L`affichage bilingue au Nouveau-Brunswick et en Ontario

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L`affichage bilingue au Nouveau-Brunswick et en Ontario

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« L’affichage bilingue au Nouveau-Brunswick et en Ontario : une étude comparée »
Serge Dupuis
Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique
du Nord, Université Laval
Volet « gouvernance » du colloque « L’Acadie dans tous ses défis » le jeudi 14 août 2014
Si le groupe commercial et industriel de langue française consent à la disparition
du français dans les relations d’affaires, il contribue inconsciemment à sa propre
disparition progressive. Que l’on habitue la clientèle de langue française à l’usage
des expressions ou à l’appréciation des affiches anglaises et on l’oriente vers le
voisin, en lui enlevant le gout de la pratique de la solidarité1.
C’est ce que nous rappelait l’homme d’affaires montréalais, Lucien Bélair, devant le club
Richelieu de Montréal en novembre 1954. Un confrère ici à Edmundston lui ferait écho
quelques mois plus tard en incitant les entrepreneurs à « respecter » la clientèle
acadienne en affichant aussi leurs services et leurs descriptifs en français2. Ces exemples
ne sont pas représentatifs d’un consensus populaire à l’époque, mais rappellent que la
présence du français dans l’espace commercial est un enjeu qui ne date pas d’hier en
milieu minoritaire. Pour ces hommes, il fallait accorder un poids au français dans
l’espace public, surtout dans les endroits où ses locuteurs formaient les plus fortes
concentrations. Rappelons d’ailleurs qu’après avoir tenu des audiences entre 1963 et
1969, la Commission royale sur le bilinguisme et le biculturalisme a recommandé la
création de districts bilingues, qui auraient assuré le bilinguisme intégral des services
fédéraux, provinciaux et municipaux dans une variété de régions où la minorité
linguistique composait plus de 10 % de la population. Le Rapport final de la
Commission en 1971 a ensuite proposé qu’Ottawa oblige les grandes entreprises à
constituer des unités francophones en leur sein et à offrir des services en français à
l’intérieur de ces régions partagées. Pour le politicologue Daniel Bourgeois, cette
Lucien Bélair, « Le français et le signe de piastre », Bulletin, 29 novembre 1954, p. 3, dans Bibliothèque et
archives nationales du Québec – Montréal, Fonds Club Richelieu Montréal (P206), vol. 9, dossier 96,
bobine 6391, image 1650.
2 Bulletin, 22 décembre 1955; Bulletin, 13 septembre 1956, dans Archives privées du Club Richelieu
Edmundston, Edmundston (Nouveau-Brunswick), vol. « Bulletins 1955 – 1957 ».
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concession aurait codifié le droit de travailler et de se faire servir dans la langue
minoritaire et, du coup, identifié les régions partagées hors Québec comme des bercails
canadiens-français3. Or, comme on le sait, le gouvernement du premier ministre Pierre
Elliott Trudeau s’est limité à la prestation de services gouvernementaux dans les deux
langues officielles, ce qui a maintenu la faiblesse du rapport de force des Canadiens
français et des Acadiens, outre les institutions scolaires et culturelles de leur ressort.
Pourtant, malgré le fait que l’Acadie et l’Ontario français semblent avoir
abandonné l’ambition à décrocher une plus importante autonomie politique, on a
paradoxalement assisté au cours de la dernière décennie à l’émergence d’un mouvement
pour la légifération de la langue de l’affichage commercial dans les rares municipalités
où des Acadiens et des Franco-Ontariens forment une majorité. Si l’on trouve de
notables avancées en la matière à Dieppe au Nouveau-Brunswick ou encore à Russell,
Clarence-Rockalnd, Casselman et La Nation en Ontario, la question demeure nébuleuse
dans les milieux urbains minoritaires, dont Moncton, Ottawa et Sudbury. Cet exposé
tâchera ainsi à mettre en scène la question et à mesurer le succès des initiatives variées,
car au cœur même de celles-ci semble se loger une volonté de s’approprier l’espace
public ou du moins d’y faire reconnaître le poids des francophones au plan local.
Bien que nous pourrions remonter au 17e siècle pour discuter des efforts de
législation en matière linguistique au Canada, rappelons seulement l’exemple du
Québec qui, en adoptant la Charte de la langue française en 1977, a fait du français la
langue de l’État, des communications, du commerce et du travail. La Charte avait été
aussitôt accueillie par les syndicats et les organisations nationalistes, mais fermement
critiquée par une part importante d’entrepreneurs et d’anglophones, dont 150 000
d’entre eux qui ont quitté la province dans les années suivant son adoption4. Si la Cour
suprême a invalidé certaines dispositions de la loi 178 de 1988, qui exigeait l’affichage
unilingue en français au Québec, une nouvelle loi de 1993 a plutôt assuré la
Daniel Bourgeois, Canadian Bilingual Districts. From Cornerstone to Tombstone, Montréal, McGill-Queen’s
University Press, 2006, 326 p.
4 Benoît Aubin, « Bill 101: A gift we never expected », Maclean’s, 13 août 2007, p. 18; « Loi 101 »,
L’Encyclopédie canadienne, http://www.thecanadianencyclopedia.com/fr/article/bill-101/, page
consultée le 22 juillet 2014.
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prédominance du français dans l’affichage commercial, sans que l’anglais en soit interdit
pour autant5. Aujourd’hui, plusieurs vantent les mérites de cette politique, qui a établi le
français comme la principale langue publique au Québec, tout en permettant aussi une
visibilité à la langue de la minorité anglaise dans les espaces partagés, dont l’Outaouais,
les Laurentides et Montréal6. Hors Québec, on a longtemps refusé de légiférer sur la
langue de l’affichage commercial, ce laisser-faire menant certains commerçants dans le
Nord-Est et l’Est ontarien, tout comme dans la Péninsule acadienne et le Madawaska, à
afficher exclusivement en français ou encore dans les deux langues officielles. Force est
de constater cependant que cette liberté de choix pour le commerçant a nettement
favorisé l’affichage exclusivement en anglais dans plusieurs municipalités qui comptent
aussi peu que 10 % d’habitants anglophones, dont Verner et Hearst dans le Nord-Est
ontarien par exemple. Les langues semblant se chasser dans le paysage commercial local
au profit de celle qui bénéficie du prestige supérieur, quelques rares municipalités ont
décidé d’imaginer des projets incitatifs à cet égard et parfois de légiférer sur la question.
À Dieppe, c’est surtout l’installation d’ouvriers de la Péninsule acadienne qui se
sont opposés à l’habitude des entreprises en milieu urbain à afficher exclusivement en
anglais. Dans cette banlieue de Moncton, où 75 % des résidents acadiens sont originaires
des milieux ruraux à majorité acadienne et où 80 % des résidents sont francophones, on
s’est penché sur la question dès 1993 en mettant sur pied le Comité de promotion du
français et du patrimoine de Dieppe. Ce comité voulait sensibiliser les commerçants à
l’idée d’y afficher dans les deux langues officielles. Malgré leurs efforts pendant 15 ans
toutefois, peu de commerçants ont été interpellés à injecter du français dans leurs
affiches7. C’est pourquoi en 2008 des résidents ont lancé une pétition, à laquelle 4 000
personnes ont apposé leur signature, pressant le Conseil municipal à prendre en charge
le dossier. Une douzaine d’organismes acadiens ont ensuite formé le Front commun
pour l’affichage bilingue. En mars 2009, le Conseil a donc agi en adoptant une résolution
« Loi 178 », L’Encyclopédie canadienne, http://www.thecanadianencyclopedia.com/fr/article/bill178/, page consultée le 22 juillet 2014.
6 Daniel Bourgeois, dans « Le combat pour le bilinguisme dans l’affichage : Dieppe, Moncton et PrescottRussel[l] », Université d’Ottawa, CIRCEM, 11 février 2011.
7 Christophe Traisnel, dans Ibid.
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exigeant le bilinguisme des publicités dans les autobus municipaux. Un arrêté a plus
tard interdit que l’anglais ait une prépondérance sur le français, ne réservant la liberté
de choix qu’aux organismes culturels ou sociaux, comme au Québec8. Ce faisant, on
ancrait Dieppe comme pôle d’attraction et espace rassembleur pour les Acadiens.
Certaines entreprises ont contesté l’arrêté, dont les agences de panneaux publicitaires
extérieurs CBS et Pattison. Elles se sont pourtant résignées en juillet 2012 à payer 5600 $
en amendes pour leurs 40 affiches, qui avaient enfreint l’arrêté. Depuis ce temps en
revanche, on a à peu près accepté l’idée qu’une municipalité à majorité acadienne exige
que sa langue soit présente à part égale dans l’affichage9.
À l’inverse de Dieppe, une communauté urbaine acadienne formée au milieu du
XXe siècle, la municipalité de Russell en Ontario avait été peuplée d’une majorité
canadienne-française dès le milieu du XIXe siècle. À proximité d’Ottawa, elle s’est
lentement transformée en banlieue, ce qui a fait basculer le poids de la majorité du côté
des anglophones dès 2006. C’est à ce moment là que Statistique Canada a révélé que
seuls 39 % des 13 700 résidents employaient le français à domicile10. La statistique, tout
comme la présence grandissante de l’anglais qu’on pouvait constater dans la rue, a
mené l’entrepreneur Jean-Guy Patenaude d’Embrun à former une équipe, à distribuer
une pétition et à tenir des rencontres publiques pour mousser l’appui à l’affichage
commercial bilingue, toujours en vue d’y préserver la place du français11. Cette
manifestation s’organisait simultanément à la mobilisation à Dieppe, sans qu’il y ait eu,
à ce qu’on sache, une coordination entre les deux groupes. Réuni en mai 2010, le Conseil
municipal a adopté avec trois voix contre deux un arrêté exigeant le bilinguisme de
toute nouvelle affiche commerciale. La résistance y a toutefois été sérieuse, après que un
« Dieppe : Front commun pour le bilinguisme », Radio-Canada, 20 mars 2009, http://www.radiocanada.ca/regions/atlantique/2009/03/20/001-NB-dieppe-affichage.shtml, page consultée le 27 février
2011.
9 Michel Nogue, « Affichage bilingue à Dieppe : deux entreprises abandonnent leur contestation », RadioCanada, 12 juillet 2012, http://ici.radio-canada.ca/regions/atlantique/2012/07/12/003-affichagebilingue-fin-contestation.shtml, consulté le 21 juillet 2014.
10
«
Profil
de
communautés
2006 : Russell
(Ontario)
»,
Statistique
Canada,
http://www12.statcan.ca/census-recensement/2006/dp-pd/prof/92591/details/Page.cfm?Lang=F&Geo1=CSD&Code1=3502048&Geo2=PR&Code2=35&Data=Count&Searc
hText=Russell&SearchType=Begins&SearchPR=01&B1=All&Custom=, page consultée le 27 février 2011.
11 Mark Power, dans « Le combat pour le bilinguisme… », op. cit.
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ancien opposant de la Loi 10112 et désormais résident de l’Est ontarien – mais non pas de
la municipalité en question –, Howard Galganov, ait organisé un boycott des commerces
francophones, poursuivi la municipalité en justice et manifesté lors de rencontres du
Conseil. La police a même dû intervenir pour y dissiper les tensions.
C’est donc un libertaire local, Jean-Serge Brisson, qui a pris le relais et apporté
une cause conjointe avec Galganov pour confirmer leur droit d’afficher dans la langue
de leur choix, en vertu de la liberté d’expression conférée par les articles 2 et 15 de la
Charte canadienne des droits et libertés. Leur défense a même avancé que la langue
française ne nécessitait pas une telle protection, vu son déclin dans l’Est ontarien13. À
l’inverse, nombre de témoins experts ont avancé pendant la cause que le français avait
besoin d’une protection dans l’espace public pour que les écoles de langue française
parviennent à répondre à leur mandat14. Dans sa décision du 20 août 2010, la juge de la
Cour supérieure de l’Ontario, Monique Métivier, a confirmé que les municipalités
détiennent le pouvoir de légiférer quant à la langue d’affichage et ainsi d’exiger la
communication dans les deux langues officielles15. La juge Métivier a ensuite ordonné
aux plaignants de rembourser les frais d’avocats de 180 000 $ à la municipalité.
Galganov et Brisson en ont fait appel et, en juin 2012, la Cour d’appel de l'Ontario a
rejeté l’appel, obligeant désormais les plaignants à rembourser 240 000 $ en indemnités à
la municipalité de Russell16. La Cour a pourtant apporté une nuance à la légitimité de
tels arrêtés. Selon elle, la moitié des affiches commerciales ayant déjà été bilingues ou
françaises avant l’intervention de Russell, la municipalité pouvait agir en toute
légitimité pour préserver l’équilibre linguistique dans son espace public. Les
Philippe Gohier, « I thought I recognized that smell », Maclean’s, 19 juin 2008,
http://www.macleans.ca/general/i-thought-i-recognized-that-smell/, page consultée le 22 juillet 2014.
13 Howard Galganov, dans « Affichage bilingue : Galganov et Russell s’affrontent en cour », RadioCanada,
12
mai
2010,
http://ici.radio-canada.ca/regions/ottawa/2010/05/12/001Galganov_Russell_Proces.shtml, page consultée le 6 août 2014.
14 Mark Power, dans « Le combat pour le bilinguisme… », op. cit.
15 « Russell : Les nouveaux commerçants devront afficher en français et en anglais », Radio-Canada, 20
août
2010,
http://www.radio-canada.ca/regions/ottawa/2010/08/20/004-affichage-bilingueRussell.shtml, page consultée le 6 août 2014.
16 « Affichage bilingue : le canton de Russell obtient gain de cause », Radio-Canada, 15 juin 2012,
http://ici.radio-canada.ca/regions/ottawa/2012/06/15/006-affichage-bilingue-russell-decision.shtml,
page consultée le 21 juillet 2014.
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municipalités de Casselman, Clarence-Rockland et La Nation, toutes dans l’Est ontarien,
se sont ensuite inspirés de l’exemple de Russell. La nuance de la Cour a cependant
calmé les ardeurs de militants ailleurs, où l’affichage bilingue est bien moins présent.
Forcément, la question se pose différemment dans les espaces urbains où les
francophones ont toujours été minoritaires. Ladite « paix linguistique » qui y règne
mène souvent la minorité à effacer sa différence dans l’espace public, ce qui a posé un
défi de taille quand la question de l’affichage s’est présentée dans leurs milieux. À
Moncton, quelques mois de mobilisation en 2010 par un dit « Front commun pour
l’affichage bilingue » ont seulement poussé le Conseil municipal à lancer une initiative
de sensibilisation avec la Chambre de commerce et la Division de développement
économique17. Les Acadiens habitant Moncton sont deux fois plus nombreux qu’à
Dieppe, d’où le poids qu’aurait un tel arrêté. À l’été 2012, seuls 22 % des commerces de
Moncton affichaient dans les deux langues et la municipalité n’espère qu’atteindre un
seuil de 30 % d’ici 2017. Curieusement, on serait satisfait que la proportion d’affiches
bilingues atteigne un poids égal à la population acadienne, mais que 70 % des affiches
demeurent en anglais pour les anglophones18. C’est cette timidité qui amène l’ex-maire
de Moncton, Brian Murphy, lui qui y avait fait officialisé le bilinguisme en 2002, à voir
en un arrêté inspiré de l’exemple de Dieppe « la prochaine étape logique »19. Plusieurs
conseillers municipaux hésitent pourtant à agir20. Ils estiment ne pas vouloir brusquer
les anglophones, mais surtout ne pas bénéficier d’un appui pour une telle mesure chez
nombre de commerçants acadiens, dont l’opinion devrait régner selon eux.
On hésite aussi à agir à Ottawa, la capitale fédérale où la population francophone
s’élève à 15 % du côté ontarien. Même le tourisme francophone semble insuffisant pour
convaincre une minorité d’entrepreneurs à aussi afficher dans la langue de Molière.
L’affichage bilingue se limite donc pour l’instant aux quartiers historiquement franco
Daniel Bourgeois, dans « Le bilinguisme… », op. cit.
« Moncton encouragera le bilinguisme dans l’affichage commercial », Radio-Canada, 19 juin 2012,
http://www.radio-canada.ca/regions/atlantique/2012/06/19/001-plan-bilinguisme-affichage-monctonnb.shtml, page consultée le 21 juillet 2014.
19 Brian Murphy, dans « Dix ans de bilinguisme à Moncton », Radio-Canada, 16 juillet 2012,
http://www.radio-canada.ca/regions/atlantique/2012/07/16/001-bilinguisme-10ansmoncton.shtml?utm_source=twitterfeed&utm_medium=twitter, page consultée le 21 juillet 2014.
20 Pierre Boudreau, dans Ibid.
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ontariens de la Basse-Ville, de Vanier et d’Orléans. Et même là, les affiches bilingues n’y
sont pas majoritaires. En août 2011, le Commissaire aux langues officielles a enquêté sur
la disponibilité des services en français dans les entreprises, une initiative qui aurait
brusqué des gens d’affaires locaux. La directrice de la Chambre de commerce d’Ottawa,
Erin Kelly, a même avancé, que « le gouvernement n’a[vait] pas le droit d’agir ainsi en
Ontario21 », puisqu’il n’y avait pas d’équivalent provincial à l’Office québécois de la
langue française. Pour sa part, la directrice du Regroupement francophone de gens
d’affaires de la Capitale nationale, Joanne Lefebvre, craignait que l’initiative « crée un
effet négatif22 » et ébranle la paix linguistique parmi les commerçants. Sa réticence
semble révéler le point auquel la capitale s’imagine comme une grande ville de l’Ontario
avant de se voir comme un phare de la dualité canadienne. D’ailleurs, depuis les fusions
municipales de 2001, Ottawa privilégie à la place d’un bilinguisme officiel un
bilinguisme passif au travail et la prestation de services en français. De retour au
bilinguisme dans les commerces, le Commissaire aux langues officielles a conclu son
enquête fin 2012 en constatant que :
Des ressources bilingues considérables sont mises à la disposition des visiteurs,
mais […] elles sont souvent invisibles. Le bilinguisme des commerces des zones
touristiques d’Ottawa est un secret bien gardé de la capitale. Peu d’employés des
commerces utilisent l’accueil bilingue – « Bonjour! Hello! » – pour indiquer à leur
clientèle qu’ils sont en mesure de les servir dans les deux langues officielles23.
Il existe donc un potentiel inexploité, dont la mise en valeur n’entrainerait pas la
moindre dépense et permettrait aux touristes francophones et aux Franco-Ontariens de
s’exprimer bien plus souvent dans leur langue à Ottawa. En tenant fermement à la
liberté de choix pour le commerçant, on mine du coup les efforts des Franco-Ontariens
et du gouvernement canadien à endiguer l’anglicisation de la capitale fédérale.
Erin Kelly, dans Philippe Orfali, « Les commerces d’Ottawa évalués par le commissaire Fraser. Les gens
d’affaires servent un accueil mitigé au projet », Le Droit, 3 août 2011, http://www.lapresse.ca/ledroit/actualites/ville-dottawa/201108/02/01-4422998-les-gens-daffaires-servent-un-accueil-mitige-auprojet.php, page consultée le 22 juillet 2014.
22 Joanne Lefebvre, dans Ibid.
23 Graham Fraser, « Ottawa, symbole de la dualité canadienne », Commissariat aux langues officielles, 29
octobre 2012, http://www.ocol-clo.gc.ca/html/speech_discours_29102012_f.php, consultée le 23 juillet
2014.
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La situation n’est guère plus réjouissante à Sudbury, ville du Moyen-Nord où le
poids de la population franco-ontarienne atteint 27 %. L’Association canadiennefrançaise du grand Sudbury (ACFO) a lancé en 2013 la campagne « J’affiche aussi en
français », qui incite les commerces à se responsabiliser vis-à-vis des langues officielles.
J’aurais tort de ne pas vous révéler que j’ai contribué à l’élaboration de cette campagne24,
mais maintenant que c’est fait, je peux vous dire que le CA de l’ACFO a été tiraillé
pendant un moment à savoir s’il devait justifier l’initiative en parlant du potentiel du
tourisme francophone ou plutôt du respect de la clientèle franco-ontarienne habitant
l’endroit. Actuellement, environ 10 % des affiches commerciales sont bilingues dans la
région. L’ACFO les a donc répertoriés, mais au lieu de privilégier la voie politique
d’emblée, elle a décidé d’approcher les nouveaux commerces s’installant en ville, de leur
rappeler la forte proportion franco-ontarienne de leur future clientèle et de les inciter à
afficher dans les deux langues. Le grand magasin Target l’an dernier, mais aussi le
restaurant Milestones ont répondu positivement à l’appel, même si l’anglais y a quand
même préséance. L’ACFO espère que la proportion de commerces affichant dans les
deux langues augmentera, mais on en est loin d’en arriver à la proposition d’un arrêté
un jour. Comme à Ottawa, beaucoup de commerçants franco-ontariens ne souhaitent
pas afficher leur langue en public. Donc, ce sont assez curieusement les grandes chaines
canadiennes-anglaises ou américaines qui semblent les plus ouvertes à l’idée, en ayant
déjà eu à traduire leur matériel promotionnel pour leurs succursales au Québec.
Si l’enjeu s’est calmé depuis quelques années en Acadie, on continue à en débattre
en Ontario français. Justement en juin dernier, la nouvelle présidente de l’ACFO de
Prescott-Russell dans l’Est annonçait qu’elle entendait faire de l’affichage commercial
bilingue une priorité dans les municipalités n’ayant pas un tel arrêté25. L’éditorialiste
Pierre Allard a toutefois reproché ce geste visant aussi à imposer le bilinguisme aux
Joanne Gervais, « Menu bilingue bientôt disponible au nouveau Milestones », Association canadiennefrançaise
du
grand
Sudbury,
10
janvier
2014,
http://www.acfosudbury.ca/sites/default/files/Communiqué%20-%20Milestones.pdf, consultée le 6
août 2014.
25 Samuel Blais-Gauthier, « Nouveau visage à la présidence de l’ACFO dans Prescott-Russell », Le Droit, 18
juin 2014, http://www.lapresse.ca/le-droit/actualites/est-ontarien/201406/17/01-4776709-nouveauvisage-a-la-presidence-de-lacfo-dans-prescott-russell.php, page consultée le 21 juillet 2014.
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commerçants s’affichant exclusivement en français, ce qui existe ici et là dans l’Est26.
Pour Tina Desabrais cependant, il faut, « voir la forêt plutôt que l’arbre »27, et constater
que le français recule tant dans l’affichage commercial qu’en tant que langue parlée à la
maison. Les majorités fragiles dans certaines villes, dont Hawkesbury, devraient ainsi
adopter des mesures préventives, comme d’autres l’ont déjà fait.
Pour conclure, l’affichage commercial bilingue constitue l’un des rares efforts qui
vise de nos jours à ancrer le français dans des territoires souches du Canada français. La
première vague pour l’affichage semble avoir connu le succès dans certaines localités,
où la majorité francophone subit des transformations au plan démographique et
souhaite préserver le français comme une langue publique. En revanche, il existe une
résistance au mouvement tant dans les régions rurales à forte majorité francophone que
les milieux urbains où les francophones ont toujours été minoritaires et où leur espace
est effiloché. C’est pourtant dans ces espaces partagés où se trouve aujourd’hui la
grande majorité des Acadiens et des Franco-Ontariens et où l’affichage commercial
bilingue représenterait un grand bond vers l’avant pour l’utilisation libre du français
dans l’espace public. Pour l’instant cependant, il manque la coordination, ainsi que les
ressources humaines et financières pour que le milieu commercial urbain ressemble
davantage à la population qu’il dessert. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario
souhaite faire du projet une priorité au plan local, mais sans financement confirmé, la
lutte s’annonce ardue, c’est le moins qu’on puisse dire, car le changement des mentalités
nécessite souvent du temps et de la détermination. À un moment où semble révolue
l’époque des grandes interventions nationales en matière de législation linguistique,
l’affichage représente l’un des rares moyens qui pourraient, au plan local de certains
milieux urbains, offrir une maigre marge de contrôle aux minorités sur la présence de
leur langue dans l’espace public, freiner la croissance du taux d’acculturation à l’anglais
et ainsi rendre plus plausible leur avenir.
Pierre Allard, « L’ACFO n’a pas à promouvoir l’anglais… », Pierre Allard, le blogue, 19 juin 2014,
http://pierreyallard.blogspot.ca/2014/06/lacfo-na-pas-promouvoir-langlais.html, page consultée le 21
juillet 2014.
27 Tina Desabrais, « Réponse de Mme Tina Desabrais, de l'ACFO de Prescott-Russell », Pierre Allard, le
blogue, 19 juin 2014, http://pierreyallard.blogspot.ca/2014/06/reponse-de-mme-tina-desabrais-delacfo.html, page consultée le 23 juillet 2014.
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