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L’Encéphale (2008) 34, 93—100
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
THÉRAPEUTIQUE
Traitement pharmacologique de la schizophrénie :
évaluation comparative de la qualité des
recommandations de pratique clinique
Comparative evaluation of clinical practice
guidelines for the treatment of schizophrenia
D. Delessert a,∗, V. Pomini b, F. Grasset c, P. Baumann c
a
Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires, département de psychiatrie-CHUV, université de Lausanne,
site de Cery, 1008 Prilly, Suisse
b
Unité de réhabilitation, département de psychiatrie-CHUV, université de Lausanne, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse
c
Unité de biochimie et de psychopharmacologie clinique, centre de neurosciences psychiatriques, département de
psychiatrie-CHUV, université de Lausanne, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse
Reçu le 11 août 2005 ; accepté le 22 février 2007
Disponible sur Internet le 24 octobre 2007
MOTS CLÉS
Médecine fondée sur
des preuves ;
Objectifs ;
Qualité ;
Recommandations de
pratique clinique ;
Schizophrénie ;
Projet « AGREE »
∗
Résumé De nombreuses recommandations de pratique clinique (RPC) ont été publiées, en
réponse au développement du concept de la médecine fondée sur les preuves et comme solution à la difficulté de synthétiser et trier l’abondante littérature médicale. Pour faire un choix
parmi le foisonnement de nouvelles RPC, il est primordial d’évaluer leur qualité. Récemment,
le premier instrument d’évaluation standardisée de la qualité des RPC, appelé « AGREE » pour
appraisal of guidelines for research and evaluation, a été validé. Nous avons comparé — avec
l’aide de la grille « AGREE » — les six principales RPC publiées depuis une dizaine d’années
sur le traitement de la schizophrénie : (1) les Recommandations de l’Agence nationale pour le
développement de l’évaluation médicale (ANDEM) ; (2) The American Psychiatric Association
(APA) practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia ; (3) The quick reference guide of APA practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia [APA
—– guide rapide de référence] ; (4) The schizophrenia patient outcomes research team (PORT)
treatment recommandations ; (5) The Texas medication algorithm project « T-MAP » ; (6) The
expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia. Les résultats de notre étude
ont ensuite été comparés avec ceux d’une étude similaire publiée en 2005 par Gæbel et al.
portant sur 24 RPC abordant le traitement de la schizophrénie, réalisée également avec l’aide
de la grille « AGREE » et deux évaluateurs [Br J Psychiatry 187 (2005) 248—255]. De manière
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (D. Delessert).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2007.07.004
94
D. Delessert et al.
générale, les scores des deux études ne sont pas trop éloignés et les deux évaluations globales des RPC convergent : chacune des six RPC est perfectible et présente différemment des
points faibles et des points forts. La rigueur d’élaboration des six RPC est dans l’ensemble très
moyenne, la prise en compte de l’opinion des utilisateurs potentiels est lacunaire et un effort
sur la présentation des recommandations faciliterait leur utilisation clinique. L’applicabilité
des recommandations est également peu considérée par les auteurs. Globalement, deux RPC
se distinguent et peuvent être fortement recommandées selon les critères de la grille « AGREE » :
« l’APA — guide rapide de référence » et le « T-MAP ».
© L’Encéphale, Paris, 2008.
KEYWORDS
Evidence-based
medicine;
Objective;
Quality;
Clinical practice
guidelines;
Schizophrenia;
‘‘AGREE’’ project
Summary
Introduction. — Many clinical practice guidelines (CPG) have been published in reply to the
development of the concept of ‘‘evidence-based medicine’’ (EBM) and as a solution to the
difficulty of synthesizing and selecting relevant medical literature. Taking into account the
expansion of new CPG, the question of choice arises: which CPG to consider in a given clinical
situation ? It is of primary importance to evaluate the quality of the CPG, but until recently,
there has been no standardized tool of evaluation or comparison of the quality of the CPG. An
instrument of evaluation of the quality of the CPG, called ‘‘AGREE’’ for appraisal of guidelines
for research and evaluation was validated in 2002.
Aim of the study. — The six principal CPG concerning the treatment of schizophrenia are
compared with the help of the ‘‘AGREE’’ instrument: (1) ‘‘the Agence nationale pour le
développement de l’évaluation médicale (ANDEM) recommendations’’; (2) ‘‘The American Psychiatric Association (APA) practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia’’;
(3) ‘‘The quick reference guide of APA practice guideline for the treatment of patients with
schizophrenia’’; (4) ‘‘The schizophrenia patient outcomes research team (PORT) treatment
recommendations’’; (5) ‘‘The Texas medication algorithm project (T-MAP)’’ and (6) ‘‘The expert
consensus guideline for the treatment of schizophrenia’’.
Results. — The results of our study were then compared with those of a similar investigation
published in 2005, structured on 24 CPG tackling the treatment of schizophrenia. The ‘‘AGREE’’
tool was also used by two investigators in their study. In general, the scores of the two studies
differed little and the two global evaluations of the CPG converged; however, each of the six
CPG is perfectible.
Discussion. — The rigour of elaboration of the six CPG was in general average. The consideration
of the opinion of potential users was incomplete, and an effort made in the presentation of the
recommendations would facilitate their clinical use. Moreover, there was little consideration
by the authors regarding the applicability of the recommendations.
Conclusion. — Globally, two CPG are considered as strongly recommended: ‘‘the quick reference guide of the APA practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia’’
and ‘‘the T-MAP’’.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
Les recommandations pour la pratique clinique (RPC)1 sont
définies comme des « propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher
les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données » [6,7]. Elles ont été élaborées pour
répondre aux objectifs de la médecine fondée sur les
preuves et faire évoluer les traitements selon les données de la littérature médicale, après une revue critique
de celle-ci et en faisant preuve d’un scepticisme éclairé
[21].
Les RPC suscitent des débats au sujet de leurs objectifs,
leur efficacité, leur qualité et leur rôle [6,7,9,10,13,15].
1
Les
termes
anglais
« clinical
practice
ou « guidelines » ont été traduits dans cet
« recommandations pour la pratique clinique ».
guidelines »
article par
Il existe, en effet, des recommandations différentes ou
contradictoires pour une même pathologie [6,9,13]. De
plus, si l’objectif principal des RPC est de promouvoir de bonnes pratiques cliniques et de maintenir ou
d’améliorer la qualité des soins [6,7], d’autres objectifs ont également été proposés, faisant craindre un
possible usage détourné des RPC par l’industrie pharmaceutique, les assurances-maladie ou les pouvoirs politiques
[5—8].
Face au foisonnement des RPC, il est primordial d’évaluer
leur qualité. Avant l’année 2002, on ne disposait d’aucun
outil standardisé d’évaluation ou de comparaison de la qualité des RPC, en dehors des critères élaborés par quelques
auteurs, tels Milner et Valenstein [20] ou Bochud et al.
[6].
Dernièrement, un instrument d’évaluation de la qualité
des RPC, appelé « AGREE » pour appraisal of guidelines for
research and evaluation, [22] a été validé, comblant cette
lacune et apportant une aide indéniable au clinicien. On
Traitement pharmacologique de la schizophrénie.
y retrouve notamment les critères de Milner et Valenstein
[20] et Bochud et al. [6] (par exemple, la validité scientifique des recommandations, leur importance clinique et leur
applicabilité), présentés sous une forme plus précise et plus
claire.
Nous avons comparé six RPC abordant le traitement pharmacologique de la schizophrénie avec l’aide de la grille
« AGREE » [22] :
• les Recommandations de l’ANDEM [3] ;
• The Texas medication algorithm project (T-MAP) [19] ;
• The schizophrenia patient outcomes research team
(PORT) [17] ;
• The American psychiatric association (APA) practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia
[16] et son résumé ;
• The quick reference guide of APA practice guideline for
the treatment of patients with schizophrenia [4] ;
• The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia [18].
95
possible sur la base de la cotation d’au minimum deux évaluateurs (si possible quatre évaluateurs) [22].
On peut établir une évaluation globale qui répartit les
RPC en trois grandes catégories :
• RPC fortement recommandée (le score standardisé de la
plupart des domaines est supérieur à 60 %) ;
• RPC recommandée avec certaine réserve (majorité des
scores standardisés compris entre 30 et 60 %) ;
• RPC non recommandée (majorité des scores inférieure
à 30 %). Les auteurs de « AGREE » soulignent que les six
domaines sont indépendants et ne devraient pas être
agrégés en un score global de qualité [22].
Les coefficients alpha de Cronbach calculés pour mesurer
la cohérence interne de chacun des six domaines évalués par
AGREE varient entre 0,64 et 0,88 [22]. La fidélité interjuge a
été mesurée par des coefficients de corrélation intraclasse
(CCI) pour chacun des six domaines. Le CCI varie entre 0,39
et 0,83 pour deux évaluateurs et entre 0,57 et 0,91 pour
quatre évaluateurs [22].
Méthode
Procédure
Instrument
La grille d’évaluation de la qualité des RPC (ou AGREE instrument) [22], publiée en 2002, est le fruit d’une collaboration
internationale de 1994 à 1998, entre des chercheurs de
13 pays et des décideurs politiques. Elle se veut une aide
à l’élaboration de RPC et à l’évaluation de leur qualité
méthodologique [15,22], ainsi qu’à l’évaluation de la qualité des contenus et des formulations des recommandations.
En revanche, elle ne permet pas d’évaluer l’impact des RPC
sur les patients.
Cette grille [22] comprend 23 items qui sont organisés en
six domaines :
I. champ et objectif (concerne l’objectif global de la
RPC, les questions cliniques abordées et les groupes de
patients cibles) ;
II. participation des groupes concernés (examine dans
quelle mesure la RPC prend en considération les points
de vue des utilisateurs potentiels) ;
III. rigueur d’élaboration (décrit le processus de recherche
et de synthèse des preuves scientifiques ainsi que les
méthodes utilisées pour formuler les recommandations
et pour les actualiser) ;
IV. clarté et présentation (étudie la formulation et le format des RPC) ;
V. applicabilité (examine la prise en compte dans la RPC
de ses conséquences en terme d’organisation, de changement d’attitude et de coût lors de son application) ;
VI. indépendance éditoriale (concerne l’indépendance
d’une RPC et l’identification des possibles conflits
d’intérêts au sein du groupe d’élaboration).
Chacun des 23 items est coté sur une échelle à quatre
points (de 1 : « pas du tout d’accord » à 4 : « tout à fait
d’accord »). Des scores standardisés par domaine peuvent
être calculés, selon une formule donnée par les auteurs de
la grille, et expriment le pourcentage d’un score maximal
Les deux premiers auteurs (DD et VP) ont effectué
l’évaluation, de manière indépendante, des six RPC, telles
qu’elles ont été éditées, au moyen de « AGREE » [22].
Résultats : évaluation des six RPC
D’une manière générale, les RPC étudiées définissent clairement leur champ d’application et leur objectif (domaine I de
la grille « AGREE » [22]), mis à part les recommandations de
« l’ANDEM » [3] (score standardisé : 11 %) (Tableaux 1 et 2).
Les recommandations de l’Agence nationale pour
le développement de l’évaluation médicale
(l’ANDEM)[3]
Elles sont présentées sous une forme littéraire. Il s’agit d’un
résumé des réflexions et discussions qui ont eu lieu au cours
de la conférence, basée sur quatre questions concernant
les stratégies à long terme dans les psychoses schizophréniques :
•
•
•
•
les critères et les méthodes d’évaluation ;
la place des neuroleptiques ;
la place des autres traitements médicamenteux ;
la place des stratégies thérapeutiques non médicamenteuses et leur interaction.
Les auteurs assurent que cette conférence et les recommandations établies respectent les règles méthodologiques
préconisées par l’ANDEM [3]. Cependant, aucune revue de
littérature, ni preuves d’efficacité publiées ne sont mentionnées et le niveau d’évidence des recommandations n’est pas
indiqué. Les groupes d’experts et d’élaboration des recommandations sont constitués essentiellement de médecins,
occultant une bonne partie des autres professionnels et des
représentants de patients.
96
Tableau 1
Caractéristiques et recommandations principales des six RPC.
Recommandations
Phase de la maladie
Variété des modalités de traitement
Nombre total des recommandations/
nombre des recommandations
pharmacologiques
Traitement neuroleptique de 1er choix
pour un 1er épisode psychotique
Mauvaise réponse :
Au traitement neuroleptique initial
(à dose efficace)
Après deux essais de neuroleptique
différent
Médication en cas :
Agressivité, violence
ANDEM
Expert consensus
Maintenance
Nombreuses
Environ65/environ29
APA et son résumé
Aiguëetmaintenance
Nombreuses
Environ100/environ45
—
Changer de neuroleptique (plutôt un
atypique)
Passer à la clozapine
Changer de neuroleptique (plutôt
un atypique)
Passer à la clozapine
—
Passer à la clozapine
Changer de neuroleptique, sans
précision
Passer à la clozapine
Stabilisateur de l’humeur ou
clozapine (2e intention)
Clozapine
—
—
SSRI, venlafaxine, mirtazapine,
néfazodone
Considérer une forme dépôt
Lithium, carbamazépine,
benzodiazépine
—
—
—
Antidépresseur
Clozapine, stabilisateur de
l’humeur, bêta-bloqueur
Clozapine
—
—
Antidépresseur
Utiliser une forme dépôt
Utiliser une forme dépôt
Ziprasidone, rispéridone
Halopéridol, ziprasidone, (+/−
quétiapine ou rispéridone)
—
Neuroleptiques atypiques (+/−
rispéridone)
Neuroleptiques atypiques (sauf
rispéridone)
Rispéridone, ziprasidone, quétiapine,
neuroleptiques conventionnels incisifs
Neuroleptiques atypiques (+/−
rispéridone)
Neuroleptiques atypiques
(+/− antiparkinsonien)
Ziprasidone, quétiapine,
rispéridone, halopéridol
(+/−olanzapine)
—
—
Halopéridol, ziprasidone,
aripiprazole (+/− quétiapine ou
rispéridone)
Neuroleptiques atypiques (+/−
rispéridone)
Neuroleptiques atypiques (+/−
rispéridone)
Quétiapine, ziprasidone,
aripiprazole, rispéridone,
(+/−olanzapine)
—
Neuroleptiques atypiques (sauf
clozapine), halopéridol
—
Aripiprazole, rispéridone,
olanzapine, ziprasidone,
halopéridol
—
—
1 an
<1 an
Indéterminée
Indéterminée
—
—
—
—
—
—
Non compliance
Considérer un dépôt
Utiliser une forme dépôt
Pour diminuer le risque d’effets secondaires :a
Prise de poids
—
Dyskinésie tardive
(+/− antiparkinsonien,
+/− benzodiazépines)
—
Effets anticholinergiques
—
Troubles fonction sexuelle
—
Hypotension
—
—
—
Neuroleptiques atypiques (sauf
rispéridone)
Rispéridone, olanzapine, quétiapine,
neuroleptiques conventionnels incisifs
1—2 ans
<2 ans
Atypique
Aiguë et maintenance
Nombreuses
30/18
Atypique
Risque suicidaire
Abus de substances
Troubles cognitifs
Dépression
Durée minimale du traitement
neuroleptique :
Après un épisode psychotique
Deux épisodes psychotiques ou plus
PORT
Aiguë
Pharmacothérapieuniquement
Environ40/environ30
Pasderecommandationclaire
Clozapine, neuroleptiques atypiques
ou conventionnels incisifs
Neuroleptiques atypiques
Neuroleptiques atypiques
Neuroleptiques atypiques
SSRI
Syndrome extrapyramidal
T-MAP
Aiguë et maintenance
Nombreuses
Plus de 300/environ 43
Conventionnel ou atypique
(sauf clozapine)
—
—
Atypique
D. Delessert et al.
Posologie des antipsychotiques
—
Abordé
Abordé
Abordé
Abordé
Stratégies pour changer
—
Abordé
Abordé
—
—
d’antipsychotiques
— ne donne pas de recommandation, SSRI : inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, APA : American Psychiatric Association, T-MAP : Texas medication algorithm project, PORT : The schizophrenia
patient outcomes research team, ANDEM : Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale, RPC : Recommandations de pratique clinique.
a T-MAP donne également des recommandations en cas d’apparition d’effets secondaires neurologiques (parkinsonisme, etc.)
Chiffres en italique et entre parenthèses : scores de W.Gaebel et al. APA : American Psychiatric Association ; T-MAP : Texas medication algorithm projec ; PORT : The schizophrenia patient
outcomes research team ; ANDEM : Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale ; RPC : Recommandations de pratique clinique.
Recommandé avec certaines réserves
Fortement recommandé
Recommandé avec certaines réserves
Fortement recommandé
Recommandé avec certaines réserves
Non recommandé
100 ((83)
100
8 ((50)
16 ((33)
33
50 ((67)
11 ((33)
11
5 ((44)
66 ((56)
38
0 ((11)
94 ((100)
94
77 ((78)
94 ((56)
88
11 ((33)
« APA practice guideline » [17]
« APA guide rapide de référence » [3]
Recommandations « PORT » [18]
Algorithmes « T-MAP » [20]
Expert consensus guideline » [19]
Recommandations « ANDEM » [2]
37 ((42)
37
16 ((42)
58 ((42)
66
12 ((17)
90 ((86)
90
66 ((62)
40 ((14)
47
11 ((19)
45 ((92)
58
45 ((58)
91 ((83)
58
16 ((33)
6
1
Domaine
2
3
4
5
Évaluation globale
Scores standardisés en %
RPC
Tableau 2 Scores standardisés pour les six domaines de la grille « AGREE » [22] pour chaque RPC et évaluation globale des RPC (évaluation réalisée par deux lecteurs), obtenus
dans le cadre de notre étude et celle de Wolfgang Gæbel et al. [11].
Traitement pharmacologique de la schizophrénie.
97
La présentation de cette RPC rend son utilisation clinique
difficile et aucun élément concernant l’applicabilité des
recommandations n’est donné. En revanche, son indépendance éditoriale est moyenne, correspondant au troisième
meilleur score de l’étude.
L’évaluation globale ne permet pas de recommander
cette RPC (le score standardisé de la plupart des domaines
est inférieur à 30 %).
The schizophrenia patient outcomes research
team (PORT) [17]
Il est constitué de 30 recommandations, dont 21 au sujet
des traitements biologiques et neuf concernant les traitements psychosociaux. Sa rigueur d’élaboration est bonne et
sa présentation sous forme de recommandations brèves facilite son utilisation. L’applicabilité des recommandations n’a
pas été examinée par les auteurs et l’indépendance éditoriale est mauvaise. Le groupe d’élaboration de cette RPC est
constitué essentiellement de médecins. L’avis des patients
n’est pas considéré et aucun test auprès des utilisateurs
cibles n’a été réalisé au préalable.
L’évaluation globale de cette RPC montre que l’on peut
recommander son utilisation avec certaines réserves (majorité des scores standardisés compris entre 30 et 60 %).
The expert consensus guideline for the treatment
of schizophrenia (ECGTS) [18]
Ces recommandations ont été élaborées par des représentants de presque tous les groupes professionnels concernés
par la schizophrénie et définissent clairement les utilisateurs cibles. L’avis des patients a été identifié via The
national alliance for the mentally ill. Les recommandations, présentées dans des tableaux (rendant leur utilisation
aisée), présente une rigueur d’élaboration moyenne. Toutefois, cette RPC a été développée pour apporter une aide
dans des domaines où il existe peu ou pas d’évidence clinique et pour lesquels on ne retrouve que peu ou pas de
recommandations dans les autres RPC.
Plusieurs niveaux de la prise en charge des patients
schizophrènes sont abordés (pharmacothérapie et effets
secondaires, comorbidités, interventions psychosociales,
etc.). Cette RPC propose des conseils pour une politique
de santé cohérente en terme de coûts-bénéfices, ainsi
qu’une stratégie d’évaluation générale des traitements,
mais aucune évaluation de l’impact des recommandations
au niveau organisationnel. Ainsi, l’applicabilité de cette RPC
n’a été que très moyennement évaluée par les auteurs et son
indépendance éditoriale est mauvaise.
L’évaluation
globale
permet
de
recommander
l’utilisation de cette RPC avec certaines réserves.
The American psychiatric association practice
guideline for the treatment of patients with
schizophrenia (APA) [16]
Elle a été publiée dans une édition actualisée en 2004.
Un résumé a été élaboré The quick reference guide of
APA practice guideline for the treatment of patients with
98
schizophrenia [APA — guide rapide de référence] [4]. Ces
deux RPC ont été élaborées de manière rigoureuse et
considère la phase aiguë, de stabilisation et la phase stable
de la maladie schizophrénique.
« L’APA » [16] comprend :
• partie A, les recommandations de traitement ;
• partie B, fondement scientifique des recommandations
avec revue de la littérature ;
• partie C, pistes et perspectives de recherche.
Sa présentation sous forme de revue de littérature rend
son utilisation clinique ardue, au contraire de « l’APA guide
rapide de référence » [4] qui est fait d’algorithmes et de
recommandations claires. Ces deux RPC ont une excellente
indépendance éditoriale.
L’avis des utilisateurs potentiels n’a été que moyennement pris en compte : avis des patients non considérés ;
pas de tests des recommandations auprès des utilisateurs
cibles ; en revanche, le groupe d’élaboration est assez bien
représentatif des professionnels concernés et les utilisateurs
cibles sont clairement définis. L’applicabilité des recommandations a été peu étudiée.
Globalement, l’utilisation de « l’APA » [16] peut être
recommandée mais avec certaines réserves, alors que celle
de « l’APA guide rapide de référence » [4] est fortement
recommandée.
The Texas medication algorithm project (T-MAP)
[19]
Il aborde principalement la pharmacothérapie dans la phase
aiguë de la maladie.
Les utilisateurs cibles sont clairement définis et les
recommandations ont été testées par certains d’entre eux.
L’avis des patients a été examiné via des associations.
Les recommandations sont clairement présentées : algorithmes facilitant l’utilisation en clinique ; des échelles
d’évaluation de la réponse au traitement sont proposées
ainsi que des outils pour l’aide au suivi des patients. En
revanche, la rigueur d’élaboration de cette RPC est douteuse. Les auteurs [19] assurent que leurs recommandations
sont établies selon la médecine fondée sur des preuves, sans
laisser au lecteur la possibilité de vérifier (pas de références
d’articles, ni de méta-analyses d’études contrôlées mentionnées, le niveau d’évidence des recommandations n’est
pas indiqué ; la méthodologie pour élaborer la RPC n’est pas
expliquée, etc.).
Cette RPC a subi une phase test afin d’évaluer les conséquences organisationnelles et l’impact économique des
recommandations, ainsi que les difficultés d’implantation.
Néanmoins, l’indépendance éditoriale de cette RPC est mauvaise.
L’évaluation globale est bonne et permet de recommander l’utilisation de cette RPC (score standardisé de la plupart
des domaines supérieure à 60 %).
Discussion
Notre étude se base sur les scores de deux évaluateurs
(nombre minimum requis par les auteurs de la grille
D. Delessert et al.
« AGREE ») [22] pondérant peut-être la fiabilité des résultats. Un nombre plus élevé d’évaluateurs augmenterait, en
théorie, la validité de nos analyses et conclusions.
La fidélité interjuge dans notre étude est satisfaisante,
même si le test statistique non paramétrique de Wilcoxon
et le t-test indiquent une différence statistiquement significative entre les scores « AGREE » des deux évaluateurs (DD
et VP). En effet, la valeur absolue de la différence au t-test
est faible puisqu’elle n’excède pas le demi-point et la corrélation entre les scores des deux auteurs (=0,76) se situe
dans des valeurs tout à fait acceptables. Concrètement, il
y a 70 items (sur un total de 138) pour lesquels les deux
évaluateurs donnent un score identique, alors que, pour 44
autres items, VP attribue un score supérieur à DD (constatation inverse pour les 24 items restant). Les différences de
scores entre VP et DD se retrouvent principalement pour le
T-MAP [19] et l’ECGTS [18].
Cependant, les résultats de notre évaluation ne sont
pas trop éloignés de ceux publiés par Gæbel et al. [11]
(basés également sur l’analyse de deux évaluateurs). Un
« t-test apparié » effectué sur les scores obtenus dans
chaque domaine de la grille « AGREE » [22] dans notre
étude et celle de Gæbel et al. [11] montre que la moyenne
des différences (=7,29 points) est statistiquement non
significative (t(23) = 1,7 ; ns). Nos scores et ceux de Gæbel
et al. [11], malgré des différences observées dans certaines
domaines, peuvent être donc considérés comme équivalents. La concordance entre les résultats est un élément
rassurant concernant leur validité et leur fiabilité et celle
de la grille « AGREE » [22], augmentant l’intérêt d’un tel
outil.
Notre étude comparative est moins complète que celle
de Gæbel et al. [11] Nous nous sommes centrés sur le traitement pharmacologique de la schizophrénie car il représente
la pierre angulaire de la prise en charge. Il s’agit également
du mode de traitement le mieux et le plus facilement étudié
en comparaison des autres approches tels que la psychothérapie ou le suivi psychosocial.
Chacune des six RPC est perfectible et présente différemment des points faibles et des points forts :
• l’analyse du contenu des recommandations révèle plusieurs problèmes :
◦ certaines diffèrent sensiblement pour un même problème, d’une RPC à l’autre. Par exemple, le type
d’antipsychotique recommandé en première intention
(atypique versus classique), la durée minimale d’essai
de l’antipsychotique avant de conclure sur son efficacité, etc. ;
◦ la définition de la phase stable (ou de maintenance) de
la maladie n’est pas la même dans toutes ces RPC ou
n’est pas donnée ;
◦ certains domaines restent mal définis ou peu développés dont la prise en charge des effets secondaires des
agents atypiques, la prise en charge des patients résistant à la clozapine ou encore le traitement des troubles
de la personnalité chez les patients schizophrènes ;
• la prise en compte de l’opinion des utilisateurs potentiels
est lacunaire : les groupes d’élaboration des recommandations sont composés presque exclusivement par des
médecins (peu de représentants des autres profession-
Traitement pharmacologique de la schizophrénie.
•
•
•
•
nels concernés) et l’avis des patients n’est pratiquement
jamais représenté ;
la rigueur d’élaboration des six RPC est dans l’ensemble
très moyenne ;
de manière générale, un effort sur la présentation des
recommandations faciliterait également leur utilisation
clinique (algorithmes, tableaux, etc.) ;
hormis « l’APA » [16] et son guide rapide de référence [4],
l’indépendance éditoriale des six RPC est faible et les
éventuels conflits d’intérêts des concepteurs sont peu ou
pas discutés ;
l’applicabilité des recommandations est peu prise en
compte par les auteurs des six RPC analysées. Pourtant, le
choix, le développement et la mise en œuvre d’une RPC
ne dépendent pas seulement de sa qualité scientifique
intrinsèque ni de l’unanimité qui pourrait se faire autour
de certaines connaissances ou d’une pratique particulière. Des facteurs politiques, sociaux, environnementaux
et démographiques entrent aussi en jeu [6]. De plus, la
diffusion d’une recommandation ne suffit pas à sa mise en
œuvre [9], comme l’a démontré une étude sur l’impact
de la conférence de consensus sur les stratégies de traitement à long terme dans les psychoses schizophréniques
[12]. La mise en application locale d’une RPC passe aussi
la plupart du temps par une adaptation spécifique qui doit
veiller à ne pas dénaturer la qualité initiale des recommandations [6].
Au terme de cette étude, deux RPC se distinguent globalement et peuvent être fortement recommandée selon les
critères de la grille « AGREE » [22] : l’APA—guide rapide de
référence [4] et le T-MAP [19]. The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia [18] est également
intéressant, même si au terme de l’étude il doit être recommandé avec réserve. Cette RPC est la plus complète des six
évaluées concernant la pharmacothérapie de la schizophrénie et la plus proche des préoccupations cliniques courantes.
Elle aborde de nombreux domaines où il existe encore peu
d’évidence clinique et où les autres RPC n’explicitent pas de
recommandations consensuelles (effets secondaires, comorbidités, etc.).
La qualité des RPC doit être améliorée et leur mise à
jour plus régulière (plutôt que la publication de nouvelles
RPC indépendantes des précédentes). Par exemple, l’ECGTS
[18] est déjà en partie caduc avec la publication en 2003
de The expert consensus guideline for optimizing pharmacological treatment of psychotic disorders [14], lequel ne
constitue pourtant pas une mise à jour mais une nouvelle
publication autonome et ne concerne pas spécifiquement le
traitement de la schizophrénie. Autre exemple, la dernière
conférence de consensus sur les schizophrénies débutantes
(2003) (2) qui ne représente pas une mise à jour des recommandations de l’ANDEM (3). Nous n’avons d’ailleurs pas tenu
compte de cette RPC dans notre étude puisqu’elle n’aborde
pas les modalités de prise en charge des schizophrénies
chroniques et les aspects pharmacologiques y sont peu développés.
On peut donc espérer que la publication récente de
lignes directrices pour l’élaboration des RPC [1,7] permettra d’améliorer la qualité des futures RPC et augmentera
l’intérêt des cliniciens pour de tels outils.
99
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