princesse mononoke - Quels films pour les enfants

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princesse mononoke - Quels films pour les enfants
PRINCESSE MONONOKE
Texte de la conférence de Philippe Sisbane
EN GUISE D’INTRODUCTION
Il paraît que l’on est toujours déçu, en entrant dans une société secrète, de ne découvrir aucun
secret, aucune clé d’explication du monde… Aucune réponse, mais tout au contraire davantage de
questions.
Les films de Miyazaki en général, et celui-ci en particulier, me font l’effet d’une société secrète d’où
l’on ressort en ayant oublié les solutions que l’on recherchait, mais riche d’un plus grand nombre
de problèmes à résoudre…
Il y a bien une tentation d’établir un réseau de correspondances en raison, en particulier, de la
difficulté à appréhender le scénario… Mais… faut-il tout expliquer ? Y a-t-il réellement un
équivalent à tout ? Une clé au film ? Un symbole ou une métaphore derrière chaque image,
chaque péripétie, chaque personnage ?
La démarche de Miyazaki, loin d’apporter la bonne Parole, semble pousser les enfants (et les
adultes) à se poser les bonnes questions. Princesse Mononoké, comme 2001 Odyssée de
l’Espace, est une expérience dont on ressort indubitablement grandi, mais dont il ne saurait
exister, d’après moi, de clé de lecture, de chiffre, de décryptage. Mais quelques pistes, que je vous
invite à explorer ensemble.
On peut remarquer, au préalable, l’étonnante qualité de la VF (texte et voix), qui me semble plus explicite que la VO
sans toutefois tomber dans le didactisme et qui est remarquablement bien jouée. On perd moins d’information en voyant
le film en français.
1. RAPPEL TECHNIQUE
Pour savoir exactement de quoi nous parlons, un petit rappel technique peut n’être pas superflu:
Il s’agit donc d’un dessin animé de long métrage, un MANGA (équivalent de l’américain
« cartoon » : Bande Dessinée/Dessin humoristique/Dessin Animé), un « animé », comme disent
les japonais. Généralement, les mangas sont destinés à un public très ciblé, très segmenté (pour
jeunes filles, pour adultes, érotique…). Miyazaki réussit avec ses films le tour de force de réunir
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ces publics, ce qui fait de lui un auteur à succès (ce film et le suivant, Le voyage de Chihiro, ont
battu des records en terme d’entrées au Japon), sans pour autant qu’il se soit laissé broyer par la
machine commerciale (de l’industrie du jouet et des produits dérivés).
Il recourt ici à un mélange :
- de technique traditionnelle (à la manière de Walt Disney : celluloïds sur décors, à raison d’un peu
moins de 12 images/seconde, ce qui donne cet aspect un peu saccadé)
- et d’images numériques qui sont difficilement distinguables et en petit nombre. Ces images
numériques ont été utilisées malgré (les préventions initiales de Miyazaki) pour 2 raisons :
- Esthétiques, afin d’éviter les effets de scintillement qu’auraient produit certains effets avec
des techniques traditionnelles (Les attributs du Dieu-Cerf thaumaturge, les explosions des
armes à feu, la complexité de la composition de certains plans, certains effets de matière :
fumée, nuages, etc.) = 5 minutes de film.
- Financières (manque de temps, de moyens, à quoi pallie la numérisation de la colorisation
de certaines scènes) = 10 minutes de film.
Soit 15 minutes en tout, soigneusement homogénéisées aux images réalisées avec les techniques
traditionnelles.
Ces images numériques sont de plusieurs types :
Créations numériques 3D : les serpents symbolisant la malédiction (variation d’éclairage et de
perspectives, perception de multitudes sans effet de cycle, de répétition). Leur spécificité : ils ont
l’allure d’un dessin à la main sur celluloïd grâce à un logiciel de « dégradation » de la qualité du
dessin que permettrait normalement la numérisation. (Pourquoi des serpents ? Parce que
Miyazaki, lorsqu’il est très énervé, a quelquefois le sentiment que de tels serpents sont sur le point
de jaillir de lui !…).
Dans le même ordre d’idée : les linéaments semi transparents symbolisant le réveil de la blessure
d’Ashitaka (aux circonstances d’ailleurs ambiguës…).
Autre exemple : les plans où le Tatarigami est finalement abattu par Ashitaka. Et ce en raison de la
complexité du plan : décor en mouvement, vraisemblance nécessaire de cette action compliquée
mais essentielle (qui constitue la faute originelle, l’hamartia, incident déclencheur de l’histoire).
Morphing : transformation progressive d’un objet en un autre (la décomposition accélérée du
Tatarigami – La régénération de la Forêt). Seuls les dessins-clés sont réalisés par les artistes,
l’ordinateur calculant les images intermédiaires.
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Effets de matière animée (de particules) : Nuages, fumée, étoiles du corps du Didarabocchi. Plus
faciles à manipuler que des objets 3D, car elles ne sont que des coordonnées, et non des
surfaces. Principal avantage : chaque point obéit à des règles très physiques de poids, de masse,
de vitesse, etc., là où l’animation traditionnelle ne saurait rendre qu’un fourmillement sans
cohérence.
Composition numérique : pour les actions complexes, pour les scènes à effets spéciaux, les
éléments filmés et animés séparément sont ensuite combinés ensemble (comme des incrustations
au « blue-screen »), en sorte de rationaliser les divers travaux d’animation et de donner le
sentiment de relief, de profondeur. (Exemple : le Tatarigami poursuivant Ashitaka : le Paysage en
système de caméra multiplans [invention de Walt Disney pour Le Vieux moulin en 1937, procédé
réemployé dans tous ses longs métrages, et utilisé ici dans sa version numérique] ; les traces du
sol labouré par le Dieu sanglier ; le Dieu Sanglier ; son ombre ; Ashitaka et Yakul).
Mapping : Le décor est lui-même animé image par image (par exemple lors d’un travelling arrière,
ou chaque image doit être créée intégralement, contrairement à un panoramique, où il suffit de
faire défiler latéralement le paysage). Les animateurs créent un modèle 3D [structure en « fil de
fer »] du terrain où se déroule l’action, et les matières réalisées par les artistes décorateurs sont
« mappées » (projetées, en quelque sorte) sur ces volumes en mouvement.
Ce qui permet donc de se déplacer dans la profondeur du champ sans avoir à redessiner le décor
image par image.
Digital Painting : application numérique des couleurs dans les surfaces digitalisées des dessins
des animateurs. Utilisé avec modération, notamment pour ce qui concerne la palette des couleurs
possibles en numérique (16 millions) qu’il faut donc restreindre afin de ne pas détoner avec
l’esthétique générale du film (ses couleurs sont généralement froides, bleues et vertes, ce qui
ménage des effets de rupture pour les forges, les détonations des armes à feu, et certains
personnages).
2. LE CONTEXTE :
C’est le 1er film historique de Miyazaki. Très spécifique et, partant, très universel (cf. Succès
international de Cyrano)…
L’action se déroule au Japon à l’ère MUROMASHI (1333 – 1568 = XIVe / XVIe siècle = fin du
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moyen âge, époque de puissance croissante des grands Daimyo – seigneurs féodaux – et des
monastères bouddhiques).
De fait, ce film a des références historiques rigoureuses, peu connues même des japonais, et sans
rapport avec les clichés du genre (pas de geishas affriolantes, pas de nobles samouraïs, personne
ne se fait Hara Kiri…)
Il se déroule dans une logique de Shintoïsme sous sa forme archaïque – c’est à dire animiste.
Miyazaki est un fervent shintoïste, et dans ce film il puise aux origines de cette religion, avec son
cortège de Dieux animaux – certes absents des conceptions modernes du Shintoïsme, mais plus
propices à exprimer en image ses convictions (notamment écologiques).
Le Shintoïsme (qui n’est pas une religion révélée) est la religion la plus ancienne du Japon, liée
particulièrement à sa mythologie. Elle existait longtemps avant le bouddhisme « importé » vers le
VIe siècle.
Il combine animisme et chamanisme (« Tout ce qui existe vit » ; « La santé est une question
d’équilibre »), et est essentiellement polythéiste. Le concept majeur du Shintoïsme est le caractère
sacré de la Nature. Le profond respect qui en découle définit la place de l'Homme dans l'univers :
un élément du Grand Tout.
Le pilier fondamental de cette religion, clairement archaïque lui, est très présent dans le film. Il
s'agit de la notion même du divin, du sacré – du numineux: le Kami, qui signifie 'supérieur' supérieur à l'homme (et non pas exactement ‘Dieu’).
Le shinto élève au rang de Kami des forces naturelles personnalisées (Soleil, Lune, Typhon,...)
mais plus généralement tout ce qui peut apparaître mystérieux, redoutable (montagnes, mers,
vents, animaux sauvages, arbres), ou même des notions abstraites comme la fertilité. On peut
considérer Kami des hommes voire des animaux morts (à la fin du film, la déesse Moro, pourtant
morte, sera animée d'une énergie surnaturelle pour attaquer Eboshi, ce qui montre bien qu'elle est
toujours un Kami). Les Kamis sont donc innombrables, présents partout et sous n'importe quelle
forme. Il convient donc de rester prudent à leur égard, car leur caractère est ambigu, comme la
nature elle-même, et même les meilleurs d'entre eux (et les plus grands ou les plus inoffensifs en
apparence comme les Sylvains) possèdent un Arami-tama (« esprit de violence ») qu'il faut se
concilier par des rituels appropriés, des cérémonials propitiatoires.
Autre concept du Shintoïsme : le Tatari (‘malédiction’), notion à valeur essentiellement morale, tout
aussi archaïque que celle de Kami. N'importe quel Kami peut être frappé d'un Tatari à l'occasion
d'une faute ou Tsumi. Le Tsumi traduit, dans sa conception moderne, l'idée de ‘péché’ de
‘souillure’ qui obscurcit la raison et fait obstacle au Salut.
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Dans une acception plus ancienne, le Tsumi avait un caractère physique : c'est le contact avec le
sang, ou avec un cadavre,… qui constitue la souillure. Pour échapper aux conséquences d'un
Tatari il faut l’exorciser, à l’occasion d’un rituel de purification – où l’eau (lustrale ?), on le verra,
joue un grand rôle…
Pour le scénario de Princesse Mononoké, Miyasaki a donc pris l'animisme comme angle d’attaque
et vision du monde: il a choisi d'élever au rang de Kami les animaux, avec le Shishi-gami (Dieucerf) au dessus de tous les autres. Un cran au-dessous on retrouve, entre autres, Moro, l'Inu-gami
(« Dieu-chien ») ; ces Inu-gami étaient très fréquents dans les formes primitives du Shintoïsme
mais sont réfutés par ses théoriciens modernes…
En somme, Miyazaki accorde le Shintoïsme invoqué aux conceptions archaïques, et donc
représentatives, incarnées, qu’on s’en faisait à l’époque à laquelle se déroule l’histoire… Ce qui
sert son propos puisque cela favorise l’impact du film sur les spectateurs : les formes
« orthodoxes » de Kamis seraient apparues plus austères et auraient donc été moins attrayantes
pour le public, par comparaison avec cette promotion des animaux au rang de Kami, qui les rend
cinématographiquement plaisants.
3. LES PERSONNAGES (leur seule confrontation génère l’histoire)
Plus que le scénario, très historique, très complexe, c’est la profondeur des personnages qui me
semble pouvoir susciter la discussion avec les collégiens :
- Identification avec des modèles pour eux inhabituels (d’autant que le happy-end est insolite : les
personnages ne se marient pas, leur union rendue impossible par le fait que chacun a nettement
choisi son camp),
- Rôle prépondérant des femmes (c’est une obsession du réalisateur), le jeune homme ayant luimême des traits assez féminins, et jouant le rôle d’un médiateur entre deux grandes figures
féminines,
- L’une d’entre elles est du reste particulièrement ambiguë : elle détruit la nature mais est
bienfaisante socialement ; elle est l’auteur de l’événement déclencheur (une balle tirée), du péché
originel, mais aussi réparatrice ultime.
Du côté des HUMAINS, l’histoire commence parmi…
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LE PEUPLE EMISHI : Tribu pacifique vieillissante, dont la vitalité s’est amenuisée, réduite à
néant par le gouvernement de l’Empereur. Des rescapés du passé (pointes de flèches en
pierre)
Nota : cette tribu a réellement existé – on n’en connaît véritablement l’existence que depuis 50 ans
ASHITAKA (le Porteur d’Homme) en est le futur chef, a le rôle principal. Il est rare que ce
soit un homme chez Miyazaki.
Il poursuit 2 buts :
- Guérir sa blessure - ou à tout le moins « Mourir les yeux grand ouverts »
- Faire régner une bonne entente entre les animaux, les Dieux de la Nature et les Hommes,
quitte à se mettre à dos tout le monde.
Il est doté d’un cœur pur (comme souvent les jeunes dans les films de Miyazaki).
Il est incapable de choisir son camp entre les hommes et les animaux, car chaque position
est justifiée/admissible (comme chez Renoir : « chacun à ses raisons »). Ce REFUS de
choisir constitue un choix, le plus courageux, car le plus inconfortable.
Par sa blessure, il a hérité de la malédiction du Tatari Gami (tant il est vrai qu’une
catastrophe écologique à un endroit de l’univers peut bouleverser la vie des habitants en un
tout autre lieu). Cette malédiction se nourrit de la Haine et conduit à la Mort au terme de son
expansion: la tache pourpre qui la figure grandit à chaque fois qu’il laisse la haine et la colère
l’envahir (cf. La peau de Chagrin de Balzac, évoquée ici à rebours).Cette colère, cette
haine, sont donc bien en chacun de nous – tout n’est question que d’équilibre. En attendant,
LUI est condamné à en pâtir physiquement jusqu’à la mort. C’est en cela que son destin est
une tragédie : le fait qu’il arrive à survivre est une manifestation de son héroïsme, de sa
sagesse.
Il est un héros type : il commande, il est agile et fort au combat tout en étant sage. Conduite
Héroïque : il se tient pour condamné, c’est en somme un héros en sursis (comme tout le
monde), mais le sachant, qui se trouve donc vivre dans l’urgence ; et cependant déterminé à
changer le cours des choses. Un héros faustien : guerrier et homme de savoir. C’est parce
qu’il porte la mort et le sait qu’il incarne la vie.
Il se trouve en position de médiateur : il traverse et retraverse la forêt (sans difficulté - grâce
aux Kodamas [= Sylvains] - ce dont nul autre n’est capable), il assure la relation d’un âge de
l’humanité à un autre : de l’âge de pierre à celui de la civilisation technique exploitant la
nature (éventuellement de manière raisonnée). Noter le peu d’étonnement qu’il manifeste
devant ces prodiges de la technologie…
Il meurt et renaît (comme le Dieu-Cerf, dont il est le double mineur) sans perdre quoi que ce
soit de sa dimension terrestre, et se trouve même investi de nouveaux pouvoirs : vision et
compréhension.
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Il ne répond jamais aux insultes, aux paroles agressives.
Riche de ses principes, de son abnégation, de son courage face à sa propre finitude, qu’il
considère « les Yeux Grand ouverts » (et j’ai la conviction que des enfants de 11 ou 12 ans
peuvent entendre ce discours certes assez peu politiquement correct, assez peu lénifiant, et
médiocrement sucré), lui seul parviendra à ses fins : guérir et faire vivre en paix les
Hommes, les animaux et les Dieux (ou ce qu’il en restera)…
YAKURU : Monture d’Ashikata caractérisée par la loyauté. Symbolise ce que peuvent être
aussi les rapports hommes-animaux - ce que comprend mal San, qui lui ôtera ses rênes, car
elle ne conçoit pas qu’un animal soit au service d’un humain - alors que l’animal, lui, n’usera
pas de cette circonstance pour retourner à l’état sauvage (pour autant que ce soit possible).
Noter qu’Ashikata partage sa propre nourriture avec sa monture…
SAN : Jeune fille élevée par les loups après avoir été abandonnée par les hommes – cf.
L’Enfant sauvage de François Truffaut - et devenue l’un d’entre eux (cf. Mowgli, Le Livre de
la Jungle).
Illustration du Chamanisme : elle parle aux animaux, les mime, soigne Ashitaka (Nature
régénératrice) et l’aidera à rencontrer le Dieu-Cerf. A ce titre, elle est plutôt le faire-valoir
d’Ashitaka, alors que dans un film de Miyazaki elle pourrait avoir le rôle principal.
Image de la Femme proche des secrets de la Nature telle que la décrivait Michelet (La
Sorcière). Noter la relation très érotique qu’elle entretient avec Ashitaka : lors de leur 1ere
rencontre : 1ers regards échangés et bouche en sang ; scène où elle le nourrit/ l’embrasse.
Ce sont là des sortes d’implants scénaristiques, qui se développeront plus tard, mais pas
jusqu’au terme banalement attendu : ils ne formeront pas un couple à la fin du film. On n’est
pas dans la « construction » conjugale au sens bourgeois. « Nous serons voisins ».
Situation cornélienne : opposition entre ses origines, ses convictions, et ses amours.
LE CLAN DES TATARAS : Forgerons du temps des premières ébauches de l’âge industriel.
Florissants, juvéniles donc nombreux. Leur chef (Dame EBOSHI) est d’une beauté ambigüe
DAME EBOSHI : Le plus ambigu des personnages : retranchée dans sa forteresse qui est
aussi un temple de l’industrie naissante. Elle domestique la nature (cf. son jardin interdit) par
des techniques efficaces. Incarne l’humanisation de la société : respect à l’égard des
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[anciens] boucs émissaires. Elle y accueille les lépreux, les prostituées, les paysans sans
terre (qu’elle défend contre les clans voisins). Détestée par SAN, car elle déboise la forêt
pour nourrir le feu des forges. Son but : conquérir le monde (dit-elle…). Figure de
l’émancipation des femmes. Le Mikado la pousse à s’allier avec une secte de moines
guerriers convoitant la tête du Dieu-cerf.
Elle veut couper le bras d’Ashitaka, mais c’est son propre bras qui sera coupé par la tête de
Moro après qu’elle aura décapité le Dieu-Cerf…
LES LEPREUX : ce sont eux, les véritables forgerons (cf. la laideur d’Héphaïstos). Sont-ils
malades parce qu’ils sont forgerons et donc maudits - ou forgerons parce qu’ils sont malades
– et donc reclus ? Toujours est-il qu’après le cataclysme final l’une d’entre eux se rendra
compte qu’elle est guérie.
JIKO : Moine / Bonze : Son pouvoir passe par la manipulation et la rétention de
l’information : il ne fournit pas d’explication à Ashitaka quant au morceau de métal. Il connaît
la valeur de l’or. Il cherche des changeurs. Proche des ‘marchands du Temple’ de cet
univers ? Il appartient à l’organisation SHISHOU REN qui pactise avec Eboshi contre les
armées du régime en place (malgré le peu d’enthousiasme des forgerons qui préfèreront
l’attitude pourtant plus ambiguë d’Ashitaka ; cf. les soldats qu’ils assomment avant d’aller
soulager Ashitaka du poids d’un sanglier mort).
Son but secret est de trouver le Dieu-Cerf afin de lui couper la tête - susceptible de conférer
une quasi-immortalité - afin de la rapporter à l’Empereur. Il s’alliera pour cela à Dame
Eboshi, qui a également de bonnes raisons de souhaiter se débarrasser du Dieu-Cerf.
Le seul « méchant » de ce film ?
SAMOURAIS D’ASSANO : Clan convoitant les forges ; la présentation qui en est faite ne
leur attribue aucune noblesse (trait pourtant traditionnellement lié aux samouraïs)
…Et l’histoire se poursuit du côté des ‘DIEUX’ :
SHISHI GAMI (Le Dieu-Cerf) : Personnage polymorphe (Didarabocchi), ambigu dans ses
actions. Âme de la Forêt/Nature, Dieu de la vie et de la mort [envers nécessaire de la vie],
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donc de la guérison, quand elle est possible. Une manière d’exorciste. Comparable à
l’énergie atomique (la meilleure ou la pire des choses).
Comme Jésus, il marche sur les eaux.
Mythe du Dieu sacrifié – ou plutôt qui se laisse mettre à mort - pour le Salut des Hommes, et
qui ressuscite sous une autre forme : celle d’une diffusion dans la Nature. Il n’interviendra
plus directement au-delà du terme du récit (à l’instar du Christ ou Prométhée), les Hommes
auront à prendre le relais et ouvriront un nouvel âge de l’humanité dans un monde sans dieu.
MORO : Déesse-Louve âgée de 300 ans. Ennemie intime de Dame Eboshi, protectrice du
Dieu-Cerf. Elle a élevé San, qu’elle laissera toujours libre : on choisit son destin - plutôt qu’on
ne le subit en raison de ses origines
OKKOTO-NUSHI : Le Dieu des Dieux-sangliers. Géant. Comprend le langage humain ; âgé
de 500 ans. Il est en conflit avec sa cadette Moro : les sangliers reprochent aux loups leur
relative passivité face aux humains, et prônent le combat – même si la mort est la seule
issue possible (à ce titre, équivalent des Kamikazes de la 2ème guerre mondiale).
NAGO : Dieu-sanglier du début. Malédiction représentée par des vers/serpents noirs
4. LE THÈME DU SACRIFICE des héros.
Eloge du sacrifice de soi des uns au profit de la sauvegarde des autres, à rebours de ce que
l’industrie tient pour être la clé du succès. En effet, tous les personnages principaux sont disposés
à se sacrifier pour le Salut des leurs – voire de tous :
San : Prête au sacrifice suprême
Ashitaka : « Pour mourir les yeux grand ouverts » (cf. Yourcenar)
Shishi Gami : se laisse mettre à mort comme pour la rémission des péchés des hommes et leur
Salut. Une fois sa tête coupée, il se métamorphose en une sorte de champignon atomique
(Miyazaki avait 4 ans en 1945…). Une manière de signifier que la Puissance, lorsqu’elle n’est pas
alliée à la Spiritualité, débouche nécessairement sur des catastrophes (en version occidentale :
« Science sans conscience n’est que ruine de l’homme »)
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5. LE REFUS PERPETUEL DU MANICHEISME ET DU SIMPLISME:
Constamment, Miyazaki brouille les cartes :
A - C’est un film sans méchant (comme souvent chez Miyazaki – cf. Mon voisin Totoro
notamment). Cf. Renoir : chacun a ses raisons – elles sont souvent inconciliables.
- Refus de la Lutte des classes (cf. passé communiste de Miyazaki)
- Hii Sama se prosternera respectueusement devant Hago agonisant et toujours menaçant.
- San épargnera, puis défendra, aimera et enfin contribuera à ressusciter Ashitaka.
- Moro aussi épargnera Ashitaka, et laissera sa « fille » libre de le rejoindre – éventuellement.
- Okkoto-Nushi épargnera également Ashitaka.
- Dame Eboshi : elle détruit la forêt et décapite le Dieu-Cerf – mais protège les « boucs
émissaires » de la Société – ainsi qu’Ashitaka – et reconstruira le village.
- Ashitaka lui-même a sa part d’ambiguïté : il n’hésitera pas à décapiter plusieurs guerriers, à
assommer deux femmes, et son bras sera tenté de décapiter Dame Eboshi !
B - Refus d’un écologisme totalitaire (cf. lois nazies) ou « conservatoire ». Il s’agit de
préserver plutôt que de conserver (ce que faisaient les Emishis).
- La nature n’a rien d’idyllique. Elle peut être cruelle – ou stupide.
- L’industrie peut être nécessaire (les Emishis n’ont su résister et survivre).
- La coexistence (en bonne intelligence) est la seule solution. « Nous serons voisins ».
Toujours la quête d’un équilibre des forces (cf. « le juste milieu » d’Aristote : le meilleur n’est ni une
moyenne ni un point central, mais le lieu du meilleur équilibre).
On en revient donc au Shintoïsme : solidarité des éléments du monde.
6. UN FÉMINISME REVENDIQUÉ
Discrédit des hommes adultes : lâches et immatures, guindés et prétentieux. Surtout les guerriers
samouraïs. « Ne faites jamais confiance aux hommes ». Ce sont des hommes qui vont tuer le
Dieu-Cerf.
Miyazaki déclare avoir peu de sympathie pour « les hommes d’âge mûr qui ont renoncé aux
idéaux de leur jeunesse et qui, mine de rien, se sont transformés en cochons en travaillant comme
des fous au service du mercantilisme » (cf. Le voyage de Chihiro).
Et de fait, il a rarement (peut-être même jamais) donné le rôle principal à un homme. (On ne
connaît en France qu’une partie des films de Miyazaki. Son féminisme semble se confirmer dans
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ses films non diffusés en Europe).
C’est un féministe convaincu, qui considère que les sociétés qui valorisent les femmes réussissent
mieux :
- Ce sont des femmes qui construisent les avions dans Porco Rosso,
- Qui coulent le fer sans Princesse Mononoké. Parce qu’elles finalisent l’œuvre de la Nature
comme instance de création, les femmes forgeronnes sont puissance de progrès : elles seules
savent accoucher la nature du fer qu’elle porte. Il est à noter que ce ne sont pas spécifiquement
des femmes qui fabriquent les armes.
- Elles sont beaucoup plus « nature » que les hommes : cf. L’arrivée au village : leur parole est
spontanée et sincère, elles expriment une sensualité assumée (leurs commentaires sur Ashitaka).
- De plus, on peut remarquer le nombre de traits féminins du personnage d’Ashitaka. Dame Eboshi
ou San n’ont du reste rien à lui envier en matière de « qualités viriles ».
7. QUELQUES PISTES PÉDAGOGIQUES
On peut envisager de :
- Creuser la profondeur des caractères des personnages principaux : Ashitaka, San, Dame Eboshi.
- Expliciter :
- Leurs motivations - consciente et inconsciente,
- Les obstacles - d’origine externe et interne – qu’ils rencontrent,
- Leurs actes – et les conflits qui s’ensuivent.
D’autant que ces personnages sont attachants et denses.
- Effectuer une mise en parallèle avec 2 films de Walt Disney, du point de vue du manichéisme et
de la vision écologique :
Bambi, avec sa vision d’une nature idyllique, et d’une présence humaine exclusivement néfaste
(cf. la scène de l’incendie)
Le livre de la Jungle : en examiner le début et surtout la fin ; établir une comparaison Mowgli /
San : élevés par des loups, et dès lors en conflit interne : resteront-ils du côté des animaux ou
rejoindront-ils le village des Hommes ? L’amour, ici, simplifiant tout, dissolvant tout, suivant des
canons puritano-bourgeois – malgré l’allure gentiment « contestatrice » du film.
EN FORME DE CONCLUSION
Le film propose une Initiation :
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- à la complexité du monde,
- à l’ambivalence des techniques (cf. l’atome) et de la notion de Progrès, des caractères, des
situations (souvent cornéliennes).
- à des qualités cornéliennes : Le courage, l’acceptation raisonnée de sa propre finitude (Ashitaka).
La quête de l’Immortalité (du Mikado) s’avère le seul véritable vecteur de Mort catastrophique 
possible ouverture vers une initiation à la notion de Bioéthique
On peut souligner la différence entre la vision du monde que développe ce film et ce que
proposent habituellement la TV et les jeux vidéo.
Et ouvrir la discussion sur cette vision raisonnée de l’écologie (≠ phénomène de mode ou d’une
lubie pour bobo…).
Analyse d’une séquence : la première, qui contient – en puissance, comme tout vrai
commencement - l’ensemble du film.
Originaire de Nice, Philippe Sisbane étudie le cinéma et l’Histoire de l’Art à Paris. Il écrit
des critiques, produit des émissions pour les enfants sur Radio Aligre et travaille comme
assistant de production et monteur sur des séries documentaires. Il réalise 9 courts
métrages en 16 et 35mm, primés dans divers festivals français et internationaux, diffusés sur
les chaînes de TV, et récemment édités en DVD.
En 2004, il achève un moyen métrage de 42 minutes : « Le Coma des Mortels », acquis
par le Forum des images, distribué en salle, puis en DVD.
Il est également producteur, lecteur pour le CNC et chargé de cours à l’École Centrale
Paris et à la Cinémathèque française.
Lauréat de la Fondation Beaumarchais, il prépare actuellement son premier long métrage.
www.philippe-sisbane.com
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