Irudaya Niketan Jules Monchanin Joséphine Roduit 25 B/1

Transcription

Irudaya Niketan Jules Monchanin Joséphine Roduit 25 B/1
Irudaya Niketan Jules Monchanin
Joséphine Roduit
25 B/1 Kalaisanather Koi Street
le 23 mars 2012
Big Natham
Chengalpet 603002
Tamil Nadu - Inde
Lettre No 8
Bonjour !
C’est encore moi.
Vous savez, j’aime un pays sans montagnes, et c’est l’heure de le quitter. Il fait déjà trop
chaud et on mange des pastèques. Les manguiers sont en fleurs.
Un peu de rose dans le ciel ; les femmes balayent et dessinent sur le sol le kollam de
bienvenue. Assis devant sa porte, un homme se lave les dents. Des motos, des buffles et des
camions. Nous allons à la messe, a peine éveillées. Et je m’étonne toujours du va-et-vient si
tôt le matin.
On m’avait parlé du « silence de l’Inde ». J’avoue qu’en arrivant en octobre 2010, c’est plutôt
le bruit qui m’a assommé! Je l’ai cherché, le silence, mais les klaxons incessants, les voix
criardes des femmes, le volume maximum des télés m’ont cassé les oreilles!
Chez les tamouls, pourtant, j’ai appris à me taire. Ça vous fait rire ? Une pipelette comme
moi ?! Entre nous, je crois que le silence me faisait peur. En visite, je cherchais « quelque
chose à dire » pour combler ces vides. Notre mauvais tamoul ne nous aide pas à faire la
conversation. Et les amis non plus : ça ne les gènes pas, les silences. Tant qu’on est là !
Alors j’ai appris à me taire, juste pour être assise au soleil avec Jeyamma.
J’ai appris le silence, juste pour être là avec Jésus dans la chapelle.
Devant les larmes d’Indiramma, je me tais. Souvenez-vous des conflits avec sa belle-fille
Malar... Depuis quelques temps, Indiramma vit au Jardin, attendant de trouver une maison
pour elle seule. L’atmosphère est moins tendue chez Malar et Benny. Leur petite Sri
Shamiksha peut enfin sourire et jouer, comme une vraie fillette de 2 ans. Mais le problème
reste. Benny – son seul enfant qui n’est pas mort – passe la voir au shop de couture. Il lui dit
durement qu’elle peut mourir, qu’au moins ils seraient tranquilles.
J’arrive juste après. Face à sa souffrance, je n’ai rien à dire et j’ai mal. Je vous passe les
détails de sa vie difficile, mais c’est comme si j’étais au bord d’un gouffre qui s’ouvre
toujours plus. Toujours plus profond.
Et je me demande si ça ne va pas suffire ! Comment arrêter ses malheurs !
Je me tais. J’essaye d’écouter ses silences douloureux. Et j’admire son courage. Mais qu’estce qui lui donne la force de lutter ? D’espérer encore ?!
Au Point-Cœur de Chengalpet, tout va pour le mieux. Kathline, 20 ans, nous a rejoint début
mars. Elle pose beaucoup de questions : sur nos amis, sur l’Inde et sur ma mission ici. Pas
facile de lui répondre. Ça m’oblige à réfléchir un peu sur ces 18 mois de folie.
Cécile, Agnès et moi sommes là pour lui expliquer les coutumes et habitudes tamoules. Et
pour la rassurer : c’est normal si elle trouve que c’est sale dans les rues. C’est normal si elle
ne comprend rien. C’est normal si elle a l’impression d’être en pyjama dans sa chudida. Elle a
la bouche en feu ? Ah non, ce n’est pas normal, il ne faut pas manger les piments !
Voilà, j’essaye de tout faire pour qu’elle se sente chez elle, à l’aise. Je croyais devoir l’aider
dans ses débuts de mission. Et pourtant, après une semaine, c’est elle qui essuie mes larmes.
Mon cœur a mal encore, et c’est elle qui me prend dans ses bras. C’est elle qui est là et espère
pour moi.
En avril, Valérie quittera l’île de La Réunion pour
une mission au Tamil Nadu. Il est temps de laisser
la place à d’autres. Temps des adieux.
On m’invite pour un dernier repas. Et je dois
promettre de ne pas les oublier, de prier pour eux
et de revenir avec mon mari !
Rendez-vous mardi matin pour un ‘’tieffen’’ chez les parents de Sarasweti. Ils vivent en
bordure de la ville. Tout est calme. Rien n’est prêt lorsqu’on arrive. Normal.
On reste devant la hutte, assise à leurs côtés. Les enfants des voisins sont là, comme toujours.
Avec une pierre, Santa Kumari amma broie des lentilles pour la pâte à vadais. Son mari
l’aide. Gestes tranquilles et précis. Ils sont beaux, tous les deux. Agnès partage à Katheline
l’histoire de notre amitié. Plus de dix années. Et comment le Point-Cœur était présent à la
mort de Sarasweti, il y a trois ans. Appa me reproche de partir : ça lui fait mal au cœur. Et
puisque je m’en vais, il faut que je mange beaucoup ce matin !
Ça y est, c’est prêt !
Ils mangeront après nous. Et on ne parle pas pendant le repas. Ce qui importe, c’est que nous
soyons là, que nous mangions bien en disant que c’est bon. Nous avons trop mangé et c’était
délicieux ! Un vrai festin pour nous témoigner à quel point notre amitié est importante. A
quel point ils nous aiment.
Puis Appa demande si nous avons présenté Sarasweti à la nouvelle. Il va chercher deux
cadres : Sharania, 6 ans, déjà morte sur la photo. Et Sarasweti, décédée à 26 ans d’une
maladie de naissance.
Il les regarde et sourit tendrement…
Voilà, c’est l’heure de partir. Santa Kumari amma et son mari nous accompagnent jusqu'à la
route. Ils restent là, agitant la main lorsqu’on se retourne.
Les amitiés avec Point-Cœur, ça m’étonne toujours ! Ça m’impressionne ! Qu’elles soient
vieilles d’années et d’anecdotes ou toutes neuves, il y a quelque chose de fou. Quelque chose
de simple, fort et beau que je ne sais pas vous dire.
Après tous ces moments partagés, je crois les connaître. C’est bon, j’ai compris maintenant,
quelle est la souffrance d’Ishvery akka. Elle n’a rien pu choisir dans sa vie : sorties, habits,
boulots et son mari… Elle est si seule. Elle s’ennuie dans son petit appartement. Ses trois
enfants (très vifs !) lui donnent des soucis.
C’est bon, je sais le grand cœur de nos amis, leur hospitalité, la générosité tamoule. Ça y est,
j’ai l’habitude de perdre mon temps devant la télé pendant qu’ils préparent le café (laisse-toi
aimer, Joséphine). J’ai compris qu’être là simplement, ça suffit, et c’est déjà tout.
Tu parles !! Je commence à peine à comprendre !
Leur générosité si spontanée, ça m’impressionne à chaque fois. J’admire. J’essaye de faire
comme eux : donner et recevoir et redonner encore.
Il y a des jours où tous nos amis vont mal. Glory, 23 ans, paralysée suite à l’accouchement de
sa première fille. Rose-Mary akka, d’habitude pleine d’entrain, qui me déballe sa vie en
pleurant. Les cinq petites filles malades dans leur chambre sale. Maman est partie travailler.
Et à chaque visite, leurs malheurs et leurs souffrances m’atteignent un peu plus. C’est encore
un peu plus profond que ce que je croyais.
Après plus d’une demi-heure à écouter Sister Biola lire la Bible,
je tente de poursuivre ma route (ben oui, il faut bien que j’aille
dire adieu à Bavany akka et à Pattou et que je passe chez Mister
Albert avant la messe si j’ai le temps et peut-être aussi voir
Radika quelques minutes…). Sister Biola me répond de sa petite
voix grinçante : « Pourquoi partir si vite ? C’est bon d’écouter la
Parole de Dieu, non ? Et après, on boira le café toutes les deux. »
Heureusement qu’elle est là pour me rappeler ce que je dois faire !
OK, je reste. Parce que ça lui fait plaisir de m’accueillir. Ça change des chiens et des singes
qui se disputent la terrasse. Je reste aussi pour le café, et tant pis pour mon programme. Et
tant pis si la casserole n’est pas très propre (je n’aurai pas du regarder avec quelle eau elle l’a
lavée), nous buvons le café, dans sa maison défoncée. Tant pis si elle délire parfois, nous
buvons ensemble, et c’est trop bien d’avoir une amie comme Sister Biola !
Avant de la quitter, je reçois un cadeau : deux prospectus ramassés aux poubelles :
avec ça, je peux m’acheter un collier et un pantalon pour papa. Merci Sister !
Mes chers parrains, mes amis, c’est beau ce que j’ai vécu avec Point-Cœur. Tellement grand
ce que j’ai appris en Inde (je ne sais pas trop vous dire ce que c’est, mais en tout cas c’est
grand).
Merci d’avoir accepté de vous lancer avec moi dans
cette folle aventure. Merci de m’avoir accompagnée
chaque jour, dans la chaleur des rues et jusqu’au cœur
de nos amis. Je n’aurai pas été très loin sans vous, sans
votre aide financière et vos prières. Sans vos lettres et
vos messages. Ces 18 mois n’ont pas été faciles, et c’est
chaque jour que j’ai eu besoin de vous. J’aimerai vous
remercier au nom de nos amis tamouls. J’ai pu
remarquer avec joie l’efficacité de vos prières dans notre
Latha et Prianga
petite communauté et dans la vie de tous ceux que je
vous ai confiés : Latha et Prianga retrouvées, Sandia et ses parents, les lépreuses (que nous
pouvons visiter à nouveau), … et tous ceux que vous
ne connaissez pas !
S’il vous plait, chers amis, n’oubliez pas les tamouls.
N’oubliez pas Agnès, Cécile, Katheline et Valérie.
Pensez encore à Aurore qui poursuit sa mission au
Jardin. A Renée, Marguerite et Mathilde.
N’hésitez pas à parrainer l’une ou l’autre !
J’espère vous retrouver bientôt, pour entendre vos aventures à vous !
Et moi je vous partagerai un peu plus de mon séjour sous les tropiques, le dimanche 22
avril à 18h30 à l’église de Fully.
Mes chers, c’est ma dernière lettre indienne. Ce sont mes derniers jours de vie tamoule,
d’épices et de grosse chaleur. Mes dernières visites aux amis.
Il faut partir pour une nouvelle aventure. Alors je redonne chacun d’eux à Marie et au Bon
Dieu, et aussi chacun de vous.
Tout de bon !
Joséphine
PS. Si vous voulez soutenir encore Cécile-May Lamiot, Agnès Bureau, Kathline Pic, Aurore
Chaussepied… Merci !
http://suisse.pointscoeur.org/Faites-un-don