1. Gavroche (Victor Hugo : Les Misérables) Il avait l`air de s`amuser

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1. Gavroche (Victor Hugo : Les Misérables) Il avait l`air de s`amuser
1. Gavroche (Victor Hugo : Les Misérables)
Il avait l’air de s’amuser beaucoup. On le visait sans cesse, on le manquait toujours. Les
insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il
chantait. C’était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les
balles couraient après lui, il était plus leste qu’elles.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre
l’enfant feu follet. Toute la barricade poussa un cri. Gavroche regarda du côté d’où était
venu le coup, et se mit { chanter. Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur
l’arrêta court. Cette petite grande âme venait de s’envoler.
2. Naissance d’une grande amitié (Guy de Maupassant : Le père Milon)
Un soir, après une longue course, j’aperçus, comme je revenais { grands pas afin de ne
pas me mettre en retard, un chien qui galopait vers moi. C’était une sorte d’épagneul
rouge, fort maigre, avec de longues oreilles frisées.
Quand il fut { dix pas, il s’arrêta. Et j’en fis autant. Alors il se mit { agiter sa queue et il
s’approcha { petits pas avec des mouvements craintifs de tout le corps, en fléchissant
sur ses pattes comme pour m’implorer et en remuant doucement la tête. J’allai vers lui,
il se sauva, puis revint et je mis un genou par terre en lui débitant des douceurs afin de
l’attirer. Il se trouva enfin { portée de ma main et, tout doucement, je le caressai avec
des précautions infinies.
3. Hubert et moi (François Mauriac : Le nœud de vipères)
Le taxi me déposa au coin de la rue. Je fis quelques pas pour essayer mes forces. Tout
allait bien. Il était { peine midi : je résolus d’aller boire un quart Vichy aux Deux Magots.
Je m’installai { l’intérieur, sur la banquette, et regardai distraitement le boulevard.
Je ressentis un coup au coeur : { la terrasse, séparées de moi par l’épaisseur de la vitre,
ces épaules étroites, cette tonsure, cette nuque déj{ grise, ces oreilles plates et
décollées... Hubert était l{, lisant de ses yeux myopes un journal dont son nez touchait
presque la page. Une affreuse joie m’envahit : je l’épiais et il ne savait pas que j’étais l{.
4. Mystérieuse créature (Jean-Marie Le Clézio : Printemps et autres saisons)
Je n’ai jamais très bien su d’où elle venait. Elle avait caché ses traces dès le début. Tout
en elle était mystérieux. La première fois que je l’ai vue, c’était sur la petite place, l{ où
les garçons se réunissaient en sortant de classe, pour jouer au ballon, ou pour boxer.
Elle est passée sans regarder personne, elle a disparu dans les rues sombres. Je ne me
rappelle plus très bien comment elle était habillée, parce que le souvenir que je garde
d’elle, c’est cette photo qu’elle m’a donnée un jour, quand on a commencé { se voir. Une
photo d’école, où elle est assise au premier rang. Sur cette photo, je la trouve très belle,
très étrange.
5. Catastrophe écologique (Robert Merle : Malevil)
Je marche de long en large. Mes demi-bottes ne font aucun bruit. Je suis frappé par
l’exubérance tropicale du sous-bois. Mais il est peu diversifié. J’ai l’impression que les
fougères, par leur écrasante vitalité, sont en train de tout conquérir. Le silence,
l’absence de vie sont oppressants. La moindre toile d’araignée, le moindre fil d’une
branche { l’autre me ferait plaisir. Mais, j’en ai peur, { moins qu’ils n’immigrent chez
nous de régions moins touchées, nous ne reverrons plus d’insectes, plus de bêtes { bon
Dieu, plus de cerfs-volants, ces curieux insectes qui couraient dans les châtaigniers. Et
les oiseaux ? Comment pourraient-ils vivre ici sans insectes ? La forêt en moins d’un
quart de siècle se reconstituera, mais la nature restera mutilée.
6. Le porte-monnaie (Philippe Delerm : Petite brocante intime)
Le porte-monnaie rabattable est une révolution uni-sexe. Conçu pour accueillir la
monnaie, il possède cependant une minuscule poche pour les billets. Il s’impose grâce {
sa commodité. Conçu pour séduire l’homme et la femme, il sera souvent offert aux
enfants. Ce qui compte, c’est le geste pour l’ouvrir, et surtout les quelques secondes qui
suivent. Les pièces quittent leur habitacle d’origine pour venir se glisser dans la demilune inférieure. Elles se chevauchent vaguement, quand il y en a beaucoup. La main
s’écarte du corps pour contempler avec le recueillement nécessaire une fortune allègre.
Parfois on a surestimé le pouvoir des pièces. Alors il faut introduire l’index et le majeur
dans la petite poche plate réservée aux billets.
7. Une île déserte (William Golding : Sa majesté des mouches)
Ils avaient bien deviné qu’ils étaient sur une île. Tant qu’ils avaient escaladé des
rochers roses, avec un bras de mer de chaque côté, dans l’air cristallin des hauteurs, un
instinct leur avait assuré que la mer les entourait de tous côtés. Mais il leur paraissait
plus normal, avant de décider, d’atteindre le sommet et de voir l’eau { l’horizon, de tous
côtés.
Un atoll de corail encerclait un des côtés de l’île. La marée entraînait l’écume,
l’effilochait loin du récif, de sorte que les garçons eurent l’illusion, un moment, qu’ils se
trouvaient sur un bateau en marche arrière. L{, on distinguait le plateau en
promontoire dans la mer.
« C’est une île déserte », dit Ralph d’un ton péremptoire.
8. Etrange fuite d’une automobile (Dino Buzatti : Suicide au parc)
« Hier, une automobile bleue, de type coupé, que son propriétaire avait laissée pour un
moment devant un bar de la rue Moscova s’est mise en route toute seule.
Après avoir traversé le cours Garibaldi puis la rue Montello, { une vitesse croissante, la
voiture a tourné { gauche, puis { droite, en empruntant la rue Elvezia et enfin elle s’est
jetée contre les vieilles ruines du château des Sforza qui se dressent devant le parc. Elle
prit feu et fut entièrement carbonisée.
Il reste { expliquer comment cette voiture, abandonnée { elle-même, a pu parcourir cet
itinéraire en zigzag sans rencontrer d’obstacles malgré la circulation intense ; et
comment elle a pu accélérer de plus en plus son allure. »

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