Actes 20 mai 2008

Transcription

Actes 20 mai 2008
Mardi
20 mai 2008
14 h 00 - 16 h 00
Osmose
20, av. Edouard Herriot
92350 -Le Plessis Robinson
Cancer et Psychologie :
L’annonce et après...
Compte
rendu
Osmose - 20, avenue Edouard Herriot - Le Carnot - 92350 Le Plessis Robinson
Tél. : 08 20 20 00 65 - Fax : 01 46 30 46 71 - [email protected]
www.reseau-osmose.fr
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Avertissement
Les textes ci-après regroupent les interventions
de la réunion d’information organisée
le 20 mai 2008
par le réseau Osmose
dans les locaux du réseau au Plessis Robinson
à laquelle 32 personnes, malades, proches, professionnels et bénévoles,
ont assisté.
Ces interventions ont été reproduites par le réseau Osmose
à partir d’un enregistrement audionumérique.
Le choix de supprimer ce qui paraissait difficile à restituer est de sa
responsabilité. Le contenu des interventions n’engage la responsabilité de
leurs auteurs qu’à la condition que ces interventions aient été fidèlement
reproduites par le réseau Osmose.
Réalisation :
Gaëlle-Anne Estocq - Stéphane Lévêque - Cathy Michaud
Réseau Osmose
mai 2008
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Sommaire
Présentation du déroulement de la réunion…………………………..………..page 7
Gaëlle-Anne Estocq
L’annonce du diagnostic …...……………………………………………………...page 8
Magali Catrou
Pendant le traitement ……………………………. …. ……………………..…...page 12
Clémentine Matheron
Isabelle Besançon
Pendant le traitement ……..…………………………………………………….page 18
Vincent Landreau
Après les soins …...……………………………………………………………….page 23
Grégory Frankel
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Gaëlle-Anne Estocq
Médecin coordinateur-pôle cancérologie
Réseau Osmose
Je vous souhaite la bienvenue dans les locaux
du réseau Osmose, réseau à la fois jeune et à la
fois ancien puisqu'il est né de la fusion d'Onco
92 sud, que certains d'entre vous avaient déjà
fréquenté, avec le réseau BV8. Nous couvrons
actuellement 3 thématiques : la cancérologie, la
gérontologie et les soins palliatifs.
Nous continuons les actions menées par le
groupe de travail « Relations avec les personnes
malades et leur entourage » qui organise les
réunions d’information telles que celle-ci. Nous
allons essayer aussi d'élargir ces après-midi
d’informations aux autres thématiques.
Aujourd'hui, nos intervenants sont des psychologues partenaires du réseau Osmose. Je vous
présente Madame Magali Catrou qui travaille
sur l'ensemble des cliniques Meudon-Plateau et
qui évoquera l'annonce du cancer. Ensuite, nous
entendrons Madame Clémentine Matheron et
Madame Isabelle Besançon qui travaillent à
l'Hôpital Privé d'Antony et qui nous parleront
du suivi pendant les soins ; de même que
Monsieur Vincent Landreau qui interviendra sur
le volet de la prise en charge à domicile ou ‘en
ville’, pendant les traitements. Puis, nous
écouterons Monsieur Grégory Frankel, qui
travaille à l'Hôpital Béclère et qui interviendra
sur ce qui peut se passer après les traitements,
voire même, à distance de ces traitements.
Le Docteur Anne Thiellet, qui est oncoradiothérapeute au CRTT de Meudon-la-Forêt,
sera la modératrice de notre après-midi d’échanges.
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Magali Catrou
Psychologue clinicienne
Cliniques de Meudon et du Plateau
Magali Catrou :
Bonjour. Je vais vous parler de l'annonce du
diagnostic et des conséquences que peut avoir
cette annonce sur notre état psychologique. Tout
d'abord, je voulais vous donner quelques
expressions que nous entendons souvent au
contact des patients, quand ils nous parlent de
leur annonce du diagnostic. Ces témoignages
soulignent notamment le caractère violent et
brutal de l'annonce. Les patients nous disent
souvent :
" C’est un choc terrible " ;
" C’est un bousculement total " ;
" C’est la catastrophe " ;
" On reçoit une gifle extraordinaire " ;
" Le ciel m’est tombé sur la tête " ;
" On sait que rien ne sera plus comme avant ;
c’est la vie qui bascule. "
En effet, apprendre que l’on a un cancer, quelle
que soit la façon dont il vous a été annoncé,
représente toujours un choc. Il est normal
d’éprouver un sentiment de stupeur, voire
d’incrédulité, d’avoir du mal à entendre ce que
le médecin explique.
Ce que nous savons, nous, les psychologues,
c'est que quoi qu'il arrive, tomber gravement
malade, c'est un moment de rupture, un
changement fondamental, une révolution
bouleversante, un bousculement, aussi bien dans
la vie de celui qui devient patient que dans celle
de son entourage.
La maladie nous fait prendre conscience de notre
vulnérabilité. Nous avons beau savoir que nous
sommes mortels, nous vivons au quotidien
comme si nous ne l'étions pas. Nous ne nous
levons pas tous les matins en nous disant : "Estce que je vais me faire renverser par une voiture
en traversant la route ?". C'est ce qui nous
permet de vivre, de faire des projets, d'aller de
l'avant, de nous construire.
Quand nous apprenons que nous avons une
maladie grave, un cancer par exemple, nous
sommes confrontés à cette vulnérabilité, à notre
mortalité et c'est une source d'angoisse majeure.
C’est cette angoisse majeure qui nous permet de
dire que l’annonce, en elle-même, est un
traumatisme. Face à ce traumatisme, nous allons
chercher à nous protéger. Le psychisme réagit
face à ce trauma, se protège en se cristallisant, se
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gelant…. Nous avons l’impression d’être dans
une bulle ; notre pensée est bloquée. Les
psychologues parlent de sidération. Lorsque le
médecin annonce le diagnostic, explique les
traitements, les patients disent :
" Je n’ai rien entendu " ;
" Je ne pouvais plus penser " ;
" Je n’ai rien retenu " ;
" Je n’ai rien compris " ;
" Je voyais le médecin parler, je l’écoutais sans
intégrer ce qu’il me disait" ;
" Ma première réaction c’était de faire répéter
quinze fois, de ne pas y croire."
C'est le fonctionnement normal qu'a notre esprit
pour se protéger face à ce traumatisme.
Les réactions émotionnelles aussi sont violentes,
allant de la colère jusqu’au refus de la réalité ou
jusqu’à la panique :
" Il ne parle pas de moi ! "
Face à ces réactions diverses et variées, il est
important de se laisser du temps. Nous
réagissons comme nous le pouvons. De même,
quand nous nous blessons, le corps mobilise ses
ressources et ses défenses pour cicatriser ; ici, le
psychisme va mobiliser ses ressources
conscientes et inconscientes pour cicatriser, pour
prendre conscience de ce qui se passe, pour se
représenter la maladie, comprendre la finalité et
les modalités du traitement, réorganiser la vie.
Les psychologues parlent de stratégies d’ajustement (coping), de mécanismes de défenses….
Un patient parlait l'autre jour de son cancer et
disait : " Petit à petit, je me l’intègre, je me
l’approprie. Il faut se l’approprier pour pouvoir
le dompter éventuellement : c’est mon objectif. "
Une manière de cheminer, de s’approprier la
maladie, est d’en rechercher la cause, une
explication, un sens. C’est un fonctionnement
normal et fréquent. Mais, souvent, il n’y a pas de
cause précise, nous ne trouvons pas de réponse
objective. Souvent les gens autour de nous vont
nous donner des recettes toutes faites mais ce
n'est pas vraiment ce qui correspond à ce que
nous vivons à ce moment-là.
Dans les éléments de ressource, il y a une
ressource intérieure, mais aussi toutes les
ressources extérieures que nous pouvons avoir :
notre entourage, le réseau Osmose, le médecin
traitant,… Si vous avez un médecin traitant en
qui vous avez confiance, n'hésitez pas à le
contacter pour reprendre avec lui ce que vous
n'avez pas compris, lors de l’entretien avec votre
oncologue.
Les oncologues communiquent beaucoup avec
les médecins traitants, leur envoient des
comptes-rendus. Votre médecin traitant est donc
au courant de ce que vous vivez.
Il n’y a pas de bonne manière de vivre sa
maladie : il n’y a pas de bonne ou mauvaise
façon de faire face. Chacun va réagir en
fonction de son caractère, de son histoire et de
la façon dont il a appris la maladie. A-t'il pu
anticiper un peu le diagnostic ? Y a t'il eu
plusieurs examens médicaux auparavant ? Au
fur et à mesure des examens, nous avons de plus
en plus d'indications, ce qui nous permet d'anticiper, et cela va permettre parfois d'atténuer un
peu le choc au moment de l'annonce. N'hésitez
pas non plus à voir les équipes soignantes qui
peuvent vous proposer des repères.
Je voulais aussi vous rappeler un peu ce que dit
la loi par rapport à l'annonce. Selon le code de
déontologie médicale " le médecin doit à la
personne qu’il examine, qu’il soigne, qu’il
conseille une information loyale, claire et
appropriée sur son état, les investigations et les
soins qu’il lui propose ".
Lors des états généraux des patients en 1998, il
ressort une grande demande de la part des
patients d’obtenir des informations, de repenser
les modalités de l’annonce du cancer.
Reprenant le code de déontologie, mais aussi
cette demande des patients, la loi du 4 mars
2002 relative aux droits du malade et à la
qualité des soins de santé stipule que toute
personne a le droit d’être informée sur son état
de santé mais aussi le droit de ne pas savoir si
elle le demande.
Ainsi certains patients auront besoin de
beaucoup d’informations pour comprendre,
pour se sentir plus actif dans la prise en charge
et d’autres auront besoin de ne pas savoir
exactement ce qu’ils ont, quels sont leurs
traitements, pour mieux vivre leur maladie.
Encore une fois, il n’y a pas de bonne manière
de vivre sa maladie.
Enfin, je voulais vous parler du Plan Cancer et
de la mesure 40 qui met en place le dispositif
d'annonce, qui, à mon avis, propose deux points
assez importants :
1°) Le plan personnalisé de soins (PPS) qui est
un plan écrit qui reprend les étapes du traitement. A la suite de l'annonce du diagnostic, se
crée un traumatisme durant lequel la pensée se
bloque. De ce fait, il a été observé que 36% des
patients ne se souviennent pas des informations
données lors de la consultation d’annonce et
que 30% des informations sur le traitement
n’ont pas été comprises.
Ce PPS est un programme écrit remis par votre
médecin, qui vous explique votre traitement et
vous donne des repères.
2°) La mise en place d'une consultation
infirmière qui est proposée par le médecin à la
suite de la consultation d'annonce. Ces
consultations sont en général effectuées par des
infirmières qui seront dans le service où vous
serez pris en charge pour votre traitement, soit
par radiothérapie, soit par chimiothérapie, soit
par chirurgie. Vous pourrez ainsi reprendre avec
l'infirmière les questions que vous pouvez avoir
par rapport au traitement et à la façon dont cela
va se dérouler.
Anne Thiellet :
Je tiens à remercier Magali Catrou parce que je
pense qu'elle a tout à fait posé la question de
l’annonce. Je retiendrai l’une de ses phrases :
"Il n'y a pas une bonne façon de recevoir un
diagnostic comme celui-là". Chacun le prend
avec ce qu'il peut. Cela peut être du mutisme, du
repli sur soi ou au contraire une abondance de
paroles, cela peut être une grande angoisse, de
la confiance ou de l'agressivité. Nous sommes
des maillons, dans cette équipe, pour essayer
d'aider au mieux les patients.
Maintenant, et avec du temps, nous avons bien
perçu cet effet de sidération qui fait que lors
d'une première, voire d'une deuxième
consultation, vous ne pouvez plus recevoir
d'informations, vous vous noyez, vous n'y
arrivez plus. C'est dans ce sens qu'ont été
prévues des consultations de relais, c'est-à-dire
une première consultation durant laquelle nous
donnons l'information, et ensuite l'infirmière, la
manipulatrice et/ou le psychologue vont prendre
le relais pour redire, avec d'autres mots, ce qui a
déjà été dit.
C'est compliqué, parce que nous devons
rapidement donner des informations sur la
maladie, mettre en route rapidement un
traitement, et en même temps, il faudrait laisser
du temps aux patients pour intégrer toutes ces
informations.
Le dispositif d'annonce, dans le cadre des équipes, a un intérêt me semble t-il, car j'ai souvent
entendu dire : "Le médecin m'a vu cinq minutes
et ne m'a rien expliqué." Or, nous, objectivement, nous savons que nous avons passé trois
quarts d'heure ou une heure avec le patient et
que nous avons donné beaucoup d'informations.
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Personne n'a raison. Ni le médecin qui dit : "J'ai
passé du temps et donné beaucoup
d'informations" ; ni le patient qui a reçu toutes
les informations et qui a l'impression de n'avoir
passé que cinq minutes dans le bureau du médecin. C'est simplement, qu'à un moment, le temps
s'arrête et tout se bloque.
Maintenant, ce qui est intéressant, c'est de
partager votre sentiment par rapport à cela. Si
quelqu'un veut prendre la parole pour dire
pourquoi ou comment cette consultation de
départ a bien marché ou n'a pas marché.
Une participante :
Personnellement, j’ai vu par bonheur le docteur
Thiellet, qui m'a tout de suite prise en charge et
m'a tout réexpliqué et je suis partie confiante.
Bien sûr, quand je suis sortie de la clinique où
j'ai appris que j'avais un cancer, j'ai pleuré. Mais
après, j'ai réalisé et du fait que j'avais le docteur
Thiellet, cela m'a aidée, car autour de moi je
n'avais personne.
J'avais une amie qui avait un cancer en même
temps que moi. Nous étions donc toutes les deux
à avoir un cancer. Je n'avais personne d’autre et
j'ai été très bien prise en charge par les équipes
de la chimiothérapie et des rayons.
Une participante :
Pour moi, le cancer, à la limite, n'existe pas. J'ai
par chance eu une confiance immédiate dans
mon chirurgien qui a pris des décisions qui
correspondaient à ce que je voulais. Il a pris les
choses en main, il est allé très vite et je me suis
laissée guider. Je savais que j'avais quelque
chose d'assez lourd, mais j'avais aussi une équipe
formidable à l'hôpital de jour de Béclère. Alors,
bien sûr, il y a des gens qui ont le même
entourage et qui ne le supportent pas bien. C'est
tout à fait personnel. J'ai eu trois opérations et à
chaque fois, j'y suis allée avec la même sérénité.
Mon médecin référent, par contre, était
inexistant.
Anne Thiellet :
Inexistant parce que vous avez souhaité qu'il soit
inexistant ?
Une participante :
Cela n'allait pas comme je le voulais. Il n'était
pas assez énergique. Mais, encore une fois, cela
dépend du tempérament de chaque personne. Si
j'avais eu quelqu'un de mou en face de moi, je ne
me serais pas sentie bien. C'est important au
moment de l'annonce d'avoir cette confiance.
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Anne Thiellet :
Y a-t-il eu ici des personnes qui n'ont pas eu
cette relation de confiance ?
Une participante :
Pour mon mari, à aucun moment le mot cancer
n'a été prononcé. J'ai trouvé que cela était dur
parce que je m'en rendais compte, mais lui
pensait que ce n'était pas très grave. Quand le
mot n'est pas prononcé, nous pouvons tout
imaginer. Les médecins disaient : "ce sont des
cellules qui dégénèrent", mais jamais le mot
cancer. Quand nous parlons d'appropriation, je
pense qu'il faut aussi mettre les mots pour que la
personne puisse réagir.
Nous n'arrivions pas à en parler avec mon mari.
Comment utiliser le mot cancer en ne sachant
pas s'il avait bien identifié la maladie ?
Nous avons des enfants en bas âge. A aucun
moment, nous n’avons été aidés à ce niveau là.
Qu'allons-nous leur dire ? Doit-on parler de
cancer ? Comment vont-ils le prendre ?
Tout bascule d'un seul coup. C'est après coup
que nous commençons à réagir, à nous
renseigner.
Un participant :
Je suis le compagnon de quelqu'un à qui les
médecins ont dit assez sèchement, à la suite
d'une fibroscopie, qu'il s'agissait d'un cancer. Je
m'en souviendrai toujours. Nous étions dans le
couloir qui mène au bloc opératoire, tous seuls.
C'était froid. Le monde s'est écroulé.
Après, nous nous trouvons pris dans un
cheminement qui nous échappe. Ma compagne a
refusé ce diagnostic, le mot cancer. C'est vrai
que derrière ce mot, il y a tout un volet négatif,
c'est un terme générique. Ce qui a compté le
plus, par la suite, c'est surtout de rencontrer une
main tendue, à chaque étape.
C'est important de pouvoir échanger, essayer de
s'approprier la chose. Cela a été valable pour elle
et pour moi aussi.
Nous avons beau être armés, nous croire forts, il
y a des choses qui finalement échappent à
l'entendement. Des choses qui vous prennent et
qui ne vous lâchent plus.
Dans un premier temps, ma compagne voulait
s'en débarrasser. Bien que le pneumologue ait dit
en première intention qu'il y aurait de la
chimiothérapie, elle a voulu savoir tout de suite
si un geste chirurgical pouvait effacer le
problème. Donc, nous sommes passés par les
médecins du Centre Chirurgical Marie
Lannelongue, qui, au bout de quinze jours, ont
dit qu'ils ne pouvaient pas enlever la tumeur, que
cela engageait le pronostic vital.
Il fallait donc envisager la chimiothérapie et
nous sommes partis sur Béclère. Là, nous avons
rencontré un docteur, Florence Parent, le contact
s'est très bien fait. La rencontre d'une équipe en
laquelle nous avons confiance est très
importante, parce que la chimiothérapie, c'est
l'entrée dans un tunnel.
Le contact est important et nous nous en
rendons compte au cours des hospitalisations,
qui durent trois jours à chaque fois.
C'est important d'avoir des informations. De
digérer, de s'approprier la chose et de solidifier
la confiance qui peut exister, car il y a beaucoup
d'interrogations au fur et à mesure que le
traitement avance. Nous n'avons pas tout
envisagé dans un premier temps. La maladie est
là et nous ne nous rendons pas bien compte des
conséquences, en dehors des conséquences
physiques.
Anne Thiellet :
Justement, nous allons ainsi pouvoir passer au
sujet suivant, car après cette annonce, nous
rentrons dans le processus de traitement. Nous
allons parler de l'accompagnement pendant ce
traitement.
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Isabelle Besançon
Clémentine Matheron
Psychologues cliniciennes
Hôpital Privé d’Antony
Isabelle Besançon :
Les patients ont souvent exprimé ce besoin d'être
aidés et soutenus au moment des traitements,
pendant la traversée de la maladie, le tunnel dont
Monsieur parlait, un cheminement qui va être
long. Ils l'ont exprimé au moment des réunions
de la Ligue contre le Cancer et dans des groupes
plus privés, dans des entretiens individuels.
Maintenant, il est donc fréquent de rencontrer
des psychologues au moment du traitement de la
maladie, traitement qui est souvent plus dur à
supporter que la maladie elle-même, même si
l'annonce reste un moment fort délicat.
Ce sont des traitements qui sont longs, répétés,
qui peuvent être mutilants, aussi bien la
chimiothérapie que la chirurgie, avec des
transformations au niveau du corps.
Clémentine Matheron :
Il est vrai que le traitement lui-même pose
énormément de questions, déjà quant à la bonne
qualité du traitement par rapport à la maladie :
" Est-ce que le traitement va fonctionner ? "
" Ce sera un traitement de six mois, puis les
médecins m'ont dit que nous ferions un bilan.
Que va t'il se passer dans six mois ? "
" Vais-je perdre mes cheveux ? Vais-je beaucoup
maigrir ? Vais-je être très fatigué ? Vais-je
pouvoir maintenir mon quotidien ? ".
Ces nombreuses questions peuvent vous sidérer
et donc vous empêcher de venir sereinement
pour votre traitement.
Cela demande un temps d'adaptation. Vous allez
perdre beaucoup de repères et peu à peu, vous
allez vous adapter à ce nouveau monde, au
traitement, trouver une régularité et vous dire :
« Bon, j’avance petit à petit et après, nous
verrons. ». Je crois qu'il vaut mieux réfléchir sur
du moyen terme, parfois du court terme, pour
pouvoir avancer et donc voir plus loin. C'est
parfois compliqué, car la projection dans l'avenir
est différente d'avant.
De plus, vous êtes plongés dans un monde
totalement inconnu, nouveau, où nous vous
demandons de digérer pas mal de choses : des
venues quotidiennes à l'hôpital, un langage qui
vous est totalement inconnu du type : " Nous
allons vous faire une prémédication, puis une
chimiothérapie, puis un rinçage ". Cela parait
tellement naturel pour les personnes qui sont là
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pour vous soigner alors que pour vous cela est
totalement inconnu et très lointain de ce dont
vous parlez tous les jours. Cela vous demande de
prendre de nouveaux repères et de faire de ce
vocabulaire, au fur et à mesure, un vocabulaire
connu. Quand vous le connaissez mieux, c'est
moins difficile à vivre. L'inconnu, c'est le vide,
les choses un peu sombres, et quand cela devient
connu, tout s'allège au quotidien.
Puis, hormis le traitement à l'hôpital, il y a le
traitement à la maison, avec la famille. Vous êtes
traités, avec un rythme régulier, qui va venir
bouleverser votre quotidien. Vous travaillez
peut-être, quelles seront les conséquences de la
maladie sur la place que vous aviez dans la
société ? Quelles conséquences aussi sur votre
place dans votre famille, place en tant que père,
en tant que mère, en tant qu'enfant, en tant que
grand-parent ? Cette maladie va avoir des
conséquences sur beaucoup de gens aussi autour
de vous.
Les enfants, bien entendu, sont à inclure dans le
processus de la maladie. C'est le moment où le
langage et la parole sont réellement incontournables pour que tout le monde s'y retrouve.
La maladie est quelque chose d'abstrait pour le
patient, mais aussi pour sa famille qui se sent
très impuissante. Les médecins s'occupent de la
maladie et la famille soutient, maintient son rôle
d'entourage, affectueux, aimant. C'est très
important tout au long de la maladie de sentir cet
amour familial avec l'acceptation que les places
de chacun vont changer, les responsabilités vont
peut-être devoir se moduler par rapport aux
conséquences de la maladie.
Une dame me disait qu'elle avait fait le choix
d'être mère au foyer. La maladie est arrivée, elle
avait trois enfants. Maintenant, elle doit faire une
sieste de quatre à cinq heures l'après-midi, et elle
a perdu son rôle de femme au foyer tel qu’elle
l’envisageait. Cela provoque une grande
culpabilité. Elle voulait s'occuper de ses enfants
et nous lui enlevons cette possibilité de le faire.
Il y a du deuil, il y a de la perte, de la séparation.
En tant que psychologues, nous intervenons dans
le service pour essayer de faire du lien et ne pas
laisser les choses se disloquer autour de vous ;
vous dire que même si vous aviez prévu les
choses de telle manière, le cancer va empêcher la
continuation de vos projets, mais que nous
pouvons réadapter les choses au fur et à mesure.
Jamais comme avant, mais de nouveaux repères
peuvent se créer et vous pouvez retrouver de
nouvelles places cohérentes avec ce que vous
aviez envie d'avoir vis-à-vis de votre famille et
de vous-même.
Isabelle Besançon :
Je vais maintenant vous parler des effets
possibles de l'atteinte au niveau du corps, des
effets que peuvent avoir les traitements. Là
aussi, il y a des réaménagements physiques et
psychologiques importants. Souvent, les
patients expriment un sentiment d'isolement et il
est important que nous soyons là, psychologues,
pour les soutenir dans cette traversée, dans ce
tunnel.
auprès du psychologue et de l'équipe médicale ;
même si ce temps est très long, cette relation de
confiance qui s'est établie entre le médecin, la
personne et l'équipe soignante doit être toujours
suivie.
Nous entendons donc cette souffrance liée aux
atteintes faites au corps, même si elle part de
l'idée de soigner la maladie. Souvent, les
patients expriment une souffrance par rapport à
une peau abimée, un corps ébranlé, une perte
des cheveux, la perte d'un organe de ce corps,
visible ou invisible (perte du sein, exérèse d'un
ovaire ou d'une partie digestive).
La difficulté réside aussi pour ces personnes
dans la répétition des traitements qui sont longs,
éprouvants, même si je pense que le travail des
équipes soignantes permet de contenir ces
difficultés et que les patients peuvent, au fil du
temps, faire connaissance avec cette équipe et
traverser plus facilement ce temps de traitement
de la maladie.
Nous avons ce souci d'être là pour le patient
pour l'accueillir, l'accompagner et le suivre tout
au long de cette traversée avec des moments
plus intenses et plus difficiles à supporter.
Toujours présents où que les personnes en
soient de leurs difficultés, de l'histoire de leur
maladie, de leur atteinte au corps, afin qu'elles
puissent rester vivantes et non pas écrasées par
le réel de leur maladie.
Le temps du traitement est un temps long où
l'intimité est mise à mal. Ce sont des choses qui
peuvent porter atteinte à l'identité. Cela se
traduit par des expressions que j'ai entendues :
" Je ne me reconnais plus quand je me regarde
dans le miroir " ;
" Ce n'est pas moi "
Le corps a fortement changé par un amaigrissement important ou une chirurgie. Cela touche à
l'identité, au corps propre de la personne. Quand
le corps est à ce point atteint, le rapport au corps
ne va plus être comme avant, la psychologie de
la personne s'en trouve ébranlée et nous devons
être là pour entendre cette souffrance.
Nous avons aussi à être là au moment, non
seulement de l'annonce de la maladie, mais
aussi au moment de l'annonce d’une récidive,
lorsqu'il y a des complications, des métastases,
l'échec d'un traitement qui a été présenté comme
curatif ou comme ultime secours. Ce sont des
temps d'annonce qui, pour l'instant, ne sont pas
protocolisés, ne sont pas intégrés dans les
textes, mais qui nous semblent très importants
dans notre pratique, pour écouter ce qui se joue
à ce moment-là. Ce sont souvent des moments
très angoissants, parce que revient le sentiment
d'incertitude, la perte de l'espoir. La personne
espère toujours une guérison, gagner du temps
et il est important qu'elle trouve un soutien
C'est un relais qui peut ne pas engager dans un
long travail avec un psychologue : parfois un
ou deux entretiens suffisent pour aider et pour
‘régler’ doutes et angoisse.
Anne Thiellet :
En effet, l'annonce d'une maladie grave est un
chamboulement extraordinaire pour les patients,
mais évidemment pour toute la famille et tout
l'entourage.
Au début, tout le monde est très près du patient,
il y a une grande solidarité des amis, de tous, et
peu à peu, la plupart du temps, le patient a un
peu moins d'attentions, tout le monde est reparti
à ses activités.
C'est un des problèmes que nous entendons tout
le temps. Egalement aussi dans la relation de
couple. Au début, le conjoint est très proche et
puis quelquefois cela évolue. C'est normal. C'est
difficile, le traitement fatigue, il peut poser des
problèmes sur les relations sexuelles,...
Il y a aussi l'usure, puisque nous employons
maintenant le mot de "fardeau" et, finalement, le
patient qui était au centre de tout devient un peu
une gêne.
D'autre part, l'annonce d'un cancer est difficile
pour tout le monde, pour l'équipe soignante
aussi. L'annonce d'un échec à un traitement ou
l'annonce d'une rechute, pour moi, soignant,
c'est un évènement encore plus difficile à
annoncer et plus difficile à percevoir pour le
patient. A nouveau, il faut remettre tout en
route. C'est très difficile.
Ce sont deux sujets sur lesquels nous pourrions
discourir maintenant.
Une participante :
Moi qui suis, non pas dans le déni, mais très en
retrait de mon cancer, je me demande comment
je vais réagir quand les médecins vont
m'annoncer que ce n'est pas irréel, qu'il va y
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avoir un problème. Cela va venir comme un
boomerang. Je m'en doute. J'ai une telle
confiance que je ne sais pas comment je vais
réagir.
Anne Thiellet :
C'est une maladie qui est très différente des
autres, car même si tous les résultats sont bons,
nous n'utilisons jamais le mot de guérison, mais
rémission, qui veut bien dire qu'il y a un certain
nombre de cas où la maladie est latente.
Nous devons à la fois, nous soignants, être
rassurants lorsque les résultats sont bons et, en
même temps, nous disons, n'oubliez pas, nous
nous revoyons dans trois mois, dans six mois…
C'est toujours l'épée de Damoclès.
Une participante :
J'en suis à ma deuxième récidive et c'est très dur,
il y a la perte de cheveux…
Anne Thiellet :
Vous sentez cette usure autour de vous quelquefois ?
La participante :
Non, mais mon cancérologue est froid. Je
n'arrive pas à être à l'aise avec lui. Je suis à l'aise
avec mon médecin traitant, mais pas avec mon
cancérologue. Il est très bon médecin mais je ne
peux pas lui poser de questions.
J'ai eu une récidive au bout de six mois, avec
perte de cheveux. Quand j'ai passé le Pet Scan, il
m'a dit que le résultat était bon, j'étais contente.
Puis je suis allée le voir et il m'a dit :" Si cela
reprend, on vous proposera le même traitement,
avec la perte des cheveux". Quand je suis rentrée
chez moi, j'avais le moral à zéro : j'étais contente
du résultat du Pet Scan, et puis il m'a dit qu'il
fallait que je m'attende à faire des récidives...
Je savais que je pouvais faire une récidive, mais
je ne pensais pas que ce serait au bout de cinq
mois.
Avec mon médecin traitant, j'arrive mieux à
poser des questions, je suis plus à l'aise.
J'ai du mal à accepter la récidive. Faire une
récidive au bout de dix ans, d'accord, mais au
bout de six mois, cela fait quand même court.
J'ai un traitement de chimiothérapie assez dur.
Quand j'ai une chimiothérapie, cela dure trois
jours.
Grégory Frankel :
Je crois qu'il faut que vous reteniez ce
qu'Isabelle Besançon a dit tout à l'heure : " Le
psychologue, comme soutenant la relation
longue avec un médecin ". Il faut aller voir un
psychologue.
14
Anne Thiellet :
Oui. Et peut-être aussi que ce soutien et cette
relation que vous recherchez auprès de votre
oncologue, c'est avec une autre personne de
l'équipe que vous le trouverez.
La participante :
De toute façon, je ne suis pas la seule, il y a
beaucoup de personnes qui sont passées par ce
médecin et qui le disent.
Anne Thiellet :
Il y a des gens chaleureux et d'autres qui le sont
moins.
Magali Catrou
Je pense que vous avez eu aussi l'intuition que
votre médecin traitant correspondait mieux à
votre caractère. Le médecin oncologue qui vous
suit peut avoir énormément de qualités mais il y
aura peut-être des moments où vous aurez
l'impression qu'il y a un manque. C'est pour cela
que c'est bien aussi d'avoir un médecin traitant.
Votre oncologue est humain, il ne peut pas tout
faire et être présent sur tous les plans.
Un participant :
Vous parliez d'usure, tout à l'heure, au niveau
familial. Je crois que l'entourage se sent démuni.
Quand vous vivez près d’une personne qui vous
dit : " j'ai mal " ou " je suis fatiguée " ou " j'en ai
marre ", je crois, qu'à un moment donné, nous ne
savons plus quoi faire.
Clémentine Matheron
Je crois que vous n'avez pas spécialement besoin
de répondre à ce type de question finalement.
Vous avez juste à entendre et à recevoir la
souffrance que vous transmet la personne à ce
moment là. La prise en charge de la douleur ne
fait pas parti de votre rôle. Dans le cancer, ce qui
est compliqué, c'est qu'il y a beaucoup d'intervenants mais chacun à sa place. La place de la
famille est, principalement, de soutenir au
quotidien, d’entendre quand le patient n'en peut
plus, quand il est fatigué. Mais les proches ont
eux aussi besoin et le droit d’être entendus.
L'important aussi, c'est de s'écouter dans cette
maladie. Nous vous disons ou proposons
beaucoup de choses et parfois vous avez des
questions auxquelles nous n'avons pas répondu
ou des doutes. Posez ces questions, parlez de ces
doutes aux intervenants qui correspondent. Si ce
n'est pas suffisant, reformulez-les mais ne restez
jamais avec des doutes ou des questions
auxquelles nous pourrions répondre, du moins
contenir. C'est bien assez difficile comme cela.
Nous sommes là pour essayer de soulager au
mieux quand cela est possible. Servez-vous des
équipes en place et s'il n'y a pas les personnes
suffisantes là où vous êtes, le réseau Osmose
peut vous orienter.
Anne Thiellet :
C'est important de dire aussi que nous écoutons
la parole des autres, que nous avons bien
conscience que ce n'est pas que le patient qui
souffre, mais aussi l'entourage.
Un participant :
Souvent l'accompagnant est le porte-parole du
patient, parce qu'il est dans la souffrance, parce
qu'il n'a pas les moyens de s'exprimer, qu’il est
fatigué. Mais je crois que les spécialistes ou les
médecins ne peuvent pas s'exonérer du fait que,
finalement, eux savent comment nous pouvons
faire. Dans leur pratique médicale, il n'y a pas
que le côté technique.
C'est peut-être une nouveauté par rapport à
l'enseignement qui était fait dans les facultés. Il
y a là une difficulté entre le fait d'être objectif,
technique et le fait de partager quelque chose
avec quelqu'un.
Une participante :
L'annonce d'un cancer est-elle plus difficile à
supporter par une personne jeune que pour une
personne âgée ? Est-ce qu'il y a une sorte de
révolte quand le patient est jeune et une plus
grande résignation quand il est âgé ?
Clémentine Matheron :
Cela dépend de la personnalité de la personne,
de son histoire et du moment où cela arrive dans
son histoire.
Anne Thiellet :
On utilise le mot cancer qui est un terme
extrêmement général pour des maladies
extraordinairement différentes. Ce ne sera pas la
même chose si sur une mammographie nous
trouvons une petite image de quelque chose qui
porte le mot cancer mais qui, une fois traité, a
un bon pronostic, et puis une maladie qui met
potentiellement la vie du patient en jeu. Nous
parlons de maladies qui sont extrêmement différentes, et chacun a son vécu, son entourage… Je
ne suis pas sûre que l'âge soit important ici.
Nous pouvons évoquer l’exemple des
mutilations, également. Je prends l'exemple
d'une ablation du sein. Nous pensons que
l'ablation du sein chez une jeune femme de
trente ans sera plus grave que chez une femme
qui aura soixante-dix ans. Pas forcément. J'ai
des patientes à soixante-dix ans qui vivront très
mal une ablation du sein à cause de l'image
corporelle et puis une autre patiente qui, à trente
ans, va s'approprier son corps d'une autre façon.
Je peux prendre le cas, pour des hommes, des
problèmes liés au traitement d'une prostate ou
autre chose avec ses conséquences sur la
sexualité. Nous pouvons imaginer que chez un
homme d'un certain âge, cette annonce
semblerait un peu plus banale, alors que pas du
tout. Cela peut être extrêmement traumatisant et
perturber complètement sa vie. Pour quelqu'un
de plus jeune qui ne vivra pas du tout de la
même façon, ce sera plutôt le fait de guérir à
tout prix qui sera le plus important.
Vincent Landreau :
Peut-être vous posez-vous la question, Madame,
que lorsque nous vieillissons, nous avons moins
peur de la maladie et de la mort ?
La participante :
Quand nous sommes en fin de vie, nous avons
moins d'exigences. Il n'y a pas une résignation
mais une évolution spirituelle qui intervient, il y
a un autre aspect qui se présente.
Vincent Landreau :
Je travaille beaucoup en gérontologie et je vois
des gens qui ont 95 ans ou plus. Je suis un
patient de 97 ans et il s'accroche à la vie
terriblement, il aime la vie. Il sait qu'il a 97 ans,
il dit qu'il a l'âge de mourir mais qu'il n'en a pas
envie, pas aujourd'hui.
La vie est là jusqu'au bout, ce n'est pas parceque nous vieillissons que la vie tout à coup s'en
va. Elle est toujours là, différente, avec d'autres
préoccupations, d'autres idées en tête, mais la
vie est là. Cela dépend de chacun. Vous avez
des gens à trente ans qui vont assumer avec une
lucidité, un sang froid et presque un courage, de
mourir.
L'intervenante :
Assumer, oui, mais il y a quand même la
sensation de rater des évènements d'une vie, le
mariage de ses enfants,…
Vincent Landreau :
Mais perdre une jambe à trente ans peut être
aussi douloureux que de la perdre à quatre-vingt
dix ans.
Une intervenante :
Je suis dans une association qui s'appelle
Etincelle. Il y a quelques jeunes filles qui ont un
cancer, elles ont dix-huit ans, vingt ans et elles
ont l'impression d'être marginales, parce-que la
maladie les fauche à dix-huit ans ; elles ont des
projets, des d'études et tout est arrêté. Quand
elles sont dans des associations, elles se retrouvent avec des personnes qui sont quand même
plus âgées. Elles se sentent un peu seules.
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Grégory Frankel :
Je n'ai pas du tout ces expériences, mais j'ai lu et
entendu, que les équipes et les proches d’enfants
malades étaient toujours frappés par la lucidité
des enfants atteints de cancer, une lucidité
implacable, une conscience d'où ils en sont.
Donc, ce n'est pas une question d'âge.
Un participant :
Je voulais intervenir sur les effets secondaires
post traitement non prévus. Les phases qui ont
été décrites, je les ai plutôt bien traversées.
J'étais statistiquement préparé à ce qu'un jour, je
pouvais avoir un cancer, puisqu'un homme sur
deux aura un cancer. Donc, quand les médecins
me l'ont annoncé, je n'étais pas trop étonné. La
prise en charge et le traitement se sont très bien
passés. Mais j'ai eu également un syndrome cave
supérieur et cela m'a complètement déstabilisé
car je me suis rendu compte que la médecine est
parfois désarmée et il n'y a pas de traitement
pour le syndrome cave supérieur. J'ai vu de
grands spécialistes, ils m'ont tous dit qu'il fallait
vivre avec.
J'avoue que cela m'a beaucoup perturbé car la
médecine était plus désarmée pour traiter ce
problème là que pour traiter mon cancer.
Je signale pour les gens qui ne seraient pas au
courant que j'ai bénéficié d'une proposition du
réseau Osmose pour un accompagnement
psychologique pendant quelques mois et que
cela est pris en charge par le réseau Osmose.
Pour moi, cela a été d'une grande utilité, je suis
ressorti de là totalement épanoui avec un
optimisme formidable. J'ai fait vingt séances
étalées sur quatre ou cinq mois. J'y étais pourtant
allé un peu à reculons, parce que le psychologue
était aussi psychanalyste, que j'ignorais ce
qu'était la psychanalyse et j'étais donc très
méfiant. Et puis cela s'est très bien passé et je
recommande cet accompagnement aux
personnes qui souhaiteraient en bénéficier.
Anne Thiellet :
Merci pour votre témoignage.
Il nous arrive très souvent de voir en
consultation quelqu'un qui vient juste à
l'occasion d'un dépistage, nous faisons des
examens et la personne apprend qu’elle a un
cancer alors que la veille, elle se pensait en
bonne santé.
Ce sont les traitements qui vont engendrer des
effets secondaires et qui vont contraindre la vie
personnelle, familiale et professionnelle. Il faut
bien différencier les effets secondaires des
traitements et les séquelles. Les effets
secondaires sont tout ce que nous allons subir
16
lors des traitements mais qui vont se résoudre
une fois ce traitement terminé. Les séquelles
sont ce que nous gardons après un traitement
chirurgical, une radiothérapie ou une chimiothérapie. Il y a des séquelles qui vont être tout à fait
compatibles avec une vie, auxquelles nous nous
adaptons, et puis il y a des séquelles très
contraignantes : les neuropathies, les effets
secondaires d'une irradiation sur le plan digestif
et autres. Là, il faudra à la fois vivre avec cette
épée de Damoclès du cancer et vivre avec tous
les effets secondaires de ces traitements, dont
certains sont irréversibles.
C'est vrai qu'ils vont vous accompagner après
tout au long de la vie, ils deviennent une maladie
chronique avec toute la difficulté de vivre avec
une maladie chronique, sans forcément d'espoir
de guérison.
Le participant :
J'ai quasiment oublié que j'avais eu un cancer, je
n'y pense plus, alors que le reste, c'est quotidien.
Une participante :
Qu'est-ce que le syndrome cave supérieur ?
Le participant :
J'ai eu une thrombose au niveau de la veine cave
supérieure, c'est-à-dire que le retour veineux ne
pouvait plus se faire par ‘l'autoroute’, j'avais un
caillot de 3,5 cm et c'est toujours bouché. Mais
je vis quand même.
Le port à cath est sûrement responsable de ce
syndrome, car le caillot s'était coincé dans le
bout du cathéter, mais j'ai découvert à cette
occasion que j'étais atteint d'une anomalie
génétique qui favorise la formation des caillots
qui s'appelle la mutation de Leiden du Facteur V.
Si je n'avais pas eu cette mutation, je n'aurais
peut-être pas eu de problèmes et peut-être que si
je n'avais pas eu le cathéter cela ne se serait pas
révélé.
Il y a eu une mauvaise conjonction des deux et
ce qui était énervant, c'est que j'étais à cent
lieues d'imaginer, comme des pontages sont effectués tous les jours au niveau des artères, que
nous ne pouvions pas en faire au niveau des veines, car c'est trop risqué.
En fait, le retour veineux se fait par les petites
routes secondaires, mais plus du tout par
l'autoroute. Je peux vivre comme cela mais avec
des contraintes.
Anne Thiellet :
Quand certaines personnes ont des complications, il peut arriver qu'elles pensent que l'équipe
n'a pas fait ce qu'il fallait. Il y aura donc cela
aussi à gérer sur le manque de confiance.
Une participante :
Je reviens sur ce que disait Madame concernant
la question de l’âge. Moi, j'étais juste allée pour
une opération chirurgicale à Béclère et ils ont
découvert que les deux trompes étaient atteintes,
et qu'il fallait les amputer. Maintenant, je suis
condamnée, je ne peux plus faire d'enfants.
Je suis allée voir une psychologue qui m'a
redonné confiance. Pour moi, avoir un enfant,
c'était une chose vraiment importante et là je me
retrouve sans enfant. La vie va de l'avant, parce
que la psychologue m'a permis de revivre et
d'avoir confiance en moi. Même sans enfants, je
peux vivre, il y a plein de choses à faire.
Anne Thiellet :
Nous ne voulions pas dire que d'avoir un cancer
jeune était moins grave ou moins ennuyeux que
d'avoir un cancer plus tard. Nous voulions dire
que l'annonce fait mal à tout âge. Mais nous
avons bien conscience que pour une femme, avoir
une maladie avec les conséquences que vous
décrivez, c'est très problématique.
Un participant :
J'ai été traité il y a maintenant deux ans pour un
cancer du sinus. Un oncologue m'a dit que
normalement, à mon âge, il faudrait opérer, mais
qu'ils n'allaient peut-être pas opérer et se contenter de faire des rayons et de la chimiothérapie.
Je n'ai pas supporté la chimiothérapie et
l'oncologue qui m'a suivi a préféré faire table
rase, ne pas s'occuper de la chimiothérapie et me
faire des rayons.
Les rayons passés, j'ai eu un premier scanner qui
ne donnait plus rien. Mais comme dit le docteur,
c'est une épée de Damoclès, nous n'en guérissons
pas.
Dernièrement, en fin d'année 2007, ne pouvant
plus déglutir, l'ORL qui me suit m'a envoyé de
nouveau faire un diagnostic à Bicêtre. J'ai eu une
endoscopie et elle a été assez laborieuse parce
que je me nourrissais avec beaucoup de
difficultés ; au lieu d'aller dans l'œsophage, la
nourriture allait dans les poumons. Je faisais des
infections pulmonaires à répétition.
Ils ont vu qu'il y avait une récidive, mais ils
voyaient quelque chose de suspect qui n'était pas
très net. J'ai donc subi une deuxième endoscopie
et ils ont décelé une petite tumeur, une récidive.
A l'hôpital, j'ai été nourri par une sonde nasale.
Au début, quand j'avais terminé mes rayons, je
suis rentré chez moi, j'étais confiant. Puis j'ai
suivi un deuxième staff où il y avait l'oncologue
qui m'avait fait l'endoscopie et qui m'a proposé
l’opération. Cela a été très dur à avaler. Je ne
pouvais pas revenir sur les rayons, je ne
supportais pas la chimiothérapie et j'ai refusé
l'opération. Depuis le 13 novembre, je suis nourri
par une sonde gastrique.
Alors, au premier staff, les médecins ne voulaient
pas faire l'opération, uniquement des rayons, et
au deuxième staff, ils m'ont dit qu'il fallait opérer.
Les médecins qui me suivaient m'ont dit que
j'étais costaud, que je pouvais supporter l'opération, mais j'ai refusé car je veux me maintenir,
j'aime parler, marcher,…
Anne Thiellet :
Les médecins vous ont fait ce traitement pour
vous laisser une chance et malheureusement,
malgré ce traitement, il y a eu une rechute.
Le participant :
Je pensais qu'il y aurait pu y avoir d'autres possibilités mais il n'y avait que cela. Le staff a été
brutal pour moi. Il est quand même possible de
nuancer un peu les choses. Dans le domaine du
cancer, nous ne pouvons pas prévoir les suites.
Docteur Thiellet :
L'annonce a été difficile pour vous. Vous l'avez
entendu comme quelque chose de brutal. C'est là
que le rôle d'autres personnes pourraient vous
aider dans cette démarche et je crois que le
médecin généraliste a vraiment toute sa place
pour être le relais des spécialistes pour réexpliquer plus tranquillement dans son cabinet
médical, pourquoi nous ne pouvions pas faire
autrement et pourquoi nous vous proposions cette
intervention. La notion de relais et d’équipe est
très importante.
Un participant :
Il y avait un questionnement sur le choix du
traitement. Or, le médecin traitant ne peut pas
expliquer le choix. Pourquoi avoir choisi cette
option plutôt que telle autre ? Je ne sais pas si le
médecin traitant est armé pour cela, sinon il n'y
aurait pas de spécialistes.
Anne Thiellet :
La proposition thérapeutique c'était la chirurgie.
Il n’y avait pas d'autre solution alternative. Le
choix était donc : "Est-ce que je choisis de me
faire opérer ou est-ce que je ne le veux pas ?". Ce
n'était pas une alternative entre deux choix thérapeutiques.
Le participant :
Il y a eu un choix à un moment donné, puisqu'il y
a eu la chimiothérapie et les rayons.
Anne Thiellet :
Nous avons une participation du patient dans
cette décision et nous pouvons très bien
comprendre que quelqu'un choisisse de ne pas
être opéré.
Cependant, tout choix a des conséquences.
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Vincent Landreau,
Psychologue - Psychanalyste
Vincent Landreau :
Je suis psychologue et psychanalyste et j'ai
choisi d'intervenir à domicile pour essayer d'être
présent à la maison, chez vous et vous permettre
d'y voir un peu plus clair.
Soit le réseau vous le suggérera, si vous avez du
mal à vous déplacer, soit vous faites directement
la demande. C'est vous qui appelez ou vos
proches et nous prenons rendez-vous.
Mais c'est une démarche qui vient de vous, ce ne
sont pas nous, les psychologues, qui nous
imposons.
A partir du moment où nous avons pris rendezvous, nous nous voyons soit au cabinet, soit chez
vous.
C'est l'occasion pour vous de pouvoir faire un
peu le point, de pouvoir réfléchir sur ce qui vous
arrive, de pouvoir évoquer tout ce que vous avez
dans la tête, dans le cœur, dans les tripes, tout ce
que vous avez pu vivre. C'est l'occasion, en
même temps, d'être dans votre cadre de vie, qui
fait peut-être un peu moins peur que d'aller dans
un cabinet. C'est l'occasion en même temps de
pouvoir accompagner les proches.
Vous avez très bien évoqué durant toute la
difficulté qu'il peut y avoir dans le fait d'être
malade : tout ce que vous allez vivre dans la
maladie, à travers l'annonce de la maladie, les
traitements, ses conséquences, l'évolution de la
maladie, comment vivre avec la famille, comment s'organiser,…
Il faut accepter que ce corps que vous connaissez
depuis votre plus tendre enfance est en train de
se transformer, est en train de vous faire mal,
vous renvoie une image de vous-mêmes qui n'est
pas très agréable, douloureuse physiquement et
psychologiquement.
Etre malade c'est en même temps se poser des
questions sur sa vie, sur le sens de sa vie
aujourd'hui, comment vivre avec.
Nous pouvons comprendre que l’irruption d’un
cancer est un chamboulement de vie. Encore
aujourd'hui, quand nous entendons le mot
cancer, nous nous disons "cancer = danger de
mort!". Mais il y a plein de formes de cancer et
certains se soignent plutôt très bien.
Quand tout à coup, les médecins vous
apprennent que vous êtes atteint d’un cancer,
c'est très difficile à accepter. C'est très difficile à
vivre. Vous avez très justement dit tout à l'heure
qu'il faut ‘arriver à le faire sien’. Or, la plupart
du temps, quand nous avons un souci et que
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nous n'arrivons pas à le gérer, nous n'avons
qu'une envie, c'est de le confier à quelqu'un. Je
n'arrive pas à faire ma déclaration d’impôts, je
vais au bureau des impôts, ils vont me la remplir.
J'ai un problème avec ma voiture, le garagiste va
s'en occuper. J'ai un cancer, je vais le donner au
cancérologue, au médecin, à l'équipe médicale,
ce sont eux qui vont gérer et si jamais mon
cancer ne va pas bien, c'est de leur faute.
La réalité est plus difficile. Ce cancer, c'est le
mien, il est à moi. Le médecin n'est pas un
guérisseur, un magicien, c'est un lecteur de notre
maladie, un lecteur de notre corps. Et lui, il a
simplement à nous dire : " Voilà où vous en êtes,
voilà ce que nous sommes capables de faire
aujourd'hui en tant que médecins ". C'est cela qui
est difficile à vivre au quotidien, c'est cela qui
est compliqué. Nous n'avons qu'une envie, c'est
de dire de temps en temps : " Je ne sais pas ce
que j'ai, mais je vous en supplie, soignez moi!
Aidez-moi ! "
Tout le travail que nous faisons à domicile, c'est
d'essayer ensemble de vivre ce que vous avez à
vivre, de pouvoir se dire : " J'ai un cancer, mais
je suis encore vivant ".
Parfois je discute avec des gens qui me disent
que mon travail ne doit pas être gai. Mais je ne
travaille pas avec des gens anormaux, je ne
travaille pas avec des gens morts, je travaille
avec des gens vivants et tellement vivants qu'ils
réagissent et qu'ils ont envie de se battre. Je vois
des gens qui, effectivement, vivent un cancer
mais qui ont une vitalité que je ne rencontre pas
chez d'autres personnes qui vont très bien. Vous
êtes des vivants et si vous êtes là aujourd'hui, ce
n'est pas par hasard !
Vous vivez et il y a une équipe, des médecins,
des psychologues, qui est là et qui essaie au
mieux de vous accompagner. Mais qu'est ce que
c'est difficile ! Et tout le travail du domicile est
de permettre à la personne de faire le point.
Nous, psychologues, nous écoutons, nous
accompagnons et nous essayons de vous
permettre de continuer à cheminer, de vous dire
que la vie continue, la route est encore là. Mais
qu'est-ce que c'est dur ! Parfois, je l'entends, ce
qui est le plus difficile pour vous c’est la non
reconnaissance de ce que vous pouvez vivre.
C'est difficile de se sentir reconnu dans ce que
vous vivez, être reconnu dans sa douleur
psychique, être reconnu dans le petit quotidien
qui paraît pour les autres tout à fait anodin ou
qu'ils ne veulent pas voir. Beaucoup de gens se
demandent ce qu'ils ont fait de leur vie, comme
si c'était une espèce de bilan. Quelque part, c'est
drôlement positif.
Du point de vue des proches, c'est très
douloureux aussi parce qu'ils vont être à côté de
quelqu'un qui a mal, qui souffre et qu'ils aiment.
Et voir quelqu'un que l’on aime souffrir, c'est
odieux, insupportable. C'est d'autant plus
insupportable qu'ils ne peuvent rien faire. Ils
peuvent accompagner, psychologiquement,
mais quand la personne a mal, ils ne peuvent
rien faire. Ils vont téléphoner au médecin en lui
demandant de faire quelque chose et le médecin
ne peut pas.
Cela paraît scandaleux, de se dire : " Ma femme
et moi, mon mari et moi, nous sommes en train
de vivre quelque chose de drôlement difficile,
nous sommes à la frontière de l'impuissance ".
Or, nous sommes dans un monde où l’on nous
fait croire que nous sommes des tout-puissants,
que nous gérons tout.
Vous avez besoin de pouvoir en parler, de
pouvoir pleurer, et de voir une personne qui n'a
rien à voir avec la famille, qui n'a rien à voir
avec les proches, avec les amis, quelqu'un de
complètement extérieur, neutre, qui n'a pas de
lien affectif. Ce sont deux personnes qui vont
pouvoir se rencontrer et échanger. S'il y a un
lien familial, ce sera de la fusion-confusion
parce que nous sommes tenus par des liens
affectifs et quand l'autre a mal, nous avons mal.
Là, vous allez pouvoir accueillir un
psychologue et l'engueuler. Vous allez pouvoir
pleurer. Vous allez pouvoir lui parler ou être
silencieux pendant trois quarts d'heure. Vous
allez pouvoir vous révolter. Tout est possible. Je
ne lui fais pas de mal à ce psychologue parce
qu'il n'a rien à voir avec mes proches. Quand je
pleure auprès de ma femme, auprès de mon
mari, de ma mère, de mes enfants, ils souffrent
avec moi. Mais le psychologue a cette
particularité de pouvoir vous aider à ‘vider votre
sac’ et ensuite pouvoir faire le point. Vider
votre sac ne veut pas dire donner toutes vos
angoisses au psychologue qui repart avec. Cela
veut dire extérioriser vos angoisses et les
récupérer avec un peu plus d'ordre, c'est un peu
moins la cacophonie dans votre tête et votre
cœur. Cela reste très modeste, mais par
expérience, qu'est-ce que ça fait du bien de
pouvoir y voir un peu plus clair !
Une participante :
Du fait que j'étais toute seule quand j'ai eu mon
cancer, je me suis dit qu’il faudrait que je me
défende toute seule. Cela m'a fait voir d'autres
horizons. J'ai vu la vie différemment. J'ai
relativisé. Avant, des petites choses
m’angoissaient, maintenant ce n'est plus du tout
pareil, je relativise et je suis même mieux
qu'avant. Je ne réagis plus de la même façon. Je
fais beaucoup plus de choses, je me ballade, je
vais à des expositions, je fais du bricolage…
Vincent Landreau :
Vous me faites penser à un monsieur, qui, il y a
vingt ans, a fait des examens. Les médecins lui
ont fait comprendre qu'il y avait des choses pas
très jolies, qu'il faudrait prendre le temps de voir
cela en laboratoire. Ils lui ont laissé une période
de quinze jours pour lui dire ou non si c'était
cancéreux.
Pendant quinze jours, cet homme était tellement
angoissé qu'il s’est littéralement ‘clochardisé’, il
ne faisait plus rien de ses journées, ne se rasait
plus, il n'ouvrait plus ses volets.
Puis, quelques jours avant son rendez-vous pour
connaître les résultats, il a décidé quand même
d'aller se promener. Il est passé sous un
échafaudage, et à ce moment, il a entendu un
bruit, s’est retourné et a vu une brique tomber et
qui lui a frôlé la tête. Cela a été le révélateur.
S’il était passé un quart de seconde après, il
serait mort. Il s'est dit : " Maintenant, j'ai peutêtre un cancer, mais je vais vivre ! "
La participante :
Quand les médecins m'ont fait les examens, je
n'avais aucune appréhension. Je me disais que le
cancer, cela ne pouvait pas m'arriver. Ce n'était
pas pour moi.
Après, ils m'ont dit que c'était un cancer, mais le
chirurgien m'a dit que c'était un petit cancer,
puis j'ai vu le docteur Thiellet tout de suite.
J'étais toute seule et je n'avais pas le droit de me
laisser aller.
Vincent Landreau :
Il n'y a rien de plus difficile que d'affronter
quelque chose de cet ordre là.
Une participante :
J'ai fait une dépression nerveuse il y a dix ans,
terrible. Une souffrance incroyable. Et avec le
recul et tout le travail que j'ai fait, je crois que le
cancer, je le prends très bien. Parce qu’avec ma
dépression je me sentais dans une souffrance
atroce et il n’y avait pas de reconnaissance de
cette souffrance ! Alors qu’avec le cancer, vous
êtes entourée par les amis ; vous perdez les
cheveux, vous êtes moche, ils le constatent.
Tandis qu'exprimer auprès d'amis une
souffrance psychique, c'est impossible. Et quand
je dis que mon cancer n'existe pas, c'est peutêtre parce que j'avais fait une telle étape
antérieurement que cela m'a servi.
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Anne Thiellet :
Je vous trouve formidable parce que cela nous
donne de la pêche pour l'avenir.
La participante :
Il y a des moments avant qui m’aident à
affronter des choses difficiles maintenant.
Anne Thiellet :
De mes nombreuses années d'expérience, j'ai
tout un ensemble de patients que je suis et ce qui
m'émerveille c'est ce rebondissement de
certaines personnes par rapport à la maladie. Il y
a cette phrase de Nietzche qui dit : " Ce qui ne
tue pas rend plus fort ".
Je connais une patiente qui n'avait pas son
permis de conduire et elle l'a passé. Elle a eu
envie de donner un sens à sa vie et elle a fait une
formation professionnelle. Maintenant, elle a un
boulot qui lui convient bien.
Mais il y a une chose que j'entends aussi dans
ces histoires, c'est le décalage que le cancer a
provoqué par rapport à l'entourage.
Je suis un certain nombre de patientes atteintes
d'un cancer du sein qui ont donné un sens à leur
vie et dont le conjoint est resté un peu comme
avant et cela pose des problèmes de couple.
Donc, peut-être faut-il revoir un psychologue à
ce moment là, pour maintenir le lien.
Une participante :
Mon frère aîné a un cancer en même temps que
moi. Vous imaginez donc la situation, avec notre
mère qui a 88 ans. C'est une battante. Mon frère
a un cancer du rein et les médecins lui ont enlevé
un rein. Moi, je lui ai dit que s'il y avait besoin
d'une greffe, je lui donnais un rein.
Nous sommes parfois rattrapés par notre propre
histoire, car quand les médecins se sont aperçus
que j'avais un cancer, ils se sont aperçus que je
n'avais qu'un rein...
Là, cela a été difficile. Cela fait mal.
Une participante :
Ce qui est difficile aussi, c'est quand nous
rechutons et que nous sommes en attente de
traitement. J'ai rendez-vous demain, cela fait
quinze jours que j'attends. Je suis complètement
envahie par cela et j’ai hâte d’être à demain. Je
saurai exactement où je vais. Cette attente, c'est
épouvantable.
Vincent Landreau :
Vous exprimez très bien la difficulté qu'il y a à
être dans le vide, dans un sentiment d'attente.
C'est très douloureux et c'est là où vous pouvez
utiliser l'équipe, au sens large du terme, pour
venir puiser un peu d'énergie, un peu de souffle.
20
La participante :
Je n'ai vraiment pas eu le temps. Et puis, il y a
aussi la fatigue qui s'est rajoutée… Vivement
demain soir !
Un participant :
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit du
couple et du décalage éventuel. Quand le réseau
Osmose nous a proposé un accompagnement
psychologique, mon épouse et moi-même avons
opté pour un accompagnement des deux en
même temps, avec le même praticien. Ainsi, il
n'y avait pas de décalage.
Je me suis rendu compte, dans notre cas, que
mon entourage était plus éprouvé que moimême. Cela a été très bénéfique. Cela nous
permettait d'avoir des échanges.
Monsieur a dit quelque chose d'intéressant aussi
tout à l'heure, que c'est le moment de réfléchir au
sens de sa vie. Finalement, c'est une chose que
nous devrions faire, même lorsque nous ne
sommes pas malades.
Cela m'a permis de faire un bilan et surtout de
vérifier que j'avais eu une grande cohérence par
rapport à ma vie personnelle, familiale,
professionnelle et militante. C'est la psychologue
qui m'a permis de découvrir le sens de cette
cohérence. Je trouve que c'est intéressant parce
que nous ne pouvons pas le faire tout seul.
Je recommande d'y aller, même si au début les
gens y vont à reculons.
Anne Thiellet :
Au début, vous étiez réticent à l'idée d'aller voir
un psychologue ?
Le participant :
Pas le psychologue. C'est pour le psychanalyste
que j'étais réticent. J'ai choisi quelqu'un qui avait
la double formation. Je ne connais pas bien la
psychanalyse, mais pour moi, c'était pour des
gens qui ont des problèmes énormes, les
américains,… Les psychologues sont un peu
plus doux, ils sont diplômés. Le psychanalyste
n'a pas de diplôme, il n'en veut pas d'ailleurs.
Déjà, quand je suis arrivé, j'ai dit que je ne
voulais pas de divan.
Je n'avais pas envie que cela dure des années. Le
contrat que j'ai passé avec la psy a été de dire
que cela ne durerait pas des années. Elle m'a
expliqué la différence entre les différentes
démarches (freudienne,…), cela m'a rassuré. Je
me suis dit qu'il y avait plusieurs écoles, en
espérant que j'étais tombé sur la bonne...
Cela a duré quatre ou cinq mois. Pour mon
épouse, c'était une heure par semaine, une heure
bloquée. Moi, c'était trois fois par semaine, mais
seulement quinze minutes.
Si cela ne vous convient pas, il faut essayer
d'aller voir un autre psychologue. Moi, je lui ai
dit que je faisais un essai et que si cela ne me
convenait pas, je lui dirais. Finalement cela a
marché !
Une participante :
Moi, les psychologues, j'ai hésité à y aller
pendant deux ans. Et puis un jour, vous avez le
déclic, vous rentrez, vous voyez vos parents en
larmes dans un fauteuil, qui ne s'en remettent
pas et vous vous dites que vous n'avez pas le
droit…
Anne Thiellet :
C'est plus facile dans une structure médicale,
parce que nous faisons une proposition. C'est-àdire que lorsque le patient ne connaît pas, doit
avoir une chirurgie ou une chimiothérapie, le
psychologue du service vient se présenter, dire
qu'il est là, si le patient le souhaite. Il nous a
semblé que c'était une démarche qui est plus
facile pour un patient que d'aller lui-même faire
la démarche pour y aller.
Une participante :
La proposition a été faite à mon mari. Mais il
était à ce moment-là encore en état de recevoir
beaucoup de coups. Alors que maintenant, cela
ne va pas du tout et on ne le lui propose plus,
parce qu'il est beaucoup à domicile, parce qu'il
va de moins en moins à l'hôpital. Je trouve que
c'est maintenant que ce serait nécessaire, il dit
d'ailleurs qu'il a le moral en baisse.
Vincent Landreau :
C'est aussi le cliché que nous pouvons avoir sur
le psy. Le cliché du psy qui est très silencieux,
qui vous regarde, qui fait "humm, humm". Il ne
va pas me mettre à l'aise, il va me proposer de
m'allonger, alors que je n'ai pas envie de
m'allonger. Il va falloir que je parle de mon
enfance, de mon gras de jambon que je n'aimais
pas quand j'étais petit et que mes parents me
forçaient à manger,...
Il y a des gens qui vont répondre à ce cliché
parce que c'est un moyen pour eux d'avoir du
pouvoir. Mais, en règle générale, un
psychologue et un psychanalyste sont des gens
qui essaient de mettre à l'aise leurs patients pour
permettre à la personne de parler, de vider son
sac.
Anne Thiellet :
Ce n'est apparemment pas vous, Madame, qu'il
faut convaincre.
La participante :
Moi, non. Je vois un psychologue et mon fils
aussi. Mais, pour mon mari, c’est plus difficile.
Il faudrait le convaincre que c'est juste un
moment pour lui, où il peut dire aussi : " J'en ai
marre, j'ai peur,…" Et là, il n'y arrive pas.
Anne Thiellet :
Il faudrait trouver la personne qui pourrait lui
faire admettre cela.
Une participante :
Pendant tout le temps de la chimiothérapie, je
n'ai pas du tout éprouvé le besoin de voir un
psychologue. Cela a été après. Quand les
médecins m'ont dit qu'il n'y avait plus de
rendez-vous, plus de chimiothérapie. Je me suis
retrouvée face au vide.
Anne Thiellet :
Nous connaissons ce vide d'après, il y a un
relais qui est nécessaire.
Après le parcours d’obstacles liés à la maladie,
arrive un moment de ‘vide’, dans l’attente des
prochains bilans, avec moins d'attention de
l’entourage. C’est une période difficile à vivre.
Un participant :
Nous avons beaucoup parlé de souffrance
psychique. Il y a aussi la souffrance physique.
Le traitement de la douleur physique qui est du
ressort de la médecine. La douleur physique
engendre la douleur morale et cela a un impact
sur l'environnement, la famille, les accompagnants.
J'ai une question : Sortons nous indemnes de
cette épreuve ? Probablement pas, c'est le
commun de toutes les expériences. Mais le
cancer est peut-être une maladie qui traumatise
encore plus, qui laisse encore plus de traces,
même si effectivement, il donne de la
maturité, de la conscience. Mais sortons nous
indemnes de cela ?
Grégory Frankel :
Sortons nous indemnes de la vie ?
Le participant :
Finalement, la vie qu'est-ce que c'est ? C'est une
survie du début à la fin. Nous sommes en
survie. L'épée de Damoclès, vous l'avez en
permanence, tous les jours. Le problème, c'est la
conscience. Quand nous sommes malades, nous
avons la conscience que cela peut s'arrêter.
Grégory Frankel :
Je crois que vivre n'est pas survivre. L'intérêt,
c'est l'incertitude.
21
Le participant :
Mais quand nous avons un cancer qui n'est pas
guérissable, cela se pose en termes de survie. Il
faut appeler les choses par leur nom. Est-ce que
la vie est la survie, est-ce que la survie est la
vie ?
Grégory Frankel :
Il y a toujours la vie. Tout est toujours vivant.
Anne Thiellet :
Maintenant que nous arrivons à guérir, à
prolonger la durée de vie, nous utilisons le mot
de maladie chronique, avec tous ses aléas. Il faut
s'approprier la maladie, faire avec,... La notion
de maladie chronique est difficile. Les gens qui
ont des diabètes nous paraissent peut-être un peu
moins atteints, cela peut être une hypertension
grave ; pour des jeunes, une mucoviscidose.
Mais nous allons vivre avec une maladie
chronique qui aura des rechutes, qui aura des
rémissions. Il y a peut-être moins ce côté
péjoratif, angoissant, du mot cancer que nous
pouvons assimiler à la survie, voire à la mort.
Quelqu'un qui a le diabète ou une hypertension
grave va moins utiliser ce mot. Or, sa vie est
également en péril, de la même façon, avec des
traitements extrêmement angoissants et pénibles., même s’il n'y a pas la connotation de
survie.
Quelqu'un peut avoir le diabète depuis l'âge de
vingt ans et être obligé de faire tous les jours des
piqûres d'insuline.
Nous ne sommes pas en train de comparer les
maladies. Je pense que toutes ces maladie qui
imposent des traitements et qui ont des effets
secondaires sont des maladies chroniques. La
chimiothérapie bien sûr est un traitement très
lourd mais les dialyses aussi sont des traitements
très lourds.
Une participante :
Oui, mais avec la chimiothérapie, il y a la perte
des cheveux.
Anne Thiellet :
Vous avez tout à fait raison. Mais une dialyse
aussi a beaucoup d'inconvénients. Apprendre
que nous avons un diabète à vingt ans ou trente
ans, apprendre que nous avons une sclérose en
plaques, ce n’est pas réjouissant.
Grégory, je pense que tu peux prendre la parole
pour poursuivre.
22
Grégory Frankel
Psychologue clinicien
Hôpital Antoine Béclère
Grégory Frankel :
Je travaille dans un service de médecine interne
à Béclère. Je suis amené à rencontrer une
grande diversité de personnes atteintes de
cancer. Je me considère comme n'ayant aucune
spécialité ni aucune expertise particulière.
Le service se compose de lits d'hospitalisation et
d'un hôpital de jour où je peux rencontrer les
patients. J'ai ouvert une consultation
psychologique à la polyclinique de l'hôpital et
j'y reçois des personnes sur rendez-vous. Cette
consultation est ouverte à tous ceux qui
souhaitent un entretien. Ils peuvent être adressés
par des médecins travaillant à l'hôpital ou en
ville.
J'effectue un travail d'analyse des besoins en
termes de suivi psychologique et d'orientation.
Ainsi, il m'arrive d'adresser à des collègues
libéraux, parfois à des psychiatres. Dans
certaines circonstances, j'instaure un suivi
régulier, appelons cela psychothérapie. Cette
consultation est ouverte aussi à des patients vus
au cours d'une hospitalisation ou en hôpital de
jour et cela peut poursuivre un travail engagé.
J'utilise cet espace de la polyclinique pour
recevoir des patients après leurs soins, leur bilan
ou leur consultation médicale. Je peux ainsi
recevoir ou voir des patients dans des espaces
différents, et cela peut aussi symboliser des
rapports différents à la maladie, des positions
différentes par rapport à l'appropriation du
cancer et des traitements. Parfois, des patients
viennent spécialement pour leur entretien
psychologique, en dehors de tout suivi médical.
Lors d'une hospitalisation, de même que
pendant un suivi en hôpital de jour, il est
extrêmement rare qu'une personne fasse appel à
un psychologue. Cela arrive mais c'est
exceptionnel.
Depuis que je travaille dans le service, ce que je
recherche, c'est que des médecins, des
infirmières, des aides soignantes ou des
assistantes sociales m'indiquent et m'adressent
des patients. Ce qui est visé, c'est qu'un
médecin, un membre de l'équipe infirmière ou
un travailleur social, à partir de ce qui fait pour
eux un signal, propose une rencontre avec un
psychologue. Cette rencontre trouve alors une
raison, un motif déclaré.
Cela peut être une insomnie, une inquiétude, un
questionnement existentiel, un signe de
dépression, une angoisse…
Cette rencontre doit être consentie. Elle peut
être refusée et parfois permettre, justement, un
échange sur ce refus entre la personne qui a
proposé et le malade.
Le motif de cette rencontre, quel qu'il soit, noue
déjà en amont quelque chose dans une relation
qui n'est pas encore là. Ce motif fera un lien, ce
pourra être l'objet d'un travail, objet dont la
personne se départira. Parfois cet objet ne sera
jamais abordé, il s'agira alors de toute autre
chose qui alimentera le contenu des entretiens.
Je privilégie toujours, quand je me présente
auprès d'un patient, que si le patient a quelque
chose à dire, il le fasse lui-même. J'essaye de
n'être jamais un ambassadeur ou un porteparole. Je pense que l'un des buts de mon travail
est de contribuer à ce que chacun porte luimême ses souhaits, ses interrogations ou ses
questions à celui à qui cela doit s'adresser.
Mais, peut-être vous demandez-vous encore ce
qu’est un psychologue. Le "psy" regroupe des
fonctions extrêmement différentes : psychiatre,
psychologue, psychothérapeute, psychanalyste,
psychologue clinicien,...
Un psychologue a fait des études de
psychologie. Il y a les psychologues de la santé,
du travail, des psychosociologues, des
neuropsychologues,…
Ce qui nous occupe aujourd'hui, ce que nous
sommes tous ici, ce sont les psychologues
cliniciens. Nous nous sommes orientés vers la
psychologie clinique.
La profession est très récente, elle a quarante
ans. Le titre de psychologue n'existe que depuis
1991. Avant 1991, n'importe qui pouvait
s'intituler psychologue. Depuis ce décret de
1991, le titre de psychologue est cadré : " Les
psychologues exercent les fonctions,
conçoivent les méthodes, mettent en œuvre
les moyens, les techniques correspondant à la
qualification issue de la formation qu'ils ont
reçu. A ce titre, ils étudient et traitent, au
travers d'une démarche professionnelle
propre, les rapports réciproques entre vie
psychique et comportements individuels ou
collectifs afin de promouvoir l'autonomie de
la personnalité ".
Les mots les plus importants de cette définition
sont : "démarche propre", "traiter", "rapport
réciproque entre comportements individuels et
collectifs", "autonomie de la personne".
Mais, un psychologue clinicien, qu'est-ce que
c'est ?
Cela réunit plein de choses. Ce terme, du grec
"Kliniké" veut dire : "ce qui se fait près du lit
des malades, sur le patient lui-même et non dans
23
les livres". Cela vient du grec "Kliné" qui veut
dire "lit" et "Klinein" qui veut dire "penché,
incliné".
Dans Le Larousse on trouve la définition de ce
que sont les signes cliniques. Ce sont des "signes
ou symptômes que le médecin peut percevoir par
le seul usage des cinq sens, par opposition aux
signes biochimiques, radiologiques,…"
Concernant la psychologie clinique, Le Larousse
précise que c’est une "branche de la psychologie
qui se fixe comme but l'investigation en
profondeur de la personnalité considérée comme
une singularité".
L'investigation, c'est-à-dire l'observation active,
(dont la méthode privilégiée est pour nous, des
entretiens, pour d'autres des tests et des
questionnaires) consiste à associer des conduites
concrètes,
observables
par
tous,
des
interprétations, des liaisons, des articulations,
des mises en relation. Et, au-delà, de faire des
liaisons de causes et d'effets, de dévoiler du sens,
des significations.
Analyser une conduite, une situation, un état
psychique, une émotion,... c'est les percevoir, les
décrire et, par un jeu dont nous essayons qu'il
soit subtil, faire apparaître une signification qui
n'est pas visibles pour la personne ou pour un
observateur profane.
Les règles de ce jeu peuvent être fixées de façon
standardisée ou elles peuvent être en lien avec
des théories, des doctrines.
La psychologie clinique est une observation
contextuelle. Le psychologue est lui-même dans
le contexte de la rencontre et au-delà, dans le
contexte plus large du lieu où il intervient :
hôpital, cabinet, domicile,… Le psychologue
s'articule à ce lieu d'exercice avec des objectifs
déclarés ou implicites. De même qu'il est
nécessaire qu'il s'interroge sur l'effet de sa place
dans la rencontre, il est nécessaire qu'il
réfléchisse sur le lieu d'exercice dans lequel il se
situe.
Les entretiens, basés sur une optique, une
perspective, une attitude d'accueil, permettent
aux personnes qui s'en saisissent de s'entendre,
de se raconter, de se mesurer, de se soutenir.
Je voudrais maintenant dire juste un mot sur les
théories psychiques qui essaient de formaliser
quelque chose d'extrêmement complexe : le
psychique.
Le psychologue clinicien, son titre en poche, par
son expérience, ses centres d'intérêt, son histoire,
ses rencontres et parfois en s'inscrivant dans une
démarche personnelle où il s'interroge sur sa
24
souffrance et son propre psychisme, peut se
choisir une théorie. Ce qui impliquera qu'il se
formera et cherchera toujours à le faire afin de
trouver sa pratique.
Une participante :
Dans le but d'aider le patient ? L'aider à se
dévoiler, à se découvrir, à s'extérioriser ? Votre
but réel, à la base, est d'aider le patient à puiser
en lui les forces de lutter contre sa maladie ?
Vincent Landreau :
Quelque chose comme cela, oui. On pourrait
presque dire que ce pouvoir, vous l'avez en vous,
et nous, psychologues, nous pouvons vous aider
à réveiller ce que vous avez en vous.
La participante :
En fait, votre rôle, c'est d'aider celui qui souffre
à prendre sur lui pour lutter ?
Grégory Frankel :
Je pense que nous ne sommes pas les seuls à
faire cela. Nous ne sommes pas les seuls à dire
aux personnes qui ont un malheur, un drame,
une souffrance,... de prendre sur eux. Les
médecins le font, les infirmières le font, les
aides-soignantes,… Nous, nous contribuons à le
faire, comme tous les autres.
Ce que j'ai essayé de faire, c'est de montrer une
spécificité de notre rôle. Nous sommes, bien sûr,
des soignants puisque nous travaillons dans des
établissements de santé ou en cabinet, nous
aidons. Mais quelle est notre façon de le faire,
c'est cela que j'essaie de dire.
Le thème que l'on m'a demandé de traiter est " la
prise en charge après les traitements ". Ce que
j'ai essayé de montrer, c'est ce que peuvent faire,
spécifiquement, les psychologues, quelles que
soient les théories auxquelles ils se raccordent.
Quelle est leur aide spécifique ? Comment les
psychologues peuvent soutenir et aider
quelqu'un, à leur façon ?
La prise en charge après les traitements :
Cette période, pour certains malades, est tout à
fait cruciale. Cela peut être vécu comme un
sentiment d'abandon ou de perte, comme une
sorte de désamour où se manifestent des signes
dits de dépression, où le patient se sent en
déserrance. Ce temps fait résonnance aux
annonces, aux soins, au souvenir des effets
secondaires ou d'autres choses qui se sont
passées avant. Il est la prise de conscience réelle
de ce qui est arrivé. C'est le retentissement après
coup.
Un peu comme si parce qu’il n'y avait ni
traitement, ni suivi rapproché, le cancer prenait
réellement sa place.
Anne Thiellet :
Merci
Grégory
démonstration.
C'est le moment d'une relecture qui permet de
passer d'une description à un récit. Tout d'abord
le récit de sa maladie, ensuite le récit de soi
dans la maladie et enfin le récit de soi. Ce n'est
pas un mince exercice que de passer d'une
position d'être contre à une position d'être avec.
Une position d'être, en fin de compte.
Ce dont il s'agit dans ce récit de soi, c'est
d'abord de pouvoir se défaire d'un statut, voire
d'une identité de malade, identité que je nomme
d'emprunt, se déprendre de cette identification
et mettre au premier plan un Je.
Il est temps de conclure notre rencontre.
Je remercie les intervenants.
Je voulais dire que, nous, soignants, nous
sommes là pour porter un poids de votre
souffrance, la partager, faire ce chemin
ensemble.
Ce récit passe au travers de la recherche des
causes, de leur lecture et relecture. Des causes
externes qui ont provoqué le cancer aux causes
personnelles que la personne s'attribue, causes
disons évènementielles : la retraite, une rupture,
le chômage,... pour aboutir à des causes
subjectives qui marquent la personne dans sa
singularité.
pour
cette
brillante
Notre souhait, dans le réseau Osmose, c'est que
personne ne se sente isolé, c’est que chacun ait
la possibilité de puiser dans les ressources de ce
réseau ce dont il pourra avoir besoin au moment
où il en aura besoin. C'est cela qui me semble
important : ne pas se sentir isolé, ne pas se
sentir seul et partager ce qui est vécu avec
d’autres.
Merci à tous de votre participation
Le récit de soi permet de faire de la maladie un
"interne" alimenté, abreuvé de son histoire, de
son équation, de ses désirs et de ses angoisses.
La maladie alors ne vient pas de l'étranger, elle
n'est plus externe. Ce dont il s'agit, c'est de faire
un intérieur subjectif, c'est en fait être.
Ce réaménagement de soi, ce remaniement n'est
souvent pas spectaculaire. Il n'y a pas souvent
d'évènement particulier de renversement de
l'existence.
Le récit de soi témoigne que le cancer peut,
pour
certains,
structurer
réellement,
véritablement quelque chose dans l'être et le
faire devenir ce qu'il est, c'est-à-dire ce qu'il a
toujours été sans le vouloir.
Le cancer comme une occurrence d'en découvrir
de soi, de ce que certains nomment « la vérité
de soi-même ».
Pour conclure, je voudrais vous citer l'extrait
d'une lettre d'un grand poète qui, je crois,
illustre qu'un traumatisme peut être le lieu de
fondation de soi, sous entendu le cancer est un
traumatisme :
"Nous naissons, pour ainsi dire, provisoirement
quelque part, c'est peu à peu que nous
composons le lieu de notre origine pour y naître
après
coup
et
chaque
jour
plus
définitivement" (Rainer Maria Rilke)
25
Osmose
Réseau de prise en charge
de personnes touchées par le cancer
et/ou
de personnes âgées dépendantes
et/ou
de personnes nécessitant des soins palliatifs
dans le sud des Hauts-de-Seine
Osmose
s'adresse :
- aux patients
- à leur entourage
- aux professionnels et institutions de santé
pour :
- permettre une prise en charge de proximité adaptée aux besoins des personnes
s'étend sur :
- les 14 communes du territoire de santé 92-1
Osmose
20, avenue Edouard Herriot - Immeuble le Carnot - Hall 9
92350 Le Plessis Robinson
26

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