Régime juridique d`identification et de suivi des nanoparticules et

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Régime juridique d`identification et de suivi des nanoparticules et
Version pré-print : pour citer cet article
E. Vergès « Régime juridique d’identification et de suivi des nanoparticules et des
nanomatériaux : enjeux et obstacles liés à la maîtrise sociale de l’infiniment petit », in La
régulation des nanotechnologies, clair-obscur normatif, dir. S. Lacour, Larcier, 2010, p. 175
Régime juridique d’identification et de suivi des nanoparticules et des
nanomatériaux : enjeux et obstacles liés à la maîtrise sociale de l’infiniment petit
ETIENNE VERGES
Professeur à l’Université de Grenoble, directeur de l’équipe « Droit et Sciences », directeur du
réseau Droit, Sciences et Techniques (GDR-CNRS 3178)
L’appréhension des nanosciences et nanotechnologies par le droit fait l’objet de
préoccupations récentes et croissantes 1. La pertinence de l’encadrement juridique
d’une activité scientifique ou technologique nouvelle suscite toujours des
interrogations légitimes. Si les nanoparticules ne peuvent être considérées comme
nouvelles dans leur ensemble 2, il est difficile de nier le phénomène d’explosion de
la production manufacturée de nanoparticules et nanomatériaux au cours des
dernières années. Un rapport parlementaire indique ainsi qu’« environ 2000
nanoparticules manufacturées sont d'ores et déjà commercialisées et on identifie
leur présence dans plus de 700 produits de consommation » 3. Cette production
industrielle massive de substances et matériaux dont les effets sur la santé et
l’environnement sont mal connus engendre d’inévitables craintes. A la nouveauté de
ces produits, s’ajoutent leur caractère quasi-invisible et le nombre insuffisant de
données toxicologiques. Plusieurs études ont déjà été conduites sur les risques liés à
la production, l’usage ou la consommation de nanoparticules et nanomatériaux 4.
Elles révèlent une toxicité potentielle de certains produits, utilisés dans certaines
conditions 5. Pourtant, les connaissances actuelles sur les dangers liés à la
production, à l’usage et à la consommation des nanoparticules et nanomatériaux
manufacturés ne sont pas proportionnelles à la production industrielle de masse et à
1
Cf. par ex. le dossier thématique « Nanotechnologies et Droit » dans la revue Cahiers Droit, Sciences &
Technologies, Tome I, CNRS Éditions, Paris, 2008.
2
Par exemple, la combustion naturelle a pour effet de dégager dans l’atmosphère des particules ultrafines.
3
Rapport n° 552 (2008-2009) de MM. Dominique BRAYE, Louis NÈGRE, Bruno SIDO et Daniel
DUBOIS, fait au nom de la commission de l'économie, déposé le 9 juillet 2009. Cf. le dossier législatif
du
projet
de
loi
portant
engagement
national
pour
l’environnement,
http://www.senat.fr/dossierleg/pjl08-155.html
4
Pour illustration non exhaustive, en France, on peut citer quelques études marquantes : Voir notamment le
rapport du comité de la prévention et de la précaution, « Nanotechnologies, nanoparticules, quels
dangers quels risques ? » 2006 ; celui de l’AFSSET, « Les nanomatériaux, effets sur la santé de
l’homme et de l’environnement », 2006 ; et plus récemment, l’avis de l’AFSSA : Nanotechnologies et
nanoparticules, dans l’alimentation humaine et animale, 2009.
5
Par exemple, le dioxyde de titane est classé parmi les cancérogènes possibles pour l'homme (classe 2b)
depuis 2006 par le Centre International de Recherche sur le Cancer. Cf.
http://monographs.iarc.fr/FR/Classification/crthgr02b.php
1
un usage très diffus par les consommateurs. L’éventail des risques
traditionnellement liés à l’utilisation de produits issus des nouvelles technologies
peut être transposé aux nanoparticules. Ces risques sont encourus par les personnes
qui les produisent (santé au travail), par les personnes qui les consomment et par
l’environnement dans lequel ils se répandent ou ils sont rejetés. A ce titre, il existe
déjà de nombreux dispositifs juridiques adaptés qui protègent les travailleurs, les
consommateurs, et plus généralement l’environnement.
La question se pose alors de savoir si ce droit positif est adapté pour gérer le
risque, encore largement inconnu, lié aux nanoparticules, ou, au contraire s’il est
nécessaire d’entreprendre des réformes qui permettraient d’appréhender et maitriser
un risque spécifiquement lié à la production nanoparticulaire.
Pour certains, l’absence de caractérisation d’un risque généralisé devrait
conduire à adopter une démarche de précaution, en développant les études
toxicologiques, mais également à freiner une intervention juridique qui n’aurait
pour effet que d’entrainer un ralentissement économique dans ce secteur d’activité 6.
L’enjeu du développement technologique et industriel placerait ainsi le droit en
position d’attente. Il ne serait, en effet, pas nécessaire de créer un dispositif
contraignant lié à un risque inconnu. Il conviendrait encore moins d’interdire les
recherches en nanosciences et nanotechnologies ou la production de nanoparticules
avant de connaitre la toxicité de ces produits. Cette position repose sur l’idée d’une
non-intervention du droit dans le domaine de l’innovation technologique,
permettant de conduire des études toxicologiques parallèlement au développement
libre des nanotechnologies et de leurs applications.
Pourtant, s’il n’y a pas lieu d’intervenir sur la recherche ou la production de
nanoparticules et nanomatériaux, il convient de ne pas ignorer le rôle que peut jouer
le droit dans la maîtrise sociale d’un secteur d’activité qui se développe très
rapidement et qui est marqué de l’incertitude scientifique. La véritable question
n’est pas celle de savoir si le droit doit intervenir dans ce secteur, mais plutôt de
savoir comment doit avoir lieu cette intervention. On peut ainsi caractériser les
besoins et proposer des outils juridiques adaptés à ces besoins.
1) Caractériser les besoins de droit
La plupart des acteurs impliqués dans l’appréhension des risques liés aux
nanoparticules et nanomatériaux convergent pour dire que le premier problème
rencontré est celui de l’absence d’identification des nanoparticules présentes dans
les produits d’usage ou de consommation courante. Le rapport de l’AFSSA remis en
2009 affirme ainsi qu’il « n’est pas possible d’identifier les produits commercialisés
relevant des nanotechnologies à partir de notifications ou d’autorisations existantes
en l’état actuel de l’ensemble de la réglementation dans le champ alimentaire » 7.
Le parlement européen fait le même constat dans une importante résolution en
6
Sur le site du ministère de l’Industrie, les nanotechnologies sont décrites comme un « enjeu stratégique
pour notre pays en termes de croissance et de valorisation industrielle, qui permettra d'asseoir notre
compétitivité sur des bases durables. ». http://www.industrie.gouv.fr/enjeux/enjeux.html
7
Rapport 2009 précit.
2
considérant que « l'on ne dispose pas d'informations claires sur l'utilisation réelle
des nanomatériaux dans les produits de consommation » et en ajoutant « que les
stocks d'établissements de renom font état de plus de 800 produits de consommation
actuellement sur le marché, identifiés par les fabricants comme issus des
nanotechnologies, sachant que les organisations professionnelles de ces mêmes
fabricants mettent en doute l'exactitude de ces chiffres, au motif qu'il s'agirait
d'estimations gonflées, mais qu'ils se gardent, pour leur part, de fournir des chiffres
concrets » 8. La connaissance de la production industrielle et de la mise sur le
marché de nanoparticules et de nanomatériaux est actuellement brouillée par deux
phénomènes. Le premier - décrit par le parlement européen et largement développé
par les associations de consommateurs 9 - consiste, pour un industriel, à ne pas faire
état de l’utilisation de nanoparticules dans les produits mis sur le marché. Le
second, au contraire, vise à afficher le préfixe « nano » sur des produits à des fins de
marketing 10, sans qu’il n’y ait un lien nécessaire avec l’usage de nanoparticules ou
nanomatériaux.
L’insuffisance des connaissances liées à la production et la mise sur marché des
nanoparticules et des nanomatériaux constitue l’élément fondateur qui rend
nécessaire la mise en place d’un régime juridique d’identification et de suivi. En
effet, la mise en œuvre des régimes traditionnels de protection des travailleurs ou
des consommateurs est conditionnée par une connaissance préalable de la présence
de nanoparticules dans les produits ou objets manipulés par l’homme. L’interdiction
ou la réglementation de l’usage des produits dangereux, l’instauration d’un système
d’étiquetage, la mise en place de mesures particulières de protection (port de
masque) sont des outils juridiques qui ne peuvent être utilisés que si la présence
d’un risque est identifiée, mais surtout si ce risque peut être associé à un produit ou
une substance.
Dès lors, le besoin de droit ne se situe pas actuellement dans la mise en place de
mesures de protection, mais bien en amont, au stade de l’identification des produits
susceptibles de présenter un risque. Pour autant, les outils juridiques ne peuvent être
utilisés à bon escient que si l’on est en mesure de poser l’ensemble des enjeux liés à
l’intervention du droit dans la production, l’usage et la consommation de
nanoparticules et nanomatériaux.
2) Mesurer les enjeux liés à l’intervention du droit
8
Résolution du Parlement européen du 24 avril 2009 sur les aspects réglementaires des nanomatériaux
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA2008/2208(INI),
2009-0328+0+DOC+XML+V0//FR
9
Le groupe de travail spécialisé désigné au sein du Conseil National de la consommation n’a pas encore
rendu son rapport. http://www.minefi.gouv.fr/conseilnationalconsommation/groupes/
groupes_specialises.htm. On retrouve une amorce de réflexion du rapporteur, M. Huard, dans les débats
retranscrits qui se sont déroulés au cours d’un nanoforum sur le thème « Intérêts et limites de
l’étiquetage des produits contenant du nano-argent ». http://www.vivagora.org/IMG/pdf/Nanoforum
_CR_10sept09.pdf
10
L’exemple topique est celui de l’« Ipod nano » fabriqué par la société Apple.
3
Le débat public actuellement organisé par la Commission nationale du débat
public 11 fait apparaitre un certain nombre de préoccupations liées aux risques que
peuvent présenter les nanoparticules et nanomatériaux pour la santé et
l’environnement. L’absence de connaissances approfondies sur ces risques ne doit
pas conduire à écarter l’usage du droit en la matière. En revanche, le phénomène de
rejet social très fortement exprimé en France à l’égard des OGM doit conduire à une
réflexion sur l’intérêt d’un encadrement juridique dès lors que la simple hypothèse
du risque apparaît. L’idée ici défendue consiste à dire que le risque est susceptible
d’être mieux maitrisé s’il a été appréhendé suffisamment tôt. Il peut être ainsi utile
d’aménager un régime juridique qui permettrait de réagir rapidement si une
situation de danger liée aux nanoparticules devait apparaitre.
D’un autre côté, l’intervention du droit ne peut être ni générale, ni radicale, ni
aveugle. Si une nanoparticule se révèle dangereuse pour la santé ou
l’environnement, ce danger mérite d’être circonscrit. En ce sens, les nanoparticules
ne peuvent être appréhendées dans leur globalité. La très grande diversité des
produits manufacturés de taille nanométrique nécessite que chaque produit puisse
faire l’objet d’un traitement juridique approprié. Par exemple, si une nanoparticule
doit faire l’objet d’un étiquetage, cette contrainte ne doit pas s’étendre à l’ensemble
des nanoparticules présentes sur le marché.
Enfin, l’intervention du droit se justifie en l’absence de tout risque identifié, et
alors même que ce risque aurait été écarté. A ce titre, la dissociation entre la
connaissance d’un risque et la représentation qu’un individu peut avoir du risque est
un enjeu majeur de l’intervention du droit. Ainsi, un consommateur peut
légitimement souhaiter ne pas acquérir et consommer des produits contenant
certaines nanoparticules alors même qu’il aurait été démontré que ces produits ne
présentaient aucun risque. La liberté de choix du consommateur peut impliquer
qu’une information spécifique soit imposée, car la simple représentation du risque
peut justifier l’usage d’outils juridiques adéquats.
3) L’outil juridique adéquat : le régime juridique d’identification et de suivi
Ce régime juridique, qui permet de laisser libre la création scientifique et la
production industrielle tout en assurant une traçabilité des produits, peut être
décomposé en plusieurs étapes :
1) La première étape consiste à définir juridiquement les critères qui
permettent d’identifier une nanoparticule ou un nanomatériau. Cette définition est, à
l’heure actuelle, problématique, car non consensuelle 12. S’il est admis que les
nanoparticules mesurent entre 1 et 100 nanomètres, cette taille n’est pas un critère
suffisant d’identification. Les nanoparticules sont spécifiques car elles possèdent
des caractéristiques propres lorsqu’elles sont produites à une taille nanométrique.
Un métal pourra être solide à la dimension métrique et liquide à la dimension
nanométrique. Par ailleurs, certaines nanoparticules présentent une réactivité de
11
http://www.debatpublic-nano.org/
12
Cf. le considérant F de la résolution du parlement européen du 24 avril 2009 précit.
4
surface beaucoup plus importante que la même particule de plus grande taille. La
question se pose alors de savoir comment faire entrer ces propriétés particulières
dans la définition des nanoparticules et nanomatériaux.
2) Sur la base d’une définition juridique, on peut soumettre les producteurs de
nanoparticules et de nanomatériaux à une obligation de déclaration des substances
produites. Se pose alors la question du champ d’application de cette obligation de
déclaration. Quelles sont les personnes assujetties (producteurs, importateurs,
assembleurs, distributeurs, usagers) ? Quel doit être le contenu de la déclaration
(substances produites ou contenues dans un produit, propriétés ou utilités des
substances pour le produit, précautions d’usage ou de conservation, prescriptions
particulières pour la mise en déchet) ?
3) Cette obligation de déclaration doit permettre aux autorités publiques de
dresser une nomenclature des nanoparticules et nanomatériaux manufacturés et
mis sur le marché. Une telle nomenclature devrait contenir, outre les
caractéristiques décrites ci-dessus (composition, propriétés, usages, etc.) l’indication
des produits complexes mis sur le marché et contenant les substances soumises à
obligation de déclaration. Cette association entre nanoparticules et produits mis sur
le marché constitue un élément essentiel pour élaborer ensuite une stratégie de
précaution. Si une substance se révélait nocive à l’issue de tests toxicologiques, il
serait possible de prendre les mesures adéquates pour informer les utilisateurs ou
consommateurs, la retirer du marché ou contrôler sa production et sa circulation. La
nomenclature constitue ainsi un outil indispensable qui devrait permettre, à terme,
d’isoler les particules en fonction de la connaissance des effets dommageables, du
risque d’effets dommageables, ou de l’absence d’effets dommageables. Cet outil
présente l’intérêt de traiter distinctement chaque substance et d’adapter le régime
juridique au facteur de risque identifié.
4) La nomenclature permettra ensuite de mettre en place des obligations
d’étiquetage et de traçabilité de produits qui méritent une surveillance
particulière. L’étiquetage constitue, à ce titre, un outil de suivi, mais également
d’information à l’usage des utilisateurs ou consommateurs. La traçabilité permettra,
quant à elle, de suivre le cycle de vie des produits.
5) Enfin, ce régime juridique doit être assorti de sanctions adaptées. Du choix
de la sanction dépend l’efficacité de l’usage du droit. Des sanctions pénales
importantes risquent de ne pas être appliquées par les juridictions répressives. Des
sanctions pécuniaires peu importantes n’auraient, à l’inverse, pas d’effet dissuasif à
l’égard des industriels. Reste à savoir si le refus de déclaration ou d’étiquetage
devrait être sanctionné par une suspension de la mise sur le marché.
Ce régime d’identification existe déjà dans le domaine des produits chimiques.
C’est le règlement communautaire REACH dont il convient de souligner les limites.
4) Les insuffisances de la réglementation communautaire pour la mise en place
du régime d’identification et de suivi
Le règlement REACH du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre
2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances
5
chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances 13, est un système
d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restriction des substances
chimiques. Ce système impose aux producteurs et importateurs de substances
chimiques des obligations de déclaration et de constitution d’un dossier technique
contenant des informations sur ces substances. Le manquement à ces obligations de
déclaration est sanctionné par l’interdiction de la mise sur le marché. Le règlement
REACH instaure un double crible. Sont soumises à enregistrement, toutes les
substances chimiques dont la production dépasse une tonne. Doivent également être
enregistrées sans seuil de production des substances dites « préoccupantes ».
Les substances chimiques de taille nanométrique n’échappent pas, en principe,
à la procédure d’enregistrement de REACH. Mais, en pratique, la production
industrielle de particules de très petite taille est fréquemment inférieure au seuil
posé par le règlement communautaire 14. Par ailleurs, l’état des connaissances sur les
risques liés aux nanoparticules ne permet pas de les classer parmi les substances
préoccupantes. On peut alors considérer que les mailles du crible sont trop larges
pour s’adapter aux nanoparticules et la production de ces substances chimiques
échappe en grande partie à l’obligation de déclaration communautaire. C’est pour
cette raison que le droit français amorce un processus innovant d’identification des
nanoparticules et nanomatériaux.
5) La construction d’un système français d’identification des nanoparticules et
nanomatériaux
Les débats qui se sont tenus à l’occasion du Grenelle de l’environnement ont
débouché sur une volonté d’introduire dans le droit français un système spécifique
d’identification des nanoparticules et nanomatériaux. Cette introduction s’effectue
actuellement en deux étapes.
Dans un premier temps, la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation
relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement a prévu dans son article
42 que « L’Etat se donne pour objectif que, dans un délai de deux ans qui suit la
promulgation de la présente loi, la fabrication, l’importation ou la mise sur le
marché de substances à l’état nanoparticulaire ou des matériaux destinés à rejeter
de telles substances, dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles
d’utilisation, fassent l’objet d’une déclaration obligatoire, relative notamment aux
quantités et aux usages, à l’autorité administrative ainsi que d’une information du
public et des consommateurs. »
Ce régime de déclaration obligatoire est en cours de discussion devant le
parlement à l’occasion de l’adoption de la seconde loi relative au Grenelle de
l’environnement. Ainsi, l’article 73 du Projet de loi portant engagement national
13
http://europa.eu/legislation_summaries/internal_market/single_market_for_goods/chemical_products/
l21282_fr.htm
14
Voir par ex. les informations sur le site du débat public : « ne peut être exclu le fait que de nombreuses
substances à l'état nanoparticulaire soient produites et mises sur le marché à des quantités inférieures à
1 tonne par an. Ces substances échappent alors à la procédure d'enregistrement dans REACH ».
http://www.debatpublic-nano.org/participer/consultation_questions_reponses.html?id=49
6
pour l'environnement 15 prévoit que le Code de l’environnement soit augmenté d’un
chapitre relatif à la « prévention des risques pour la santé et l’environnement
résultant de l’exposition aux substances à l’état nanoparticulaire ». Dans ce
chapitre, devrait figurer l’obligation de déclaration ainsi formulée :
« Les personnes qui fabriquent, importent ou distribuent des substances à l’état
nanoparticulaire, en l’état ou contenues dans des mélanges sans y être liées, ou des
matériaux destinés à rejeter de telles substances dans des conditions normales ou
raisonnablement prévisibles d’utilisation déclarent périodiquement à l’autorité
administrative l’identité, les quantités et les usages de ces substances, ainsi que
l’identité des utilisateurs professionnels à qui elles les ont cédés à titre onéreux ou
gratuit » 16.
L’article 73 de la loi donne deux précisions. D’une part, les informations
relatives aux substances déclarées doivent être mises à la disposition du public.
D’autre part, l’autorité administrative peut demander aux producteurs, importateurs
et utilisateurs de ces substances de fournir toutes les informations disponibles
relatives aux dangers de ces substances.
Le projet de loi « Grenelle 2 » prévoit donc bien la mise en place d’un système
d’identification des nanoparticules et nanomatériaux produits par l’industrie ou mis
sur le marché. Par ailleurs, ce système de déclaration est clairement orienté vers
l’évaluation des risques liés aux « substances à l’état nanoparticulaire ». En effet,
la loi de programmation du 3 août 2009 prévoit qu’« une méthodologie d’évaluation
des risques et des bénéfices liés à ces substances et produits sera élaborée » 17. Le
régime d’identification aurait alors comme objectif principal l’élaboration et la mise
en œuvre de méthodes d’évaluation des risques, ainsi que l’information du public
relative à ces risques.
Le système mis en place par le projet de loi « Grenelle 2 » comporte ainsi une
partie des éléments essentiels à l’élaboration d’un régime d’identification et de suivi
des nanoparticules et nanomatériaux, mais il présente également des lacunes et
ambigüités.
7) Insuffisances et imprécisions du projet français d’identification des
nanoparticules et nanomatériaux
La première difficulté concerne la définition des nanoparticules et
nanomatériaux qui doivent s’entendre des « substances à l’état nanoparticulaire, en
l’état ou contenues dans des mélanges sans y être liées, ou des matériaux destinés à
rejeter de telles substances ».
15
Voir le dossier législatif : http://www.senat.fr/dossierleg/pjl08-155.html
16
Cette obligation doit également être introduite dans le Code de la santé publique pour les nanoparticules
qui composent des produits de santé ou des médicaments vétérinaires.
17
Article 42 précit. de la loi n°2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du
Grenelle de l'environnement.
7
L’expression « substance à l’état nanoparticulaire » 18 a été conçue de façon
abstraite pour englober l’ensemble des nanoparticules. Le projet de loi « Grenelle
2 » prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat précisera les modalités d’application du
régime d’identification et l’on peut imaginer que ce texte réglementaire aura pour
finalité de caractériser la notion de « substance à l’état nanoparticulaire ». Pourtant,
si l’on s’en tient aux travaux parlementaires, la fonction de ce décret se réduirait à
préciser « les éléments constitutifs de la déclaration à fournir » 19. Il n’est donc pas
fait mention d’élément plus précis de définition des « substances à l’état
nanoparticulaire ».
Si la définition légale des nanoparticules ne faisait pas l’objet de précisions, elle
poserait nécessairement des difficultés d’application. Tout d’abord, la définition du
projet de loi « Grenelle 2 » ne distingue pas les nanoparticules manufacturées des
particules ultrafines produites naturellement (combustion) ou involontairement
(issues des gaz d’échappement d’un véhicule). De façon extrême, l’individu qui
allume un feu de cheminée est, bien malgré lui, un producteur de substances à l’état
nanoparticulaire. Ensuite, la définition ne fait pas apparaître un caractère essentiel
des nanoparticules ; lesquelles sont douées de propriétés spécifiques à l’échelle
nanométrique. Enfin, l’échelle nanométrique n’est, elle-même, pas définie par le
projet de loi. Si l’on s’accorde sur une échelle allant de 1 à 100 nanomètres, il
apparait également que certaines substances présentent des propriétés spécifiques à
des dimensions proches de cette échelle. Devrait-on, dès lors, considérer que ces
particules ne sont pas soumises à déclaration alors qu’elles pourraient présenter les
mêmes caractéristiques, et éventuellement les mêmes risques que certaines
substances qui entreraient dans la fourchette ?
Pour se rapprocher de la réalité scientifique, la définition légale pourrait ainsi
contenir les éléments suivants :
- des particules manufacturées (ou des matériaux contenant ces particules et
susceptibles de les rejeter) ;
- d’une dimension nanométrique ou proche de l’échelle nanométrique ;
- présentant des caractéristiques spécifiques lorsqu’elles sont produites à cette
dimension.
La notion de substance à l’état nanoparticulaire manque actuellement de
précision et il faut souhaiter que des textes d’application permettent d’affiner la
définition très abstraite contenue dans le projet de loi. Ce projet semble avoir été
pensé un peu rapidement, sans considération pour les controverses scientifiques
contemporaines qui mettent en évidence l’absence de consensus sur la délimitation
de la catégorie des nanoparticules.
Par ailleurs, le projet de loi présente un caractère partiel, car il aménage un
régime d’identification simple qui n’est pas complété par des modalités de suivi. On
18
Cette notion a été dégagée au sein du comité opérationnel n° 19 « veille sanitaire et risques émergents »
du Grenelle de l’environnement. Cf. rapport parlementaire n°552 précit.
19
Ibid.
8
a le sentiment que ce régime est orienté vers la détection des risques, mais qu’il
n’est pas animé par une volonté d’établir la traçabilité d’une filière nanoparticulaire.
La nomenclature, d’abord, n’est qu’esquissée dans le projet de loi de façon
incidente. L’article 73 prévoit que les informations relatives aux substances
déclarées soient mises à la disposition du public. Si cette publicité des données
nécessite l’élaboration d’une nomenclature, elle n’en constitue pas la finalité et elle
demeure avant tout informative à l’égard des consommateurs. Pourtant,
l’établissement d’une nomenclature - aussi difficile et laborieuse soit-elle –
constitue un élément central pour permettre une prise de décision stratégique et
rapide de la part des autorités publiques. Si un risque est mis en évidence s’agissant
d’une nanoparticule donnée, cette nomenclature devrait ensuite permettre de
répertorier les produits qui contiennent cette substance, de définir un régime de
protection adapté au risque, et de soumettre les producteurs, les utilisateurs, les
consommateurs, à ces règles spécifiques concernant ces produits.
Le projet de loi « Grenelle 2 » ne prévoit rien non plus en matière de traçabilité
et d’étiquetage. La lacune est ici plus compréhensible. En effet, les règles relatives à
l’étiquetage des substances mises sur le marché sont prévues dans de nombreux
textes communautaires et le droit français ne peut y déroger 20. La prédominance du
droit communautaire sur la sécurité sanitaire et environnementale réduit de façon
importante la marge de manœuvre du droit interne et constitue, à ce titre, un
obstacle important à l’élaboration d’un régime juridique global de traçabilité des
nanoparticules et nanomatériaux dans les produits mis sur le marché.
Enfin, la déclaration obligatoire envisagée par le projet de loi n’est pas assortie
de sanctions. La solution est ici surprenante puisqu’elle réduit considérablement la
portée de l’obligation en écartant l’élément de contrainte. L’obligation de
déclaration prendrait ainsi la forme d’une simple incitation, lorsque le droit
communautaire utilise la plus radicale des sanctions : l’interdiction de mise sur le
marché. On mesure ici à quel point l’élaboration du régime d’identification par le
droit interne est embryonnaire.
En définitive, le régime juridique d’identification et de suivi des nanoparticules
et nanomatériaux manufacturés constitue, à l’heure actuelle, un projet en gestation
qui est confronté à de nombreux écueils. L’absence de définition scientifique
consensuelle des nanoparticules constitue l’un des obstacles majeurs à la mise en
place de ce régime par le droit. La concurrence des systèmes juridiques, et
notamment du droit interne et du droit communautaire, sème également une certaine
confusion. Le législateur français tente de faire preuve d’initiative face à une
20
Voir not. le Règlement n°1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à
l'emballage des substances et des mélanges, mais également les nombreuses directives qui réglementent
l’étiquetage de certaines substances (cosmétiques, aliments destinés aux humains ou aux animaux,
arômes, médicaments, etc.).
9
commission européenne marquée par un certain immobilisme 21. De son côté, le
parlement européen a pris ses distances vis-à-vis de cette position attentiste 22. Les
droits français et communautaire sont ainsi sur la voie d’une appréhension
spécifique des nanoparticules et nanomatériaux. Quelques éléments peuvent
permettre de contribuer à la réflexion à ce sujet.
D’abord, il peut paraitre utile de rappeler que l’élaboration d’un régime
d’identification et de suivi des nanoparticules et nanomatériaux est indépendante
des risques liés à la production ou l’utilisation de ces substances. La création d’un
tel régime trouve son fondement dans une attitude politique de précaution face à un
risque en grande partie inconnu. Le régime d’identification et de suivi n’est qu’un
support d’action. Cet outil juridique pourrait permettre aux autorités publiques de
maîtriser un risque sanitaire ou environnemental s’il devait survenir. En toute
hypothèse, ce régime juridique constitue un instrument essentiel d’information à
l’usage des autorités, des producteurs et des utilisateurs.
Ensuite, la nomenclature qui découle de l’identification des nanoparticules et
nanomatériaux doit permettre d’individualiser les risques éventuels liés à chacune
de ces substances. L’usage de cette nomenclature constitue un moyen d’éviter qu’un
amalgame rapide consiste à englober des substances extrêmement différentes dans
une même catégorie. Un risque diagnostiqué sur une particule ne doit pas conduire à
la mise en place d’un régime d’interdiction ou de contrôle appliqué globalement et
sans discernement. A ce titre, le régime juridique applicable aux organismes
génétiquement modifiés ne peut être transposé dans le domaine nanoparticulaire.
Enfin, la mise en place d’un régime juridique, qui permette aux autorités
publiques de maîtriser socialement les risques et de contenir la survenance de
dommages, présente un caractère d’urgence. Dans les rapports tendus que peuvent
parfois entretenir science et société, on peut émettre l’hypothèse que la maitrise des
innovations scientifiques contribue à leur acceptation sociale. A cet égard, l’usage
du droit peut constituer une attitude adéquate et responsable.
21
Voir la Communication de la Commission au Conseil, au Parlement Européen et au Comité Economique
et Social Européen COM(2008) 366 final - Bruxelles, le 17.6.2008 Aspects réglementaires des
nanomatériaux dans laquelle la Commission affirme que « La législation actuelle couvre en principe les
risques potentiels des nanomatériaux pour la santé, la sécurité et l’environnement. »
22
Cf. Résolution du 24 avril 2009 précit. dans laquelle le parlement affirme qu’il « n'adhère pas, en
l'absence, dans le droit communautaire, de toute disposition visant de manière spécifique les
nanomatériaux, aux déclarations de la Commission affirmant que a) la législation en vigueur couvre,
dans son principe, les risques liés à ce type de matériaux, b) ni à l'idée selon laquelle la protection de la
santé, de la sécurité et des besoins environnementaux doivent être en majeure partie renforcés grâce à
l'amélioration de l'application de la législation en vigueur ».
10