Répercussions sécuritaires de la guerre en Libye sur la

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Répercussions sécuritaires de la guerre en Libye sur la
INTERVENTION BRUXELLES 16/02/2012
JACQUES HOGARD
Répercussions sécuritaires de la guerre en Libye sur la zone Maghreb-Sahel
1/ Evolution des risques et des menaces au Sahel et au Maghreb après la chute de Kadhafi
2/ Impact de ces risques et menaces sur la politique des Etats de la région
3/ Obstacles à l’efficacité de la lutte contre les groupes terroristes
INTRODUCTION
Les évènements majeurs qui se sont déroulés depuis un an en Afrique du Nord – en particulier
en Libye - ne sont évidemment pas sans conséquence sur les pays africains voisins du
Maghreb et du Machrek, et je dirai même sur l’ensemble de l’Afrique.
La guerre en Libye et la chute de Kadhafi ont considérablement fait évoluer la nature et
l’ampleur des risques et des menaces dans toute la région maghrébo-sahélienne.
Je crois d’ailleurs que rompant avec l’ancienne tradition que l’on retrouve bien vivace
jusqu’au sein de nos Administrations, l’époque est révolue où l’on pouvait traiter séparément
des problèmes de l’Afrique du Nord - rattachée au Proche et au Moyen Orient, et des
problèmes du Sahel et de l’Afrique subsaharienne.
La nécessité oblige à considérer aujourd’hui comme un tout complexe l’ensemble maghrébosahélien tant sont aujourd’hui nombreuses les interdépendances entre l’Afrique du Nord et le
Sahel.
On peut dire sans exagérer que c’est une véritable onde de choc qui est partie depuis la
Tunisie vers l’Egypte puis vers la Libye, et maintenant en direction des pays du Sahel.
Onde de choc dont on ne connaît pas encore bien à ce jour la totalité des effets, même si
certains étaient, à l’évidence, prévisibles.
Il se pourrait bien en effet que le vent des révolutions arabes, que le vent venu de Libye en
effet souffle demain sur les pays africains, les plus voisins comme les plus éloignés, en
particulier ceux dont les régimes peuvent parfois sembler un peu « vieillissants » et
inadaptés :
En clair, une certaine « contagion » n’est pas à exclure.
I. Evolution des risques et des menaces au Sahel et au Maghreb après la
chute de Kadhafi
Elle est très importante et elle peut se résumer ainsi.
En tant que conséquences directes de la guerre en Libye et du renversement du régime
Kadhafi :
1/ La dissémination des armes et des munitions :
Ce sont de très importants stocks d’armes légères et lourdes (mitrailleuses, mortiers, lancegrenades… jusqu’à des missiles anti-chars et anti-aériens, on parle de plus de 10 000 !) de
munitions et d’explosifs, qui ont « disparu » des arsenaux de l’armée libyenne et que l’on
retrouve déjà au Sud.
Ainsi, en juin 2011, 600 kg d’explosif Semtex étaient par exemple saisis par les forces de
sécurité nigériennes lors de l’interception d’une colonne d’AQMI à la frontière nord du Niger.
Des étuis de missiles SA ont été retrouvés par ailleurs en forêt de Ouagadou au Nord Mali…
Cette dissémination, réelle et très importante, est évidemment une aubaine pour toutes les
formes de terrorisme maffieux et de banditisme terroriste, et favorise le retour sur la scène des
mouvements armés, ainsi que la recrudescence des trafics qui constituent les principales
caractéristiques de cette immense zone grise.
Préoccupés par la menace que constitue ce trafic d’armes (disponibles en grande quantité et à
des prix « raisonnables ») en provenance de Libye, les quatre pays de la sous-région sahélosaharienne (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie) ont récemment décidé de procéder à
l’installation d’une cellule qui aura pour mission de « suivre le dossier des armes introduites
de Libye vers les pays du Sahel et l’échange d’informations sur les quantités d’armes
parvenues à chacun des quatre pays ».
2 / Les mouvements de population dans la zone :
Notamment le retour au pays des Touaregs maliens et nigériens, mais aussi des Tchadiens
qui vivaient, travaillaient en Libye dont bien sûr ceux qui y servaient dans les forces armées
du Guide libyen.
On parle de 260 000 personnes au Niger, de 80 000 au Tchad…
3/ La reprise de la lutte armée des Touaregs au Nord Mali :
Ainsi la soudaine apparition sur le devant de la scène du MNLA : mouvement national de
libération de l’Azawad, regroupant les anciens MNA (mouvement national de l’Azawad),
MTM (mouvement touareg malien) et ADC (alliance pour le changement et la démocratie)
qui vient de faire parler de lui en attaquant des localités comme Aguelhok, Menaka, Tessalit,
Tinzawaten et maintenant Kidal.
Le MNLA est dirigé par Mohamed Ag Najim, ex-colonel de l’armée libyenne et dispose de
1500 à 2000 combattants bien équipés, agissant désormais dans la zone d’action traditionnelle
d’AQMI.
Ceci est une vraie menace pour la sécurité de la zone et n’inquiète pas seulement les autorités
maliennes mais aussi celles des pays proches, à commencer par l’Algérie, le Niger et la
Mauritanie.
4/ AQMI et le renforcement des connexions inter terroristes des shebbabs somaliens à
AQMI via Boko Haram.
Si l’émergence de cette dernière n’est pas liée à la situation libyenne, elle ne peut en tout cas
que profiter de la déstabilisation régionale que la chute de Kadhafi a provoquée. Boko Haram
inquiète tout particulièrement le président Issoufou au Niger qui craint non sans raisons que le
sud du pays ne reste pas longtemps hermétique à la présence, à l’influence, et à l’activité de la
secte.
Des attentats auraient été en préparation dans les villes de DIFFA (en bordure immédiate du
Nigeria et MARADI par des présumés Boko Haram. La police aurait interpellé un individu à
CHETIMARI à 25Km ouest de Diffa, le 25/12/2012. Chez lui aurait été retrouvé des cocktails
molotovs, du poison, du matériel pour confectionner des explosifs (bombes artisanales
incendiaires). Selon ses déclarations, ce matériel aurait été confectionné en vu de commettre
des attentats à Diffa et Maridi en février de cette année. Les cibles auraient été des bâtiments
gouvernementaux, notamment une centrale électrique, la prison civile de Diffa ainsi que des
éléments des Forces de Défense et de Sécurité.
On sait aujourd’hui que des connexions sont établies entre AQMI et Boko Haram, de même
qu’entre Boko Haram et les Schebbabs somaliens. Nous voilà par conséquent devant une
menace qui se structure de manière inquiétante car on voit bien qu’elle prend une dimension
bien autre que locale.
II. Impact de ces risques et menaces sur la politique des Etats de la région
Ces risques et menaces ont des impacts de type bien différents mais qui tous jouent en faveur
de l’aggravation de la situation dans l’ensemble maghrébo - sahélien :
1/ Le risque d’instabilité politique et de déstabilisation générale :
- la victoire de l’ « Islam politique », et notamment les élections qui viennent de se
tenir au Maghreb et en Egypte ont consacré des partis musulmans parmi les plus
radicaux et – simultanément - la défaite des partis libéraux laïcs, moins puissants,
moins organisés et moins populaire que les islamistes : en Tunisie (Ennadha), en
Egypte (les Frères Musulmans, et au Maroc
Or on peut d’ores et déjà constater, en Egypte comme en Tunisie, la résurgence de
raves violences inter - religieuses, inter - communautés, de graves menaces vis-à-vis
de telle ou telle minorité, qui ne constituent pas - en tant que telles - des progrès pour
les droits de l’homme, la dignité humaine, et pour la démocratie.
Il ne faudrait pas non plus que ces évènements soient l’occasion pour AQMI, le fléau
du Sahel, de se renforcer et d’étendre son influence hors de son champ actuel, déjà par
trop important.
Selon l’expression récente d’un journaliste français, toujours friand certes de ce type
de formule un peu lapidaire : il ne faudrait donc pas que « Le printemps arabe
conduise à l’hiver islamiste ».
- Le cas particulier -et inquiétant- de l’Algérie,
Le calme qui règne en Algérie (relatif d’ailleurs selon les régions et les quartiers des
grandes villes) fait encore illusion et ne suscite guère de commentaires dans la presse
européenne et occidentale en général.
Et pourtant… la crise politique aiguë, les troubles, les manifestations et les grèves qui
l’ont agitée régulièrement ces dernières années, et l’insécurité latente dans de
nombreuses régions (hors les zones d’exploitation pétrolières et gazières, étroitement
surveillées et gardées) méritent d’être suivis et analysés avec attention. Ils révèlent que
tous les ingrédients sont réunis pour une possible - certains diraient probable explosion prochaine…
Les facteurs en sont connus : pouvoir autocratique - certains disent même dictatorial du président Bouteflika, qui s’est aménagé une quasi présidence à vie en modifiant la
Constitution en 2008 (par un vote à main levée après avoir triplé le salaire des
députés) ; sclérose des institutions et du personnel politique, corruption généralisée,
pillage des ressources naturelles – pourtant immenses – au profit d’une nomenklatura
militaro - civile refermée sur elle-même jusqu’à l’autisme ; mainmise de groupes
mafieux sur les circuits d’importation ; augmentation et généralisation de la pauvreté
aggravée par une hausse régulière, et parfois brutale (jusqu’à +70% en janvier 2011)
des prix des produits de base comme le sucre, l’huile et la farine, amplifiée par la
limitation des importations et le rétablissement des taxes douanières sur plusieurs
produits européens.
Seules les recettes tirées des ventes de gaz à l’exportation (600 milliards depuis
l’arrivée au pouvoir de Bouteflika en 1999…) ont, jusqu’à présent, permis de « réduire
la contestation » et de gagner du temps.
Ainsi, la situation qui se dessine en Algérie est des plus inquiétantes pour la zone
maghrébo-sahélienne.
D’abord, parce que les élites algériennes sont considérés comme les plus
« autoritaires » du Maghreb en matière de gestion de l’ordre et de répression sociale.
Ensuite, parce que les militaires algériens contrôlent des ressources stratégiques de
première importance.
Une explosion sociale et politique dans ce pays aurait incontestablement des
conséquences majeures pour l’ensemble des pays de la région.
Il faudra peut-être attendre les élections législatives de mai 2012 pour connaître le
poids réel et la popularité des « islamo - conservateurs » du Mouvement de la Société
pour la paix (MSP), qui ont pourtant des ministres au gouvernement depuis plus de dix
ans.
Sans attendre, le président Bouteflika qui craint sans doute une explosion sociale
généralisée, pourrait être tenté - s’il ne l’est pas déjà, de s’associer à ses adversaires
pour « durer » ; ainsi vient il d’accorder récemment l’amnistie à plusieurs milliers (de
l’ordre de 4 000 à 8 000, selon les sources) d’islamistes emprisonnés…
2/ La nouvelle situation libyenne maintenant :
Après six mois de guerre civile et avant de pouvoir se doter d’un autre modèle de société que
celui qu’elle a connu pendant quarante ans (corruption, népotisme, clientélisme…), la Libye
se trouve, en décembre 2011, face à des défis considérables en termes de sécurité et de
stabilité : réconcilier les différentes composantes du pays en neutralisant la logique des
rapports de force, désarmer les milices ou les intégrer dans les forces de sécurité libyennes,
remettre en service les principaux services publics là où ils sont encore fermés
(principalement en Tripolitaine), contrôler et sécuriser les frontières (face notamment à
AQMI), redistribuer la rente pétrolière de façon équitable parmi la nation (70% du pétrole se
trouvent à l’est du pays, en Cyrénaïque, 80% de la population se trouvent à l’ouest, en
Tripolitaine).
Les échéances pour relever ces défis sont liées au calendrier électoral : avant juin 2012, une
assemblée constituante devra être élue ; elle aura six mois pour élaborer une constitution et
rédiger des lois. Avant la fin du premier semestre 2013, un parlement et un président devront
être en place et un gouvernement devra être formé.
Si des élections étaient organisées aujourd’hui, il est possible d’imaginer que la mouvance
islamiste libyenne l’emporterait. Celle-ci est dominée par l’équivalent libyen des Frères
musulmans et il semble évident que les récentes victoires islamistes en Egypte, en Tunisie et
au Maroc ont renforcé leur propre influence sur la scène politique libyenne. Les salafistes sont
minoritaires en Libye et la présence forte des Frères musulmans devrait empêcher l’expansion
de cette mouvance.
Les tribus même si certains observateurs occidentaux leur donnent à tord moins de poids,
constituent comme une sorte d’épée de Damoclès pour le CNT très technocratique et pèsent
plus que jamais, aujourd’hui comme hier, dans la politique libyenne et c’est une course pour
le pouvoir complexe mais bien réelle qui se déroule aujourd’hui notamment pour Tripoli,
Misrata, Zenten, et Benghazi, et il est certain que celui qui contrôlerait ces quatre villes
s’assurerait un avantage décisif dans la course au pouvoir.
Mais il semble également certain que ceux qui contrôleront la rente pétrolière seront ceux qui
contrôleront le pays. Le nouveau modèle politique libyen – qui reste à naître - devra permettre
une juste répartition de la rente pétrolière ainsi que des mécanismes de contrôle pour s’assurer
que celle-ci ne soit pas monopolisée par une petite élite. A court terme, quels Libyens seront
autorisés à récupérer les 170 milliards de dollars bloqués sur des comptes bancaires à
l’étranger ?
Actuellement, l’armée en tant que telle n’existant plus, ce sont les milices qui occupent une
partie du territoire et le risque existe de voir les nouvelles autorités libyennes limiter leur
contrôle à la côte, aux villes et aux zones de production pétrolière, abandonnant de fait le
Grand Sud aux trafiquants, aux bandits, aux mercenaires, aux Touaregs en rupture de bans et
à AQMI.
Les tribus restent une organisation sociale sans réelle traduction politique et aucune d’elles
n’est en mesure d’exercer une véritable influence sur la vie politique locale.
Les réserves de pétrole sont estimées à une vingtaine d’années, soit 43 milliards de barils. Des
caches d’armes sont encore régulièrement découvertes par le CNT dans le Sud du pays. Il est
probable qu’AQMI en découvre également.
Sur le plan régional, les relations de la Libye sont excellentes avec son voisin tunisien, à qui
ils savent gré d’avoir accueilli plusieurs centaines de milliers de réfugiés pendant la guerre
civile. Les relations sont bonnes avec le Maroc, qui est perçu comme un allié utile pour
contrebalancer les tentatives algériennes de marginaliser les nouvelles autorités libyennes. Les
relations sont également correctes avec le Soudan et le Tchad. Les relations avec l’Egypte
sont complexes, mais elles seraient bien sûr facilitées si les Frères musulmans étaient amenés
à diriger la Libye ! Elles sont délicates également avec le Niger, à qui il est reproché d’avoir
soutenu l’ancien régime et d’avoir accueilli l’un des fils de Kadhafi.
S’agissant des relations avec le Niger, en plus de la question sécuritaire liée au retour des
Touaregs nigériens qui avaient combattu aux côtés de Kadhafi, ce seraient plus de 260 000
travailleurs Nigériens qui seraient rentrés de Libye ; ils représentent pour Niamey et le
Président Issoufou et son gouvernement , d’une part un manque à gagner pour les familles qui
recevaient une manne financière, et d’autre part, une aggravation de la famine qui sévit au
Sahel avec nombre de bouches nouvelles à nourrir. Depuis le 1er novembre dernier, quelques
3 500 migrants sont toutefois retournés en Libye par le poste frontière de Dirkou au Nord-Est
du Niger. Ce sont majoritairement des jeunes Nigériens qui, prêts à braver les dangers du
désert pour fuir la famine et l’insécurité, espèrent retrouver leur travail en Libye, persuadés
que la guerre est terminée et que les exactions anti-Noirs ont cessé.
Les relations sont tendues avec les Algériens, à qui les Libyens reprochent, d’abord, leur
attitude pendant la guerre civile, mais surtout de souhaiter l’échec du nouveau pouvoir à
Tripoli qui leur permettrait d’évincer un concurrent pétrolier, et surtout de voir renforcé et
justifié son rôle de « gendarme du Sahel ». Il semble raisonnable de considérer que la
nouvelle Libye ne sera plus tournée vers l’Afrique, comme l’était celle de Kadhafi, mais
plutôt vers le monde arabe et musulman. Cependant, les Libyens, tout en acceptant le soutien
financier et matériel provenant de Doha et d’Abu Dhabi, ne sont pas dupes de la stratégie
visant à faire de leur pays un relais d’influences des pays du Golfe persique.
Au plan élargi, les relations sont excellentes avec la Turquie, ainsi qu’avec l’Europe, au sein
de laquelle la France serait perçue comme un partenaire parmi d’autres pour accompagner la
transformation et la modernisation du pays. En revanche, les nouvelles autorités libyennes
reprochent à la Russie et à la Chine d’avoir soutenu l’ancien régime. Mais si les firmes
chinoises se stabilisent néanmoins dans la Libye d’aujourd’hui, les Russes semblent, quant à
eux, avoir perdu un marché qui leur fut longtemps acquis.
3/ La dégradation de la situation économique et sociale, la montée du chômage et
l’insatisfaction de la jeunesse :
Ce sont des enjeux réels : il n’y a pas d’économie prospère, d’améliorations sociales sans une
sécurité et une stabilité préalables.
La dégradation de la situation sécuritaire affecte le développement et la stabilité à long terme.
Elle freine la croissance économique, freine la mise en œuvre des actions de coopération,
limite l’acheminement de l’aide humanitaire, interdit l’activité touristique considérée comme
une source importante de revenus sinon la principale, fragilisant ainsi le sort des populations
et les rendant d’autant plus vulnérables aux actions terroristes et maffieuses.
A une situation économique déjà mauvaise, il faut maintenant rajouter la menace de la famine
au Sahel : malgré les efforts de la communauté internationale, notamment de l’Union
Européenne qui a prévu de consacrer 105 millions d’€ à l’aide au Sahel en 2012, là aussi, on
ne peut lutter efficacement contre ce fléau que si la sécurité et la stabilité sont assurées.
3/ Obstacles à l’efficacité de la lutte contre les groupes terroristes
Le terrorisme et la criminalité se nourrissent de deux faiblesses structurelles :
- l’absence ou la faiblesse de l’Etat ;
- le faible niveau de vie.
C’est donc sur ces deux axes qu’il agir résolument avec détermination et en concertation
régionale – adossée à une coopération internationale effective.
Les obstacles sont nombreux :
On peut bien sûr citer le manque de moyens, notamment militaires, en matière d’acquisition
du renseignement, de mobilité et d’action…dans un espace immense, caractérisé par la
fluidité des mouvements en tous sens et l’aspect très théorique des frontières étatiques.
Mais il faudrait surtout et d’abord :
Partager une vision d’ensemble d’abord, ou comment faire émerger une réelle politique
régionale de coopération et de lutte anti terroriste, qui ne concernent pas seulement l’Algérie,
la Mauritanie, le Mali et le Niger, mais aussi les autres Etats concernés :
- le Maroc et le règlement de la question du Polisario et du Sahara occidental
- le Burkina Faso et son rôle de plaque tournante régionale dont l’action se prolonge
jusqu’à Dakar, Abidjan et au delà
- le Tchad et les confins libyens
- la Libye, puissant acteur régional de déstabilisation
- la Tunisie.
Le CEMOC (comité d’état-major opérationnel conjoint) : Algérie, Mauritanie, Mali et Niger
(créé en avril 2010) : a un rôle encore très incertain et embryonnaire. Sont en cause :
- la détermination des Etats directement impliqués
- l’absence des autres Etats concernés : la Libye, le Tchad, le Burkina Faso…
- l’appui et le soutien des puissances occidentales : la nécessité d’une stratégie globale
Certes il y a eu des initiatives étrangères.
On peut bien sûr citer le Plan Sahel français :
- Point fort : la Mauritanie, avec la formation par le COS à Atar des groupements
spéciaux d’intervention, autrement dit des forces spéciales mauritaniennes, dont la
montée en puissance est très satisfaisante ;
- Bien sûr il y a le maillon faible : le Mali, dont on vient de mesurer le manque de
solidité face à la recrudescence des enlèvements en fin d’année 2011 et la reprise des
activités armées de la rébellion touarègue ;
- Le Niger, qui sous la conduite de son président démocratiquement élu, Mahamadou
Issoufou, et de son premier ministre, le très respecté touareg Brigi Raffini, surveille
avec inquiétude des frontières nord ouest et nord est, et maintenant sud…
Il faut aussi citer bien sûr la Stratégie Européenne pour la Sécurité et le Développement au
Sahel (Mauritanie, Mali, Niger) qui a pour objectif d’aider ces pays à assurer leur sécurité afin
de permettre la croissance de leurs économies et la réduction progressive de la pauvreté à
travers 4 axes stratégiques :
- développement, bonne gouvernance et règlement des conflits internes ;
- politique et diplomatie ;
- sécurité et Etat de droit ;
- prévention et lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation.
Mais il n’en reste pas moins que nous sommes encore bien loin du compte et qu’une véritable
coopération régionale et internationale reste à concevoir et à mettre en œuvre.
CONCLUSION
La situation de l’espace saharo - sahélien était déjà critique il y a un an avec l’effet AQMI qui
se superposait, tout en les renforçant, aux trafics en tous genres s’y développant de façon
régulière.
A cela sont venus s’ajouter au cours de l’année 2011 le « printemps arabe » et la guerre en
Libye.
Aux conséquences immédiates, avec l’apparition de stocks d’armes et le retour de Libye de
milliers de combattants nigériens et maliens, il faut prévoir d’ajouter de possibles
conséquences plus ou moins lointaines, telle que la tentation pour AQMI, actuellement
cantonnée dans la zone grise nigéro - malienne, de profiter de l’appel d’air des récents succès
islamistes au Maghreb pour y conquérir du terrain et y étendre ses réseaux mafieux.
Cette prolifération du cancer AQMI-Trafics ruinerait, dès leur départ, tous les projets qui,
visant à relier l’Afrique du nord à l’Afrique sahélienne, pourraient créer les conditions du
développement, lui-même étant la condition de la reconquête sécuritaire.
Les projets de gazoducs transrégionaux, d’oléoducs, d’échanges agroalimentaires pourraient
permettre – enfin ! – de mailler le désert de routes qui enclencheront un cycle vertueux : la
route amène l’électricité et les télécommunications, permet la création de villes d’étapes
fournissant les soins et la scolarisation, facilite le commerce, les exploitations minières et le
tourisme.
Cette « conquête du développement » doit accompagner la reconquête sécuritaire ; le
rétablissement de la paix et de la loi s’opérant de soi-même dans un contexte de
développement économique, et plus efficacement qu’en quadrillant militairement des espaces
seulement occupés par les bandits et les trafiquants qui les parcourent.
Cette conquête devrait être motivée par une vaste ambition où l’Afrique du Nord retrouverait
son hinterland africain, où l’Afrique de l’Ouest retrouverait son Nord naturel et des accès à la
Méditerranée, et où l’espace saharo-sahélien redeviendrait un espace de coopération
économique et de développement.
Compte tenu du constat que ce ne sont pas les Etats sahéliens seuls qui pourront parvenir à
éradiquer AQMI, les trafics sans nombre et à rétablir la paix dans cette région, la coopération
transsaharienne où l’action des « pays du champ » (Algérie, Mauritanie, Mali et Niger),
s’exerçant de part et d’autre et à l’intérieur de l’espace saharo - sahélien, pourrait être
utilement animée par la CEDEAO et l’UE. En tout état de cause, les grandes puissances ne
peuvent ignorer la gravité de cette question qui, tant qu’elle ne sera pas réglée durablement,
menacera la paix, la stabilité et la démocratie, c'est-à-dire le développement et le bien être des
populations de l’Afrique sahélienne.