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L’Encéphale (2008) 34, 93—100 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep THÉRAPEUTIQUE Traitement pharmacologique de la schizophrénie : évaluation comparative de la qualité des recommandations de pratique clinique Comparative evaluation of clinical practice guidelines for the treatment of schizophrenia D. Delessert a,∗, V. Pomini b, F. Grasset c, P. Baumann c a Service de médecine et psychiatrie pénitentiaires, département de psychiatrie-CHUV, université de Lausanne, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse b Unité de réhabilitation, département de psychiatrie-CHUV, université de Lausanne, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse c Unité de biochimie et de psychopharmacologie clinique, centre de neurosciences psychiatriques, département de psychiatrie-CHUV, université de Lausanne, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse Reçu le 11 août 2005 ; accepté le 22 février 2007 Disponible sur Internet le 24 octobre 2007 MOTS CLÉS Médecine fondée sur des preuves ; Objectifs ; Qualité ; Recommandations de pratique clinique ; Schizophrénie ; Projet « AGREE » ∗ Résumé De nombreuses recommandations de pratique clinique (RPC) ont été publiées, en réponse au développement du concept de la médecine fondée sur les preuves et comme solution à la difficulté de synthétiser et trier l’abondante littérature médicale. Pour faire un choix parmi le foisonnement de nouvelles RPC, il est primordial d’évaluer leur qualité. Récemment, le premier instrument d’évaluation standardisée de la qualité des RPC, appelé « AGREE » pour appraisal of guidelines for research and evaluation, a été validé. Nous avons comparé — avec l’aide de la grille « AGREE » — les six principales RPC publiées depuis une dizaine d’années sur le traitement de la schizophrénie : (1) les Recommandations de l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) ; (2) The American Psychiatric Association (APA) practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia ; (3) The quick reference guide of APA practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia [APA —– guide rapide de référence] ; (4) The schizophrenia patient outcomes research team (PORT) treatment recommandations ; (5) The Texas medication algorithm project « T-MAP » ; (6) The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia. Les résultats de notre étude ont ensuite été comparés avec ceux d’une étude similaire publiée en 2005 par Gæbel et al. portant sur 24 RPC abordant le traitement de la schizophrénie, réalisée également avec l’aide de la grille « AGREE » et deux évaluateurs [Br J Psychiatry 187 (2005) 248—255]. De manière Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Delessert). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2007.07.004 94 D. Delessert et al. générale, les scores des deux études ne sont pas trop éloignés et les deux évaluations globales des RPC convergent : chacune des six RPC est perfectible et présente différemment des points faibles et des points forts. La rigueur d’élaboration des six RPC est dans l’ensemble très moyenne, la prise en compte de l’opinion des utilisateurs potentiels est lacunaire et un effort sur la présentation des recommandations faciliterait leur utilisation clinique. L’applicabilité des recommandations est également peu considérée par les auteurs. Globalement, deux RPC se distinguent et peuvent être fortement recommandées selon les critères de la grille « AGREE » : « l’APA — guide rapide de référence » et le « T-MAP ». © L’Encéphale, Paris, 2008. KEYWORDS Evidence-based medicine; Objective; Quality; Clinical practice guidelines; Schizophrenia; ‘‘AGREE’’ project Summary Introduction. — Many clinical practice guidelines (CPG) have been published in reply to the development of the concept of ‘‘evidence-based medicine’’ (EBM) and as a solution to the difficulty of synthesizing and selecting relevant medical literature. Taking into account the expansion of new CPG, the question of choice arises: which CPG to consider in a given clinical situation ? It is of primary importance to evaluate the quality of the CPG, but until recently, there has been no standardized tool of evaluation or comparison of the quality of the CPG. An instrument of evaluation of the quality of the CPG, called ‘‘AGREE’’ for appraisal of guidelines for research and evaluation was validated in 2002. Aim of the study. — The six principal CPG concerning the treatment of schizophrenia are compared with the help of the ‘‘AGREE’’ instrument: (1) ‘‘the Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) recommendations’’; (2) ‘‘The American Psychiatric Association (APA) practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia’’; (3) ‘‘The quick reference guide of APA practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia’’; (4) ‘‘The schizophrenia patient outcomes research team (PORT) treatment recommendations’’; (5) ‘‘The Texas medication algorithm project (T-MAP)’’ and (6) ‘‘The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia’’. Results. — The results of our study were then compared with those of a similar investigation published in 2005, structured on 24 CPG tackling the treatment of schizophrenia. The ‘‘AGREE’’ tool was also used by two investigators in their study. In general, the scores of the two studies differed little and the two global evaluations of the CPG converged; however, each of the six CPG is perfectible. Discussion. — The rigour of elaboration of the six CPG was in general average. The consideration of the opinion of potential users was incomplete, and an effort made in the presentation of the recommendations would facilitate their clinical use. Moreover, there was little consideration by the authors regarding the applicability of the recommendations. Conclusion. — Globally, two CPG are considered as strongly recommended: ‘‘the quick reference guide of the APA practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia’’ and ‘‘the T-MAP’’. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction Les recommandations pour la pratique clinique (RPC)1 sont définies comme des « propositions développées méthodiquement pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données » [6,7]. Elles ont été élaborées pour répondre aux objectifs de la médecine fondée sur les preuves et faire évoluer les traitements selon les données de la littérature médicale, après une revue critique de celle-ci et en faisant preuve d’un scepticisme éclairé [21]. Les RPC suscitent des débats au sujet de leurs objectifs, leur efficacité, leur qualité et leur rôle [6,7,9,10,13,15]. 1 Les termes anglais « clinical practice ou « guidelines » ont été traduits dans cet « recommandations pour la pratique clinique ». guidelines » article par Il existe, en effet, des recommandations différentes ou contradictoires pour une même pathologie [6,9,13]. De plus, si l’objectif principal des RPC est de promouvoir de bonnes pratiques cliniques et de maintenir ou d’améliorer la qualité des soins [6,7], d’autres objectifs ont également été proposés, faisant craindre un possible usage détourné des RPC par l’industrie pharmaceutique, les assurances-maladie ou les pouvoirs politiques [5—8]. Face au foisonnement des RPC, il est primordial d’évaluer leur qualité. Avant l’année 2002, on ne disposait d’aucun outil standardisé d’évaluation ou de comparaison de la qualité des RPC, en dehors des critères élaborés par quelques auteurs, tels Milner et Valenstein [20] ou Bochud et al. [6]. Dernièrement, un instrument d’évaluation de la qualité des RPC, appelé « AGREE » pour appraisal of guidelines for research and evaluation, [22] a été validé, comblant cette lacune et apportant une aide indéniable au clinicien. On Traitement pharmacologique de la schizophrénie. y retrouve notamment les critères de Milner et Valenstein [20] et Bochud et al. [6] (par exemple, la validité scientifique des recommandations, leur importance clinique et leur applicabilité), présentés sous une forme plus précise et plus claire. Nous avons comparé six RPC abordant le traitement pharmacologique de la schizophrénie avec l’aide de la grille « AGREE » [22] : • les Recommandations de l’ANDEM [3] ; • The Texas medication algorithm project (T-MAP) [19] ; • The schizophrenia patient outcomes research team (PORT) [17] ; • The American psychiatric association (APA) practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia [16] et son résumé ; • The quick reference guide of APA practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia [4] ; • The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia [18]. 95 possible sur la base de la cotation d’au minimum deux évaluateurs (si possible quatre évaluateurs) [22]. On peut établir une évaluation globale qui répartit les RPC en trois grandes catégories : • RPC fortement recommandée (le score standardisé de la plupart des domaines est supérieur à 60 %) ; • RPC recommandée avec certaine réserve (majorité des scores standardisés compris entre 30 et 60 %) ; • RPC non recommandée (majorité des scores inférieure à 30 %). Les auteurs de « AGREE » soulignent que les six domaines sont indépendants et ne devraient pas être agrégés en un score global de qualité [22]. Les coefficients alpha de Cronbach calculés pour mesurer la cohérence interne de chacun des six domaines évalués par AGREE varient entre 0,64 et 0,88 [22]. La fidélité interjuge a été mesurée par des coefficients de corrélation intraclasse (CCI) pour chacun des six domaines. Le CCI varie entre 0,39 et 0,83 pour deux évaluateurs et entre 0,57 et 0,91 pour quatre évaluateurs [22]. Méthode Procédure Instrument La grille d’évaluation de la qualité des RPC (ou AGREE instrument) [22], publiée en 2002, est le fruit d’une collaboration internationale de 1994 à 1998, entre des chercheurs de 13 pays et des décideurs politiques. Elle se veut une aide à l’élaboration de RPC et à l’évaluation de leur qualité méthodologique [15,22], ainsi qu’à l’évaluation de la qualité des contenus et des formulations des recommandations. En revanche, elle ne permet pas d’évaluer l’impact des RPC sur les patients. Cette grille [22] comprend 23 items qui sont organisés en six domaines : I. champ et objectif (concerne l’objectif global de la RPC, les questions cliniques abordées et les groupes de patients cibles) ; II. participation des groupes concernés (examine dans quelle mesure la RPC prend en considération les points de vue des utilisateurs potentiels) ; III. rigueur d’élaboration (décrit le processus de recherche et de synthèse des preuves scientifiques ainsi que les méthodes utilisées pour formuler les recommandations et pour les actualiser) ; IV. clarté et présentation (étudie la formulation et le format des RPC) ; V. applicabilité (examine la prise en compte dans la RPC de ses conséquences en terme d’organisation, de changement d’attitude et de coût lors de son application) ; VI. indépendance éditoriale (concerne l’indépendance d’une RPC et l’identification des possibles conflits d’intérêts au sein du groupe d’élaboration). Chacun des 23 items est coté sur une échelle à quatre points (de 1 : « pas du tout d’accord » à 4 : « tout à fait d’accord »). Des scores standardisés par domaine peuvent être calculés, selon une formule donnée par les auteurs de la grille, et expriment le pourcentage d’un score maximal Les deux premiers auteurs (DD et VP) ont effectué l’évaluation, de manière indépendante, des six RPC, telles qu’elles ont été éditées, au moyen de « AGREE » [22]. Résultats : évaluation des six RPC D’une manière générale, les RPC étudiées définissent clairement leur champ d’application et leur objectif (domaine I de la grille « AGREE » [22]), mis à part les recommandations de « l’ANDEM » [3] (score standardisé : 11 %) (Tableaux 1 et 2). Les recommandations de l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (l’ANDEM)[3] Elles sont présentées sous une forme littéraire. Il s’agit d’un résumé des réflexions et discussions qui ont eu lieu au cours de la conférence, basée sur quatre questions concernant les stratégies à long terme dans les psychoses schizophréniques : • • • • les critères et les méthodes d’évaluation ; la place des neuroleptiques ; la place des autres traitements médicamenteux ; la place des stratégies thérapeutiques non médicamenteuses et leur interaction. Les auteurs assurent que cette conférence et les recommandations établies respectent les règles méthodologiques préconisées par l’ANDEM [3]. Cependant, aucune revue de littérature, ni preuves d’efficacité publiées ne sont mentionnées et le niveau d’évidence des recommandations n’est pas indiqué. Les groupes d’experts et d’élaboration des recommandations sont constitués essentiellement de médecins, occultant une bonne partie des autres professionnels et des représentants de patients. 96 Tableau 1 Caractéristiques et recommandations principales des six RPC. Recommandations Phase de la maladie Variété des modalités de traitement Nombre total des recommandations/ nombre des recommandations pharmacologiques Traitement neuroleptique de 1er choix pour un 1er épisode psychotique Mauvaise réponse : Au traitement neuroleptique initial (à dose efficace) Après deux essais de neuroleptique différent Médication en cas : Agressivité, violence ANDEM Expert consensus Maintenance Nombreuses Environ65/environ29 APA et son résumé Aiguëetmaintenance Nombreuses Environ100/environ45 — Changer de neuroleptique (plutôt un atypique) Passer à la clozapine Changer de neuroleptique (plutôt un atypique) Passer à la clozapine — Passer à la clozapine Changer de neuroleptique, sans précision Passer à la clozapine Stabilisateur de l’humeur ou clozapine (2e intention) Clozapine — — SSRI, venlafaxine, mirtazapine, néfazodone Considérer une forme dépôt Lithium, carbamazépine, benzodiazépine — — — Antidépresseur Clozapine, stabilisateur de l’humeur, bêta-bloqueur Clozapine — — Antidépresseur Utiliser une forme dépôt Utiliser une forme dépôt Ziprasidone, rispéridone Halopéridol, ziprasidone, (+/− quétiapine ou rispéridone) — Neuroleptiques atypiques (+/− rispéridone) Neuroleptiques atypiques (sauf rispéridone) Rispéridone, ziprasidone, quétiapine, neuroleptiques conventionnels incisifs Neuroleptiques atypiques (+/− rispéridone) Neuroleptiques atypiques (+/− antiparkinsonien) Ziprasidone, quétiapine, rispéridone, halopéridol (+/−olanzapine) — — Halopéridol, ziprasidone, aripiprazole (+/− quétiapine ou rispéridone) Neuroleptiques atypiques (+/− rispéridone) Neuroleptiques atypiques (+/− rispéridone) Quétiapine, ziprasidone, aripiprazole, rispéridone, (+/−olanzapine) — Neuroleptiques atypiques (sauf clozapine), halopéridol — Aripiprazole, rispéridone, olanzapine, ziprasidone, halopéridol — — 1 an <1 an Indéterminée Indéterminée — — — — — — Non compliance Considérer un dépôt Utiliser une forme dépôt Pour diminuer le risque d’effets secondaires :a Prise de poids — Dyskinésie tardive (+/− antiparkinsonien, +/− benzodiazépines) — Effets anticholinergiques — Troubles fonction sexuelle — Hypotension — — — Neuroleptiques atypiques (sauf rispéridone) Rispéridone, olanzapine, quétiapine, neuroleptiques conventionnels incisifs 1—2 ans <2 ans Atypique Aiguë et maintenance Nombreuses 30/18 Atypique Risque suicidaire Abus de substances Troubles cognitifs Dépression Durée minimale du traitement neuroleptique : Après un épisode psychotique Deux épisodes psychotiques ou plus PORT Aiguë Pharmacothérapieuniquement Environ40/environ30 Pasderecommandationclaire Clozapine, neuroleptiques atypiques ou conventionnels incisifs Neuroleptiques atypiques Neuroleptiques atypiques Neuroleptiques atypiques SSRI Syndrome extrapyramidal T-MAP Aiguë et maintenance Nombreuses Plus de 300/environ 43 Conventionnel ou atypique (sauf clozapine) — — Atypique D. Delessert et al. Posologie des antipsychotiques — Abordé Abordé Abordé Abordé Stratégies pour changer — Abordé Abordé — — d’antipsychotiques — ne donne pas de recommandation, SSRI : inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine, APA : American Psychiatric Association, T-MAP : Texas medication algorithm project, PORT : The schizophrenia patient outcomes research team, ANDEM : Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale, RPC : Recommandations de pratique clinique. a T-MAP donne également des recommandations en cas d’apparition d’effets secondaires neurologiques (parkinsonisme, etc.) Chiffres en italique et entre parenthèses : scores de W.Gaebel et al. APA : American Psychiatric Association ; T-MAP : Texas medication algorithm projec ; PORT : The schizophrenia patient outcomes research team ; ANDEM : Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale ; RPC : Recommandations de pratique clinique. Recommandé avec certaines réserves Fortement recommandé Recommandé avec certaines réserves Fortement recommandé Recommandé avec certaines réserves Non recommandé 100 ((83) 100 8 ((50) 16 ((33) 33 50 ((67) 11 ((33) 11 5 ((44) 66 ((56) 38 0 ((11) 94 ((100) 94 77 ((78) 94 ((56) 88 11 ((33) « APA practice guideline » [17] « APA guide rapide de référence » [3] Recommandations « PORT » [18] Algorithmes « T-MAP » [20] Expert consensus guideline » [19] Recommandations « ANDEM » [2] 37 ((42) 37 16 ((42) 58 ((42) 66 12 ((17) 90 ((86) 90 66 ((62) 40 ((14) 47 11 ((19) 45 ((92) 58 45 ((58) 91 ((83) 58 16 ((33) 6 1 Domaine 2 3 4 5 Évaluation globale Scores standardisés en % RPC Tableau 2 Scores standardisés pour les six domaines de la grille « AGREE » [22] pour chaque RPC et évaluation globale des RPC (évaluation réalisée par deux lecteurs), obtenus dans le cadre de notre étude et celle de Wolfgang Gæbel et al. [11]. Traitement pharmacologique de la schizophrénie. 97 La présentation de cette RPC rend son utilisation clinique difficile et aucun élément concernant l’applicabilité des recommandations n’est donné. En revanche, son indépendance éditoriale est moyenne, correspondant au troisième meilleur score de l’étude. L’évaluation globale ne permet pas de recommander cette RPC (le score standardisé de la plupart des domaines est inférieur à 30 %). The schizophrenia patient outcomes research team (PORT) [17] Il est constitué de 30 recommandations, dont 21 au sujet des traitements biologiques et neuf concernant les traitements psychosociaux. Sa rigueur d’élaboration est bonne et sa présentation sous forme de recommandations brèves facilite son utilisation. L’applicabilité des recommandations n’a pas été examinée par les auteurs et l’indépendance éditoriale est mauvaise. Le groupe d’élaboration de cette RPC est constitué essentiellement de médecins. L’avis des patients n’est pas considéré et aucun test auprès des utilisateurs cibles n’a été réalisé au préalable. L’évaluation globale de cette RPC montre que l’on peut recommander son utilisation avec certaines réserves (majorité des scores standardisés compris entre 30 et 60 %). The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia (ECGTS) [18] Ces recommandations ont été élaborées par des représentants de presque tous les groupes professionnels concernés par la schizophrénie et définissent clairement les utilisateurs cibles. L’avis des patients a été identifié via The national alliance for the mentally ill. Les recommandations, présentées dans des tableaux (rendant leur utilisation aisée), présente une rigueur d’élaboration moyenne. Toutefois, cette RPC a été développée pour apporter une aide dans des domaines où il existe peu ou pas d’évidence clinique et pour lesquels on ne retrouve que peu ou pas de recommandations dans les autres RPC. Plusieurs niveaux de la prise en charge des patients schizophrènes sont abordés (pharmacothérapie et effets secondaires, comorbidités, interventions psychosociales, etc.). Cette RPC propose des conseils pour une politique de santé cohérente en terme de coûts-bénéfices, ainsi qu’une stratégie d’évaluation générale des traitements, mais aucune évaluation de l’impact des recommandations au niveau organisationnel. Ainsi, l’applicabilité de cette RPC n’a été que très moyennement évaluée par les auteurs et son indépendance éditoriale est mauvaise. L’évaluation globale permet de recommander l’utilisation de cette RPC avec certaines réserves. The American psychiatric association practice guideline for the treatment of patients with schizophrenia (APA) [16] Elle a été publiée dans une édition actualisée en 2004. Un résumé a été élaboré The quick reference guide of APA practice guideline for the treatment of patients with 98 schizophrenia [APA — guide rapide de référence] [4]. Ces deux RPC ont été élaborées de manière rigoureuse et considère la phase aiguë, de stabilisation et la phase stable de la maladie schizophrénique. « L’APA » [16] comprend : • partie A, les recommandations de traitement ; • partie B, fondement scientifique des recommandations avec revue de la littérature ; • partie C, pistes et perspectives de recherche. Sa présentation sous forme de revue de littérature rend son utilisation clinique ardue, au contraire de « l’APA guide rapide de référence » [4] qui est fait d’algorithmes et de recommandations claires. Ces deux RPC ont une excellente indépendance éditoriale. L’avis des utilisateurs potentiels n’a été que moyennement pris en compte : avis des patients non considérés ; pas de tests des recommandations auprès des utilisateurs cibles ; en revanche, le groupe d’élaboration est assez bien représentatif des professionnels concernés et les utilisateurs cibles sont clairement définis. L’applicabilité des recommandations a été peu étudiée. Globalement, l’utilisation de « l’APA » [16] peut être recommandée mais avec certaines réserves, alors que celle de « l’APA guide rapide de référence » [4] est fortement recommandée. The Texas medication algorithm project (T-MAP) [19] Il aborde principalement la pharmacothérapie dans la phase aiguë de la maladie. Les utilisateurs cibles sont clairement définis et les recommandations ont été testées par certains d’entre eux. L’avis des patients a été examiné via des associations. Les recommandations sont clairement présentées : algorithmes facilitant l’utilisation en clinique ; des échelles d’évaluation de la réponse au traitement sont proposées ainsi que des outils pour l’aide au suivi des patients. En revanche, la rigueur d’élaboration de cette RPC est douteuse. Les auteurs [19] assurent que leurs recommandations sont établies selon la médecine fondée sur des preuves, sans laisser au lecteur la possibilité de vérifier (pas de références d’articles, ni de méta-analyses d’études contrôlées mentionnées, le niveau d’évidence des recommandations n’est pas indiqué ; la méthodologie pour élaborer la RPC n’est pas expliquée, etc.). Cette RPC a subi une phase test afin d’évaluer les conséquences organisationnelles et l’impact économique des recommandations, ainsi que les difficultés d’implantation. Néanmoins, l’indépendance éditoriale de cette RPC est mauvaise. L’évaluation globale est bonne et permet de recommander l’utilisation de cette RPC (score standardisé de la plupart des domaines supérieure à 60 %). Discussion Notre étude se base sur les scores de deux évaluateurs (nombre minimum requis par les auteurs de la grille D. Delessert et al. « AGREE ») [22] pondérant peut-être la fiabilité des résultats. Un nombre plus élevé d’évaluateurs augmenterait, en théorie, la validité de nos analyses et conclusions. La fidélité interjuge dans notre étude est satisfaisante, même si le test statistique non paramétrique de Wilcoxon et le t-test indiquent une différence statistiquement significative entre les scores « AGREE » des deux évaluateurs (DD et VP). En effet, la valeur absolue de la différence au t-test est faible puisqu’elle n’excède pas le demi-point et la corrélation entre les scores des deux auteurs (=0,76) se situe dans des valeurs tout à fait acceptables. Concrètement, il y a 70 items (sur un total de 138) pour lesquels les deux évaluateurs donnent un score identique, alors que, pour 44 autres items, VP attribue un score supérieur à DD (constatation inverse pour les 24 items restant). Les différences de scores entre VP et DD se retrouvent principalement pour le T-MAP [19] et l’ECGTS [18]. Cependant, les résultats de notre évaluation ne sont pas trop éloignés de ceux publiés par Gæbel et al. [11] (basés également sur l’analyse de deux évaluateurs). Un « t-test apparié » effectué sur les scores obtenus dans chaque domaine de la grille « AGREE » [22] dans notre étude et celle de Gæbel et al. [11] montre que la moyenne des différences (=7,29 points) est statistiquement non significative (t(23) = 1,7 ; ns). Nos scores et ceux de Gæbel et al. [11], malgré des différences observées dans certaines domaines, peuvent être donc considérés comme équivalents. La concordance entre les résultats est un élément rassurant concernant leur validité et leur fiabilité et celle de la grille « AGREE » [22], augmentant l’intérêt d’un tel outil. Notre étude comparative est moins complète que celle de Gæbel et al. [11] Nous nous sommes centrés sur le traitement pharmacologique de la schizophrénie car il représente la pierre angulaire de la prise en charge. Il s’agit également du mode de traitement le mieux et le plus facilement étudié en comparaison des autres approches tels que la psychothérapie ou le suivi psychosocial. Chacune des six RPC est perfectible et présente différemment des points faibles et des points forts : • l’analyse du contenu des recommandations révèle plusieurs problèmes : ◦ certaines diffèrent sensiblement pour un même problème, d’une RPC à l’autre. Par exemple, le type d’antipsychotique recommandé en première intention (atypique versus classique), la durée minimale d’essai de l’antipsychotique avant de conclure sur son efficacité, etc. ; ◦ la définition de la phase stable (ou de maintenance) de la maladie n’est pas la même dans toutes ces RPC ou n’est pas donnée ; ◦ certains domaines restent mal définis ou peu développés dont la prise en charge des effets secondaires des agents atypiques, la prise en charge des patients résistant à la clozapine ou encore le traitement des troubles de la personnalité chez les patients schizophrènes ; • la prise en compte de l’opinion des utilisateurs potentiels est lacunaire : les groupes d’élaboration des recommandations sont composés presque exclusivement par des médecins (peu de représentants des autres profession- Traitement pharmacologique de la schizophrénie. • • • • nels concernés) et l’avis des patients n’est pratiquement jamais représenté ; la rigueur d’élaboration des six RPC est dans l’ensemble très moyenne ; de manière générale, un effort sur la présentation des recommandations faciliterait également leur utilisation clinique (algorithmes, tableaux, etc.) ; hormis « l’APA » [16] et son guide rapide de référence [4], l’indépendance éditoriale des six RPC est faible et les éventuels conflits d’intérêts des concepteurs sont peu ou pas discutés ; l’applicabilité des recommandations est peu prise en compte par les auteurs des six RPC analysées. Pourtant, le choix, le développement et la mise en œuvre d’une RPC ne dépendent pas seulement de sa qualité scientifique intrinsèque ni de l’unanimité qui pourrait se faire autour de certaines connaissances ou d’une pratique particulière. Des facteurs politiques, sociaux, environnementaux et démographiques entrent aussi en jeu [6]. De plus, la diffusion d’une recommandation ne suffit pas à sa mise en œuvre [9], comme l’a démontré une étude sur l’impact de la conférence de consensus sur les stratégies de traitement à long terme dans les psychoses schizophréniques [12]. La mise en application locale d’une RPC passe aussi la plupart du temps par une adaptation spécifique qui doit veiller à ne pas dénaturer la qualité initiale des recommandations [6]. Au terme de cette étude, deux RPC se distinguent globalement et peuvent être fortement recommandée selon les critères de la grille « AGREE » [22] : l’APA—guide rapide de référence [4] et le T-MAP [19]. The expert consensus guideline for the treatment of schizophrenia [18] est également intéressant, même si au terme de l’étude il doit être recommandé avec réserve. Cette RPC est la plus complète des six évaluées concernant la pharmacothérapie de la schizophrénie et la plus proche des préoccupations cliniques courantes. Elle aborde de nombreux domaines où il existe encore peu d’évidence clinique et où les autres RPC n’explicitent pas de recommandations consensuelles (effets secondaires, comorbidités, etc.). La qualité des RPC doit être améliorée et leur mise à jour plus régulière (plutôt que la publication de nouvelles RPC indépendantes des précédentes). Par exemple, l’ECGTS [18] est déjà en partie caduc avec la publication en 2003 de The expert consensus guideline for optimizing pharmacological treatment of psychotic disorders [14], lequel ne constitue pourtant pas une mise à jour mais une nouvelle publication autonome et ne concerne pas spécifiquement le traitement de la schizophrénie. Autre exemple, la dernière conférence de consensus sur les schizophrénies débutantes (2003) (2) qui ne représente pas une mise à jour des recommandations de l’ANDEM (3). Nous n’avons d’ailleurs pas tenu compte de cette RPC dans notre étude puisqu’elle n’aborde pas les modalités de prise en charge des schizophrénies chroniques et les aspects pharmacologiques y sont peu développés. On peut donc espérer que la publication récente de lignes directrices pour l’élaboration des RPC [1,7] permettra d’améliorer la qualité des futures RPC et augmentera l’intérêt des cliniciens pour de tels outils. 99 Références [1] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Les recommandations pour la pratique clinique—base méthodologique pour leur réalisation en France. Paris : ANAES, 1999: 1—31. (http://www.anaes.fr) (lien testé le 21.05.06). [2] Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Schizophrénies débutantes : diagnostic et modalités thérapeutiques. Texte de la conférence de consensus. ANAES, janvier 2003: 1—34. http://psydoc-fr.broca. inserm.fr/conf%26rm/conf/confschizo2/recommlongues.htm (lien testé le 21/05/06). [3] Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale. Stratégies thérapeutiques à long terme dans les psychoses schizophréniques. Texte du consensus. Paris: ANDEM; 1994. pp. 1—32. 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