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Les rajahs blancs de Sarawak 0 1 0 2 e r b m e v o n E P P I L I H P ---N A E J T E R R E P r a P J’avais seize ans et je trouvais toujours quelques monnaies sur les brocantes des alentours. J’étais certes moins difficile qu’aujourd’hui et commençais tout juste une collection de pièces du monde pour le XIXe siècle mais aujourd’hui je ne vois vraiment plus rien en monnaies anciennes, intéressantes ou non. Ce jour de 1997 je tombe sur une monnaie étrange, un cent au nom et au profil d’un certain Charles Brook rajah de Sarawak. Surpris par ce titre de rajah porté par un européen et sur une monnaie non indienne, une fois à la maison, je cours sur mon encyclopédie et y trouve quelques informations limitées qui me laissèrent sur ma faim. Depuis, je fus toujours avide de nouveaux renseignements sur cet Etat atypique dont les monnaies, encore une fois, sont un des rares vestiges d’une construction étatique aujourd’hui bien méconnue. Voici une histoire que Kipling aurait pu narrer, celle des rajahs blancs de Sarawak. Bornéo, troisième île du monde en terme de surface, peuplée dans l’imaginaire collectif de chasseurs de tête il y à encore cinquante ans, est aujourd’hui une île où la foret équatoriale fait place aux plantations de palmiers industriels et où l’orang-outan se fait rare. Nous allons faire un bond de cent-cinquante ans tout au plus, pour découvrir une portion représentant la majorité de la partie malaise de l’île au nord-ouest, qui représente en surface le tiers de Bornéo. Cette bande côtière occidentale malaise est constituée également de la province nord du Sabah et comporte également l’enclave indépendante du sultanat de Brunei. Le reste de Bornéo, le Kalimantan fait partie de la fédération indonésienne. Bornéo fut pendant des siècles le poste avancé des royaumes hindous puis musulmans rayonnant sur les îles de Java et de Sumatra. Ce far east restera toutefois peuplé majoritairement de tribus animistes diverses confondus sous le terme de dayak. Seul le littoral sera véritablement touché par les thalassocraties Malaises et se retrouvera concerné par la première mondialisation du XVIe siècle. Les Portugais arrivés dans le sillage de Vasco de Gama au tournant du XVIe siècle sont chassés par les Hollandais de la V.O.C au tournant du XVIIe siècle qui visent comme leurs prédécesseurs le contrôle des épices en se contentant d’occuper les endroits stratégiques. Au cours des guerres napoléoniennes, les Anglais font leur apparition dans la zone de l’Insulinde balisant la route de l’Inde et de la Chine, occupent les Indes Néerlandaises avant de les rétrocéder mais procèdent à l’occupation de Sumatra et la création d’une ville stratégique, Singapour sur le détroit de Malacca, une colonie dénommée sous le nom d’établissement du détroit, les strait settlements. Ces territoires orientaux sont vus comme un poste avancé des Indes Anglaises et sont administrées au départ par la vénérable East India company. Nombre de Britanniques présents sur place viennent des Indes toutes proches comme James Brooke. Celui-ci naît à Secrore, près de Bénarès, le 29 avril 1803, de parents britanniques. Comme tout anglais bien né, il partira à l’âge de douze ans poursuivre ses études en Grande-Bretagne. En 1819 il s’engage dans l’armée de la compagnie des Indes et participera ainsi à la guerre anglobirmane de 1825, où il sera blessé sérieusement, devant retourner en Angleterre. Portrait de James Brooke De retour en 1830 il quitte l’armée et tente en vain sa chance dans le commerce en Insulinde. Avec son navire il se trouve à Singapour en 1839, où il apprend que le sultan de Brunei Omar Hali Saifuddin II (1827-1852) recherche des mercenaires européens, pour mater une rébellion dans la province de Sarawak. Il se retrouve engagé pour cette opération de police et, parvient si bien à remettre de l’ordre, qu’il est intronisé rajah du territoire de Sarawak pour le sultan de Brunei en 1841. Il devient donc ainsi en plein XIXe siècle un vassal féodal dépendant d’un suzerain ! Son fief s’étend du cap Datu à la rivière Samahran et Kuching devient la capitale administrative de son domaine. Il s’entoure de britanniques, britanniques souvent issus comme lui de la compagnie des Indes et, et s’impose sans trop de difficulté aux Malais. Les rapports avec les Dayaks seront plus difficiles difficile notamment les iban, les dayaks de mer connus pour leurs activités de piraterie, piraterie à qui Brooke livrera une guerre sans merci, essentiellement sur mer. r. Une guerre vue comme civilisatrice livrée donc à la piraterie, la prise d’esclaves et la pratique de la chasse aux têtes. Brooke s’impose donc dans dans son territoire, prend ses distances avec son suzerain, surtout quand celui-ci celui ci à maille à partir avec les Britanniques et se fait reconnaître naître souverain indépendant par les U.S.A dès 1850 et la Grande-Bretagne Bretagne en 1864 ; un an auparavant en 1863, signe de son indépendance, il fait frapper les premières monnaies officielles de Sarawak. drapeau de Sarawak, drapeau surmonté du blaireau de James Brooke avec sa devise « dum spiro spero », tant que je vis, j’espère. Une première monnaie, un tokken (un tokken est une monnaie non officielle en anglais) rarissime, est frappée en 1841 portant à l’avers ses initiales J.B et au dessus un blaireau, symbole de courage et de ténacité pris par Brooke et la date du 24 septembre 1841,sa date d’intronisation. L’autre face en malais porte le chiffre 1 pour un kupang, (environ un quart de cent) le libellé de la monnaie et le millésime de 1247 de l’hégire, 1831 peut être par erreur. En 1863, trois unités sortent de l’atelier monétaire privé Heaton de Birmingham : le quart de cent, le demi cent et le cent. Elles portent toutes à l’avers le portrait du rajah et au revers le nom de Sarawak, la valeur et enfin dans la couronne de lauriers la date.. Nous ignorons les chiffres de frappe mais le cent est relativement courant. L’unité monétaire est donc le dollar, comme pour la colonie anglaise des établissements du détroit qui frappe des monnaies divisionnaires très proches au portrait de la reine Victoria toria et sortant des mêmes ateliers monétaires de Londres ou Birmingham. Ces dollars sont encore à l’époque les différents pesos de huit réaux coloniaux ou de la République du Mexique mais aussi des thalers de Marie-Thérèse Marie ou les rixdalers néerlandais. Pièce de huit reales de Charles IV (1788-1808) (1788 1808) frappée en 1803 à Lima et portant une quinzaine de contremarques sur chaque face (une inscription arabe également au revers, contremarquée en Malaise), garanties de marchands chinois apposées à la toute fin du XVIIIe ou début du XIXe siècle dans la province de Canton. Ar, 38 millimètres 26.22 grammes Cent ent de James Brooke, Ae 23,5 millimètres, 9,34 grammes, 1863 Cent de Victoria (1837-1901) pour les établissements du détroit. Ae 28,5 millimètres, 9,30 grammes, 1874 Cent de Victoria (1837-1901) pour la colonie de Hong-Kong. Ae 7.47gr et 27 millimètres, 1866 Brooke, plus porté sexuellement sur les jeunes hommes que sur les femmes, n’aura pas d’héritiers directs. Il se tourne donc vers ses neveux, les Johnson, le premier, John-Brooke Johnson Brooke se permet de le critiquer et perd, donc, son statut de dauphin au profit du second, Charles Anthoni Johnson Brooke, qui devient le second rajah de Sarawak à la mort de son oncle le 11 juin 1868. Celui-ci est donc un des nombreux enfants du révérend Francis Charles Johnson et d’Emma Frances, jeune sœur de James Brooke. Il naît le 3 juin 1829 dans le Somerset et se retrouve à Bornéo en 1852 au service de son oncle après un passage dans la marine anglaise. Il est d’abord résident de la station de Lundu puis héritier intronisé en 1865. Il va mettre en valeur son héritage, l’administrer avec efficacité et justice au point d’être un souverain aimé de ses sujets. Il agrandira le territoire par achats aux voisins et également en assurant sa protection à des communautés ayant à se plaindre des excès des sultans de Brunei. Il intègre les Malais dans l’administration et les Dayaks dans l’armée, favorise l’arrivée des marchands chinois en ville mais limite leur présence dans les campagnes, redoutant de les voir prendre le contrôle économique du pays. Il développe les activités agricoles et minières du pays sans le défigurer et en respectant les populations natives. Dans cet esprit, il interdira même les activités des missionnaires sur le territoire, ne touchant pas aux coutumes à l’exception de la chasse aux têtes et de l’esclavage. En ce qui concerne les relations extérieures, il se place sous protectorat britannique en 1888 mais reste maître absolu chez lui. Un personnage atypique, mais doté d’un caractère par contre autoritaire et peu facile, dont ses proches font les frais, notamment son épouse, Margaret Alice Lili de Wint (1849-1936) épousée en 1869. Cent de Charles Brooke, Ae 26 millimètres, 9,28 grammes 1870 Cent de Charles Brooke, Ae 28,50 millimètres, 9,49 gr, Heaton, 1896 20 cents pour Charles Brooke émise à l’atelier privé Heaton à Birmingham. Ces monnaies sont souvent trouées car elles étaient détournées de leur usage monétaire par les Dayaks pour devenir des bijoux. Ar, 22,5 millimètres, 5,43 grammes, 1900. Le monnayage de Charles est nettement plus varié et répond à une demande plus importante, vu le développement du territoire. Il se décline également d’abord en quart, demi et cent. Le quart sera frappé seulement en 1870 et 1896, le demi en 1870, 1879 et 1896, par contre le cent sera largement frappé en 1870 puis de 1879 à 1880, 1882 et enfin sans interruption de 1884 à 1891 pour un total d’environ 20 millions de pièces, quelques unes frappées à l’atelier de Heaton, grand atelier monétaire privé se situant à Birmingham de 1889 à 1891. Une autre variété frappée de 1892 à 1894 puis de 1896 à 1897 toujours frappée à Heaton présente un physionomie proche au revers mais cette monnaie est trouée en son centre, l’avers présente le portrait au dessus du trou en haut et deux drapeaux croisés en bas. Vue du palais des rahahs à Kuchin aujourd’hui musée de Sarawak Les premières monnaies d’argent seront également frappées au début du siècle, reprenant la typologie des premiers cents avec au revers une couronne de cordes assez originale. On trouve donc des 5, 10, 20 cents, de rares 50 cents mais pas de dollars comme le monnayage colonial britannique contemporain du détroit et de Hong-Kong. Le taux d’argent est également de 800/1000 et les poids sont les mêmes. Si les cents sont courants les monnaies d’argent sont assez rares et se retrouvent très souvent trouées ayant servis de parures monétaires Années et chiffres de frappes des monnaies d’argent de Charles Brooke, sources World Coins 5 cents 10 cents 20 cents 50 cents 1900 200 000 150 000 75 000 40 000 1906 50 000 25 000 10 000 1908 40 000 1910 50 000 25 000 1911 40 000 100 000 15 000 1913 100 000 100 000 25 000 1915 100 000 100 000 25 000 Charles s’éteint en Angleterre le 17 mai 1917, à Circenster dans le Gloucestershire. Son fils aîné Charles Vyner Brooke né en 1874 prend la succession. Il profitera de l’accroissement de la demande mondiale en pétrole et en caoutchouc et en profitera pour investir largement dans le développement des services publics. portrait de Charles Vyner Brooke Le monnayage, assez divers, de Vyner est toutefois très peu courant. On retrouve un demi-cent en cuivre frappé en 1933, un cent frappé en cupro-nickel en 1920 puis en bronze en 1927, 1929, 1930, 1937, 1941 pour environ quinze millions. Les multiples sont d’abord frappés en argent, 5-10-20 cents en 1920 mais les 5-10 cents sont également frappées en cupro-nickel en 1920 et 1927 et 1934 pour la 10 cents. Les monnaies de 20 et 50 cents en argent seront encore frappées en 1927. Les monnaies d’argent comme pour les monnaies paternelles ne dépasseront jamais le million d’exemplaires, les plus grosses années ne dépassent pas 250 000 exemplaires comme la 10 cents de 1927. Pour le centenaire de la dynastie en 1941 Vyner annonce son désir d’établir une démocratie tout en se faisant payer ses capitulations mais le Japon occupe le pays de 1942 à 1945 laissant un pays en ruines. Accessoirement , la rareté des monnaies d’argent de Sarawak est due à la refonte massive de ces espèces par les Japonais. Charles Vyner Brooke cède donc Sarawak à la couronne britannique le premier juillet 1946 et le territoire rejoindra la fédération malaise en 1963, l’année ou le dernier rajah décède en Angleterre. Son neveu Anthony clamera toutefois toujours la succession soutenant les opposants à l’entrée dans la fédération malaise. Billet d’un dollar à l’effigie de Charles Vyner Brooke Les habitants de Sarawak gardent toujours aujourd’hui un fort sentiment d’appartenance à ce territoire singulier et gardent un bon souvenir des Brooke. Le pays reste très diversifié ethniquement : la majorité est dayak à environ un tiers, les chinois représentent un quart de la population, qu’ils soient issus de l’immigration du XIXe siècle ou de l’immigration plus ancienne des chinois hakka. Les Malais représentent quant à eux un cinquième de la population. Le reste de la population est principalement constitué d’autres groupes assez proche par le mode de vie des Dayaks mais ne partageant pas les mêmes origines et mêmes langues. Kipling n’a pas écrit sur nos rajahs blancs mais quelques auteurs plus ou moins connus se sont inspirés de cette histoire dès la fin du XIXe siècle. L’italien Emilio Salgari dans sa série de romans des Sandokan présente un portrait assez peu sympathique de James Brooke, alors que Joseph Conrad s’inspire des Brooke pour son personnage hautement positif de Lord Jim. Il y a très peu d’ouvrages historiques, encore moins en français, à l’exception du livre de Nigel Barley Un rajah blanc à Bornéo. La vie de Sir James Brooke édité chez Payot. Cent de la compagnie de colonisation du Nord Bornéo, le Sabah émis en 1896 à Heaton, Ae, 28 millimètres, 9,30 grammes.