RUPERT BROOKE (1887

Transcription

RUPERT BROOKE (1887
RUPERT BROOKE (1887-1915)
Quand 1914 and Other poems paraît en 1915, peu de
temps après la mort de Rupert Brooke, la critique est unanime
pour considérer son auteur comme un poète d’exception. Il
devient du jour au lendemain le symbole flamboyant de la
jeune génération qui verse son sang pour la Grande-Bretagne.
Winston Churchill le porte aux nues. Tous les versificateurs
débutants le prennent pour modèle. Rupert Brooke est la
référence poétique incontournable de 1914 et 1915. Sa gloire
tient aussi à sa grande beauté et à son charme. L’excellence de
son pedigree et de solides études classiques à Cambridge
complètent le tableau. Ce garçon avait tout pour plaire. Rupert
Brooke se distinguait dans tous les domaines, du sport à la poésie.
Né en 1883, à Rugby, dans une famille d’enseignants, Rupert Brooke suit les
cours de la Rugby school, une des institutions privées les plus prestigieuses
d’Angleterre. Il entreprend ensuite de voyager en Europe, notamment en France et en
Allemagne, tout en travaillant sur une thèse consacrée au théâtre élisabéthain. Il intègre
ensuite l’université de Cambridge, où il jouera dans quelques pièces. Membre de
plusieurs clubs universitaires, il continue après ses études de fréquenter les cercles
littéraires, dont le groupe de Bloomsbury, où tout le monde est impressionné par son
talent, sa faconde et sa prestance naturelle. Il appartient également au groupe des poètes
georgiens.
Rupert Brooke publie son premier recueil de poésie en 1911. Le poème intitulé
The Old Vicarage, Grantchester, qui sera appris par des générations d’écoliers tout au
long du XXe siècle, propose une image idéalisée d’une Angleterre edwardienne sûre
d’elle-même. Cette poésie appliquée, de belle facture, n’est pas exempte de notes
originales, voire excentriques.
En 1912 et 1913, Rupert Brooke se rend aux États-Unis, au Canada, en
Nouvelle-Zélande et dans les îles du Pacifique. Il publie le récit de ces voyages dans la
Westminster Gazette. Pendant ces années d’avant-guerre, sa vie sentimentale est intense
et compliquée. Un temps fiancé à Noel Olivier, il a aussi une relation avec une actrice,
puis séduit une Tahitienne, qui aura un enfant de lui.
L’éphèbe à qui tout réussit se porte volontaire dès le début de la guerre. En
octobre 1914, il prend part à une expédition sur Anvers. De retour à Londres, il se met à
écrire les sonnets qui l'immortaliseront. En février 1915, il part pour le front des
Dardanelles avec le Corps Expéditionnaire Britannique d’Orient. Mais en Méditerranée
il contracte une septicémie après avoir été infecté par une piqûre de moustique. Il meurt
le 23 avril sur un navire-hôpital français au large de l’île grecque de Skyros. Ses
camarades l’enterrent dans un champ d’oliviers, où sa tombe se trouve encore
aujourd’hui. Des combats, il n’aura connu que l’expédition sur Anvers, qui a duré
quatre jours. Son frère, William, meurt deux mois plus tard sur le front occidental.
Sa mort prend quasiment des allures de deuil national. Winston Churchill
a largement contribué à sa gloire posthume. Il connaissait Rupert Brooke et a
voulu faire de lui le symbole définitif du sacrifice de la jeunesse britannique à
l’autel de la nation. Mais cette gloire soudaine ne durera pas. Éclipsé par Owen,
Rosenberg et quelques autres, Rupert Brooke tombera vite en disgrâce. Bon
nombre de poètes-combattants rejetteront cette poésie patriotique dans laquelle ils
ne se reconnaissent plus. Il est de bon ton aujourd’hui de considérer ses sonnets
avec un certain dédain. Au mieux, on leur trouve de l’intérêt car ils reflètent l’état
d’esprit qui régnait au début de la guerre. Si Rupert Brooke a été canonisé en
1915, puis rejeté par la suite, il ne faut pas pour autant le réduire à cette image
d’étoile déchue qui aurait brillé plus que de raison pour les besoins de la
propagande. Ses poèmes d’avant-guerre, idéalistes, non dénués d’ironie, ont un
charme juvénile qui atteste un talent original. Rupert Brooke était voué à n’en pas
douter à un bel avenir dans les lettres anglaises mais sa mort et ses sonnets
patriotiques en ont décidé autrement : il est devenu un mythe.
Le soldat
The soldier
Si je devais mourir, ne retenez de moi que
ceci :
Qu'il existe un coin de champ étranger
Devenu à jamais l'Angleterre. Sous sa terre
riche
Une poussière plus riche encore est
dissimulée,
If I should die, think only this of me :
That there’s some corner of a foreign field
That is forever England. There shall be
In that rich earth a richer dust concealed,
Une poussière que l'Angleterre a animée et
façonnée,
Qui lui a donné des fleurs à aimer et des
sentiers où flâner,
Un corps anglais, qui respirait l’air anglais,
Lavé par ses rivières et béni par tous ses
soleils.
A dust whom England bore, shaped, made
aware,
Gave, once, her flowers to love, her ways to
roam,
A body of England’s breathing English air,
Washed by the rivers, blest by the suns of
home.
Pensez à ce cœur, débarrassé de tout mal,
Qui bat dans l’esprit d’éternité, pas moins,
Et qui restitue là-bas les pensées que
l’Angleterre lui a enseignées ;
And think, this heart, all evil shed away,
A pulse in the eternal mind, no less
Gives somewhere back the thoughts by
England given ;
Ses paysages et ses murmures, ses rêves de
bonheur quotidien
Et le rire, appris à des amis chers ; et la
douceur
Des cœurs en paix, sous des cieux anglais.
Her sights and sounds ; dreams happy as
her day ;
And laughter, learnt of friends, and
gentleness
In hearts at peace, under an English
heaven.