Le contrarié - maseratitude

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Le contrarié - maseratitude
Le contrarié
Comme il y a des gauchers contrariés, il y a des passionnés
d'automobiles contrariés et constrits, mais pas de Maseratistes contrariés, ils
ne tiennent pas longtemps, la pression du trident est trop forte et ça pique au
coeur ! Tout ceci mérite quelques éclaircissements, la personnalité et l'histoire
de Bruno seront idéales pour vous les fournir.
Bruno a toujours aimé les autos, et quand je dis "aimé", cela est bien
léger voire insipide pour signifier ses sentiments : il les a toujours appréciées,
désirées, caressées du regard. Il a toujours été ému par le moindre moteur,
même celui d'une tondeuse à gazon ou d'un solex, ainsi vous imaginez
l'exaltation chez lui procurée par un V 8 ou un majestueux V 12 !
Mais alors pourquoi n'a t-il pas travaillé dans l'automobile si elle était
pour lui une telle source de jouissance ? Intuitivement mais assez clairement,
il lui avait semblé dans son jeune temps et il lui semble toujours d'ailleurs qu'il
devait faire de sa vie quelque chose de plus important et utile, de moins
centré sur lui-même et son plaisir, de plus tourné vers les autres, au service
de ces autres, loin de la futilité et du luxe qui caractérisent tout de même la
partie la plus ludique et émotionnelle de la production automobile, qu'il devait
en quelque sorte se priver quelque part pour ne risquer de perdre un équilibre
global. Il n'hésita pas le moins du monde et suivit son intuition. Son éducation
catholique et sa foi réelle l'ont sans doute orienté et aidé à se tourner vers ce
choix du détachement matériel et de l'altruisme : il devint médecin et
chirurgien.
Il maintint assez bien le cap. Durant ses études, il ne s'autorisait l'achat
d'une revue automobile qu'après les examens de juin et à Noël car il savait
cette simple lecture non anodine pour lui, perturbante et pouvant le distraire
de sa vocation. Heureusement, il était tout autant passionné par la médecine,
et plus tard encore plus par la chirurgie, que par les voitures. Il était en fait
passionné par bien des choses et de façon trop excessive, c'était sa nature
exaltée. Mais le sachant, il s'efforça toute sa vie de restreindre ses passions
afin qu'il lui reste, après un travail fort prenant, un peu de temps pour sa
famille et son sommeil. Parmi tous ses coups de coeur et à l'exclusion de
ceux purement professionnels ou amoureux, on peut citer pêle-mêle : le
piano, Mozart mais aussi Gainsbourg (quand ce n'était pas encore à la
mode), le ski alpin, Puccini et Steeve McQueen, les mathématiques, la
plongée sous-marine, Jean Paul II, les Kawasaki, la littérature russe,
l'équitation, Padre Pio, les bateaux de plaisance à moteur, les poètes
parnassiens, le tennis, Chopin et Bjorn Borg, les films d'Humphrey Bogart et
Lauren Bacall, Pavarotti, les peintres impressionnistes... j'en oublie
certainement mais tout de même, au dessus de tous ces élans désordonnés
et fort puissants, l'attrait pour l'automobile aurait tout avalé s'il ne l'avait
fermement muselé. Était-ce ses origines italiennes ? Probablement oui,
malgré ses efforts jamais il ne put détacher son regard d'une Ferrari passant
dans la rue jusqu'à ce qu'elle disparaisse de son champ de vision.
Heureusement qu'elles étaient rares ! Il se serait dévissé le cou à ainsi les
suivre des yeux. Heureusement aussi qu'il travaillait beaucoup à l'hôpital et à
la faculté de médecine ! Son temps était accaparé, au delà du raisonnable
d'ailleurs, et ses multiples passions asphyxiées faute d'entretien. Elles
sommeillaient et il savait parfaitement qu'il valait mieux pour lui, son épouse,
ses enfants et ses patients les laisser ainsi en léthargie.
Sa situation matérielle s'améliorant progressivement, il ne put résister à
la tentation de se gratifier d'une BMW série 5 motorsport d'occasion pour fêter
à la fois ses 30 ans et sa promotion au rang universitaire de chef de clinique.
Hormis cet écart, il resta raisonnable un long moment. Vers 2006, à la lecture
des livres de Nicolas Hulot et du fait de la masse d'information surgissant de
toute part sur les gaz à effet de serre, il épousa un temps la cause
écologique, d'ailleurs tout à fait en adéquation avec l'esprit de modération et
de prise en considération du bien commun prôné par l'Évangile. Pourtant,
Bruno pestait contre le fait qu'au moment même où sa situation financière
faisant un bon en avant, autorisant enfin l'achat de voitures dont il rêvait
depuis 20 ans et plus, il devenait amoral pour la planète de s'offrir un tel objet
polluant : "quel manque de bol ! Au moment même où je le pourrais, je n'en ai
plus éthiquement le droit."
Comme de nombreux passionnés d'automobile ayant une sensibilité
écologique, il se tourna alors vers le beau site "moteur nature" traitant des
voitures propres, électriques ou tout au moins hybrides, et ...il se passionna
pour ces nouveaux modes de propulsion. Attention, quand Bruno se
passionnait, cela voulait dire qu'il lisait tout, absolument tout ce qui concernait
le sujet. Ainsi la voiture électrique suivit-elle la période Jean-Paul II qui avait
elle-même suivi la période Gainsbourg qui avait suivi la période équitation !
Ne cherchez surtout pas la logique intime de cette succession de coups de
cœur, ça dépasse l'entendement et sa femme suivait ce parcours chaotique
avec une perplexité navrée tout en se demandant qu'elle allait bien être la
prochaine lubie de son mari. Au moins savait-elle toujours quoi lui offrir pour
son anniversaire en étant certaine de lui faire plaisir ! En 2007, les rejets de
CO2 étaient devenus intolérables à Bruno et il avait presque réussi à écarter
et même chasser au loin sa plus vieille et profonde passion pour les moteurs
à explosion. Il était presque rangé des voitures thermiques et attendait avec
impatience la sortie d'une auto électrique pour l'acheter et faire partie des
pionniers de ce mode de propulsion, ce qui le ramenait aux balbutiements de
l'industrie automobile du début du XXième siècle. Ainsi, sur les forums
internet, quelques illuminés électrisés relataient leurs expériences inouïes
telles la traversée de Lyon en une seule étape sans recharger les batteries
avec une Peugeot 106 électrique ou des records d'autonomie en Toyota Prius
ou encore l'ascension du col de la Bonette dans l'arrière-pays niçois, la plus
haute route d'Europe à 2800 mètres d'altitude, à bord d'un Renault Kangoo
électrique avec prolongateur thermique d'autonomie ( exaltants les 35 km/h à
fond en montée possibles pendant 25 km sans recharger comme avec une
auto thermique de 1905 !). Il avait même fini par trouver des autos électriques
belles et désirables (c'est rare mais ça existe) telles laTesla et surtout la
Fisker Karma (hybride série c'est à dire un moteur thermique rechargeant les
batteries qui assurent la propulsion uniquement électrique) très inspirée de la
ligne de la Maserati GranTurismo.
En bref, si il n'avait éliminé totalement le plaisir automobile, Bruno avait
bel et bien renoncé aux moteurs à combustion interne qu'il avait tant aimés.
Cette capacité de renoncement et de sacrifice que l'écologie exige de
l'homme nouveau correspondait bien à sa foi catholique et, arrivé à l'âge de
45 ans, il avait désormais suffisamment d'expérience de la vie, de la maladie,
de la souffrance pour avoir pu observer maintes fois que, étrangement, des
renoncements personnels ou du fait d'autrui correspondaient assez bien avec
la survenue d'évènements positifs et souhaitables que l'on pourrait nommer
des grâces, inattendues et improbables, échappant à la stricte logique
humaine ou médicale, apparues au profit de sa famille, de son entourage, de
ses patients et, doit-il l'admettre, de lui-même. Y avait-il dans ces faits preuve
de l'existence de quoi que ce soit de transcendant à l'homme ? Certainement
pas. A chaque fois, l'évènement s'arrêtait juste à la limite de la preuve, la
coïncidence ou le hasard pouvant toujours être invoqués. Seule la répétition
de tels arrêts pile aux confins de l'entendement humain était étrange et aurait
pu constituer un début d'argument. A tant de reprises, un seul pas de plus et
la foi aurait disparu au profit de l'évidence scientifique, mais elle restait
mystérieusement la foi.
Que se passa-t-il alors pour faire redescendre Bruno de ce piédestal
évolutionniste ? Un évènement au premier abord anodin. Son fils atteignait
les 16 ans et allait commencer la conduite accompagnée. Or, ils n'avaient à
leur foyer à ce moment que des voitures automatiques. Aucune boîte
manuelle pour apprendre à passer les vitesses. Il fallait bien que le petit jeune
fasse son expérience ! Bruno et son fils se mirent donc à la recherche sur
internet d'une auto d'occasion à boîte manuelle. Plus exactement, le fils
montra au père ces merveilleux sites que sont ebay, la centrale, autoscout ou
le bon coin et ils repérèrent pour un prix modique une fort sympathique Alfa
Romeo 155 de 1750 cc avec double arbre à cames en tête, double allumage
(twin spark), 140 cv bien présents et un volant en bois véritable absolument
jouissif. Bruno la prit pour son fils en pensant sincèrement que c'était la
dernière fois de sa vie qu'il achetait une voiture à moteur thermique.
Crak boum hue!
Le son métallique de l'Alfa, aïe, aïe, aïe ! Ces moments inoubliables d'intimité
mécanique avec son fils ! Qu'il fut heureux de les vivre ! Qu'il est heureux de
se les remémorer ! C'était quand même bon un tel moteur, vivace, "cuore
sportivo", "elastico" comme disent les italiens c'est à dire avec une capacité
géniale à reprendre à bas régime, idéal pour un conducteur débutant
d'ailleurs. Dommage pour le CO2 !
"Au fait, n'y a t il pas des scientifiques qui contestent le rôle de l'homme dans
l'augmentation du C02 ? Non ? Non, pas de vrais scientifiques ? Ha bon, tant
pis !"
Enfin bref, le ver était dans le fruit de l'écologie. En cherchant l'Alfa,
Bruno était tombé sur des annonces Maserati. Étudiant, il avait fort aimé la
Biturbo qui était sortie en 1981, l'année de son bac. Elle et ses soeurs plus
récentes étaient pour ainsi dire données en 2008. Il fouilla un peu plus sur
internet malgré une petite voix qui lui disait que cela ne servait à rien, qu'il y
avait sûrement mieux à faire, et tomba sur des merveilles dont certaines lui
étaient totalement inconnues, telle la ghibli II avec son allure méchante, et
d'autres une seule fois déjà aperçues dans la rue, telle l'ahurissante Shamal
qui avait étrenné le V 8 biturbo.
Les dés étaient jetés, rien n'allait plus. Oublié le CO2, la passion
suivante avait débuté, tenace, malgré une petite conscience au début qui
s'efforçait de le dissuader : "pense au C02, tu nuis à la planète, ce sont
encore les africains qui ne polluent pas qui pâtissent le plus du réchauffement
et des diminutions de précipitations" . Si, c'est bien connu, le diable s'habille
en Prada, il roule en Maserati et pique de son trident :
"allez, tu le mérites bien, paye t-en une ! Regarde ce que tu bosses,
tout ce que tu donnes aux autres, toute cette attention, cette habileté. T'en a
bien mérité une !"
Mais sa petite conscience faisait de la résistance : "ne sois pas bête, la
moitié de l'humanité crève de faim et toi tu rêves de te payer une Maserati
avec l'argent de la maladie des gens, c'est nul ! Quel exemple pour tes
enfants ! Fais plutôt un don à Action Contre la Faim !"
Et puis deux confrères à la clinique avaient sauté le pas, eux, sans se
poser de questions et lui montraient avec délectation leur plus récentes
conquêtes : l'un, une 3200 GT noire cuir cognac et l'autre, une 4200 GT
Cambio Corsa tout aussi noire mais cuir gris. Aucun autre objet matériel ne lui
aurait fait davantage plaisir, mais Bruno résistait, il parvenait à renoncer à
l'achat mais pas à la lecture de tout ce qui concernait Maserati, situation
difficilement tenable. Et comme d'habitude, il lut tout sur le sujet au point de
pouvoir passer un doctorat en la matière ! Il y eut ainsi une année Maserati
comme il y a des années saintes ! Et que découvrit-il sur internet cette
année-là, une semaine avant son anniversaire ? Un de ses patients vendait à
deux pas de chez lui une Ghibli II de 1992 sous la côte au prix d'une Dacia
neuve. Sa femme lui dit qu'il ne pouvait pas laisser passer cette chance et
qu'il devait l'acheter mais il renonça en acte de contrition. Alors, elle saisit le
téléphone et prit rendez-vous pour le lendemain, un dimanche, à l'heure de la
messe. Son fils, jamais à cours d'argument, lui fit remarquer que, si il
l'achetait, il ferait quelque chose de bien pour l'écologie en la retirant d'une
certaine façon de la circulation car la Maserati roulerait moins qu'entre
d'autres mains. Cependant, dans la nuit, Bruno décida d'annuler le
rendez-vous dès le lendemain matin et d'aller à la messe. Le dimanche matin,
sa femme et son fils l'en dissuadèrent et l'encadrèrent, chacun d'un côté pour
aller essayer la Ghibli. Dès qu'il la vit, la messe était dite. Dès qu'il entendit le
moteur, il était vendu. Dès qu'il la conduisit, il oublia tout le reste.
Elle fut sa première Maserati et il sut immédiatement qu'elle ne serait
pas la dernière. Bien sûr, elle méritait une restauration qu'il mena avec
minutie et amour et qui l'amena à fréquenter des gens extraordinaires : des
mécaniciens, des carrossiers. Quels métiers magiques ! Qu'elle gratitude
ressentait-il lui, le chirurgien, envers eux qui guérissaient ses chères Maserati.
Il eut l'occasion de mettre la main à la pâte et les sollicita pour travailler avec
eux sur ses voitures. "ça alors, le docteur s'allonge sous la voiture, c'est la
première fois que l'on voit ça !" Il put mesurer leur intelligence vive, leur
adresse, leur débrouillardise. Ils lui apprirent à réaliser une soudure, à
changer des disques usés et des plaquettes de frein sans oublier de les
chanfreiner, à remplacer un radiateur d'huile, à vidanger un différentiel, à
changer une courroie de distribution. Il prenait auprès d'eux des cours de
mécanique comme certains prennent des cours de cuisine et de plus,
exclusivement sur ses Maserati personnelles qu'il connaissait ainsi sous un
jour inhabituel à bien des propriétaires. Cette sensation plus tard en
conduisant ses voitures, de visualiser et d'imaginer à tout instant les réactions
et le travail de la moindre pièce, était pleine et totale. C'était exactement ce
que devait percevoir un pilote de course ayant auparavant démonté et réglé
lui-même son bolide et Bruno ne remerciera jamais assez messieurs Felix
père et fils à Fréjus ainsi que les frères Giudici à St Raphaël de lui avoir
permis de plonger dans les entrailles de ses machines. Trouver des pièces de
rechange anciennes l'amena à rentrer en contact avec des personnalités
charmantes, passionnées par le trident, dévouées et honnêtes, tel Marcello
Candini à Modène dont le garage est spécialisé dans l'entretien des Maserati
et qui dispose d'un stock important de "ricambi"(pièces détachées) d'époque
qu'il expédie de partout à un prix très raisonnable. Son père, Giuseppe, avait
été l'un des mécaniciens de formule 1 du grand Juan-Manuel Fangio quand
celui-ci avait remporté son 5ième et dernier titre de champion du monde en
1957 au volant de la fabuleuse Maserati 250 F. Par la suite, après le retrait de
Maserati de la compétition, Giuseppe créa son garage à Modène et se
consacra toute sa vie jusqu'à nos jours à l'entretien et la réparation des
Maserati. Son fils Marcello a repris le flambeau mais le vieux Giuseppe est
toujours là, non avare de conseils, fruits de 55 ans d'expérience.
Sans Maserati, Bruno n'aurait pu rencontrer ces êtres attachants.
Pourtant, il restait convaincu des bienfaits d'une certaine capacité de
renoncement, d'une autocontrainte et, durant toute sa vie, parfois vainement
mais souvent avec succès et maîtrise, il s'efforça d'appuyer sur le frein de ses
multiples passions parmi lesquelles les Maserati occupèrent une place de
choix.
Changement de la courroie de distribution et de la pompe à eau sur un V6 18 soupapes de
430, nécessitant la dépose des durites d'air comprimé

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