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dossier Journal de Cannes 2013 La quinzaine des réalisateurs Par Françoise Camet Léonard de Vinci 1985 Extraits... Une dizaine d’autres films restant encore dans « l’enfer » de chroniques à venir... The Congress d’Ari Folman (2 h) – Israélien (coproduit avec la Belgique, le Luxembourg l’Allemagne et la Pologne.) Le pitch : Robin Wright, interprète son propre rôle d’actrice en fin de course, acceptant de scanner son image et d’en vendre les droits aux studios Miramont. Ceux-ci vont l’exploiter ad libitum notam ment dans des séries de science-fiction. Seules seront interdites les utilisations dans des films pornos ou sur l’Holocauste. Vingt ans après, elle débarque dans un congrès de futurologie. Le film, inspiré du roman de Stanislas Lem, déroule un propos ambitieux, sur l’avenir du cinéma, l’évolution des actrices vieillissantes, mais il s’égare dans plusieurs voies narratives et perd progressivement de sa force lors de sa seconde partie animée. Celle-ci, trop datée et digne de l’album Sergent Pepper des Beatles, paraît réalisée sous psychotropes des années 1970. L’excellent incipit entre Robin Wright et Harvey Keitel ne tient pas toutes ses promesses. Dans un long plan fixe sur le beau visage de l’actrice où perlent les larmes, on entend la voix off de son agent dresser un réquisitoire implacable sur ses ratages successifs jusqu’au mauvais choix... de sa mère ! L’humour grinçant est également convoqué pour tourner en dérision acteurs et actrices ayant connu des embardées de carrière (N. Kidman et T. Cruise sont ainsi reconnaissables). Mais le discours devient rapidement trop long, complexe et fini par peser des tonnes. On aurait volontiers amputé le film d’une bonne demi-heure tant on a l’impression qu’il ne parvient pas à conclure, même si l’histoire du fils, atteint d’un syndrome dégénératif le rendant sourd et aveugle, aurait pu déclencher l’émotion. Il est vrai qu’après l’absolue réussite de Valse avec Bachir, changer de registre constituait une gageure. Les Garçons et Guillaume… à table de Guillaume Gallienne (1 h 25) – France. Deux prix (de la Sacd et l’art cinema award de la Cicae) ont justement récompensé ce film tendre, drôle et sensible sur la question de l’identité sexuelle. Comment un coming-out hétérosexuel surprend toute une famille convaincue que le dernier fils ou frère est homosexuel. L’hommage à la mère de l’acteur-cinéaste est magnifié par le fait que le fils endosse le rôle à l’écran avec un humour ravageur. On rit sans cesse et on est ému par la profondeur de la réflexion qu’assume l’auteur. Tiré de sa pièce autobiographique, Guillaume Galienne parvient à donner une épaisseur supplémentaire à son film en multipliant les effets visuels hilarants. Les leçons de Sévillanne, les bains en Hongrie sont des morceaux de bravoure inénarrables. La Semaine de la critique Suzanne de Katell Quillévéré (1 h 34) – France. Un très beau portrait de femme mené sur 25 ans avec un quatuor d’acteurs passionnants, au premier rang desquels il faut citer la grande justesse de Sara Forestier, tour à tour éperdue de détresse, lumineuse et retenue. Attachant et émouvant de bout en bout, le film montre le naufrage du grand amour d’une jeune fille mère pour un beau délinquant. Sur fond de peinture sociale réaliste, la narration romanesque se déploie progressivement avec deux personnages « secondaires » dont l’épaisseur nous envoûte, le père dépassé (François Damiens) et la sœur cadette solaire (Adèle Haenel, admirée notamment dans Alyah). Un Certain regard L’Inconnu du Lac d’Alain Guiraudie (1 h 37) – France. Un beau film dérangeant qui se déroule au bord d’une plage et d’un bois hanté par la drague et le désir homosexuel. Franck tombe sous le charme vénéneux de Michel, beau mâle attirant mais inquiétant. Il le surprend en train de noyer délibérément son compagnon et, quelques jours plus tard, d’assassiner successivement un ami puis le commissaire de police. La nuit tombe sur / juillet-août 2013 / n°433 17 dossier Cinéma & Pouvoirs cette scène de crime où restent seuls à se mesurer Michel et Franck. Le générique de fin apparaît sans révéler l’issue qui promet toutefois d’être sanglante. Sens du récit et construction formelle sont au rendez-vous. Sous nos yeux s’égrènent quelques jours de vacances au rythme des baignades dans ce lac paisible en apparence. Chaque séquence s’ouvre sur le ballet des voitures qui se garent, ronde précurseuse des échanges entre protagonistes venus chercher la bonne fortune sexuelle et peut-être l’amour, puis un plan fixe sur les eaux vient conclure la « journée ». L’amitié peut aussi germer sur ces galets peu hospitaliers. Ainsi, Patrick d’Assumçao campe un Henri peu sexy mais pétri d’une humanité attachante. La crainte du silure, monstre lacustre sans cesse mentionné, paraît surtout évoquer le spectre du sida. Il y a du Georges Bataille dans cet affrontement de l’amour et de la mort comme dans cet extrait du Divin : « Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l’ai encensé toute ma vie, et j’ai voulu la terminer dans ses bras ». Justement récompensé par le prix de la mise en scène. Grand Central de Rébecca Zlotowski (1 h 34) – France. L’action se déroule dans l’enceinte d’une centrale nucléaire avec le risque de contamination démultiplié pour les travailleurs temporaires qui y officient. L’histoire de cœur entre deux jeunes gens irradie le film et agit comme une « surdose » d’amour. L’allégorie avec la réaction nucléaire vient naturellement à l’esprit et lorsque l’amour est en marche plus rien ne l’arrête. Tahar Rahim, toujours aussi puissant est associé cette fois ci à la pulpeuse Léa Seydoux au magnétisme irrésistible. Ils forment un couple d’anthologie à la « Casque d’or ». Olivier Gourmet campe un chef d’équipe fatigué. Le trio de grande qualité et la cohorte de seconds rôles prometteurs évoluent sous la direction efficace de la jeune Rébecca Zlotowski. La réalisatrice conduit une narration rigoureuse et dresse une peinture réussie de ces travailleurs de seconde zone qui interviennent de plus en plus sur les centrales nucléaires d’EDF. Le film développe un propos romantique mais aussi écologique et politique sur la condition sociale réservée à ces salariés. Récompensé par le prix François Chalais. 18 / juillet-août 2013 / n°433 Wakolda de Lucia Puenzo (1 h 30) – Argentine. Argentine année 1960 : la longue route de la Patagonie à Bariloche va permettre à un étrange inconnu de s’incruster dans la vie d’une famille pour y pratiquer d’inquiétantes expériences sur une jeune fille en retard de croissance et deux jumeaux à naître. Il s’agit en fait de Mengele, qui parviendra à échapper in extremis à ses poursuivants du Mossad. Les ravages de ces pratiques scientifiques déviantes avaient déjà été décrits dans le roman éponyme de l’auteur qui les portent ici avec succès à l’écran leur réservant le splendide écrin des paysages naturels argentins. l’image sourdement éclairée. Une relation sensuelle brute et sauvage s’installe entre Vincent Lindon et Chiara Mastroianni, mais une histoire glauque de relations perverses et incestueuses peine à convaincre dans la dernière partie. La belle Lola Creton révélée par Hans Mia Love erre nue dans les rues, les jambes ensanglantées. L’oncle (Vincent Lindon) découvre au terme de l’histoire que ces blessures intimes lui ont été infligées par son père. Le salaud est en chacun de nous, semble nous rappeler Claire Denis, mais les riches s’affranchissent encore plus aisément de toutes règles morales. Un film bien construit dont le final tortueux détourne cependant d’une adhésion pleine et entière. La Jaula de oro de Diego Quemada-Diez (1 h 50) – Espagne. Trois jeunes candidats à l’immigration vers les États-Unis quittent le Guatemala et leur Chiapas natal pour rejoindre la terre promise. La longue fresque qui présente leur tentative retrace fidèlement les malheurs qui pavent leur itinéraire à risques. Ils sont expulsés dès leur entrée au Mexique avec retour à la case départ qui laissera sur place un des premiers protagonistes finalement désireux de conserver le très relatif confort de sa vie au pays plutôt que subir les violences policières et celles des prédateurs qui accompagnent les tribulations des migrants. Le voyage reprend avec les deux Guatémaltèques et un jeune indien volubile qui ne comprend pas l’espagnol. Le cauchemar va s’abattre sur eux à commencer par la jeune fille qui, bien que déguisée en garçon, va être kidnappée par des voleurs de train et violeurs en série. Les deux jeunes gens, d’abord antagonistes car amoureux de leur jeune compagne, vont se sauver mutuellement la vie. Toutefois, l’indien va la perdre brutalement une fois franchie la frontière des États-Unis. Les dernières images montrent le survivant astreint à un travail dur et harassant dans un dépôt de carcasses de viande. La « décomposition » devient totale. Prix « Un Certain talent » attribué au jeune trio d’acteurs tour à tour exalté puis accablé par la dure réalité qui s’impose à eux. My Sweet pepperland d’Inneh Saleem (1 h 35) – kurde. Ce western aux confins du Kurdistan fron talier de l’Irak et de l’Iran met en scène dans une nature superbe une douce romance entre un jeune chef de police, ancien héros de guerre, et la belle Golshifteh Farahani, institutrice de son état. Elle doit faire face aux résistances de ses douze frères (!) de même qu’à celles de l’entourage local très rétif à confier cette fonction à une femme. Le film constitue une œuvre d’émancipation politique et sociale qui permet notamment à la jeune célibataire éduquée de passer une nuit dans les bras de son amant. La scène introductive atteint des sommets de cocasserie grinçante avec les ratés de la pendaison d’un voleur qui finit sur une potence par défaut de places disponibles dans les prisons encore peu nombreuses. L’humour traverse cette fresque qui met en lumière les failles de la construction d’un tout jeune État de droit face aux coutumes tribales. Dans cet univers âpre, les tendres mélopées composées par l’actrice iranienne s’égrènent dans un splendide cadre montagneux insufflant douceur et poésie. Les salauds de Claire Denis (1 h 45) – France. Le traitement formel de grande qualité donne à voir une belle scène introductive noyée sous la pluie, des bruns cuivrés nappent Compétition officielle Le Passé d’Asghar Farhadi (2 h 10) – Franco-italo-iranien. L’auteur du célèbre Une Séparation sait incontestablement raconter l’intime et fouiller dans l’univers familial pour examiner avec une précision clinique le champ clos de nos passions. Le film rappelle avec force que nul n’échappe à son passé et ne peut construire une nouvelle relation sans regarder ses actes avec l’apaisement dossier que confère la maturité. L’excellente interprétation masculine entraînée par le talentueux Ali Mosaffa - Ahmad (plus Tahar Rahim et Elyes Agui) réjouit tout au long de ce long parcours introspectif. L’ex-mari iranien venu à Paris conclure un divorce à la demande de sa femme, joue les bons offices entre mère, adolescente en rupture de ban, futur beau-fils, nouveau compagnon, etc. Calme et mesuré, il paraît seul susceptible de faire face à la situation chaotique qu’il découvre à sa descente d’avion. L’appartement de banlieue est en chantier à l’image de la vie de tous les protagonistes qui l’habitent. L’épouse de Tahar Rahim s’avère en réanimation après une tentative de suicide... ce qui corse le tableau. D’autant que chacun détient une partie de vérité sur les causes de ce passage à l’acte. Culpabilité, anxiété et mensonges rongent les différents protagonistes qui restent seuls face à leurs contradictions. À signaler également une interprétation de Bérénice Béjo, diversement appréciée mais distinguée par la palme de la meilleure actrice. Jimmy P. d’Arnaud Desplechin (1h 56) – France. En 1948, un Indien blackfoot souffre de troubles physiques et psychiques après une blessure de guerre. Il est hospitalisé à Topeka (Kansas) dans le plus grand établissement militaire de l’époque. Le film commence comme une fresque naturaliste américaine et conte ensuite par le menu la psychanalyse de Jimmy Picard menée par le professeur Georges Devereux, médecin français d’origine roumaine (né dans la province de Banat, appartenant à l’époque à l’Empire austro-hongrois). Dans le déroulement de la cure, les deux protagonistes sont sur un pied d’égalité. On voit se former les questions-réponses qui ont donné lieu au développement de l’ethno-psychiatrie. C’est la mise au jour de cette nouvelle science qui fait tout l’intérêt du film. Les correspondances s’établissent entre l’univers onirique ancestral de l’Indien et sa résonance dans sa vie quotidienne d’Américain du XXe siècle. On est réjoui par la magistrale interprétation d’un Benicio del Toro, lent et réfléchi et d’un Mathieu Amalric exalté qui brûle de fièvre et ne trouve son précaire équilibre que lors de la venue de sa belle amante, interprétée par Gina Mac Kee. Certains spectateurs ont déploré l’ennui que je n’ai pour ma part aucunement ressenti au cours de ces deux heures de projection. J’ai plutôt apprécié la maîtrise avec laquelle ce long processus introspectif parvenait à être mis en scène tel un thriller. Un Château en Italie de Valeria BruniTedeschi (1 h 30) – France Film sensible bien qu’un peu foutraque, qui offre de bien jolies scènes hilarantes mais également tristes et tragiques. L’actrice-réalisatrice livre ses obsessions sur la maternité, la religion et les relations familiales endeuillées par la mort d’un frère merveilleusement tendre et attachant. La mère et l’amant (Louis Garrel) jouent leur propre rôle et l’on apprécie toute la palette de jeu de Marisa Borini, qui nous permet d’apprécier également ses talents de pianiste-concertiste. Un film personnel au charme ténu mais durable. Behind the candelabra de Steven Soderbergh (1 h 58) – USA. Un opus kitchissime qui permet de découvrir la vie amoureuse de Liberace un pianiste virtuose aux tenues étincelantes, roi de l’entertainment, cachant son homosexualité à ses nombreuses admiratrices. Le biopic retrace les cinq années de sa relation avec Scott Thorson joué à l’écran par un Matt Damon surprenant en blondinet enrobé. La performance de haute volée de Michael Douglas tout à fait sidérante le hisse définitivement au rang des grands acteurs après une filmographie un peu erratique. Nebraska de John Payne (1 h 50) – USA. Un road movie entre père et fils assorti d’une superbe photographie en noir et blanc. Robert Dern (prix d’interprétation masculine) est convaincu qu’il possède le billet gagnant d’une loterie lui permettant de toucher un million de dollars au Nebraska. Il s’obstine avec une volonté sénile à faire le voyage à pied pour toucher son gain. Son plus jeune fils, séparé depuis peu, décide finalement de l’accompagner dans cette quête improbable. Suite à une blessure du père ils séjournent dans la famille à Hawthorne et retrouvent les traces de son passé. Le but du voyage dévoilé suscite alors les appétits des parents et amis. Cette chronique douce-amère raconte avec une précision ethnographique la balade des deux hommes dans cette Amérique profonde frappée par la crise. La mère, tonique et parlant cru, donne du souffle au récit qui se construit en partie sur ses frustrations. Le plus beau plan présente la fratrie du « héros », des hommes alignés sur une banquette, mutiques, se gavant de ribs and chips devant une série TV : une photo digne de Robert Adams ou Victor Friedman. La séquence finale offre également une jolie conclusion. Le fils a finalement acquis un truck d’occasion et permet au père de réaliser son rêve : parader au volant de l’engin dans l’artère principale de sa ville natale. Les chimères gardent vivants plus longtemps. The Immigrant de James Gray (2 h) – USA. Ewa (Marion Cotillard) et Magda arrivent de leur Silésie natale à Ellis Island mais l’aînée doit laisser sa soeur tuberculeuse derrière elle. Pour la sauver et lui permettre de gagner à son tour la terre promise, Marion Cotillard va remettre son sort aux mains de Bruno, le maquereau sans scrupule campé par Joaquim Phoenix, et se prostituer. Bien que je sois une inconditionnelle de la filmographie de James Gray, je suis cette fois conduite à dénoncer l’ennui qui suinte très vite de cette reconstitution en costumes pourtant sans faux plis. Rien n’y fait : la lumière travaillée, les ressorts dramatiques dignes d’une Traviata, la diction polonaise impeccable, les deux acteurs ne parviennent pas à transmettre une émotion. Ewa paraît nunuche et J. Phoenix devient inutilement grandiloquent sans être crédible. Jéremy Renner est le seul à tirer son épingle du jeu, car il incarne le personnage plus léger d’Orlando, « le magicien » prêt à risquer toutes les aventures. L’académisme du film ne lui permet à aucun moment de décoller vers ce qui nous submergeait à la vision du superbe América América d’Elia Kazan. Une déception à la hauteur des espérances pourtant placées dans ce réalisateur si apprécié de ce côté de l’Atlantique. La Vie d’Adèle Abdellatif Kechiche (2 h 59) – France. La passion torride qui se noue entre Adèle et Emma la belle fille aux cheveux bleus, nous touche et nous bouleverse, tant A. Kechiche a su faire montre d’une justesse parfaite dans les dialogues et prises de vue. Le film s’ouvre sur les premiers émois d’Adèle relayés par La Vie de Marianne / juillet-août 2013 / n°433 19 dossier Cinéma & Pouvoirs de Marivaux. Avec le même talent que celui exposé dans L’Esquive, il montre cette jeunesse sous la pression du conformisme de ses pairs. Les très belles scènes se succèdent qui montrent la meneuse de service de la cour de récréation orchestrer les rencontres et en commenter longuement les suites. L’éclosion de la sexualité d’Adèle est traitée avec un délicat impressionnisme. Les gros plans montrent sa lèvre humide, ses cheveux épars, ses formes généreuses. La suite appartient désormais aux torrents de commentaires élogieux qui ont conduit l’auteur vers la Palme d’or. Les scènes d’amour explicites cadrées avec élégance laissent monter le flot de plaisir comme une onde de jouvence. Les deux jeunes femmes se quitteront toutefois sans doute en raison des différences sociales qui conduiront chacune vers d’autres aspirations, voire d’autres ambitions. Emma, la peintre, assouvira son désir de fonder une famille et retrouvera l’alliance « naturelle » qui l’unis sait à sa précédente compagne, galeriste enceinte d’une petite fille. La Vénus à la fourrure de Roman Polanski (1 h 39) – Pologne. Il s’agit d’un huis clos dans un théâtre désert où se déroule une audition pour La Vénus à la fourrure, alors que subsiste le décor d’un Texas de pacotille qui va offrir nombre de références sexuelles, dont son cactus érectif. Emmanuelle Seigner (Wanda) arrive bien après l’heure, trempée jusqu’aux os, affichant un look de bombasse porté à son incandescence. Mathieu-Amalric (Thomas) devenu double de Roman Polanski s’apprête à rejoindre sa fiancée dépeinte sous les traits d’une quasi-Jeanne Balibar. Le scénario burlesque souligne dans un premier temps les différences sociales entre le metteur en scène et l’actrice-candidate puis transforme progressivement Wanda en dominatrice ensorcelante possédant son texte à la perfection. Le spectateurvoyeur assiste à une séance de drague entre Polanski et sa femme. Le déroulement met à nu tous les fantasmes qui le taraudent depuis toujours : sadisme et masochisme sont au rendez vous puisque évoqués par l’auteur du célèbre roman autrichien du XIXe siècle, dont l’œuvre est adaptée à la scène. Amalric prête sa voix et son physique gemellaire à cette entreprise. L’humour dévastateur tombe juste. Et quelques autres pépites en réserve pour les mois qui viennent... ■ Bilan de la sélection du Festival de Cannes 2013 Par Christophe Witchitz Jean-Jacques Rousseau 2011 Inspecteur des finances 20 / juillet-août 2013 / n°433 L’édition 2013 du Festival de Cannes n’a pas fait que couronner le cinéma français en remettant sa Palme d’or à La Vie d’Adèle. Elle en a surtout démontré, au gré des projections et des sélections parfois parallèles, la rutilante santé, la vitalité protéiforme, la roborative poussée de sève de toute une génération qui ne peut que réconforter sur l’avenir d’un cinéma qui, s’il incarne plus que jamais l’exception culturelle, fait néanmoins toujours l’objet d’interrogations récurrentes sur sa capacité à créer des formes nouvelles et à faire preuve d’audace tout en assumant l’héritage de son passé. D e l’audace, Abdellatif Kechiche n’en a pas manqué. Chronique intime d’une passion homosexuelle adolescente étalée sur plusieurs années, son Adèle constitue la réussite éclatante d’un cinéma unique dans la cartographie mondiale, capable de faire la jonction entre le naturalisme des grands anciens (Renoir et Pialat, au premier chef) et une approche lyrique et quasi épique du quotidien et de la temporalité. Kechiche travaille en effet comme personne la durée et les corps, poussant chaque scène jusqu’à son épuisement terminal avec une voracité inouïe qui subsume ses actrices au bout du sentiment amoureux et de l’orgasme. Et c’est à raison que le jury présidé par Steven Spielberg a sacré ce film qui aura dominé la sélection, récompensant une ambition peu commune tissée à trois par le réalisateur et ses deux actrices, Léa Seydoux et la révélation Adèle Exarchopoulos, qu’il couve trois heures durant d’un regard démiurgique à la fois dossier bienveillant et prédateur : concurrencer la vie par le cinéma en la sublimant, en faisant de la naissance et de l’étiolement d’un amour, de l’embrasement de la passion et de la déchirure de la séparation, de la mue de l’adolescence à l’âge adulte, une fresque universelle. C’est de cette même audace dont ont fait montre Alain Guiraudie et Serge Bozon. Le premier, à Un certain regard, a donné à travers L’Inconnu du lac l’un des grands temps forts du festival : l’acuité de sa mise en scène y transfigure un thriller naturiste explicite dans les milieux gays en une danse radicale entre Eros et Thanatos, à la fois exercice de style hitchcockien et bouleversant chant de solitude. Le second a marqué les esprits à la Quinzaine des réalisateurs avec l’humour non-sensique et brutal d’un Tip top hanté par le sexe et la politique, qui réussit l’exploit de radiographier une France contemporaine à bout de nerfs et de violence tout en multipliant les moments de burlesque pur (lunaires François Damiens et Isabelle Huppert). Le cinéma français aura ainsi donné le la à une sélection travaillée par la sexualité, sous sa double acception, celle de l’acte sexuel et celle des genres. Le sexe, la violence, l’exil Le sexe, tout d’abord : les ébats y ont souvent été tarifés, soit par choix ludique, comme la Jeune et jolie héroïne de Francois Ozon, soit pour survivre dans un monde de lucre en recourant à la prostitution, à l’instar de l’immigrante de James Gray ou de la reine de la nuit du Grigris de MahamatSaleh Haroun. Sur les genres, ensuite : l’homosexualité, abordée frontalement chez Kechiche comme chez Guiraudie, était aussi, bien qu’abordée sur un mode mineur, le centre de gravité à la fois ostensible et caché du biopic de Steven Soderbergh sur le pianiste américain de charme Liberace et son amant, campés respectivement par Michaël Douglas et Matt Damon avec kitsch, élégance et une délicatesse peu commune dans Ma vie avec Liberace. La confusion des genres a enfin connu son acmé avec la pochade faussement jubilatoire de Polanski, variation méta sclérosante d’ennui et de lourdeur sur La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch, au gré d’une joute rhétorique desséchée en huis clos sur les rapports de domination homme-femme entre une Emmanuelle Seigner hystérique et un Matthieu Amalric plus histrionique que jamais. Outre le sexe, la violence a également été à l’honneur dans cette édition d’une brutalité inusitée. Heli, d’Amat Escalante, qui a reçu le prix de la mise en scène, a sonné la charge en captant, avec un indéniable sens du cadrage mais également une complaisance douteuse, la litanie de supplices infligés à une famille pris dans les rets du narcotrafic mexicain, et ce jusqu’à la nausée. Jia Zhang-Ke, l’un des plus grands cinéastes actuels, a pour sa part opéré avec sa fresque chorale A touch of sin (prix du scénario) un virage sidérant dans sa filmographie en multipliant les explosions de violence stylisée empruntées au cinéma de genre et au western pour rendre compte de la désespérance de la Chine contemporaine, et de la rage accumulée par tous les humiliés et offensés exclus du développement économique du pays. Révolte : tel était également le mot d’ordre du marchand de chevaux inventé par Kleist et revisité par Arnaud Des Pallières avec une raideur formelle toute janséniste, Michael Koolhaas, en guerre contre l’injustice commise contre lui par un roitelet médiéval et qui met en branle d’autres damnés de la terre pour obtenir réparation. Des films d’intérêt inégal, parfois contestables dans leur représentation de la violence, mais qui ont eu au moins pour mérite de trancher avec l’antipathique oisiveté suintant des portraits de l’aristocratie décadente de Paolo Sorrentino (La Grande bellezza et son habituel cortège de visions néo-felliniennes tournant à vide), de Valeria Bruni-Tedeschi (Un Château en Italie et sa solipsiste autofiction névrotique aux confins du risible) et, plus étonnamment, de Jim Jarmusch et de son pathétique couple de vampires dandys pétris d’ennui (Only lovers left alive). Enfin, au-delà de films davantage aimables mais foncièrement anecdotiques ancrés dans une géographie donnée (Nebraska d’Alexander Payne dans l’État du même nom, Inside Llewyn Davis des frères Coen dans le Greenwich Village pré-dylanien), une tendance de fond s’est affirmée avec une ampleur inédite, entérinant une dynamique profonde du cinéma mondial : la déterritorialisation est devenue le sujet de nombreux films, eux-mêmes transnationaux et brassant plusieurs langues. Si Jimmy P., de Arnaud Desplechin, n’a que partiellement convaincu de par son didactisme quelque peu démonstratif, son ambition d’organiser la rencontre entre la France, l’Amérique, les Indiens et la psychopathologie freudienne était emblématique d’une sélection où les thématiques du déplacement et de l’exil ont été récurrentes. Le divorcé iranien du Passé, d’Ashgar Farhadi (dont la mécanique narrative a été plus inspirée), a ainsi campé un étranger de passage dans une banlieue pavillonnaire française, tandis que Ryan Gosling incarnait un Œdipe contemporain échoué à Bangkok dans le déceptif et hiératique Only god forgives de Nicolas Winding Refn, ultra-formaliste autant qu’ultra-violent. Mais c’est surtout à travers The Immigrant que toutes ces thématiques (le sexe, la violence, l’exil) ont trouvé leur point d’accomplissement ultime. Plus beau film de la sélection avec le Kechiche, il n’en est pas moins reparti bredouille, le jury ayant sans doute été désarmé par le classicisme au cordeau de James Gray, pourtant d’une fluidité hors pair, que d’aucuns ont trop vite pris pour de l’académisme. À travers le portrait d’une jeune catholique polonaise qui débarque dans le New York des années 1920, contrainte à la déchéance et à la prostitution sous la coupe d’un maquereau qui l’aime autant qu’elle l’abhorre pour sauver sa sœur retenue en quarantaine à Ellis Island, James Gray a tourné un mélodrame magnifique, digne héritier des chefs-d’œuvre de Raoul Walsh et Michael Curtiz. D’une retenue et d’une linéarité parfaites, le film prend des atours de tragédie dostoïevskienne, avant de se révéler comme une parabole d’une rare finesse sur la foi et l’espérance, la rédemption et la purification. Le duo Marion Cotillard-Joaquim Phoenix aura ainsi été, d’une certaine manière, le pendant opératique et douloureux du couple solaire de La Vie d’Adèle : deux films-sommes et deux sommets de cette édition 2013, car deux chefs-d’œuvre humanistes. ■ / juillet-août 2013 / n°433 21