Catherine de Sienne. Vie et passions
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Catherine de Sienne. Vie et passions
Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2015 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. « J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie le livre intitulé Catherine de Sienne. Vie et passions, que j’ai récemment publié aux Éditions du Cerf (Paris, 2015, 254 p.). Catherine de Sienne (13471380) est peu et mal connue en France. Cette incompréhension remonte assez loin dans le temps : au début du XVe siècle déjà, Gerson parla d’elle comme d’une exaltée qui aurait eu une certaine responsabilité dans l’éclatement du Grand Schisme en incitant la papauté à quitter Avignon pour Rome en 1376, et, à partir de 1378, son adhésion passionnée à la cause d’Urbain VI la rendit suspecte aux Français qui soutenaient Clément VII qu’elle traitait d’Antéchrist. La dernière biographie de caractère scientifique qui lui a été consacrée dans notre pays est celle de Robert Fawtier et Louis Canet, La double expérience de Catherine Benincasa (sainte Catherine de Sienne), parue chez Gallimard en 1948. Cet ouvrage, qui a fait date et n’a rien perdu de son intérêt, est cependant marqué par l’approche hypercritique des sources qui caractérisait les travaux que Fawtier avait consacrés à la sainte siennoise depuis les années 1920, et surtout par une vision dichotomique de ce personnage , Fawtier ayant décrit minutieusement l’histoire de sa vie et ses engagements politico-religieux, tandis que Canet présentait de son côté avec beaucoup de finesse une synthèse de sa vie mystique. Il m’a semblé que l’on ne pouvait s’en tenir à cette vision d’une “double expérience”, qui impliquait une simple juxtaposition des deux aspects de la personnalité de Catherine, mais qu’il fallait au contraire essayer de montrer comment et pourquoi cette grande mystique fut aussi, dans un même mouvement, profondément engagée dans un apostolat religieux et une action politique au service de l’Église romaine. En fait, Catherine de Sienne, figure à bien des égards déconcertante et sans doute plus admirable qu’imitable, a été victime de nombreux malentendus et ses vrais mérites ne sont pas ceux qu’on lui a attribués : ainsi, on a longtemps dit et écrit qu’elle avait ramené la papauté d’Avignon à Rome, ce qui est inexact car, bien avant de la rencontrer, Grégoire XI avait fait le vœu de revenir des rives du Rhône à celles du Tibre et y aurait sans doute donné suite de toute façon, ne serait-ce que pour sauvegarder l’État pontifical menacé par les intrigues de Florence au nord et de la cour de Naples au sud. Tout au plus lui a-t-elle insufflé, avec d’autres, la volonté de passer à l’acte en septembre 1376. On l’a présentée également, surtout dans l’iconographie, comme une mystique perdue dans l’extase et les Dominicains ont affirmé qu’elle avait reçu les stigmates à Pise en 1375, à la grande fureur des Franciscains qui entendaient réserver à leur fondateur le privilège de ces saintes plaies, ce qui provoqua entre eux des polémiques d’une violence inouïe au cours du XVe siècle. Sans nier la possibilité de ce phénomène, on notera que la sainte n’en parle jamais dans ses écrits, où elle rapporte longuement ses colloques avec Dieu et les révélations que le Christ lui aurait faites. En revanche, on ne peut manquer d’être frappé par le fait que cette jeune fille, issue d’un milieu d’artisans assez modeste www.aibl.fr 1 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2015 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. et qui ne vécut jamais dans la paix du cloître puisqu’elle était une simple “Mantellata”, c’est-à-dire une pénitente laïque d’obédience dominicaine, apprit à lire et même à écrire avec l’aide de ses confesseurs et qu’elle a laissé une œuvre remarquable, qui lui a valu d’être proclamée Docteur de l’Église par le pape Paul VI en 1970. Elle est en effet la première femme laïque dont nous possédions autant d’écrits en langue vulgaire d’une incontestable authenticité : 383 lettres d’elle sont conservées, ainsi que son Dialogue de la divine providence, rédigé en 1377-78, juste avant le début du Grand Schisme. Il s’agit d’une œuvre de combat, axée, comme toute sa brève existence, sur la réalisation d’un programme qui associait trois éléments : le retour de la papauté à Rome, indispensable à ses yeux pour que le successeur de Pierre puisse jouer pleinement le rôle spirituel qui devrait être le sien, une croisade qui mettrait fin aux guerres entre les chrétiens et aurait surtout pour but la conversion des musulmans, dont Catherine rappelle souvent qu’ils sont appelés eux aussi au salut, et enfin la réforme de l’Église, tant dans sa tête que dans ses membres, à commencer par la Curie romaine et les ordres religieux dont elle dénonce la déchéance en termes virulents. Pour réaliser ces objectifs, Catherine n’hésita pas à se lancer dans une action de type politique, qui consistait à aller trouver les dirigeants des communes toscanes, en particulier ceux de Florence qui étaient en guerre ouverte contre la papauté, afin de les réconcilier avec l’Église et de rétablir la paix en Italie. Parallèlement, elle déploya tout une diplomatie épistolaire, qui la conduisit à écrire aussi bien des lettres de direction spirituelle à des épouses ou filles des Grands de ce monde que des missives très insistantes à ces derniers pour les rallier à la croisade ou, par la suite, à la cause de “son” pape, Urbain VI. Les résultats de cette activité intense furent rarement positifs sur le plan politique, car elle avait tendance à envisager les situations et les actions des protagonistes dans une perspective purement spirituelle ou moralisatrice. Mais on doit lui reconnaître le mérite d’avoir été la première mystique à comprendre que les grâces obtenues dans la contemplation et l’extase devaient être mises en œuvre dans le monde et que le salut de l’humanité se joue dans l’histoire. Avec elle et sa contemporaine Brigitte de Suède s’ouvre une ère où la parole prophétique des femmes réussira pour un temps à se faire entendre dans l’Église et dans la société et sera à l’origine de mouvements de réforme. De fait, l’Observance dominicaine, tant masculine que féminine, procède directement de Catherine de Sienne et de son confesseur et premier biographe Raymond de Capoue, qui fut élu ministre général des Frères Prêcheurs de l’obédience romaine quelques jours après sa mort et qui engagea son ordre dans la voix de la réforme. C’est là sans aucun doute le plus grand succès qu’ait remporté la “Mantellata” siennoise, même s’il intervint à titre posthume. » André VAUCHEZ Le 11 décembre 2015 Catherine de Sienne. Vie et passions Éditions du Cerf www.aibl.fr 2