Observations FNARS à l`attention des députés - loi Besson
Transcription
Observations FNARS à l`attention des députés - loi Besson
Assemblée Nationale 126 rue de l’Université 75355 Paris cédex 07 SP La Présidente Paris, le 2 mars 2011 Objet : observations sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité Madame la Députée, Monsieur le Député, Le projet de loi «immigration, intégration et nationalité» a été voté en première lecture par le Sénat le 10 février dernier, il sera discuté en seconde lecture devant l’Assemblée nationale à partir du 8 mars 2011. A la veille de l’ouverture des discussions devant l’Assemblée, nous tenons à nouveau à vous faire part de notre analyse du projet de loi afin d’attirer votre attention sur certaines de ses mesures qui suscitent notre inquiétude et portent une atteinte grave aux droits des migrants. Si certaines d’entre elles ont été abrogées par le Sénat, elles sont réintroduites et aujourd’hui soumises à votre seconde lecture. Le projet de loi durcit les dispositions applicables en matière de privation de liberté des étrangers et menace leurs droits fondamentaux. Il complexifie de manière volontaire la législation française, systématise les procédures de blocage ou de reflux des personnes aux frontières et s’inscrit dans un climat de suspicion généralisée à l’égard des étrangers. Notre analyse s’appuie sur l’observation et l’expertise de la FNARS, un réseau constitué de 850 associations de solidarité et de 2700 établissements, qui accueillent et accompagnent chaque année plus de 600 000 personnes dont un nombre croissant d’étrangers. Le projet de loi rend encore plus complexe le travail d’accompagnement social accompli par les associations Au contraire de la simplification annoncée, les réformes successives contribuent à rendre plus opaque le droit et les dispositifs de prise en charge. Ainsi, les professionnels auront de plus en plus de mal à exercer leurs missions d’accueil inconditionnel des personnes en difficultés dont font partie de nombreux étrangers. Deux craintes majeures demeurent: les interpellations des personnes en situation irrégulière au sein ou aux abords des structures d’accueil et d’hébergement et les poursuites pénales à l’encontre des personnes physiques ou morales qui viennent en aide aux sans papiers compte tenu des dispositions sur le délit de solidarité insatisfaisantes. Les étrangers vivront dans la crainte de mesures d’éloignement de plus en plus coercitives et expéditives, connaîtront des conditions de vie de plus en plus précaires. Le risque est grand qu’on ne soit plus en mesure de répondre à leurs besoins élémentaires parce qu’ils n’oseront plus solliciter de l’aide et préfèreront l’anonymat et la clandestinité: accès au logement, accès aux soins, accès aux droits, accompagnement dans les démarches administratives, accès à l’éducation… Le projet de loi menace de nouveau le droit au séjour des étrangers malades Le projet de loi adopté par le Sénat supprime l’article 17 ter qui prévoyait de limiter le droit au séjour pour raison de santé, à l’indisponibilité du traitement approprié dans le pays d’origine et non plus à l’accès effectif aux traitements. La réintroduction de cette disposition constitue une atteinte manifeste au droit des étrangers malades, contraires aux enjeux de santé publique. Ces mesures sont socialement et éthiquement injustes. Elles sont aussi dangereuses et elles auront à terme un coût bien plus important que les économies de court terme réalisées. Refuser aux malades l'accès aux soins et le droit au séjour renforce la clandestinité, le non recours aux soins, les difficultés de prévention et le retard dans la prise en charge médicale. Les impératifs de santé publique des populations en France doivent conduire à rejeter ces mesures et plus largement tout recul dans la protection des étrangers gravement malades. Le projet de loi porte atteinte au droit d’asile et restreint l’accès au dispositif national d’accueil Une disposition vise directement le droit d’asile : il s’agit de l’extension de la procédure prioritaire aux personnes présentant une demande d’asile frauduleuse. Selon le projet de loi, cette demande sera considéré comme frauduleuse lorsque le demandeur aura « délibérément dissimulé ou présenté de fausses indications concernant son identité, sa nationalité ou ses modalités d’entrée sur le territoire ». Alors que le Sénat avait assoupli le texte, cette reprise des dispositions initiales constitue une nouvelle restriction pour l’admission provisoire au séjour d’un demandeur d’asile, priorisant une logique de contrôle et de suspicion à une démarche de protection et de bienveillance. Elle tend à nier la détresse et l’extrême vulnérabilité psychologique dans laquelle se trouve le demandeur d’asile en arrivant en France et la perte de confiance qu’il peut avoir vis-à-vis des autorités. En réduisant l’accès des migrants au territoire national par le développement des dispositifs de surveillance et d’enfermement, le projet de loi tend à restreindre de manière insidieuse l’effectivité du droit d’asile reconnu aux personnes persécutées ou craignant de l’être. Quatre mesures, amendées par le Sénat mais réinstaurées par la commission des lois restreignent tout particulièrement les possibilités de déposer une demande et de voir sa demande étudiée : - la création des zones d’attente mobiles, espace artificiellement défini, permettant d’enfermer les personnes placées sous ce régime et de réduire leur droit. A cet égard le nombre de 10 personnes nécessaires à la constitution de cette zone d’attente n’apparait pas un critère suffisant pour garantir le droit des personnes, le risque étant de systématiser la création de ses dernières sans limitation de durée et constitutives d’un droit dérogatoire. - l’exclusion du bénéfice de l’aide juridictionnelle pour les réexamens OFPRA, privant les demandeurs d’asile du droit d’être conseillés et défendus équitablement. - le maintien des interdictions de retour sur le territoire français synonymes d’un bannissement particulièrement préjudiciable aux déboutés qui solliciteraient une nouvelle protection au regard de la situation inextricable qu’ils ont de nouveau vécue dans leur pays d’origine. - la systématisation des obligations à quitter le territoire français devenant l’outil principal d’éloignement; elles peuvent être exécutoires sans délai, sans contrôle judiciaire, rendant ainsi le recours complexe sinon illusoire. Le droit d’asile est un droit protégé par les conventions internationales. La protection des personnes menacées ou persécutées doit être la priorité de toute politique d'asile, permettant aux demandeurs d’asile de voir leur demande examinée en France, au terme d’une procédure garantissant un examen de qualité des demandes de protection et respectueuse des droits du demandeur. Ce texte éloigne progressivement notre pays de cet objectif. Le projet de loi porte atteinte au principe de l’inconditionnalité de l’accueil Dans un amendement relatif au régime de l’éloignement des ressortissants de l’Union européenne, le gouvernement considérait pour un ressortissant communautaire que le fait de bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence pouvait constituer un abus de droit, susceptible d’entraîner une mesure d’éloignement à l’encontre de l’étranger et de sa famille y ayant recours. Si les références à l’hébergement d’urgence, au bénéfice de l’assurance maladie et à l’aide sociale ont été supprimées du projet de loi, le fait de bénéficier du système d’assistance sociale continue de constituer un abus de droit. Ce texte, qui reste par ailleurs assez flou, permettra de justifier l’éloignement de personnes et de familles éprouvant de graves difficultés. Ainsi, tel qu’il est rédigé, le projet de loi adopté par le Sénat maintient la logique sous jacente d’une politique encore plus répressive à l’égard des étrangers, notamment communautaires. Cet article est tout autant en contradiction avec ce que la loi française a toujours garanti ainsi qu’avec toutes les valeurs défendues par les associations adhérentes à la FNARS qui accueillent au quotidien « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale devant avoir accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence » et ce, conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles. Le projet de loi maintient le délit de solidarité Aujourd’hui, en France, accueillir, accompagner ou simplement aider une personne sans-papiers est considéré comme un délit au titre de la loi. Mais, avant d’être «sans-papiers», ces hommes, ces femmes et ces enfants sont des personnes en difficultés, isolées et démunies et il est de notre devoir de citoyen de les aider dans la dignité et le respect dû à chaque être humain. En effet, de nombreuses associations et de citoyens se mobilisent au quotidien en accueillant et accompagnant des personnes en très grandes difficultés. Le projet de loi vient modifier, sans l’exclure, la possibilité pour ces associations et simples citoyens d’être inquiétés de poursuites éventuelles. Cette évolution législative n’est pas satisfaisante puisque la loi, si elle était ainsi adoptée, exclurait de son domaine d’application les actions uniquement « nécessaires à la sauvegarde de la personne de l’étranger » sans écarter spécifiquement les actions d’entraide humanitaire menées par ces personnes. Au-delà des articles, c’est le sens de la loi et les valeurs qu’elle véhicule qui doivent véritablement changer aujourd’hui. La solidarité ne doit plus aujourd’hui constituer un délit. Il est important que les associations de solidarité et plus largement toute personne morale ou physique intervenue pour préserver les droits, la dignité ou l’intégrité physique de l’étranger ne soient plus sujets à de possibles placements en garde à vue ou de condamnations pénales pour aide au séjour irrégulier. Nous souhaiterions que vous gardiez à l’esprit ces principes essentiels lors des débats qui s’annoncent devant le Sénat et sommes disposés à échanger et débattre avec vous sur ces sujets. Bien que nous maintenions une opposition de principe au vote de ce texte de loi dans son ensemble, nous avons tenu à vous faire part de notre analyse et à attirer votre attention sur certains points. Dans l’attente, je vous prie de croire Madame la Députée, Monsieur le Député, en l’assurance de ma haute considération. Nicole MAESTRACCI