I. Pourquoi étudier Toine et autres contes normands en classe de
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I. Pourquoi étudier Toine et autres contes normands en classe de
NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 37 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 XIXe SIÈCLE Nouvelles – Réalisme et naturalisme MAUPASSANT Toine et autres contes normands (no 312 – 2,70 €) I. Pourquoi étudier Toine et autres contes normands en classe de Seconde ? Il est toujours malvenu d’insister sur l’aisance de lecture et la facilité de style d’un auteur. Dût-on parler de la fluidité de son écriture, de la ductilité de sa langue, la formule ne dupe personne et surtout pas le cénacle des hommes de lettres, qui tiennent à ce préjugé tenace : « l’art est difficile ». Adresser ce genre de compliments à un écrivain, c’est laisser chacun présumer qu’il a usurpé son titre et sa couronne, qu’il est tout au plus un habile artisan. Pourtant ce type d’éloge n’eût pas indisposé Maupassant, lui qui renia le laborieux gueuloir de Flaubert et qui noircit des sillons de son écriture la blancheur écumeuse des pages avec la même facilité qu’il parcourut canaux, rivières et courants marins. Bien des prédécesseurs de Maupassant ont contribué à laver la prolixité de tout soupçon mais, seul, l’auteur d’Une vie et des Contes de la Bécasse a su associer aussi infailliblement l’ardeur de l’exécution et le plaisir de la lecture. S’il est un public auprès duquel cette garantie de plaisir et de facilité de lecture est essentielle, c’est bien celui des lycéens. Pourquoi bouder son plaisir ? Le premier avantage d’un tel recueil – Toine et Toine et autres contes normands 37 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 38 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 autres contes normands – est donc de stimuler l’appétit de lecture des élèves tout en leur offrant un aperçu varié de l’œuvre d’un auteur. Le second intérêt de cette édition des nouvelles de Maupassant est de conjuguer deux objets d’étude distincts : l’étude d’un genre et celle d’un mouvement littéraire du XIXe siècle, conformément aux Instructions officielles des programmes du lycée. Les nouvelles et les contes normands de Maupassant offrent en effet l’avantage d’associer à la maîtrise virtuose du récit bref les couleurs du réalisme et l’illustration de l’esthétique naturaliste. Ils constituent un support idéal à l’étude de notions d’histoire littéraire qui peuvent sembler rébarbatives à un public non averti. S’il apparaît en effet assez illusoire de faire travailler des élèves sur l’analyse directe des préceptes esthétiques énoncés dans les manifestes ou dans les arts poétiques qui servent d’enseignes aux courants littéraires, en revanche, l’attrait narratif évident des textes de fiction pourra permettre d’aborder heureusement ces notions et de pallier la sécheresse de ces apprentissages. Le recueil contient les récits : « Toine », « Miss Harriet », « Histoire d’une fille de ferme », « Le Père Amable », « Le Saut du berger » et « Histoire vraie ». Les quatres premiers font l’objet d’une adaptation à l’écran diffusée sur France 2 au cours du premier semestre 2007 et disponible, à partir du mois d’avril, en DVD. Ce support permettra d’enrichir l’étude par une réflexion sur les relations du texte et de l’image et sur les contraintes de l’adapation filmique. II. Progression de la séquence La postérité de conteur réaliste de Maupassant est exceptionnelle. De tous les écrivains du cercle des soirées de Médan, il est en effet le seul à avoir conquis une telle notoriété grâce au genre narratif bref. Ni Émile Zola, malgré les Contes à Ninon, ni Joris-Karl Huysmans, ni Henri Céard, ni Léon Hennique, ni Paul Alexis ne sont parvenus à s’imposer littérairement dans ce domaine. Cette alchimie particulière de la forme brève, qui requiert une extrême concision, et l’observation minutieuse du regard réaliste est à l’œuvre dans les contes normands. 38 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 39 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Pour mieux l’analyser, notre séquence sera organisée en trois grandes étapes progressives. Un premier moment s’attachera à dégager les caractéristiques formelles de la nouvelle, en s’intéressant aux modalités de la narration ; dans un deuxième temps, nous aborderons la notion de composition dramatique et le principe de concentration qui régissent chaque conte. Enfin nous évoquerons les procédés spécifiques de l’écriture réaliste de Maupassant, sans les dissocier de l’étude des motifs récurrents et des thèmes qui ressortissent à l’esthétique réaliste. Toute notre étude considérera la singularité du réalisme de Maupassant, capable de soumettre les lois de la formule naturaliste au carcan de la forme brève. À titre de prolongement, on suggérera une comparaison avec d’autres textes réalistes afin de saisir l’originalité de Maupassant, conformément à l’exigence des Programmes officiels qui recommandent d’appréhender les catégories génériques et esthétiques des textes littéraires sans négliger de rendre compte de l’irréductible singularité d’un auteur. Toine et autres contes normands 39 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 40 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 III. Tableau synoptique et déroulement de la séquence Séances Supports Objectifs Intitulé 1 Intégralité du corpus Dégager les caractéristiques formelles de la nouvelle et les thèmes qu’ont en commun les textes du recueil : sociologie normande et pessimisme Unité formelle et thématique du recueil 2 Intégralité du corpus — Analyser les disparités des textes — Introduire la notion de conte, ce qui implique d’étudier le statut du narrateur dans chacun des textes Diversité du recueil 3 « Toine » et « Le Père Amable » Dégager la composition dramatique des textes Dramaturgie de la forme brève 4 — « Toine » (pour une étude approfondie) — « Histoire vraie » et « Le Saut du berger » (pour des pistes d’édude) — Introduire la notion d’« unité d’impression » ou de « totalité d’effet » propre au récit court — Étudier la symbolique de l’animalité en recherchant les signes avant-coureurs et les indices de l’aliénation de Toine L’art de l’indice 5 – Un extrait de « Miss Harriet » Analyse des procédés d’écriture : — Emploi du discours direct — La description — L’effet de réel — La tonalité ou le registre satirique L’écriture réaliste 6 Intégralité du corpus Faire apparaître la récurrence systématique de motifs réalistes : l’animalité, la sexualité, l’avarice, l’aliénation, la filiation et l’hérédité Variations réalistes Séance no 1 : unité formelle et thématique du recueil Objectifs → Définir une première approche du genre de la nouvelle. → Appréhender l’unité formelle et thématique du recueil. Support → L’intégralité du corpus. 40 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 41 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Dans un premier temps, on s’assurera que la lecture du recueil a été accomplie intégralement. Deux types de questions permettront de mener à bien cette entreprise de vérification sans passer par le traditionnel questionnaire de lecture qui implique parfois une approche trop anecdotique des textes. On s’attachera tout d’abord à s’interroger sur les caractéristiques formelles des textes. ■ Le repérage des caractéristiques formelles de la nouvelle On pourra commencer en demandant aux élèves : quel est le point commun formel remarquable de tous ces textes ? On dégagera alors la notion de brièveté du récit mais en attirant l’attention des élèves sur le caractère approximatif d’un tel constat et en insistant sur les proportions variables de chacun des textes. « Miss Harriet », « Histoire d’une fille de ferme » et « Le Père Amable » dessinent un premier ensemble de nouvelles « longues », d’une trentaine de pages, tandis que « Toine », « Le Saut du berger » et « Histoire vraie » présentent une extrême concision et n’excèdent pas une dizaine de pages. Sans commenter davantage cette partition du corpus, qui fera l’objet de plus amples commentaires à la séance suivante, on pourra ensuite s’intéresser à l’étude des titres de chacune des nouvelles. Tous, à l’exception de deux titres, mettent l’accent sur une destinée individuelle, tantôt féminine, tantôt masculine (« Miss Harriet », « Toine », « Le Père Amable », « Histoire d’une fille de ferme »). « Le Saut du berger » prend prétexte d’un lieudit pour énoncer métaphoriquement le drame raconté, et « Histoire vraie » insiste simplement sur la véracité de l’histoire narrée. Dans tous les cas, ces titres permettent d’éclairer deux des facettes fondamentales de la nouvelle : d’une part, la concentration des personnages autour d’une figure principale, et d’autre part, corollaire dramatique de cette réduction des figures de fiction, l’unité d’intrigue centrée autour d’un seul événement ou d’une anecdote frappante. Une fois ce questionnement mené à son terme, on pourra donc définir trois des critères essentiels de la nouvelle en tant que genre : Toine et autres contes normands 41 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 42 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 — la relative brièveté du récit ; — le nombre réduit de personnages ; — l’unité d’intrigue centrée sur un événement inouï ou spectaculaire. ■ L’unité thématique du recueil La société rurale normande Une autre série de questions visera à faire prendre conscience aux élèves de l’unité thématique du recueil. Dans un premier temps, on leur demandera d’identifier le cadre spatio-temporel commun à tous les récits. L’ancrage normand étant un des critères ayant présidé à la sélection et à la réunion des textes, on attend des élèves qu’ils soient capables d’affiner un peu ce simple constat. On les amènera donc à remarquer que tous les récits dressent un tableau sociologique du monde paysan dans la région cauchoise, à l’exception de « Miss Harriet » qui offre une incursion dans l’univers de la bohème artistique. À deux reprises se mêlent à cette évocation rurale quelques aperçus de l’univers commerçant ou hôtelier. C’est ainsi qu’avec « Toine » l’on entrevoit le monde des cabaretiers, tandis qu’avec « Miss Harriet », on suit les vicissitudes quotidiennes d’une auberge de voyageurs. C’est un parti pris réaliste qui préside à ce choix sociologique. De la même façon que Zola fait entrer les ouvriers dans le roman, il revient à Maupassant d’avoir chroniqué la rudesse de la vie paysanne dans la nouvelle. Outre cette omniprésence de la réalité rurale, une même atmosphère imprègne les nouvelles de Maupassant. Un pessimisme sombre se dégage de l’intégralité du recueil, qui peut aller du registre tragique à la dérision burlesque en passant par le rire douxamer. Avant d’affiner ces catégories, on pourra demander aux élèves quel est l’événement tragique qui survient dans presque toutes les nouvelles du corpus. La mort des protagonistes, par accident ou par suicide, est bien entendu la réponse attendue. Seul Toine semble déroger à la sinistre thématique mais on voit bien cependant que sa déchéance animale n’est qu’une variante édulcorée d’un destin funeste. Un tableau récapitulatif des événements macabres se produisant dans les nouvelles étudiées et présentant une brève définition des effets qu’ils suscitent sur le lecteur permettra de résumer avantageusement ces réflexions. 42 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 43 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Les nuances du pessimisme de Maupassant Titre de la nouvelle Nature de l’événement macabre Tonalité du pessimisme mis en œuvre Définition et effet sur le lecteur « Toine » Paralysie et alitement du protagoniste Burlesque. Rire jaune... Le lecteur est à demi attristé, à demi amusé par la situation de Toine « Miss Harriet » Suicide de l’héroïne, par dépit amoureux Tragi-comique Le lecteur éprouve de la pitié pour cette créature privée d’amour « Histoire d’une fille de ferme » On ne peut parler d’événement macabre dans cette nouvelle. Préparée par la violence croissante du comportement de Vallin et par les coups et blessures infligés à Rose, la mort de celle-ci est éludée au profit d’un apaisement inespéré du mari Tragique dérisoire Le lecteur éprouve une pitié amère « Le Père Amable » Suicide du protagoniste Tragique Le lecteur éprouve pitié et terreur. Le suicide du personnage le sidère « Le Saut du berger » Mort criminelle de deux amants pendant leur étreinte Tragique Le lecteur éprouve terreur et pitié. Terreur devant la nature criminelle du prêtre, pitié pour les amants défunts « Histoire vraie » Mort de dépit amoureux de la jeune servante dénommée Rose Tragique dérisoire Le lecteur éprouve une pitié amère pour Rose, et une indignation contre la veulerie de Varnetot Séance no 2 : diversité du recueil Objectifs → → Notions → → → Support → Appréhender la diversité du recueil. Distinguer le genre de la nouvelle de celui du conte. Les différents statuts des narrateurs. La focalisation. Le récit enchâssé. L’intégralité du corpus. Toine et autres contes normands 43 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 44 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 La dénomination générique de « nouvelles », à laquelle nous avons eu recours jusqu’ici, réduit abusivement la variété des récits brefs proposés par Maupassant. Outre la différence de format, dont on a vu qu’elle pouvait aller du simple au triple, les textes ne présentent pas tous le même rapport à la fiction qu’ils relatent. Or, c’est sur cette mise en scène de l’histoire, du récit, qu’il nous paraît pertinent de nous pencher pour tenter de distinguer deux catégories de récits : les nouvelles stricto sensu et les contes. « Toine » « Miss Harriet » « Histoire d’une fille de ferme » Caractéristiques de la narration Récit simple et linéaire, assumé par un seul narrateur — Récit rétrospectif inséré dans un récit cadre — Deux narrateurs Récit simple et linéaire, assumé par un seul narrateur Statut du narrateur Le narrateur semble être extérieur au récit (extradiégétique), mais il adopte un « on » ambigu, à la fois familier et anonyme. Il se manifeste dans le récit par sa proximité. Ambiguïté du statut narratorial Le narrateur est d’abord extérieur à l’intrigue (extradiégétique) et se contente de présenter les protagonistes présents dans la calèche du début. Mais le second narrateur à qui le récit est délégué dit « je » et raconte son histoire, c’est un narrateur homodiégétique Le narrateur est entièrement extérieur au récit (extradiégétique). C’est une voix anonyme qui prend en charge le déroulement de l’intrigue Points de vue ou focalisations adoptés Focalisation externe Focalisation externe puis interne Focalisation zéro ou omnisciente Effet escompté par cette mise en scène de la fiction Le lecteur a le sentiment d’appartenir à la communauté des villageois et d’assister au sein de cette collectivité à la déchéance de Toine La dimension comique et douceamère du récit central tempérée par les considérations du narrateur, propices à l’éclosion du pathos, dans le récit cadre, crée un contraste Le lecteur partage toutes les épreuves de Rose et s’identifie facilement à son misérable sort 44 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 45 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 « Le Saut du berger » « Histoire vraie » « Le Père Amable » Caractéristiques de la narration — Récit rétrospectif et inséré dans un récit cadre — Deux narrateurs — Récit rétrospectif et encadré dans un premier récit — Deux narrateurs Récit simple, linéaire, assumé par un seul narrateur Statut du narrateur Narrateur présent dans le récit (homodiégétique) puisqu’il dit « je » (et semble être l’auteur lui même), puis il délègue le récit à un narrateur témoin Narrateur étranger à l’histoire, qui porte un regard extérieur sur l’assemblée des chasseurs (extradiégétique), puis la narration est déléguée à l’un des personnages : le narrateur devient donc interne et dit « je » (homodiégétique) Narrateur étranger à l’histoire (extradiégétique) Points de vue ou focalisations adoptés Focalisation interne d’un narrateur intradiégétique puis focalisation interne d’un narrateur extradiégétique et anonyme : « On raconte qu’autrefois » Focalisation omnisciente d’un narrateur extradiégétique, puis focalisation interne d’un des participants. Focalisation externe, en accord avec l’impassibilité du protagoniste principal Effet escompté par cette mise en scène de la fiction Passage d’une tonalité intime à une froideur anonyme et collective. Transition qui souligne la cruauté inattendue du récit et accentue l’émotion du lecteur Effet de distance accentué entre le personnage et le lecteur. Sentiment d’indignation renforcé Le lecteur suit de l’extérieur, sans empathie aucune, le parcours de fin de vie du père Amable. Le suicide final le surprend d’autant plus qu’il n’a pris part à aucun de ces états d’âme. De cette étude, se dégagent nettement deux sous-ensembles : d’une part, les récits simples et monolithiques tels que « Toine », « Histoire d’une fille de ferme » et « Le Père Amable » et d’autre part, ceux qui, par le biais d’une mise en abîme de la narration, encadrent le récit central dans un premier écrin narratif, comme « Miss Harriet », « Histoire vraie » et « Le Saut du berger ». ■ Le rôle de l’enchâssement ou de la délégation narrative dans un récit Avant de montrer que le procédé d’enchâssement narratif contribue à mettre en scène une parole et exhibe la veine orale Toine et autres contes normands 45 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 46 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 de certains textes, on aura à cœur de faire deviner aux élèves la finalité de cette facture narrative complexe. On leur demandera simplement, dans un premier temps, de réfléchir à la fonction première de l’enchâssement narratif. Il apparaît clairement qu’en cédant la parole à un narrateur, au début d’une histoire, le premier narrateur accentue l’effet de réel et authentifie ce qui est raconté en soulignant la qualité de témoin du deuxième narrateur. La mise en abîme de la narration participe donc d’une stratégie réaliste, mais nous verrons que ce n’est pas là son seul avantage. Nous affinerons l’analyse de ce procédé en nous intéressant à la nature des rapports qui s’instaurent entre le premier et le second narrateur. « Histoire vraie » Dans « Histoire vraie », le premier narrateur est extérieur à l’action et se contente de décrire en des termes peu amènes la brutalité grossière d’un groupe de chasseurs rendus égrillards par l’alcool. Puis c’est au tour de l’un d’entre eux de prendre la parole pour raconter qu’une femme aussi fidèle qu’un chien peut être un embarras terrible. Le tableau omniscient du début se trouve, ici, vérifié par le regard rustre, insensible, du second narrateur. Le destin de la pauvre Rose, séduite puis délaissée par un hobereau sans scrupule, le récit des manigances cyniques de ce noblaillon désœuvré pour s’en débarrasser, suscitent l’indignation du lecteur. Suggérée par le récit cadre, la cruauté indifférente de ces hommes qui exercent leur droit de cuissage sur les femmes de condition modeste est confirmée par le personnage, involontaire témoin à charge de sa propre veulerie. Ici la délégation narrative a pour effet de mettre à distance le personnage et de révéler toute l’amoralité scandaleuse de la société des demiseigneurs normands. Le génie de Maupassant consiste à transformer le récit de l’accusé en une auto-accusation ; en effet, ce que dit M. de Varnetot entérine le jugement implicite porté par le premier narrateur sur cette frange de la société normande. La double narration imbriquée renforce donc la dimension satirique du texte. « Miss Harriet » Au contraire, dans « Miss Harriet », l’emboîtement narratif suscite des émotions bien différentes chez le lecteur. Le récit 46 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 47 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 cadre, assez neutre, décrit l’ennui ensommeillé des passagers d’une calèche et éveille l’intérêt du lecteur pour le récit divertissant consenti par l’un des membres de l’équipage, le séduisant peintre Léon Chenal. Le premier narrateur place le lecteur dans des dispositions plutôt favorables à l’égard de ce personnage auquel il va déléguer le récit. Et jamais, malgré l’empathie qu’il éprouvera pour la vieille fille anglaise, pauvre créature privée d’amour, le lecteur ne se départira de son affection pour le peintre volage. L’insouciance du jeune peintre, circonstance atténuante de la coupable indifférence qu’il oppose à l’amour de la vieille fille, est habilement encadrée par les considérations plus graves et plus profondes de l’homme mûr. Le cocasse de cette idylle non consommée et contre nature est donc tempéré par l’écho tragique que renvoie, plusieurs dizaines d’années plus tard, le récit de ce lamentable amour. La mise en abîme des récits, tout en permettant d’échapper à un manichéisme psychologique trop marqué (d’un côté, la victime éplorée, de l’autre, le don juan sans scrupule), alterne donc le comique et le pathos, donnant à la nouvelle des allures de tragi-comédie. Cette combinaison virtuose de tonalités s’explique en partie par les va-etvient temporels ménagés par les deux récits. On le voit, ici, la délégation narrative est exploitée à des fins très différentes de celles relevées dans « Histoire vraie ». L’emboîtement du second récit ménage des oppositions de tonalités et d’émotions : c’est un effet de contraste, et non plus un effet d’écho qui est recherché. « Le Saut du berger » C’est sans doute dans « Le Saut du berger » que la fonction de la délégation narrative est la plus conforme à la stratégie réaliste relevée plus haut. En effet, dans le récit cadre, un narrateur interne présente les lieux du drame et motive la mise en place d’un deuxième récit par la nécessité de justifier le nom du lieudit qu’il a entrepris de décrire. On connaît le goût des écrivains pour les toponymes et les descriptions extrêmement documentées des lieux. Cependant, cette mise en scène n’a pas pour unique conséquence de renforcer l’effet de réel. Entre les propos du début, assumés par un « je » que l’on sent enclin à la confidence, et le point de vue anonyme mais clairvoyant qui raconte le drame, un gouffre se creuse, telle cette ornière profonde Toine et autres contes normands 47 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 48 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 entre les deux falaises de marne que l’on nomme le Saut du berger. En effet, la placidité du premier narrateur, ses considérations géographiques et personnelles laissent brusquement la place à un récit d’une violence extrême, où les scènes de cruauté et les accidents s’emballent et se précipitent dans un mouvement de chute. Tout se passe comme si Maupassant en personne abandonnait son lecteur au seuil de l’abîme du récit et le livrait à la voix anonyme de la mémoire populaire : « On raconte qu’autrefois ». Soudain privé du compagnonnage complice de l’auteur, le lecteur, livré à lui-même et à la rudesse du récit, ne peut manquer d’être étreint par un sentiment de vertige. ■ Conclusion On le voit, Maupassant joue diversement de l’enchâssement des récits. Tantôt il s’en sert comme d’un fusil à double détente, qui ne laisse aucun espoir à la cible satirique visée, tantôt il l’insère dans son récit à la façon d’un contrepoint musical qui permet de ménager des contrastes et des changements de registre. ■ Contes ou nouvelles ? En proposant d’associer respectivement à la nouvelle et au conte des critères précis, on tâchera, avec les élèves, d’établir une partition satisfaisante du corpus, tout en montrant les limites de tel ou tel critère et, par conséquent, le caractère approximatif d’une telle entreprise. Contes Nouvelles Narrateur interne auquel on délègue une parole orale Concentration sur un élément, épisode en vue de renforcer l’effet produit sur le lecteur Mise en scène d’un récit oral encadré dans une première narration Narrateur anonyme et extérieur au récit Oppositions manichéennes entre les protagonistes Dimension morale ou philosophique, proximité avec le genre édifiant de l’apologue 48 Des nouvelles du XIXe Élaboration d’une analyse psychologique et sociologique mise en œuvre par le récit Récit linéaire qui suit le déroulement chronologique des événements et extériorité/anonymat du narrateur Complexité des rapports entre les protagonistes, absence de stéréotype Volonté de réalisme affirmée. Autonomie du récit qui n’entend pas délivrer une morale siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 49 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 À l’aune de cette répartition, certains récits de notre corpus se rangent sans aucune difficulté dans la première catégorie : il s’agit d’« Histoire vraie » et du « Saut du berger », conformes en tous point aux critères énumérés dans la colonne de gauche. De la même façon, « Le Père Amable » et « Histoire d’une fille de ferme » vérifient la définition de la nouvelle à tous points de vue. Seuls deux récits posent des problèmes de classement générique puisqu’ils présentent des caractéristiques relevant de l’une et de l’autre des définitions. Ainsi, « Miss Harriet » s’apparente en tout point à une nouvelle, exception faite de son enchâssement narratif, tandis que « Toine », à l’enchâssement narratif près, présente toutes les qualités d’un conte. S’agissant de « Toine », on peut aisément justifier cette anomalie en arguant qu’à défaut de la présence d’un narrateur physiquement incarné dans l’histoire, la narration est bel et bien prise en charge par une voix identifiable, sorte d’entité collective, certes anonyme, mais proche du personnage de Toine et familière. Il suffit pour s’en convaincre de relire la première phrase de ce conte où s’entend toute la gouaille populaire de la paysannerie normande : « On le connaissait à dix lieues aux environs le père Toine, le gros Toine, Toine-ma-fine, Antoine Mâcheblé, dit Brûlot, le cabaretier de Tournevent. » C’est précisément cette dimension folklorique, cette empreinte du terroir dans le texte qui contribue à le classer dans la catégorie des contes. De la même façon que l’absence d’un seul critère ne suffit pas à invalider le fait que « Toine » soit un conte, l’enchâssement narratif dans « Miss Harriet » ne suffit pas à radier ce texte de la catégorie des nouvelles. La complexité psychologique du personnage féminin, son mystère, le mélange de drôlerie et de pitié qu’il inspire, tout cela fait incontestablement de « Miss Harriet » une authentique nouvelle. Nous sommes donc parvenus à esquisser deux ensembles distincts : trois longues nouvelles d’une part, trois contes, plus brefs, de l’autre. Toine et autres contes normands 49 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 50 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Séance no 3 : dramaturgie de la forme brève Objectifs → Démontrer que les nouvelles et les contes de Maupassant font l’objet d’une rigoureuse construction dramatique renforcée par un traitement habile de la temporalité narrative. Notions → La structure dramatique d’un récit. → Le rythme narratif. Supports → « Toine ». → « Le Père Amable ». Maupassant fut longtemps tenté par une carrière de dramaturge et il s’essaya même à écrire plusieurs pièces. La muse de la poésie, elle aussi, chatouilla régulièrement la plume de l’auteur. Mais voyant que les récits courts lui offraient le succès littéraire attendu, notamment avec Boule de Suif paru en 1870, Maupassant fit le judicieux calcul de réinvestir dans l’écriture narrative les procédés du théâtre. À partir de 1875, les publications dans la presse quotidienne de ses récits courts, dont les tarifs avaient été fort bien négociés par l’intéressé, pourvurent largement à ses besoins et à son train de vie. Aussi bien dans les contes que dans les nouvelles, Maupassant travaille la composition avec soin, conscient qu’il s’agit là d’un des instruments de la puissance du récit. À travers l’étude comparative de deux récits, « Toine » et « Le Père Amable », on mettra en évidence la présence d’une architecture dramatique très savamment édifiée, qui vise à renforcer l’effet produit sur le lecteur – effets et émotions dont la nature (amusement, rire jaune, ou bien étonnement et stupéfaction tragique) dépend de la tonalité du récit. « Toine » et « Le Père Amable », quoique de dimension très différente, se jouent tous deux en trois actes, clairement indiqués en chapitres distincts. Pour les identifier, nous proposons aux élèves de remplir le tableau ci-dessous, occasion de rappels opportuns sur l’agencement dramatique d’une pièce. Il permettra de mettre en évidence la stricte équivalence entre la dramaturgie classique et la composition narrative chez Maupassant. 50 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 51 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Structure dramatique Définition « Toine » « Le Père Amable » Exposition L’exposition vise à : — présenter les personnages et les relations qui les unissent — rappeler également les événements préalables au début de l’action et nécessaires à la compréhension de la pièce — introduire le cadre spatio-temporel — amorcer l’intrigue — Le premier chapitre présente en détail Toine, flanqué de son épouse acariâtre, avec laquelle il se dispute sans cesse. Duo vaudevillesque de cabaretiers qui amuse sa clientèle et bénéficie d’une extrême popularité — Il situe également le hameau de Tournevent — Enfin il évoque le funeste présage que la gueuse, personnification de la mort, fait peser sur le gros homme, rouge et soufflant — Le premier chapitre présente, in situ, Césaire Houlbrèque et Céleste Lévesque, cultivateurs normands désireux de se marier — Leur dialogue apprend au lecteur que le père de Césaire, Amable, s’oppose à cette union parce que Céleste est mère d’un enfant qu’elle a eu avec Victor Lecoq — Une visite de Césaire au curé Raffin permet de débloquer la situation : ce dernier semble avoir convaincu le père Amable de consentir au mariage Nœud Le nœud se compose des péripéties et des événements de l’intrigue ; il s’agit des obstacles qui gênent les personnages Le deuxième chapitre enchaîne les péripéties à une cadence relevée : — Toine devient paralytique et reste cloué sur son lit — ses amis désertent la salle du café pour lui tenir compagnie et jouer avec lui aux dominos — la mère Toine devient irascible et s’oppose aux jeux de la compagnie — Prosper Horslaville lui suggère alors de mettre à profit la chaleur inerte de son mari en lui faisant couver des œufs — Toine cède au chantage de sa commère qui le prive de sa soupe s’il ne consent pas à couver les œufs — une première tentative se solde par le gâchis de cinq œufs, piteusement réduits en omelette Le deuxième chapitre relate trois événements successifs qui constituent la trame de l’intrigue : — le mariage entre Césaire et Céleste est célébré — la mort de Césaire, atteint d’une fluxion de poitrine, laisse la bru et son beau-père dans un embarrassant tête-à-tête — Céleste, jeune veuve en charge de la gestion de la ferme, se sent bien démunie et se résout à demander de l’aide à Victor Lecoq, le père de son enfant. Tous deux conviennent fort pragmatiquement de se mettre en concubinage Toine et autres contes normands 51 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 52 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Structure dramatique Définition « Toine » « Le Père Amable » Dénouement Le dénouement marque la résolution de l’action et explicite le sort qui échoit aux personnages principaux Dans le troisième chapitre, Toine sacrifie tout à sa mission de poule couveuse et, immobile dans son lit, surveillant d’un œil attentif et incrédule sa pratique, il favorise l’éclosion des dix œufs qui lui ont été confiés alors que la poule jaune n’en mène que sept à leur terme Dans le troisième chapitre, le rythme narratif ralentit pour laisser la place au dénouement tragique. C’est la dernière journée du père Amable qui est ici relatée en détail. De retour de la fête du village, où il a bu quelques fines et observé les loteries, le vieux trouve Victor Lecoq assis à la place de son propre fils, à table. D’abord hébété, il mange son ragoût puis prend la porte pour aller se pendre à une branche de pommier Les procédés permettant de ralentir ou d’accélérer le rythme narratif Outre l’organisation tripartite de chacun de ces récits brefs, qui atteste un souci de construction dramatique, on constate que chaque chapitre remplit avec précision les fonctions respectives d’une exposition, d’un nœud et d’un dénouement. Cette stricte transposition d’un ordre dramatique dans l’écriture narrative s’accompagne de choix rythmiques tout à fait remarquables. On montrera aux élèves que le premier comme le dernier chapitre des deux récits font une place avantageuse au discours descriptif, alternant des scènes et des pauses. L’incipit du « Père Amable » offre un exemple de pause avec l’évocation, digne du tableau Les Glaneuses de Millet, du travail des semeuses de colza. Pendant une quinzaine de lignes, aucun événement ne se produit sur toute la durée de la narration et le texte s’adonne à une description rigoureuse. Le chapitre III, en suivant les pérégrinations du protagoniste d’un stand à l’autre, puis son détour par la guinguette, s’inscrit dans une temporalité qui fait coïncider durée du récit et durée de l’histoire ; il s’agit d’une scène qui permet d’épouser presque un à un les faits et gestes du vieux solitaire déambulant dans la fête du village. Scène et pause permettent de donner de l’ampleur au déroulement temporel en 52 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 53 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 ralentissant le rythme narratif et correspondent bien aux fonctions visées par l’exposition et par le dénouement. En revanche, les chapitres intermédiaires sont, dans les deux récits, caractérisés par une accélération du rythme narratif propice à l’enchaînement des péripéties. On recense des ellipses, qui consistent à passer sous silence certains événements de l’histoire. Elles peuvent permettre de modestes bonds temporels comme dans « Toine », avec cette phrase : « Huit jours plus tard elle entra dans la chambre de Toine avec son tablier plein d’œufs », ou bien enjamber de vastes laps saisonniers comme dans « Le Père Amable » avec la phrase : « L’hiver s’écoula. Il fut long et rude. Puis le premier printemps fit repartir les germes. » On trouve également des sommaires qui résument une partie relativement longue de l’histoire par une courte narration. C’est le cas dans « Le Père Amable » quand on lit à la fin du chapitre II : « Et sa vie continua comme par le passé. Rien n’était changé sauf que son fils Césaire dormait au cimetière. » Une étude détaillée du rythme narratif des récits de notre recueil mettrait en évidence l’alternance régulière de scènes, de pauses, de sommaires et d’ellipses. L’art du conteur consiste en effet pour Maupassant à unir savamment la description, le dialogue et le récit, gage d’une composition géniale et incroyablement efficace. Travail à la maison : « Miss Harriet » étant construit sur le même modèle dramatique en trois actes – la présentation de la vieille fille, la montée de l’amour non réciproque, le suicide tragique –, on pourra, sans difficulté, demander aux élèves de préciser les étapes de la composition de cette nouvelle afin de la résumer sur le modèle du tableau ci-dessus. On pourra également entraîner les élèves au repérage des effets d’accélération ou de ralentissement narratifs en leur demandant, par exemple, de relever les pauses descriptives dans « Miss Harriet », et les sommaires, nombreux, dans « Histoire vraie ». Par ce biais, on les rendra à même de constater que la temporalité fictionnelle n’est pas traitée de la même façon dans un conte et dans une nouvelle. Toine et autres contes normands 53 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 54 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Séance no 4 : l’art de l’indice Objectif → Démontrer que les nouvelles et contes de Maupassant appliquent la notion de « totalité d’effet » ou d’« unité d’impression », théorisée par Edgar Poe. Notions → Les signes avant-coureurs. → Les effets de répétition et d’annonce au sein de la composition. Supports → « Toine ». → « Histoire vraie ». → « Le Saut du berger ». Cette séance, tout en abordant une notion technique, l’unité d’impression ou la « totalité d’effet », permet d’amorcer l’étude des thèmes et des motifs réalistes. La « totalité d’effet » est un concept défini par Poe, puis traduit par Baudelaire, selon lequel la nouvelle se caractérise par une absence de détails superflus ou de données inutiles. Voici le texte théorique énonçant précisément cette notion, écrit par Charles Baudelaire, en 1857, dans ses Notes nouvelles sur Edgar Poe. [La nouvelle] a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. Cette lecture, qui peut être accomplie tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture brisée, interrompue souvent par le tracas des affaires et le soin des intérêts mondains. L’unité d’impression, la totalité d’effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu’une nouvelle trop courte (c’est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu’une nouvelle trop longue. L’artiste, s’il est habile n’accommodera pas ses pensées aux incidents [...]. Si la première phrase n’est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l’œuvre est manquée dès le début. Dans sa composition tout entière, il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité. 54 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 55 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Comme Baudelaire lui-même semble nous y inviter, nous inciterons les élèves, dans cette séance, à se transformer en enquêteurs aux aguets, à l’affût d’indices permettant de deviner l’aboutissement du drame. Forts d’une première lecture, nous passerons au crible les éléments, les circonstances précisées au cours de la narration qui, dès la première phrase, concourent à produire un effet sur le lecteur et nous vérifierons que rien n’est donné au hasard. En ce qui concerne « Toine », nous concentrerons notre analyse sur trois thèmes qui dans ce conte, s’entrelacent constamment, mêlant le tragique et la cocasserie : — thème 1 : l’animalité ; — thème 2 : la déchéance physique ; — thème 3 : le caractère inéluctable du destin. ■ Thème 1 : expressions du conte faisant allusion, de façon imagée ou non, à l’univers animal 1. Les maisons de Tournevent blotties dans le ravin, « comme les oiseaux qui se cachent dans les sillons les jours d’ouragan ». 2. Sa femme, grande paysanne, marche « à longs pas d’échassier », avec « une tête de chat-huant en colère ». 3. « Elle passait son temps à élever des poules dans une petite cour, derrière le cabaret, et elle était renommée pour la façon dont elle savait engraisser les volailles. » 4. Toine à sa femme : « Eh ! la mé Poule, ma planche, tâche d’engraisser comme ça d’la volaille. Tâche pour voir. » Et relevant sa manche sur son bras énorme : « En v’là un aileron, la mé, en v’là un. » 5. Maloisel à Toine : « C’est-il que tu regalopes, gros lapin ? » 6. « Guétez-le, [...] ce gros faigniant, qu’y faut nourrir, qu’i faut laver, qu’i faut nettoyer comme un porc. » 7. « [...] une ou deux poules volaient jusqu’aux pieds du lit, cherchant des miettes sur le sol. » 8. « Prosper Horslaville, un petit sec avec un nez de furet, malicieux, futé comme un renard [...]. » 9. « Elle attendit qu’il s’expliquât, fixant sur lui son œil de chouette. » Toine et autres contes normands 55 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 56 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 10. « Ses mains tombaient l’une après l’autre avec un bruit sourd, rapides comme les pattes d’un lapin qui bat du tambour. » 11. « Il dut couver [...]. Il demeurait sur le dos, l’œil au plafond, immobile, les bras soulevés comme des ailes, échauffant contre lui les germes de volaille enfermés dans les coques blanches. » 12. « [...] une bête couverte de duvet jaune, qui remuait dans ses doigts. » 13. « [...] la bestiole blottie sous la barbe de son mari. » 14. « On entendait par la fenêtre ouverte glousser la poule jaune appelant ses nouveau-nés. » On constate deux types d’emploi des référents animaliers, tantôt pour désigner littéralement des animaux, tantôt à titre de comparants pour caractériser les êtres humains. La seconde catégorie est plus abondamment représentée que la première, ce qui montre bien que, dans ce récit, l’animalité symbolique des êtres humains concurrence la véritable présence animale. En outre, la grande majorité des allusions appartient à l’espèce des volatiles, annonçant le rôle burlesque de poule couveuse qui va échoir à Toine. La profusion de ce champ lexical de l’animalité donne le sentiment que Toine est victime d’un processus inéluctable d’animalisation, qui subvertit progressivement son humanité. Le lacis d’expressions semble en effet se resserrer autour de lui pour le circonscrire dans les rais de la bestialité. Dans un second temps, on fera relever aux élèves les allusions morbides et funestes distillées dans le texte. ■ Thème 2 : champ lexical de la mort, de la déchéance, et de la destruction 1. Dès l’incipit, les maisons de Tournevent sont blotties, cherchant un abri « contre le grand vent de mer, le vent du large, le vent dur et salé, qui ronge et brûle comme le feu, dessèche et détruit comme les gelées d’hiver ». 2. Lors de la présentation de Toine, Maupassant utilise une figure hyperbolique pour signifier la puissance humoristique du personnage : « il aurait fait rire une pierre de tombe », écrit-il. 56 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 57 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Cette figure de rhétorique, qu’on appelle en stylistique un « adunaton », exprime un cas d’impossibilité naturelle, dont la tonalité morbide n’est certes pas fortuite. 3. À la fin du premier chapitre, que nous avons assimilé à une exposition, le thème de la faucheuse fait son entrée triomphale et donne lieu à une description magistrale de son travail de décomposition du vivant. Toine, en effet, était surprenant à voir, tant il était devenu épais et gros, rouge et soufflant. C’était un de ces êtres énormes sur qui la mort semble s’amuser, avec des ruses, des gaietés et des perfidies bouffonnes, rendant irrésistiblement comique son travail lent de destruction. Au lieu de se montrer comme elle fait chez les autres, la gueuse, de se montrer dans les cheveux blancs, dans la maigreur, dans les rides, dans l’affaissement croissant qui fait dire avec un frisson : « Bigre ! comme il a changé ! » elle prenait plaisir à l’engraisser, celui-là, à le faire monstrueux et drôle, à l’enluminer de rouge et de bleu, à le souffler, à lui donner l’apparence d’une santé surhumaine ; et les déformations qu’elle inflige à tous les êtres devenaient chez lui risibles, cocasses, divertissantes, au lieu d’être sinistres et pitoyables. 4. Au début du deuxième chapitre, la paralysie subite de Toine constitue l’une des péripéties principales du récit : « Il arriva que Toine eut une attaque et tomba paralysé. On coucha ce colosse dans la petite chambre derrière la cloison du café, afin qu’il pût entendre ce qu’on disait à côté, et causer avec les amis, car sa tête était demeurée libre, tandis que son corps, un corps énorme, impossible à remuer, à soulever, restait frappé d’immobilité. » Quoique très diverses et moins nombreuses que les références animalières, ces allusions qui scandent le déclin progressif de la vitalité de Toine se mêlent insensiblement au champ lexical de l’animalité au point d’associer étroitement dans l’esprit du lecteur l’idée de la mort, de la déchéance, et l’animalisation de Toine. Toine et autres contes normands 57 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 58 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 ■ Thème 3 : les effets d’annonce tragique qui rendent inéluctable la transformation de Toine en poule couveuse 1. C’est la femme de Toine qui, la première, inaugure la comparaison animalière à propos de son mari en l’assimilant à un porc : « Ça serait-il point mieux dans l’étable à cochons un quétou comme ça ? » Aurait-elle à son égard les malveillantes intentions d’une Circé ? 2. De fait, très vite les injures se transforment en propos comminatoires : « Espère, espère un brin ; j’verrons c’qu’arrivera, j’verrons ben ! Ça crèvera comme un sac à grain, ce gros bouffi ! » 3. Toine lui-même prête le flanc à ces plaisanteries et enrichit le bestiaire de ses propres comparaisons. Ainsi, montrant son gros bras, il provoque sa femme en lui disant : « En v’là un aileron, la mé, en v’là un. » Cette facétie, une fois lue l’intégralité du conte, sonne comme un défi lancé au destin. 4. Telle une Cassandre de basse-cour, la femme de Toine ne cesse d’annoncer la ruine physique de son mari comme si elle l’appelait de ses vœux : « Espère un brin... espère un brin... j’verrons c’qu’arrivera... ça crèvera comme un sac à grain... », ou quelques lignes plus loin : « Espère un brin, espère un brin, répétait la mère Toine, j’verrons c’qu’arrivera. » 5. Pareille à un oiseau de mauvais augure (on a vu d’ailleurs qu’elle était comparée à une chouette), la mère Toine apparaît sans crier gare et ne disparaît que pour laisser la place à ses créatures de basse-cour, poules et coq dont la présence est insidieuse dans tout le conte : « Et quand la vieille avait disparu, un coq aux plumes rouges sautait parfois sur la fenêtre, regardait d’un œil rond et curieux dans la chambre, puis poussait son cri sonore. Et parfois aussi, une ou deux poules volaient jusqu’aux pieds du lit, cherchant des miettes sur le sol. » Ainsi, au terme de ce relevé, le personnage de la mère Toine apparaît comme la principale instance tragique dans le récit. Combinées aux références animalières en tout genre, associées au thème de la décrépitude humaine, ses imprécations sonnent comme autant d’avertissements que la situation finale de Toine vérifiera. 58 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 59 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 De nombreux éléments du texte convergent donc vers le dénouement de l’histoire et annoncent la dérisoire condition de couveuse à laquelle sera réduit in fine le gros Toine. Mais bien que les thèmes réalistes de la décrépitude physique ou de la proximité de l’homme et de l’animal soient associés à un climat d’imminence tragique, la truculence du personnage finit par l’emporter sur le pathos et la noirceur. Tout se passe comme si Toine trouvait dans une improbable et grotesque maternité le sursis inattendu, l’occasion de la victoire sur la mort et, partant, sur le pessimisme malveillant de sa femme. Les répliques finales du dialogue (Horslaville demandant à Toine de l’inviter à la fricassée du premier poulet né de sa couvée, et ce dernier acquiesçant joyeusement) attestent ce soudain regain de vie. En insistant sur l’importance de la symbolique animale et en montrant la possibilité d’une interprétation morale du conte – c’est encore en s’abandonnant à l’animalité qui couve en lui qu’un homme peut recouvrer un peu du bonheur et de la dignité dont l’existence l’a privé –, on mettra les élèves sur la piste de l’apologue et plus précisément de la fable. Travail à la maison : on pourra proposer aux élèves de faire, par eux-mêmes, le relevé des éléments visant à l’effet de totalité dans les deux contes les plus brefs du corpus, « Le Saut du berger », et « Histoire vraie ». Pour mettre en évidence le principe de composition qui a régi l’écriture du « Saut du berger », on aiguillera tout particulièrement les élèves sur les expressions ayant servi à désigner la cabane dans laquelle s’ébattent les amoureux. C’est d’abord une « cabane en bois », une « sorte de niche perchée sur des roues » dans les premières descriptions, puis une « légère demeure » quand il abrite le prêtre fou furieux, un « coffre de bois », enfin, quand ce dernier expédie les deux amants vers la mort. Et pour finir, le repaire de bergers devient « un œuf » qui se brise, symbolisant sans doute la fécondité à tout jamais compromise des deux amants. Dans « Histoire vraie », on attirera l’attention des élèves sur le parallèle établi, encore une fois, entre les hommes et les animaux. Le leitmotiv de l’animalité constitue la trame principale du conte, du début où les hobereaux normands sont comparés à des fauves jusqu’à la clôture du texte, cyniquement constituée par la réplique Toine et autres contes normands 59 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 60 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 d’un vétérinaire. L’analogie entre Rose, la paysanne amoureuse, et Mirza, la chienne fidèle jusqu’à la mort, constitue la pierre angulaire du récit. Séance no 5 : l’écriture réaliste Objectifs → Les procédés et les thèmes de l’écriture réaliste dans un extrait en particulier. → La technique du commentaire littéraire. → Entraînement à l’analyse linéaire et à la composition du plan. Support → Un extrait de « Miss Harriet ». Il ne faudrait cependant pas donner à penser aux élèves que les nouvelles et les contes de Maupassant sont un genre où le symbolisme et la composition règnent en maître. Un puissant réalisme caractérise ces récits et les inscrit dans la filiation des grands maîtres de cette esthétique : Balzac, Flaubert et Zola. Avant d’en faire la démonstration à l’aide d’une explication de texte, exercice qui nous permettra d’associer l’étude du fond, des thèmes et de la forme, rappelons quelques-uns des grands traits de l’écriture réaliste. — Les détails disséminés dans les récits de Maupassant, dont on a vu que l’agencement subtil produisait l’impression d’unité caractéristique du récit bref, servent aussi à créer ce que l’on appelle des « effets de réel », c’est-à-dire des illusions de vérité qui donnent à voir, à entendre et à sentir la réalité évoquée. — Le discours descriptif est lui aussi amplement présent, incarnant les paysages et les personnages. L’œil de Maupassant s’attarde tout particulièrement sur les objets, qui, au même titre que les animaux, occupent une place très importante dans l’œuvre du conteur. C’est bien entendu le cas dans des nouvelles très connues, comme « La Ficelle », « Le Fût » ou « La Chevelure », mais c’est également vrai à l’échelle de notre corpus. — Le registre satirique, sensible à des degrés divers dans les nouvelles et contes que nous traitons, participe également de l’esthétique réaliste. En ouvrant la littérature à la laideur du monde et en rendant éligibles certains sujets triviaux, 60 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 61 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Maupassant ne peut faire l’économie d’un regard moqueur et incisif. — La restitution authentique de la parole des paysans, de leur parlure, est également une des caractéristiques du réalisme de Maupassant. Voici l’extrait de « Miss Harriet » que nous proposons au commentaire : de « Nous étions en mai ; les pommiers épanouis couvraient la cour d’un toit de fleurs parfumées » à « c’était ma voisine assurément, l’Anglaise d’âge dont avait parlé notre hôtesse ». ■ Analyse linéaire 1er § : 1re phrase Le premier paragraphe expose le cadre spatio-temporel : il s’agit de la campagne normande au printemps. La focalisation adoptée est interne ; c’est le peintre qui regarde et sa vision est celle d’un artiste, sensible aux beautés de la nature. Phrase empreinte de poésie. Les moyens descriptifs sont très sobres, mais ils suggèrent l’éveil des sens d’une saison propice à l’amour (connotation de la couleur rose). La vue, l’odorat et le toucher sont convoqués simultanément à travers des expressions comme « toit de fleurs parfumées », « pluie tournoyante de folioles roses ». Le terme précis de « folioles » atteste un souci de précision lexicale conforme aux préceptes esthétiques du réalisme. Harmonie des choses et des êtres unifiés par la nature : « sur les gens et l’herbe ». § 2 et 3 : phrases 2 à4 Équilibre remarquable, dès cette deuxième phrase, de la description, du dialogue et du récit, souci caractéristique de l’écriture de Maupassant. La notation psychologique initiale semble avoir pour but de créer un « effet de réel » dans l’amorce de conversation. Elle connote également le naturel méfiant et farouche de l’hôtesse. Symbolique du nom « Lecacheur » : tempérament dissimulateur, manque de franchise ? De fait, la réplique de l’hôtesse intrigue le lecteur : s’agit-il d’une fin de non-recevoir ou bien d’un demi-acquiescement ? Emploi du discours direct pour faire entendre la parole des personnages : on note la tournure idiomatique de la réponse « c’est selon ». Art du conteur qui suscite la curiosité du lecteur et esquisse de portrait sociologique. §4 Ellipse narrative pleine de sous-entendus. Comment s’est négocié l’accord pour la location de la chambre ? Il y a tout lieu de penser que le narrateur a proposé un pot-de-vin à l’avare hôtelière. Description sommaire de l’espace domestique, rustique. Effet de réel : le sol de terre, la cuisine enfumée..., autant de détails qui donnent à voir et à sentir le dénuement de l’auberge. Mélange sociologique annoncé par les habitudes de repas en commun : paysans, pensionnaires et patronne se retrouvent. L’auberge, lieu propice par excellence aux rencontres. Mention du statut de veuve de la patronne : elle aussi, comme Harriet, est donc une femme privée d’homme et d’amour. Est-ce à dire que les deux femmes vont se comprendre ? §5 Reprise du récit. Mention des actions du narrateur, verbes au passé simple. Le regard du narrateur est sans concession : « la vieille » pour désigner Mme Lecacheur. La crémaillère noire de fumée : exemple caractéristique d’« effet de réel », qui permet de figurer l’espace intérieur, de le donner à voir. Contraste saisissant entre cet espace confiné, enfumé, noirci et le radieux paysage printanier qui resplendit à l’extérieur. §6 Question du narrateur qui manifeste son esprit de déduction logique : auberge presque pleine, donc présence de voyageurs. Curiosité et ouverture du narrateur que l’on sent disposé aux rencontres et d’un tempérament entreprenant. Toine et autres contes normands 61 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 62 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 62 §7 Nouveau trait rébarbatif de la personnalité de Mme Lecacheur – « de son air mécontent ». Parlure patoisante de l’hôtesse qui renforce le réalisme de la scène. Ironie de l’expression « eune Anglaise d’âge ». Le texte vient en effet de nous apprendre que l’hôtesse elle-même n’était pas toute jeune : deuxième point commun entre les deux femmes. Éveil de la curiosité du lecteur : le laconisme de la réponse, et l’incise « de son air mécontent » laissent perplexe. La présentation de cette vieille Anglaise est énigmatique. Pourquoi suscite-t-elle l’antipathie ? §8 Nouvelle preuve de l’avarice de la tenancière de l’auberge qui, moyennant un supplément, consent à faire manger son client dehors. Cependant, ce trait de caractère n’est que très délicatement suggéré par le narrateur, qui résume l’échange sous forme narrativisée et ne s’appesantit pas sur le dialogue et la tractation. La satire est donc très légère. La requête du narrateur, de manger seul dehors, traduit à nouveau son approche esthétique et hédoniste de la vie. §9 Le paragraphe suivant confirme cet appétit vital du personnage qui dépèce à coups de dents les membres maigres de la poule. Le détail du repas est typique de la veine réaliste : les mets sont frustes, triviaux (« du gros pain blanc, vieux de quatre jours, mais excellent »), énumérés dans le détail. Mais la dimension symbolique de cette phrase ne saurait échapper à un lecteur aguerri qui connaît l’issue tragique de la nouvelle : ce carnage alimentaire annonce la mort de Miss Harriet, acculée au trépas par le dépit amoureux. Dans les deux cas, c’est le narrateur carnassier qui cause les dégâts. D’ailleurs, l’analogie entre la poule et la vieille fille anglaise est confirmée au paragraphe suivant. § 10 Ce paragraphe descriptif constitue le morceau de bravoure du passage. Cette scène de première vue d’un personnage féminin est située aux antipodes de la fameuse scène d’anthologie de L’Éducation sentimentale, entre Mme Arnoux et Frédéric (« Leurs yeux se rencontrèrent »), où le coup de foudre était scellé. Portrait sans concession aucune, réaliste et comique à la fois, qui décrit l’apparence disgracieuse, ridicule de Miss Harriet. Sa maigreur, tout d’abord, est contraire aux canons de beauté du XIXe siècle. L’analogie entre la poule dévorée au paragraphe précédent et la vieille Anglaise est clairement suggérée par la reprise du motif des bras maigres : « on l’eût crue privée de bras si on n’avait vu une longue main paraître à la hauteur des hanches ». Le caractère hétéroclite de sa toilette est nettement souligné : châle rouge, ombrelle blanche. Mais son physique lui aussi est placé sous le signe du disparate : « figure de momie », « boudins de cheveux gris », « hareng saur qui aurait porté des papillotes ». Ces traits de sarcasme, quasi burlesques, font hésiter le lecteur entre le rire et la pitié. L’acuité du regard pictural est ici mise au service de la caricature, avec des images – « un hareng saur qui aurait porté des papillotes » – qui frôlent l’absurdité surréaliste. L’absence de regard échangé entre les deux protagonistes semble devoir être lue comme un indice du lamentable amour qui se déclarera de façon univoque chez l’un d’entre eux. La description du personnage semble sanctionner pour lui l’interdiction d’accéder à toute forme d’amour. Son rapide passage de la lumière à l’ombre (« elle passa devant moi vivement, en baissant les yeux, et s’enfonça dans la chaumière ») semble confirmer la bipartition de l’espace en une zone de confinement, d’abstinence (les salles noires et vieillottes de l’auberge) et une nature habitée par la sensualité et la gourmandise. § 11 La clôture de l’extrait adoucit un peu le ton de la caricature : l’expression « singulière vision » résume le portrait, fait écho à « étrange personne » du début du paragraphe et traduit la curiosité du narrateur. Le rappel de la dénomination « anglaise d’âge » utilisée par l’hôtesse, associé à l’adverbe « assurément » donne une certaine oralité à cette dernière phrase, comme s’il s’agissait de discours indirect libre, par lequel on pénètre littéralement l’esprit du narrateur. Triangularisation des rapports entre les personnages : aucune intimité possible entre le peintre et la vieille fille. Sentiment de gaieté moqueuse dont ne sait que faire le lecteur : faut-il y adhérer, ou éprouver une forme d’empathie pour le personnage de Miss Harriet ? Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 63 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Cette liste non exhaustive de remarques de style, de forme et de fond sur l’extrait pourra donner lieu à l’exercice de composition d’un plan de commentaire. ■ Corrigé I. Rencontre en auberge normande 1. Un cadre spatio-temporel très réaliste Tableau d’une nature printanière, description de l’intérieur de l’auberge et des tâches de l’hôtesse. Menu détaillé du peintre. Présentation des mœurs sociologiques de l’établissement : un lieu propice aux rencontres. La trivialité de certaines descriptions est entièrement assumée : pas de sublimation. 2. Le regard du peintre Démonstration du choix de la focalisation interne : regard esthétique, empreint de sensualité et d’hédonisme. Tempérament sensuel du narrateur, sensible dans certains détails. Art du contraste et du clair-obscur : opposition intérieur/extérieur, dénuement de l’espace domestique et effervescence de la végétation. Portrait sans concession de la vieille fille caractérisé par un art de la comparaison animalière... 3. L’observation sociale et les contrastes entre les personnages Discrète satire de la figure de l’aubergiste, suggestion de son avarice. Hétérogénéité des classes sociales en présence. Réalisme des dialogues qui donnent à entendre le patois de la figure normande paysanne. Passages au discours direct. Effets de réel particulièrement sensibles dans le portrait de la vieille fille. Transition : scène très équilibrée qui alterne dialogue, description et récit, conforme en tout point aux préceptes du réalisme et qui suscite certaines attentes du lecteur. Néanmoins, derrière l’art du conteur, on décèle un symbolisme subtil et une composition qui met l’accent sur l’unité d’impression. II. Tragiques prémices du manque d’amour 1. Les oubliés du printemps La symbolique de l’espace et de la nature printanière. La floraison des pommiers connote la naissance de la saison de l’amour. L’intériorité sombre de l’auberge semble abriter l’abstinence et la solitude. Distribution significative des personnages dans l’espace : le peintre, sensuel, jeune et séduisant mange Toine et autres contes normands 63 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 64 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 dehors, tandis que les femmes, Mme Lecacheur et Miss Harriet, respectivement veuve et vieille fille, sont confinées à l’intérieur. Miss Harriet passe « vivement » dans la cour de l’auberge et se réfugie dans la chaumière. La solitude du personnage féminin principal, accentuée par l’absence d’empathie de l’aubergiste, malgré leur point commun. On décèle même une légère antipathie de la part de la tenancière. 2. L’anti-coup de foudre Scène de première vue inversée par rapport aux canons littéraires de la rencontre amoureuse (Nemours et Clèves dans La Princesse de Clèves, Mme Arnoux et Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale...), pourtant le récit suscite l’attente et la curiosité du lecteur à l’égard du personnage. Effets d’annonce dans le dialogue, caractère énigmatique du laconisme de la présentation par Mme Lecacheur, suspens dramatique comparable à l’entrée tardive d’un personnage de théâtre. Description qui laisse deviner toute la répugnance du narrateur. Dureté sarcastique des comparaisons. 3. L’annonce du drame Le repas fruste mais délectable dont se repaît le narrateur prend une valeur symbolique. Il connote son aptitude à jouir de la sensualité du monde environnant : Miss Harriet, elle, ne sera pas conviée à ces agapes-là. Elle sera même victime de la figure carnassière du séducteur. Explication de l’analogie entre Miss Harriet, maigre au point qu’on ne voit pas ses bras, et la poule, dont le narrateur dévore les maigres membres. Miss Harriet est exclue du symbolisme amoureux (« pluie de folioles roses ») et des noces de l’homme et de la nature (« tombait sans fin sur les gens et sur l’herbe »). ■ Conclusion Page réaliste qui introduit avec art un nouveau personnage dans un lieu propice à la mixité sociale et aux rencontres, mais aussi une sorte d’exercice de style prémonitoire, qui, à l’aide d’indices subtils et discrets, d’un symbolisme en demi-teinte, annonce toute la substance du drame à venir. Ce travail entend montrer aux élèves comment Maupassant parvient, dans l’espace concis de la nouvelle, à concilier avec brio le réalisme de l’écriture, l’art du conteur et les subtilités 64 Des nouvelles du XIXe siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 65 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 symboliques d’une composition très concentrée qui ne laisse aucun détail au hasard. Travail à la maison : on pourra demander aux élèves de rédiger tout ou partie du commentaire ou bien les faire réfléchir à un autre plan possible. Séance no 6 : variations réalistes Objectif → Faire apparaître la cohérence de l’inspiration de Maupassant et la récurrence des thèmes qu’il aborde dans ses contes et nouvelles à l’échelle du corpus tout entier. Support → Intégralité du corpus. Pour clore cette séquence, on dégagera avec l’aide des élèves une série de thèmes réalistes, communs à tous les contes et nouvelles du recueil, à titre soit de motifs centraux, soit de thèmes secondaires. On les relèvera dans un tableau en les résumant (voir page suivante). Toine et autres contes normands 65 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 66 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Thèmes « Toine » L’animalité Le personnage principal s’animalise progressivement jusqu’à jouer le rôle d’une poule couveuse L’avarice et la rapacité La femme de Toine menace de le priver de nourriture pour parvenir à ses fins La sexualité et l’amour « Le Saut du berger » « Histoire vraie » La sexualité des hommes et des femmes est le signe de leur bestialité abjecte aux yeux du prêtre Le personnage féminin de Rose est comparé de bout en bout à une chienne fidèle et encombrante Le paysan qui va épouser Rose pour étouffer le scandale de son union avec Varnetot ne se soucie que du profit et de la captation de l’héritage de sa femme Un prêtre fanatique assassine tous les fornicateurs qu’il rencontre, animaux comme humains L’hérédité La filiation 66 Abandonnée comme une vulgaire chienne par le hobereau sans scrupule dont elle est tombée amoureuse et qui l’a mise enceinte, une femme meurt de chagrin L’impétueux amour que lui porte Rose fait songer à Varnetot qu’elle n’est pas d’origine aussi modeste qu’elle en a l’air. La délicatesse de son sentiment ne saurait s’expliquer que par une ascendance au moins partiellement nobiliaire. Sa propre mère a donc dû fauter avec un hobereau et Rose, victime d’un fatalisme héréditaire, reproduit le manquement maternel L’idée de donner naissance à des poussins, l’accès à cette étrange paternité animalière, réconforte Toine Des nouvelles du XIXe Tout espoir de filiation et de reproduction est réduit à néant par le meurtre du prêtre qui précipite l’œuf abritant les deux amants dans le vide C’est la perspective qu’un enfant puisse naître de son union illégitime avec une domestique qui décide Varnetot à se débarrasser d’elle siècle – Réalisme et naturalisme NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 67 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Thèmes « Miss Harriet » « Le Père Amable » L’animalité « Histoire d’une fille de ferme » Dans la scène inaugurale, une fille de ferme se laisse enivrer par l’effusion sensuelle d’un soir d’été et par les ébats des animaux qui l’entourent L’avarice et la rapacité Le personnage de Mme Lecacheur se caractérise par l’avarice traditionnelle du commerçant normand Muré dans son avarice, un père répugne au mariage de son fils avec une fille mère par crainte des dépenses occasionnées par l’enfant illégitime Bien que contribuant à la prospérité de la ferme de son maître, Rose n’obtient aucune augmentation de salaire. La seule reconnaissance et promotion sociale qu’elle est en droit d’attendre est un mariage forcé avec son maître La sexualité et l’amour Ignorée par un jeune et fringant peintre dont elle s’est éprise, et qui lui a préféré la jeunesse d’une fille de ferme, une vieille fille se suicide Le thème du mariage contrarié par un père avaricieux et obstiné prend ici une tout autre couleur que dans la comédie de Molière Suite à la faute qu’elle a commise avec un garçon de ferme, Rose porte tragiquement sa maternité comme un fardeau et la cache toute sa vie à son entourage Le père Amable ne peut survivre au déshonneur posthume de son fils. Il ne supporte pas de voir la place de ce dernier usurpée par un autre. Il défend l’idée de filiation Le bâtard que Rose a engendré avec le garçon de ferme apparaît finalement comme une bénédiction au fermier stérile. Ce retournement inattendu souligne la dimension dérisoire des souffrances endurées par Rose La filiation Ce travail met en évidence la communauté d’inspiration qui préside à l’ensemble des nouvelles et des contes. En confrontant ces thèmes à la biographie de Maupassant, on demandera aux élèves d’émettre des hypothèses et de relever des coïncidences entre l’existence de l’auteur et les thématiques privilégiées de ses œuvres fictionnelles. Prolongement intertextuel : la figure réaliste de la fille de ferme, évoquée dans la nouvelle du même nom, pourra servir de thème à un groupement de textes réalistes. On convoquera la figure de Toine et autres contes normands 67 NORD COMPO — 03.20.41.40.01 — 125 x 178 — 19-02-07 11:35:06 117282VLA - Flammarion - Fiche pédagogique - Toine et autres contes normands - Page 68 — Z17282$$$1 — Rev 18.02 Nanon, fidèle servante du père Grandet, dans le roman de Balzac, Eugénie Grandet, et celle de Félicité, dans Un cœur simple de Flaubert. Enjeu sociologique d’importance pour les écrivains réalistes, la domestique de campagne est traitée très différemment par les trois écrivains. Grossie jusqu’à la caricature dans le roman balzacien, la servante est idéalisée par Flaubert. Chez Maupassant, le réalisme prend des couleurs « féministes ». IV. Orientations bibliographiques Sur le genre narratif bref, le conte et la nouvelle AUBRIT, Jean-Pierre, Le Conte et la Nouvelle, Armand Colin, « Cursus », 1997. BAUDELAIRE, Charles, Notes nouvelles sur Edgar Poe, L’Art romantique, GF-Flammarion, 1990. GROJNOWSKI, Daniel, Lire la nouvelle, Dunod, 1993. POE, Edgar Allan, Sur le roman et sur le conte : notes sur Nathaniel Hawthorne, La Genèse d’un poème, Cahiers de l’Herne, 1997. Sur les techniques narratives HAMON Philippe, Poétique du récit, Seuil, 1997. REUTER, Yves, L’Analyse du récit, Dunod, 1997. Sur le réalisme et le naturalisme BECKER, Colette, Lire le réalisme et le naturalisme, Dunod, 1992. COGNY, Pierre, Le Naturalisme, PUF, 1953. Sur Maupassant FORESTIER, Louis, préface à l’édition des Contes et nouvelles, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1974-1979, 2 volumes. DUMESNIL, René, Guy de Maupassant, Tallandier, 1979. VIAL, André-Marc, Guy de Maupassant et l’art du roman, Nizet, 1954. Anne PRINCEN.