2010 Analyse La guerre de Coree - Pax Christi Wallonie

Transcription

2010 Analyse La guerre de Coree - Pax Christi Wallonie
ANALYSE 2010
La guerre de Corée
(1950-1953), un conflit qui
ne se laisse pas oublier
Publié avec le soutien de la Communauté française
Pax Christi Wallonie-Bruxelles
La guerre de Corée (1950-1953), un conflit qui
ne se laisse pas oublier
Les 150 obus lancés par la Corée du Nord sur l’île de Yeonpyeong, le 23 novembre dernier, rappelle
abruptement au monde une guerre idéologique vieille de 60 ans. Pur produit de la Guerre Froide, la
Guerre de Corée, bien qu’appartenant aujourd’hui à l’histoire, est à l’origine de crises à répétition
entre deux nations sœurs et ennemies.
Une nation historiquement unique…
La nation coréenne est très homogène. Avant la division actuelle, les deux Corées ont partagé 4000
ans d’histoire commune, lutté contre les mêmes invasions étrangères, subi les mêmes influences
artistiques et philosophiques. Elles parlent la même langue, utilisent le même alphabet. Peu de choses
différenciaient un Coréen de Pyongyang d’un Coréen de Séoul jusqu’aux dernières décennies.
L’histoire de la Péninsule coréenne est parcourue d’invasions : pont entre la Chine continentale et la
mer d’un côté, porte d’entrée pour le Japon sur les terres extrêmes orientales de l’autre, ces deux
Puissances s’en sont longtemps disputé le contrôle. La dernière manche a été remportée par le Japon
des Meiji qui y instaura d’abord un protectorat en 1905, puis une annexion pure et simple en 1910.
La mainmise totale du Japon sur la Corée dura jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Alors
peu développée par rapport à son envahisseur, la Corée est devenue un réservoir de ressources
naturelles et de force de travail utilisé au seul bénéfice du Japon. Certes, celui-ci a largement contribué
à industrialiser toute la Péninsule. Il a développé l’économie, l’administration, les infrastructures et
l’éducation de façon à ce que des richesses puissent y être produites et envoyées sur l’île nipponne.
Mais la population coréenne a surtout vécu 35 ans d’une dictature totale, d’une négation de son
identité et d’une assimilation forcée à la culture japonaise.
Parmi les mouvements de résistance qui n’ont pas manqué de naître à cette époque, figure celui qui
allait devenir le mouvement communiste coréen. Inspirées de la Chine, ennemi séculaire du Japon, et
encouragées par l’Union Soviétique, les idées révolutionnaires communistes se sont répandues aussi
bien au nord qu’au sud de la Péninsule. Le parti communiste coréen s’est structuré dans les années 30
et s’est lancé dans une guérilla contre l’occupant japonais. La figure de proue du mouvement de
résistance communiste que l’histoire a retenu est Kim Il Sung, qui deviendra par la suite le « Grand
Leader » de la Corée du Nord, nous y reviendrons.
…divisée artificiellement.
En 1945, le Japon tombe et se rend aux Alliés. Il est sommé de quitter le territoire coréen. Estimant
que le peuple coréen n’est pas encore prêt à se prendre politiquement en main, les Alliés décident d’y
installer une tutelle le temps de mettre en place les différentes institutions nécessaires à la gestion du
pays et de préparer les futurs dirigeants. La Péninsule est divisée en deux zones d’influence, l’une sous
tutelle soviétique et l’autre sous tutelle Alliée, puis américaine uniquement. La limite de ces zones est
fixée au 38ième parallèle. Le discours officiel était de rendre à terme l’indépendance à la Corée. Mais là
comme ailleurs, les deux blocs vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale se sont partagés l’influence
sur les nations périphériques.
1
Pax Christi Wallonie-Bruxelles
Dès 1947, les antagonismes entre les blocs capitaliste et socialiste annoncent la Guerre Froide. Sur la
Péninsule coréenne, les deux puissances rivales mettent en place leur stratégie : contenir le
communisme pour les Américains, répandre la révolution socialiste pour les Soviétiques. Le 38ième
parallèle devient la frontière physique entre la République de Corée au Sud et la République
Démocratique Populaire de Corée au Nord. Les Américains, via des élections au sein de l’ONU,
installent Syngman Rhee au pouvoir au Sud. Cet ardent nationaliste s’était exilé aux États-Unis et,
durant l’occupation japonaise, il fut le chef du gouvernement coréen en exil à Hawaï. L’Union
Soviétique a rejeté ces élections mais a préféré jouer la carte de l’absentéisme au lieu de celle du veto,
ne pouvant dès lors s’opposer à la tenue de ces élections au Sud, elle en organisa au Nord et mit Kim Il
Sung au pouvoir. Aucun des régimes ainsi installés ne reconnaissait la légitimité de l’autre et chacun
des chefs d’État s’estimait le seul leader légitime de toute la Péninsule.
Le territoire des deux Corées devint un des champs de batailles où s’affrontaient indirectement les
deux Grandes Puissances. Ni Sygman Rhee, ni Kim Il Sung ne cachaient leur volonté de reprendre
l’entièreté du territoire, par la force s’il le fallait. Les tensions idéologiques et territoriales entre eux se
sont accrues jusqu’au conflit ouvert.
Des sœurs ennemies hier…
Le 25 avril 1950, les hostilités entre les deux républiques s’enclenchèrent, sans déclaration de guerre
préalable. On ne sait pas avec certitude qui a entamé le conflit armé. La Corée du Nord nie avoir lancé
les hostilités et la Corée du Sud s’est d’emblée posée en victime de l’agression. Mais les nombreuses
études de la guerre de Corée et du contexte international dans lequel elle a éclaté montrent que les
responsabilités sont partagées. Les Puissances alliées de chacune des Corées pourraient également
avoir joué un rôle dans la préparation stratégique et militaire du conflit.
Le conflit débute par une guerre éclair : le Nord envahit le Sud et prend Séoul le 27 juin 1950. Les
forces en présence favorisaient le Nord qui disposait d’une armée puissante et bien entraînée. Le Sud
n’avait pas beaucoup investi dans le développement militaire, de par les traités signés avec les USA
qui se réservaient la protection de leur zone d’influence.
Face à l’avancée rapide des troupes du Nord, le Conseil de Sécurité de l’ONU décida de soutenir
militairement la Corée du Sud. Les troupes américaines débarquèrent le 1er juillet 1950, mais se
laissèrent déborder dans un premier temps. Fin juillet, la Corée du Nord était descendue pratiquement
jusqu’à l’extrême sud de la Péninsule.
A partir du 10 août, la situation se retourna. L’ONU ouvrit un second front à l’arrière des troupes nord
coréennes à partir d’Incheon (à l’ouest, sur la côte, à hauteur de Séoul) et bombardèrent les positions
ennemies, coupant les lignes d’approvisionnement. Les troupes des Nations Unies remontèrent
progressivement, entrèrent en Corée du Nord, prirent Pyongyang en octobre et reprirent le contrôle du
territoire jusqu’au fleuve Yalou qui marque la frontière avec la Chine.
Jusque là, la Chine n’était pas intervenue directement pour défendre son allié nord-coréen. Mais
historiquement, elle n’a jamais toléré qu’une puissance menaçante prenne quartier à sa frontière. Le 16
octobre, les troupes chinoises traversèrent le Yalou et repoussèrent les troupes des Nations Unies. Le
mouvement repartit dans l’autre sens : le 4 décembre 1950 Pyongyang fut reprise aux Américains et le
4 janvier 1951, Séoul retomba aux mains du Nord. Le balancier continua son va-et-vient : le 14 mars,
l’ONU reprit Séoul et le front finit par se stabiliser le long du 38ième parallèle. Le conflit s’enlisa alors
dans une guerre de positions jusqu’en 1953. Offensives et contre-offensives se succédèrent, violentes,
mais sans grand résultat.
2
Pax Christi Wallonie-Bruxelles
L’idée d’un armistice germa en URSS fin juin 1951, mais les pourparlers de paix prirent deux ans
avant d’aboutir. L’armistice fut signé à Panmunjom, une ville située à la frontière, côté sud, le 27
juillet 1953. Aucun Traité de paix ne fut signé et la situation resta très tendue. Chaque belligérant
campait sur ses positions idéologiques, sur sa volonté de réunifier le territoire sous sa seule autorité,
les troupes restèrent en position de combat de part et d’autre de la Zone Démilitarisée (la DMZ, un no
man’s land de 2 km de large qui court tout le long de la frontière).
Les résultats de la guerre furent quasi nuls en termes idéologique ou territorial. L’armistice consacra le
status quo ante bellum. Par contre, les dégâts matériels et les pertes en vies humaines furent
considérables. Les conflits ont été violents, de nombreux actes de cruauté ont été commis envers les
soldats du camp adverse et envers les civils. Beaucoup de prisonniers de guerre ne sont jamais revenus
et sont considérés comme disparus, de nombreuses familles ont été séparées par la frontière et la DMZ
qu’il est toujours impossible de franchir librement 60 ans après. Toute l’économie était à reconstruire
de chaque côté.
…et aujourd’hui
La Guerre Froide a pris fin avec la chute du mur de Berlin, et la Guerre de Corée pourrait figurer
parmi les conflits du passé si elle n’avait encore de nombreuses répercussions sur les deux États.
Ils ont connu un développement économique très différent : le Nord s’est développé le premier et est
resté en tête de la course jusqu’au début des années 1970, lorsque le Sud, à coup de réformes très
volontaristes et de soutien financier des USA a repris le dessus. L’économie du nord, frappé par les
crises qui frappèrent les économies socialistes dès le début des années 80, a entamé un lent déclin pour
finir par péricliter depuis deux décennies. Des famines sont survenues et la situation humanitaire s’est
fortement dégradée aux dires des rares personnes qui ont pu obtenir des informations de première
main… la Corée du Nord se tient volontairement isolée de la scène mondiale, ne laissant rien entrer ou
sortir sans un important dispositif de filtrage.
Militairement, les deux Corées consacrent un important budget au développement de leur force
militaire. L’armement du Nord est largement obsolète, mais il brandit régulièrement la menace
nucléaire pour contrer l’alliance du Sud et des USA (qui a permis aux premiers d’avoir une armée bien
entraînée et bien équipée, mais à qui il est formellement interdit dans un traité d’alliance de
développer un armement nucléaire).
Politiquement, après quarante ans de dictature, la Corée du Sud compte désormais au rang des
démocraties capitalistes tandis que son vis-à-vis est resté une dictature socialiste. Le Nord, quant à lui,
a construit sa stabilité sur 4 mythes habilement inculqués à sa population. Le mythe de la libération
tout d’abord prétend que Kim-il-Song, fondateur de la République populaire de Corée, a chassé
l’occupant japonais de la péninsule. Le mythe de la victoire ensuite prétend que le Nord a gagné la
guerre de 50-53 contre les Etats-Unis. Le mythe de l’unification entretient quant à lui l’idée que les
Sud-coréens vivent sous l’opression américaine et qu’ils attendent leur libération par le Nord. Pour
couronner l’édifice, les autorités nord-coréennes ont développé le mythe du paradis selon lequel leur
pays serait l’éden, que ses habitants seraient des privilégiés jouissant de la liberté, de la prospérité et
nageant dans le bonheur. Malgré tous les efforts des autorités nord-coréennes de maintenir leur
population dans l’ignorance des évolutions du monde, l’information commence à circuler et nombre
de nord-coréens se rendent compte qu’ils ont été endoctrinés. La transition dynastique du pouvoir de
père en fils choque tout particulièrement la population et même l’armée. Des tentatives de coup d’état
ont été tentées mais ont toutes échouées jusqu’à présent.
3
Pax Christi Wallonie-Bruxelles
Régulièrement depuis l’armistice, des réunions au somment sont organisées en vue d’un
rapprochement pacifique des deux Corées. S’il a longtemps été question de réunification, par la force
dans un premier temps, puis par des moyens pacifiques, l’opposition idéologique est restée vivace, la
rendant sinon impossible, en tout cas difficilement négociable. La tendance actuelle porte davantage
vers la recherche d’un partenariat en vue d’un développement économique mutuellement bénéfique et
d’un renforcement de la position de la Péninsule constituée en deux États sur la scène régionale.
L’idée serait d’amener à un adoucicement de la position idéologique du Nord sous la pression d’un
développement économique capitaliste.
En même temps, de nombreux litiges et points de tensions continuent de peser sur les relations
intercoréennes : entre autres, une sensibilité exacerbée de la Corée du Nord en ce qui concerne le
respect de ses frontières maritimes dans les zones de pêche a donné lieu à plusieurs incidents. Le
recours répété à la menace nucléaire par le nord et le retrait régulier du traité de non-prolifération
entretient une réaction plus que précautionneuse de la Corée du Sud et de ses alliés. Cette menace
alimente une forme de chantage à l’aide alimentaire ou énergétique du Nord. Elle contrecarre
également les exercices militaires conjoints américano-sud coréens que le Nord considère comme une
intolérable provocation. Les Sud-coréens espèrent finalement la réunification autant qu’ils la craignent.
Depuis 1972, le processus de paix a effectué plusieurs avancées significatives, dont la signature en
2007 d’une déclaration commune pour la paix et la prospérité. Mais l’histoire récente a montré à
plusieurs reprises que la signature d’accords n’est en aucun cas un gage de paix durable. Le conflit a
changé de forme, et d’intensité, mais pas de nature. Il s’est larvé, fondu dans les différents rounds de
discussion à quatre (avec la Chine et les USA), à six (avec le Japon et la Russie), jusqu’à ce qu’un
désaccord ressurgisse, une provocation, une menace… comme ce 23 novembre dernier.
Anne-Sylvie Berck,
membre de Pax Christi Wallonie-Bruxelles,
Décembre 2010.
Pour aller plus loin :
- Fabre, André, « Histoire de la Corée », Langues du Monde, l’Asiathèque, 2000.
- Oberdorfer, Don, « The Two Koreas. A contemporary History », Basic Books, 1997.
- Kim, Hak-joon, « North and South Korea: Internal Politics and External Relations since 1988 »,
University of Toronto Press, 2006.
4
Pax Christi Wallonie-Bruxelles