de la leçon/activité présentée11. Force est de constater que les étudiants sont très réceptifs lors de ces échanges d’expériences ; le fait que ces (parties de) leçons aient été présentées et surtout données par leurs pairs – et non, par exemple, par des professeurs chevronnés, des moniteurs pédagogiques ou des inspecteurs - explique sans doute, en grande partie, la qualité de cette écoute. Les trois autres séminaires sont organisés pendant les stages de janvier/février. Dans cette deuxième phase, nous travaillons davantage sur les problèmes rencontrés par les étudiants pendant les stages. Pour que nous ayons l’occasion de préparer ces séminaires, nous demandons aux étudiants de nous envoyer par courriel des exemples de problèmes qu’ils ont vécus en classe et qu’ils souhaitent voir 26 traiter dans les séminaires de pratiques réflexives (voir point 2.5.). En équipe, nous analysons alors les problèmes qui nous ont été soumis. Enfin, lors des séminaires, avec l’aide des étudiants, nous proposons des pistes de solution pour résoudre ces problèmes. Outre l’intérêt évident que ces séminaires présentent quant à l’échange de pratiques innovantes et à la résolution (partielle) de problèmes spécifiques rencontrés pendant les stages, nous sommes convaincus que cette manière de procéder offre un autre avantage : elle apprend au futur enseignant à parler de ses pratiques à ses collègues, or on sait que cette démarche de verbalisation n’est pas si répandue dans les salles de professeurs - a fortiori quand elle porte sur les difficultés voire les échecs rencontrés -. Cette démarche est pourtant essentielle car on sait que ce mutisme dans lequel s’enferment parfois les (jeunes) enseignants peut parfois les conduire à un « burnout » précoce voire à l’abandon de la profession. Parler des succès et des échecs que l’on rencontre en classe est donc important et, exactement comme pour l’autonomie (voir point 2.6.), nous sommes convaincus que cela s’apprend. 2.5. Articuler théorie et pratique didactiques Lors de ces séminaires de pratiques réflexives, il nous arrive de réactiver des éléments théoriques abordés dans le cadre du cours de didactique spéciale, voire de présenter de nouvelles notions théoriques. Bien souvent, les étudiants y sont davantage réceptifs à ce moment-là que pendant le cours, sans doute parce que ces notions théoriques apparaissent alors comme des outils susceptibles de les aider à mieux comprendre et à résoudre une situation problématique qu’ils viennent de vivre12. à titre d’exemples, lors de l’année académique 2006-2007, deux grands problèmes ont été soulevés par les étudiants : celui de la gestion de l’hétérogénéité des niveaux de maîtrise - un problème qui occupe une place importante dans le Contrat pour l’école13 - et celui de l’évaluation de performances complexes en expression orale et écrite - un des épineux problèmes de l’approche par compétences dans le CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 domaine des langues étrangères -. En ce qui concerne la problématique de la gestion de l’hétérogénéité, nous avons présenté aux étudiants les résultats d’une recherche-action que nous avions réalisée dans ce domaine avec de jeunes enseignants (B eckers & Simons, 2000). Le problème de l’évaluation des compétences a, quant à lui, été traité en trois temps. Dans le cadre du cours théorique, nous avons d’abord fourni quelques grands principes de base relatifs à l’évaluation des compétences (Simons, 1999, pp. 158-164). Cette information a ensuite été complétée, toujours dans le cadre du cours, par les communications de Mme N. Bya et de M. M. Dahmen, tous les deux membres d’un groupe de travail au sein de la Commission « outils d’évaluation, » qui nous ont présenté bon nombre d’outils d’évaluation produits par cette commission. Notons que ces communications ont donné lieu à un véritable débat entre les étudiants et ces experts, débat qui fut parfois animé, mais toujours constructif, ce qui démontre, nous semble-t-il, que nos étudiants ont acquis un esprit critique affûté. Enfin, dans le cadre des pratiques réflexives, nous avons reçu Melle A. Campo, étudiante en 3e licence en sciences de l’éducation qui a présenté aux étudiants une grille d’évaluation de l’expression orale qu’elle a testée, dans le cadre de son mémoire, sur des élèves du secondaire apprenant l’allemand en tant que langue étrangère. Après avoir décrit et commenté la tâche d’expression orale soumise aux élèves ainsi que sa grille d’évaluation critériée, elle a invité les étudiants à visionner différentes productions d’élèves et à utiliser sa grille pour les évaluer. La séance s’est achevée par une discussion sur les points forts et faibles de cette grille d’évaluation et par la formulation de suggestions destinées à l’améliorer. 2.6. Rendre les étudiants autonomes Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre les enseignants du secondaire se plaindre du manque d’autonomie de leurs élèves. Depuis peu, on entend parfois le même type de critiques à l’égard des étudiants de l’université, en ce compris Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? ceux de l’AESS. Force est de constater que, dans le domaine de l’aide apportée aux étudiants, l’université a beaucoup changé ces dix dernières années, les étudiants étant aujourd’hui beaucoup plus « encadrés » - d’aucuns diront « maternés » voire « assistés » – qu’auparavant, surtout au niveau du baccalauréat14. L’AESS n’échappe pas à cette tendance générale puisque, depuis une dizaine d’années, nous bénéficions, grâce au Cifen, du soutien de moniteurs pédagogiques dont la fonction première est d’aider les étudiants dans la conception et l’exploitation de leurs séquences de cours. Loin de nous l’idée de remettre en question et encore moins de critiquer cette aide indispensable apportée aux étudiants, tant au niveau du baccalauréat que de l’AESS, d’autant qu’en ce qui concerne cette dernière, elle permet aux services de didactique spéciale d’engager, pour quelques dizaines d’heures par an, des enseignants qui sont toujours en contact direct avec la réalité du terrain, ce qui est fondamental pour une formation à caractère professionnel comme la nôtre. En revanche, il nous semble que si nous voulons que nos étudiants s’approprient pleinement les réformes du système éducatif, si nous souhaitons aussi, plus globalement, que les futurs enseignants amènent leurs élèves du secondaire à devenir des élèves plus autonomes et plus responsables, bref, si nous voulons rompre avec ce cercle vicieux du manque d’autonomie des élèves du secondaire manque d’autonomie des étudiants à l’université manque d’autonomie des enseignants manque d’autonomie des élèves…, il importe que nos étudiants de l’AESS et ceux de la future filière didactique se libèrent progressivement de l’aide fournie par les moniteurs pédagogiques et autres assistants. En un mot comme en cent, il faut qu’au terme de cette formation initiale, les étudiants soient capables de voler de leurs propres ailes. Convaincus que l’autonomie s’apprend, et qu’elle s’apprend par un processus de balises que l’on fixe, dans un premier temps, aux étudiants, puis qu’on leur retire progressivement, nous imposons les séances de monitorat pour les 1er et 2e stages, mais les supprimons lors du troisième et dernier stage. Pour l’année académique prochaine, nous envisageons de les rendre facultatives lors du 2e stage. Selon la même logique, on pourrait imaginer fixer, pour chaque période de stages, des exigences différentes, allant du plus « directif/assisté » (par exemple, travailler avec telle « unit » de tel manuel), au tout début de la formation, au plus « permissif/autonome » (l’étudiant choisit, avec l’accord de l’enseignant, les objectifs qu’il poursuivra dans cette séquence, construit sa tâche d’aboutissement et élabore toutes les activités d’apprentissage nécessaires), à la fin de la formation. 3. Problèmes rencontrés et esquisses de solution 3.1. De la nécessité de disposer de périodes de stage suffisamment nombreuses et longues Dans une formation professionnalisante, les problèmes d’ordre logistique sont tout sauf insignifiants. C’est un secret de polichinelle que la pédagogie par situation-problème recommandée par le programme de langues modernes de l’Enseignement libre, et, à quelques nuances près, par le programme de langues germaniques de la Communauté française, est assez « chronophage ». Heureusement, depuis la réforme de l’AESS introduite en septembre 2001, le volume d’heures de stages d’enseignement a doublé, passant de vingt heures de stages à quarante. La difficulté que nous rencontrons cependant en DSLLG est de trouver assez de maîtres de stage qui acceptent d’accueillir des stagiaires dans leurs classes pour une période suffisamment longue (au minimum deux semaines dans la même classe) pour leur permettre de mettre en place des séquences plus complexes articulées autour de situations-problèmes. Et quand bien même la majorité des professeurs accepterait, il faudrait encore que nous disposions de périodes de stages suffisamment longues pour que ce soit réalisable, ce qui – c’est du moins le cas pour la Faculté de Philosophie et Lettres - risque de devenir difficile à partir de l’année académique prochaine15. 3.2. De l’écart voire du fossé qui peut parfois exister entre les pratiques préconisées par les uns et les autres Un des problèmes majeurs que nous rencontrons dans cette entreprise de formation des agrégés aux réformes du système éducatif est qu’un certain nombre de maîtres de stage avec lesquels nous travaillons – une grosse centaine d’enseignants dans le cas de l’AESS en Langues et Littératures germaniques à l’ULg - ne sont pas toujours suffisamment bien informés sur les objectifs et le contenu de ces réformes, et encore moins formés à les appliquer. Autre cas de figure, pas si rare que cela : les maîtres de stage sont bien informés voire formés, mais n’adhèrent pas (du tout) à ces réformes. Notons d’emblée que cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient automatiquement de « mauvais enseignants », d’autant que ces réformes ne sont pas exemptes de reproches. Toujours est-il que nos étudiants se trouvent parfois dans une situation très inconfortable, tiraillés entre, d’une part, des pratiques conseillées par le didacticien spécialiste (et/ou généraliste), ses assistants et ses moniteurs pédagogiques - quand il n’y a pas de contradictions entre ceuxci, ce qui peut aussi arriver -, et, d’autre part, les pratiques du maître de stage, qui peuvent parfois être (très) éloignées des premières mentionnées. Certes, la diversité des éclairages peut-être bénéfique à la formation de l’identité professionnelle mais nos étudiants ont également besoin, surtout au début de la formation initiale, d’un minimum de cohérence. De toute évidence, il importe que nous travaillions encore davantage avec les responsables de la formation continuée pour que les pratiques que nous préconisons et celles recommandées par les maîtres de stage soient plus proches16. C’est dans ce sens que nous œuvrons depuis plus de six ans puisque nous avons mené trois programmes de recherches-actions avec l’inspection des langues germaniques de la Communauté française (Beckers, Simons, Dahmen et al, 2001-2002 ; 2002-2004 ; 2004-2006) pour et avec certains de nos maîtres de stage. Les principaux CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 27 Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? résultats de ces recherches sont présentés, par le didacticien spécialiste, dans le cadre de la formation initiale, mais aussi, par l’inspection, dans le cadre de journées de formation continuée. Bien sûr, il peut paraître plus économique et efficace de former directement – par exemple, par le biais de journées d’études ou de colloques – les maîtres de stage qui reçoivent nos étudiants dans leurs classes17, et les deux démarches peuvent d’ailleurs être complémentaires ; mais, pour tout dire, nous ne sommes guère convaincus de l’efficacité de cette procédure à moyen et à long termes. à l’instar de T.R. Guskey (1986), nous pensons que les enseignants ne modifient de manière substantielle leur manière d’enseigner que s’ils ont eu l’occasion de concevoir et de tester des innovations dans leurs propres classes, et que ces dernières s’avèrent, à leurs yeux, efficaces. Nous pensons que si le discours tenu par nos maîtres de stage se rapproche du nôtre mais que leur pratique en classe - observée par les étudiants dans le cadre des stages d’observation - continue à s’écarter radicalement des modèles proposés au cours de DSLLG, alors nos étudiants seront encore plus déboussolés. Nul doute que, dans cette communication didactique parasitée, entre le discours et la pratique, nos étudiants finiront par croire ce qu’ils ont vu, dans la classe, plutôt que ce qu’ils ont entendu, dans la salle des professeurs. 3.3. De la nécessité de mieux encadrer les jeunes professeurs lors de leur première année d’enseignement La formation des enseignants aux réformes du système éducatif est certes de la responsabilité de la formation initiale, mais c’est aussi celle de la formation continuée. Force est de constater que le contexte des stages d’enseignement reste un contexte relativement artificiel puisque le maître de stage assiste aux cours et que les classes confiées aux étudiants sont, dans la très grande majorité des cas, et c’est bien normal, des classes qui ne posent guère de problèmes. Les témoignages de nos anciens étudiants 28 sur les premiers mois d’enseignement après l’agrégation montrent que le « choc de la réalité » est parfois extrêmement rude. Par ailleurs, la littérature scientifique dans ce domaine démontre que la manière avec laquelle les jeunes enseignants vont négocier cette période critique est susceptible de déterminer (positivement ou négativement) le reste de leur carrière d’enseignant (Huberman , 1989). Il importe donc, selon nous, que l’on encadre davantage les jeunes enseignants lors de ces premiers mois d’enseignement, d’autant que, pendant cette période charnière, ils sont encore relativement « plastiques » sur le plan didactique, ce qui n’est plus nécessairement le cas après quelques années d’enseignement. Pour faciliter ce passage délicat de la formation initiale vers la formation continuée, pour créer cette indispensable passerelle qui aujourd’hui semble faire défaut, on pourrait imaginer – pour autant que l’on débloque des moyens humains et financiers pour cette entreprise - organiser certains modules de formation continuée en collaboration avec l’inspection et les responsables de la formation continuée. La double formule que nous avons testée dans le cadre des séminaires de pratiques réflexives – le partage de pratiques innovantes, d’une part, et l’analyse de difficultés vécues par une majorité de jeunes enseignants et la recherche collégiale de solutions appropriées, d’autre part – pourrait être explorée. Bibliographie Allal, L. (2000). « Acquisition et évaluation de compétences en situation » in J. Dolz. & E. Ollagnier (Eds.). L’énigme de la compétence en éducation. Bruxelles. De Boeck, pp. 77-95. Beckers, J. (2002). Développer et évaluer des compétences à l’école : vers plus d’efficacité et d’équité. Bruxelles. Labor. B eckers , J. & S imons , G. (2000). « Establishing a research/training partnership to facilitate the professional integration of novice teachers and help them become reflective practitioners » in C.W. Day & D. van CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Veen (Eds.). Educational Research in Europe. Yearbook 2000. Leuven/ Apeldoorn. Garant Publishers & European Education Research Association (E.E.R.A.), pp. 125-138. Beckers, J., Simons, G., Charlier, J.-F., D’Onofrio, B., Pêcheux, S., Stadler, C. (1998). « Analyse d’un programme de formatio������������ n-recherche destiné à favoriser une entrée positive dans la vie professionnelle de jeunes agrégés de l’enseignement secondaire supérieur : deuxième partie » in Puzzle. Liège, n°5, décembre 1998, pp. 8-16. Beckers, J., Simons, G., Dahmen, M., Doppagne, V., Hertay, A., Seron, N. (mars 2001, septembre 2001 ; mars 2002, septembre 2002). Analyse des stratégies de communication utilisées par les élèves de l’enseignement secondaire général supérieur dans l’expression orale en langues étrangères et recherche d’une optimisation de ces stratégies à travers la mise en place d’un programme de recherche-action. Quatre rapports de recherche pour les membres du Comité d’accompagnement. Bruxelles. Communauté française. Beckers, J., Simons, G., Dahmen, M., Halkin, R., Simons, G., Hendrix, D., Hertay, A., Van Hoof, F. (avril 2003, septembre 2003 ; mars 2004, septembre 2004). Mise en place d’un programme de recherche-action visant à élaborer des outils didactiques dans le but de favoriser l’évolution des représentations des apprenants à l’égard de la culture étrangère et de développer leur maîtrise des quatre macro-compétences langagières : programme de recherche destiné à des élèves francophones de l’enseignement secondaire supérieur étudiant le néerlandais et à des élèves néerlandophones apprenant le français. Quatre rapports de recherche pour les membres du Comité d’accompagnement. Bruxelles. Communauté française. Beckers, J., Simons, G., Dahmen, M., Devreux, V., Monville, B. (mars 2005, octobre 2005 ; mars 2006, octobre 2006). L’accès-libre : une reconfiguration efficace du métier de l’élève et de l’enseignant ? Observation et analyse des conditions Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? d’efficacité. Quatre rapports de recherche pour les membres du Comité d’accompagnement. Bruxelles. Communauté française. Communauté Française de Belgique (juillet 1997). Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre. Bruxelles. Cabinet de la ministre de l’éducation. Communauté Française de Belgique (1999). Socles de compétences – langues modernes –. Bruxelles. Ministère de la Communauté française. Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche scientifique. Communauté Française de Belgique (1999). Compétences terminales et savoirs requis en langues modernes. Humanités générales et technologiques. Bruxelles. Ministère de la Communauté française. Communauté Française de Belgique (2000). 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ULg, Faculté de Philosophie et Lettres, Département de Langues et de Littératures germaniques, Service de didactique spéciale des Langues et Littératures germaniques. Simons, G. & Beckers, J. (1999). ����� Vers une gestion optimale de l’hétérogénéité des niveaux de maîtrise dans l’enseignement des langues étrangères : description et commentaire d’une recherche-action sur l’apprentissage différencié des stratégies de compréhension à la lecture. Liège. ULg. Centre interfacultaire de formation des enseignants/Service de didactique spéciale des Langues et Littératures germaniques et Service de didactique générale et de méthodologie de l’enseignement secondaire. Simons, G. & Dahmen, M. (2001). « Problématique de l’authenticité vs artificialité dans l’enseignement des langues germaniques : pistes de réflexion et esquisses de solutions » in Puzzle no10, juin 2001, pp. 37-41. S imons , G., D ahmen , M., H ertay , a., Seron, N. (2002). « Construire avec des enseignants des outils pour développer la compétence orale en langues étrangères : synthèse provisoire d’un programme de formation-recherche sur l’optimalisation des stratégies de communication CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 29 Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? en anglais » in Puzzle, no11, janvier 2002, pp. 31-41. Van Hoof, Fl. (2002). Les TIC au cours de langues germaniques : s’en méfier ou les intégrer ? Enquête sur l’utilisation des Centres Cybermédias par les enseignants de langues germaniques et exemple d’intégration d’un logiciel d’apprentissage du néerlandais langue étrangère dans les pratiques d’enseignement des germanistes, mémoire de fin d’études du DES en formation et didactique des disciplines. Liège. Université de Liège, Centre interfacultaire de formation des enseignants. V eenman , S. (1984). « Perceived Problems of Beginning Teachers » in Review of Educational Research, vol. 54, n°2, pp. 143-178. Notes à partir de l’année académique 2007-2008, le programme de l’AESS (30 ECTS) sera, à l’exception de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation, intégré dans le programme de maîtrise, soit étalé sur les deux années, soit concentré exclusivement sur la seconde. L’AESS pourra cependant toujours être suivie « séparément » comme c’est le cas actuellement. 2 Par manque de temps, nous travaillons principalement sur les documents officiels produits par ces deux réseaux. 3 Cette présentation se fait obligatoirement avec rétroprojecteur. Plus tard dans l’année, les étudiants, toujours répartis en petits groupes, doivent synthétiser et commenter un chapitre d’un ouvrage théorique sur la recherche en didactique des langues étrangères ; ce travail doit être présenté avec le support du logiciel PowerPoint. Les étudiants ont bien sûr été familiarisés avec ces outils dans le cadre des exercices didactiques. 4 On relèvera au passage que l’idée consistant à fixer, pour tous les élèves, un minimum à atteindre (cf. Socles de compétences) existait déjà, vingt-cinq avant, sur le plan européen, dans le domaine des langues étrangères (cf. Niveaux-Seuils). 5 Précisons que les manuels de l’ap1 30 proche communicative, surtout ceux d’anglais, présentent souvent des « units » aussi riches que touffues. Dans certains cas, réaliser en classe une unit in extenso peut prendre de trois à quatre semaines de cours à raison de quatre périodes par semaine ; il importe donc d’apprendre aux étudiants à faire des choix. 6 Une séance d’information sur les manuels de l’approche communicative ainsi que sur les revues scolaires et autres adresses Internet est également prise en charge par les moniteurs pédagogiques avant les stages. 7 Contrairement à d’autres disciplines, nous ne souffrons pas, dans le domaine des langues étrangères, d’une inadéquation entre les objectifs et contenus des manuels, d’une part, et les objectifs et contenus des prescrits légaux de la Communauté française, d’autre part. Certes les manuels – surtout ceux de langues anglaise et allemande – ne sont pas parfaitement en phase avec les référentiels et programmes publiés par la Communauté française de Belgique, mais comme ces derniers sont profondément influencés par les travaux du Conseil de l’Europe, et que tous les manuels de langues étrangères actuels se basent sur ces documents de référence européens, les différences ne sont guère importantes. En ce qui concerne les manuels de néerlandais, on trouve encore une plus grande adéquation avec les prescrits légaux de la Communauté française parce que, dans la majorité des cas, les maisons d’édition sont belges. 8 Ils ne peuvent cependant choisir leurs anciens professeurs, et ce pour les deux raisons principales suivantes : d’une part, il s’avère que les étudiants ont souvent profondément intégré le mode d’enseignement de leurs anciens professeurs, et, d’autre part, il n’est pas rare que le lien affectif parfois très fort qui peut exister entre le maître et son ancien élève biaise considérablement l’évaluation du stage. 9 Initialement, nous proposions à tous les étudiants d’être filmés, mais cette formule s’est avérée beaucoup trop lourde pour le service. Aujourd’hui, nous réservons exclusivement ces sé- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 minaires aux étudiants qui éprouvent des difficultés, et, plus précisément, des difficultés liées à la « présence en classe » et à la gestion du/des groupe(s). Ces séminaires restent néanmoins facultatifs. Pour plus d’informations au sujet des objectifs et de la méthodologie de ce séminaire d’autoscopie, voir SIMONS, 1997a et 1997b. 10 Le plus souvent… mais pas exclusivement car il nous arrive également de relever des leçons ou activités assez traditionnelles mais qui ont été remarquablement bien menées en classe. Il va sans dire que, dans la mesure du possible, nous essayons de solliciter tous les étudiants. 11 Au terme de cette année académique 2006-2007, nous allons demander aux étudiants de nous fournir, sous forme électronique, une séquence didactique dont ils sont particulièrement satisfaits. Une partie de ces séquences fera l’objet d’une « publication » sur la page FTP du service. Toutes ces séquences seront précédées d’une description succincte du contexte d’enseignement (type d’enseignement, classe, année et niveau de langue, nombre d’élèves), des objectifs poursuivis, des grandes étapes de la démarche didactique, ainsi que d’une rubrique… « Et si c’était à refaire… ». 12 Qu’on ne se méprenne pas sur nos propos : quand les éléments théoriques du cours de didactique spéciale peuvent être « raccrochés à… » (mieux encore, « découverts à partir de… ») une expérience vécue par les étudiants, cela facilite sans aucun doute leur compréhension de cet élément théorique. Cela étant, nous estimons que ce serait faire preuve d’une grande naïveté que de croire que tous les éléments théoriques du cours de didactique spéciale peuvent être découverts à travers l’expérience vécue par les étudiants en situation de stage. 13 Dans la priorité 5 « Mieux préparer les enseignants » du Contrat pour l’école (p. 31), on peut lire : « […] Développer des modules de formation spécifique à l’attention des « formateurs de formateurs » qui s’inscrivent dans les priorités du Comment former les futurs enseignants en langues modernes aux réformes du système éducatif ? présent Contrat […] : détection rapide des difficultés d’apprentissages, remédiation, maîtrise des apprentissages de base, utilisation des référentiels, gestion de groupes hétérogènes… ». Lors de l’année scolaire 2006-2007, une formation à la gestion de l’hétérogénéité a d’ailleurs été organisée par l’inspection des langues germaniques de la Communauté française. 14 On pense, en particulier, aux assistants pédagogiques qui sont détachés, pour un mi-temps, de l’enseignement secondaire, et qui organisent, pour les étudiants en difficulté, des séances de répétition ou de remédiation en 1re année de baccalauréat. Suite à l’insertion de l’AESS dans le programme de maîtrise, nous avons dû diminuer le nombre de semaines réservées aux stages d’enseignement, passant de douze semaines à neuf ; par ailleurs, ces semaines de stages sont réparties sur quatre petites périodes sur les deux années de maîtrise (trois fois deux semaines d’affilée et une fois trois semaines d’affilée), ce qui limite encore les possibilités de travailler avec une même classe dans la durée. 16 ���������������������������������� Encore une fois, il ne s’agit pas d’uniformiser les discours et pratiques des uns et des autres, mais de faire en sorte qu’il y ait quand même une 15 base commune de référence afin que les jeunes enseignants ne soient pas complètement perdus. 17 Dans ce cas, il conviendrait alors de passer un contrat clair avec les maîtres de stage et de les rémunérer de manière décente – ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle - pour cet investissement dans la formation initiale. Pour l’université, l’intérêt de ce contrat serait qu’elle pourrait alors avoir davantage d’attentes voire d’exigences à l’égard des maîtres des stage avec lesquelles elle travaillerait. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 31 Développer une compétence fondamentale : voir Patrick Souveryns Faculté de philosophie & lettres, Service de didactique de l’histoire de l’art et archéologie Université de Liège Développer une compétence fondamentale : voir 1. Donner à voir et apprendre à regarder L’image est omniprésente autour de nous. Affirmer que notre civilisation occidentale est celle de l’image, réelle et virtuelle (Vignaux, 2003), est devenu un poncif. Cette omniprésence et son corollaire, la surconsommation qu’elle favorise, présentent un danger réel, résultant de la facilité illusoire de la lecture des images. Singulièrement, le système scolaire continue presque exclusivement à favoriser l’écrit, la conceptualisation verbale, comme source de connaissance. Pourtant, sans un certain degré d’intimité avec l’image (conceptualisation non verbale), nous devenons les jouets de ce moyen de communication. Apprendre aux jeunes générations à lire les images devient une réelle nécessité. Il n’est pas donné à tout le monde de voir « juste ». Développer la compétence « voir » est fondamental pour les cours d’histoire de l’art, analyse esthétique et analyse de l’image. Exercer l’œil à capter avec méthode un ensemble de données et analyser notre perception des objets (d’art) qui nous entourent, est un acte fondateur de l’ensemble des compétences à déployer durant le cursus de nos élèves. Tout est problème de perception et particulièrement de perception visuelle. Enseigner l’histoire de l’art ou l’analyse de l’image repose sur un acte 32 fondamental : le geste de désignation (montrer du doigt quelque chose à quelqu’un). Ce geste simple en apparence construit une véritable structure triangulaire. Notre « triangle didactique » se réalise dans le geste pour « donner à voir » (l’enseignant qui désigne, l’élève à qui la désignation est destinée, et l’œuvre ou l’image, cible de la désignation). Désigner, c’est ainsi signifier. Il existe deux gestes de désignation : le « pointage proto impératif » dont la fonction est d’ordonner, et la « désignation proto déclarative » dont la fonction est de communiquer, donc de partager. Le pointage proto impératif est l’archétype de ce qu’on peut appeler « l’objectivation », c’est-à-dire le fait de montrer l’objet – c’est le geste qui permet par exemple à l’enfant, le doigt pointé et le bras tendu dans la même direction, de désigner l’objet qu’il veut. La désignation proto déclarative introduit quant à elle la capacité de communiquer avec autrui au sujet d’un objet ; elle nous occupe de manière très concrète. Les nouvelles techniques de communication viennent en renfort pour amplifier l’efficacité du geste. Du doigt pointé à la lampe-flèche, du pointeur laser au PowerPoint, le geste de désignation reste un acte fondamental de notre approche didactique. Notre triangle didactique se veut donc visualisation, en tant que présentation CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 temporaire sur un support des résultats d’un traitement d’informations, ou, par définition, mise en évidence, d’une façon très matérielle, de l’action et des effets d’un phénomène. Le « donner à voir », structure et méthode de notre triangle didactique, se développe toujours à partir de ce geste simple. La maîtrise d’un geste aussi élémentaire est essentielle. Ce premier pas vers l’analyse est une perception « guidée ». La visite d’un musée ou d’une exposition relève de la même approche. Le geste de désignation existe depuis que nous communiquons et partageons. Comme les enseignants, les artistes nous montrent, dans le silence du temps, ce que signifie leur monde. Pensons à cette magnifique Vierge aux rochers du Louvre, peinte par Vinci, où l’ange Uriel désigne le Baptiste. Uriel signifie « Lumière de Dieu » en hébreu. La lumière n’est-elle pas un moyen pour montrer ce qui est à voir ? Faisons alors la lumière sur … Enseigner l’histoire de l’art, c’est entrer dans la peau d’autrui, entrer dans la peau de l’œuvre et raconter ce voyage. Dans la culture humaine, les récits sont le principal support de la construction et de la transmission du sens1. L’œuvre, création solitaire, devient dans les mots de l’enseignant un partage. Et l’art devient une belle histoire. L’œuvre commence son périple initiatique dans nos yeux. Elle continue par notre esprit et parfois touche notre âme. Son impact, Développer une compétence fondamentale : voir lié à sa puissance en tant que vecteur de sens, transite par notre « lentille » perceptuelle. Il faut donc éveiller le regard et ouvrir l’esprit. « Simuler » et « stimuler » sont deux « actions » qui facilitent la résonance particulièrement recherchée entre l’œuvre et l’élève. Histoire de l’art sensu stricto, théories de l’art, esthétique, critique d’art, ouverture vers l’analyse de l’image et intégration des pratiques et des technologies de l’information et de la communication confèrent à l’appréciation du fait artistique sa complexité et sa spécificité. Nous devons en outre nous adapter à la diversité des situations et à leurs implications didactiques avec les profils d’apprenants les plus divers. Par notre formation, nous sommes conscients à tout le moins des enjeux de notre discipline. Habituellement, nous entendons le terme image dans une acception restreinte. Pour nous, historien d’art, il ne s’agit pas d’évaluer le tout-venant de la production visuelle, mais des documents qui, témoignant d’états de conscience et de culture, ont été sélectionnés par le grand musée imaginaire de l’histoire. Changer de position semble nécessaire pour jeter un pont entre notre culture de l’image, quelque peu élitiste, et la culture de nos élèves. Nous devons mettre les images actuelles au service du grand musée imaginaire. Médiatisation à outrance ou surconsommation de l’image ca- ractérisent notre époque. Or les racines des images actuelles se cachent dans des terres de références : les clés des images d’aujourd’hui nous viennent du passé. Par l’analyse de l’image, il est possible d’ouvrir le concept d’histoire de l’art. Lire une image, c’est dépasser le stade de l’analyse des éléments qui la constituent pour mettre au jour ce qui fondamentalement fait sens. Une telle compréhension suppose des méthodes d’appréciation permettant à l’élève d’établir avec les images une relation qui ne fasse pas de lui un consommateur passif. Notre objectif est d’assurer une formation équilibrée dont les piliers indispensables sont la perspective historique – axe majeur de l’histoire de l’art –, l’analyse esthétique et l’analyse des significations. C’est la raison d’être de l’intervention des historiens de l’art dans le monde de la communication iconique. L’enseignement systématique de ce langage spécifique éviterait une disparition de la compréhension des images qui ont fait notre histoire et qui fondent les images actuelles et à venir. Pour résumer, la pensée verbale utilise comme support le langage phonétique, localisé chez l’homme dans l’hémisphère gauche, dans les aires de Broca et de Wernicke. La pensée visuelle, elle, a pour support le langage visuel, celui-ci s’élaborant dans les différentes aires visuelles, la globalisation des opérations étant localisée dans l’hémisphère droit. Le langage visuel peut être considéré comme un langage source spécifique au cerveau et indépendant des langages verbaux. Contrairement à la pensée verbale, linéaire et considérée comme limitée, la pensée visuelle est globale et permet d’aborder directement la complexité du monde sensible. Elle utilise des unités de sens et non des mots. Ces deux formes de pensée ont tout intérêt à collaborer … Une expression anglo-saxonne comme Visual thinkers (penseurs visuels) met en évidence le fait que certains d’entre nous recourent davantage à la pensée visuelle qu’à la pensée linguistique. Il est évident que nous utilisons les deux formes de pensées, une des deux façons de penser dominant l’autre. Mais affirmer la supériorité d’un mode de pensée sur l’autre est une absurdité ! Pourtant, force est de constater que la pensée visuelle selon Rudolf Arnheim, Ronald D. Davis ou Maria J. Krabbe2 offre bien quelques atouts tels que rapidité décisionnelle et gestion de la complexité. En conséquence, lorsque nous enseignons une compétence, nous devons penser comment nous pourrions aussi l’enseigner de manière visuelle. Les chances de réussite d’un apprentissage sont plus grandes si nous utilisons systématiquement une approche visuelle des compétences (renforcement). Tableau 1 : Explicitations de la compétence regarder Aspects transversaux aspects disciplinaires regarder3 Structurer l’observation. Savoir utiliser une grille d’analyse. Analyser, synthétiser et globaliser les données sensibles de la perception. Percevoir des récurrences formelles qui caractérisent le style d’un artiste ou d’une époque. Identifier et tresser des relations. Distinguer ainsi vision objective et subjective. Apprendre à décrire une œuvre de manière objective. Nourrir une vision subjective par une observation plus rigoureuse des éléments plastiques. Nourrir la mémoire. Engranger des références visuelles afin de nourrir une création plastique et de percevoir un fil conducteur de préoccupations formelles, idéologiques à travers l’histoire de l’art. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 33 Développer une compétence fondamentale : voir 2. Voir, regarder … de l’iconographie à l’iconologie L’iconographie est une branche de l’histoire de l’art consacrée à l’étude des thèmes en arts visuels et de leur contenu ou sens profond. Comme on le constate dans le tableau 2, l’iconologie continue simplement l’iconographie. Une des caractéristiques de la méthode iconographique conçue par Panofsky est de « focaliser » sur l’intention derrière l’œuvre. Dans un premier temps, cette méthode a été critiquée parce qu’elle situait les opérations de l’imaginaire artistique dans la région du conscient et des intentions rationnelles, ou considérait qu’elles s’y développent prioritairement. Suite aux théories d’Erwin Panofsky et de Roelof Van Straten (1994), ce tableau 2 présente les étapes d’une méthode qui tient compte de la critique d’Otto Pätch (1994) dans la mesure où nous devons différencier l’intention explicite de l’intention non explicite (deux phases de l’interprétation). Les deux phases descriptives de l’iconographie s’attardent à ce qui est montré (opérations de dénotation). Les deux phases interprétatives de l’iconographie focalisent sur ce qui est suggéré (opérations de connotation). Tableau 2 : Synthèse des différentes approches Démarche d’interprétation Inventorier tout ce que l’on voit dans la représentation, de même que les aspects formels (couleurs, composition, etc.) sans établir de relation ou d’interprétation Phase d’interprétation Outils pour l’interprétation Description préiconographique Connaissance du monde extérieur (familiarité avec objets, événements, coutumes, etc.) Description iconographique Connaissance des thèmes et des sujets en art, de même que des divers modes de leur représentation au fil du temps. Connaissance des sources directes ou indirectes de l’artiste (par ex., littéraires, visuelles, etc.) Connecter les éléments de la représentation entre eux et énoncer le thème et le sujet sans amorce de découverte du sens profond Interprétation iconographique Connaissance des sens « cachés » possibles et interprétation des sources de l’artiste. Connaissance de l’interprétation d’œuvres analogues Identifier le sens profond (et aussi symbolique) de la représentation résultant explicitement de l’intention de l’artiste Interprétation iconologique Connaissance approfondie des caractéristiques sociales, historiques et culturelles d’une période (par ex., politique, religion, vie quotidienne, vision du monde, etc.) Identifier les sens profonds de l’œuvre (et aussi symboliques) ne résultant pas explicitement de l’intention de l’artiste, mais néanmoins inclus dans l’œuvre Les compétences disciplinaires et les outils d’évaluation sont déterminés par les objectifs essentiels du cours : - Apprendre à voir (système de perception + système de représentation). - Apprendre à exprimer les premières impressions et à réaliser une description objective. - Dépasser le stade des impressions par l’analyse (de l’émotion à la raison). - Réaliser la synthèse des observations. - Appliquer différentes grilles d’analyse dans différentes situations. - Apprendre à mémoriser le visuel et le textuel. - Développer le sens de la recherche. L’analyse multidisciplinaire implique les critères d’évaluation suivants : Mémorisation des grilles de lecture et des données historiques, techniques et esthétiques, du vocabulaire spécifique. Application des grilles d’analyse. Reproduire une analyse. Réaliser une analyse. 34 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Développer une compétence fondamentale : voir La faculté d’un élève à réaliser un transfert des critères d’analyse dans une situation nouvelle est l’objectif essentiel, la compétence terminale. On évalue sa progression selon le niveau d’étude (gradation des difficultés) et son évolution vers une maturité analytique. Une grille d’analyse est le résultat d’une synthèse de différentes recherches. Le caractère schématique et dichotomique de telles grilles d’analyse, s’il n’est pas sans danger, ne constitue pas moins un passage nécessaire et obligé. Il reste bien entendu indispensable d’affiner le processus de manière à dépasser les clivages mis en place. L’évaluation de la perception (voir regarder) de l’art ne peut que s’appuyer sur la méthode choisie pour approcher les œuvres. Plus l’approche est complexe, plus nombreux sont les critères d’apprentissage et d’évaluation. Les compétences terminales déterminent les critères d’évaluation et les objectifs particuliers du cours : apprendre à voir (système de perception et système de représentation), apprendre à exprimer les impressions premières, dépasser le stade des impressions par l’analyse (de l’émotion à la raison), réaliser une description objective, réaliser la synthèse des observations, appliquer différentes grilles d’analyse dans différentes situations, apprendre à mémoriser le visuel et le textuel (images et références) et développer le sens de la recherche choc, séduction, refus, charme ou répulsion concrétisés en quelques mots expriment les impressions/émotions premières. Après une initiation à l’analyse, l’élève va devoir communiquer autre chose que des jugements de goût du type « j’aime » ou « je n’aime pas ». Aujourd’hui, un des vices de moins en moins cachés de notre société est le phénomène d’acceptation /rejet sur le mode rapide / expéditif, ce bien nommé « phénomène du zapping » encore appelé « principe d’alternance » dans un langage politiquement correct. Une attitude de ce type, qui contamine tous les secteurs relationnels, est récurrente et maladive. Elle repose de toute évidence sur le subjectif et nous semble simplement résulter d’un manque d’analyse voire d’un manque de maturité. L’analyse est synonyme de maturité. Une analyse structurée contraint à la comparaison des premières impressions aux nouvelles inductions. La remise en question d’un jugement rapide incite à prononcer ultérieurement des avis moins péremptoires, car plus nuancés. Dans un souci constant d’ouverture analytique, le cours permettra à l’élève de se dégager des réactions quasiment instinctives (Paulus, 1973) pour donner une dimension intelligente et humaine au jugement et à la critique.. Certes, l’approche empirique de l’œuvre d’art garde ses droits (les émotions premières sont à la base de cette approche empirique). Lors des exercices de didactique portant sur l’analyse de la composition et des tendances chromatiques (composants plastiques) de différentes œuvres significatives, les étudiants de l’agrégation sont confrontés aux compétences à développer chez leurs futurs élèves. La compétence « regarder » (structurer l’observation) est fondamentale. La récurrence des exercices permet l’acquisition d’une approche systématique ouverte. Chaque œuvre est analysée par un étudiant différent. Sur base des éléments délivrés, le groupe de travail doit dégager les composants plastiques (voir tableau 3). L’observation est ainsi structurée. La compétence est ainsi acquise. L’image est un tout dont chaque partie subit une analyse au point par point. La multiplicité des regards (différents étudiants = différentes perceptions) permet une sensibilisation à l’interactivité indispensable entre les futurs enseignants et leurs futurs élèves. Lors de son cursus, chaque étudiant réalise ainsi une série d’analyses confrontées aux regards critiques des autres. Chaque analyse se voit ainsi complétée. L’étudiant évolue vers la maîtrise de cette compétence essentielle qu’il va devoir transmettre. Dans un deuxième temps, la recherche sur la perception visuelle nous permet de faire évoluer nos approches méthodologiques. Un regard qualifié de culturel diverge d’un regard naturel (non-initié). Analyser le regard d’un élève dont la compétence « regarder » (structurer l’observation) n’est pas encore développée, permet à l’enseignant ou au futur enseignant de faire Tableau 3 : Les composants plastiques Composants plastiques (point, ligne, plan, volume, composants lumineux, sonores, olfactifs, fixes ou mobiles...) et constituants de l’œuvre (support, médium, matériau). Matières et textures correspondantes (lisse, mou, poreux, nervuré, froid, brillant, fluide, rêche, malléable, pesant...). Couleurs (teinte, ton, clarté, saturation), monochrome, camaïeu, passage, complémentarité, dégradé, modulation, dominante, qualité n quantité, valeurs. Lumière (éclairage, contre-jour, sfumato, clair-obscur, modelé, ombre propre, ombre portée). Espace propre, figuré, espace plan, profond, homogène ou discontinu, délimité, tactile, virtuel, espace couleur, espace lumière, espace réel. Point de vue (plongée, contre-plongée...), différents types de plans de vision, cadre et hors cadre, champ et hors champ, recadrage, profondeur de champ, frontalité, étendue, étagement, détail n ensemble, contexte. Traduction de l’espace : perspective albertienne, atmosphérique, isométrique, axonométrique, curviligne, étagement, chevauchement, rabattement. Structure, composition, organisation, construction, règle, schéma, principe géométrique, enveloppe, forme n informe. Rythme, rupture, dégradé, régularité, progression, ponctuation, absence. Statisme n dynamisme, équilibre n déséquilibre, symétrie n dissymétrie, ordre n désordre. Contraste, opposition, contour, dualité, forme n fond, plein n vide, net n flou, passage. Format, échelle, taille, dimension, proportion, articulation au site. Homogénéité, hétérogénéité, disparité, hiérarchisation, assemblage composite, hybridité. […] CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 35 Développer une compétence fondamentale : voir la jonction entre « ce qui est » et « ce qui sera ». 3. Une didactique assistée … par une technologie de pointe La pensée visuelle est étudiée scientifiquement par les technologies actuelles (imagerie médicale), mais l’Eye Tracking4 (suivi du regard) occupe particulièrement notre attention. Ce système permet de quantifier les zones d’attention et de déterminer quel objet ou forme retient le plus, de façon presque inconsciente, notre attention. En plus de la quantification, ce système donne aussi une idée chronologique de la suite d’objets que notre esprit analyse. Eye Tracking est une technique permettant de suivre le regard et de se rendre compte des voies suivies par l’utilisateur pour lire une image. Il s’agit du regroupement d’un ensemble de techniques permettant d’enregistrer les mouvements oculaires. Les oculomètres5 les plus courants analysent des images de l’œil capturées par une caméra, souvent en lumière infrarouge, pour calculer la direction du regard du sujet. En fonction de la précision souhaitée, différentes caractéristiques de l’œil sont analysées. L’une des techniques du suivi de la position du regard est celle du reflet cornéen, qui a notamment l’avantage de fournir une bonne précision des mesures tout en laissant le participant libre de ses mouvements. Cette technique consiste à envoyer des faisceaux de lumière infrarouge émis par un ensemble de diodes au centre de la pupille. Les reflets infrarouges renvoyés par la cornée de l’œil sont ensuite détectés et permettent, après calcul, de repérer le centre de la pupille et de connaître la position de fixation de l’œil sur une cible. L’oculométrie n’est pas seulement destinée à des applications informatiques6, mais peut être utilisée pour toute analyse où l’on a besoin de connaître ce que voient, ce que regardent les « cobayes ». Grâce à la miniaturisation et à la puissance accrue des systèmes informatiques, les résultats précis et significatifs de l’Eye Tracking en font une méthode effectivement fiable. L’oculométrie est utilisée comme technique de mesure pour la recherche en psychologie, en 36 ergonomie et pour les tests de projets publicitaires. D’autres applications de l’oculomètre existent afin de mettre en place une interface homme-machine7 efficace et rapide. L’objectif est de concevoir des systèmes informatiques qui soient ergonomiques, donc adaptés à leur contexte d’utilisation. « Les yeux sont le miroir de l’âme », dit le proverbe. Pour nous, ils sont avant toute chose le miroir du cerveau. Un regard révèle une pensée. Tous les professeurs un peu chevronnés savent en analysant le regard de leurs élèves si la compréhension est ou n’est pas au rendez-vous. Les mouvements de l’œil sont difficilement maîtrisables par l’être humain. En conséquence, c’est une méthode très efficace pour apprécier ou mesurer le ressenti (impressions) et mettre en évidence les processus conscients et inconscients par lesquels nous accédons aux contenus sémantiques ou sémiologiques de textes et/ou images. Sans passer par la description objective, il est ainsi possible de lire un ensemble de données révélatrices. Notre recherche sur la perception des formes et des couleurs d’une œuvre peinte peut s’enrichir grâce aux informations fournies par une telle technique. Nous analysons les œuvres selon des principes divers mais essentiellement culturels. Ces pratiques analytiques sont-elles parallèles aux données fournies par l’Eye Tracking ? L’analyse perceptive sur des bases culturelles doit être mise à l’épreuve de ce système. Confirmation ou infirmation de nos pratiques analytiques. Nous pourrons alors adapter nos grilles d’analyse d’après des bases scientifiques fiables. Le Great American Nude 98 de Tom Wesselmann (1967) est le type même d’œuvre à faire passer par l’analyse du regard (Wesselmann, 1967). Image composée de quelques objets disposés autour d’un nu féminin, elle semble au premier abord d’une simplicité déconcertante. À plusieurs égards, elle s’apparente à une nature morte davantage qu’à un véritable nu. Le motif du nu féminin est récurrent dans l’œuvre de cet artiste emblématique du Pop Art new-yorkais. Depuis 1960, date à laquelle il entame sa série de grands nus, Wesselmann CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 n’a cessé de distiller la féminité pour en extraire l’essence picturale. Son Grand nu américain n°98 est un grand format en trois dimensions constitué par la superposition de cinq toiles ayant la forme d’un buste et d’un visage féminins, d’une cigarette, d’un cendrier, d’une boîte de mouchoirs jetables et d’une orange. Empruntant à la communication de masse une technique rigoureuse, Wesselmann crée un environnement artificiel, aseptisé et néanmoins cru dans lequel la femme mise en scène est assimilée à un objet sexuel. L’ensemble du corps est réduit à ses attributs érotiques et sexuels : les seins et les tétons turgescents d’un rose éclatant, la bouche ouverte et sensuelle soulignée d’un rouge à lèvres brillant, la longue chevelure blonde. Le visage, tronqué, dépourvu de nez et d’yeux, est dépouillé de toute singularité expressive. Ainsi épurée, l’image apparaît comme un de ces nombreux clichés diffusés dans la société américaine des années 1960. Une image très publicitaire en somme. Les quatre objets de la vie quotidienne associés à cette image féminine fragmentée sont représentatifs de la nouvelle société américaine dans laquelle tout est consommable, éphémère et jetable. Par leur forme élémentaire et leurs couleurs artificielles, ces motifs sont eux-mêmes des symboles sexuels qui renvoient à l’image dégradée de la femme. L’orange est épluchée, déshabillée, avant d’être mangée. La cigarette permet de « tirer un coup ». Le cendrier est le réceptacle des déchets des plaisirs enfumés comme la femme est le réceptacle de la jouissance de l’homme. Une fois consommée, la femme est à son tour jetée tel un vulgaire mouchoir usagé. Les formes courbes et arrondies de la féminité (les fragments de corps féminin, l’orange, la volute de fumée, le mouchoir en papier) se heurtent à quelques lignes droites et anguleuses du monde masculin dans lequel se dressent des formes phalliques (la cigarette, le cendrier, la boîte bleue). Les volumes sont créés par de larges aplats colorés peu nuancés dont les formes découpées sont simplifiées. Les couleurs, brillantes et glaciales, rappellent celles employées dans le Développer une compétence fondamentale : voir domaine de l’affiche publicitaire. Le style de Tom Wesselmann apparaît comme impersonnel, froid, dénué de toute émotion. L’œuvre est ainsi réduite à une image banale, identifiable par tout un chacun. Par sa forme et son contenu, elle est indirectement provocante. On pourrait la qualifier de pornographique. Or elle est née à une époque turbulente caractérisée par des changements radicaux dans la société. En effet, les années soixante marquent le début d’une ère nouvelle : celle de la consommation à outrance et de la publicité qui envahit les murs, les écrans et les esprits ; celle bien entendu de l’émancipation sexuelle de la femme avec l’arrivée d’une contraception efficace. Pour Tom Wesselmann, il s’agit d’explorer l’efficacité de stéréotypes érotiques et de dénoncer leur utilisation dans l’imagerie publicitaire. Notre regard posé sur tel ou tel objet (femme comprise) est-il un effet de nos émotions ou de notre analyse ? Une série de tests comprenant quelques questions fondamentales doit être mise en place pour comprendre le chemin perceptif d’une œuvre au premier abord aseptisée. Lors de ces tests, quatre groupes doivent être définis sur la dichotomie « masculin/féminin » et sur une base culturelle « sans formation/avec formation » artistique. Les questions portent sur les différents objets (relation à l’objet) et sur les parties anatomiques du nu (choix particulier). La première question reste commune à l’ensemble des groupes formés : « L’image vous séduit-elle ? » ou « L’image vous plaît-elle ? ». La question posée en fin de parcours est récurrente : « L’image vous plaît-elle toujours ? ». « Quel objet avez-vous vu en premier ? ». « Pourquoi avez-vous regardé en premier cet objet ? », etc. Le questionnement va dans le sens de l’énumération avec justification. Il se poursuit par la liaison des objets réunis par l’artiste de manière à faire comprendre que leur choix n’a rien d’insignifiant ni de hasardeux. En effet, leur assemblage repose sur le mode particulier de la connotation. Sans formation à l’analyse de l’image, est-il possible de soulever le drap pudique qui enveloppe l’œuvre ? C’est loin d’être évident. Le système Eye Tracking peut apporter la solution en montrant scientifiquement que la perception visuelle d’un même objet est extrêmement variable d’un individu à un autre, ce qui implique des émotions différentes et des compréhensions distinctes. Cette perception visuelle est intimement liée au contexte psychosociologique8 et culturel … « Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. » On peut parler d’oblitération dans le champ perceptif. Le déni n’est certes pas l’apanage du sens de l’audition. Alors, changeons de sens ! Une certaine forme de refus de la réalité peut déboucher sur la réaction suivante : ne pas voir physiquement ce que l’on ne veut pas voir mentalement. Cette scotomisation est l’exclusion inconsciente d’une réalité extérieure du champ de conscience, le fait qu’un état affectif empêche de voir la réalité. Cet acte psychique consiste à effacer sélectivement de la pensée et de la mémoire, un événement vécu comme intolérable9. Quand une œuvre comme le Grand nu américain atteint un tel niveau de connoté, son analyse peut subir le choc du déni, un refus du sujet traité par l’artiste. La rupture avec les référents personnels, dans ce cas précis une pudeur certaine vis-à-vis de la sexualité, nous entraîne vers un parcours analytique plus délicat. « Ne pas voir ce qui est » constitue un acte de scotomisation. Bien des œuvres sont touchées par ce déni lors de l’analyse. Oblitération dans le champ des perceptions ou oblitération dans le champ des émotions ? Une collaboration entre le service d’Anne-Sophie Nyssen10 (étudiant le comportement humain en situations naturelle et virtuelle) et le service de didactique spéciale H.A.A. va débuter prochainement. Sur la base d’une sélection d’une quinzaine d’œuvres, l’Eye Tracking va nous permettre une analyse comparative entre le regard d’un groupe d’initiés à la lecture d’œuvres d’art et d’un autre groupe de non-initiés. Lecture culturelle vs lecture naturelle … Il est certain que notre approche culturelle sera remise en question par cette expérience. En conséquence, notre méthode de travail se verra modifiée et les apprentissages en seront plus justes. Notes Voir, sur ce sujet, Bruner. (2002). Jérôme, Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, trad. de l’anglais par Yves Bonin. Paris : RETZ. 2 Beelddenken est l’expression néerlandaise qui signifie littéralement la reflexion par l’image, la pensée visuelle. http://www.euronet. nl/~mjkbeeld/ adresse du site de Maria J. Krabbe. 3 La première des compétences développées en histoire de l’art et analyse esthétique (programme : technique de transition « Art »). 4 Les champs d’expérimentation sont l’analyse du processus de balayage de l’œil pour rechercher, déterminer et interpréter une information, l’étude de la façon dont les gens regardent, analysent et interprètent une image en fonction d’un contexte ou d’un vécu, l’étude de la façon par laquelle nous pouvons influer sur l’interprétation des gens en introduisant un contexte défini, etc. 5 L’oculométrie regroupe un ensemble de techniques permettant d’enregistrer les mouvements oculaires. 6 Dans l’informatique, l’oculométrie est utilisée comme technique de mesure pour la recherche en ergonomie et le parcours visuel des pages web. Les mouvements oculaires de l’internaute sont utilisés pour « jauger » les sites Web. La technique de l’EyeTracking permet de déterminer, en fonction de la position de la rétine, les zones sur lesquelles se pose ou se fixe le regard. D’autres applications existent utilisant l’oculométrie comme moyen de pointage dans une interface homme-machine. Au lieu d’utiliser une souris, l’utilisateur du système donne ses instructions à la machine directement par ses yeux. 7 L’IHM (interaction ou interface homme/machine) étudie la façon dont les humains interagissent avec les ordinateurs ou entre eux à l’aide d’ordinateurs. 8 Analyse des rapports entre les facteurs émotionnels et affectifs et la vie en société. 9 Sigmund Freud considérait la scotomisation comme déni de la réalité. 1 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 37 Développer une compétence fondamentale : voir La racine grecque skotos signifie obscurité. La scotomisation obscurcit une partie des souvenirs de la même façon qu’un scotome altère une partie du champ visuel. 10 Contact (Service d’Anne-Sophie Nyssen) : Adélaïde Blavier Dépt / Unité : Département de personne et société/Psychologie du travail et des entreprises Adresse : BAT. B32 Faculté de Psychologie et des sciences de l’éducation boulevard du Rectorat, 5 4000 Liège 1 - Belgium 38 Email :[email protected] Tél : +32 4 3663177 Bibliographie Pätch, O. (1994).Questions de méthodes en histoire de l’art, Paris : Macula. Panofsky, E. (1967). Essais d’iconologie, traduction de l’anglais par Claude Herbette et Bernard Teyssèdre, présenté et annoté par Bernard Teyssèdre, Paris : Gallimard. ������� Traduction française de Studies in iconology paru en 1939. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Paulus, J. (1973). Jean, Réflexes, émotions, instincts, Bruxelles : Pierre Mardaga. Van Straten, R. (1994). An introduction to iconography, translation from the German by Patricia de Man (Revised english edition), Amsterdam : Gordon & Breach Publishers. V ignaux , G. (2003). Du signe au virtuel. Les nouveaux chemins de l’intelligence, Paris : Seuil. Wesselmann, T. Great American Nude 98, 1967, huile sur toile, Cologne, Museum Ludwig. L’approche par les compétences en didactique des médias Geneviève Van Cauwenberge Avec la participation de Véronique Etienne Faculté de Philosophie & Lettres, éducation aux médias Université de Liège L’approche par les compétences en didactique des médias À la différence de celui des autres matières, l’enseignement des médias dans notre pays n’a pas fait l’objet d’un texte officiel le redéfinissant en terme de compétences à faire acquérir aux élèves. Il n’y a pas de petit livret vert des compétences disciplinaires en éducation aux médias. Et pour cause, l’enseignement des médias à l’école est envisagé dans nos programmes de cours comme une activité transversale exercée à l’occasion de l’apprentissage d’autres disciplines. Cette situation est regrettable. L’enseignement des médias en Communauté française de Belgique doit être repensé. Tout d’abord, son contenu demande à être précisé. Le champ de connaissance couvert par l’enseignement des médias est très vaste et mal délimité. L’approche de ce domaine d’étude à l’école est encore largement soumise aux désirs de chaque enseignant en particulier et de ses élèves. De nombreuses initiatives remarquables pour former les jeunes à l’audiovisuel sont prises par des professeurs motivés et dynamiques. Par ailleurs, diverses instances (Le Conseil de l’éducation aux médias, MédiaAnimation, le Centre audiovisuel de Liège, Les Grignoux à Liège, les départements de didactiques des universités) mènent un travail de réflexion sur la pédagogie des médias dans notre pays et travaillent à mettre au point des outils pédagogiques destinés aux enseignants : les manuels, fiches d’analyses de films et autres didacticiels ne cessent de se multiplier. Il faut s’en réjouir. Néanmoins, l’absence de coordination entre les différents agents et le flou qui caractérise les contenus de l’enseignement des médias en Belgique ne peut persister parce qu’une telle hétérogénéité est source d’inégalité entre les jeunes. Son contenu devrait être circonscrit de façon précise et claire en fonction des besoins des adolescents et des compétences qui leur sont nécessaires pour faire face au monde contemporain. D’autre part, l’étude des médias devrait faire l’objet de cours spécifiques. L’approche interdisciplinaire des médias est enrichissante pour les élèves mais elle n’est pas suffisante. On ose espérer qu’à l’heure où nos voisins européens mettent en œuvre un véritable enseignement des médias au niveau du secondaire, une réforme ne tardera pas à s’imposer en Belgique et que l’étude de l’audiovisuel et de la presse écrite trouvera enfin la place qui lui revient au sein de notre système d’enseignement. On l’aura compris, le didacticien spécialisé en Information et Communication se trouve face à la question qui fait l’objet du présent numéro de Puzzle : « Comment préparons-nous nos étudiants à une pédagogie par les compétences dans le cadre du cours de didactique spéciale ? » dans une situation un peu particulière puisqu’il est amené à travailler en l’absence de compétences disciplinaires édictées par décret. Il est cependant loin de manquer d’outils théoriques sur la question. La littérature relative à la didactique des médias tant dans le monde anglo-saxon que francophone est en effet traversée par une réflexion sur les compétences. Pour faire entrer les médias à l’école, il fallait prouver que leur abord pouvait contribuer à l’acquisition de compétences transversales, les didacticiens se sont d’emblée attelés à ce travail de légitimation. Par exemple, l’ouvrage de D. Lusted (1991) structure l’enseignement des medias autour de l’étude de concepts clés : langage, narration, institution, audience, représentation, production, et met fortement l’accent sur les compétences qui peuvent être développées chez les jeunes par l’abord de ces concepts. Le texte de B. Moore qui clôture le recueil, « Media education », fait de l’aptitude à analyser l’image et la bande-son d’un document audiovisuel la compétence essentielle à développer chez les adolescents, en argumentant qu’elle leur permettra de mieux évaluer les informations véhiculées par les médias et de comprendre les fondements de leur plaisir spectatoriel. Le rapport sur l’éducation aux médias rédigé en 1996 par le Conseil de l’éducation aux médias rejoint ces conclusions. Il précise clairement que « L’éducation aux médias vise à dépasser la transmission active des connaissances pour s’inscrire dans l’acquisition de compétences (…). L’éducation aux médias vise à développer un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir être permettant d’opérationnaliser les objectifs généraux de l’enseignement » (Conseil de l’éducation aux médias, 1996). Il assigne ensuite deux objectifs majeurs à cet enseignement : CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 39 L’approche par les compétences en didactique des médias « apprendre à être un spectateur actif, un explorateur autonome et un acteur de la communication médiatique » et « utiliser l’image audiovisuelle comme une véritable technologie au service de l’intelligence ». Le rapport s’aligne, par ailleurs, sur l’articulation des apprentissages autour de concepts proposée par les didacticiens britanniques et détaille une série de compétences liées à des activités d’enseignement spécifiques à effectuer dans le cadre des différents cours du cursus scolaire (français, histoire, géographie, mathématique, éducation physique). En France également, la question de l’acquisition des compétences est au cœur de la réflexion sur l’enseignement de l’audiovisuel. La fonction du formateur rappelle G. Jacquinot (1998, p. 313) dans un texte sur l’enseignement de la télévision « est de faire acquérir des compétences pour permettre non pas le savoir pour le savoir, ou le savoir pour la culture générale, mais le savoir pour le savoir-faire ». Pour le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information) il s’agit de former les jeunes à la citoyenneté, d’en faire les acteurs de la démocratie. A. Bergala dont les écrits portent sur l’initiation au cinéma comme art, se fixe quant à lui pour objectif la formation du goût des élèves par la fréquentation des chefs d’œuvre du cinéma. Les compétences privilégiées par les didacticiens sont, faut-il le rappeler, intimement liées à leur conception des enjeux éducatifs de l’étude des médias et sur ce point, comme nous l’avons indiqué plus haut, leurs opinions divergent largement. Avant de nous engager dans la formation de nos étudiants à une pédagogie par les compétences, il nous paraît dès lors essentiel, en l’absence de programme établi, de commencer le cours de didactique des médias par une réflexion sur les enjeux éducatifs de leur étude au niveau de l’enseignement secondaire : qu’allons-nous enseigner aux élèves et avec quelle finalité ? Au sortir de leurs études en Information et Communication, les étudiants sont animés du désir de transmettre à leurs élèves le savoir qu’ils ont acquis au cours de leur formation. Les premières leçons qu’ils préparent sont souvent 40 calquées sur le modèle transmissif de l’enseignement universitaire et ont des contenus très spécialisés. Notre premier souci est d’amener les futurs professeurs à réfléchir aux priorités à établir dans leur enseignement. De quoi les élèves ont-ils besoin ? C’est-à-dire, comme le précise L. Porcher (2006) p. 189 : « de quoi ont-ils le souhait (besoins ressentis) et de quoi manquentils (besoins objectifs) ? Les deux sont indispensables pour fixer le concept de besoins. Il y a en effet, des besoins dont les élèves, par définition, ne peuvent percevoir l’existence par eux-mêmes, précisément parce qu’ils ne peuvent pas savoir tout ce qui leur est nécessaire pour devenir compétents ». Répondre à cette question implique que l’on s’interroge sur le rapport des jeunes aux médias. Les jeunes ont un savoir préalable sur les médias et des préconceptions nombreuses sur le monde de l’audiovisuel acquises en dehors de l’école, en famille notamment. Le professeur ne peut pas les ignorer. Chacun a un point de vue sur la télévision parce qu’elle est domestique et que chacun passe en moyenne plusieurs heures par jour à la regarder. Il en va de même du cinéma. Chacun voit des films, chacun pense connaître le cinéma. Le professeur doit être conscient des représentations souvent contradictoires que les jeunes se font de la télévision et de l’image mythique que la plupart d’entre eux ont du monde du cinéma (univers de la réussite et de la célébrité) (Odin, 1987). Il doit savoir qu’il devra se positionner par rapport à elles. Il doit donc aussi s’interroger sur sa propre relation à ces objets, sur les écarts entre sa culture et ses goûts et ceux des élèves. Il doit par ailleurs apprendre à tirer profit des compétences que les jeunes ont acquis par la fréquentation des médias ; c’est à partir d’elles qu’il devra travailler à la construction d’un savoir scolaire avec les élèves, un savoir d’une autre nature que la connaissance qui résulte de leur expérience de spectateur. Amener les étudiants en agrégation à ces questionnements n’est pas toujours aisé. Soucieux de réussir au mieux leurs stages d’enseignement, ils attendent du didacticien des modèles de leçons idéales dont ils pourraient CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 s’inspirer plutôt que des propositions pédagogiques. Leur demande est pressante. Or en y satisfaisant, nous irions nous-mêmes à l’encontre d’une pédagogie par les compétences, visant à l’autonomie de l’apprenant, dont nous cherchons précisément à inculquer les principes à nos étudiants. B. Rey et M. Staszewski (2004, p. 23) l’ont bien vu : « Cette approche méthodologique rompt résolument avec le cours « clé sur porte ». Le professeur aura certes défini à l’avance, pour luimême, les principaux objectifs qu’il poursuit en termes d’appropriation des savoirs par les élèves ; il aura préparé des dispositifs didactiques visant à obliger les élèves à confronter leurs représentations de ces savoirs à celles amenées par le professeur. Mais (…) le professeur n’est plus celui qui pose toutes les questions et qui fournit toutes les réponses. Il devient une personneressource, au service d’apprenants qui cherchent ». Cette représentation de l’enseignant comme un professionnel qui aide les élèves à acquérir certaines compétences scientifiques pour les rendre accessibles aux jeunes peut être mal vécue. Comme le dit J. Beckers dans l’introduction de ce numéro de Puzzle, il y a un travail de deuil à faire. L’application dans le cadre du cours de didactique spéciale d’une pédagogie par les compétences entend les aider dans cette voie. Notre enseignement est fondé sur le travail en groupe. Nous proposons à nos étudiants de concevoir collectivement des dispositifs pédagogiques visant à l’appropriation de macro-compétences, nous leur demandons ensuite de déterminer les compétences plus spécifiques dont les élèves auront besoin pour y arriver. Nous décrirons brièvement ici, à titre d’exemple, comment nous menons avec nos étudiants un questionnement sur les procédures didactiques visant à l’acquisition de deux compétences : apprendre à regarder, apprendre à s’exprimer. Notre objectif est d’apprendre aux futurs enseignants à s’interroger sur leur pratique. Nous voulons aussi les initier à l’échange sur des questions de méthodologie et au dialogue convivial, autant d’aptitudes qui leur seront utiles dans l’exercice de leur métier. L’approche par les compétences en didactique des médias Apprendre à regarder Nous commençons par une mise au point théorique sur ce qu’il faut entendre par apprendre à regarder. Apprendre à regarder des images : c’est apprendre à observer, à décrire, à verbaliser ce que l’on voit. Apprendre à regarder permet d’acquérir des capacités d’attention, d’expression et d’avoir un rapport plus critique aux images. Nous demandons ensuite aux étudiants de réfléchir en groupe à la conception d’une leçon visant à l’acquisition de l’aptitude à regarder. Nous leur remettons le questionnaire suivant pour orienter leur réflexion : 1 Quelle méthode adopter ? Analyse orale collective, analyse écrite individuelle ou création d’une image par les élèves. 2 Quel type d’images étudier ? Faut-il partir d’images choisies par les élèves, celles qu’ils aiment, ou d’images proposées par le professeur ? Quels sont les problèmes liés à chacun de ces choix ? 3 Quelle place fera-t-on à l’image dans la séquence pédagogique ? Va-t-on partir de l’image et se focaliser sur elle, sera-t-elle illustrative, servira-t-elle de base à une évaluation ? 4 Quelles sont les conditions à créer pour permettre aux élèves d’observer attentivement les images ? Sur quel support les images seront-elles présentées ? 5 Comment amener les élèves à s’interroger sur les images ? Faut-il leur remettre une grille d’analyse, leur proposer de confronter l’image à analyser à une autre image ? 6 Quelle est la place qui sera faite à l’expression de l’émotion que les élèves peuvent ressentir face aux images et qui occulte parfois leur aptitude à l’observation minutieuse ? 7 Comment apprendre aux élèves à décrire une image ? De quels savoirs particuliers ont-ils besoin pour effectuer cet exercice, la maîtrise d’un vocabulaire technique, des notions théoriques sur les données plastiques de l’image, une aptitude à l’écriture ? Il s’agit ici d’amener les étudiants à comprendre l’intérêt qu’il y a à proposer des concepts aux élèves lorsqu’ils leur sont utiles pour effectuer une tâche plutôt que de les initier à ces concepts par un exposé théorique préalable. 8 Comment évaluer l’apprentissage ? L’exercice est suivi d’une mise en commun des réponses proposées par chacun des groupes. Nous faisons alors part de notre propre réflexion sur la question en allant parfois à l’encontre des propositions faites par l’ensemble de la classe. Nous nous appuyons sur des exemples concrets. Par exemple, en ce qui concerne le choix des images à étudier avec les élèves nous présentons à la classe des projets de leçon intéressants sur des films qu’ils auraient exclus, les jugeant trop difficiles comme Chamonix de V. Mréjen. Apprendre à regarder, c’est développer chez l’élève l’aptitude à observer et à décrire l’image. Mais c’est aussi lui apprendre à s’interroger sur les représentations, sur ce que l’image donne à voir et comment, sur la production, la diffusion et la réception des images. Nous abordons ces différents concepts avec les étudiants. Nous leur demandons ensuite de concevoir un projet de leçon, en préparation individuelle à domicile, et de le présenter à la classe au cours suivant. L’évaluation se fait collectivement. Apprendre à s’exprimer Envisageons à présent une seconde compétence : apprendre à s’exprimer. Réaliser un projet de création. Nous recourons à nouveau au travail en groupe et nous proposons aux étudiants un questionnaire destiné à structurer leur réflexion. 1 Dans quel but l’exercice va-t-il être réalisé ? Développer le sens esthétique des élèves, maîtriser une technique ? Quelle importance faut-il accorder au produit fini ? 2 Quels sont les problèmes pratiques et techniques auxquels le professeur risque d’être confronté lors de la réalisation d’exercices de création ? Comment gérer le prêt de matériel, les difficultés horaires ? 3 Comment les groupes de travail seront-ils constitués ? Combien d’élèves par groupe, les groupes seront-ils déterminés ou non par l’enseignant ? Le professeur doit-il ou non attribuer un rôle précis à chacun des membres du groupe ? Quelles compétences le travail en groupe permet-il d’acquérir aux élèves ? 4 Quel type d’exercice allons-nous demander aux élèves ? Quelles consignes allons-nous leur donner ? Quelle progression installer dans les exercices demandés aux élèves ? 5 Quels sont les obstacles que les élèves risquent de rencontrer lors de la réalisation de leur projet ? Quel rôle le professeur peut-il jouer pour aider les élèves à sortir de ces difficultés ? Quand doit-il intervenir et comment ? 6 Faut-il montrer aux élèves un exemple « réussi » de projet de réalisation analogue à celui qui leur est demandé ? 7 Est-il nécessaire de s’aligner sur les modes de production du système industriel et commercial ? Faut-il faire réaliser un story-board aux élèves ? 8 Comment amener les jeunes à être inventifs plutôt que de se conformer aux modèles dominants du clip, de la publicité, des séries télévisées ? 9 Dans quelles circonstances les travaux d’élèves seront-ils visionnés ? Seront-ils présentés à l’ensemble de la classe, à toute l’école, aux parents d’élèves ? 10 Comment évaluer les travaux d’élèves ? Quels seront les critères d’évaluation et quelle part accorderons-nous à chacun d’eux (aptitude à travailler en groupe, originalité du projet, qualité technique de la réalisation) ? Quelles sont les difficultés liées à l’évaluation d’exercices de création ? Cette question a pour objet de faire réfléchir les futurs professeurs à l’implication affective des élèves dans les travaux de création et de les sensibiliser au risque de blesser certains d’entre eux si l’on n’y prend garde. Le partage des conclusions de chacun des groupes est, comme pour l’exercice précédent, suivi de propositions émises par le didacticien. Le témoignage d’un enseignant en classe et la lecture de compte-rendu d’expériences par des praticiens viennent étoffer la réflexion. Nous demandons aussi à nos étudiants de lire certains textes d’A. Bergala qui pratique sans vraiment la nommer une pédagogie centrée sur l’appropriation de compétences via la pratique. On le voit, le cours de didactique CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 41 L’approche par les compétences en didactique des médias des médias est conçu comme un lieu d’échange d’expériences, de savoir et de questions sur la pratique pédagogique (Pourquoi apprendre ? Qu’est-ce qu’apprendre ?). Il n’entend nullement apporter aux étudiants les réponses à toutes les questions qu’ils rencontreront dans leur métier d’enseignant mais vise plutôt à les armer des compétences nécessaires pour y faire face. Bibliographie Conseil de l’éducation aux médias. (1996). L’éducation à l’audiovisuel 42 et aux médias. Dossier de synthèse. Bergala, A. (1992). Le cinéma en jeu. Aix-en-Provence : Institut de l’image. Diffusion en ligne : CRDP de Paris. 2005. J acquinot , G. (1998). « Repenser l’enseignement de la télévision », in Bourdon J. & Jost, F. (sous la direction de), Penser la télévision. Paris : Nathan, pp. 310 - 330. Lusted, D. (1991). The Media Studies Book. A guide for teachers. London : Routledge. Moore, B. « Media education », in David Lusted, op. cit., pp. 171-190. Odin, R. (1987). Odin a souligné ce fait CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 dans un texte souvent cité : « Rêverie pédagogique », in L’ école-Cinéma, Hors Cadre, n°5, pp. 17-31. Porcher, L. (2006). Les médias entre éducation et communication. Paris : Vuibert. Rey, B. & Staszewski, M. (2004). Enseigner l’histoire aux adolescents. Démarches socio-constructivistes. Bruxelles : De Boeck. Un dispositif à visée professionnalisante Jacqueline Beckers, Marie Delchambre, Emilie Lourtie Faculté de Psychologie & des Sciences de l’éducation, Service de Didactique spéciale en psychologie et en sciences de l’éducation Université de Liège Un dispositif à visée professionnalisante 1. Deux métiers de professeur Les agrégés en psychologie et sciences de l’éducation peuvent dispenser des cours de sciences humaines (sciences sociales, communication, psychologie…) à des élèves de l’enseignement secondaire supérieur général et technique de transition mais, le plus souvent, ils s’adressent à des élèves inscrits dans des formations qualifiantes préparant à des métiers du secteur 8, dits de « services aux personnes » tels que auxiliaire familiale et sanitaire ou puéricultrice relevant de l’enseignement professionnel ; agent d’éducation, animateur sportif ou socio-culturel relevant de l’enseignement technique. Le premier stage de l’année est organisé dans la filière de transition, celle qui est la plus proche de l’enseignement secondaire que les futurs agrégés ont eux-mêmes fréquentée. Dès lors, les premiers cours de didactique spéciale travaillent les grands axes de l’activité enseignante – préparer une séquence de leçon, gérer des activités d’enseignement-apprentissage et évaluer les acquis des élèves et la qualité de son enseignement – par des mises en situation relatives à des thématiques régulièrement abordées dans ce type de classes. Une première sensibilisation au développement de compétences, en parallèle avec la découverte du référentiel des « compétences terminales et savoirs requis en sciences sociales » au terme des humanités générales et technologiques, consiste à les engager dans un travail intentionnel et délibéré avec les élèves relativement à des démarches méthodologiques rigoureuses (parfois dénommées « compétences transversales ») au service de la maîtrise de concepts de sciences humaines. Les deux autres stages se déroulent dans l’enseignement qualifiant, une fois dans une section technique, et l’autre fois dans une section professionnelle. La diversité des publics que les futurs agrégés sont susceptibles de rencontrer est de cette manière prise en compte mais, au total, leurs heures de pratique sont plus nombreuses dans le secondaire de qualification. C’est là en effet qu’ils ont le plus de chances de trouver un emploi et c’est là aussi que, dans l’équipe des enseignants, ils occupent souvent une place privilégiée, dispensant des cours de l’option et souvent accompagnant, voire coordonnant les stages des élèves. C’est donc au développement de compétences professionnelles qu’ils devraient contribuer à l’occasion de ces deux stages. En tous cas, le dispositif de formation les y engage et situe ce développement dans un processus de construction identitaire professionnelle. C’est sur cette partie de la formation que l’article est centré. 2. S’informer sur les métiers auxquels on prépare et sur les compétences à développer 2.1. La complexité des métiers Les enseignants des sections professionnalisantes partagent avec les enseignants du général les missions d’instruire, de socialiser, d’émanciper les jeunes générations. Ils ont en outre des responsabilités spécifiques liées à la préparation à un métier : permettre l’acquisition des connaissances qui fondent l’action professionnelle ou l’orientent, offrir des occasions de s’essayer aux démarches requises, développer des attitudes, des normes, des valeurs, un habitus partagés par ceux qui sont reconnus pour exercer le métier. Par les postes qu’ils occupent dans le qualifiant, les agrégés en psychologie et sciences de l’éducation prennent une part importante de ces responsabilités ; ils doivent donc y être formés. Quand on prépare à un métier, il est essentiel, pour donner du sens aux apprentissages proposés, de prendre l’exercice de celui-ci en considéra- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 43 Un dispositif à visée professionnalisante tion : le contexte sociologique de son exercice et de son évolution, la réalité des situations de travail et l’activité des professionnels dans ces situations. C’est l’enjeu d’une didactique professionnelle (Raisky, 1996; Pastré, 2002). Les métiers du secteur 8 font partie, comme l’enseignement d’ailleurs, des métiers de l’interaction humaine. Le but du travail y est souvent formulé dans les termes d’une mission générale, peu procéduralisée ; la part d’auto-détermination du bénéficiaire de l’action professionnelle rend celle-ci partiellement imprévisible et incontrôlable, nécessitant de fréquents réajustements et une prise en compte maximale des informations contextuelles et de l’histoire de la relation (Leplat, 1997)… Ces métiers offrent donc en grand nombre des tâches ouvertes au sens défini dans l’article introductif (Beckers) dont on ne peut s’acquitter qu’en intégrant compétences techniques et compétences relationnelles et en maîtrisant les normes de langage et de comportements des institutions spécifiques où ces métiers s’exercent (Pastré et al., 2006). En outre et plus spécifiquement, les métiers de « service aux personnes » sont dévolus à l’accompagnement en première ligne de bénéficiaires fragiles, ce qui accroît la part de responsabilité des travailleurs. Leur importance pour l’équilibre de la société est très grande : ils jouent un rôle essentiel de sauvegarde, de maintien ou de restauration de l’autonomie, de relais vers d’autres professionnels. L’écart entre les responsabilités, le statut déprécié des travailleurs et le faible niveau de qualification exigé ne manque pas d’interpeller. Même si l’on n’a pas prise, à court terme en tout cas, sur ces enjeux sociétaux, ils tissent une toile de fond à l’exercice du métier d’enseignant dans ces sections qu’on ne peut ignorer en préparation de stage. 2.2. Une initiation méthodologique On ne peut raisonnablement prétendre, dans le temps limité imparti à la formation initiale, explorer sérieusement les tâches et les rôles des 4-5 métiers 44 auxquels nos agrégés sont susceptibles de préparer. Il nous est cependant apparu indispensable d’engager la formation dans la voie de la didactique professionnelle pour amorcer avec les étudiants une démarche qu’ils pourront poursuivre une fois engagés sur le terrain. Quelles démarches avons-nous exploitées dans ce but ? Pour chacun des métiers d’un secteur, des profils de qualification et de formation élaborés conjointement par des représentants de l’enseignement et de la CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications) définissent les compétences à développer au départ d’une analyse des tâches qu’accomplissent les travailleurs confirmés. L’avis des professionnels sur ces référentiels n’est pas toujours positif (Beckers et al., 2006) car, sous un émiettement de tâches, les buts prioritaires du métier ne sont pas nécessairement mis en lumière. Le « stage d’activité scolaire hors cours », prévu par le décret et donc le programme d’agrégation, est mis au service d’une immersion, hélas beaucoup trop brève, dans un lieu d’exercice du métier auquel se forment les élèves que nos étudiants vont rencontrer lors de leur stage 2. Ils accompagnent durant une journée des professionnels dans leurs activités quotidiennes et les interrogent sur leur perception des tâches et des rôles professionnels. Les données ainsi récoltées sont complétées par d’autres sources (documents écrits et vidéos) offrant des témoignages et images du métier. Des rencontres ont été organisées avec des personnes-ressources en contact privilégié avec ces milieux professionnels. L’ensemble de ces données, confrontées au prescrit, permet de porter un regard critique sur celui-ci, de réfléchir aux grandes familles de tâches des métiers exercés, à leurs buts prioritaires et aux compétences essentielles à développer lors de la formation. Tout comme un enjeu de la pédagogie par compétences dans les diverses disciplines scolaires est de repérer les familles de problèmes que cette discipline doit permettre de traiter efficacement (voir Schneider et Varlet dans ce numéro), l’enjeu de cette pédagogie en didactique professionnelle est bien CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 de structurer les apprentissages selon les grandes familles de tâches critiques du métier. D’un côté comme de l’autre, il ne s’agit pas simplement d’appliquer des démarches transversales rigoureuses à des contenus spécifiques même si cette préoccupation présente aussi un intérêt formatif. 3. Concilier responsabilités du métier et public : un défi de taille ! Comme pour les autres sections du secondaire qualifiant, beaucoup d’élèves de ces filières du secteur 8 s’y retrouvent non par choix mais par relégation. Ils ne souhaitent pas nécessairement exercer le métier, ils en ont d’ailleurs fréquemment une image tronquée : « être puéricultrice c’est jouer, câliner de petits enfants comme le ferait une maman… », « être agent d’éducation c’est surveiller des enfants à problèmes… ». La proximité des tâches professionnelles avec les actes quotidiens fait que l’identité professionnelle doit se construire en rupture plutôt qu’en continuité avec l’identité biographique (Dubar, 2000). Par ailleurs, on s’interroge sur la difficulté que représente l’engagement dans une construction identitaire professionnelle pour des adolescents souvent marqués par un parcours scolaire chaotique qui n’est pas sans effet sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, et ce, d’autant plus qu’ils sont en pleine élaboration de leur identité personnelle. Par ailleurs, il n’est pas rare que certaines caractéristiques de leur contexte de vie personnelle entrent en résonance avec les problèmes qu’ils ont à gérer sur le plan professionnel : difficultés comportementales ou sociales, dépendance financière… Le travail des représentations et attitudes est pour toutes ces raisons particulièrement délicat. Par exemple, présenter des situations nuancées de maltraitance subtile vis-à-vis des personnes âgées (par exemple les faire dîner à 11 h, les obliger à aller aux toilettes à un moment précis…) les amène à les considérer comme des actes normaux dont ils ne voient pas le danger. À l’inverse, entrer par des situations choquantes (coups et Un dispositif à visée professionnalisante blessures) schématise l’opposition « agresseur-victime », les empêche de s’identifier avec cet agresseur potentiel et de remettre en question leurs comportements. Les difficultés que les élèves de l’enseignement technique et professionnel ont eues avec l’école jusque là et les faibles exigences de la formation risquent d’engager sur la voie du pragmatisme, de l’utilitarisme, des apprentissages purement techniques alors même que les métiers appellent autre chose. Le processus de deuil que doit effectuer chaque enseignant par rapport à sa matière lorsqu’il se prépare à l’enseigner à d’autres pourrait prendre ici, dans le chef des psychopédagogues, une forme particulièrement aiguë… La formule magique « tenir compte des caractéristiques de son public » peut justifier des actions très diverses : de propositions sur mesure qui enferment chacun dans ses limites (ils n’aiment pas écrire donc on ne les fait jamais écrire, ils sont allergiques à la théorie, donc on n’en aborde pas…) aux projets de justice corrective qui investissent dans la recherche de moyens pour permettre de dépasser les différences qui face à une situation se révèlent être des handicaps. Ainsi a-t-on le droit de passer aux élèves des comportements irrespectueux ou irresponsables face aux bénéficiaires en stage au nom de leur passé personnel douloureux ! L’importance sociétale des métiers auxquels les enseignants préparent des élèves au profil scolaire et personnel particulier, dans le cadre de formations d’un niveau de qualification faible, souligne la difficulté de la tâche. La responsabilité est énorme, le travail à mener gigantesque et les conditions difficiles. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles la constitution de réseaux avec les maîtres de stage est souhaitée même si son organisation matérielle reste difficile. La demande est particulièrement importante relativement au développement et à l’évaluation d’attitudes professionnelles liées à l’interaction avec autrui dans le champ de la relation d’aide : comment dépasser l’intuition en fondant son action sur des savoirs éminemment complexes sachant que les futurs professionnels auxquels on s’adresse n’ont ni l’envie ni la formation permettant d’entrer en profondeur dans ceux-ci. Comment faire la part entre son propre vécu, son histoire et celle des bénéficiaires, est-il possible de se construire en aidant l’autre à le faire, comment ne pas s’engager dans une relation personnelle d’affiliation (puéricultrice, éducateur et non parent), comment respecter les limites de son rôle pro- fessionnel (puéricultrice, éducateur et non psychologue) ? Le travail avec les maîtres de stage s’engage via les projets menés par les stagiaires. 4. L’isomorphisme d’un dispositif de formation Par rapport à leurs condisciples futurs agrégés des différentes facultés qui prépareront des élèves à explorer et à maîtriser un savoir particulier (histoire, mathématique, langue seconde…), les futurs agrégés en psychologie et sciences de l’éducation, quand ils enseignent dans le qualifiant, ont un rôle spécifique à jouer : préparer des élèves à une activité professionnelle alors qu’ils se préparent eux-mêmes à un métier : celui d’enseignants. Le dispositif de formation qui leur est proposé autour des stages 2 et 3 exploite délibérément l’isomorphisme : il leur fait vivre et réfléchir sur des facettes d’un dispositif professionnalisant qu’ils sont aussi invités à mettre en œuvre, au moins partiellement, avec leurs élèves. Ce dispositif (Beckers, 2003-2004, p. 62) privilégie une entrée par l’activité professionnelle (le stage) et la réflexion sur cette activité. Ses différentes composantes et leur articulation visent le travail, en formation initiale, des compétences et de l’identité professionnelle. Pour permettre aux futurs professionnels de développer compétences et identité professionnelles Avec en point de mire les finalités de lʼaction professionnelle et les tâches récurrentes qui en constituent le noyau critique… Ia. Les savoirs (concepts-théories de référence : grilles de lecture et dʼanalyse des réalités professionnelles) Ils permettent de comprendre et de fonder des actes pertinents IIb. Mettre face à des tâches professionnelles en interaction avec des acteurs dans un contexte authentique (pratiques sociales : stages) Ib. Les savoir-faire (techniques et procédures) Ils évitent la surcharge cognitive en situation I. Garantir et vérifier la maîtrise de ressources IIa. Mettre face à des tâches complexes proches de la vie professionnelle qui invitent à la mobilisation intégrée des ressources pertinentes (tâches dʼintégration) IVa. Travailler les critères de réussite de lʼaction professionnelle Ic.Les attitudes et représentations socioprofessionnelles Elles poussent à agir conformément aux valeurs et à lʼéthique de la profession Ces ressources auront plus de chance dʼêtre mobilisables -si les trois composantes (action, réflexion, communication) sont travaillées -si le lien avec les pratiques sociales est explicité et idéalement vécu anticiper clarifier le contrat conceptualiser Intérioriser (auto-évaluation) IVb. Fonder lʼévaluation certificative sur toutes les composantes et leur intégration seulement si elles ont été travaillées III. Favoriser un retour réflexif et partagé sur lʼaction pour engranger les résultats de lʼexpérience Mise à distance de lʼaction (transfert de compétences) et prise de recul sur son fonctionnement (construction identitaire) CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 45 Un dispositif à visée professionnalisante Pour le deuxième stage, dit « stageprojet », qui bénéficie d’une durée favorable, sont négociées avec le terrain des conditions d’exploitation d’une séquence cohérente, aussi articulée que possible sur le stage des élèves. Les futurs agrégés, en duos, sont invités à : - développer des compétences professionnelles cohérentes avec l’analyse des familles de tâches critiques du métier ; - garantir et vérifier la maîtrise des ressources à mobiliser ; - travailler des attitudes et des représentations socio-professionnelles ; - mettre face à des tâches complexes proches de la vie professionnelle ou de la vie professionnelle (stages) ; - favoriser un retour réflexif et partagé sur l’action ; - travailler les critères de réussite de l’action professionnelle ; - évaluer le degré de maîtrise de la ou des compétence(s) travaillée(s). Le stage 3 les invite à réexploiter, seul et dans une autre section, un maximum de composantes du dispositif professionnalisant avec leurs élèves. Les tâches proposées aux futurs agrégés au cours de didactique spéciale sont situées dans le dispositif : moments de synthèses théoriques (par exemple sur la construction identitaire, le travail des attitudes, la didactique professionnelle…), mesure et travail des représentations (par exemple à propos des élèves du qualifiant), occasion d’exercices (par exemple rédaction de questions, de critères…), mais aussi, plus particulièrement, exploitation de situations quasi professionnelles d’intégration et de pratiques réflexives. Celles-ci font l’objet d’une attention particulière. Outre ce qu’elles apportent à leur formation propre d’enseignants, elles sont aussi analysées sur le plan méthodologique dans la perspective de leur transposition aux élèves. Des fiches méthodologiques adaptées au public du secondaire qualifiant sont amendées suite à ces expériences vécues et réfléchies. Deux types de situations d’intégration sont particulièrement exploitées, à côté des simulations et des projets : les analyses de cas et les jeux de rôles. Les analyses de cas ne consistent pas un apprentissage expérientiel. Comme 46 leur nom l’indique, elles consistent, pour les étudiants, à analyser une situation lue, filmée ou jouée (le plus souvent dans ces deux derniers cas avec le support d’une grille d’observation) et à proposer une suite et/ou des alternatives. Ici, la réflexion se fait sur l’action et le paradigme est plutôt celui de l’expertise : les participants étudient une situation à la lumière des savoirs de référence ; les hypothèses ne sont pas mises à l’épreuve de la pratique. L’analyse des démarches méthodologiques vécues par les étudiants d’agrégation et de leurs effets alimentent la réflexion sur l’exploitation de telles analyses de cas dans leurs classes. Les jeux de rôles, et particulièrement les ateliers praxéologiques (Saint- Arnaud, 2001), permettent à l’étudiant de s’exercer à l’interaction avec tout ce qu’elle a d’imprévisible et d’émergeant dans la situation. Ils permettent de mieux comprendre les réactions de l’autre et les siennes propres. Au départ d’une situation contextualisée (fictive ou vécue), plusieurs intervenants en succession testent leurs hypothèses de réaction en les jouant face à un interlocuteur. Par un système de cartons de couleur, il exprime son degré de satisfaction en fonction des réactions captées chez l’interlocuteur et modifie ses interventions (régulation dans l’action). Le debriefing après une séquence d’interactions (réflexion sur l’action) permet de comprendre ce qui s’est passé et peut dès lors contribuer à l’amélioration des interactions futures. Ici, on est bien dans une forme d’apprentissage expérientiel. Ces démarches d’apprentissage sont particulièrement intéressantes à exploiter dans la formation à des métiers où les interactions humaines rendent chaque situation singulière et complexe ; ce qui nécessite de la part des professionnels une constante adaptation en recourant au raisonnement, à la créativité, voire à leur intuition. Ils travaillent dans un paradigme de l’incertitude contrairement aux métiers techniques où des règles universelles garantissent une certaine efficacité à l’action et permettent de fonctionner dans un paradigme de l’expertise. Ces ateliers praxéologiques utilisés, avec des situations fictives, en amont CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 des stages permettent de s’y préparer. Ils peuvent aussi être exploités au retour des stages à propos de situations vécues et constituent dès lors une formule de pratiques réflexives particulièrement appropriée aux élèves du qualifiant compte tenu de leurs difficultés à entrer dans un processus de réflexion sur l’action. Lors des retours de stage, les échanges spontanés et non outillés empruntent souvent la voie de relations primaires (Bakhtine, 1984) : ce qui s’est passé sur mon lieu de stage, qui j’ai rencontré, ce que j’ai trouvé de bien, ce que j’ai eu du mal à digérer, ce qui ressemble à ma vie personnelle… L’évocation de l’action professionnelle est relativement aisée. C’est un travail de nature intellectuelle plus complexe qui permet de dépasser les épisodes vécus, d’analyser l’action pour la reconstruire à un autre niveau : celui de la conceptualisation de cette action professionnelle (Samurçay et Pastré, 1998) construisant une connaissance réexploitable ultérieurement (décontextualisation et institutionnalisation). D’autres approches (méthode narrative, méthode métaphorique) ont également été exploitées en pratiques réflexives avec les agrégés après leurs stages et leur transposition aux élèves du secondaire étudiée. Pour que les expériences vécues en formation laissent des traces et fournissent un soubassement solide auquel les expériences professionnelles ultérieures pourront venir s’accrocher, l’intériorisation des critères de qualité de l’action professionnelle et leur intégration aux représentations et attitudes socioprofessionnelles est indispensable chez nos étudiants comme chez leurs élèves. Les situations d’intégration et les pratiques réflexives constituent une occasion de travailler délibérément ces critères en amont et en aval des stages. Ce travail peut prendre utilement la voie de démarches d’auto-évaluation mutuelles (entre condisciples) et de co-évaluation (enseignant-élève). Le travail de transposition du vécu des agrégés à l’exploitation avec leurs élèves du qualifiant prend, ici aussi, en compte la difficulté observée chez ceux-ci de réfléchir et surtout de parler ou d’écrire de façon distanciée au sujet du déroulement de leur action profes- Un dispositif à visée professionnalisante sionnelle, de son contexte et de leurs propres réactions. Ces démarches visant l’auto-régulation auront d’autant plus de légitimité qu’elles seront aussi soutenues dans le milieu de travail à l’occasion des stages, ce qui souligne l’importance d’une articulation réussie entre les écoles et les milieux professionnels. Cette articulation est de la responsabilité des enseignants qui coordonnent et accompagnent les stages. Les futurs agrégés sont invités à s’impliquer aussi dans de telles démarches, notamment à l’occasion du stage 3. 5. Quelques mots pour conclure Ce texte s’est attaché à décrire comment le cours de didactique spéciale en psychologie et sciences de l’éducation prépare les futurs agrégés à contribuer au développement des compétences et de l’identité professionnelles des élèves du qualifiant auxquels ils s’adresseront le plus souvent. Les enjeux de ce travail qui, dans le temps imparti, ne peut être qu’une amorce sont qu’ils prennent conscience de l’importance et de la spécificité du rôle qu’ils ont à jouer dans ce contexte et qu’ils se soient engagés dans des démarches professionnelles qu’ils pourront affiner et réguler quand ils exerceront le métier. Bibliographie Bakhtine, M. (1984). Esthétique de la création verbale. Paris : Éditions Gallimard. B eckers , J. (2003-2004). Amorcer et accompagner le développement professionnel en formation initiale, Université de Liège. À paraître chez De Boeck en décembre 2007 sous le titre « Développer les compétences et l’identité professionnelle en formation initiale : L’enseignement et autres métiers de l’interaction humaine ». Beckers, J, François, N., Gilson, V., & Grégoire, Ch. (2006, août). Développer les compétences et l’identité professionnelle des élèves de la filière de qualification (secteur service aux personnes). Rapport final de la seconde année de recherche. Liège : Service de Didactique professionnelle et de Formation des Enseignants de l’Université de Liège. Dubar, Cl. (2000). La socialisation, construction des identités sociales et professionnelles, 3 e éd. Paris : A. Colin. Leplat, J. (1997). Regards sur l’activité en situation de travail : Contribution à la psychologie ergonomique. Paris : PUF. Pastré, P. (2002, janvier-février-mars). L’analyse du travail en didactique professionnelle. Revue française de pédagogie, 138, 9-17. Pastré, P., Mayen, P. & Vergnaud, G. (2006, janvier-février-mars). La didactique professionnelle : note de synthèse. Revue française de pédagogie, 154, 145-198. Raisky, C. (1996). Doit-on en finir avec la transposition didactique ? Essai de contribution à une théorie didactique. In C. Raisky & M. Caillot (Éds), Au-delà des didactiques, le didactique. Débats autour de concepts fédérateurs (pp. 37-59). Bruxelles : De Boeck Université. Saint-Arnaud, Y. (2001). La réflexion dans l’action : un changement de paradigme. Recherche et formation, 36, 17-27. Samurçay, R., & Pastré, P. (1998). L’ergonomie et la Didactique. L’émergence d’un nouveau champ de recherche : Didactique professionnelle, Actes du colloque « Recherche et Ergonomie », Toulouse, février 1998. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 47 L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs Marie-Noëlle Hindryckx, Christine Daussogne Faculté des Sciences, service de Didactique des Sciences biologiques Université de Liège L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants… et des formateurs Selon les rôles de la formation initiale identifiés par J. Beckers dans ce numéro, nous pouvons mettre en évidence deux phases importantes dans la formation des futurs enseignants en biologie : la phase d’appropriation des prescrits en matière d’enseignement pour construire des séquences de leçons à tester et la phase d’analyse de ces construits mis en œuvre, en vue de les optimiser. Concrètement, la phase d’appropriation commence dès le début de la formation, la phase d’analyse en découlera au fil de la formation. 1. Faire émerger les représentations du métier et de ses outils… Pour un futur enseignant en sciences biologiques, le concept « enseigner », évoque d’abord1 la possibilité de « transmettre des savoirs », « des savoirs savants les plus exacts possible ». Vient ensuite l’envie de donner « le goût des sciences », de donner « les bagages pour ceux qui voudront se destiner aux études universitaires scientifiques » et « éviter les écueils » qu’eux-mêmes ont traversés… Par contre, quand on leur demande ce qui leur a donné l’envie de s’intéresser aux sciences dans leurs cours de l’enseignement secondaire, ce sont souvent les activités pratiques (dissections, laboratoires, visites de terrain, …) qui sont citées. La première mise en situation de la formation demande aux étudiants2 futurs AESS biologie, de « préparer une 48 leçon » sur un thème imposé, puis de répondre à quelques questions faisant émerger les démarches qu’ils ont mises en place pour procéder à cette préparation. Souvent, les étudiants vont revoir les notions scientifiques visées dans leurs cours d’Université ou dans un livre de référence-matière3, puis dans les cours vécus au secondaire. Rarement les documents officiels sont évoqués ; les livres scolaires du secondaire supérieur ne sont pas mentionnés non plus. Ces préparations sont donc strictement basées sur la transmission d’un savoir académique, souvent de très (trop) haut niveau. Quand le rôle des protagonistes est envisagé par l’étudiant, il consiste à décrire les actions de l’enseignant, jamais celles des élèves… 2. Déconstruire pour mieux reconstruire ensemble Un premier grand chantier de déconstruction et reconstruction des préparations est mis en place. Par groupes, accompagnés d’un enseignant moniteur pédagogique4, les étudiants découvrent les documents de référence officiels (livret « compétences terminales et savoirs requis en sciences », les programmes, les manuels d’accompagnement des programmes…) et commerciaux (livres scolaires de tous bords, sites Internet utiles...). C’est souvent leur premier contact avec le concept de « compétences ». Les exercices d’enseignement donnés à l’université devant des étudiants des sections physique, chimie et biologie CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 et l’expérience du premier stage réel d’enseignement (environ dix heures à prester) vont permettre aux étudiants d’essayer de construire des leçons qui intègrent tous ces nouveaux éléments. Force est de constater qu’à ce stade d’appropriation du concept de compétence, beaucoup d’étudiants, s’ils sont capables d’identifier des compétences, citent dans leur préparation toutes celles qui pourraient être exercées dans le cadre du thème choisi. De plus, peu d’entre eux, arrivent à bâtir des activités mettant effectivement en jeu les compétences annoncées. Par exemple, le futur enseignant qui réalise une expérience démonstrative (une expérience d’osmose, par ex.) devant les élèves, pense exercer chez eux la compétence « expérimenter ». Beaucoup ne perçoivent pas la différence, et par là les enjeux visés, en fonction de ce que fait le maître et surtout, de ce que font les élèves. 3. De l’importance du vécu… Partant du constat que, selon Astolfi et al. (1997, p. 9) « il paraît cohérent que les dispositifs développés par les intervenants lors d’une formation présentent une certaine parenté avec ce que le formé aura à installer pour ses élèves, à son retour dans sa classe5, nous proposons aux futurs enseignants, une activité mettant en œuvre les démarches que nous espérons voir émerger dans les classes. Cette activité est mise en place dans le L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs cadre du cours de didactique spéciale en biologie pour aider les étudiants à percevoir les nuances - parfois de taille - entre les différentes formes de la démarche expérimentale. Des ateliers expérimentaux présentant différents statuts de la démarche expérimentale sont organisés pendant une séance de cours (trois heures). Après avoir vécu ces ateliers par groupe de deux ou trois, les étudiants s’interrogent sur la signification de ceux-ci : la position, le vécu de l’apprenant est-il le même s’il suit un protocole expérimental ou s’il est mis face à un défi ? Quels sont les apprentissages réels pour l’élève s’il doit construire lui-même le protocole expérimental qui permettra d’isoler une variable du système ? Les expériences remarquablement illustrées dans des émissions très prisées par les enseignants telles que « C’est pas sorcier », ont-elles le même statut (entendons par là : le même vécu pour l’élève) qu’une expérience menée en classe par les élèves ou par l’enseignant ? Les expériences racontées dans les manuels scolaires peuvent-elles remplacer les expériences vécues en classe ?… Prendre la position de l’élève dans un premier temps, puis se décentrer pour atteindre celle de l’enseignant, permet souvent aux étudiants de mieux appréhender ce concept de compétence et surtout d’identifier clairement celui qui, en fin de compte, doit l’exercer : l’élève. 4. La préparation, un outil de changement… Un retour réflexif sur les pratiques de stage au début de la formation est aussi l’occasion de revenir sur la construction de la préparation et son utilité. Beaucoup d’étudiants sont tentés d’écrire leurs préparations a posteriori, pour alimenter leurs rapports de stage … Ce n’est évidemment pas le but … Rédiger une préparation fonctionnelle doit permettre à l’enseignant d’identifier clairement les compétences scientifiques et spécifiques 6 du document « compétences terminales et savoirs requis en sciences », de développer les objectifs précis de son enseignement ; d’écrire en vis-à-vis la part prise par les élèves et par lui-même dans les démarches d’apprentissage, et ce, avant la séquence. Quand celle-ci a été mise en place en classe, un retour sur ce qu’il s’y est passé, tant au niveau de l’enseignant que des élèves, permettra d’amender cette préparation et d’en faire un outil de changement. 5. De la cohérence et de l’adéquation de l’évaluation des apprentissages… L’étape suivante, pour les futurs enseignants, est d’essayer de comprendre l’importance cruciale de l’évaluation dans cet apprentissage par compétences. Peut-on faire travailler les élèves sur un logiciel de simulation de situations expérimentales (par exemple « Reflexarc » ou « Drosofly »7) puis évaluer les apprentissages uniquement sur la base d’un questionnaire à choix multiples (QCM), vérifiant surtout l’apprentissage d’un contenu ? N’est-il pas nécessaire d’aller plus loin ? Mais comment évaluer des compétences et quelles compétences ? évaluer par compétences, c’est évaluer un « ensemble organisé de tâches complexes, c’est-à-dire ouvertes et inédites pour l’élève auquel elles s’adressent et gérées de manière autonome par celui-ci » B eckers (2007). Cette partie de la formation pose beaucoup de difficultés aux futurs enseignants. D’autant que, lors de leurs pratiques de stages actifs ou d’observation, les étudiants rencontrent peu d’occasions d’évaluer leurs enseignements et donc peu d’opportunités d’échanges à ce sujet avec leur(s) maître(s) de stage. Cette tâche d’évaluation est complexe, tant pour l’enseignant novice que pour l’enseignant chevronné. Peu d’échanges d’outils ont lieu à ce niveau. Le suivi des travaux des commissions chargées de construire des outils d’évaluation en lien avec le document « compétences terminales et savoirs requis en sciences » maintenant disponibles en partie sur le net8, permet déjà aux étudiants d’y voir un peu plus clair. Depuis cette année, une chargée de mission dans la commission pour les sciences, Madame A. Lahousse, vient expliquer aux étudiants la démarche de cette commission et montre les outils concrets qui en découlent. Un enseignant du secondaire supérieur, Monsieur P. Boxus, vient également témoigner de la façon dont il met en œuvre les compétences dans sa classe, de la construction de la séquence de leçon à sa mise en œuvre puis à son évaluation. Il propose des séquences thématiques complètes des deuxième et troisième niveaux du secondaire. Cette articulation concrète des compétences et de leur évaluation est, semble-t-il, profitable, car les leçons d’examens de cette fin d’année9, ont montré une adéquation vraiment plus forte entre les compétences annoncées dans les préparations de leçons et les évaluations prévues par les étudiants. Les familles de tâches concrétisent bien ces notions de « complexes » et « inédites» : le nombre de compétences articulées est faible ; l’évaluation proposée est inédite en regard de la situation d’enseignement proposée ; les critères et les indicateurs définis pour fixer la note de l’élève sont présents également. Les types de tâches dont doivent pouvoir s’acquitter les élèves sont précisées et éclairent ainsi sur les apprentissages nécessaires en amont. Il reste alors à l’étudiant de s’essayer à suivre une des propositions de matrices d’évaluation pour s’en imprégner et ainsi espérer « calquer » cette façon de faire pour d’autres points du programme. Pendant leur stage le plus long10, certains ont tenté de mettre en place une évaluation en fin de séquence. Cette recherche d’adéquation entre les apprentissages et leur évaluation permet des échanges très constructifs pour les deux parties entre les maîtres de stage et leurs élèves. Certains maîtres de stage ont d’ailleurs signalé à ce propos, l’enrichissement mutuel et l’appel d’air frais, provoqués par ce chantier. Les aller-retour entre les acteurs de terrain, les futurs enseignants et les formateurs, restent la pierre angulaire d’une formation initiale et continuée de qualité pour former « une vraie communauté d’apprentissage » (voir les propos de J. Beckers de ce n°22 du Puzzle…). L’examen de stage relativement à l’agrégation en sciences biologiques, consiste à présenter une leçon publique11 dans une classe du secondaire CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 49 L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs d’un établissement liégeois. Ainsi, les étudiants eux-mêmes sont évalués sur leur propre maîtrise d’une compétence complexe et mobilisatrice d’acquis variés, à savoir : enseigner à des élèves du secondaire… 6. Faire le deuil de sa Science et travailler des compétences… pour tous… Un changement de type d’enseignement au cours des stages actifs est souvent très révélateur pour les étudiants. Issus en majorité de l’enseignement général, avec des options fortes, les étudiants commencent leurs stages dans des écoles à public plutôt favorisé et de type général. Ce « déjà connu » les rassure. Quand ils sont confrontés à un public de l’enseignement technique et/ou professionnel, les paramètres sont très différents : les élèves fonctionnent beaucoup plus sur un mode affectif, les ambitions de contenus poussés doivent être abandonnées et souvent, les démarches qu’ils mettent en œuvre auprès des élèves leur apparaissent clairement comme inappropriées. Les élèves de l’enseignement qualifiant envoient généralement des messages très clairs à leurs enseignants. Trop d’attendus de matière… les évaluations sont catastrophiques ; trop peu de démarches actives… l’activité prend naissance dans la classe sous forme de bavardages intempestifs ; des mises en situation qui ne concernent pas ou peu les élèves et leur quotidien… c’est le décrochage et l’échec. Pourtant, les stagiaires reviennent vraiment enrichis de ce passage « à tabac », avec une autre vision de leur métier, des élèves et de l’institution. Une étudiante a « avoué » aux autres, lors des séminaires d’examen de didactique spéciale, avoir utilisé des panneaux de format A3 représentant les os du pied avec des éléments prédécoupés représentant les différentes parties d’une articulation à situer sur ce schéma en guise de synthèse. Une autre a demandé à ses élèves de lui expliquer la formation d’un OGM à partir de textes et à l’aide d’un matériel constitué de ficelle, œufs « Kinder », perles et boules de Noël… « Ce n’est 50 pas ridicule ? ! », « Ils vont croire que l’on se moque d’eux ! » « Et nous alors, on sert à quoi ? »… N’oublions pas que tous les élèves doivent avoir acquis des compétences, pas seulement ceux qui se passeraient bien de nous pour apprendre… Des approches plus concrètes offrent souvent une porte d’entrée plus accessible à des élèves qui demandent un suivi plus important. Baignés depuis plusieurs années dans un monde de scientifiques, les étudiants à l’agrégation en sciences biologiques éprouvent souvent des difficultés à se rendre compte que les élèves actuels du secondaire ne sont plus à l’image d’eux-mêmes ; que le langage du scientifique, sa façon de penser, de réfléchir, constituent parfois déjà un obstacle pour leurs interlocuteurs. Des séminaires d’épistémologie12 et histoire des sciences sont organisés sous forme de discussions pour évoquer ces caractéristiques intrinsèques du scientifique et de la science. Différents sujets y sont abordés, dont l’évolution qui reste un sujet difficile à enseigner. Les séminaires interdisciplinaires13 sont également l’occasion de prendre du recul et de mieux définir ainsi sa spécificité d’enseignant en sciences. Les projets que les groupes d’étudiants doivent imaginer leur permettent de voir la richesse que constitue l’approche par compétences. Le travail de chaque enseignant « spécialiste » au sein d’une équipe interdisciplinaire ne se résume pas au simple partage des tâches ingrates : l’enseignant des mathématiques calcule le prix du voyage, le professeur de géographie son itinéraire, le professeur de biologie, les menus des repas… Ces collaborations sont de réelles occasions de travailler des compétences complexes de façon intégrée chez leurs élèves qui gardent souvent une vision très parcellaire de leurs apprentissages. Voilà quelques réflexions qui montrent qu’enseigner est un art et former les enseignants un défi ! Notes Un questionnaire individuel de représentations au début de leur formation initiale permet de mettre en évidence 1 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 ces différents aspects. Dans ce texte, le terme « étudiant » désigne les futurs agrégés de l’enseignement secondaire supérieur en biologie, et le terme « élève » désigne un élève du secondaire supérieur. 3 Ex. : Campbell, N.A. (1995), 3th ed. « biologie », adapté et révision scientifique de R. M athieu . De Boeck Université : 1 190 p. 4 Les moniteurs-pédagogiques sont des enseignants du secondaire supérieur en poste, impliqués dans la formation des futurs enseignants. 5 « On peut donc parler d’un certain homomorphisme entre les situations formatives (vécues et analysées) et les situations didactiques (construites et gérées) et insister sur le fait que la « forme » choisie pour la formation importe au moins autant que son contenu … Il est fréquent de constater que ce sont les modalités de formation qui fournissent les points d’appui les plus importants pour modifier les pratiques. » (Astolfi et al., 1997). 6 Voir à ce propos l’article « former les futurs professeurs de chimie à la pédagogie des compétences » B. Leyh et V. Collignon de ce numéro de Puzzle . 7 Logiciels développés par G. Swinnen et commercialisés par Inforef, rue E. Wacken, 1b 4000 Liège. 8 voir http://www.enseignement. be/prof/dossiers/eval/outilhgt_biologie.asp 9 L’examen de didactique spéciale en biologie consiste en un séminaire de présentation de leçons performantes et qui feront l’objet d’une diffusion au sein de la promotion. 10 Généralement, la période du mois de janvier se prête bien à des stages plus imposants, constitués d’une vingtaine d’heures prestées par l’étudiant. Les enseignants du secondaire sont en effet plus disponibles à cette période de l’année. 11 Le thème de la leçon est celui qui correspond au programme réel des élèves qui accueillent nos étudiants au mois de mai. Chacun dispose de 50 minutes de leçon. Un jury composé de membres du Service de Didactique de la Biologie et de la Faculté des Sciences, assiste à la 2 L’enseignement par compétences en sciences biologiques : le défi des enseignants...et des formateurs performance. Celle-ci est ensuite discutée avec le stagiaire et notée. 12 Ce cours est dispensé par le professeur B. Leyh pour les chimistes, les physiciens et les biologistes. 13 Ces séminaires organisés par Mr N. Leclercq concernent toutes les facultés qui organisent une agrégation à l’ULg. Bibliographie Astolfi, J.P., Darot E., GinsburgerVogel Y., Toussaint J. (1997) Motsclés de la didactique des sciences. De Boeck Université Pratiques pédagogiques. Beckers, J. (2007). « Le métier change, la formation aussi » (1) Comment contribuer par la formation des agrégés aux réformes du système éducatif ?Puzzle n°22. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 51 Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences Bernard Leyh, Viviane Collignon-Claessen Faculté des Sciences, Service de Didactique de la Chimie Université de Liège Former les futurs professeurs de chimie à la pédagogie des compétences : quelques propositions pratiques et pistes de réflexion 1. Introduction En humanités générales et technologiques, deux niveaux d’enseignement des sciences doivent être distingués. Les sciences dites « de base » (une période de chacune des trois sciences par semaine) sont définies comme « nécessaires à chacun pour gérer sa vie de citoyen »1 tandis que les « sciences générales », à raison de généralement deux périodes hebdomadaires de physique, de chimie et de biologie, s’adressent à « ceux qui orientent leur formation vers les sciences, les mathématiques ou la technologie »1. Si le référentiel de compétences1 retient, pour la chimie en sciences générales, 56 compétences spécifiques à dévelop- Sciences de base 52 per, dont l’intitulé est fréquemment très précis et ne représente parfois qu’une paraphrase des savoirs à enseigner, il décrit également, dans sa partie introductive, un certain nombre de compétences génériques2, communes à la biologie, la chimie et la physique : six pour les sciences de base, neuf pour les sciences générales. Elles sont reprises dans le tableau ci-dessous. Sciences générales 1 Confronter ses représentations avec les théories établies 1 S’approprier des concepts fondamentaux, des modèles ou des principes 2 Modéliser : construire un modèle qui rend compte de manière satisfaisante des faits observés 2 Conduire une recherche et utiliser des modèles 3 Expérimenter 3 Utiliser des procédures expérimentales 4 Maîtriser des savoirs scientifiques permettant de prendre une part active dans une société technico-scientifique 4 Bâtir un raisonnement logique 5 Bâtir un raisonnement logique 5 Utiliser des procédures de communication 6 Communiquer 6 Résoudre des applications concrètes 7 Utiliser les outils mathématiques et informatiques adéquats 8 Utiliser des savoirs scientifiques pour enrichir des représentations interdisciplinaires 9 établir des liens entre des démarches et notions vues en sciences et vues ailleurs CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences On retrouve dans cette liste, ce n’est pas une surprise, les fondements de toute formation scientifique : a. La maîtrise des savoirs fondamentaux et la résolution d’applications concrètes, orientées, pour les sciences de base, vers les notions qui favorisent un rôle actif dans une société technico-scientifique. La portée de ces compétences est logiquement élargie dans l’option « sciences générales ». Sont ici concernées principalement les compétences n°1 et 6 (3). Il serait un peu artificiel d’en séparer les compétences n°2, 3, 4 et 7 qui interviennent nécessairement dans des proportions variables lors de toute séquence de cours. b. L’éveil aux aspects épistémologiques de la discipline : rôle primordial de l’expérimentation et de l’induction, modélisation, apport de la logique déductive, mathématisation pour les sciences générales. Les compétences n°2, 3, 4, 7 et, dans une certaine mesure, 9, rentrent dans cette catégorie. c. La communication (compétence n°5) d. L’interdisciplinarité, au sein des sciences elles-mêmes d’abord, dans une perspective plus large ensuite (compétences n°8 et 9) C’est sur la base de ce regroupement en quatre familles de compétences que nous nous proposons d’esquisser les options du cours de didactique spéciale de la chimie : comment rendre nos futurs professeurs de chimie les plus aptes possible à développer, chez leurs élèves, les compétences que nous venons de rappeler ? Nous aborderons, dans une dernière partie, un aspect essentiel, quoique délicat : l’évaluation des compétences. 2. La maîtrise des savoirs fondamentaux et la résolution d’applications concrètes dans la perspective d’une pédagogie des compétences (compétences n°1 à 4, 6 et 7) Il peut, de prime abord, paraître superflu, voire abusif, d’imposer à de jeunes spécialistes de leur discipline une démarche réflexive sur la manière de transmettre des éléments de leur propre savoir aux élèves d’humanités. Ne suffit-il pas de vulgariser clairement et/ou de suivre, pas à pas, tel ou tel manuel reconnu ? – pourrait-on objecter. Si la maîtrise des disciplines à enseigner est évidemment une condition sine qua non, celle-ci est loin d’être suffisante, surtout dans le cadre d’une pédagogie des compétences pour laquelle il est impérieux de toujours mettre en lumière les relations entre le contexte, le problème à résoudre, et les outils, les savoirs à mettre en œuvre. Les mêmes outils, et diverses combinaisons de ceux-ci, peuvent servir à résoudre des problèmes très divers alors qu’un même problème peut être abordé sous des angles variables, faisant appel à des concepts spécifiques. C’est donc de cette capacité à mettre en relation contexte et savoirs dont il faut armer les élèves. Or l’enseignement universitaire ne prépare guère – ce n’est sans doute pas son rôle – à réaliser une telle transposition au niveau de l’enseignement secondaire. Redécouvrir le langage des humanités, dans sa nouvelle parure de compétences, est, pour beaucoup de stagiaires un choc culturel, surtout s’ils ont choisi d’abord une autre voie avant d’aborder l’agrégation. Comment tentons-nous de les y préparer ? Dès les premiers cours de didactique spéciale, après une présentation générale des objectifs du décret-missions et une première réflexion générale sur la motivation des élèves, leurs préconceptions, les styles d’enseignement et d’apprentissage (Barke & Harsch 2001), nous soumettons les étudiants de l’agrégation en chimie à des exercices pratiques appelés « micro-enseignements ». Au cours de ceux-ci, ils prépareront et présenteront une leçon devant leurs condisciples et devant les didacticiens aidés de collaborateurs pédagogiques issus d’établissements d’enseignement secondaire. Afin de favoriser la collaboration entre stagiaires et le partage d’expériences, les étudiants préparent ces leçons par groupe de deux, même s’ils doivent les présenter oralement de manière individuelle. La phase initiale de préparation des leçons s’effectue dans le cadre des heures de cours de didactique spéciale sous la guidance personnalisée des didacticiens. Le laboratoire de chimie du service de didactique, ainsi que l’aide du personnel technique, sont à leur disposition. Nous insistons sur la nécessité d’inclure dans la présentation les étapes suivantes : - mise en situation (contextualisation) - expérimentation - exploitation des résultats expérimentaux et modélisation éventuelle Chaque leçon fait l’objet d’une discussion approfondie visant à renforcer les points positifs, à corriger les faiblesses et à dégager des pistes d’amélioration. Cette première « épreuve du feu » est bien sûr le prélude à de nombreuses autres leçons, dans le cadre des 40 heures de stages de responsabilité en établissements scolaires, réparties sur trois périodes de l’année. Les stagiaires AESS sont invités à préciser dans leurs préparations, qui seront incluses dans le rapport de stage, les compétences qu’ils souhaitent développer chez les élèves au cours des différentes leçons et la méthodologie qu’ils mettent en œuvre dans ce but. Chaque visite de didacticien spécialiste lors des stages est à visée purement formative. Nous cherchons à évaluer les progrès des stagiaires dans leur manière de guider chaque élève vers une autonomie croissante, vers une meilleure perception du raisonnement scientifique et, dès lors, vers une capacité accrue à résoudre des tâches de complexité adaptée au niveau d’enseignement. Les séances de pratiques réflexives sont également l’occasion d’analyser de manière critique les méthodologies mises en place en vue de l’acquisition, par les élèves, de compétences scientifiques génériques. Une partie des stages doit être prestée en humanités techniques de qualification ou professionnelles, afin que les futurs agrégés prennent conscience des spécificités de ces filières d’enseignement. C’est l’occasion d’insister à nouveau sur l’impérieuse nécessité de faire percevoir par les élèves à quel point les sciences, et la chimie en particulier, aident à comprendre la réalité concrète, en choisissant des exemples pertinents pour la filière d’enseignement concernée. Il s’agit souvent d’une remise en question fondamentale pour nos futurs enseignants, qui doivent (ré)apprendre CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 53 Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences des notions parfois très techniques peu envisagées dans leur formation antérieure (la chimie médicinale, la chimie des produits cosmétiques, de l’ébénisterie, du monde de l’automobile …) et qui sont amenés, plus encore que dans l’enseignement général, à revoir la manière de donner du sens aux apprentissages des adolescents. En outre, nous demandons aux étudiants de l’agrégation de réaliser un travail personnel sur la chimie d’un objet de la vie courante, laissé à leur choix, afin, entre autres, de les sensibiliser aux aspects appliqués de notre discipline et de développer leur culture générale dans ce domaine. Enfin, il est important de souligner que le cours de sciences dans l’enseignement qualifiant est aussi le lieu où l’éducation à la citoyenneté dans une société technico-scientifique trouve naturellement sa place : nous tentons d’y sensibiliser nos stagiaires. Trois séminaires sont consacrés spécifiquement à la compétence n°6, « résoudre des applications concrètes », au cours desquels nous faisons expérimenter par nos étudiants les démarches susceptibles de rendre leurs élèves capables de développer une méthodologie logique et efficace de résolution de problèmes. Outre ces expériences pratiques, nous offrons également aux futurs enseignants de chimie, dans le cadre du cours de didactique spéciale, plusieurs occasions de rencontrer divers acteurs du monde de l’enseignement secondaire issus des différents réseaux : directeurs, inspecteurs et professeurs de sciences. Ceux-ci leur présentent, lors d’exposés dont nous veillons à garantir le caractère interactif, la manière dont ils perçoivent et mettent en œuvre la nouvelle pédagogie des compétences définie par le décretmissions. Soulignons qu’un de ces exposés est spécifiquement orienté vers l’enseignement qualifiant. C’est également l’occasion de proposer une analyse plus détaillée des programmes de cours et de présenter le matériel didactique – manuels scolaires, outils multi-médias, appareillage de laboratoire – disponible et conforme aux objectifs de l’enseignement en Communauté Française de Belgique. Guider des élèves vers la maîtrise de 54 compétences à résoudre des tâches scientifiques plus ou moins complexes, c’est – on l’aura compris – leur faire vivre et progressivement dominer, tout en restant réaliste et modeste, la démarche scientifique. Encore faut-il que l’enseignant y ait réfléchi lui-même au préalable. C’est le point que nous abordons maintenant. 3. Aspects épistémologiques (compétences n° 2, 3, 4, 7 et 9) Qu’on ne se méprenne pas. Il ne s’agit pas ici de chercher à transformer nos futurs enseignants en des théoriciens du développement des sciences. Il s’agit plutôt de les aider à mieux percevoir comment se construisent les sciences et, en particulier, celle dont ils sont spécialistes, pour leur permettre, en toute connaissance de cause, de faire parcourir, à leur tour, un bout de ce chemin à leurs élèves. Des compétences essentielles sont ici en jeu : elles sont reprises dans le tableau sous les numéros 2, 3, 4, 7 et, partiellement, 9. L’assise des sciences biologiques, chimiques et physiques est avant tout, au moins depuis le siècle des lumières, expérimentale. Il faut en convaincre les élèves. Pour cela, les professeurs doivent disposer d’une batterie d’expériences élégantes, simples, répondant à des normes de sécurité et d’hygiène strictes et s’insérant de manière logique dans une perspective didactique. Qui plus est, l’approche expérimentale est une des plus efficaces pour motiver les élèves : (Barke & Harsch, 2001 et Nakhleh, Polles & Malina, 2002) elle les place en situation, génère un certain suspense si elle est bien mise en scène et donc stimule leur curiosité et met leurs préconceptions à l’épreuve. Elle impose également des critères d’objectivité, de rigueur et d’honnêteté intellectuelle. Bref, une excellente école de sciences et de vie, à condition, évidemment, de disposer des bonnes expériences. Celles-ci sont en fait nombreuses et existent sous de multiples variantes. Mais peu de recueils récents et suffisamment détaillés existent et le professeur en début de carrière est souvent relativement démuni, d’autant plus que les travaux pratiques qu’il CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 a réalisés durant son curriculum de licence poursuivaient incontestablement des buts très différents. Aussi organisons-nous plusieurs séances de laboratoire focalisées respectivement sur les matières des 4e, 5e et 6e années, au cours desquelles les étudiants de l’AESS peuvent voir et réaliser des expériences de démonstrations de cours ou de pratique de laboratoire et en discuter la pertinence didactique. Ces séances sont organisées en collaboration avec des professeurs chevronnés de l’enseignement secondaire. Signalons également qu’un séminaire relatif au respect des normes de sécurité et d’hygiène est organisé dès les premières semaines de l’année académique afin que les étudiants soient informés avant le début de leurs stages. La démarche expérimentale s’inscrit dans une perspective plus large en interaction avec d’autres actes intellectuels essentiels : l’émission d’hypothèses scientifiques, la conception d’expériences complémentaires, l’élaboration de modèles et de théories, la vérification – ou la réfutation – de ceux-ci. Une réflexion épistémologique présentant les grands courants de pensée contemporains (T ro , 2004 ; M achamer , 1998 ; Chalmers, 1999 ; Soler, 2000 ; Besnier, 2005 ; Verhaeghe, Wolfs, Simon & Compère, 2004) est proposée aux étudiants lors de quatre séminaires illustrés de nombreux exemples historiques et de suggestions d’applications didactiques concrètes au niveau de l’enseignement secondaire. Deux séminaires supplémentaires abordent le sujet, pédagogiquement délicat mais épistémologiquement riche, de la découverte la structure atomique et de l’interprétation de la structure moléculaire (l’éternel problème de la liaison chimique !). 4. La communication (compétence n°5) Lors des différentes activités décrites dans la première section, les futurs enseignants ont l’occasion de réfléchir aux méthodes susceptibles de promouvoir les compétences de communication de leurs élèves. Partant du principe de la valeur de l’exemple, nous stimulons nos stagiaires à adopter une attitude Former les futurs enseignants de chimie à la pédagogie des compétences irréprochable en la matière : précision et concision du langage, structuration du discours, utilisation de symboles et d’unités reconnus par l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée, soin de l’iconographie. une tâche pratique de conception d’une épreuve d’évaluation. Cette démarche concourt, nous l’espérons, à démystifier un des aspects les plus délicats et les plus controversés de la pédagogie des compétences. 7. En guise de conclusion 5. Interdisciplinarité (compétence n°8) Depuis plusieurs années, nous collaborons avec les titulaires des cours de didactique spéciale de biologie (Professeur M.-N. Hindryckx) et de physique (Professeur F. Grandjean) et une fraction non négligeable des activités est commune : micro-enseignements, témoignages des acteurs du monde de l’enseignement secondaire, séminaires d’épistémologie. Les étudiants des trois disciplines ont ainsi l’occasion de confronter leurs expériences et d’exprimer leurs convergences comme leurs divergences de vue, en prélude à leur future carrière où de telles situations constitueront leur lot quotidien. Il faut également signaler que le service de didactique de la chimie participe, dans la mesure de ses possibilités, aux séminaires d’approches interdisciplinaires animés par N. Leclercq. 6. évaluation des compétences évaluer le degré de maîtrise des compétences est une étape cruciale, tant pour l’élève que pour son professeur. Les épreuves-types mises au point par les groupes de travail inter-réseaux ont été évoquées par J. Beckers en introduction de ce numéro. Dans le cadre du cours de didactique spéciale, nous invitons deux membres de ces groupes afin de sensibiliser nos étudiants à cet aspect essentiel. Après une présentation générale des enjeux et des pistes de solutions disponibles, nous proposons à nos stagiaires Guider les élèves dans leur acquisition de compétences est, certes, une tâche bien plus ambitieuse, que la simple – mais est-ce vraiment si simple ? – transmission de connaissances. L’un n’exclut pas l’autre, évidemment. Ce défi pour les professeurs de l’enseignement secondaire en est un également, et de taille, pour les enseignants de didactique spéciale. Nous avons mis en œuvre toute une série d’activités, de séminaires, de travaux pratiques, en vue de mieux armer les futurs enseignants qui nous sont confiés. Elles ont été brièvement décrites dans les pages qui précèdent. Nous avons cherché à faire correspondre à chaque activité que nous proposons un certain nombre des compétences qu’il s’agit d’éveiller chez les élèves. Il est clair qu’une telle découpe est un peu artificielle et n’a pour seul but que de clarifier l’exposé. Bon nombre d’activités font référence à plusieurs compétences. Nous voudrions insister sur un dernier point. Nous cherchons à réaliser un équilibre délicat entre un souci constant d’être le plus pratique, le plus concret possible et la volonté de ménager des temps de réflexion plus théorique. Il nous semble en effet que l’apprentissage tout au long de la vie, cette fameuse formation continuée, condition essentielle pour que la flamme du bon enseignant reste vive, ne peut que bénéficier de la maîtrise de quelques clefs de lecture théoriques dont on peut modestement espérer qu’elles survivront à l’évolution, difficilement prévisible, de notre enseignement et aux réformes probables dont il sera le bénéficiaire … ou la victime. Notes Compétences terminales et savoirs requis en sciences. Humanités générales et technologiques. Ministère de la Communauté Française de Belgique.http://www.enseignement.be 2 Ces compétences sont appelées « compétences scientifiques » dans le document «Compétences terminales et savoirs requis en sciences. Humanités générales et technologiques » repris sous référence 1. 3 Dans la suite de ce texte, les numéros de référence des compétences seront ceux de l’option « sciences générales » 1 Bibliographie Barke H.-D et Harsch G., (2001). Chemiedidactik heute. Lernprozesse in Theorie und Praxis, chapitres 1-3, Springer Verlag. Berlin. Besnier J.-M., (2005). Théories de la connaissance. Paris Presses : Universitaires de France. Chalmers A.F., (1999). What is this thing called science ? New York :� Open University Press, Mc Graw Hill. Machamer P., (1998). Philosophy of Science : an overview for educators, Science and Education, 7 1 Nakhleh M. B, Polles J., Malina E., (2002). Learning chemistry in a laboratory environment, in Chemical education : towards research-based practice. Dordrecht : Kluwer Academic Publishers. Soler L., (2000). Introduction à l’épistémologie. Paris : Ellipses. Tro N.J., (2004). Chemistry as general education, Journal of Chemical Education, 81, 54 Verhaeghe J.-C., Wolfs J.-L., Simon X. et Compère D., (2004). Pratiquer l’épistémologie. Un manuel d’initiation pour les maîtres et formateurs. Bruxelles : De Boeck. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 55 La formation aux compétences en géographie Christine Partoune Faculté des Sciences, Service de Didactique des Sciences géographiques Université de Liège La formation aux compétences en géographie 1. Au pied du mur Pour commencer le premier cours de didactique spéciale en géographie, les étudiants sont invités à se présenter. Le tour de table s’effectue à travers un défi : chacun est invité à placer une gommette sur une carte de Belgique pour signaler à quel endroit il/elle habite. Mais la carte n’est pas banale : seul le relief est représenté. Il arrive que l’on tâtonne, alors que pour des géographes, c’est évidemment beaucoup plus facile que pour d’autres. On corse l’exercice. Quels sont les événements de l’actualité belge dont on parle beaucoup ? Où se situent Bruxelles, Francorchamps, l’aéroport de Charleroi ? Une autre question vient au secours de quelqu’un qui est en panne : « Comment peut-on l’aider en donnant des indices sans lui donner la réponse ? ». à l’aide d’un second document qui donne à voir d’autres repères, on vérifie les réponses. C’est une carte d’occupation du sol, où seuls les noms de quelques grandes villes sont indiqués. à partir de cette activité en apparence purement ludique et ayant pour effet de briser la glace dans le groupe, une première série d’informations sont recueillies à partir des questions suivantes : - Que s’est-il passé dans la tête de chacun, une fois la consigne donnée (pensées, ressenti) ? - était-ce facile ou difficile ? Plus pour certaines personnes que pour d’autres ? Pourquoi ? 56 - Quels sont les référents géographiques qui ont été mobilisés ? Quelles sont les erreurs qui ont été commises ? Quels sont les savoirs qui manquaient ? - Quels sont les indices qui ont été utiles à ceux qui ont été aidés ? Quels sont ceux qui ont contribué à les « perdre » davantage ? - Que révèlent les indices donnés par les « secouristes » sur leurs hypothèses implicites à propos des savoirs manquants et/ou utiles ? - Quels sont les sentiments ressentis par chacun, à l’issue de l’exercice ? - Chacun a-t-il appris quelque chose de neuf ? - Comment réussir plus facilement ce défi à l’avenir ? - Comment pourrait-on rendre l’exercice plus facile ? Ou plus difficile ? S’ensuit une seconde activité, qui consiste à dresser une carte schématique de Belgique avec les points de repères jugés les plus utiles par chacun sur la base des deux documents utilisés, puis une mémorisation du schéma et une restitution. La confrontation des productions soulève un questionnement essentiel de la part des étudiants : « N’y a-t-il pas une « bonne réponse » qu’il aurait fallu donner aux élèves, plutôt que leur permettre de mémoriser un schéma peut-être incomplet ? » Au cours de l’analyse réflexive de l’ensemble de la séquence, les réponses nuancées et variables d’une personne à l’autre permettent de mettre en évidence toute une série de choses : - l’importance du discours intérieur de chacun à propos de la tâche, révélateur CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 de la façon dont chacun la considère a priori ; - la grande diversité des stratégies pour réussir une tâche simple ; - la grande diversité des savoirs et savoir-faire dans le groupe par rapport à la localisation des lieux en Belgique et à la schématisation, malgré le fait que tous soient géographes de formation ; - le renversement de posture par rapport à un enseignement traditionnel, quand le besoin d’en savoir davantage naît du défi à relever et du désir de s’améliorer ; - la notion de rupture par rapport aux représentations initiales, qui force à reconsidérer ces dernières et à les enrichir (principes de bases du constructivisme) ; - les stratégies d’autosocioconstruction des nouveaux savoirs, savoir-faire et savoir-être, fondées sur la confiance en l’apprenant et dans le groupe ; - la place et le rôle de l’enseignant, davantage animateur d’une démarche et accompagnateur d’apprentissage que « donneur de leçon » ; - la prééminence de la construction et de l’appropriation d’un référentiel personnel et explicite en matière de localisation, sur la seule mémorisation d’une série de lieux sur une carte. Et, pour clôturer, une question essentielle : « Mais pourquoi apprendre à localiser ? » En général, la réponse fuse comme une évidence : « Localiser, c’est très important en géographie ! ». Mais encore… ? à quoi cela sert-il de localiser ? Pourquoi est-ce important d’acquérir un La formation aux compétences en géographie référentiel spatial ? Pourquoi est-ce important, tout simplement, d’être capable de (se) situer dans l’espace ? Et puis plus largement, à quoi sert la géographie ? à quoi sert un cours de géographie dans le secondaire ? Quel est le sens de notre mission d’enseignant ? de professeur de géographie ? La déroute est perceptible, le malaise est palpable. Nous sommes bien en présence de questions de sens, de questions fondamentales déstabilisantes et qui pourraient, si nous n’y apportons pas de réponse, nous faire basculer dans le vide (de sens) ou au contraire nous ancrer plus profondément dans le confortable royaume des dogmes. à décrypter certaines leçons, on peut se demander en effet si l’exercice de localisation, préambule classiquement considéré comme incontournable à toute « bonne » leçon de géographie, ne correspond pas davantage à un rituel qu’à une nécessité. Nous sommes au pied du mur ! 2. De ruptures en ressources Ainsi, le cours de didactique spéciale amène d’emblée les étudiants à questionner leur identité de géographe et de professeur de géographie, à sortir de ce qui pourrait devenir du dogmatisme, faute de questionnement épistémologique, à quitter le modèle de l’empreinte souvent traditionnelle de leurs professeurs du secondaire pour inventer d’autres manières de donner cours, pour apprendre à diversifier leur style d’enseignement. Comment ? En construisant ensemble et progressivement de nouvelles références, à partir de leurs représentations initiales. En effet, le socioconstructivisme que nous prônons, les étudiants vont d’abord l’expérimenter eux-mêmes, tout au long de l’année. Depuis qu’elle est sous la houlette de B. Mérenne-Schoumaker, la didactique spéciale en géographie est encadrée d’une part par un professeur de didactique pour les cours théoriques, d’autre part par des professeurs-chercheurs du secondaire pour les séances d’exercices, ceux-ci précédant généralement ceux-là. Nous avons donc toujours préconisé la structuration théorique au départ d’un tâtonnement expérimental. Ce faisant, nous étions déjà dans l’approche par compétences, fondée sur une série de tâches concourant à la réalisation d’une tâche globale éminemment complexe : produire une séquence de cours et la défendre devant ses pairs avant de l’expérimenter en stage. Aujourd’hui, l’ensemble des cours et ateliers est constitué d’un patchwork où s’articulent réflexions épistémologiques (par exemple sur les concepts de territoire, de paysage, de dévelop- pement durable ou sur l’approche systémique), cadrage institutionnel (décret missions, programmes, objectifs, évaluation,…), cadrage pédagogique (intelligences multiples, diversité des styles d’apprentissage et des styles d’enseignement), démarches méthodologiques (situation-problème, jeux de simulation, pédagogie du projet, débats, excursions, travaux sur le terrain), focus sur des outils didactiques spécifiques (cartes, photos et autres images, graphiques, articles de presse, conceptogrammes, organigrammes,…) et pratiques réflexives. Cet accompagnement des étudiants dans la construction de leur métier d’enseignant est nourri depuis de plus de vingt cinq ans par les recherches en didactique menées au Laboratoire de méthodologie de la géographie (LMG). Les étudiants disposent d’un support spécifique écrit par B. Mérenne-Schoumaker (2005). Ouvrage majeur dans le domaine, il réunit des référentiels très éclairants (grilles de lecture, typologies, schémas), facilitant une intégration des éléments théoriques ; il contient surtout toute une série de fiches synthétiques pratiques susceptibles d’aider les étudiants à baliser leur travail. Les étudiants peuvent également accéder à tous les travaux de recherche du LMG, publiés sur internet depuis 1996 www.geoeco.ulg.ac.be/lmg, et Tableau 1. Interprétation des finalités du décret missions en finalités pour le cours de géographie FINALITÉS DU DÉCRET DES MISSIONS aFINALITÉS POUR LE COURS DE GÉOGRAPHIE Avoir confiance en soi aAvoir confiance en soi dans l’espace. Développer sa personnalité aSe sentir de quelque part Pouvoir apprendre toute sa vie aPouvoir se construire des outils pour penser et comprendre l’espace Devenir citoyen responsable aPoser des actes personnels/collectifs en étant conscient de leur impact sur le cadre de vie Contribuer au développement d’une société démocratique, pluraliste et ouverte aux autres cultures aContribuer aux questionnements d’une société sur la façon d’organiser et de gérer l’occupation de l’espace par les individus et les groupes sociaux qui y vivent. S’émanciper socialement aComprendre les liens entre clivages sociaux et ségrégations spatiales. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 57 La formation aux compétences en géographie notamment aux résultats d’une recherche interréseaux en éducation financée par le Ministère de la Communauté française sur les compétences terminales en géographie (www.geoeco.ulg. ac.be/lmg/competences). Dans le cadre de cette recherche, une de nos premières tâche fut de traduire les finalités reprises à l’article 6 du décret missions en finalités pour l’enseignement de la géographie (en italique dans le tableau), avant d’en dégager des compétences (Partoune, 1998). Pour en revenir à l’instant où les étudiants étaient mis au pied du mur, c’est donc cet outil, le décret missions, que nous leur proposons comme première ressource. Il trouve ainsi sa place dans notre dispositif, non pas comme une prescription rébarbative, mais comme un socle auquel nous pouvons nous ancrer pour bâtir notre réflexion disciplinaire. Nous visitons ce décret missions avec les étudiants pour en dévoiler tout le potentiel. Au travers d’un débat, les enjeux de chacune de ces finalités sont mis en évidence, tant pour les jeunes que pour la société. Alors, les choses s’illuminent pour les étudiants, et apprendre à (se) localiser trouve tout son sens. Par exemple, pour construire son identité, il est indispensable de pouvoir d’abord se sentir de quelque part. Pourtant, la plupart des jeunes semble avoir une image très pauvre de la Belgique ; ils ont du mal à en parler, en dehors de quelques poncifs. émerge alors le concept de territoire, qui a pris la place du concept d’espace dans les programmes. Le besoin d’avoir un territoire à soi reconnaissable et reconnu est fondamental, constitutif de tout être humain, tout autant que d’être en mesure de partager des territoires. Mais que veut dire « faire sien » ? Que signifie « s’approprier ses territoires » ? Le débat se poursuit. Cela signifie par exemple prendre conscience de ses racines et de leur spatialisation, porter sur son environnement un autre regard, affûté et orienté en fonction de grilles de lecture et d’analyse, apprendre à véritablement s’implanter dans l’espace en tant que citoyen éclairé… « Présenter une image spatiale de ses territoires » peut alors être envisagé comme une tâche complexe qui peut 58 témoigner du développement de la personnalité du jeune si elle s’entend comme l’occasion de faire siens les territoires proches tout autant que ceux qui sont éloignés, et qui pourtant le concernent indirectement. « Apprendre à négocier l’utilisation d’un territoire » vise au développement d’une forme d’intelligence particulière, une « intelligence territoriale partagée », avec ses savoirs, savoir-faire et savoir-être spécifiques. Ce travail de débats en cascade et d’énonciation progressive des compétences des géographes amène les étudiants à revisiter des concepts ou des outils qu’ils s’étaient appropriés d’une manière assez abstraite durant leur formation initiale, à en apprécier toute la richesse, à les questionner en termes d’enjeux et à en appliquer l’usage à eux-mêmes et à leur propre environnement. Ils élaborent plus que jamais leur identité de géographes ! Tout au long de la formation en didactique spéciale, ce questionnement épistémologique revient de manière lancinante pour les y aider : « Est-ce bien une leçon de géographie ? Qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui ? En quoi notre travail contribue-t-il à tendre vers les finalités du décret missions ? ». 3. L’émancipation scolaire Au cours de leur formation, si les étudiants sont invités à s’appuyer sur le décret missions, nous les encourageons cependant à en faire la critique, comme d’ailleurs des autres documents officiels qui balisent le métier d’enseignant. Certes, le décret missions pose quelques valeurs fortes, comme préparer nos élèves à « contribuer à une société démocratique et ouverte aux autres cultures ». Profitons donc de cette injonction pour vivifier nos cours en introduisant ces valeurs comme des contraintes dans les situations-problèmes. Par exemple, poser un diagnostic territorial en nous demandant dans quelle mesure l’aménagement du territoire est le résultat de pratiques démocratiques et manifeste une ouverture à la diversité culturelle. Mais l’on peut aussi regretter que le texte s’arrête là et n’intègre pas comme visée éthique le souci des générations CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 futures et de l’environnement, puisque la Belgique s’est officiellement engagée à sensibiliser sa population aux principes du développement durable, notamment via l’enseignement. Ainsi, pour reprendre le questionnement sur l’importance d’apprendre à localiser les choses évoqué au début de cet article, il apparaît crucial de localiser pour apprendre à s’y retrouver sur le plan éthique, car nous avons besoin de savoir d’où viennent les vêtements que nous achetons et les situer dans un référentiel comme un « atlas du développement durable et équitable » pour devenir davantage conscient des impacts de nos choix en tant que consommateur et pour changer de comportement si nécessaire afin d’être concrètement plus solidaires. Plus largement se pose ici, dans le cadre de l’agrégation, toute la question de la formation de l’enseignantcitoyen, du développement de son regard critique par rapport à ce qui lui est officiellement demandé, de la mesure de sa marge de manœuvre, aussi. Le décret missions nous invite à aider les élèves à s’émanciper socialement. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure nos étudiants sont familiers avec cette démarche, tant intellectuelle qu’émotionnelle, et sont eux-mêmes émancipés, à commencer de l’école (démarche éminemment paradoxale pour quelqu’un qui choisit d’y rester !). S’affranchir de la peur de l’inspection, oser une parole libre publiquement, envisager de s’engager personnellement dans la réflexion sur les programmes : ce rôle émancipatoire qui nous incombe, pensons-nous, n’est pas aisé. L’examen critique avec les étudiants des textes officiels qui concernent les professeurs de géographie peut être vécu comme un acte subversif qui les met mal à l’aise. Vaudrait-il mieux masquer les lacunes, les incohérences et le manque de rigueur ? Il nous semble au contraire important de prendre nos responsabilités. Ainsi, nous avons déjà évoqué la confusion qui règne au sein des professeurs de géographie à propos de la notion de situation-problème (Partoune, 2002), dont le sens varie d’un document à l’autre et qui contraste avec la même notion dans les La formation aux compétences en géographie programmes des autres disciplines. Dans le texte définissant les compétences terminales et savoirs requis en géographie, la situation-problème est entendue comme une production demandée aux élèves, cataloguée en termes de compétence transversale : « énoncer une situation-problème relative à un territoire-société (s’interroger) » (Ministère de la Communauté Française 1999, p.3). Dans le programme du cours de géographie pour les deuxième et troisième degrés de la Communauté française, la confusion est totale : la situationproblème semble d’abord présentée comme une démarche pédagogique particulière, en faisant d’ailleurs référence à P. Meirieu (Ministère de la Communauté Française, 2000, p. 6 : « les principales caractéristiques d’une situation-problème sont : proposer aux élèves une tâche problématique… »), puis plus loin comme une problématique au départ d’une recherche (Ministère de la Communauté Française, 2000, p. 7 : « les élèves devront appréhender une situation-problème prise dans l’ici ou dans l’ailleurs – phase d’exploration et de questionnement »). Dans le programme correspondant de l’enseignement catholique, c’est manifestement comme une problématique que la situation-problème est entendue (Fesec, 2000, p. 13 : « Au départ d’un milieu donné, l’élève formule une situation-problème qui met en évidence l’influence de l’espace… » - « à partir d’une situation-problème relative à l’organisation d’un territoire, l’élève présente les acteurs de cette situation, leurs rôles dans la dynamique du territoire et sa position argumentée face à cette situation-problème »). Ce qu’une démarche de situation-problème bien comprise apporte d’essentiel, c’est bien autre chose : elle repose sur une recherche de sens et sur un ciblage très précis des apprentissages à réaliser, condition sine qua non pour définir une tâche complexe, des conditions d’exécution de la tâche et des contraintes pertinentes. En tant que didacticiens, il nous appartient d’informer nos étudiants de ces distorsions dans les programmes de géographie par rapport à l’entendement de la situation-problème dans le reste du monde francophone ! Et de souligner qu’en raison de ces distorsions, la démarche de situation-problème est clairement escamotée dans les textes officiels, alors qu’elle convient à merveille à l’approche par compétences. Il convient de les en avertir, car d’une part ils devront être à même de dialoguer avec les inspecteurs et de comprendre ce qu’ils veulent dire par situation-problème, d’autre part espérons qu’ils rencontreront, au travers de lectures sur internet ou dans des colloques en didactique de la géographie, des collègues étrangers qui pratiquent la démarche de situation-problème sensu pedagogico. Quant aux compétences disciplinaires prescrites dans les différents programmes, l’on peut regretter qu’elles s’apparentent davantage à des savoirfaire (« analyser les composantes du territoire, rechercher des causes et des conséquences ») qu’à des compétences au sens du décret missions (« l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches »), où la notion de tâche concrète est essentielle. 4. Un cadre minimal pour démontrer que la géo, c’est utile Nous l’avons vu, l’approche par compétences est très exigeante. Investir dans cette voie en vaut vraiment la peine, nos étudiants en sont convaincus après leurs stages. Mais si l’on veut se garder de tomber dans l’imposture, peut-on prétendre sans rougir qu’il est possible de la mettre dûment en œuvre avec une période de 50 mn par semaine et sans local de géographie, ce qui signifie à peu près sans matériel didactique à sa disposition ? Poursuivre une finalité sans en avoir les moyens, c’est choisir la voie du découragement à terme, et du renoncement ! Les nombreux professeurs des réseaux officiels rencontrés lors des formations continuées en témoignent à suffisance, mais semblent peu écoutés. La Fédération des Professeurs de Géographie a depuis de nombreuses années tenté de sensibiliser les responsables de l’éducation à ce sujet, mais en vain. L’approche par compétences a ses limites et il s’agit d’aider nos étudiants à faire preuve de discernement à cet égard. Avec un cadre minimal, a fortiori dans le cadre d’un cours d’option « géographie », nous pouvons dire que l’approche par compétences a véritablement redynamisé le cours de géographie. Quels sont les exemples de tâches qui exigent, pour être menées à bien, de passer par une analyse des composantes du territoire ? Qui a besoin, dans son métier, de rechercher les causes et les conséquences d’une problématique territoriale ? ou de schématiser l’organisation d’un territoire ? Pour aboutir à quel type de production ? Voilà le type de question que nous encourageons nos étudiants à se poser pour s’approprier cette notion de compétences. On aboutit alors à des idées de tâches complexes comme « Réaliser une plaquette de promotion d’une région afin d’y attirer des investisseurs » - ce qui supposera, en amont, d’inventorier les atouts et les faiblesses de la région en question, et de produire notamment une image synthétique percutante de l’espace. Sans passer par cette étape, on risque fort de ne pas dévier du tout de l’approche conventionnelle, et de demander aux élèves de schématiser l’organisation spatiale d’un territoire pour le plaisir de schématiser, sans relier cet exercice à une tâche qui a du sens. L’approche par compétences définie dans le décret missions invite donc à une remise en question méthodologique, dont les principes sont susceptibles de séduire une génération davantage pragmatique qu’idéaliste : partir de situations-problèmes complexes pour construire des savoirs et des savoir-faire appropriés. Plus facile à adopter qu’à concrétiser, cependant, malgré l’ardent désir de nos étudiants de démontrer à leurs élèves que la géographie, c’est très utile dans la vie quotidienne ! 5. Le précieux soutien des maîtres de stage Choisir une destination et une formule de vacances, prendre position dans un débat sur l’aménagement d’un lieu public, évaluer la qualité d’un paysage : le travail d’élaboration de situations-pro- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 59 La formation aux compétences en géographie blèmes à partir de tâches susceptibles de concerner les élèves déroute les étudiants, habitués à traiter un sujet pour lui-même. Marqués par un modèle magistocentré qui leur a manifestement convenu, ils n’échappent pas à la tentation de le reproduire, malgré la formation qu’ils reçoivent à l’agrégation et qui les équipe, tant intellectuellement que pratiquement, pour mettre en place des démarches d’apprentissage participatives et actives, et malgré la lecture des programmes, où ce type d’approche est largement encouragé. Par chance, depuis que la formation continuée est devenue obligatoire, les enseignants en fonction sont plus largement initiés à l’approche par compétences dans leur discipline, s’approprient le langage qui y est lié et modifient progressivement leur manière de travailler. Cette évolution est clairement perceptible au travers de l’accompagnement que nos maîtres de stage les plus jeunes assurent, par la réduction des écarts entre les méthodes pratiquées dans les classes et celles qui sont prônées par l’équipe de formation en didactique. Pouvons-nous attribuer une part de ce changement à l’approche par compétences que nous avons développée avec ces mêmes maîtres de stage depuis une bonne dizaine d’années ? Nous aimons le croire… Nous constatons en tout cas que nos étudiants sont davantage que par le passé bousculés de part et d’autre hors de leurs rails et priés de revoir leur copie : plus question d’aborder la théorie d’abord, puis de passer au concret ; plus question non plus de se contenter de la participation active de quelques élèves pour se conforter dans 60 l’impression que la leçon a « bien marché » et dans l’illusion que « tous sont en train d’apprendre ». Une démarche de situation-problème bien comprise et rigoureusement menée doit mettre tous les élèves devant un obstacle à franchir et quelque chose à apprendre. L’essayer, c’est en général l’adopter ! Lorsque nos étudiants osent prendre le risque de renverser le processus, qu’ils arrivent à proposer une phase d’accrochage motivante et cohérente et une situation-problème bien conçue, avec des outils didactiques adaptés, la récompense est au rendez-vous. Jeu de rôle « Pour ou contre le barrage des Trois Gorges en Chine ? », projet de plan d’aménagement pour le quartier devant la nouvelle gare des Guillemins, détermination d’un cahier de charges pour implanter des éoliennes en Wallonie, recherche des coupables potentiels du meutre de Dorothy Heathcote aux confins de l’Amazonie, … : non seulement les élèves sont enthousiastes et participent activement, mais en plus ils en redemandent et… en gardent manifestement la trace. CQFD ! La pyramide des apprentissages est désormais incarnée par des expérimentations convaincantes à partir desquelles il est difficile de rebrousser chemin vers le cours exclusivement magistral sans ressentir une dissonance cognitive encourageant la rupture et le changement. Le chemin étant plus facile à emprunter en groupe, le partage des idées et des productions de chacun fait partie intégrante du processus de formation, tout autant que le partage d’expériences et le renforcement positif mutuel. Espérons qu’à terme, nos étudiants continueront à défendre des stratégies CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 d’apprentissage constructivistes efficaces, qui ont du sens et inscrites au cœur du plaisir d’apprendre, malgré les contraintes institutionnelles et sociétales qu’ils ne manqueront pas de rencontrer. Bibliographie Fédération de l’Enseignement secondaire catholique (200?). Programme «Géographie - Formation géographiue et sociale» - 2e et 3e degré - Humanités générales et technologiques - ref D/2000/7362/018. http://www. fesec.be M érenne -S choumaker , B. (2005). Didactique de la géographie – Organiser les apprentissages, éd. De Boeck, coll. Sciences humaines, Bruxelles, 255 p. Ministère de la Communauté française (1999). Compétences terminales et savoirs requis en géographie, p. 3. M i n i s t è r e d e l a C o m m u n a u t é française (2000). Programme d’études du cours de géographie - Enseignement secondaire général et technique de transition - Deuxième et troisième degrés - ref.57/2000/240. sur le site Restode : http://www.restode.cfwb.be/pedag/progr/ Partoune, C. (1998). Quelles compétences terminales dans l’enseignement de la géographie ?, Supplément aux Feuilles d’Information de la FEGEPRO, n° 133, éd. Laboratoire de Méthodologie des Sciences Géographiques, Liège. Sur le site internet du LMG : www.geoeco.ulg. ac.be/lmg/competences/ Partoune, C. (2002). La pédagogie par situations-problèmes, Puzzle n°12, Université de Liège, pp. 7-12. Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ? Maggy SchneideR, Claude Varlet Service de Didactique des Mathématiques Université de Liège Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mobilisables ? Qu’en conclure pour la formation ? 1. Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mobilisables ? Qu’en conclure pour la formation ? Expliquer en quoi un cours de didactique des mathématiques prépare les futurs professeurs à enseigner dans le cadre de la réforme dite « des compétences » suppose de montrer au préalable comment la didactique permet de penser et d’opérationnaliser les enjeux de cette réforme. C’est donc par ce long détour que nous commencerons cet article. De manière récurrente, se clame la nécessité d’une retombée des apprentissages scolaires en termes de transferts dans la vie sociale ou professionnelle ou, au sein de l’école, d’une discipline à l’autre. On peut considérer que la réforme des compétences participe de cette déclaration d’intentions, louable en soi, même si la réforme en question ne se réduit pas à cela. C’est le point de vue que nous privilégierons ici. Comme l’ont développé plusieurs chercheurs (e.a. B. R ey , 1996), ce « mythe du transfert » a mis l’accent sur les compétences communes à plusieurs disciplines telles que synthétiser, communiquer…, plutôt que sur des savoirs spécifiques, ces compétences transversales devenant des principes organisateurs des programmes scolaires et des référentiels d’évaluation en Belgique comme dans d’autres pays. Or, ce déplacement d’accent n’est pas sans risque. D’une part, il tend à écraser les spécificités épistémologiques des disciplines alors qu’il y a tout lieu de penser que les compétences transversa- les prennent des formes très particulières d’une discipline à l’autre, en fonction de leur épistémologie propre ainsi qu’illustré par M. Schneider (2004) en mathématiques. D’autre part, il risque de conduire à un phénomène de « décatégorisation » des questions étudiées à l’école (M. Schneider, 2006a), alors que, comme nous l’expliquerons plus loin, les savoirs sont des outils culturels qui permettent de fédérer en catégories les questions jugées fondamentales par l’humanité, afin d’y répondre plus efficacement. Pour ces raisons et sans changer de perspective pour ce qui est des finalités, il nous paraît plus heureux de penser en termes de savoirs mobilisables qu’en termes de compétences. C’est ce que vous voulons illustrer et argumenter ici. D’abord, en nous expliquant sur ce que cela signifie à travers un exemple qui sera mieux compris de tous : celui de l’histoire (section 1), ensuite en montrant en quoi la spécificité des mathématiques nous pousse à adopter ce point de vue (sections 2 et 3) et en l’illustrant sur un exemple qui concerne l’enseignement qualifiant (section 4). Enfin, la section 5 traitera de la formation proprement dite des élèves-professeurs, à la lumière de l’analyse faite au cours des sections précedentes. 1.1. Penser en termes de savoirs « mobilisables » ; un parallèle avec l’enseignement de l’histoire Dans le même numéro de PUZZLE, J. B eckers insiste sur la nécessité d’organiser un enseignement axé sur le développement des compétences à partir de familles de tâches qu’il lui paraît indispensable d’identifier « en articulant critères épistémologiques et critères développementaux ». Nous souscrivons entièrement à ce propos dont nous imaginons une déclinaison que nous allons tenter d’expliquer en prenant l’exemple de l’histoire, non pas parce que nous avons quelque prétention de dire ce qu’il faut faire dans l’enseignement de cette discipline mais tout simplement pour nous faire comprendre de nos collègues non mathématiciens. Une première manière d’envisager les familles de tâches en histoire est celle du référentiel des compétences terminales. Tel que synthétisé par J. Beckers (2002), ce référentiel discerne quatre compétences : se poser des questions, critiquer, synthétiser et communiquer, articulées à des familles de tâches voire identifiées à elles. La première compétence couvre deux familles de tâches : se poser des questions et se documenter sur une question. La deuxième compétence reprend cette dernière tâche et comprend en outre la famille : analyser et critiquer des sources. La compétence synthétiser est spécifiée par la famille établir une synthèse et formuler une hypothèse explicative. Quant à la compétence communiquer, elle est précisée par la famille communiquer un savoir historique. Les conditions de réalisation de la tâche sont précisées, en particulier, les types de documents disponibles : iconographies, textes, ... Enfin, ces compétences doivent être croisées avec des concepts (tels que migration, croissance, démocratie, …) et des moments CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 61 Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ? clefs dont le choix est déclaré arbitraire pourvu « qu’ils aient été travaillés en classe ». Ces familles de tâches ne sont pas forcément spécifiques de l’histoire : la seule mention qui est faite à la discipline concernée est englobée dans la dernière compétence : c’est bien un savoir historique qu’il s’agit de communiquer. Et l’on imagine aisément une grille de compétences analogue pour la géographie avec des supports et concepts différents, du moins en partie. Ce qui est d’ailleurs tout à fait cohérent avec la réforme qui insiste sur des apprentissages transversaux par rapport aux disciplines. Mais il est une autre manière de formuler les familles de tâches que nous inspire la lecture d’un exemple de situation d’évaluation imaginée à partir du référentiel qui vient d’être décrit (Cecafoc, 2003). Il s’agit de clarifier la situation dans les Balkans à la veille de la première guerre mondiale. Des documents sont fournis : cartes, tracts et déclarations politiques entre autres. Les élèves doivent produire une synthèse de deux pages dans laquelle ils identifient les différents protagonistes et interprètent le type de tensions en présence. Parmi les critères d’évaluation relatifs au fond, les auteurs prévoient que « les motifs des tensions soient identifiés à la lumière d’un concept » sans préciser lequel. L’outil interprétatif qu’ils s’attendent à voir exploiter par les élèves, à partir des documents fournis, est le concept de nationalisme étudié auparavant en classe à propos des tensions européennes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. La compétence qui labellise le travail demandé est synthétiser et renvoie donc à la famille de tâches : établir une synthèse et formuler une hypothèse explicative. Mais pourquoi la formuler ainsi ? Alors que l’essentiel du travail consiste à exploiter un concept précis afin d’analyser un conflit et, pourvu qu’il n’y ait pas trop de proximité temporelle entre l’apprentissage du concept et le moment où l’élève doit le mobiliser, laisser à sa charge le choix du ou des concept(s) le(s) plus pertinent(s) pour analyser un conflit particulier : ce pourrait être le concept de nationalisme mais aussi a priori celui de crise qui prend en 62 compte une dimension économique et, dans des situations plus complexes, plusieurs concepts enchevêtrés. Notre incompétence dans ce domaine nous empêche d’imaginer les familles de tâches spécifiques d’une formation historique, bien que analyser un conflit ou situer un événement dans son époque sont des idées qui nous viennent spontanément à l’esprit, mais nous avons senti l’intérêt d’une telle approche dans un cours conçu par A. Maingain (2000) où les élèves sont invités à regrouper, différencier et reconnaître des situations relevant de divers systèmes idéologico-politiques à la lumière des outils que sont les concepts tels que le totalitarisme, la sociale-démocratie, l’impérialisme, … Dans un tel cours, le choix du concept « analyseur » est, à partir d’un moment donné, à charge de l’élève. Bien sûr, la dévolution d’une telle initiative suppose un travail préalable, en classe, d’analyse des concepts historiques ainsi que des invariants et des spécificités de diverses situations précises. Cette deuxième manière de définir des familles de tâches se structure davantage autour des concepts du programme dont J.-L. J adoulle et M. B ouhon (2003) soulignent pertinemment le rôle crucial dans la formation historique, chacun de ces concepts étant une « clé de lecture qui doit permettre au jeune de faire face à des situations nouvelles » car « forgé par la confrontation de situations divergentes et la mise en lumière des invariants qui les rapprochent » (FESeC, 2000). Elle demande à l’élève du discernement pour choisir le ou les concepts-analyseurs mais lui assure aussi une visibilité de l’étude qu’on peut attendre de lui pour devenir compétent en histoire. Sans approfondir davantage l’enseignement de l’histoire, nous avons là un point de comparaison qui nous permet de situer notre choix pour l’enseignement des mathématiques, à savoir une formulation des familles de tâches et même des compétences structurée par les concepts propres à cette discipline et donc plus respectueuse de sa spécificité épistémologique. Nous le justifions dans les sections qui suivent. Contentons-nous pour l’instant d’avancer que les questions traitées CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 en mathématiques, qu’elles soient ou non issues d’autres disciplines, sont précisément fédérées par les concepts et c’est ce qui fait l’efficacité des mathématiques : ainsi, le mouvement rectiligne uniformément accéléré et la recherche du rectangle d’aire maximum et de périmètre imposé sont deux problèmes qui mobilisent une même fonction du second degré. L’enjeu majeur d’apprentissage devient alors le choix de concepts appropriés dans une situation donnée. C’est pourquoi nous préférons parler de savoirs mobilisables que de compétences, l’élève compétent n’étant jamais que celui qui mobilise le ou les savoirs pertinents à bon escient. 1.2. Des compétences prétendument transversales Parmi les compétences qui s’affichent résolument transversales, la communication a la cote au point de prendre une place très importante dans tous les référentiels. C’est aussi une des compétences majeures des programmes de mathématiques québecois où l’on parle de « communiquer en langage mathématique ». Cette place est-elle légitime dans toutes les disciplines ? Si cela l’est certainement en ce qui concerne les cours de langues, il nous paraît exagéré, par exemple, d’orienter à ce point les « situations-problèmes » ou « familles de situations » au sens de X. Roegiers (2000) en sciences vers la communication sociale : faire une affiche ou un exposé sur tel sujet à l’adresse de tel public. Ce n’est pas là, à nos yeux, des « situations fondamentales » au sens de G. Brousseau (1998), ni des sciences ni des mathématiques, ces situations n’étant pas spécifiques des épistémologies respectives de ces disciplines. Ce qui n’empêche pas bien sûr qu’un élève puisse apprendre des sciences ou des mathématiques en préparant une affiche ou en faisant un exposé, ni qu’on lui impose de présenter de manière claire et structurée sa résolution d’un problème. Cela nous amène à proposer un cadrage didactique de la communication au sein des mathématiques. Celle-ci peut avoir une fonction essentiellement didactique. Dans l’évaluation par exemple : Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ? un élève sera invité à expliquer tel concept au professeur dans le but de lui prouver qu’il l’a bien compris. Une autre fonction didactique de la communication a trait à la construction de savoirs. Nous renvoyons ici aux « situations de communication » de G. Brousseau (Ib.) dans lesquelles un jeu d’échanges entre des émetteurs ou des récepteurs débouche sur la construction collective d’un concept : ce pourrait être, par exemple, des messages verbaux à propos du graphique d’une fonction qui fassent apparaître les caractéristiques déterminantes des graphiques cartésiens. On touche là à une forme de communication inhérente à la construction des savoirs entre pairs, incontournable dans la mesure où cette construction a un caractère social, que les pairs soient les mathématiciens euxmêmes faisant valider leurs travaux par le biais de publications ou les élèves d’une même classe invités à constituer une « communauté scientifique » (au sens de M. Legrand, 1997). Depuis la réforme des compétences, les situations de communication ont envahi la plupart des cours, mais l’objectif d’apprentissage d’un savoir spécifique à la discipline a tendance à disparaître pour être remplacé par un autre objectif : l’acte de communication lui-même, en un sens large, et tout ce qu’il suppose telle que la prise en compte de la spécificité du public-cible, etc. Cela nous semble a priori dommageable dans certaines disciplines pour lesquelles la communication n’est pas centrale. Mais il est un aspect plus essentiel que nous voudrions soulever ici : c’est que le langage mathématique n’est pas prioritairement un langage de communication mais avant tout, pour s’en tenir ici au seul registre algébrique, un assemblage de symboles dont la manipulation permet, moyennant le respect de certaines règles, un traitement automatique de l’information dont on peut tirer une connaissance supplémentaire. Illustrons cette spécificité du langage algébrique au moyen d’un exemple amusant par lequel G. Polya (1967) situe le projet qu’a caressé Descartes de ramener tout problème à la résolution d’équations. Supposons que l’on vous dise : Un fermier possède des poules et des lapins. Ces animaux ont ensemble cinquante têtes et cent quarante pattes. Cette information ne vous donne pas le nombre de poules et le nombre de lapins que possède ce fermier. Qu’à cela ne tienne. En désignant par x le nombre de poules et par y le nombre de lapins et en tenant compte bien sûr de la morphologie respective de ces animaux, vous pouvez traduire l’information reçue par les écritures x + y = 50 (1 tête par poule, 1 par lapin et un total de 50 têtes) et 2x + 4y = 140 (2 pattes par poule, 4 par lapin et un total de 140 pattes). A partir de là et, pourvu que vous vous souveniez de certaines règles d’algèbre, vous pouvez écrire la deuxième équation sous la forme x + 2y = 70, lui soustraire la première équation et obtenir le nombre de lapins y = 20 ; enfin, sachant que x + y = 50, vous déduisez le nombre de poules x = 30. G. Polya montre deux autres façons de résoudre le problème : le tâtonnement qui devient bien périlleux si les nombres sont moins « ronds » et la trouvaille d’une idée lumineuse, qui n’est pas à la portée du premier venu, et qui consisterait à imaginer cette circonstance peu probable : « Un jour le fermier surprit un spectacle vraiment extraordinaire : chaque poule se tenait sur une patte et chaque lapin sur ses pattes de derrière. Dans cette situation remarquable la moitié des pattes était utilisée, c’est-à-dire soixante-dix. Dans ce nombre soixante-dix, chaque poule est comptée juste une fois par tête, mais chaque lapin est compté deux fois par tête. Retranchons alors du nombre soixante-dix, le nombre total de têtes, qui est égal à 50 ; il reste le nombre de têtes de lapins – c’est-à-dire 70 – 50 = 20 lapins ! Et bien sûr, trente poules ». La morale que l’on peut tirer de cet exemple est qu’un maniement quasiment irréfléchi de symboles mathématiques, toutefois régi par des règles strictes, supplée le tâtonnement laborieux ou l’absence d’idée géniale. D’où une économie de pensée pour des crétins paresseux que savent être les mathématiciens quand c’est utile. D’où aussi le projet caressé par Descartes de tout traduire en langage algébrique jusque y compris le traitement des figures géométriques. Là ne s’arrête pas la puissance du langage algébrique. Il permet aussi de valider une généralisation mais aussi de catégoriser, au moyen de symboles communs, des problèmes a priori étrangers les uns aux autres. Ainsi l’écriture y = ax2 + bx + c pour modéliser tant le MRUA en physique que le problème des rectangles isopérimétriques, problèmes que nous avons déjà évoqués à la section 1. Avec cet exemple de la compétence communiquer, mais aussi d’autres compétences : faire preuve d’esprit critique et formuler et valider des hypothèses, M. Schneider (2004) illustre à quel point les compétences dites transversales se déclinent différemment, d’une discipline à l’autre, en fonction de leur épistémologie propre. Ce qui soulève bien sûr la question de leur transfert effectif et des obstacles auquel il se heurte. B. Rey (1996) développe, quant à lui, que la transversalité n’est pas de l’ordre de la compétence mais de celui de l’intention : « Il ne suffit pas qu’un élève possède une compétence particulière pour qu’il l’utilise à bon escient dans une situation donnée. Il faut surtout que le sens qu’il attribue à cette situation lui permette d’envisager de mettre en œuvre cette compétence ». Parmi les intentions candidates à la transversalité, cet auteur pointe l’intention rationnelle sur laquelle nous reviendrons à la section 5. 1.3. Le cas de la résolution de problèmes Si communiquer n’est pas la finalité première d’un cours de mathématiques, on peut espérer que la compétence résoudre un problème y prenne une place importante. Mais là aussi, les choses ne se présentent pas forcément comme on s’y attend et il faut se méfier d’un regard trop généraliste. Comme pour l’histoire, l’enseignement à la résolution de problèmes est en tension entre une organisation pensée autour de démarches générales et une autre structurée par les savoirs. Dans la première, on insistera sur l’apprentissage des étapes d’une résolution de problèmes telles que distinguées par A.H. Schœnfeld (1989) : la lecture de l’énoncé, l’analyse du problème, l’exploration des solutions possibles, la planification d’une ou de plusieurs stratégies de solution, l’application de CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 63 Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ? la ou des solutions, la vérification de la solution en regard des données initiales. La seconde approche est organisée autour de catégories de problèmes et de techniques de résolution proprement mathématiques que d’aucuns qualifient de stratégies spécifiques comme la méthode de programmation linéaire ou celle des dérivées pour optimiser une grandeur variable ou encore la méthode des deux lieux pour construire un objet géométrique satisfaisant des contraintes données. Cette alternative renvoie à un débat sensible au sein de la psychologie cognitive sur l’opportunité de fonder un apprentissage à la résolution de problèmes sur les stratégies générales plutôt que sur les stratégies spécifiques et dont J. Tardif (1992 et 1999) fait le bilan suivant. Il souligne l’inefficacité des enseignements de stratégies générales, telle qu’éprouvée par plusieurs recherches dont il rapporte ainsi la conclusion : « l’enseignement de stratégies spécifiques de résolution de problèmes est une orientation qui rend le plus probable le transfert des apprentissages » et, parmi les facteurs influant sur l’enseignement et l’apprentissage des stratégies de résolution de problèmes, pointe le développement d’une base de stratégies spécifiques, l’organisation de ces connaissances dans la mémoire à long terme et une métacognition prenant la forme d’un enseignement explicite de stratégies spécifiques et de leurs conditions d’utilisation. C’est le même bilan du côté des modèles de didactique des mathématiques dont M. Schneider (2002 et 2006b) déduit une manière crédible d’apprendre aux élèves à résoudre des problèmes mathématiques et qu’elle formule schématiquement comme suit, à la lumière des « praxéologies » d’Y. Chevallard (1992). Des questions relevant d’une même problématique seraient exposées d’entrée de jeu aux élèves, par exemple des questions concernant l’évaluation de grandeurs inaccessibles ; elles leur seraient ensuite dévolues pourvu qu’elles aient pu se traduire en situations adidactiques (une forme spécifique des situations-problèmes chez G. Brousseau, 1998), ou, à défaut, explorées par le professeur devant les élèves par 64 le biais d’un discours métacognitif portant sur le savoir et l’objet principal de la dévolution sera alors l’exploration de la technique dans un champ de problèmes parents. De cet examen qui ferait ressortir l’essence commune de ces questions devrait émerger une technique type de résolution. Les questions seraient alors cristallisées en une classe de problèmes et le discours technologique qui valide cette « technique » (au sens large du terme) déboucherait sur un embryon (ou un pan de théorie), lequel institutionnaliserait la technique comme répondant à cette classe de problèmes. Les élèves seraient alors entraînés à la résolution de problèmes de cette classe et invités à explorer le domaine d’opérationnalité de la technique de résolution jusqu’à en éprouver les limites. Ils seraient enfin évalués sur leur capacité à transférer la méthode de résolution à de nouveaux problèmes de la même classe. Ce qui suppose qu’on leur ait appris à gérer une certaine variabilité. Ainsi, en ce qui concerne l’exemple des distances inaccessibles, on pourrait faire varier les paramètres suivants : le ou les théorèmes exploités (triangles semblables, théorème de Pythagore, résolution de triangles rectangles ou quelconques), le nombre de triangles ou de sous-figures utilisés, le fait que ces figures se situent ou non dans un même plan, le fait qu’elles puissent ou non être dessinées à l’échelle, le fait que l’énoncé soit ou non assorti d’emblée d’un dessin montrant un point de vue « approprié », la possibilité ou l’obligation de prendre des mesures sur le terrain, la possibilité d’avoir recours à une calculatrice, … Dans une telle perspective, les savoirs construits outillent les élèves pour résoudre une classe particulière de problèmes, puis une autre et ainsi de proche en proche de sorte qu’ils disposent d’un arsenal de connaissances leur permettant de faire face à un nombre sans cesse croissant de types de problèmes. Un enjeu de transfert non négligeable se profile dès que l’élève, susceptible de maîtriser plusieurs classes de problèmes, doit reconnaître, par analyse des invariants et des spécificités, à quelle classe appartient tel ou tel problème qui lui est proposé, tout comme un expert le ferait d’ailleurs. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 D’où l’intérêt de proposer des évaluations où, de manière affichée et effective, différentes classes de problèmes sont brassées d’une année à l’autre, afin d’éviter les effets de contrat poussant l’élève à adopter telle méthode ou telle autre en fonction des contenus de programmes travaillés pendant l’année en cours. Ainsi, si un problème doit être modélisé par une fonction, il y a des chances actuellement qu’il s’agisse d’une fonction exponentielle ou logarithmique lorsque la question est posée en dernière année du secondaire en Belgique puisque les autres types de fonctions font partie des programmes des années antérieures. Les outils d’évaluation devraient donc intégrer la mobilisation des savoirs d’une année scolaire à l’autre. 1.4. Mobiliser un savoir mathématique dans des cours relevant d’une option qualifiante : l’exemple de la dérivée en résistance des matériaux Comme nous l’avons déjà illustré, le propre des mathématiques est de proposer un traitement décontextualisé de problèmes d’origines diverses. Pensons au calcul des dérivées qui règle aussi bien des questions de « coût marginal » en économie, de « vitesse », « accélération » ou « intensité de courant » en physique, de « variation de la concentration d’un médicament dans le sang » en pharmacologie ou de « vitesse de réaction chimique » … pour n’en citer que quelques-unes. La grande difficulté pour l’élève est de maîtriser suffisamment le concept mathématique lui-même pour en comprendre les potentialités dans chacune de ces disciplines. En outre, il doit affronter d’importantes différences dans les usages associés au concept d’une discipline à l’autre ou, plus généralement d’une institution à l’autre, comme dirait Y. Chevallard (1992). En particulier, l’institution « cours techniques » se démarque de l’institution « cours de mathématiques » par des différences de vocabulaire, des déplacements d’accents, … Le transfert d’un même concept d’une institution à l’autre devient, pour l’élève, si périlleux qu’il n’est envisageable Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ? qu’au prix d’un travail didactique important du professeur lui-même que nous illustrons ci-dessous dans un cas où il atteint son paroxysme : celui de l’enseignement qualifiant. Dans cette filière d’enseignement plus qu’ailleurs, le professeur de mathématiques est astreint à des contraintes : déterminer les savoirs pertinents pour la formation aux pratiques du métier, discerner comment d’autres disciplines prennent en charge le traitement des savoirs mathématiques. L’application des concepts mathématiques pour résoudre des problèmes issus d’une autre institution amène à utiliser un langage et des symboles propres à cette institution. L’enseignant en mathématiques doit s’approprier ce langage maîtrisé par les élèves et doit connaître le référentiel des connaissances techniques. à titre d’exemple, dans une discipline comme la résistance des matériaux, le symbole Ψ, appelé « papillon », est utilisé pour décrire la concavité, la courbure de la déformée, courbe décrite par l’axe d’une poutre fléchie. Ce symbole est inexistant dans l’institution mathématique. Au-delà de cette difficulté langagière, l’enseignant doit adapter les savoirs mathématiques aux savoirs spécifiques des professions. Ainsi, en résistance des matériaux, le technicien, dans la recherche du moment fléchissant extrémal, met davantage l’accent sur le changement de signe de la dérivée alors que le mathématicien, dans sa quête d’un extremum, insiste prioritairement sur l’annulation de la dérivée. Dans l’enseignement secondaire, la recherche des extrema se décline presque exclusivement dans le cas de fonctions dérivables et un point anguleux apparaît comme une curiosité mathématique. Il en est autrement en résistance des matériaux où le moment fléchissant maximal est régulièrement défini par un tel point. En outre, le concept de fonction défini dans les manuels scolaires mathématiques est mis à mal dans les diagrammes des efforts tranchants ou des moments fléchissants, représentations graphiques des fonctions de sollicitation d’une poutre. En effet, dans ces diagrammes, le technicien ou l’ingénieur représentent ce qu’ils appellent des fonctions par des graphiques qui peuvent comporter des segments parallèles à l’axe des ordonnées, ce qui serait jugé incongru dans l’institution mathématique. Le travail de l’enseignant en mathématiques consiste alors à concilier et à relier les pratiques différentes des deux institutions, l’enseignant joue un rôle de facilitateur de la transposition des connaissances mathématiques aux « situations » techniques et réciproquement ; l’élève est appelé quotidiennement, voire heure après heure, à réaliser ce va-et-vient entre deux univers. La compréhension du sens d’un concept mathématique par une approche extérieure au domaine purement mathématique est donc très exigeante sur le plan de l’explicitation mais, en contrepartie, offre l’avantage de rejoindre l’intérêt des élèves et de constituer une source de motivation importante. 2. La formation des professeurs à la lumière de l’analyse précedente Préparer les futurs agrégés à leur métier d’enseignant revient à leur demander de faire « le grand écart » entre le « possible » et le « réel ». D’une part, il y a ce que les recherches en didactique ont pu mettre en évidence, en matière de possibilités d’apprentissages mathématiques pour des élèves d’un niveau donné, dans un cadre scolaire pas forcément « porteur » a priori. Ces possibilités ne sont pas utopiques mais elles supposent des approches qui respectent des conditions à la fois épistémologiques, cognitives et didactiques. D’autre part, beaucoup de pratiques enseignantes semblent mésestimer de telles potentialités, tout simplement par méconnaissance ou découragement. Il ne s’agit pas de juger : il est vrai que les professeurs sont confrontés aujourd’hui à des contextes délicats dans lesquels on leur demande de faire mieux qu’auparavant. L’enjeu majeur de la formation initiale est, dans ce cadre, de fournir aux professeurs débutants des outils de pensée qui leur permettront un regard distancié par rapport au fonctionnement scolaire actuel auquel participent non seulement les enseignants mais aussi les décideurs politiques et les experts qui les éclairent. Illustrons cela à propos de la réforme des compétences qui s’est traduite par des injonctions institutionnelles telles que « l’élève doit être acteur de son propre apprentissage », inspirées, parfois de manière lointaine, de théories d’apprentissage « socio-constructivistes ». Dans les programmes scolaires, manuels et cours de mathématiques, ces injonctions ont donné lieu à de multiples « situations-problèmes » dont le fonctionnement est douteux (M. Schneider & A. Mercier, à paraître), faute de respecter certaines conditions telles que : - Le savoir visé doit apporter une réponse optimale à une question posée préalablement et qui est paradigmatique d’une classe de problèmes mathématiques. - Cette question doit être comprise d’entrée de jeu par les élèves, leur permettre d’engager des savoirs anciens et d’éprouver les limites de ces derniers. - Il doit exister un « milieu » et un « contrat » qui permettent aux élèves de situer collectivement leurs stratégies par rapport à la « nécessité » mathématique et non pas par rapport aux attentes qu’ils supposent, à tort ou à raison, dans le chef du professeur. Ces conditions devraient favoriser chez l’élève une posture visée par les didacticiens des mathématiques depuis que l’échec de la réforme des mathématiques modernes des années 70 a mis à l’avant-plan le problème du sens. Cette posture, je la rapprocherais de l’intention rationnelle évoquée plus haut et que B. Rey (1996) décrit en ces termes : « Il faut qu’il [l’élève] cesse de voir la vérité comme dépendante d’une forme de rapport à autrui. Il faut que, dans sa relation au savoir, il passe de l’obéissance à une règle saisie comme arbitraire à la compréhension de la nécessité […] tant que l’élève croît le maître parce que c’est le maître, c’est que l’intention rationnelle n’est pas établie ». Malheureusement, de nombreuses situations-problèmes conçues sur le tas conduisent à des effets contraires, faute d’avoir été construites sur base d’une analyse a priori à la fois épis- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 65 Le cas des mathématiques : compétences ou savoirs mémorisables ? Qu’en conclure pour la formation ? témologique et didactique. L’enjeu de la formation consiste alors à montrer ce phénomène aux futurs professeurs, en jouant tant sur de bons exemples de situations-problèmes que sur des contre-exemples, tout aussi instructifs, et surtout de les initier aux concepts didactiques qui leur permettront d’analyser les unes et les autres : en l’occurrence les concepts de situation adidactique, milieu et contrat didactique de G. Brousseau (1998). Là ne s’arrête pas la formation en didactique : il s’agit d’apprendre à construire des situations-problèmes qui fonctionnent, au sens décrit plus haut, ou, à tout le moins et vu la difficulté de l’entreprise, d’apprendre à améliorer le quotidien des cours de mathématiques. Et ce, de plusieurs points de vue : - concevoir des « exposés » qui mettent en évidence les « vraies raisons d’être » (au sens d’Y. Chevallard, 1992), ayant été à l’origine des savoirs mathématiques enseignés ou les faisant vivre encore aujourd’hui, dans certaines communautés scientifiques ou dans certains milieux professionnels ; - éviter de donner des réponses à des questions qui n’ont pas été posées ; - organiser l’enseignement autour de « familles de tâches » signifiantes que l’on peut ensuite croiser pour apprendre aux élèves à réaliser des transferts ; - allier un travail proprement mathématique et une réelle ouverture à des problèmes issus des autres disciplines ; - améliorer les questions posées aux élèves au sein d’un cours « dialogué », modalité d’enseignement la plus répandue ; - reconnaître, dans leurs réponses, les formes embryonnaires des savoirs mathématiques et les erreurs relevant d’obstacles d’apprentissage « profonds » dont on peut déceler des traces dans l’histoire des mathématiques et chez la plupart des individus. Cela suppose qu’une place importante soit octroyée, tant dans le cours de didactique que dans les stages, à l’analyse épistémologique des savoirs mathématiques à enseigner, à celle de leur transposition didactique et des obstacles d’apprentissage prévisibles d’ordre épistémologique, ontogénétique, didactique ou psychologique. 66 Mais cette formation très conceptuelle ne doit pas mettre les futurs agrégés en porte-à-faux par rapport à leurs maîtres de stages ou aux futurs collègues avec lesquels ils devront collaborer. C’est pourquoi, le cours de didactique se situe au-delà d’une perspective normative. Il ne s’agit pas de faire « adopter » ou « rejeter » globalement telle ou telle manière d’enseigner, même si chacune d’elles peut être conjuguée selon des modalités qui ne se valent pas et qui peuvent faire l’objet de critères d’évaluation. Ce qui est cherché avant tout, c’est à favoriser chez les étudiants d’agrégation une posture de questionnement qu’ils abandonneront sans doute au début de leur carrière, le temps de trouver leurs « marques », mais à laquelle on espère qu’ils reviendront le plus vite possible pour s’y tenir jusqu’à la fin de leur vie professionnelle. La progression de l’enseignement est à ce prix … Bibliographie Beckers, J. (2002). Développer et évaluer des compétences à l’école : vers plus d’efficacité et d’équité. Bruxelles : éditions Labor. Brousseau, g. (1998). La théorie des situations didactiques. Grenoble : La Pensée sauvage. Chevallard, y. (1992). « Concepts fondamentaux de la didactique : perspectives apportées par une approche anthropologique », Recherches en Didactique des Mathématiques, 121, 72-112. FESeC (2000). Programme n° D/2000/7362/017 d’histoire et de formation historique des 2 e et 3 e degrés des humanités générales et technologiques. Jadoulle, J. & Bouhon, m. (2003). 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L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques Jean-Marie Dujardin Avec la collaboration de Sophie Leruth, Marie-France Otto et Rosa Valle Service de Didactique des Sciences économiques HEC-école de Gestion de l’Université de Liège L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques L’objectif de cet article est d’expliquer comment, dans le cours de didactique des sciences économiques, nous préparons les étudiants de l’AESS à travailler selon une démarche de pédagogie par les compétences, afin de les familiariser aux situations d’enseignement qu’ils rencontreront dans leurs stages de responsabilité, tout d’abord, dans leur vie professionnelle, ensuite. Nous avons délibérément choisi de traiter dans cet article des compétences en sciences économiques dans l’enseignement qualifiant. Certes, dans l’enseignement général, où nos agrégés enseignent dans l’option « sciences économiques », la pédagogie par les compétences est également très importante. Il y existe cependant des différences significatives avec l’enseignement qualifiant. Par souci de concision, nous avons choisi de traiter de l’enseignement qualifiant, dans le prolongement de l’intérêt pour l’enseignement qualifiant de l’Université d’été du CIFEN 2006. Nous commencerons par expliquer brièvement les spécificités et les paradoxes de l’approche par les compétences en sciences économiques. Ensuite, dans un souci de concrétisation, nous décrirons deux situations d’enseignement vécues actuellement par des professeurs de sciences économiques dans leur pratique quotidienne. Nous présenterons les démarches du cours de didactique des sciences économiques à travers lesquelles nous préparons les étudiants de l’AESS à prendre en charge de telles situations. Nous conclurons quant aux enjeux de la pédagogie par les compétences pour les futurs enseignants en sciences économiques. 1. Spécificités et paradoxes de l’approche par les compétences en sciences économiques L’économie et la gestion d’entreprise sont familières de la notion de compétence. Depuis une vingtaine d’année environ, le concept de compétence « fait fortune » dans ce champ de connaissance. La gestion des compétences est aujourd’hui un thème essentiel de la gestion des ressources humaines dans l’entreprise et dans les organisations. Les notions de bilan de compétence, de capital compétences de l’entreprise, de validation des acquis, de « knowledge management » sont des éléments importants dans les sciences de gestion. Parmi les pionniers de l’approche par les compétences dans les organisations, on retrouve G. Le boterf (1997a et b), souvent cité dans les recherches pédagogiques sur les compétences. Parmi les thèmes de recherche en gestion des compétences aujourd’hui, on peut citer (Dujardin, 2006) : - l’anticipation des compétences (au niveau d’une région, d’une organisation, etc.) ; - le transfert de compétences entre générations de travailleurs dans le cadre du Pacte de solidarité entre générations (les travailleurs « 45+ » , le tutorat et l’accompagnement des jeunes, etc.) ; - la validation des compétences et la validation des acquis de l’expérience ; - les compétences des managers. Par ailleurs, par rapport à la démarche de la Commission Communautaire des Professions et des Qualifications, qui a défini les profils de qualification et de formation, on peut s’attendre à ce que les économistes et les gestionnaires soient en « pays de connaissance » : ce sont les partenaires sociaux, représentants des employeurs et des syndicats CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 67 L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques de travailleurs, qui définissent les compétences à maîtriser par les élèves du qualifiant, en fonction des activités réalisées dans des emplois-types en entreprise. Si le concept de compétence est familier aux gestionnaires et aux économistes et qu’il s’est développé un peu plus tôt dans l’entreprise que dans le domaine de l’enseignement, on pourrait s’attendre à ce que les étudiants en économie et en gestion soient très à l’aise avec les concepts liés aux compétences lorsqu’ils sont appliqués au domaine de l’enseignement. Il n’en est rien. Comme pour tous les autres étudiant(e)s de l’AESS, la découverte de l’approche par les compétences dans l’enseignement est une sorte de révolution, qui force le futur professeur du secondaire et ses élèves à réfléchir en termes de savoir, savoir-faire et attitudes à combiner et à mobiliser, et non plus en termes de contenus. Après ces quelques précisions concernant l’approche par les compétences en économie, intéressons-nous maintenant aux situations concrètes vécues par les enseignants de sciences économiques « sur le terrain ». 2. Situations concrètes d’enseignement vécues par des professeurs de sciences économiques Une première situation, notamment inspirée du Projet école-CompétenceEntreprise (D ony et T chogninou , 2006), concerne une section tourisme appelée « Agent(e) en accueil et Tourisme »(5° Technique de qualification). Une des six fonctions du programme est « la vente de voyages à forfait ». Les apprentissages se réfèrent au référentiel de compétences de la section (CCPQ, 1996 et 2001). Les principales compétences à travailler pour la fonction « vente de voyages à forfait » sont : le calcul du forfait et la réservation du voyage. Pour développer ces compétences, le professeur propose une situation d’apprentissage : un cas pratique qui illustre la demande d’un couple avec deux enfants de 9 ans et 10 ans. Celuici désire se rendre à Port El Kantaoui pour un séjour plage à l’hôtel « X » 68 du 9 au 16 juillet en pension complète. Au départ de cette situation, les élèves devront : - calculer le montant du forfait ; - réserver le voyage. En ce qui concerne le calcul, les élèves découvrent qu’ils ont besoin de connaissances et de savoir-faire divers comme le vocabulaire spécifique utilisé chez les agents de voyage où interviennent des suppléments et des réductions. Et c’est là que le professeur intervient et donne les informations, les méthodes de calcul, etc. En ce qui concerne la réservation, l’élève devra vérifier, au moyen de programmes informatiques, auprès du tour-opérateur, les disponibilités de vol et de logement et ensuite, effectuer la réservation. Afin de conclure sa vente, il devra compléter un bon de commande et le faire signer par le client. Au lieu d’expliquer de manière théorique les méthodes de vente de voyage, le professeur met les élèves en situation réelle et est présent pour donner les explications indispensables. Dans ce dispositif d’apprentissage, la construction des compétences pour la vente du voyage à forfait, se réalise de manière interdisciplinaire : y collaborent, outre le professeur de sciences économiques, celui de mathématique (calculs des coûts de voyage, des marges réalisées, etc.), de français (rédaction d’une lettre, d’un bon de commande, etc.), de langues étrangères (ex. anglais), de secrétariat (traitement de texte, etc.), d’histoire (histoire et culture des pays sélectionnés), de géographie touristique (climat, sites des pays retenus, etc.). C’est donc ensemble que les professeurs construisent les situations d’apprentissage et les épreuves d’évaluation qui serviront à vérifier la maîtrise des compétences. Une deuxième situation concerne une section de comptabilité (6e Technique de qualification). Les élèves de cette section ont un cours d’informatique de gestion dans lequel ils abordent différents logiciels (le tableur, un logiciel comptable, une base de données, un logiciel fiscal,…). Les apprentissages doivent chaque fois se référer au référentiel des compétences à maîtriser de la section « Technicien en compta- CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 bilité ». Pour étudier le logiciel Excel, nous avons choisi de les faire travailler sur la compétence de l’établissement de factures de vente à automatiser (CCPQ, 1996 et 2000). La situation d’apprentissage porte sur les factures évolutives : « Vous faites votre stage dans la librairie papeterie « Papier en stock SPRL » et le responsable des ventes vous charge de réaliser plusieurs modèles de facture en fonction de certaines contraintes… Lesquelles ? Vous allez les découvrir… » Les élèves reçoivent des consignes qu’ils doivent respecter, mais ils travaillent à leur rythme, en autonomie, le professeur étant là pour les orienter, les conseiller, les guider si nécessaire. Ils reçoivent les factures une à une qu’ils vérifient eux-mêmes dans le cahier de correction mis à leur disposition par le professeur. Ils ne peuvent passer à la réalisation de la facture suivante que si la facture précédente a été vérifiée par le professeur (formules- automatisation de celles-ci, respect des consignes, etc.). Progressivement, les factures se compliquent mais elles utilisent toujours les notions vues auparavant tout en introduisant de nouvelles formules. Pour « découvrir et s’approprier » celles-ci, les élèves disposent de « fiches théoriques de travail » qu’ils doivent d’abord « réaliser » avant de les appliquer. Dans cette situation également, la construction des compétences peut se faire de manière interdisciplinaire : en plus des notions de comptabilité, il s’agit de travailler avec le professeur de mathématique (calculs à réaliser), de français (rédaction de documents, correction de la langue), d’informatique (traitement de texte, Excel, etc.). 3. Comment former les étudiants de l’AESS à ces situations professionnelles ? Nous décrivons ci-après les démarches mises en œuvre dans le cours de didactique des sciences économiques afin de préparer les étudiant(e)s à gérer de telles situations d’enseignement. C’est tout d’abord dans le schéma de préparation d’une séquence didactique que nous rendons l’étudiant(e) AESS attentif(ve) à une définition précise des L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques compétences à atteindre par les élèves du qualifiant. Notre schéma de préparation - qui vaut tant pour l’enseignement général que pour l’enseignement qualifiant- est le suivant : 1. QUI sont les élèves, le groupeclasse ? (nombre, caractéristiques, connaissances de base, valeurs, centres d’intérêts, etc. ?). 2. QUEL est le programme ? Quel est le contenu d’apprentissage de la séquence didactique ? (enseigner QUOI ?). 3. POURQUOI cette séquence didactique, ces contenus d’apprentissages (compétences transversales, compétences disciplinaires, profil de formation) ? 4. COMMENT construire cette séquence (moyens pédagogiques, situations d’apprentissage, stratégies didactiques, styles d’enseignement, etc.) ? 5. Comment éVALUER les apprentissages des élèves suite à cette séquence ? (QUELS RéSULTATS ?). Chacun des points de ce guide de préparation d’une leçon fait l’objet de nombreuses questions plus précises, qui permettent de l’opérationnaliser. Nous nous intéresserons plus particulièrement au 3e point, celui qui traite du « POURQUOI ? », c’est-à-dire des objectifs et des compétences à maîtriser par les élèves. Ainsi, après avoir caractérisé le groupe des élèves (point 1) et les contenus d’apprentissage (point 2), l’étudiant(e) AESS est invité(e) à réfléchir sur les compétences à faire acquérir aux élèves. Cette réflexion est menée de manière approfondie et systématique selon les questions suivantes qui se réfèrent au « Décret-Missions » du 24/07/1997 ainsi qu’à diverses sources plus opérationnelles (Genard, 2002 , Dony & Tchogninou, 2006). 1° Quelles sont les compétences cognitives à faire acquérir aux élèves ? Il s’agit ici des compétences définies dans le cadre du profil de formation et de qualification de la Commission Communautaire des professions et des Qualifications (CCPQ). On notera qu’il s’agit plus spécifiquement de compétences professionnelles très opérationnelles plutôt que de compétences cognitives. Ainsi, pour le métier d’« Agent(e) en Accueil et Tourisme », les principales compétences cognitives - nous donnons ici seulement un extrait du profil de qualification - sont (CCPQ, 1996 et 2001) : - Le calcul de forfait. - La réservation d’un voyage. - Le respect des règles d’établissement d’un bon de commande. - L’utilisation des références courantes des différents voyagistes (brochures, programmes informatiques). - La relation commerciale entre l’agent de voyages, le tour-opérateur et le client. En ce qui concerne le métier de « Technicien en comptabilité », les compétences - un extrait seulement que nous relèverons, sont (CCPQ, 1996 et 2000) : - Connaître et comprendre les règles d’établissement des documents commerciaux courants relatifs à la facturation . - Vérifier l’application des règles d’établissement des documents commerciaux. - Effectuer les calculs, y compris en devises, en tenant compte des réductions commerciales, des escomptes accordés, des frais de transport, des acomptes reçus, de la consignation d’emballages, de la récupération d’emballages consignés, de la TVA, etc… - Connaître les conditions de validité de tous les documents relatifs aux opérations diverses. - Connaître, comprendre et appliquer les procédures fixées pour la vérification, l’approbation, la justification et le calcul d’opérations diverses , en l’occurrence la fiche de paie. 2° Quelles compétences méthodologiques ? Même si celles-ci sont plus relatives à l’enseignement général selon les prescrits du Décret Missions, nous estimons important que les futurs enseignants développent des compétences méthodologiques auprès des élèves, à titre d’exemple : - gestion du temps (planification - sélection - hiérarchisation et alternance des tâches - prévisions) ; - prise de notes (structuration - sélection - techniques - fiabilité - relecture) ; - respect des consignes (lecture - interprétation - application) ; - tenue des documents et du matériel (ordonnance - règles) ; - recherche de l’information (saisie structuration - traitement) ; - esprit d’initiative ( responsabilisation - créativité - autoévaluation) ; - expression ; - etc. L’étudiant(e) de l’A.E.S.S. pourra, à titre d’exemple, pourra mettre l’accent sur la gestion du temps et le respect des consignes. 3° Quelles compétences relationnelles ou attitudes (au sens de l’Article 5 du Décret-Missions du 24/7/97) ? De même, nous souhaitons rendre les futur(e)s enseignant(e)s attentifs(ves) au développement de compétences relationnelles (ou attitudes à intégrer dans la réalisation de tâches complexes) auprès des élèves, à titre d’exemple : - respect d’autrui (convivialité - tolérance - solidarité) ; - coopération (ouverture au dialogue participation - intégration - négociation) ; - esprit d’initiative (curiosité intellectuelle - hypothèse - projet - production) ; - sens de l’effort ( motivation - volonté - persévérance) ; - adaptabilité (souplesse - mobilité). - écoute - respect d’autrui ; - etc. L’étudiant(e) de l’AESS choisira , par exemple, de développer le sens de l’écoute et l’esprit de coopération. Après cette réflexion systématique sur les compétences, il est important de relier les compétences sélectionnées avec les autres points de la leçon. Il s’agit notamment de relier les compétences avec les moyens pédagogiques et les situations d’apprentissage, celles rencontrées dans la situation professionnelle. Dans les deux exemples proposés, ce sont notamment celle du cas concret de « vente de voyage au forfait » et celle de la gestion des factures d’une librairie « Papier en stock SPRL », décrites ci-avant. L’étudiant(e) AESS est invité(e) à construire un tableau de description du processus pédagogique de la leçon par un « micro-découpage » des activités de celle-ci. Nous donnons ici un bref exemple : CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 69 L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques Qui fait quoi ? Professeur ? élèves ? Moyens pédagogiques ? Situations d’apprentissage Compétences travaillées Le professeur explique le Description de la librairie pa- 5 minutes cas concret de la librairie peterie papeterie écoute Le professeur explique la Facture de la librairie méthode de travail dans cette papeterie séquence, donne les consignes et distribue la facture présélectionnée et la commente écoute Respect des consignes 5 minutes Les élèves travaillent avec la Réaliser une à une les factures 25 minutes facture selon les consignes en fonction des contraintes reçues Respect des consignes Gestion du temps Connaître, comprendre et vérifier l’application des règles d’établissement de la facture Les élèves reçoivent les « fiches Lire les fiches, les réaliser et 10 minutes théoriques de travail » puis les appliquer à chacune des nouvelles factures à traiter Respect des consignes Gestion du temps Vérifier les conditions de validité des documents avec le cahier de correction … … … La préparation de la leçon exige donc la construction d’une démarche didactique précise, avec un « microdécoupage » très fin, en particulier concernant les compétences. Tout ce travail de préparation sur les compétences fera l’objet d’une communication auprès des élèves. Lors de leur stage de responsabilité, les étudiants sont invités, en début de leçon en particulier, à expliquer aux élèves les compétences cognitives, méthodologiques et relationnelles qu’ils vont travailler en cours de leçon. De même, nous les invitons à « faire le point » 70 Timing ? … sur ces compétences en fin de leçon, si possible de manière individualisée avec les élèves. Le dernier point – essentiel – de la préparation est celui de l’évaluation des apprentissages. Dans le schéma de préparation de la leçon présenté ciavant, l’évaluation est conçue comme une « boucle de feed-back », une vérification des compétences qui ont été définies préalablement dans la leçon. Pour chacune des compétences cognitives - ou compétences professionnelles spécifiques - définies, il s’agit de sélectionner des critères d’évaluation et des indicateurs de maîtrise. L’élève sera placé dans une situation professionnelle différente de celle vue au cours, mais similaire. Dans l’exemple des « factures évolutives », cette situation sera : « Vous êtes affecté temporairement au service personnel pour aider le responsable à réaliser, en Excel, une feuille de paie automatisée aussi bien pour un ouvrier qu’un employé ». Dans cette situation d’évaluation de compétences professionnelles, les critères d’évaluation et les indicateurs de maîtrise seront, à titre d’exemple : Critères Indicateurs Qualité de la présentation de la fiche de paie La fiche de paie est construite selon les instructions , c-à-d. identique à celle qui leur a été remise (présentation, mise en forme,…). Exactitude des formules à encoder Les calculs sont exacts si on apporte des modifications - à la rémunération, - à la fonction du travailleur. Adéquation de l’impression Les documents imprimés sont conformes aux consignes. Autonomie L’ensemble est réalisé sans assistance. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques On procèdera de la même façon en ce qui concerne la « vente de voyages au forfait ». Les critères d’évaluation et de maîtrise seront, à titre d’exemple : Critères Indicateurs L’exactitude du traitement de la demande Le calcul de forfait est exact. Le bon de commande est correctement rempli. L’efficacité d’utilisation des outils informatiques Les données sont encodées à bon escient. La réservation auprès du tour-opérateur a été effectuée. Afin de vérifier la maîtrise des compétences professionnelles, l’étudiant(e) AESS est ensuite invité(e) à préciser les types de questions d’évaluation qu’il posera aux élèves : questions fermées (vrai/faux, appariement, « chasser l’intrus », QCM, « mots croisés », etc.) et questions ouvertes (à production courte, à production longue). Il précisera ensuite les critères de notation. Lors du déroulement de la leçon, les compétences peuvent être évaluées de manière formative (questions en cours de leçon) et sommative (interrogation en fin de leçon). Le contrôle en fin de leçon porte sur les questions définies ci-dessus et notées selon les critères fixés (pondération accordée à chaque critère). Lors de la correction-remédiation du contrôle, il est important que l’étudiant(e) AESS donne, dans la mesure du possible, à chaque élève, un commentaire par rapport à ses points forts et ses points à améliorer sur les compétences annoncées. Cette progression personnelle sur les compétences, tout au long des séquences didactiques du cours de sciences économiques, pourra être communiquée lors du conseil de classe. Elle permettra de mieux construire les compétences du profil de formation avec les collègues des autres disciplines. 4. En guise de conclusion : les enjeux de l’approche par les compétences pour les futurs enseignants en sciences économiques Nous avons déjà remarqué que l’appro- che par les compétences est au départ déconcertante pour les étudiant(e)s de l’AESS, car ils sont davantage habitués, de par leur formation universitaire, à réfléchir en termes de contenu. Ce n’est pas simple pour eux d’organiser leurs séquences didactiques en fonction de savoirs, savoir-faire et attitudes à combiner et à mobiliser par les élèves du secondaire. Cette difficulté est également ressentie par les enseignants en fonction. Certains s’interrogent sur l’adéquation et le niveau d’exigence des profils de qualification définis en collaboration avec le milieu professionnel. Il reste donc du travail pour intégrer la pédagogie par les compétences dans les pratiques quotidiennes d’enseignement. Les étudiant(e)s de l’AESS peuvent, à travers leurs expériences de stage, comprendre l’importance d’une approche interdisciplinaire pour une pédagogie par les compétences dans l’enseignement qualifiant. Certes, chaque professeur peut travailler à la construction des compétences « seul dans sa classe », mais ce n’est que lorsque tous les professeurs d’une même classe travaillent ensemble à construire des compétences sur la base de situations professionnelles, que cette pédagogie révèle véritablement tout son potentiel et toutes ses qualités. Les étudiants se rendent ainsi compte de l’importance de travailler par projets interdisciplinaires, comme ils le font dans le cadre du Séminaire d’approche interdisciplinaire de l’AESS. Ils peuvent ainsi mieux comprendre la « plusvalue » de l’approche interdisciplinaire et mesurer le chemin qui reste à faire pour implanter cette approche dans les écoles secondaires. Tout en restant réalistes par rapport à la situation des écoles, ils découvrent qu’un travail interdisciplinaire efficace nécessite un support institutionnel : projet promu par la direction de l’établissement, organisation des horaires par « blocs de travail » de 3 ou 4 heures plutôt que par périodes de 50 minutes (Dujardin, 2007). Ils comprennent que le travail interdisciplinaire peut également suivre une démarche qualité appliquée à l’école : réunion entre enseignants avec ordre du jour, documents de travail, compte rendu de progression, gestion de projet, etc. (Dony & Tchogninou, 2006). Un dernier élément qui préoccupe les étudiant(e)s de l’AESS durant leur stage - de même que les maîtres de stage que nous rencontrons - est la gestion du temps pour l’organisation des apprentissages. Il s’agit de gérer ce temps non seulement pour l’organisation de telles séquences didactiques (ex. la vente au forfait), mais également pour l’ensemble des séquences qui vont in fine permettre de construire les compétences à maîtriser à l’issue d’un degré (ex. à l’issue du 3e degré). à travers ces questions, les étudiant(e)s peuvent prendre conscience de l’intérêt d’outils tels que la gestion de projets, les plannings, les fiches de travail, les plans d’action pour la construction d’un curriculum fondé sur les compétences. Bibliographie CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications), S7 : économie-PQ : Employé CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 71 L’approche par les compétences en didactique des sciences économiques polyvalent/Employée polyvalente d’agence de voyage, www.enseignement.be, 20 décembre 1996. CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications), S7 : économie-PF : Agent/Agente en accueil et tourisme, www.enseignement.be, 29 juillet 2001. CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications), S7 : économie-PQ : Aidecomptable, www.enseignement.be, 20 décembre 1996. CCPQ (Commission Communautaire des Professions et des Qualifications), S7-économie –PF : Technicien/Technicienne en comptabilité, www. enseignement.be 25 mai 2000. 72 Dony, t., & Tchogninou, V. (2006). Projet « école-Compétence-Entreprise », Formation en cours de Carrière, projet développé avec l’aide du Fonds social Européen. Bruxelles. Dujardin, J.-M., (en collaboration avec Stinglhamber, F., De Zanet, F., P eeters , R., & B en L amine , B.). (2006). La validation des compétences en Belgique francophone : quelles perspectives pour les travailleurs et leurs employeurs ? , in Revue Personnel et Gestion. (mai). Bruxelles : éditions KLUWER. Dujardin, J.-M., (2007). Synthèse des ateliers de l’Université d’été « L’enseignement qualifiant : un contrat ! quels acteurs ? quelles actions ? » in CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 Puzzle, Revue du CIFEN, Université de Liège. Genard, A. (2002). La situation d’apprentissage dans l’enseignement des sciences économiques. (Centre d’Autoformation continue de la Communauté française). Huy. Le Boterf, G. (1997a). De la compétence à la navigation professionnelle. Paris : Les éditions d’Organisation. Le Boterf, G. (1997b). Nouveaux concepts et nouvelles démarches en gestion des compétences (novembre). (Communication présentée dans le cadre d’une conférence à l’attention des dirigeants d’entreprises wallonnes). Belgique : HEC-Liège. Faire et faire faire Jean-François Guillaume, Michel Xhonneux Institut des Sciences Humaines et Sociales Service de Didactique des Sciences sociales Université de Liège Faire et faire faire. Le principe d’isomorphisme dans la formation des enseignants de sciences sociales 1. Prendre de la hauteur pour travailler les représentations initiales Pour le chercheur et pour le formateur en sciences humaines et sociales, l’approche par compétences n’est pas une démarche contre nature. Bien au contraire. L’objet des sciences humaines et sociales – pour faire simple, l’homme en société – invite d’emblée à un croisement ou à une articulation des perspectives théoriques et oblige à un effort de décryptage de la complexité. Les sciences sociales sont d’ailleurs nées des évolutions qui ont bousculé le mode d’organisation des sociétés rurales et traditionnelles. Depuis la fin du 18e siècle, elles n’ont cessé de perfectionner leurs grilles de lecture et de produire des corps de savoirs organisés qui ont eux-mêmes contribué au changement social. Ainsi, les travaux des sociologues ont largement inspiré des réformes pédagogiques et orienté les politiques éducatives dans les pays occidentaux. Il n’est donc guère étonnant que les compétences inscrites dans l’approche des sciences économiques et sociales soient formulées en des termes « franchement » transversaux. Il est par contre plus surprenant que ces approches, en ce compris une formation axée sur le fonctionnement des instances juridiques et politiques de nos sociétés contemporaines, occupent une place aussi résiduelle dans les programmes scolaires actuels. Si l’on accepte de prendre un peu de hauteur ou de distance, on pourra constater que les découpages disciplinaires existants apprennent plus sur l’histoire du système scolaire que sur les enjeux actuels de l’éducation ou de la formation des jeunes générations. Et il faut bien constater que dans les réformes scolaires, les limites disciplinaires conservent une vigueur étonnante. Procédons ici par analogie. Imaginons que pour concevoir un plan de développement d’une localité, on consulte les plans cadastraux existants. Ce que ces plans révèlent, c’est en définitive une série de découpages organisant la distribution et l’affectation des sols en fonction des exigences ou des préoccupations d’époques antérieures. Deux options, entre autres, peuvent se présenter aux décideurs : préserver le patrimoine existant, parce qu’il conserve une valeur historique et culturelle forte ou parce que les propriétaires des parcelles s’opposent avec vigueur à toute idée de changement ; redessiner les contours et réaménager l’espace, parce qu’il s’agit d’affronter de nouveaux enjeux ou parce que les propriétaires des parcelles ont perçu l’intérêt d’une valorisation de leur patrimoine. Construire un projet de formation s’inscrivant dans la perspective d’un monde en évolution, d’une société « cognitive » ou d’une société de l’information oblige à se questionner sur la validité et la pertinence des découpages antérieurs. Non pas qu’il faille nécessairement tout brûler ou faire arracher les haies et les murs par une armée de bulldozers. Mais on peut pousser les futurs professionnels qui assumeront la responsabilité de l’éducation à prendre un peu de hauteur pour comprendre toute la relativité (culturelle et historique) des modes actuels d’organisation scolaire. Le monde de la formation peut-il être correctement ou objectivement appréhendé quand on n’a jamais quitté sa petite parcelle, ou quand on a rehaussé les murs qui l’entouraient pour la protéger des regards extérieurs ? CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 73 Faire et faire faire C’est le premier effort auquel le cours de Didactique des sciences sociales invite les étudiants : questionner les représentations initiales du métier pour les déconstruire. C’est là aussi une compétence inscrite au cœur même du référentiel édité par la Communauté française de Belgique pour les sciences sociales : « travailler ses représentations, exprimer ses propres représentations, les confronter à celles d’autrui, prendre conscience de la contingence de ces représentations, évaluer leurs modifications en fin de recherche ». Le dispositif de formation mis en place dans le cadre du cours de Didactique des sciences sociales doit donc répondre à ce premier objectif : pousser l’étudiant à travailler ses représentations. Afin de faire comprendre la pertinence de cet objectif, mais aussi sa complexité et sa difficulté, nous avons pris le parti de procéder par isomorphisme (« Enseigner aux enseignants comme on voudrait qu’ils enseignent », ou mieux encore : « Former les enseignants comme on voudrait qu’ils forment les élèves ») et de faire vivre par l’étudiant un dispositif l’amenant à questionner ses représentations, à les confronter à celles d’autrui et à en percevoir la contingence. Pas question ici de procéder par un brainstorming, ou par un tour de table invitant chacun à exprimer ses attentes. Pas question ici d’inviter chacun à un questionnement introspectif en « se positionnant » vis-à-vis de sa formation. Il ne s’agira donc pas de « dire » ce que l’on pense mais de « faire » ce que l’on croit juste, bon ou fondé de faire. Les représentations initiales seront mobilisées dans le cours d’une action, c’est-à-dire la résolution de différents problèmes : la présentation d’une notion « élémentaire », la présentation d’une leçon sur une thématique imposée. Nous y reviendrons. 2. Ne pas compter sur la bonne volonté individuelle mais agir sur les dimensions structurelles de la situation d’apprentissage Notre démarche s’inspire d’un postulat fondamental, voire fondateur, de 74 l’approche des sciences sociales : la nécessaire distinction entre une logique intentionnelle et une logique objective. Il s’agit ici de prendre ses distances à l’égard d’une représentation qui fait des intentions individuelles le moteur essentiel de toute vie sociale. Il faut alors accepter de nager à contre-courant car dans la vie de tous les jours, on a tendance à considérer que nos intentions ou nos motivations orientent largement le cours des événements. Ainsi, on estimera que pour qu’un enfant ou qu’un adolescent réussisse à l’école, il faut d’une part qu’il le veuille et d’autre part qu’il consacre suffisamment de temps à l’étude des matières qui composent le programme de sa formation. On tend ainsi à privilégier une conception des choses où domine une logique intentionnelle : tout se passe comme si les acteurs se donnent des objectifs déterminés, choisissent ensuite les moyens requis et organisent leurs actions pour atteindre ces objectifs. La réalité apparaît cependant bien plus complexe. Il arrive très souvent que les actions individuelles ou collectives produisent des effets tout à fait inattendus de leurs protagonistes, le cours des événements ayant suivi une logique objective, indépendante de la conscience des acteurs. Ainsi, on ne peut résumer la réussite scolaire à la simple rencontre de la bonne volonté des protagonistes (professeurs et élèves) pas plus qu’à l’adéquation entre un savoir restitué par l’élève et les attentes du professeur. Car la réussite scolaire est le fruit d’une série d’interactions, dont il convient avant tout de percevoir le déroulement objectif. En d’autres termes, il faut construire l’approche de la réalité sociale au départ de l’idée qu’il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir. Parce que l’action humaine est d’emblée une action sociale : elle doit compter avec la présence d’autrui et d’éléments structurels (règles, normes, valeurs, etc.) qui tout à la fois encadrent, limitent et permettent l’échange. C’est donc dire que la réflexion sur les dimensions structurelles du dispositif de formation sont ici déterminantes : il ne s’agit pas de faire appel ou de compter sur la bonne volonté individuelle, CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 mais il s’agit de mettre en place un cadre dans lequel il n’est pas possible de ne pas entamer une réflexion sur ses représentations initiales. C’est-à-dire un cadre non routinier, inhabituel, voire inconfortable ou insécurisant. Parce que dans le confort des routines, qu’il s’agisse de celui du cours magistral ou de la séance de brainstorming, on n’est guère poussé à la réflexion. Il faut donc proposer une tâche et formuler des consignes qui vont installer le doute, déstabiliser, inquiéter. Plus précisément, il faut « jouer » sur – ou avec – deux composantes structurelles de tout échange social : les règles et les ressources. 3. Agir sur les références normatives Précisons avec le sociologue anglais Anthony Giddens (1987, La constitution de la société, Paris, PUF), la portée du concept de « règle ». Les règles de la vie sociale consistent en des techniques ou des procédures généralisables que l’on emploie en cours d’action. Les règles peuvent être très formelles (comme dans le cas de législations, de règlements d’ordre intérieur) ou moins formelles (comme dans le cas des habitudes, des routines – dans ce cas, la règle peut se comprendre au sens de « régularité »). Les règles remplissent une double fonction : d’une part, elles indiquent comment il faut agir, se comporter ou se tenir dans une situation sociale donnée (la sanction, positive ou négative, renforce la pertinence de la règle) ; d’autre part, elles permettent d’interpréter une situation sociale donnée, puisque la règle implique la régularité. C’est à travers les règles que se constitue le sens d’une situation, d’un geste, d’une parole, d’un regard, etc. La connaissance des règles, précise Giddens, se manifeste avant tout dans une conscience pratique, dans un « savoir-faire » : il n’est pas nécessaire d’exprimer verbalement la règle, il suffit de montrer qu’on l’a intériorisée. Dans ses activités quotidiennes, la plupart d’entre nous fait généralement preuve d’une grande maîtrise et d’une grande connaissance de ces règles, et nous disposons ainsi d’une capacité Faire et faire faire générale d’intervention dans un ensemble indéterminé de circonstances sociales. Nous partons donc du postulat de la « compétence » sociale des futurs enseignants, de leur capacité à décoder une situation nouvelle, même si cet exercice ne va pas de soi et occasionne quelque souffrance ou quelque inquiétude. 3.1. Mettre en œuvre de nouvelles règles du jeu Dans le dispositif de formation mis en place, il n’est pas question pour nous d’une longue présentation verbale des règles du jeu. Nous privilégierons leur mise en œuvre effective. Toutefois, parce qu’il s’agit de répondre à des exigences légales « incontournables », certaines des règles du jeu sont fixées dans un document écrit : l’engagement pédagogique remis au début de la première séance précise les modalités d’évaluation, le poids respectif dans la note finale des différents travaux demandés. D’autres règles, fondamentales elles aussi, ne sont pas énoncées verbalement mais elles sont mises en œuvre : il s’agira pour les futurs enseignants de les identifier à travers le processus de formation qui leur est proposé. Première règle : la préparation d’un cours doit être faite « à l’envers » ; l’enseignant doit partir de la fin. Les exercices individuels de présentation d’une séquence de leçons se terminent inlassablement par la même question, une fois posées une série d’observations ponctuelles : « Quand tu t’es assis à ton bureau, avec toute ta documentation, qu’as-tu commencé à écrire ? ». La réponse ne va pas de soi, et il faut au cours des expérimentations successives, accepter de trébucher, de commettre des « gaffes », de se tromper pour dégager la règle et sa justification. « Le premier réflexe pour le novice est d’abord d’envisager une méthode intéressante pour donner la matière, ensuite de penser à ce qu’il va réellement transmettre pour finalement construire son évaluation », écrivait l’une de nos étudiantes dans une note d’auto-évaluation. Mais on finit par comprendre que si le contenu de l’évaluation finale n’a pas été fixé, sous une forme qui peut varier, le cheminement sera bel et bien hasardeux et périlleux. « Le vent n’est guère favorable à celui qui ne sait où il va » (Sénèque). Deuxième règle : le souci essentiel de l’enseignant doit porter sur la conception, l’aménagement, la gestion et l’évaluation d’une situation d’apprentissage, règle résumée en une proposition simple mais en définitive assez redoutable : le professeur entre en classe et met les élèves au travail. Ici aussi, la réponse ne va pas de soi, parce que l’idéal professionnel du futur enseignant est encombré par l’idée qu’il doit avant tout exercer un contrôle sur « sa » classe, maintenir l’ordre et le calme, ou à l’inverse, se montrer attentif à la qualité de la relation. Il faut beaucoup de temps pour comprendre que la qualité des échanges est tributaire de la qualité du dispositif d’apprentissage, de la pertinence et de la validité des tâches proposées. Il faut beaucoup de vigilance aussi pour que le futur enseignant ne vienne pas à conclure que faire travailler les élèves constitue la façon la plus commode de maintenir le calme dans sa classe. En d’autres termes que la vertu d’une situation d’apprentissage ne réside pas dans la possibilité qu’elle offre d’affirmer une position de contrôle ou de domination unilatérale : si les élèves sont mis au travail, c’est parce que le travail demandé répond à des besoins précis, liés aux finalités de la formation qu’ils suivent. Troisième règle : compter ses mots. L’essentiel du métier ne consiste pas à transmettre son savoir, et une leçon ne se résume pas à une conférence ou à un exposé magistral. Trop souvent, la parole du professeur tend à masquer les lacunes du dispositif mis en place ou les faiblesses de la préparation initiale. Et l’on en vient à concevoir que l’un des pires dangers qui guette le professeur, c’est la gorge sèche. « Excusez-moi, il faut que je boive, je n’arrive plus à parler », avait soufflé après dix minutes d’un monologue ininterrompu l’un de nos étudiants qui avait choisi de commencer une leçon sur le processus de fédéralisation de la Belgique par un historique aussi peu digeste qu’éprouvant… 3.2. Un exercice déstabilisant La première séance du « cours » de Didactique des sciences sociales est élaborée autour de ces trois principes. Elle débute par un bref tour de table, au cours duquel les participants décrivent brièvement leur parcours scolaire et/ou professionnel, se poursuit par la distribution de l’engagement pédagogique et la lecture des éléments essentiels, puis par la mise au travail des étudiants. Il n’y a donc pas d’échange collectif sur les projets ou les attentes de chacun à l’aube de la formation. Les formateurs « comptent » leurs mots ; l’essentiel n’est pas dans ce qui se dit mais dans ce qui doit être fait. La figure du « magister » ou de l’enseignant universitaire est volontairement délaissée : les étudiants s’intègrent dans un dispositif de formation à visée professionnalisante. Il n’y a pas non plus de montage powerpoint ou de transparents qui fixeraient d’emblée les choses. Le savoir – portant ici sur les modalités de transposition didactique – sera questionné, élaboré au fur et à mesure des expérimentations et des exercices réalisés par le groupe. Après chacune des séances, c’est une feuille reprenant différentes propositions qui est remise et lue aux étudiants : dans ces « éléments pour une pratique réflexive », nous livrons aux étudiants une série de propositions ou nous leur renvoyons une série de questions1. Il n’y a donc pas de syllabus, mais une invitation à (re)composer soi-même la trame de la formation, à identifier les objectifs poursuivis, à identifier les questions importantes et les éléments plus accessoires. Après cette brève présentation, quatre groupes d’étudiants sont constitués. Une consigne générale leur est donnée : « Imaginez que vous êtes face à une classe, c’est le début de l’année et un élève vous pose une question. Comment allez-vous y répondre ? Réfléchissez ensemble à la façon dont vous allez y répondre et imaginez le moyen de savoir si vous avez été bien compris ». Chaque groupe doit aborder l’un des quatre exercices suivants : 1. Expliquez en mots simples et compréhensibles ce que veut dire « exécuter la loi ». Chacun sait qu’il y a trois niveaux de pouvoir en Belgique : le CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 75 Faire et faire faire pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Mais ça veut dire quoi, « exécuter la loi » ? 2. Expliquez en mots simples et compréhensibles la différence entre un impôt et une cotisation sociale. 3. Expliquez en mots simples et compréhensibles la différence entre égalité et équité. 4. Expliquez en mots simples et compréhensibles la différence entre un préavis et un C4. Sous des aspects d’apparente banalité, la tâche proposée n’est pas anodine. Dans le dispositif de formation, elle a du sens et même un « double sens » : elle possède une signification et elle donne une direction. Premièrement, elle vise à installer le doute chez l’étudiant : comment, après un parcours universitaire, ne serait-on pas capable de répondre à une question aussi simple ? Après tout, il s’agit de connaissances de base, de savoirs qui ont été, pour certains, appréhendés dès l’école primaire, et pour d’autres, qui sont liés à la vie quotidienne. Mais l’exercice se révèle terriblement difficile : ainsi, aucun étudiant n’a été jusqu’ici capable de donner une explication claire et complète de ce qui constitue le travail de l’exécutif. On a bien de la peine à expliquer ce que fait le ministre – ou ses collaborateurs – dans son cabinet : arrive-t-il le matin, pose-t-il sa mallette sur son bureau, se frotte-t-il les mains en disant : « Ca y est, je vais exécuter la loi » ? En cela, la tâche proposée oblige à se départir d’une conviction largement répandue auprès des futurs enseignants : celle d’être le dépositaire d’un Savoir reconnu et légitime, le Savoir universitaire. Si la difficulté de réponse ou l’absence de réponse constituent en elles-mêmes des éléments importants dans le processus de formation, on perçoit dans les réactions individuelles à ces difficultés la trace des représentations initiales et les enjeux émotionnels qui les entourent. Il est parfois très difficile d’admettre son ignorance, ses erreurs et de considérer que l’erreur est source d’apprentissage. L’erreur paraît d’emblée condamnable et porter en elle le risque d’une stigmatisation : « Il ne sait pas et il veut devenir prof ». 76 Dès cette première séance, on peut percevoir le poids de ce que certains sociologues désignent comme des « réservoirs » ou des « stocks de connaissances » et les schèmes d’interprétation qui les structurent. Force est de constater que ces schèmes sont profondément imprégnés du mode d’apprentissage qui a prévalu dans leur parcours scolaire : ils concernent tout à la fois la distribution du savoir entre maître et élèves, l’organisation spatiale, le niveau sonore de la classe, la posture corporelle, etc. Intuitivement, chacun tente d’instaurer les règles de fonctionnement conformes à une représentation « habituelle » d’un ordre scolaire, de retrouver ces routines indispensables au maintien d’un sentiment de sécurité ontologique, parce que la régularité de ces routines implique la prévisibilité. Il faut donc, afin de pousser chacun à travailler ses représentations, entamer un long travail de sape des idées reçues : ainsi, contrairement à ce que l’on pense, il y a des choses qu’on ne sait pas ou pire, il y a choses que l’on croit savoir mais qui s’avèrent fausses, incomplètes ou indicibles. Deuxièmement, la tâche porte sur des matières qui seront au cœur même du dispositif de formation, et plus particulièrement au cœur du syllabus qui sera rédigé collectivement à destination d’étudiants du secondaire. La porte ouverte à l’entrée ne débouche pas sur une voie sans issue ; le premier exercice indique la direction dans laquelle diriger ses efforts. Après cette première séance, les autres compétences identifiées dans le référentiel de la Communauté française seront davantage abordées : être capable de prendre part activement à un travail d’équipe, maîtriser les acquis théoriques de base, recueillir et traiter des informations en fonction d’une recherche, analyser des informations. Les étudiants en formation sont invités à concevoir collectivement un syllabus portant sur l’organisation du système politique, du système judiciaire et du système électoral belge. Ce syllabus sera exploité dans le cadre de séminaires « citoyenneté » organisés chaque année pour les élèves de dernière année de différentes écoles de la CFWB, CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 et pris en charge par les étudiants de l’AESS en sciences sociales. 4. Mobiliser les ressources pertinentes La réalisation des objectifs visés n’implique pas seulement la constitution d’un ordre normatif, la définition (formelle ou non) de règles qui étant comprises par chacun des participants, faciliteront une réflexion collective. Il faut également mobiliser les ressources pertinentes, soit celles qui permettront d’infléchir les représentations initiales : pas parce que nous rejetons la référence magistrale, mais parce qu’il nous semble utile, voire indispensable, que la formation initiale propose d’autres modes d’apprentissage, plus adaptés aux exigences nouvelles des modes d’organisation sociale, politique, économique et professionnelle des sociétés contemporaines. Ces ressources tiennent selon nous à la pratique professionnelle du formateur et à la connaissance du « terrain » : pour faire bref, les étudiants considèrent que « les formateurs savent de quoi ils parlent ». L’une des premières questions que pose un apprenti ébéniste à son patron est de savoir combien de travaux il a déjà réalisés. Et s’il venait à lui répondre : « Je n’en ai jamais fait » ou « J’ai arrêté de travailler il y a quelques années déjà », que deviendrait sa crédibilité ? Elles tiennent aussi à la maîtrise des savoirs disciplinaires placées au cœur du dispositif de formation : les exercices que nous proposons supposent une connaissance des mécanismes juridiques, politiques et sociologiques. Sans cela, il ne serait guère possible de renvoyer des questions ou des observations pertinentes aux étudiants : on serait tenté d’aller trop vite en donnant d’emblée la réponse, ou on finirait par se perdre parce qu’on emprunte un chemin mal balisé. Dès lors, les ressources tiennent à la capacité d’identifier précisément les tâches qui devront être prises en charge par l’étudiant à l’issue de sa formation. Chaque acte posé, chaque consigne donnée, chaque feed-back adressé trouve sa justification en regard de l’objectif final. De telle sorte que Faire et faire faire certaines observations, mineures aux yeux de l’étudiant, sont au contraire déterminantes dans le processus de formation ; ou inversement, que des événements majeurs aux yeux de l’étudiant, sont secondaires en regard de l’objectif final. Le caractère transformateur des ressources, écrit G iddens , est intrinsèquement lié à l’actualisation des codes et des sanctions normatives. Si notre démarche est largement basée sur l’expérimentation et l’exploitation réflexive des exercices proposés, elle n’est pas exempte de jugements évaluatifs : qu’il s’agisse de souligner la pertinence d’une tentative même maladroite d’organiser « autrement » la situation d’apprentissage, ou de mettre en évidence les risques associés à une façon de régler un « incident », d’aborder le groupe-classe, d’évaluer les apprentissages, etc. Ce faisant, il ne s’agit pas pour nous de « donner » la « bonne » réponse au problème proposé, mais d’inviter à la réflexion et surtout de formuler les « bonnes » questions. Il nous semble ainsi plus efficace pour l’étudiant en formation de ne pas se demander « s’il est un bon professeur » ou « s’il arrivera à tenir sa classe », mais de se demander « s’il a fait du bon travail ». Ou mieux encore, si « tout le groupe a fait du bon travail ». Si le dispositif de formation est élaboré autour d’un fil conducteur et de principes fondamentaux – qui constituent notre traduction d’un apprentissage basé sur les compétences –, il n’est pas pour autant une structure rigide ne permettant aucun écart. Il y a place pour la négociation. Cette négociation peut s’opérer de façon formelle, lorsqu’il s’agit de redéfinir des échéances ou le contenu de certains travaux demandés : les étudiants présentent leurs arguments, émettent des demandes. Mais la forme la plus fréquente prise par la négociation est celle des inflexions que nous apportons dans le déroulement du processus en fonction des observations que nous avons réalisées : il ne s’agit pas ici de parler, de débattre mais de réajuster le tir lorsque nous percevons qu’une tâche demandée n’a pas produit les effets escomptés. Et en cela, nous rejoignons la proposition émise par Jacqueline Beckers dans le texte d’introduction de ce Puzzle : « C’est de la responsabilité de l’enseignant de centrer tous les élèves sur les enjeux d’apprentissage de la tâche plutôt que sur sa seule effectuation, de les engager tous dans un traitement cognitif des objets proposés, éventuellement avec des moyens différenciés, de les inviter tous à en dégager des implications pour d’autres tâches du même ordre, dans d’autres situations… Cette clarification du contrat didactique est une condition sine qua non d’une approche vraiment démocratique de l’égalité des acquis : à un niveau élevé d’exigence pour tous ». Note Voici à titre d’exemple le feed-back remis aux étudiants à l’issue de la première séance du cours de Didactique des sciences sociales de l’année académique 2006-2007. 1 Objectifs principaux de la 1ère séance ? à compléter… P …………………………………………………………………………………… P …………………………………………………………………………………… P …………………………………………………………………………………… Ce qu’il faut garder à l’esprit… P Il faut être humble ou retrouver son humilité quels que soient son parcours, son expérience, son âge ou ses titres… Tout le monde recommence (au mieux) à zéro. P L’agrégation n’est pas une année à réussir à tout prix, il faut se réserver le droit d’abandonner. P Il ne faut pas confondre ce que l’on fait et ce que l’on est. P Il faut se réserver le droit à l’erreur, accepter son erreur et renoncer à plaider pour la justifier. Ce qu’on a découvert P Ce n’est pas un métier facile. P Il ne faut plus commencer par une définition : on est plus efficace en partant d’un exemple. P Il ne faut pas dire tout ce qu’on sait. Les questions auxquelles il faut apporter de « bonnes » réponses… P Quand faut-il voir la théorie ? P Comment faire pour poser les questions ? Les « mauvaises » questions qu’il faut oser poser P Est-ce qu’il ne faut préparer que les quinze premières minutes ? Cette dernière question avait été posée après la présentation de la tâche proposée pour la séance suivante : chaque étudiant sera amené à présenter une séquence de leçon portant sur une thématique imposée (système judiciaire belge, organisation politique de la Belgique, normes de justice distributive, système électoral belge). Les étudiants jouent le rôle des élèves ; seul le premier quart d’heure de la leçon est « joué » par l’étudiant stagiaire, le reste de la leçon faisant l’objet d’une brève présentation orale. CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 77 78 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 La Chimie au service des Experts - Lévitation et Magnétisme Du 2 octobre au 9 novembre 2007, l’ASBL Science et Culture organise, dans la salle du Théâtre Royal Universitaire, au Domaine de l’ULg au Sart Tilman, une série de démonstrations scientifiques interactives. Quarante expériences spectaculaires de Physique et de Chimie, particulièrement adaptées aux élèves de l’Enseignement secondaire supérieur, seront présentées et commentées par des animateurs lors de séances d’une durée de 2 heures qui auront lieu tous les lundis, mardis, jeudis et vendredis à 10 h et à 14 h, ainsi que les mercredis à 10 h. Chaque visiteur recevra un livret-guide de 40 pages richement illustrées. Le détail du programme est disponibles à l’adresse suivante : http://www.sci-cult.ulg.ac.be/Expo2007.html Tarif : 4,00 € par élève (livret-guide compris) Entrée gratuite pour les accompagnateurs Renseignements et réservations : 04/366.35.85 Inauguration (entrée libre) : le lundi 1 octobre à 17h00 CIFEN • Centre interfacultaire de formation des enseignants • Bulletin n° 22 • Août 2007 79