AFPP – 2ème CONFÉRENCE SUR L`ENTRETIEN

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AFPP – 2ème CONFÉRENCE SUR L`ENTRETIEN
AFPP – COLLOQUE RAVAGEURS ET INSECTES INVASIFS ET ÉMERGENTS
MONTPELLIER – 21 OCTOBRE 2014
PISTOSIA DACTYLIFERAE (MAULIK, 1919) :
NOUVEAUX RÉSULTATS SUR LA CONNAISSANCE DE L’INSECTE
K. PANCHAUD(1) & F. DUSOULIER(2)
(1)
VEGETECH – 33 chemin de la Source – 83260 La Crau – France – [email protected]
(2)
Muséum d’histoire naturelle de Toulon et du Var –
737 chemin du Jonquet – 83200 Toulon – France – [email protected]
RÉSUMÉ
Sur la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes), le ravageur des palmiers
Pistosia dactyliferae (Maulik, 1919) considéré comme éradiqué en 2005 a été de nouveau signalé en
2012. Un autre foyer a été trouvé sur la commune de Ramatuelle (Var). Depuis 2012, la société
Vegetech a été mandatée, dans le cadre de son expérience sur l’étude des ravageurs des palmiers,
afin d’effectuer une prospection de terrain, d’évaluer le niveau d’infestation et de commencer à
travailler sur la biologie de cette espèce. Les premiers résultats des observations de terrain et des
études menées en laboratoire ont été présentés à la COZNA de Toulouse en 2013. Depuis, les travaux
ont été approfondis et les premiers screening en laboratoire ont été réalisés dans le cadre de
recherche d’un moyen de lutte biologique. Ce travail, réalisé sur des fonds privés a pour but, à terme,
de définir une stratégie et des moyens de lutte contre un insecte jusqu’à présent non réglementé,
dont l’expansion est possible.
Mots-clés : Pistosia dactyliferae, palmier, biologie, nuisibilité, expansion géographique.
ABSTRACT
Within the territory of the commune of Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes) the palm tree pest
Pistosia dactyliferae (Maulik, 1919), considered as eradicated in 2005, has again been reported in
2012. Another population has been found in Ramatuelle (Var). Since 2012 the company Vegetech
was commissioned to undertake garden prospections and field surveys to evaluate the level of palm
tree infestation and to commence study on the species’ biology. Initial results of field observations
and laboratory studies were presented at the COZNA symposium in Toulouse in 2013. Since this time
work has continued successfully and the first laboratory screenings have been realized to find a
potential biocontrol method. This work, financed with private funds, aims to define strategies and
control methods against this pest, which for the time being remains unregulated by authorities and
whose proliferation is likely.
Keywords: Pistosia dactyliferae, palm tree, biology, pest, proliferation.
INTRODUCTION
Pistosia dactyliferae est un coléoptère de la famille des Chrysomelidae. Il a été décrit en 1919 par
Maulik mais les données sur sa biologie ne sont pas encore complètes. L’aire naturelle de répartition
de cette espèce semble se situer en Inde (Drescher & Martinez, 2005).
Identifié en 2004 sur la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes) (Drescher & Martinez,
2005 ; Chapin & Germain, 2005), il a fait l’objet d’un signalement auprès de l’Office pour les insectes
et leur environnement (OPIE). En 2006, il est considéré comme éradiqué par les services de l’État
suite aux mesures de lutte chimique (bifenthrine) entreprises sur les sites contaminés. En 2012, dans
le cadre de la surveillance du territoire mise en œuvre par le comité de pilotage azuréen (COPIL
Azuréen) contre le charançon rouge du palmier, il est à nouveau signalé (Besse et al., 2013). En 2013
un foyer est découvert sur Ramatuelle (Var), et plus récemment une alerte vient d’être reçue (étude
en cours) sur Sanary-sur-Mer (Var).
Cet article fait le point sur l’avancée des recherches depuis l’article de Panchaud & Dusoulier (2013),
autant sur les travaux de terrain que ceux menés en laboratoire sur Pistosia. Ces recherches ont
notamment permis d’avancer sur l’étude de la morphologie des différents stades biologiques de
l’espèce et de mieux connaître son cycle de vie. Elles montrent également les résultats des premiers
« screening » des moyens de lutte biologique à l’aide de champignons entomopathogènes.
MÉTHODE DE TRAVAIL
À partir de la déclaration des foyers présents sur la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat, puis Ramatuelle,
les premiers travaux réalisés ont permis de :
- cartographier les foyers (répartition géographique),
- observer l’insecte in situ,
- identifier un maximum de plantes hôtes (la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat se caractérise
notamment par la présence d’une grande diversité végétale dans des jardins remarquables),
- prélever des individus pour mise en élevage et étude de leur biologie au laboratoire.
Les sites étant caractérisés par de très grandes propriétés privées, à accès réglementé, les visites ont été
réalisées sous clause de confidentialité.
Bien que l’insecte ne soit pas réglementé par les autorités, les mêmes mesures que pour le transport
d’organismes de quarantaine ont été appliquées (agrément 95/44 de la société Vegetech) afin d’éviter
tout risque de dissémination lors du transport. Les spécimens ont ainsi été placés en boîtes individuelles,
dans un caisson sous scellés portant mention « n’ouvrir que dans une structure de quarantaine ».
Au laboratoire, les individus ont été mis en élevage sur des palmiers du genre Washingtonia positionnés
dans des cages claires en 2013, et sur Chamaerops en 2014. Les élevages ont été démultipliés fin 2013
afin d’obtenir des séries suffisantes d’insectes pour la réalisation de « screening » des souches de
champignons entomopathogènes.
PREMIERS RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE TERRAIN
L’étude de terrain a montré une importante distribution des foyers, étendus sur quasiment toute la
commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat. Le foyer de la commune de Ramatuelle semble plus limité. Les
prospections ont été stoppées fin 2013 en raison du manque de crédits pour ce travail. Il serait
pourtant intéressant de prospecter dans les communes limitrophes de ces deux secteurs colonisés
par l’insecte pour délimiter plus précisément les contours de la propagation. La présence bien
attestée et la large répartition actuelle sur la commune de Saint-Jean-Cap-Ferrat permettent de
qualifier l’insecte « d’établi » à l’échelle locale ; les autres foyers risquent donc de s’étendre.
L’étude de terrain a également permis de confirmer et compléter les indicateurs de présence
identifiés par Drescher & Martinez en 2005 :
- décapage des rachis avec présence de sciure fine (fig. 1),
- brunissement du cœur lié aux prises alimentaires et/ou encroutement du cœur qui s’atrophie
(fig. 1),
- petites perforations sur les pinacules des palmes,
- présence d’adultes et de larves à la base des rachis ou dans les pliures des palmes, sur la face
inférieure (fig. 2).
Figure 1 : Dégâts observés sur Phoenix canariensis dans les jardins. À gauche : broutage des pinacules
et décapage des rachis ; à droite : décapage des rachis.
Damage observed on Phoenix canariensis in private gardens. Left: Grazed pinaculae and spinal
stripping. Right: Spinal stripping.
Figure 2 : Pistosia dactyliferae in situ et dégâts causés. À gauche : adultes ; à droite : larves.
Damage caused by Pistosia dactyliferae in situ – Left : Adults. Right: Nymphs.
L’étude de terrain a permis d’établir qu’une partie non négligeable (environ 150 espèces) des
espèces de la famille des Arecaceae pouvait être attaquée : principalement les genres Phoenix spp.,
Washingtonia spp., Chamaerops spp., Trachycarpus spp. Sa présence est aussi avérée sur Calamus
spp., Rhapidophyllum spp. et Metroxylon spp. Chez les Sabal spp., seules quelques espèces semblent
être attaquées ; leur identification est en cours. L’insecte n’a pour le moment pas été observé ni sur
Butia spp., ni sur Erythea spp. La hauteur du sujet ne semble pas influencer le fait que le palmier soit
attaqué ou non. Par contre, les sujets situés en zone ombragée ou sous la canopée sont attaqués
préférentiellement. Cela démontre la préférence écologique sciaphile du taxon.
Larves et imagos ont été observés in situ. Les larves sont peu mobiles et vivent en colonies ; elles
n’ont pas été observées en hiver. Les adultes se déplacent par le vol et leur présence a été constatée
tout au long de l’année, y compris au mois de janvier, ce qui laisse supposer que l’espèce passe
l’hiver au stade adulte.
RÉSULTATS DE L’ÉTUDE EN LABORATOIRE
Le travail en laboratoire s’est considérablement intensifié suite à l’arrêt des prospections et actions
de terrain entreprises en 2013. Les principaux résultats s’articulent en 3 points différents : l’étude de
la morphologie des différents stades de l’espèce, l’étude de la biologie et du cycle de vie, et enfin, la
mise en œuvre des premiers « screening ».
Morphologie
La description morphologique des différents stades de développement de Pistosia dactyliferae a été
effectuée en raison des descriptions lacunaires faites jusqu’alors dans la littérature scientifique.
Les adultes ont un corps allongé, 2,7 à 3,0 fois plus long que large, de couleur générale brunrougeâtre, avec les antennes formant un « V » devant la tête puisque leurs insertions sur le clypéus
est rapprochée. Le pronotum, de forme nettement quadrangulaire, est ponctué sauf sur une ligne
lisse médio-longitudinale, et muni d’une dent à son bord latéro-postérieur. Les élytres sont explanés
et pourvus de 9 lignes de points enfoncés longitudinalement. Les tailles mesurées sont les suivantes :
mâles de 4,4-5,3 mm ; femelles de 4,9-5,8 mm.
Chez les insectes holométaboles, la pupe est le stade de transition entre la larve et l’imago (= adulte).
Au laboratoire, une pupe de Pistosia dactyliferae a pu être isolée en octobre 2013 afin d’être
photographiée et décrite sommairement. La pupe présente à la fois des caractères morphologiques
du stade larvaire précédent et des caractères de l’imago en cours de développement. Parmi les traits
caractéristiques de ce dernier, on peut voir très nettement l’apparition des deux paires d’ailes, le
développement du pronotum, l’allongement des pattes et des antennes. La seule pupe décrite, et
illustrée ici pour la première fois, mesure 5,93 mm, soit une taille intermédiaire entre la larve et
l’imago.
La larve est de type éruciforme, 2,8-3,5 fois plus longue que large, et portant trois courtes paires de
pattes. Le pronotum est marqué de deux dépressions transversales sur les côtés et l’abdomen et le
thorax portant 13 paires de scolis épineux. Les larves matures de stade V mesurent de 6,2 à 6,6 mm.
Ces principaux caractères morphologiques permettent donc l’identification de l’espèce à n’importe
quel stade de son développement.
a
b
c
d
Figure 3 : Larve (a), pupe (b), imago (c) et édéage (d) de Pistosia dactyliferae.
Nymph (a), pupa (b), imago (c) and aedeagus (d) of Pistosia dactyliferae.
Biologie
L’étude en laboratoire a permis d’améliorer considérablement les techniques d’élevage sur matière
végétale afin de disposer d’un matériel suffisant. Les recherches menées permettent de confirmer les
éléments suivants :
- l’insecte vit en colonie, ce qui fait que la population s’accroit très rapidement dès que la
quantité de nourriture est non limitante,
- il n’a pas été observé de cannibalisme dans les populations,
- le régime alimentaire se compose de la cuticule de la partie épigée des palmes et du cœur.
L’insecte est sensible aux odeurs chimiques qui lui permettent la détection des palmiers ; par
exemple, un morceau de palmier visible mais non détectable par l’odeur n’entraîne pas de
comportement de déplacement de l’insecte,
- les espèces du genre Washingtonia sont les hôtes préférentiels,
- les adultes et larves sont sensibles à la lumière : leur activité est plutôt crépusculaire,
- les femelles possèdent un ovipositeur d’environ 2,5 mm de long, l’accouplement se fait par
chevauchement,
- le cycle de développement de l’œuf à l’adulte dure environ un mois à 20 °C,
- les générations se succèdent tout au long de l’année à température ambiante,
- les plaies nutritionnelles se sont révélées attractives pour le charançon rouge du palmier,
ravageur majeur sur les palmiers du genre Phoenix. Ces plaies favorisent également le
développement de champignons phytopathogènes.
L’ensemble de ces traits biologiques en font une espèce à fort pouvoir invasif, représentant
potentiellement un danger pour les palmiers. Des recherches complémentaires permettront de
confirmer ou non le fait que l’espèce est cantonnée à un régime alimentaire strict sur Arecaceae.
Premiers « screening »
Le travail de laboratoire a également permis la mise en œuvre des premiers « screening » dans le
cadre de la recherche d’un moyen de lutte biologique. Les tests ont été réalisés sur des imagos (stade
le plus facilement manipulable en raison de la petite taille de l’insecte), en boîte de pétri. Plusieurs
souches de champignons entomopathogènes (Beauveria) ont été testées, les imagos étant
directement mis au contact des souches testées (test oui/non). Une boite témoin comprend les
imagos mis au contact du granulé blanc. Après trempage, les adultes sont placés à l’obscurité et des
notations d’état sont réalisées tous les jours.
La mort des adultes contaminés survient rapidement, dans un délai de trois jours. Les segments de
l’abdomen étant légèrement translucides, la croissance mycélienne a pu être observée à la
binoculaire. Après trois jours, le mycélium est également visible à l’œil nu au niveau des articulations
et jointures des segments.
Ces premiers essais de lutte biologique montrent un potentiel intéressant du Beauveria pour lutter
contre ce type d’insecte. La confirmation de ce potentiel nécessitera de réaliser des essais en milieu
extérieur, et éventuellement en plein champ.
Figure 4 : Résultats des screening : adultes mycosés de Pistosia dactyliferae.
Screening results: Mycosed adults of Pistosia dactyliferae.
CONCLUSION
La mise en œuvre d’un projet d’étude locale a permis une réelle avancée dans la connaissance de
Pistosia dactyliferae et de sa répartition depuis 2012. La coopération collectivités territoriales /
laboratoire privé a permis une grande réactivité autour de la mise en commun des compétences de
chaque structure. Fin 2013, l’absence de crédits de financement à amener à abandonner le travail de
terrain ; seul un travail de laboratoire a été poursuivi à la charge de Vegetech et en coopération avec
le Muséum d’histoire naturelle de Toulon et du Var pour la partie morphologique de l’insecte. Le
travail fourni permet d’avoir des premiers éléments consistants pour suivre l’évolution des
populations d’insectes (reconnaissance des foyers par les professionnels) et, si besoin, d’enclencher
rapidement une étude sur le développement d’un produit de lutte biologique.
L’insecte étant non réglementé et ayant une répartition géographique encore limitée, aucun
financement n’est pour l’heure alloué au sujet (étude sur fonds privés). Il est également difficile de
solliciter des détenteurs de molécules (biologiques ou chimiques) pour une mise sur le marché de
produits autorisés pour cet usage. Le cas de Pistosia est un marché de niche en raison de son
caractère « émergent ».
Il conviendrait ainsi d’avoir une approche concertée et de bien utiliser les outils réglementaires pour
amener rapidement une solution technique efficace contre ce ravageur si sa progression se confirme.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier :
- le COPIL Azuréen et la mairie de Saint-Jean-Cap-Ferrat pour leur soutien logistique sur le terrain,
- le SRAL et la DRAAF PACA pour la confirmation initiale de l’identification de l’insecte et les réponses
apportées d’un point de vue réglementaire,
- la société NPP (Natural Plant Protection) pour la mise à disposition de souches de Beauveria à
tester,
- M. Coutant du SCRADH pour sa participation à la réalisation des reportages photographiques lors
des screening.
BIBLIOGRAPHIE
BESSE S., PANCHAUD K. & GAHLIN S. (2013) – Palmiers, encore un nouveau ravageur. Phytoma, 661 : 14-17.
CHAPIN E., GERMAIN J.-F. (2005) – Des ravageurs des palmiers en France, espèces établies, introduites ou
interceptées. 7e conférence internationale sur les ravageurs en agriculture (CIRA), Montpellier,
octobre 2005.
DRESCHER J. & MARTINEZ M. (2005) – Le coléoptère Pistosia dactyliferae menace les palmiers du sud de la
France. PHM, 468 : 34-38.
PANCHAUD K. & DUSOULIER F. (2013) – Observations de terrain et premiers éléments de biologie chez
Pistosia dactyliferae (Maulik, 1919) : nouveau danger pour les palmiers ? Actes de la 3e conférence
sur l'entretien des espaces verts, jardins, gazons, forêts, zones aquatiques et autres zones non
agricoles, du 15 au 17 octobre 2013, Toulouse. pp. 215-219.