Lorenzaccio - biblio

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Lorenzaccio - biblio
Lorenzaccio
Musset
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n° 23
établi par Véronique Le Quintrec,
agrégée de Lettres modernes,
professeur en lycée
Sommaire – 2
SOMMAIRE
A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3
T A B L E DES
CO R P U S
........................................................................................ 4
R ÉP O NSES
A U X Q U EST I O NS
................................................................................ 5
Bilan de première lecture (p. 236)...................................................................................................................................................................5
Acte I, scène 2 (pp. 15 à 22) .............................................................................................................................................................................6
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 23-24) .................................................................................................................................6
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 25 à 36) ..................................................................................................................8
Acte II, scène 4 (pp. 75 à 83) ..........................................................................................................................................................................12
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 84 à 86).............................................................................................................................12
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 87 à 95) ................................................................................................................14
Acte III, scène 2 (pp. 111 à 114).....................................................................................................................................................................18
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 115 à 117).........................................................................................................................18
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 118 à 125)............................................................................................................20
Acte III, scène 3 (pp. 126 à 145).....................................................................................................................................................................25
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 146-147) ...........................................................................................................................25
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 148 à 154)............................................................................................................27
Acte IV, scène 11 (pp. 194 à 197)...................................................................................................................................................................30
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 198-199)...........................................................................................................................30
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 200 à 212)............................................................................................................32
C O M P L ÉM ENT S
C O M P L ÉM ENT
A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 37
À L A L ECT U RE A NA L Y TI Q U E ( P .
B I B L I O GRA P H I E ,
115) ..................................................... 42
DI S CO GRA P H I E , FI L M O GRA P H I E CO M P L ÉM ENT A I RES ................................... 44
Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2004.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
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Lorenzaccio – 3
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la
fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces
lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de
textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,
de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Lorenzaccio, en l’occurrence,
permet d’étudier le romantisme – son esthétique, ses héros… –, d’aborder le discours dramatique et la
représentation théâtrale, et de mettre en perspective l’engagement politique au théâtre, tout en
s’exerçant à divers travaux d’écriture…
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres
classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite
la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine
compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et
enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,
notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.
• En fin d’ouvrage, le « Dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui
donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de
l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre
intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du
texte (sur fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il
se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre :
l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du
questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer
chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer
un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude
ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail
efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
Table des corpus – 4
TABLE DES CORPUS
Corpus
Composition du corpus
Esthétique classique,
esthétique romantique
(p. 25)
Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte I de
Lorenzaccio de Musset (p. 16, l. 121, à p. 19, l. 206).
Texte B : Extrait de la préface de Bérénice de
Jean Racine (pp. 25-27).
Texte C : Extrait de Bérénice de Jean Racine
(pp. 27-29).
Texte D : Extrait de Ruy Blas de Victor Hugo
(p. 30).
Texte E : Extrait de la préface de Cromwell de
Victor Hugo (pp. 30-32).
Document 1 : Mise en scène de Ruy Blas (p. 33).
Document 2 : Mise en scène de Bérénice (p. 34).
Texte A : Extrait de la scène 4 de l’acte II de
Lorenzaccio de Musset (p. 75, l. 407, à p. 77, l. 458).
Texte B : Extrait de La Nuit de décembre de
Musset (pp. 87-90).
Document : Illustration pour La Nuit de
décembre par Eugène-Louis Lami (p. 90).
Texte C : Extrait de La Confession d’un enfant
du siècle de Musset (pp. 90-91).
Texte D : Extrait de Musset de Franck
Lestringant (pp. 91-93).
Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte III de
Lorenzaccio de Musset (p. 112, l. 108, à p. 114,
l. 178).
Texte B : Extrait de Ruy Blas de Victor Hugo
(pp. 118-120).
Texte C : Extrait d’Antigone de Jean Anouilh
(pp. 120-121).
Document : Mise en scène de Lorenzaccio par
Francis Huster (p. 122).
Texte complémentaire : Extrait de La Confession
d’un enfant du siècle de Musset (pp. 123-124).
Texte A : Extrait de la scène 3 de l’acte III de
Lorenzaccio de Musset (p. 143, l. 630, à p. 144,
l. 669).
Texte B : Extrait de René de Chateaubriand
(pp. 148-149)
Texte C : Extrait d’Oberman de Senancour (p. 150).
Document : Le Voyageur au-dessus de la mer
de nuages de Caspar David Friedrich (p. 151).
Texte D : Extrait d’Hernani de Victor Hugo
(pp. 152-153).
Texte A : Scène 11 de l’acte IV de Lorenzaccio
de Musset (pp. 194-197).
Texte B : Extrait d’Une conspiration en 1537 de
George Sand (pp. 200-203).
Texte C : Extrait de La Storia Fiorentina de
Benedetto Varchi (pp. 203-204).
Texte D : Extrait de L’Heptaméron de
Marguerite de Navarre (pp. 205-207).
Texte E : Extrait d’Une année à Florence
d’Alexandre Dumas (pp. 207-209).
Document : Mise en scène de Lorenzaccio par
Georges Lavaudant (p. 210).
Le biographique
en éclats
(p. 87)
Le théâtre :
« une tribune »
(p. 118)
Le héros romantique :
seul contre tous
(p. 148)
Les réécritures
d’un meurtre
(p. 200)
Objet(s) d’étude
et niveau(x)
Le théâtre
(Première et Seconde)
Compléments aux
travaux d’écriture destinés
aux séries technologiques
Question préliminaire
D’après l’ensemble des documents
proposés, montrez l’importance du
décor au théâtre. De quelles manières
différentes peut-il être suggéré ?
Commentaire
Quelle représentation la scène donne-telle à voir ?
Le biographique
(Première)
Le théâtre
(Première et Seconde)
Convaincre, persuader,
délibérer
(Première)
Question préliminaire
Résumez en une phrase l’éclairage (un
trait de personnalité de l’écrivain et, le
cas échéant, une tentative d’explication)
que chacun de ces documents donne de
la vie de Musset.
Commentaire
De quelle manière se manifeste la
présence du double ?
Question préliminaire
Caractérisez rapidement les stratégies
argumentatives dans chacun des textes
proposés.
Commentaire
De quelle manière le gouvernement estil remis en cause par Ruy Blas ?
Étude d’un mouvement
littéraire et culturel
du XIXe siècle
(Seconde)
Question préliminaire
Classez les caractéristiques du héros
romantique, telles qu’elles apparaissent
dans les documents proposés.
Commentaire
Quels sont les procédés d’expression de
l’ardeur romantique ?
Les réécritures
(Première)
Question préliminaire
Relevez constantes et variations, d’un
texte à l’autre, dans l’évocation des
principales étapes du meurtre. Les
changements modifient-ils le registre
des textes ? et le sens de l’événement
rapporté ?
Commentaire
Vous étudierez, entre autres, l’art du
récit.
Lorenzaccio – 5
RÉPONSES AUX QUESTIONS
B i l a n
d e
p r e m i è r e
l e c t u r e
( p .
2 3 6 )
L’action de Lorenzaccio se passe à Florence en 1537. Le pouvoir officiel est représenté par Alexandre
de Médicis (1510-1537), arrivé à Florence en 1532, après la capitulation de la ville en 1530. Les
Florentins, poussés par les grandes familles républicaines, ont essayé de se soulever mais ont été
violemment réprimés. Le duc Alexandre recourt aux moyens attestés par Varchi : arbitraire,
encouragement à la délation (assurée notamment par Lorenzo de Médicis), terreur, bannissement.
" Alexandre gouverne sous la double influence du pape Clément VII et de Charles Quint qui se sont
entendus pour le placer sur le trône. Florence est, en effet, un lourd enjeu dans la lutte qui oppose, en
Italie, Charles Quint et le roi de France, François Ier. La garnison allemande occupe la ville.
# Lorenzaccio est le favori du duc Alexandre. Il est son « entremetteur » (I, 4), celui qui lui fournit ses
plaisirs. Il joue aussi le rôle d’espion : « Tout ce que je sais de ces damnés bannis, de tous ces républicains
entêtés qui complotent autour de moi, c’est par Lorenzo que je le sais », dit Alexandre à la scène 4 de l’acte I.
$ Le personnage de Philippe Strozzi représente l’idéal républicain. Il est la figure du patriarche
vertueux. Après la mort de sa fille, Louise, et l’arrestation de son fils, Pierre, il souhaite mener la
révolte des grandes familles florentines contre Alexandre : « il y a à Florence quatre-vingts palais, et de
chacun d’eux sortira une troupe pareille à la nôtre quand la liberté y frappera » (III, 7).
% La Marquise de Cibo souhaite que le Duc gouverne de manière sage et modérée. Elle croit
pouvoir le réformer en devenant sa maîtresse et en profitant de cette occasion pour lui faire la
morale : en vain (III, 6).
& À la scène 1 de l’acte I, on voit Alexandre attendre une jeune fille qu’il a achetée. Il n’hésite pas à
dédommager avec condescendance le frère de celle-ci, Maffio, qui croit encore à l’honnêteté du
Duc : « Si le duc ne sait pas que sa ville est une forêt pleine de bandits, pleine d’empoisonneurs et de filles
déshonorées, en voilà un qui le lui dira. »
Par ailleurs, il pratique aussi une justice expéditive. Quand Salviati vient se plaindre des Strozzi qui
ont voulu venger l’offense faite à leur sœur, le Duc répond : « les meurtriers passeront la nuit en prison, et
on les pendra demain matin » (II, 7).
' e t ( C’est Lorenzaccio, à la scène 4 de l’acte II, qui prononce ces mots. Il s’adresse à sa mère,
Marie, et à sa tante, Catherine. C’est une manière de faire tomber, devant ces femmes qui lui sont
chères, son masque de courtisan corrompu et d’annoncer que le « Lorenzino d’autrefois » n’est pas tout
à fait mort.
) L’histoire romaine sert de modèle. Un parallèle est établi entre Tarquin et Alexandre, mais, surtout,
Lorenzaccio souhaite être un nouveau Brutus, c’est-à-dire quelqu’un qui délivre sa patrie du tyran.
Utiliser des modèles antiques est une manière, pour Musset, de s’inscrire dans la continuité de la
tragédie classique.
*+ La ville de Florence n’est pas tant évoquée par les décors dans les didascalies que par les
conversations des personnages. Tous, des marchands à la Marquise de Cibo, clament leur amour pour
cette ville. Plus que l’architecture de la ville, c’est son atmosphère qui est suggérée : ses bals, son
carnaval, ses foires, le chahut des écoliers, les vêtements des nobles (cf. I, 2, en particulier).
*, Lorenzaccio révèle explicitement à Philippe son projet de meurtre dans la grande scène 3 de
l’acte III : « Je suis en effet précieux pour vous, car je tuerai Alexandre. »
*- Les mobiles de Lorenzaccio sont exposés dans cette même scène, et particulièrement dans la célèbre
tirade : « Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? » Il tue Alexandre pour renouer avec sa pureté
perdue, pour retrouver sa vertu. C’est une quête identitaire et un acte expiatoire. Mais il a aussi pour
dessein de sauver sa patrie et d’éliminer le mal de la collectivité. Enfin, il commet ce meurtre par
« orgueil » car il méprise les hommes.
*. Lorenzaccio prépare le régicide, d’une part, en dérobant la cotte de mailles du Duc (II, 6) et,
d’autre part, en s’entraînant aux armes avec Scoronconcolo (III, 1) ; enfin, en promettant à Alexandre
un rendez-vous galant avec Catherine, il piège le Duc (IV, 1).
!
Réponses aux questions – 6
Le crime a lieu dans la chambre de Lorenzo (IV, 11). C’est là qu’est convenu le prétendu rendezvous avec Catherine : « Dans ma chambre, seigneur ; je ferai mettre des rideaux blancs à mon lit et un pot de
réséda sur ma table » (IV, 2).
*0 Lorenzo se réfugie dans la république de Venise après avoir commis le crime.
*1 Sa tête est mise à prix (V, 2) et, alors que, de manière suicidaire, il sort se promener dans la ville, il
est tué lâchement (« Un homme était caché derrière la porte, qui l’a frappé par-derrière comme il sortait ») et
son corps « pouss[é] dans la lagune » (V, 8).
*2 Alexandre est remplacé par Côme de Médicis, ce « planteur de choux », avait dit Lorenzaccio. Il fait
le serment d’obéir à Charles Quint (V, 9).
*3 La foule rassemblée se réjouit.
*4 L’acte de Lorenzaccio n’aura servi à rien et le peuple reste éternellement une victime consentante.
*/
A c t e
I ,
s c è n e
2
( p p .
1 5
à
2 2 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 23-24)
Images : « les murailles de tous ces palais-là » (l. 143), « une bonne maison bien bâtie », « tous ces grands
palais » (l. 178), trois occurrences de « colonnes » (l. 179-180, 188), « une vieille voûte bien cimentée »
(l. 181-182). Toutes ces images évoquent la solidité et la force de Florence, de même que l’égalité
(l. 180) comme valeur de la ville. Mais un changement radical s’est produit avec « le pape et l’empereur
Charles » (l. 185) et bien sûr le Duc. Les images qui caractérisent alors la ville sont négatives : la
« brèche » (l. 186), la fragilité du « clocher » (l. 189) et le mépris de « la Citadelle » (l. 194) – « maudit
trou », « pâté informe fait de boue et de crachat » –, domaine de l’étranger. À travers la métaphore filée de
l’architecture est illustrée l’évolution de la ville de Florence.
" Les espaces privés sont évoqués à travers les expressions suivantes : « dans son lit bien tranquille, avec
un coin de ses rideaux retroussé » (l. 128-129), « le lit de nos filles » (l. 204-205). Les espaces publics sont
plus nombreux dans le texte : « le palais » (l. 130), « les murailles » (l. 136), « ma boutique » (l. 148),
« Montolivet » (l. 167), « messe » (l. 174). On remarque la variété des lieux et des milieux sociaux. Les
coutumes sont évoquées par le pèlerinage et la foire, la vie quotidienne par la boutique et l’image
intime du lit. La fonction de ces lieux est double : réalisme et critique de la dépravation d’Alexandre.
Ils contribuent à rendre compte de l’atmosphère florentine.
# Les étoffes tiennent une grande place dans le texte : « rideaux » (l. 129), « mes étoffes », « mes belles
étoffes du Bon Dieu » (l. 132), « une pièce de velours » (l. 149), « une aune de velours brodé » (l. 166). Elles
évoquent la prospérité économique de Florence et suggèrent un monde de raffinement et de luxe.
Elles ont à voir avec le théâtre (« rideaux ») et plus généralement avec la fête et la sensualité ; elles
contribuent à peindre l’atmosphère florentine de manière naturelle car les étoffes sont la
préoccupation du Marchand qui en parle donc naturellement dans son discours.
$ À la ligne 127, il est fait allusion à « ces fêtes-là », caractérisées par la « lumière », la « danse », le
« vin », les « amusements ». Elles renvoient à un monde de plaisirs et de légèreté. Quant aux fêtes
traditionnelles (le « carnaval », le « pèlerinage » et la « foire » qui l’accompagne), elles ont à voir à la fois
avec le divertissement et avec la piété.
% Le « maudit ballon » (l. 165) ou encore la précision de l’« aune de velours brodé » (l. 166) constituent
des « effets de réel ».
& Florence est vue comme un lieu de plaisirs : plaisirs des nobles avec les fêtes, le vin, les filles. Le
Marchand évoque aussi « des amusements de plusieurs sortes » : « la danse, le cheval, le jeu de paume et tant
d’autres » (l. 139-140). Les plaisirs du peuple sont aussi les fêtes traditionnelles (cf. question 4) et un
plaisir voyeur qui consiste à regarder les fêtes des nobles (l. 129). Le vin est également prisé mais
comme juste réconfort d’un labeur (l. 150-154). Florence est un lieu où règnent la sensualité et la
douceur de vivre, mais la démesure et la dépravation ont gagné la noblesse (l. 154-155 : « tonneaux
sans vergogne » ; l. 156 : « en s’abrutissant jusqu’à la bête féroce »), qui se caractérise aussi par le mépris des
autres (l. 135-136 : « qu’on frotte sur les murailles avec le moins de regret » et l. 159-160). Bref, à Florence,
la fête tourne mal.
!
Lorenzaccio – 7
Le peuple est voyeur ou victime.
( Les cibles de la satire sont, d’une part, les nobles, dont le Duc, et, d’autre part, la présence étrangère
(les Allemands et le pape).
) « Polissons » (l. 123, aussi affectueux que péjoratif), « tonneaux sans vergogne » (l. 155), « godelureaux
de la Cour » (l. 155) désignent la jeunesse noble, l’entourage du Duc. La domination étrangère est
évoquée par « deux architectes mal avisés » (l. 184), « des rats dans un fromage » (l. 195). Quant au Duc
lui-même, c’est un « bâtard » (l. 202), « une moitié de Médicis, un butor » (l. 203), un « garçon boucher ou
[un] valet de charrue » (l. 204). On remarque que le registre de l’animalité est utilisé à deux reprises :
ces hommes se conduisent comme des bêtes.
*+ Les reproches sont adressés aux seigneurs, d’une part : on leur reproche de ne pas payer leurs dettes
(l. 134 : « Il en danse plus d’une qui n’est pas payée »), de mépriser le peuple et de n’avoir pas de
scrupules (l. 135-136, 142, 159-160), d’être des ivrognes (l. 146, 154-155). D’autre part, les reproches
touchent aussi la manière dont est gouvernée Florence : la présence de la domination étrangère
(l. 185), le fait que les Médicis soient son relais (l. 187-190). L’Orfèvre donne une image dégradée des
soldats allemands (l. 196-197 : « tout en jouant aux dés et en buvant leur vin aigrelet »). L’alliance avec
l’étranger au mépris de ce que pense le peuple est également stigmatisée (l. 198-199 : « Les familles
florentines ont beau crier, le peuple et les marchands ont beau dire ») ; on dénonce aussi l’incompétence du
Duc (l. 203-204 : « un butor que le Ciel avait fait pour être garçon boucher ou valet de charrue ») et, de
manière implicite, la forte imposition : « et encore le paye-t-on pour cela » (l. 205-206).
*, L’image qui qualifie la Florence d’avant est « une bonne maison bien bâtie » (l. 178) – ce qui connote
à la fois la solidité et la stabilité mais aussi l’idée de famille et de solidarité.
*- On remarque de nombreuses images dévalorisantes :
– le poison : « champignon de malheur » (l. 190), « excroissance vénéneuse » (l. 200-201) ;
– la monstruosité : « la tête trop lourde et une jambe de moins » (l. 192) ;
– les immondices : « boue », « crachat » (l. 194) ;
– l’animalité : « rats » (l. 195), « butor » (l. 203) ;
– la trivialité et la vulgarité : « garçon boucher ou valet de charrue » (l. 204).
Æ Florence est donc en proie au mal, à la corruption, à la souillure et à la mort.
*. Les allusions historiques sont celles faites à Charles Quint et aux Médicis. Le drame romantique
emprunte ses sujets à l’histoire moderne.
*/ Il s’agit d’un dialogue entre deux commerçants, c’est donc naturellement que l’argent entre dans
leurs préoccupations : ils évoquent les lieux de vente (« boutique », « foire »), le prix des marchandises
(« une cinquantaine de florins »), le profit (l. 172 : « et qui fait gagner les marchands plus que tous les autres
jours de l’année »), les dettes des seigneurs (l. 134), les impôts (l. 205).
*0 Dans le texte, apparaissent le « Marchand » et l’« Orfèvre », qui ont la parole, mais aussi les seigneurs
dont les plus jeunes (les « godelureaux de la Cour »), les « grandes familles florentines », le Duc, les soldats
de la « garnison », les républicains dont Philippe Strozzi, un jeune homme, Pierre Strozzi, les « bonnes
dames » (l. 173) et les « filles » du peuple (l. 205). C’est donc une vision très complète de la société
florentine qui est donnée à voir.
*1 Le drame romantique ne se limite pas à la représentation d’une classe sociale. Il met le peuple en
scène dans un spectacle total.
*2 Le Marchand fait preuve de bienveillance et de peu d’esprit critique. Les marques de jugement sont
mélioratives : « me réjouissent le cœur » (l. 123), « belle gaillarde » (l. 125), « heureux garçon » (l. 125-126),
« C’est une famille bien florentine » (l. 126), « ces fêtes-là me font plaisir à moi » (l. 127-128), « ces braves et
loyaux seigneurs » (l. 133), « La Cour est une belle chose » (l. 175). Il représente l’attachement traditionnel
du peuple à la noblesse. Peut-être obéit-il aussi à un intérêt économique ?
Le père Mondella – l’Orfèvre – se caractérise par son esprit critique, qui contraste avec la naïveté de
son interlocuteur, et sa lucidité. Il prononce une violente charge contre les puissants qui gouvernent
de manière corrompue. Il incarne le respect des valeurs traditionnelles : l’honnêteté (l. 153), le travail,
la famille (l. 154), la religion (l. 157).
*3 La prise en compte du destinataire passe par l’utilisation de la 2e personne (« vous »), de l’apostrophe
(quatre occurrences de « père Mondella » et cinq de « voisin »), de l’impératif (l. 148 : « Entrez donc dans
ma boutique » ; l. 176-177 : « voyez-vous ») et de tournures interrogatives (l. 140, 167, 191).
'
Réponses aux questions – 8
On relève dans le texte beaucoup de présents de vérité générale qui s’appliquent soit au quotidien,
soit au gouvernement. Par exemple : « où le plaisir ne coûte rien, la jeunesse n’a rien à perdre » (l. 121122), « Un verre de vin est de bon conseil » (l. 147), « La Cour est une belle chose » (l. 175). Ces présents
sont le reflet de la sagesse populaire.
5+ D’une manière plus générale, cette scène se fait l’écho d’une certaine sagesse populaire car elle
donne la parole au peuple, aux boutiquiers. Leur vision des choses est concrète et se mesure en termes
d’étoffes et d’argent. Les personnages se fondent sur des constats et sont aptes à saisir l’outrance et les
limites à ne pas dépasser. Ils dénoncent les abus et défendent les valeurs simples et évidentes comme la
famille, l’honnêteté, le travail, le respect d’un gouvernement légitime.
*4
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 25 à 36)
Examen des textes et des images
! Le mot qui revient est « simplicité » ou « simple » dont on relève neuf occurrences. Il rappelle
l’esthétique classique de la sobriété, au nom de la vraisemblance et pour faciliter la compréhension du
spectateur.
" Racine anticipe le reproche d’une pièce trop simple et sans créativité de manière très moderne :
« Toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien » (cf. Flaubert dans une lettre à Louise Colet du
16 janvier 1852 : « Le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses »).
# La phrase « et dont la trentième représentation a été aussi suivie que la première » montre de manière
explicite que la préface de Bérénice a été écrite après que la pièce a été représentée.
$ « Rome » est citée deux fois, vaguement personnifiée ; les « Romains » apparaissent une fois. Le
contexte reste donc très évasif et il est difficile de se le représenter.
% La scène 5 de l’acte IV de Bérénice est une scène de rupture d’autant plus déchirante que les deux
personnages s’aiment encore et sacrifient leur amour sur l’autel de la raison d’État, cédant à une
fatalité non pas divine mais humaine. Les champs lexicaux des sentiments peuvent se classer suivant le
tableau ci-dessous :
DOULEUR
« cruel », « infidèle », « mot cruel »,
« affreux », « souffrirons-nous »,
« l’ingrat », « triste renommée »,
« condamnée », « les pleurs de
Bérénice », « éternels chagrins », « que
vous me déchirez », « vous pleurez »
ABSENCE / RUPTURE
« absence éternelle », « et pour jamais,
adieu », « me séparent de vous »,
anaphore de « sans que », « absence »,
« séparer »
AMOUR
« mille serments », « amour », « vous
étiez aimée », « heureux hyménée »,
« vous pouvez tout », « je n’y résiste
point », « Je sens ma faiblesse »,
« appas », « il vous aime »
Les exemples sont accumulés dans le premier paragraphe de l’extrait de la préface de Cromwell. Ils
sont là pour convaincre le lecteur du bien-fondé de la thèse soutenue, en lui rappelant des épisodes
historiques qu’il connaît forcément et qu’il pourra se représenter. Ils parlent à l’imagination.
' L’art doit faire revivre l’histoire s’il s’agit d’un drame : il montrera alors aussi bien les actions
extérieures des hommes que leurs tourments intérieurs. La définition que donne Victor Hugo de la
poésie revient à son étymologie : créer.
( Dans le texte D, les éléments de couleur locale concernent l’ameublement (« ameublement magnifique
dans le goût demi-flamand du temps de Philippe IV », « immenses rideaux », « une table », « un fauteuil », « ce
qu’il faut pour écrire »), l’architecture intérieure (« le salon de Danaé », « une grande fenêtre à châssis dorés et
à petits carreaux », « un pan coupé », « une porte basse », « une grande cloison vitrée à châssis dorés », « large
porte également vitrée », « longue galerie », « cloison vitrée ») et les vêtements (« velours noir », « costume de
cour du temps de Charles II », « La Toison d’or au cou », « l’habillement noir […]. Sans épée »).
) Dans la mise en scène de Ruy Blas, les indicateurs temporels sont nombreux : ils sont conformes à
ce qui est indiqué dans la didascalie initiale. En revanche, dans la mise en scène de Bérénice, les seuls
indicateurs temporels sont les vêtements de Titus ; Bérénice, avec sa robe collante, ses cheveux
dénoués et sa frange, évoque nettement les années 1980. Quant au décor, d’une extrême sobriété, il
ne contient aucune référence historique.
&
Lorenzaccio – 9
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Le décor a d’abord une fonction référentielle : il sert à situer l’action dans un lieu et une époque. Le
drame romantique a beaucoup utilisé le décor dans ce sens. Il a évidemment une fonction esthétique,
mais peut aussi donner des indications sur le déroulement de l’intrigue ou les relations entretenues par
les différents personnages. Enfin, il peut parfois avoir une fonction symbolique. Les tragédies classiques
se jouent avec un décor réduit au strict minimum, laissant au texte un libre champ pour s’exprimer.
Leur message se veut intemporel. Le décor peut être suggéré soit par le discours des personnages, soit
par les didascalies. Dans le drame romantique, les didascalies sont le plus souvent longues et
nombreuses, tandis qu’elles sont presque totalement absentes de la tragédie classique.
Commentaire
On utilisera, pour ce commentaire, les réponses proposées pour la lecture analytique. Les sous-parties
pourront être les suivantes :
1. Une évocation de la ville
A. Une peinture de Florence
B. L’atmosphère de la ville
C. Une ville de plaisirs
2. La satire d’un monde corrompu
A. Les cibles de la satire
B. Les moyens de la satire
3. La voix du peuple
A. Un kaléidoscope de la population florentine
B. Les marchands : deux points de vue opposés
C. Une certaine sagesse populaire
Dissertation
Introduction
La formule de Victor Hugo participe d’une définition du drame romantique. Elle est donc très datée
et l’art n’a pas toujours fonctionné sans « règles ni modèles ». Peut-il d’ailleurs véritablement s’en
affranchir ?
1. La nécessité des règles et des modèles
A. Le modèle comme « garant »
Jusqu’à la querelle des Anciens et des Modernes, le problème de l’originalité ne se posait pas. Non
seulement on pouvait imiter, mais on le devait. Les modèles antiques étant des garants, un détour par
eux était nécessaire pour donner à l’œuvre d’art de la valeur. Ainsi le titre complet des Caractères de La
Bruyère est-il Les Caractères imités du Grec Théophraste.
B. Les règles : une codification signifiante
Les règles concernent particulièrement la poésie et la tragédie, genres considérés comme les plus
nobles dans la hiérarchie classique. Les respecter, c’est prouver que l’on sait s’intégrer dans une
structure particulière, exigeante, contraignante, mais censée produire de la beauté et de l’harmonie, et,
dans le cas de la tragédie classique, de la vraisemblance. Respecter l’unité de temps, par exemple, c’est
faire « coller », autant que faire se peut, le temps de l’action au temps de la représentation, garantie de
la vraisemblance pour les classiques. Ainsi l’action de Bérénice se déroule-t-elle en quatre heures : un
record !
C. Les limites des règles et des modèles
Si les règles ont été créées en fonction d’une conception idéalisée du réel, il n’en reste pas moins
qu’appliquées mécaniquement, elles se réduisent à de simples recettes qui n’ont rien à voir avec les
Réponses aux questions – 10
intuitions d’un véritable artiste. Ainsi, les œuvres du post-classicisme sont figées dans le respect de
règles auxquelles on ne sait plus donner vie.
Transition. Il est donc nécessaire de savoir s’affranchir des règles.
2. Une nécessaire originalité
A. Aujourd’hui, du reste, l’art est nécessairement associé à l’innovation
Une œuvre d’art sera jugée digne de ce nom seulement si elle crée un univers, un langage, des
techniques. Ainsi des révolutions successives en peinture au XXe siècle.
B. L’affranchissement
Les romantiques ont voulu se libérer de toutes les règles classiques et ont eu à ce sujet une position
radicale. Tout détruire pour bâtir un art nouveau qui correspondrait à une société nouvelle.
C. Une inspiration personnelle
L’artiste, dans son œuvre, laisse toujours parler une sensibilité, une histoire qui lui appartiennent en
propre, sinon il n’est qu’un exécutant, un excellent faussaire, mais il ne crée pas une œuvre. Chaque
artiste a sa manière qui ne saurait se réduire au respect de règles, à l’imitation d’un modèle. La « patte »
d’un écrivain est d’ailleurs tellement marquée qu’il peut être pastiché (cf. les Pastiches de Proust).
3. Les règles et les modèles comme supports d’une création originale
A. Le modèle comme repoussoir
Faire table rase des règles, c’est encore s’en servir comme référence, ne serait-ce que comme contremodèle. Si Hernani fait scandale lors des premières représentations, c’est avant tout parce qu’on
mesure les écarts avec les règles que la pièce ne suit pas.
B. Des modèles féconds
Par ailleurs, règles et modèles peuvent être féconds et stimuler l’inspiration par des contraintes. Que
l’on pense à la longévité et à la diversité du sonnet. Nombreuses sont les œuvres qui s’inspirent d’une
autre, se situent dans une tradition pour mieux la renouveler. Ainsi, par exemple, « Le Pont
Mirabeau » d’Apollinaire trouve-t-il son inspiration lyrique et la structure du distique dans une
chanson de toile du Moyen Âge « Gaiete et Oriour ».
C. Une appropriation personnelle
Respecter des règles, suivre un modèle n’empêchent pas la création personnelle, au contraire. La
Fontaine s’inspire de fables de l’Antiquité mais les enrichit et les transforme considérablement. D’autre
part, un artiste a besoin de connaître une tradition pour se situer par rapport à elle et, le cas échéant,
s’en détourner. Picasso a d’abord été un peintre figuratif ; le voyage en Italie est un parcours obligé
pour un apprenti peintre qui doit se familiariser avec les grands maîtres de la Renaissance.
Conclusion
Il est bien difficile, comme le fait Victor Hugo, d’affirmer qu’« il n’y a ni règle ni modèle » car, si c’est
l’écart par rapport à une tradition, ou du moins l’interprétation personnelle de cette tradition, qui fait
la valeur d’une œuvre, la règle ou le modèle constitue le repère qui inscrit l’œuvre dans une culture.
Écriture d’invention
Sujet traité par Armelle Toulhoat, élève de Seconde 10 au lycée Montesquieu d’Herblay (95).
La scène se passe dans un château en province. C’est la nuit du 4 août 1789. Dans le château, le comte et la
comtesse d’Aubervilliers se sont réfugiés dans un petit salon, au premier étage. C’est une pièce chaleureuse et
éclairée par un lustre en cristal accroché au plafond. Un feu brûle dans l’âtre, faisant courir des ombres sur le visage
du Comte qui se tient debout, immobile devant la cheminée. La pièce est décorée de grandes tapisseries
représentant des scènes de la mythologie grecque et dont les couleurs sont légèrement passées. Sur le mur en face de
la cheminée, il y a un tableau en pied de l’ancêtre du Comte. Le mur à gauche de l’âtre s’ouvre sur de hautes
fenêtres, grandes ouvertes, laissant entrer de l’air frais dans la pièce étouffante. Dehors, il fait nuit noire. On
distingue au loin des lueurs rougeâtres qui montrent, hélas ! que d’autres châteaux sont en train de partir en
fumée. Au centre de la pièce, la Comtesse est allongée sur un sofa et s’évente avec un éventail de couleur violette.
La pendule sonne dix heures. Au-dehors, de nombreux cris se font entendre.
LE COMTE, se mettant à tourner en rond.
Seigneur ! Quelle idée avons-nous eue de nous installer en province ?!
Lorenzaccio – 11
LA COMTESSE
Allons, mon ami, ne vous torturez point l’esprit. Lorsque notre roi vous a fait le privilège de nous
offrir ces terres en même temps que votre titre, vous auriez été bien en peine de refuser.
LE COMTE
Voyez où cela nous mène ! Nous sommes sur le point d’être grillés vifs au cas où vous ne l’auriez
point remarqué !
LA COMTESSE
Mais, mon ami, nous n’y sommes pas encore !
LE COMTE
Ventrebleu ! Quelle diablerie que cette folie des esprits faibles !
LA COMTESSE, s’étirant avec volupté.
Ah ! Je vous en prie, mon ami, ne jurez pas, je déteste cela !
LE COMTE
Vraiment, madame ! Parfois, vous avez le don de m’exaspérer. Ouvrez les yeux, bon sang ! Nous
devons fuir au plus vite et nous réfugier à Paris.
LA COMTESSE, haussant les sourcils.
Ouvrez plutôt les vôtres, Charles ! À Paris, vraiment ? Mais, mon pauvre ami, la peur de mourir vous
fait perdre la tête ! La situation à Paris est bien pire qu’ici ! Ne saviez-vous pas que l’Hôtel de Ville
et la Bastille sont depuis longtemps aux mains du petit peuple ? À Paris ! Je préfère encore fuir en
Angleterre ! Et d’ailleurs, j’ai demandé la femme de chambre, Suzanne, pour préparer quelques
bagages. Elle ne devrait plus tarder. Plutôt qu’à Paris, il faut nous rendre à Versailles, sous la
protection du roi.
LE COMTE, poussant un gros soupir.
Vous avez peut-être raison. J’en profiterais pour faire remarquer au roi que ces terres sont certes riches
mais peut-être un tantinet bruyantes… je dirais…
LA COMTESSE, lui jetant un regard courroucé.
N’ironisez pas ! Ça n’est pas le moment !
On frappe à la porte et la femme de chambre entre.
LA COMTESSE, avec une moue de reproche.
Ah ! Suzanne ! Enfin vous voilà ! Vous en avez mis du temps ! Voilà une heure que je vous ai
sonnée !
SUZANNE
Oh ! À peine, madame, juste cinq minutes.
LA COMTESSE, interloquée.
Bah ! Voyons, Suzanne ! Je ne vous permets pas (voyant que Suzanne s’apprête à parler). Taisez-vous !
Allez plutôt préparer les malles de voyage pour monsieur le comte et moi. Et dites à Hubert de
préparer la voiture !
À ce moment, Hubert entre en trombe dans la pièce, tandis qu’au-dehors les cris se font soudain assourdissants.
HUBERT, affolé.
Monsieur ! Monsieur ! Oh ! c’est une catastrophe ! Ah ! Monsieur, vite ! c’est une catastrophe ! Ah !
Mon Dieu !
LE COMTE
Hé bien, Hé bien, Hubert ! Parlez ! Que se passe-t-il ?
HUBERT, les yeux agrandis par la peur.
Les paysans, monsieur, les paysans ! ils sont là ! devant les grilles ! Avec des fourches, des couteaux, des
haches, des faux, et… et… Oh ! Seigneur ! et des flambeaux, monsieur !
Les trois autres sont muets de stupeur. Il y a un silence consterné.
LA COMTESSE, très pâle.
Seigneur, Marie, Joseph, ayez pitié de nos âmes !
Au-dehors les grilles cèdent.
Réponses aux questions – 12
A c t e
I I ,
s c è n e
4
( p p .
7 5
à
8 3 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 84 à 86)
! Les
didascalies sont au début de la scène et mettent en place une situation qui ne changera pas.
L’atmosphère paisible de la scène repose sur cette stabilité. Le lieu est familial : le « palais des Soderini ».
De plus, les trois personnages sont « assis » – ce qui est propice à la conversation. Le « livre » confirme
l’ambiance studieuse.
" Le rêve baigne dans un clair obscur : la « nuit obscure » (l. 437), complétée par le vêtement « noir »
(l. 441) de l’homme, est faiblement éclairée par la « lampe » (l. 434 et 444), dont on remarque qu’elle
est « loin » (l. 434) de Marie. Cette atmosphère, un peu inquiétante, est donc propice à la rêverie.
Mais elle est aussi symbolique car l’opposition du jour et de la nuit révèle la dualité de Lorenzaccio,
dont la mère rêve qu’il redevienne son « Lorenzino d’autrefois » (l. 445), comme « aux jours de [son]
enfance » (l. 436).
# Cette scène contraste avec le milieu dans lequel évolue habituellement Lorenzaccio : atmosphère
familiale, calme, paix, foi en un Lorenzo meilleur.
$ Jusqu’au récit du rêve, la parole est distribuée équitablement entre les trois personnages – ce qui
contribue à l’harmonie dégagée par la scène. Le rêve occupe la seule tirade de l’extrait et met en
lumière le rôle décisif de la mère du héros. Par ce récit, elle donne vie une seconde fois à Lorenzo.
Après cette tirade, Catherine s’efface (elle ne prend plus la parole qu’une seule fois) pour laisser place
à un dialogue décisif entre la mère et le fils : Lorenzaccio prend un engagement.
L’affection que les personnages éprouvent les uns pour les autres est rendue par les adjectifs possessifs
et par les diminutifs hypocoristiques : « Ma Cattina » (l. 411), « Mon enfant » (l. 431), « mon
Lorenzino » (l. 436 et 445), « Renzo » (l. 442). Par ailleurs, Lorenzaccio avoue de manière explicite
son affection pour les deux femmes : « Je vous estime, vous et elle. Hors de là, le monde me fait horreur »
(l. 429-430). L’inquiétude de Catherine (l. 455) trahit aussi l’affection qu’elle a pour son neveu.
% « Tes livres latins » (l. 412) / « Celui-ci n’est point en latin » (l. 413) ; « C’est l’histoire romaine » (l. 414)
/ « Je suis très fort sur l’histoire romaine » (l. 415) ; « Sais-tu le rêve […] ? » (l. 431) / « Quel rêve ? »
(l. 432) ; « Vous l’avez vu ? » (l. 446) / « Comme je te vois » (l. 447) ; « ce matin en rentrant » (l. 449) /
« Et il s’en est allé quand je suis rentré ? » (l. 450-451). Ce procédé s’appelle une « stichomythie » : les
répliques s’enchaînent rapidement, rebondissent sur les mêmes mots et montrent la continuité de la
pensée d’un personnage à l’autre. C’est une manière de suggérer le lien entre les trois personnages.
& « Ma mère » (l. 410 et 456), « votre mère et votre sœur » (l. 428), « mon enfant » (l. 431). On peut
ajouter, bien que cela ne concerne pas les personnages en scène, « Tarquin le fils » (l. 416) et « petites
filles » (l. 420). Le champ lexical des relations familiales est assez important dans la scène. Il montre la
force des liens qui unissent les personnages. On remarquera l’indulgence et la bienveillance des
femmes envers Lorenzaccio et le respect de ce dernier à leur égard. Ce regard sur le héros est tout à
fait inhabituel dans la pièce. Dans la sphère de l’intime, il apparaît comme tout à fait récupérable – ce
qui apporte un éclairage nouveau sur le personnage et laisse entrevoir la fin du drame.
' Le personnage qui occupe le plus la parole est Marie car elle prononce la seule tirade de l’extrait.
C’est elle qui, par son rêve, profère une sorte de révélation : Lorenzaccio pourrait redevenir le
« Lorenzino d’autrefois » (l. 445).
( Les confidences de Lorenzaccio sont sollicitées par des questions de la part des femmes (l. 422, 427428, 455), puis les questions changent de camp et, après le récit du rêve, c’est Lorenzaccio qui
interroge sa mère, comme pour tenter de déchiffrer le rêve et d’y voir un signe. La confidence prend
la forme du récit intime du rêve mais aussi de l’aveu affectueux de la part de Lorenzo (l. 429-430) ou
encore de la promesse mystérieuse (l. 456-458).
) Le discours de l’intimité s’exprime, dans un récit, à la 1re personne. Le moment évoqué est un
moment de solitude (l. 434), un état de demi-veille (l. 433), la nuit (l. 437). Marie convoque des
souvenirs : « Je songeais aux jours où j’étais heureuse, aux jours de ton enfance » (l. 435-436). Elle évoque, par
le discours direct, ses inquiétudes et ses regrets de mère (l. 437-438 : « Il ne rentrera qu’au jour, lui qui
passait autrefois les nuits à travailler »), sa douleur aussi (l. 438-439 : « Mes yeux se remplissaient de larmes »).
La tirade nous apprend que Lorenzaccio a eu un autre visage, celui d’un jeune homme studieux
(l. 438 : « qui passait autrefois les nuits à travailler » ; l. 444-445 : « il a ouvert son livre »). Marie vit dans la
Lorenzaccio – 13
nostalgie de cette période heureuse et – le rêve nous l’apprend – attend un changement de la part de
son fils. Lorenzaccio va commettre le meurtre en partie pour renouer avec la pureté d’autrefois et,
peut-être, ce faisant, ne pas décevoir sa mère.
*+ L’imparfait sert à préciser le contexte (l. 433-434), il évoque une action qui dure (l. 435-436). On
peut penser que les lignes 439-440 renvoient à des actions qui se répètent. L’ensemble de ces
imparfaits prépare l’action de premier plan, rapportée au passé composé. Le passé composé est préféré
au passé simple car il est plus naturel dans une conversation, et puis l’action, rapportée au passé
composé, n’apparaît pas coupée du moment présent. Tout se passe comme si le rêve avait laissé sur
Marie des impressions qui ne s’estompent pas : en le racontant, elle revit le rêve. Ce temps permet
d’effacer la frontière entre le passé et le présent.
Ce rêve éveillé relève de l’hallucination. Le récit de ce rêve provoque une grande émotion chez
Lorenzaccio qui se traduit par des questions brèves et précises, par des tremblements (l. 435) et par
une promesse en forme de défi, faite spontanément, sous le choc de la révélation.
Le récit de Marie joue un rôle de catalyseur dans le cheminement intérieur du jeune homme. Il met
sans doute fin à ses doutes et l’oriente définitivement vers le meurtre rédempteur.
*, Les indicateurs temporels, dans la tirade de Marie, renvoient au passé de Lorenzo, par opposition au
présent de débauche et de dépravation du jeune homme : « aux jours où j’étais heureuse, aux jours de ton
enfance » (l. 435-436), « autrefois » (l. 438 et 445).
« Tout d’un coup » (l. 440) annonce l’action qui vient rompre l’atmosphère paisible décrite au début de
la tirade.
La dualité de Lorenzo n’est pas seulement l’ambiguïté présente du personnage, elle relève d’une nette
évolution dans le temps : il y a le Lorenzo d’avant et le Lorenzo d’aujourd’hui. Cette opposition est,
du reste, traduite par la manière de le nommer : « Lorenzino » est devenu « Lorenzaccio ». À l’affection
a succédé le mépris.
*- La lecture que Lorenzaccio fait de l’histoire de Tarquin et de Lucrèce appartient au registre
ironique : « c’est un conte de fées » (l. 418), « Brutus était un fou, un monomane » (l. 418-419), « Tarquin
était un duc plein de sagesse » (l. 419-420). Le procédé utilisé est celui de l’antiphrase, laquelle devient
franchement de la provocation par l’euphémisme qui clôt la réplique : « qui allait voir en pantoufles si les
petites filles dormaient bien » (l. 420-421). Le cynisme de Lorenzo atteint son comble quand il
commente l’attitude de Lucrèce : « Elle s’est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas » (l. 423-424).
La suite du commentaire est également très tendancieuse : le suicide de Lucrèce apparaît comme une
sorte de redoublement du viol, vu comme une source de plaisir (l. 425-426 : « elle s’est fourré bien
gentiment son petit couteau dans le ventre »).
La parodie consiste ici à transformer « une histoire de sang » (l. 417) en « conte de fées » (l. 418) : le
lexique devient alors mélioratif (« sagesse », « bien ») et évoque un monde enchanté et rassurant
(« pantoufles », « petites filles », « dormaient », « gentiment » ; même le « couteau » est « petit »).
*. Ces relevés éclairent la facette la plus odieuse de Lorenzaccio et illustrent une perversité
ostensiblement affichée.
*/ Lorenzaccio révèle ce qu’il est vraiment au fond de lui quand il avoue que « le monde [lui] fait
horreur » (l. 429-430). Le cynisme de Lorenzaccio est, en vérité, l’expression du désespoir.
*0 Le rêve de Marie confirme cet aspect du personnage en révélant sa pureté passée.
*1 Le « spectre » représente un Lorenzo mort maintenant mais, comme dans Hamlet, il révèle une vérité
déterminante pour la suite de la pièce. Il a l’« air mélancolique » (l. 452) car il pleure le Lorenzo d’autrefois.
*2 La dernière phrase de l’extrait, bien qu’elle reste énigmatique, annonce un coup de théâtre (l. 458 :
« quelque chose qui l’étonnera »). Le spectre illustre le dédoublement du personnage et le conflit
intérieur. La tournure « mon spectre » est d’ailleurs révélatrice.
*3 Tarquin est clairement assimilé à Alexandre. Lorenzaccio dit même de Tarquin qu’il était un
« duc », commettant une erreur puisqu’il s’agit, en vérité, d’un roi. Quant à Lorenzo, il s’identifie au
régicide Brutus (l’identification est explicite à la scène 3 de l’acte III). On peut penser que, s’il
demande fiévreusement à Catherine la lecture de l’histoire du héros romain (l. 454), c’est pour
confirmer sa décision de tuer Alexandre. De plus, la manière dont Lorenzaccio rend compte de la fin
de Lucrèce (l. 423 : « Elle s’est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas ») évoque la trajectoire de
Lorenzaccio. Tarquin, présenté par antiphrase de manière élogieuse, illustre les tentations négatives du
Réponses aux questions – 14
héros dont le modèle de Brutus va illustrer la rédemption. Au bout du compte, c’est Lucrèce, qui
incarne, dans la bouche de Lorenzaccio, une héroïne féminine ambiguë, qui pourrait bien rendre
compte de la complexité du jeune homme, de toutes ses facettes, y compris de sa féminité.
*4 En tuant Alexandre, Lorenzaccio retrouvera son unité. En commettant un acte viril et politique (le
régicide), il délivrera sa ville du tyran et se délivrera lui-même des tentations du vice. Ainsi, il
redeviendra le « Lorenzino d’autrefois » et retrouvera la pureté perdue.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 87 à 95)
Examen des textes et de l’image
Les six premières questions ont été traitées par Vincent Makary, élève de Seconde 10, en 2003-2004, au lycée
Montesquieu d’Herblay (95).
! Les dix premières strophes du poème sont construites par couple et selon un schéma répétitif. En
effet, nous pouvons regrouper les sizains deux par deux. Chaque groupe est formé d’un premier sizain
présentant l’âge auquel le poète a vu son double vêtu de noir et d’un second sizain dans lequel il
donne plus de détails sur le personnage.
• Sizains impairs (1, 3, 5, 7, 9)
Chaque premier vers des sizains impairs commence par un indicateur temporel : v. 1 : « Du temps que
j’étais écolier » ; v. 13 : « Comme j’allais avoir quinze ans » ; v. 25 : « À l’âge où l’on croit à l’amour » ;
v. 37 : « À l’âge où l’on est libertin » ; v. 49 : « Un an après, il était nuit ».
Chacun de ces vers désigne une période de la vie du poète. Les deuxième et troisième vers précisent
ce que faisait le poète au moment de la rencontre et à quel endroit il se trouvait.
V. 2-3 : « Je restais un soir à veiller / Dans notre salle solitaire. »
V. 14-15 : « Je marchais un jour à pas lents, / Dans un bois, sur une bruyère. »
V. 26-27 : « J’étais seul dans ma chambre un jour / Pleurant ma première misère. »
V. 38-39 : « Pour boire un toast en un festin / Un jour je soulevai mon verre. »
V. 50-51 : « J’étais à genoux près du lit / Où venait de mourir mon père. »
Nous retrouvons la même structure : « je » + verbe à l’imparfait + compléments divers + complément
de lieu. Le complément de temps reste toujours assez vague et répétitif : « un jour » ou « un soir ». Le
quatrième vers du sizain reprend à chaque fois la périphrase verbale « vint s’asseoir », en modifiant
seulement les lieux : « Devant ma table » (v. 4), « Au pied d’un arbre » (v. 16), « Au coin du feu » (v. 28),
« En face de moi » (v. 40), « Au chevet du lit » (v. 52).
Au cinquième vers de ces sizains, le poète présente, à chaque fois, un personnage vêtu de noir : v. 5 :
« Un pauvre enfant vêtu de noir » ; v. 17 : « Un jeune homme vêtu de noir » ; v. 29 : « Un étranger vêtu de
noir » ; v. 41 : « Un convive vêtu de noir » ; v. 53 : « Un orphelin vêtu de noir ».
Le dernier vers est une sorte de refrain qui revient cinq fois aux vers 6, 18, 30, 42, 54 : « Qui me ressemblait
comme un frère ». On a l’impression que la coïncidence est mécanique et qu’elle ne doit rien au hasard.
• Sizains pairs (2, 4, 6, 8, 10)
Musset y raconte les actions du personnage vêtu de noir et s’efforce de le décrire. Tantôt il décrit son
air ou une partie de sa personne (v. 7 : « Son visage était triste et beau » ; v. 31 : « Il était morne et
soucieux » ; v. 46 : « Son bras maigre » ; v. 55 : « Ses yeux étaient noyés de pleurs »), tantôt il précise les
objets que tient le double. Dans le deuxième sizain, il se contente de se pencher sur le livre du poète
(v. 9 : « Dans mon livre ouvert il vint lire ») ; dans le quatrième, il tient « un luth » et « un bouquet
d’églantine » (v. 20-21) ; dans le sixième, il porte « un glaive » (v. 33) ; dans le huitième, « un haillon de
pourpre en lambeau » (v. 44) et « Sur sa tête un myrte stérile » (v. 45). Le dixième sizain reprend ces
objets : « son luth à terre », « sa pourpre », « son glaive » (v. 58-60) en y ajoutant une couronne d’épine
(v. 57) qui fait penser à celle du Christ.
À travers ces répétitions, le poète veut nous montrer que son double lui apparaît à différents moments
de sa vie. Il cherche à retracer les moments importants pour lui en insistant sur le fait que son double
évolue comme lui : il est d’abord un enfant studieux (comme Lorenzo), puis un jeune homme
amateur de poésie, ensuite un amoureux éconduit avant de devenir libertin, et enfin un orphelin. Sur
le plan poétique, les répétitions et les structures identiques rythment le poème et lui donnent une
ossature. Le refrain des sizains impairs nous fait penser également à une chanson mélancolique.
Lorenzaccio – 15
" Le
double du poète est toujours vêtu de noir (v. 5, 17, 29, 41, 53), symbole de tristesse et de deuil. Il ne
parle jamais et se présente comme un spectateur muet du poète. Au début, il se penche sur sa main (v. 10).
Lors de sa deuxième apparition, il lui fait « un salut d’ami » (v. 22) et lui montre « du doigt la colline » (v. 24).
Il paraît assez présent et amical et indique au locuteur ce qu’il doit faire. La troisième fois, il souffre en
silence avec le poète et se contente de pousser un soupir avant de « s’évanouir comme un rêve » (v. 36). La
quatrième fois, il trinque avec le poète et « son bras maigre » (v. 46) annonce la « main débile » du narrateur
(v. 48). Enfin, il pleure à côté de Musset orphelin et ressemble au Christ avant sa passion.
Les objets décrits sont tous symboliques et représentatifs des différentes périodes de la vie de Musset :
le « livre » (v. 9) symbolise son goût pour les études et la littérature ; le « luth » et le « bouquet
d’églantine » (v. 21) représentent son amour pour la poésie ; le « glaive » (v. 33) est le symbole de la
souffrance ; le « verre » (v. 39) celui de la débauche et de l’ivrognerie ; le « haillon de pourpre » (v. 44)
représente sa corruption physique et morale ; tandis que le « myrte stérile » (v. 45), désignant la plante
de Vénus, fait allusion à ses amours de débauché et à sa maladie. À la fin, le double porte une
couronne d’épine (v. 57) et les restes de son manteau de pourpre, comme le Christ. Il est au comble
de la souffrance ; la pourpre ne renvoie plus à la gloire ni à la royauté mais au sang : le glaive s’est
enfoncé dans sa poitrine. Son luth gît à terre (v. 58) – ce qui signifie qu’il a perdu son goût pour la
poésie et peut-être son talent de poète.
# Les indicateurs temporels proprement dits, ainsi que le champ lexical du temps, comprennent les mots
suivants : « alors » (deux occurrences), « derrière eux », « devant eux », « le siècle présent », le « passé » (deux
occurrences), « l’avenir » (deux occurrences), « le présent », le « crépuscule », « ni la nuit ni le jour ». Musset
présente les jeunes gens de sa génération pris entre le passé et l’avenir. Il oppose clairement le passé de
ruines que représente l’absolutisme en utilisant le champ lexical de la destruction : « détruit », « s’agitant
sur ses ruines », « tous ses fossiles » à l’avenir plus radieux symbolisé par la métaphore de la lumière (« les
premières clartés »). Entre les deux, le présent ressemble à « une mer houleuse et pleine de naufrages ». L’auteur
affirme que les jeunes de son époque rejettent le passé pour choisir l’avenir : « du passé ils n’en voulaient
plus […] l’avenir, ils l’aimaient ». Il compare également le présent à un crépuscule, à mi-chemin entre la
nuit et le jour, un monstre angoissant et effrayant : « ce spectre moitié momie et moitié fœtus ».
Musset emploie trois temps de l’indicatif différents :
– l’imparfait qui décrit une situation qui dure encore (« partageaient », « s’offrait », « se présentait »,
« voulaient », « aimaient », « était », « attendaient », « restait ») ;
– le passé simple qui souligne les actions de premier plan (« fallut », « trouvèrent », « entra ») ;
– on remarque encore de nombreux sauts dans le présent (« sépare », « est », « ressemble ») qui
renvoient à une vérité générale ou à un présent d’énonciation, commentaire du narrateur : « Je ne sais
quoi », « car la foi en rien ne se donne ».
$ Le texte C comprend plusieurs images :
– celle de la ruine (« détruit », « ruines », « fossiles », « débris ») qualifie le passé de la génération de Musset, à
savoir l’Ancien Régime, la monarchie absolue de droit divin qui a sombré au moment de la Révolution ;
– celle de la lumière (« l’aurore d’un immense horizon », « les premières clartés de l’avenir ») désigne l’espoir
d’un avenir plus heureux qui aurait pu s’offrir aux jeunes de cette époque ;
– Musset compare la différence entre ce passé et cet avenir à « l’océan qui sépare le vieux continent de la
jeune Amérique » et emploie tout un champ lexical de la mer : « vague », « flottant », « mer houleuse et
pleine de naufrages », « traversée », « voile », « navire ». Le présent apparaît inquiétant et dangereux. On
ne sait quand il débouchera sur une situation nouvelle ;
– Musset utilise également l’image de la « semence » pour désigner l’avenir. C’est une métaphore
positive qui souligne l’idée d’espérance ;
– le poète évoque l’histoire mythique de Pygmalion qui sculpta une statue dont il tomba amoureux. Les
jeunes sont comparés à Pygmalion et l’avenir à la statue Galatée. Ils attendent que l’avenir prenne vie ;
– « l’esprit du siècle » est enfin représenté sous la forme d’un « ange du crépuscule, […] assis sur un sac de
chaux plein d’ossements, […] spectre moitié momie et moitié fœtus ». La momie évoque le passé en ruine et
le fœtus le présent en gestation.
% Franck Lestringant s’efforce d’être objectif. Nous le déduisons d’un certain nombre d’éléments du texte :
– il précise la date du mardi 13 août 1839, date d’une entrevue entre Musset et sa « marraine »,
Mme Jaubert ;
– il cite le nom de Paul de Musset, frère d’Alfred, qui a évoqué cette entrevue, puis celui d’Émile Henriot,
biographe du poète, qui suggère que ce soir-là Musset a révélé son terrible secret à sa marraine ;
Réponses aux questions – 16
– Lestringant ne prend pas vraiment parti : « Vraie ou fausse confidence », il préfère citer les mots que
Mme Jaubert confia au frère du poète ;
– il utilise, avec prudence, des modalisateurs pour interpréter la fameuse « révélation » du poète :
« pouvait », « on pouvait supposer », « paraît », « pour une part », le verbe songer, les conditionnels
« serait », « il faudrait voir », « s’expliquerait », « découlerait » ;
– il prend de la distance aussi bien par rapport à Paul de Musset, qui estime que George Sand serait la
cause de tous les malheurs d’Alfred, que par rapport à Émile Henriot, qui met tout sur le compte de
l’épilepsie en raison d’une phrase de George Sand portant sur l’« épilepsie intellectuelle » de Musset ;
– il ne propose sa propre interprétation qu’à la fin du texte : Musset souffrait d’une maladie sexuelle
incurable. L’alcool et les aventures représentaient une sorte de « suicide lent ».
& Le champ lexical de la souffrance et de la honte comprend les mots : « éprouvante », « confession
navrante », « noyer son supplice », « pathétique », « des soupirs et des larmes », « un immense désespoir », « un
aveu d’impuissance », « en confessant le péché d’ivrognerie », « vice », « un mal […] plus grave », « une douleur
incurable et mortelle », « une maladie honteuse », « la blessure morale », « ce mal secret », « maladie », « souffrit »,
« un mal plus pernicieux », « ce mal invétéré », « l’inoculation du germe fatal », « la fusion du plaisir et du crime »,
« un imaginaire sadique », « traumatisme », « la tare charnelle », « les convulsions de la chair ».
À la lecture de ce texte, la souffrance de Musset paraît aussi bien physique que morale. D’après Franck
Lestringant, le mal-être de Musset viendrait principalement de la maladie incurable qu’il attrapa dans
sa jeunesse. Il y aurait une cause physique – la maladie elle-même – et morale – la honte d’avoir
attrapé un tel mal.
' Dans l’illustration de La Nuit de décembre par Eugène-Louis Lami, on remarque chez le poète, assis à
droite de l’image, l’expression de la souffrance. Accablé, il a les épaules baissées et se tient la tête dans
la main. Douleur, angoisse, réflexion semblent le caractériser. Dans la diagonale – du fou ? –, en haut
à gauche, le double vêtu de noir, dans une attitude qui fait écho à celle du poète. Par terre, le luth
abandonné de la poésie et, sur le lit, un mort, sans doute le père de Musset. L’illustration reprend
donc de nombreux éléments de la vie de Musset, et en particulier de La Nuit de décembre, notamment
le thème du double, récurrent dans l’œuvre de Musset.
( L’atmosphère de la scène est lugubre et inquiétante, en particulier grâce à deux procédés : le flou créé
à la fois par des drapés de tissus et par l’utilisation des traits plutôt que de surfaces entièrement colorées.
Par ailleurs, le clair-obscur qui illumine le lit mortuaire renforce l’atmosphère presque surnaturelle.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
L’extrait de La Nuit de décembre souligne l’obsession du double qui semble un trait autobiographique
(dernière strophe citée) et met l’accent sur les multiples souffrances du poète : après une jeunesse
studieuse, douleur d’amour, débauche, faiblesse physique, perte du père, doute quant à l’inspiration
poétique. Le document iconographique illustre fidèlement un certain nombre de thèmes du poème
(présence du double, expérience de la souffrance et de la mort, défaite de la poésie). La Confession
d’un enfant du siècle avance des causes historiques à cette souffrance : elle est celle de toute une
génération, prisonnière d’un monde où elle ne trouve pas sa place, d’un présent indécidable, entre les
débris d’un système périmé et un avenir qui a du mal à se dessiner. La biographie de Franck
Lestringant donne un éclairage moderne, érudit et psychanalytique à la souffrance du poète :
alcoolisme, rapport névrotique aux femmes, tout s’expliquerait par la syphilis, contractée précocement
et dont il mourra (« le désir de rejouer cette scène première où la découverte de la jouissance et l’inoculation du
germe fatal se produisirent dans le même instant »).
Commentaire
Proposition de plan.
1. L’organisation du récit
A. Une organisation chronologique nette
• De nombreuses indications temporelles.
• Une alternance imparfait / passé simple.
• Le rythme du récit : octosyllabes + grand nombre de strophes (un rythme narratif rapide).
Lorenzaccio – 17
B. Des contextes variés
• Scènes d’extérieur et scènes d’intérieur.
• Des situations théâtralisées.
C. Un récit à deux personnages
• Le locuteur est le personnage principal : récit à caractère autobiographique (présence du « je »,
parallélismes avec la vie de Musset).
• Un double qui fonctionne précisément comme un redoublement du « je ».
2. L’expression du double
A. Une présence systématique
Au point de vue de la versification, le motif du double est renforcé par la construction symétrique des
strophes et par la présence d’un refrain qui souligne l’idée d’un retour mécanique.
B. Les constantes dans la représentation du double
• Il est toujours vêtu de manière identique.
• Il établit avec le poète une relation affective qui passe souvent par un contact physique.
C. Le « statut » du double
La présence du double inscrit le poème dans le genre fantastique. « Vision », hallucination ? En tout
cas, il s’agit d’un thème récurrent, voire obsédant chez Musset.
3. Comment interpréter le poème ?
A. Le double, miroir du « je »
Vieillissement, communauté de sentiments et de situations avec le poète.
B. Les fonctions symboliques du double
• Une allégorie de la poésie.
• Une figure christique du sacrifice.
C. Comment interpréter cette figure du double ?
• Une image de la conscience de Musset ?
• Une image de la solitude du poète.
Dissertation
Proposition de plan.
1. L’écriture autobiographique est souvent l’expression d’une douleur
A. L’écrivain peut écrire pour se libérer d’un poids trop lourd
• Nombreux aveux, depuis Les Confessions, dans l’écriture autobiographique.
• Il peut s’agir aussi d’un passé difficile, de scènes traumatisantes que l’écriture autobiographique va
exorciser.
B. L’écrivain peut reprendre les rênes de sa vie
Car l’écriture autobiographique, en faisant le bilan d’une vie, en en ordonnant les événements,
permet d’en reprendre le contrôle, d’accepter ses souffrances (l’œuvre d’Annie Ernaux fonctionne de
cette manière, en particulier La Place).
C. L’expression idéale de la douleur
L’écriture autobiographique, plus que toute autre, sans doute, permet d’exprimer la difficulté de vivre,
les angoisses, les craintes, les souffrances inhérentes à la condition humaine. En témoignent notamment
les formes d’écriture autobiographique au jour le jour comme le journal intime ou la lettre. C’est
particulièrement vrai quand l’écrivain est confronté à un grave malheur comme la maladie. Cf. les récits
bouleversants d’Hervé Guibert sur le sida : À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Le Protocole compassionnel.
2. À quelles motivations autres peut répondre l’écriture autobiographique ?
A. L’écriture autobiographique comme témoignage
Si l’on a joué un rôle important sur la scène de l’histoire, on peut avoir envie de donner sa vision des
faits et des hommes (genre des mémoires ; par exemple, les savoureux et vivants mémoires du cardinal
de Retz). Mais il arrive aussi que des gens modestes veuillent témoigner de métiers disparus ou de
Réponses aux questions – 18
traditions perdues (récits de vie). Ces récits autobiographiques constituent de précieux témoignages
(ex. : La Soupe aux herbes sauvages d’Émilie Carles).
B. La recherche d’explications, la quête d’un sens
Partir à la quête de soi et essayer de ressaisir ses émotions et ses sentiments permet de mieux se
comprendre. Sartre, dans Les Mots, fait la genèse de sa vocation d’écrivain.
C. Faire partager son expérience et sa vision du monde
L’écrivain, en écrivant un texte autobiographique, peut vouloir transmettre sa vision du monde et
donner une leçon de vie, orienter le lecteur en fonction de son expérience propre. On peut penser à
Montaigne dans les Essais.
3. La fécondité littéraire de la douleur
A. La tradition lyrique
La tradition littéraire contient de nombreux thèmes douloureux : la fuite du temps, la douleur
d’aimer, l’exil, etc. Ces thèmes sont universels, rencontrent l’expérience de tous et fondent le lyrisme,
en particulier en poésie. Mais il n’y a pas vraiment de littérature du bonheur : tous les grands textes
contiennent leur part d’ombre et de souffrance. Quand Colette célèbre la nature dans La Maison de
Claudine, pointent nettement la nostalgie du passé et le regret d’un paradis à jamais perdu. « On ne fait
pas de littérature avec de bons sentiments », écrit Gide.
B. Des émotions extrêmes
Les grandes douleurs ou les souffrances quotidiennes permettent l’émergence de sentiments
suffisamment forts pour être dignes d’être écrits. C’est souvent sous le choc d’un événement
douloureux que les auteurs écrivent leurs plus beaux textes : pensons à des œuvres aussi différentes
que Rhénanes d’Apollinaire ou Si c’est un homme de Primo Levi. « Frappe-toi le cœur ! C’est là qu’est le
génie », conseille Musset.
C. La sublimation de la douleur par l’écriture
C’est une des fonctions de l’écriture de transformer la douleur en émotion esthétique et donc de la
transfigurer. C’est un moyen aussi de rendre immortel un être cher (Les Contemplations de Victor
Hugo ou Le Livre de ma mère d’Albert Cohen). Si la douleur est assurément une source d’inspiration,
l’écriture est une consolation.
Écriture d’invention
On valorisera évidemment le respect de la forme dialoguée, si possible mise en contexte. On notera
aussi positivement la diversité de la réflexion, sa progression, la qualité de l’argumentation, le recours à
des exemples, à des modèles, si possible empruntés à la littérature. Le dialogue devrait prendre en
compte les angoisses propres à l’adolescence.
A c t e
I I I ,
s c è n e
2
( p p .
1 1 1
à
1 1 4 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 115 à 117)
Première partie : le désaccord (l. 108 à 163) – l. 108 à 150 : stratégies politiques générales ; l. 151 à
163 : accélération, courtes répliques, projet politique à court terme. Seconde partie : brutal
retournement de situation ; Philippe se rallie à la cause de son fils (l. 164 à la fin).
" On relève dans l’extrait de nombreuses phrases interrogatives qui permettent un véritable échange
entre le père et le fils. Dans le discours didactique de Philippe, nombreuses sont les questions
rhétoriques, mais il y a aussi de vraies questions, en particulier dans l’échange rapide entre les deux
hommes, qui fait changer d’avis le père. En témoigne la ligne 151 : « Où en viendrez-vous ? réponds-moi. »
# Les répliques de Pierre sont, le plus souvent, courtes et ont une valeur informative. La dernière
réplique du jeune homme est, cependant, un peu plus longue et lyrique. Quant à Philippe, il prononce
plusieurs tirades. En tant que patriarche, il fait la leçon et fait partager le fruit de son expérience.
$ Le sentiment paternel de Philippe s’exprime par l’adjectif possessif et le rappel de sa paternité
(l. 134-135 : « Ne suis-je pas le père de ma Louise […] ? » ; l. 165 et 172 : « mes enfants », « mon
enfant »). Il s’exprime également à travers la métaphore de « l’aigle » et des « aiglons » (l. 164-165).
!
Lorenzaccio – 19
Philippe rejoint la révolte menée par son fils autant par idéalisme politique que par sentiment
paternel.
& Dans la première partie du texte, Pierre pousse son père à la révolte, lui fait la leçon, argumente :
verbe devoir (l. 139), questions rhétoriques (l. 145-149), présent de vérité générale (l. 149). Le jeune
homme rappelle donc son père à son devoir, le ton est sentencieux. À la fin de la scène, quand
Philippe se rallie à l’action de son fils, ce dernier exprime de l’émotion, du respect (« Nous baiserons le
bas de votre robe.Vous êtes notre patriarche »), de la tendresse (« vieux jardinier de Florence »). Le ton est
alors lyrique.
' La métaphore « Savez-vous compter sur vos doigts ? » évoque un apprentissage enfantin. Avant le
passage à l’abstraction (calcul mental). On peut proposer deux sens pour cette métaphore : les jeunes
gens, autour de Pierre, échafaudent de grands projets sans connaître les premières bases de la
politique ; ou bien c’est une manière de mettre l’accent sur leur méconnaissance de la situation
concrète de la ville, de la vie réelle.
( Philippe utilise le pronom pluriel de 2e personne (« Vous ») quand il s’adresse, à travers Pierre, à
toute la jeunesse florentine prête à le suivre (l. 115 : « Ô enfants ») . Il utilise « tu » ainsi que des
impératifs de 2e personne du singulier quand il s’adresse seulement à son fils (l. 172 : « mon enfant »).
Philippe se pose donc à la fois en père aimant et en patriarche de toute la jeunesse.
) Philippe reproche à Pierre d’avoir agi légèrement (l. 114-115 : « rien d’arrêté ? pas de plan ? pas de
mesures prises ? »). Il lui reproche donc son manque de responsabilité politique. Le champ lexical est
celui des plaisirs légers : « jouer » (l. 115), « en faisant des armes » (l. 121), « un verre de vin d’Espagne »,
« cheval » (l. 122), « mascarade » (l. 123), « jouer aux dés » (l. 141).
*+ Le texte insiste à plusieurs reprises sur l’âge de Philippe (l. 117 : « ont blanchi des milliers de têtes »).
On relève également cinq occurrences du verbe savoir dans les propos de Philippe et les expressions
qui suivent sont explicites : « le vieil aigle » (l. 164), « vous qui avez la force que j’ai perdue » (l. 166), « le
jeune Philippe, laissez-le avoir vieilli pour vous » (l. 167), « cette tête grise » (l. 170-171), « vieux jardinier de
Florence » (l. 176-177). Ainsi Philippe représente-t-il la sagesse, liée traditionnellement à l’âge.
*, On relève dans les propos de Philippe quatre anaphores de « savez-vous » (l. 123, 127, 129-130),
ainsi que « sais-tu » (l. 136) et « savent » (l. 137). Bien évidemment, l’utilisation de ce verbe renvoie à
l’acquis, à l’expérience, au vécu, donc au passé. On remarque que Pierre s’empare ensuite du verbe
(l. 139, 147) : le savoir est en train de changer de mains. Si Philippe est un modèle, Pierre représente
l’avenir, et on assiste, dans cette scène, à une passation de pouvoir entre deux générations.
*- Dès la deuxième réplique qu’il prononce, Philippe porte un regard distancié sur ce que lui dit
Pierre et passe du particulier au général. Il s’adresse à un destinataire collectif (le pluriel « enfants »),
puis évoque des entités abstraites : « la vie », « la mort », « la Providence », « l’homme », « le bonheur »,
« Dieu de justice ». Il utilise aussi le pluriel généralisant (« des questions », « des idées », « des projets ») et
se réfère à des valeurs hautement symboliques (« république », « artisan », « laboureur », « citoyen »,
« royaume »). Philippe élargit donc le problème posé par son fils et passe immédiatement à une vision
de politique générale presque philosophique.
*. Le vocabulaire religieux apparaît à travers les mots « Providence », « Dieu de justice », « Dieu ».
Philippe est un juste qui se place sous le regard de Dieu.
*/ Le verbe agir revient plusieurs fois pour évoquer le projet de Pierre (l. 159, 162, 168). On relève
également des verbes d’action (l. 154-155 : « vous aurez renversé […] que voulez-vous mettre à la
place ? » ; l. 159 : « décidé » ; l. 160 : « couper les jarrets »). Tandis que les verbes aller, venir, emmener
suggèrent le mouvement. On l’a vu dans les questions précédentes, Philippe représente le discours de
la sagesse et de l’expérience, de la mise à distance et de la réflexion. Les « flambeaux » (l. 148) et « les
nuits sans dormir » (l. 149) sont des images de la méditation. Mais cette réflexion est stérile si elle n’est
pas suivie par l’action.
*0 Le principal ressort qui pousse Pierre à l’action est la haine des Médicis (l.109-110 : « [nous] ne
portons pas le bâtard dans nos entrailles » ; l. 152 : « Les Médicis sont une peste »).
*1 C’est l’amour de Florence (« les meurtriers de Florence », « vieux jardinier de Florence ») qui explique, au
moins en partie, la haine qu’il voue aux Médicis. On remarque que, d’un point de vue symbolique,
par ses parentés sonores avec « fleur » et avec « France », le nom de Florence évoque une image à la
fois féminine et patriotique. À ce titre, elle peut cristalliser bien des désirs pour le jeune homme.
%
Réponses aux questions – 20
Le projet de Pierre s’exprime, dès la première réplique, par une litote, encore plus frappante que
l’expression directe de la haine. Mais on relève, également, de nombreuses métaphores (l. 112-113,
128, 152-153, 158, 160 et, de la ligne 175 à la fin, la métaphore filée du jardinage) qui traduisent
l’enthousiasme du jeune homme et donnent un ton lyrique à ses propos. Il se peut aussi que le fils
veuille s’approprier le langage du père.
*3 La plupart des répliques de Philippe appartiennent au registre lyrique. Des effets emphatiques sont
produits par :
– des répétitions : « Ô enfants, enfants ! » (l. 115) ;
– de nombreuses questions rhétoriques ;
– de nombreuses modalités exclamatives ;
– de multiples métaphores (il n’est peut-être pas nécessaire de demander aux élèves de toutes les
relever car elles sont très nombreuses) ;
– des accumulations (l. 123-126) ;
– des anaphores.
*4 Philippe élargit son propos politique vers la philosophie et même la métaphysique en évoquant des
notions abstraites (la vie, la mort, le bonheur). Il évoque aussi le problème du mal : « des projets que la
Providence elle-même regarde en silence et avec terreur » (l. 118-119). L’image des « grains de sable » renvoie
à la petitesse de l’homme et « blanchi des milliers de têtes » à son éphémère passage sur Terre. Les
questions de Philippe, de plus, restent souvent sans réponse.
5+ Philippe a un idéal politique qui passe par les notions de république et de citoyen. Il est attaché à la
liberté et au bonheur des hommes. Les notions d’honneur, de liberté et d’amour de la patrie sont
également importantes pour lui. En vérité, il y a une véritable filiation idéologique entre le père et le
fils, comme le souligne, du reste, Pierre : « Ne vous ai-je pas entendu cent fois dire ce que nous disons ? »
(l. 145-146).
*2
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 118 à 125)
Examen des textes et de l’image
! Ruy Blas met en accusation le pouvoir corrompu en apostrophant les ministres (v. 1-3). On trouve
aussi l’utilisation de l’antiphrase (v. 1-2), d’une mordante ironie et qui a aussi l’avantage de ramener
les ministres à leur devoir. L’accumulation des pertes et des menaces constitue une violente charge
contre le pouvoir en place.
" Le rappel de la grandeur passée de l’Espagne appartient au registre épique : les accumulations, les
noms propres, l’évocation de territoires infinis (« cinq mille lieues / De côtes ») vont dans ce sens. De
même que la présence d’un ennemi très puissant : « Du ponant jusques à l’orient, / L’Europe, qui vous
hait, vous regarde en riant » (v. 18-19).
# Ruy Blas, par cette tirade, est un héros à part entière car il maîtrise la parole longuement et avec
brio. Il impressionne autant par son éloquence que par ses qualités morales : loyauté, courage
politique, générosité, désir de justice.
$ Les marques de l’énonciation dans le discours de Créon sont nombreuses. Il y a de multiples
marques de la présence du destinataire car il veut convaincre sa nièce : apostrophe (« toi aussi, petite
idiote »), impératif (« Essaie de comprendre »), questions rhétoriques (« Crois-tu […] ? », « Tu imagines un
monde où […] ?, « Est-ce que tu le comprends, cela ? »), pronoms de 2e personne (« toi », « tu »). Le « je »
et le « moi » sont assez discrets et Créon préfère, avec une certaine finesse, faire ses leçons à la
3e personne, un peu comme des paraboles, sans doute pour éviter de heurter Antigone de front.
% La stratégie argumentative de Créon passe par des récits à la 3e personne, généraux et qui doivent
servir de leçon. Les phrases sont courtes, les images sont simples, familières et se veulent émouvantes.
L’éloquence passe par des répétitions (« Cela n’a pas de nom », « Il n’a plus de nom », « tu n’as plus de
nom », etc.). Le flot de paroles et les répétitions peuvent viser à hypnotiser Antigone, à endormir sa
conscience critique.
& Francis Huster, jouant Lorenzaccio, opte pour une attitude déterminée : le bras qui va frapper est
levé, l’épée fermement maintenue par une main crispée sur le fourreau. Le visage est grave et
Lorenzaccio – 21
concentré : regard fixe et mâchoire serrée. On sent le héros prêt à agir, même si une certaine
mélancolie se dégage aussi du regard.
' Musset reproche aux « antagonistes du Christ » d’avoir ôté aux plus pauvres l’espérance d’un monde
meilleur dans l’au-delà. En faisant douter le peuple de l’existence de Dieu, on lui a enlevé son
meilleur secours. Son désespoir actuel vient de là : vaincu sur Terre, il sait désormais qu’il le sera aussi
au Ciel.
( Cet extrait de La Confession d’un enfant du siècle est théâtral car il s’agit d’un discours qui s’adresse à
un destinataire apostrophé (« messieurs les politiques », « Ô raisonneurs sublimes »), interpellé par des
questions rhétoriques et mis en accusation par le pronom de 2e personne. À l’intérieur de ce discours
sont enchâssés d’autres discours (« tu prends patience », « Toi qui m’opprimes, tu n’es qu’un homme », etc.)
qui rendent le récit, par lequel passe ce réquisitoire, très vivant. Par ailleurs, un certain lyrisme,
produit par des structures symétriques et des anaphores, par exemple, incite à déclamer le texte.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Le jeune héros romantique a recours aux procédés du lyrisme ; enthousiaste et bouillonnant, il
n’hésite pas à user d’une parole amplifiée (métaphores grandiloquentes, accumulations). Il se laisse,
comme Ruy Blas, griser par le pouvoir des mots (énumération de noms propres). La parole peut aussi
devenir accusatrice par les adresses au destinataire (apostrophes et questions rhétoriques, en
particulier). Quant à Antigone, elle parle peu. Sa révolte s’exprime par la protestation verbale (« Je ne
veux pas », « Je suis là pour vous dire non ») ou physique (« secoue la tête »). Le mépris d’Antigone pour
Créon passe également par l’ironie : « Quel rêve, hein, pour un roi, des bêtes ! » Pour étoffer la réponse,
on réutilisera certains éléments de réponses aux questions précédentes, ainsi que le commentaire qui
suit.
Commentaire
Introduction
L’acte III porte le nom du héros. C’est le triomphe de Ruy Blas qui s’est parfaitement identifié à Don
César et à son rôle de grand d’Espagne ; c’est aussi le nœud du drame et l’acte de tous les possibles. Le
texte étudié – le plus long monologue de la pièce – constitue le sommet lyrique et épique du drame
historique.
Situation du texte : sur le plan sentimental, la reine est amoureuse du faux Don César qui, sur le plan
politique, a pris une place prépondérante. Malgré de l’estime et la reconnaissance de sa probité, la
conduite de Ruy Blas provoque curiosité et jalousie de la part des courtisans avides qui se partagent
sans scrupule l’Espagne au moment où paraît le héros.
1. Une remise en cause éloquente des ministres
Cette célèbre tirade constitue un morceau de bravoure caractéristique de l’art de Victor Hugo qui
transmet ses dons d’éloquence à son héros.
A. L’accusation et ses procédés
• La mise en cause des ministres frappe par son agressivité. Ruy Blas apparaît ici comme un justicier
qui laisse éclater son indignation par :
– de violentes apostrophes : « messieurs » ;
– le redoublement de l’antiphrase : « Ô ministres intègres ! / Conseillers vertueux » (v. 4-5) ;
– la dislocation du vers 1 qui laisse percer l’indignation.
• Des images triviales (« Bon appétit », « Serviteurs qui pillez la maison », « Fossoyeurs ») qui disqualifient
l’attitude des ministres.
• L’abondance des marques de la présence du destinataire : onze occurrences du pronom et cinq
adjectifs possessifs.
• Des injonctions à l’impératif : « Soyez » (v. 8), « voyez » (v. 10 et 18).
• Une question rhétorique : « Quel remède à cela ? » (v. 30).
Réponses aux questions – 22
B. La dénonciation d’un pouvoir corrompu
Pris à partie violemment par le discours de Ruy Blas, les dirigeants corrompus sont entraînés dans un
processus de culpabilisation, renforcé par le fait que Ruy Blas surgisse brutalement et les surprenne en
flagrant délit de complot. Complot dans lequel se lisent :
– la malhonnêteté : Ruy Blas assimile l’action des ministres à du vol (« pillez », « emplir votre poche »,
« voler ») ; pires que des voleurs, ce sont des assassins (« Fossoyeurs ») ;
– une avidité et une cupidité féroces, matérialisées par l’image de la dévoration (v. 1), le champ lexical
de l’appât du gain (v. 3 : « pillez » ; v. 7 : « remplir votre poche ») ;
– l’absence de sentiment patriotique qui semble réfugié dans le seul Ruy Blas, pourtant homme du
peuple ;
– une indifférence à l’égard du sort du pays aggravée par une certaine lâcheté (v. 13 : « sans
combattre ») ; malgré leur connaissance de la situation (v. 27 : « Vous le savez »), les ministres restent
impassibles ;
– ce qui leur vaut l’implacable rappel de leur dignité perdue qui fait écho à la décadence de l’Espagne.
Aux vers 36 et 37, la débauche des grands contraste avec « le peuple misérable ». Les antiphrases les
rappellent à leur devoir : « ministres intègres », « conseillers vertueux », « servir », « serviteur » ;
– une attitude dénuée de vergogne : « Vous n’avez pas honte » (v. 4), « ayez quelque pudeur » (v. 10).
Æ Un portrait collectif impitoyable, servi par une éloquence efficace qui traduit la réelle indignation
de Ruy Blas, homme du peuple devant la curée d’un pays, organisée par ceux qui en ont la charge.
2. Un tableau de l’Espagne décadente
L’accusation des ministres est étayée d’un tableau à la fois lucide et lyrique du pays, tableau qui doit
permettre une prise de conscience.
A. Le rappel de la grandeur passée
Il passe par une vaste fresque (juste du point de vue historique mais qui ne dit rien au spectateur) présentée
comme telle par des verbes de perception visuelle (v. 10 : « voyez, regardez »). Mais c’est aussi une fresque
sonore par l’évocation des noms propres à la puissance exotique et poétique : jeu sur la longueur des mots
avec le formidable « Fernambouc » ou l’exotique « Goa », tandis que « les Montagnes bleues » suggèrent le
rêve. L’effet de puissance est aussi créé par l’énumération qui accumule les possessions et par le
redoublement du « et » au vers 17. Il faudrait aussi relever l’utilisation de l’enjambement aux vers 16-17 qui
semble étirer encore la longueur des côtes. Enfin, la grandeur du pays est formulée en un vers majestueux
et solennel (le vers 11) qui repose sur deux hendiadys et un effet de symétrie.
B. Une situation critique
• La politique intérieure :
– un royaume exsangue : formule frappante et familière (v. 12 : « Tout s’en va »), champ lexical de la perte
et de la déchéance (v. 8 : « pays qui tombe » ; v. 13 et 33 : « perdu » ; v. 29 : « perd »). Les pertes se comptent
en territoires, en biens matériels (v. 33 : « trois cents vaisseaux, sans compter les galères »), en argent (v. 30-31)
et en hommes (v. 31 : « L’État est épuisé de troupes »). La population est réduite à la misère. L’éloquence
passe par des hyperboles : « charge énorme », « peuple misérable », « A sué quatre cent trente millions d’or ! » ;
– un roi caractérisé par l’absence – politique et, dans l’ensemble de la pièce, sentimentale (v. 20). De
plus, la succession n’est pas assurée (v. 1083 de la pièce).
Æ L’Espagne est donc pourrie de l’intérieur. En pleine déchéance, elle apparaît comme une proie
facile pour les ennemis (notons l’homonymie des rimes aux v. 8-9).
• La politique extérieure (l’Espagne est dans une situation de danger) :
– omniprésence des ennemis, présentés de manière métonymique par leurs territoires ; le danger vient
donc de toute part (v. 18 : l’Espagne est encerclée « Du ponant jusques à l’orient ») et le conflit provient
de la lutte pour un empire territorial ;
– trahison des alliés (v. 1080 de la pièce) ;
– mise en place d’une stratégie offensive de la part des ennemis : « attend » (v. 25), « guette » (v. 26) ;
on dépèce la proie avant qu’elle ne soit prise (v. 21).
– le pays est à la fois affaibli et ridicule : l’appel à un sursaut d’orgueil est implicite.
C. Une sombre vision de l’avenir
Ruy Blas donne ici une leçon de perspective politique et fait preuve de sens de l’observation et de
lucidité. Les données qu’il avance sont précises, chiffrées : « Trois cents vaisseaux » (v. 33), « cent trente
millions d’or » (v. 39), « j’en ai fait le compte » (v. 35).
Lorenzaccio – 23
Le tableau de l’Espagne est fait au passé composé (analyse « à chaud » d’un passé proche) et le présent
qui évoque l’attitude des pays voisins a une valeur de futur proche. Ruy Blas pressent la menace et a
la certitude du déclin. Fort de ses certitudes, il fait une démonstration magistrale (deux occurrences de
« donc » aux v. 4 et 6, et « il ne faut » au v. 22).
Æ Le ton de la tirade est sans réplique : Ruy Blas a une vision lucide du présent et se présente comme
un visionnaire.
3. L’apogée du héros
Dans cette scène, Ruy Blas est au sommet de sa gloire. Emblématique du héros romantique, il se
dévoile tout en démasquant.
A. La confrontation de l’individu et du monde
Solitude du héros. Certes, son rôle est glorieux, mais il est seul contre tous. Son pouvoir n’est
qu’illusoire ; il n’est qu’un laquais, grand d’Espagne par usurpation et seulement pour un moment
encore. Il n’existe que par la parole, et encore une parole usurpée. Ruy Blas représente le courage et
l’honnêteté politique mais est le seul de son espèce. La deuxième didascalie pose la confrontation de
l’homme et du monde, thème romantique par excellence.
B. La révélation de Ruy Blas
Dans cette scène, Ruy Blas est révélé au moins autant qu’il révèle. Il révèle la corruption des
ministres, le tableau de la décadence présente de l’Espagne, la vision de l’avenir sombre du pays. Mais
celui qui dévoile et démasque est lui-même dévoilé et, dans une certaine mesure, démasqué : quel est
ce grand d’Espagne qui n’agit pas comme ceux de sa caste ? Son intervention est présentée comme un
coup de théâtre (cf. les didascalies initiales : « survenant », « silence de surprise »). Son attitude est celle
d’un meneur qui défie : « les regardant en face ». Il monopolise la parole, et le royaume semble lui
appartenir au même titre qu’aux ministres en place (deux occurrences de « nous » aux v. 12 et 32).
Æ On peut parler ici de triple énonciation : Ruy Blas s’adresse aux ministres qu’il conduit à la
démission, à la reine qu’il séduit, aux spectateurs qu’il convainc. C’est le moment où l’adéquation
entre l’individu et le rôle qu’il doit jouer est parfaite.
C. L’idéal politique : Ruy Blas, porte-parole d’Hugo
Ruy Blas se sert de la salle des ministres comme d’une tribune et fait preuve d’une éloquence
révolutionnaire, à la manière de Mirabeau. Héros en pleine lumière, il peut devenir le porte-parole de
l’idéal politique de Victor Hugo :
– on relève son investissement personnel dans la gestion du pays (personnification de l’Espagne et
vocabulaire affectif), son honnêteté absolue et son amour de la patrie ;
– la grandeur de l’État, soutenue par un vaste empire colonial, est mise en avant ;
– apparaît, en filigrane, le souhait d’un roi puissant et juste, auquel s’assimile toute une nation ;
– mais, surtout, il s’agit là d’un plaidoyer en faveur du peuple, présenté de manière élogieuse
(anaphores des v. 35 et 38).
Conclusion
Une tirade remarquable par la précision et la véracité du tableau historique et par l’émotion qu’elle
suscite, mais ce n’est pas l’essentiel ici. On a là l’illustration du « souffle hugolien » dont on a souvent
parlé : force des invectives, puissance évocatrice des images, virulence de la satire annoncent déjà
l’engagement des Châtiments. Ruy Blas a été écrit à une période de la vie d’Hugo où il rêvait d’une
carrière politique. Il semble avoir prêté à son héros ses propres aspirations.
Mais, ici, le combat n’est encore que littéraire et la puissance de la parole bien vaine, prononcée par
un laquais qui n’a ni droit ni pouvoir en face de grands qui ferment leurs oreilles.
Æ La scène illustre la vanité de la parole parlementaire, simple leurre en cette monarchie censitaire.
Dissertation
1. Le théâtre : avant tout un divertissement
A. Un spectacle
Le théâtre est d’abord un spectacle où le texte joue certes un rôle important mais n’est pas le seul.
Ainsi, la commedia dell’arte travaille-t-elle sur des improvisations, et les masques, les costumes, les jeux
de scène doivent procurer du plaisir.
Réponses aux questions – 24
B. S’évader
Car le théâtre doit avant tout permettre au public d’oublier un temps la réalité (c’est donc tout le
contraire d’une visée politique) : qu’il vienne au théâtre pour rire, pour épouser les souffrances
passionnées des héros tragiques, pour voyager dans l’histoire avec les drames romantiques, le
spectateur, le temps de la représentation, s’évade.
C. Les moyens artistiques
Ainsi, le théâtre a recours à différents moyens artistiques pour porter le texte. Outre la nécessaire
puissance de séduction du texte dit, on jouera sur la dimension visuelle : décors (parfois confiés à de
grands peintres), costumes (qui ont pu être imaginés par de grands couturiers) et jeux de lumière. Le
théâtre ne se prive pas non plus de la musique pour envoûter le spectateur. Dès lors, il peut être
tentant, mais aussi hasardeux, de se servir de la puissance de séduction du théâtre pour faire passer des
idées.
2. La dimension politique du théâtre
A. Une tribune
La scène de théâtre s’apparente à une tribune et est particulièrement apte à faire passer un message de
manière immédiate aux spectateurs qui sont comme un reflet de la société. La double énonciation
fonctionne alors pleinement : davantage qu’aux personnages en scène, c’est au public que s’adresse le
texte. À lui de juger, de réagir. De plus, la forme dialoguée, héritière du dialogue philosophique, est
particulièrement adaptée à l’argumentation.
B. Un moyen de lutte
Ainsi, le théâtre est-il un moyen de lutte. Il peut ridiculiser le pouvoir, comme Les Acharniens
d’Aristophane ou Ubu roi de Jarry. Les attaques peuvent être indirectes comme dans Le Tartuffe, où
Molière attaque violemment la Compagnie du Saint-Sacrement à travers le personnage éponyme. Le
théâtre contemporain peut se permettre d’être plus direct ; ainsi, certaines pièces de Brecht
renforcent-elles le message à l’aide de banderoles explicites.
C. L’utilisation politique du théâtre est risquée
Le texte, s’il est trop explicite, court le risque de la censure (Dom Juan de Molière a été interdit après
quelques représentations). Il court aussi le risque d’une interprétation erronée. Dans Antigone
d’Anouilh, par exemple, qui a donné lieu à des interprétations très diverses, faut-il faire d’un seul
personnage (Antigone ou Créon) le porte-parole de l’auteur ?
3. L’art théâtral au service du message
A. Assurer la pérennité de l’œuvre
Il va de soi qu’une pièce essentiellement didactique sera peu théâtrale et ne passera pas à la postérité.
La pièce doit être suffisamment souple et aborder des sujets facilement transposables pour
pouvoir durer. Le message politique, s’il est trop restreint et porté par un texte trop austère, se
périme vite. Une œuvre de propagande n’est jamais une réussite. Ainsi, le théâtre de Sartre est-il, par
exemple, déjà vieilli, tandis que celui de Shakespeare est toujours incroyablement vivant et plastique.
L’aspect littéraire du texte passe donc avant son message politique.
B. Le texte au service du message
La qualité de l’écriture, la maîtrise dans la conduite de l’action, la profondeur d’un personnage
assurent le succès d’une pièce et la possibilité, pour elle, de véhiculer un message. Beaucoup de
spectateurs se reconnaîtront dans les tourments intérieurs de Lorenzaccio ou dans l’idéalisme de
l’Antigone d’Anouilh, si réaliste, si vivante, tandis qu’ils resteront davantage extérieurs aux héros
hugoliens, pleins de panache et d’humanité, certes, mais un peu artificiels et superficiels, malgré
tout.
Conclusion
Outre la qualité du texte, il va de soi que la mise en scène a un très fort pouvoir de conviction. Le
scénographe imaginera décors et trouvailles originales pour séduire le public qui adhérera d’autant
plus aisément au message proposé par le texte.
Lorenzaccio – 25
Écriture d’invention
Le sujet permet de revenir sur les notions, importantes en argumentation, de réquisitoire et de
plaidoyer. Car c’est d’un sujet ouvertement argumentatif qu’il s’agit ici. Il conviendra de classer les
arguments selon un plan analytique traditionnel : causes / conséquences / remèdes. On pourra
accepter aussi un exposé des faits.
On valorisera particulièrement les copies des élèves qui auront essayé d’imiter le style de Musset. La
question 8 de l’examen des textes a dû permettre d’analyser rapidement les caractéristiques stylistiques
les plus marquantes du texte.
A c t e
I I I ,
s c è n e
3
( p p .
1 2 6
à
1 4 5 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 146-147)
! La
première phrase de l’extrait est interrogative. Elle sert à introduire la tirade qui est une réponse à
cette question initiale.
" Dans la première partie du monologue, ce sont les phrases interrogatives qui dominent. Ce n’est
qu’un enchaînement de questions jusqu’à la ligne 641. Ces questions sont toujours adressées à
Philippe et lancent le mécanisme du dévoilement.
# On relève vingt-cinq occurrences du pronom « je », treize du pronom « me », deux de « moi » et
une autre de « moi-même ». Enfin, il y a onze occurrences de l’adjectif possessif de 1re personne. La
1re personne est donc omniprésente – ce qui n’est pas étonnant dans ce monologue lyrique où
Lorenzo tente d’expliquer sa nature profonde. C’est aussi une caractéristique du héros romantique de
se mettre au centre du monde et au centre du discours.
$ Lorenzaccio dénonce le règne de l’apparence en s’en prenant à la lâcheté des républicains (l. 651652). Il stigmatise aussi la vanité des discours, à l’aide d’un vocabulaire très dépréciatif : « brailler en
plein vent le bavardage humain » (l. 654), « satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles » (l. 659). Mais le
héros lui-même est prisonnier de sa propre apparence et, par ces révélations à Philippe, il retire son
masque avant de passer à une action qui ne laissera plus de doute sur ce qu’il est vraiment. Il veut
montrer à Philippe que la piste républicaine n’est pas une solution pour se débarrasser d’Alexandre.
% La vie de Lorenzaccio apparaît comme une « énigme » car, après une adolescence studieuse et
vertueuse, que rappelle sa mère à la scène 6 de l’acte I, il a sombré dans la débauche et le cynisme. Il
est le pourvoyeur sans scrupule des plaisirs d’Alexandre et malmène le jeune peintre Tebaldeo.
Pourquoi ce changement ? Et Lorenzaccio est-il tout à fait en accord avec son nouveau personnage ?
Le mot « abîme » utilisé par Philippe (l. 629) au sujet de la destinée de Lorenzo a déjà été employé par
Marie (I, 6, l. 739). Le héros explique ici sa vertigineuse descente aux Enfers.
& Philippe est pris en compte par de multiples questions qui le prennent à partie. Lorenzo utilise
souvent le procédé de l’anaphore : « veux-tu » (l. 631-632, 634, 641), « Songes-tu » (l. 636-637) mais
aussi « Crois-tu » (l. 639), « comprends-tu » (l. 645), « vois-tu » (l. 648). Ces questions se trouvent dans la
première partie de l’extrait, où Philippe joue le rôle de confident car Lorenzo n’attend pas de lui de
véritables questions ni de véritables réponses. Le vieil homme sage est surtout le prétexte à
l’épanchement du moi.
' Les images sont nombreuses et témoignent d’un effort pour rendre claire une personnalité très
complexe et opaque pour son entourage (première partie du texte car ensuite les images ont d’autres
fonctions). Elles insistent à la fois sur un Lorenzo pur qui ne veut pas mourir (l. 632 : « spectre » ;
l. 633 : « squelette » ; l. 634 : « l’ombre de moi-même ») et sur la fragilité du lien qui unit encore le
Lorenzo d’aujourd’hui au Lorenzo d’autrefois (l. 635 : « le seul fil » ; l. 638-639 : « le seul brin
d’herbe »).
( Le champ lexical de la mort :
– le suicide : « que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno » (l. 631-632) ;
– le macabre : « spectre » (l. 632), « squelette » (l. 633), « la tombe d’Alexandre » (l. 658) ;
– le meurtre d’Alexandre : « ce meurtre » (l. 636), « mon meurtre » (l. 646), « je tue Alexandre » (l. 656),
« le soufflet de mon épée marqué en traits de sang » (l. 663-664), « Ma vie entière est au bout de ma dague »
(l. 665-666), « frapper » (l. 667) ;
Réponses aux questions – 26
– les images : « mourir en silence l’énigme de ma vie » (l. 641), « empoisonne le pain que je mâche » (l. 650651) ;
– le crime en général : « m’assommer » (l. 653) ;
– la révolte sanguinaire : « nettoyer leurs piques » (l. 662).
Ce champ lexical est omniprésent parce que le problème central pour Lorenzaccio, et pour tout le
monde dans l’ensemble de la pièce, est de se débarrasser d’Alexandre. Lorenzo choisit la voie radicale
du meurtre. De plus, il s’agit de faire renaître un Lorenzo qui est mort. S’enfoncer dans le vice sans
chercher à retrouver la vertu passée serait pour le personnage éponyme une sorte de suicide.
) Le meurtre d’Alexandre permet à Lorenzaccio de renouer avec son « cœur d’autrefois » (l. 636), sa
« vertu » (l. 637) dont on suppose qu’ils correspondent à la vraie nature du jeune homme. Le meurtre
a donc un caractère rédempteur.
*+ La principale contradiction de Lorenzo est son goût pour la vertu (l. 636-637 : « tout ce qui me reste
de ma vertu ») en opposition à sa vie de débauche (l. 644-645 : « j’aime le vin, le jeu et les filles »). Le
jeune homme formule explicitement ses contradictions : « Crois-tu donc que je n’aie plus d’orgueil, parce
que je n’ai plus de honte ? » (l. 639-640). On remarque aussi l’opposition entre « vice » (l. 643) et
« vertu » (l. 642). C’est en raison de ces contradictions que Lorenzo est une « énigme » et qu’il risque
de rester incompris (l. 660), comme tous les héros romantiques.
*, L’une des principales motivations de Lorenzo est évidemment de commettre le meurtre
d’Alexandre dans un souci de rédemption personnelle. Mais précisément l’effet ne peut être
rédempteur du point de vue individuel que s’il a un sens pour la société. C’est en délivrant Florence
du mal que Lorenzo deviendra un héros vertueux. Idéal collectif et idéal individuel sont donc
inséparables. Le jeune homme exprime nettement ce besoin de reconnaissance collective : « il faut que
le monde sache un peu qui je suis et qui il est » (l. 654-655) ; il compte bien faire parler de lui (l. 661 : « je
leur ferai tailler leurs plumes »), laisser une trace (l. 665 : « il ne me plaît pas qu’ils m’oublient »). Il se voit
comme un justicier, comme le montre clairement l’image du « tribunal » à la ligne 669.
*- Lorenzo se fait peu d’illusions sur les conséquences de son geste. Il n’est pas sûr que le meurtre
d’Alexandre soit suivi d’une révolte populaire qui ferait de Florence une véritable république
démocratique. Le scepticisme de Lorenzaccio s’exprime à travers les expressions suivantes : « qu’ils
agissent ou n’agissent pas » (l. 660), « je leur ferai tailler leurs plumes si je ne leur fais pas nettoyer leurs piques »
(l. 661-662), « je jette la nature à pile ou face sur la tombe d’Alexandre » (l. 667-668).
*. Lorenzo méprise les hommes. Il dénonce leur lâcheté (l. 651-652 : « des lâches sans nom » ; l. 652653 : « pour se dispenser de m’assommer »), y compris celle des républicains qui, pourtant, se posent en
modèle. Il dit même à Philippe qu’il ne « ferai[t] pas » (l. 647) le meurtre d’Alexandre. Il méprise aussi
leur vanité : des discours mais pas d’action (l. 654 : « brailler en plein vent le bavardage humain » ; l. 659 :
« satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles »). Il déteste leur haine (l. 650 : « exécration » ; l. 652 :
« m’accablent d’injures »). Il fait part de sa lassitude (l. 653 : « J’en ai assez ») et donne une leçon (l. 653 :
« comme ils le devraient »). Il a une volonté de pouvoir et de domination sur les autres hommes : « dans
deux jours les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté » (l. 668-669).
*/ Lorenzaccio est lui-même méprisé (l. 648-649 : « me couvrent de boue et d’infamie » ; l. 651 :
« conspué ») par les autres hommes. Il est l’objet de médisances (l. 649 : « les oreilles me tintent »), de
haine (l. 650 : « l’exécration des hommes »), de curiosité malsaine (l. 657-658). Les relations du héros et
des hommes relèvent donc du malentendu puisqu’il n’est pas, en vérité, ce que les autres croient. Il se
démarque des autres hommes car il n’a pas leur bassesse. Sa supériorité s’exprime par son passage à
l’action.
*0 On remarque que le mot « meurtre » est répété trois fois. C’est le thème central du monologue. Il y
a aussi de nombreuses structures binaires qui reposent sur des répétitions de mots : « Si tu honores »
(l. 645) / « tu honores » (l. 646) ; « qui je suis » / « qui il est » (l. 655) ; « qu’ils agissent ou n’agissent pas »
(l. 660) ; « j’aurai dit aussi ce que j’ai à dire » (l. 661) ; « je leur ferai […] si je ne leur fais pas » (l. 661-662).
Par ailleurs, une figure de répétition revient à de multiples reprises : c’est l’anaphore. On a déjà relevé
les questions anaphoriques du début du texte, on peut y ajouter l’anaphore de « j’en ai assez » (l. 651
et 653) et de « voilà assez longtemps » (l. 647 et 649). Il s’agit là d’un procédé d’insistance qui traduit la
détermination du héros et participe au registre lyrique du texte.
Lorenzaccio – 27
*1 Les
verbes d’action dont Lorenzaccio est le sujet sont très nombreux et marqués par la violence :
« je tue » (l. 630 et 656), « je m’empoisonne », « je saute dans l’Arno » (l. 631), « en frappant » (l. 632), « je
m’arrache », (l. 634), « je glisse » (l. 637), « j’aie pu cramponner » (l. 639), « je leur ferai tailler leurs plumes »
(l. 661-662), « frapper », « je jette la nature » (l. 667). La tirade, en même temps qu’elle révèle une
personnalité, révèle un projet. Lorenzaccio est un héros romantique qui donne un sens à ses rêves par
le passage à l’acte.
*2 Le temps qui domine très largement est le présent de l’indicatif : il est utilisé pour le moment
présent, bien sûr, mais aussi pour le passé qui se prolonge jusqu’au moment de l’énonciation (l. 637 :
« je glisse depuis deux ans ») ou pour anticiper un futur imminent (l. 667-668 : « je jette la nature
humaine à pile ou face sur la tombe d’Alexandre »). À la fin du texte, le présent alterne avec le futur de
l’indicatif : le jeune homme se projette entièrement dans l’acte qu’il va commettre. Présent et futur ne
font plus qu’un : ils rachètent un passé qui n’est évoqué que pour son incidence sur le moment
présent.
*3 La « vertu » est, au sens propre, la « force, » le « courage ». C’est une caractéristique virile (parenté
entre vir et virtu). Dans le texte, elle a aussi le sens moderne de « pureté ». Mais tout se confond pour
Lorenzaccio : retrouver la pureté perdue tout en montrant qu’il est un homme (lui qui s’est évanoui à
la vue d’une épée à l’acte I).
*4 Lorenzaccio agit aussi par orgueil et volonté de puissance (voir question 13). Le héros romantique
se sent supérieur aux autres hommes. Quand il passe à l’action, il fait une démonstration de cette
supériorité. Le passage de la bassesse à l’héroïsme est une source de jouissance pour le jeune homme.
5+ L’exaltation de Lorenzaccio se traduit d’abord par le monologue. Accaparer la parole, c’est
démontrer un pouvoir, ne serait-il que rhétorique. Les questions oratoires qui s’enchaînent et les
anaphores témoignent du lyrisme du héros qui se grise de ses propres mots. Il faut encore ajouter les
images, plus ou moins heureuses, mais qui traduisent une volonté d’expressivité. L’utilisation du
subjonctif à partir de la ligne 660 exprime sa volonté de puissance et sa désinvolture à l’égard des
autres hommes. On peut penser que l’image finale relève de la mégalomanie.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 148 à 154)
Examen des textes et de l’image
! On remarque, dans le texte de Chateaubriand, l’omniprésence de la 1re personne. Sont exprimés les
sentiments (« j’entrai avec ravissement », « enchanté », « tourmenté »), les rêves (« j’aurais voulu être un de ces
guerriers »), les habitudes (« Le jour, je m’égarais »), les angoisses («Un secret instinct me tourmentait ») et
même un complaisant autoportrait (« le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure »). Mais
l’utilisation, à plusieurs reprises, du présent de vérité générale, de tournures ayant une valeur
généralisante (« on », « notre cœur », « l’homme », « Homme ») et de la métaphore musicale donne aux
sentiments décrits une valeur universelle. Exemples : « Les sons que rendent les passions dans le vide d’un
cœur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d’un désert » ; « dans
tout pays le chant naturel de l’homme est triste lors même qu’il exprime le bonheur » ; « Notre cœur est un
instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes ».
" Plusieurs éléments permettent de qualifier cette page de prose poétique : l’abondance des images,
les rythmes binaires (« Tantôt […] tantôt ») ou ternaires (« enchanté, tourmenté, et comme possédé par le
démon de mon cœur »), ou encore fondés sur une énumération qu’amplifie la présence presque
systématique d’une relative à l’intérieur de chacun des membres de la phrase (« une feuille séchée […] où
le jonc flétri murmurait »). La prose de Chateaubriand est musicale, d’autant que l’auteur joue aussi sur
les sonorités comme, par exemple, l’harmonie imitative des sifflantes dans la phrase suivante : « Les
sons que rendent les passions dans le vide d’un cœur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux
font entendre dans le silence d’un désert. » L’utilisation de pluriels poétiques nimbe le texte d’un flou qui
traduit la rêverie et éveille l’imagination : « ces régions inconnues que ton cœur demande », « orages désirés »,
« les espaces d’une autre vie ». L’évocation de la nature, de la musique, des sentiments mélancoliques
constitue des thèmes lyriques universels.
Réponses aux questions – 28
On peut demander aux élèves un commentaire composé de cette page de Chateaubriand. On pourra proposer alors
le plan suivant :
1. Le décor de la rêverie romantique
A. Un nécessaire isolement
B. Une nature tourmentée
C. Le goût de l’infini
2. Une peinture du héros romantique
A. Une peinture en mouvement
B. La primauté du sentiment
C. L’angoisse et les tourments
3. Une vision universelle de l’homme
A. Une quête universelle
B. Une tentative pour cerner l’essence de l’être humain
C. L’appel de la mort
# L’expression de la privation passe par :
– l’image du vide : « En vain », « vaines », « inutile », « inutiles », « le vide », « vide intolérable »,
« vainement » ;
– la frustration : « tout me manque » ;
– la négation : « je n’ai rien obtenu », « je ne possède rien », « nulle intimité », « il ne vint pas », « ils ne sont
plus », « je n’entends pas », « sans me ranimer » ;
– l’illusion : « leur ombre », « les fantômes », « ombres errantes », « cent formes pâles et gigantesques » ;
– l’image de la disparition : « consume », « fuient, s’abîment », « la nuit du tombeau ».
De plus, l’utilisation des temps du passé souligne de manière nostalgique le sentiment de perte
(« sentiments des jeunes années ! qu’êtes-vous devenus ? »).
Les sentiments de frustration, d’ennui, de vide et de solitude sont constitutifs du malaise romantique.
$ Dans le texte C, les sentiments du narrateur n’épousent pas le renouvellement de la nature, il n’y a
pas d’accord entre le rythme de l’homme et celui de la nature : « Les mois changent, les années se
succèdent […] je reste le même » ; « Le printemps vint pour la nature, il ne vint pas pour moi » ; « Saison
heureuse ! Les beaux jours me sont inutiles, les douces nuits me sont amères ».
Le sentiment de la beauté de la nature et la jouissance qu’elle procure appartiennent à un temps
révolu : « Paix des ombrages […] qu’êtes-vous devenus ? »
Au contraire, dans le texte B, cette jouissance de la nature est bien vivace : « on […] jouit » du
« murmure que le vent et les eaux font entendre dans le silence d’un désert ». René « entr[e] avec ravissement
dans le mois des tempêtes ». Contrairement à Oberman, l’accord de René avec la nature est total : la
« roche écartée », l’« étang désert », « le clocher solitaire » renvoient à la propre solitude du narrateur. La
nature est source d’émotion esthétique et support à la rêverie : « souvent j’ai suivi des yeux les oiseaux de
passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ».
% La célèbre tirade d’Hernani est rendue très vivante par l’alternance de monologue (v. 1-8 et
seconde partie du v. 19 jusqu’à la fin) et de dialogue, marquée par des adresses directes à Doña Sol, le
destinataire (v. 9-19 et v. 30-31, utilisation de la 2e personne et apostrophe au v. 10). La jeune fille est
prise à témoin d’une destinée fatale que le héros analyse devant elle. Dans un effort d’introspection, il
s’efforce de définir sa personnalité, mélange de malédiction (v. 2 : « je porte malheur à tout ce qui
m’entoure ! » ; v. 21 : « Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! » ; v. 29 : « Malheur à qui me
touche ! ») et de dynamisme vital (v. 19 : « Je suis une force qui va ») : un être qui ne maîtrise pas son
destin (v. 20 : « Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ») et dont la chute est inévitable (v. 26 :
« Marche ! et l’abîme est profond »). Le récit prend place du vers 3 au vers 7. Il a pour fonction de
justifier, en l’illustrant, l’analyse qu’Hernani fait de sa personnalité. Par ailleurs, il donne au texte un
souffle épique qui n’est pas sans rappeler La Chanson de Roland (v. 5-6).
& La tirade appartient au registre lyrique par l’expression de l’émotion à travers les nombreuses
modalités exclamatives (dont trois occurrences de « Oh ! » en début de vers). On relève aussi la valeur
poétique des noms propres énumérés dans une série nominale (v. 1 : « Monts d’Aragon ! Galice !
Estramadoure ! »), les répétitions emphatiques (« C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne » ; « ils
Lorenzaccio – 29
sont tous tombés dans la montagne, / Tous sur le dos couchés » ; « Je descends, je descends »), les rythmes
binaires (v. 28 : « Tout se brise, tout meurt ») ou ternaires (« prends le duc, prends l’enfer, prends le roi ! »),
les enjambements qui traduisent l’émotion et l’exaltation (par exemple, v. 17-18), les métaphores
(v. 21, 26), les questions rhétoriques (v. 22).
' Le personnage a une position centrale dans le tableau. Juché sur un rocher, il domine un vaste
panorama. Une telle attitude est conforme à la place que le héros romantique pense occuper dans le
monde : supérieur à la masse, il est au centre d’une démarche introspective. Vu de dos, il semble
tourner le dos au monde des hommes pour mieux embrasser la nature.
( Le paysage de montagnes évoque les hauteurs dans lesquelles se plaît le héros romantique. Le vaste
panorama et le ciel suggèrent l’aspiration à l’infini qui caractérise la quête romantique. La nature
tourmentée (pics, roches, nuages en mouvement) fonctionne comme un miroir de la personnalité des
héros. Cf. les « Compléments aux lectures d’images » (p. 40).
Travaux d’écriture
Question préliminaire
On utilisera, pour traiter cette question, les réponses aux questions précédentes, en particulier en ce qui concerne
l’étude du document iconographique (questions 7 et 8).
Le héros romantique se caractérise par la solitude (« un cœur solitaire », « nulle intimité n’a consolé mes
ennuis », « seul, perdu », « Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne »), l’ennui (« l’ennui consume ma
durée dans un long silence »), la frustration (« Notre cœur est un instrument incomplet », « tout me manque »),
le désir d’évasion qui se nourrit de la rêverie. Sa trajectoire est marquée par l’échec (« Je descends, je
descends, et jamais ne m’arrête »). Il peut avoir partie liée avec le malheur, comme Hernani. Il aspire à
l’infini, voire à la mort (« attends que le vent de la mort se lève », « je cherche à commencer avec tranquillité la
nuit du tombeau »). Son rapport aux autres hommes est contrarié : qu’il les méprise ou leur tourne le
dos. Il a le sentiment de leur être supérieur. Comme Lorenzaccio, il peut désirer commettre un acte
héroïque, salvateur, qui lui assure aussi la reconnaissance des autres hommes. La nature lui semble un
refuge en fonctionnant comme un miroir du moi (« j’entrai avec ravissement dans le mois des tempêtes »).
Enfin, il analyse sa personnalité et ses sentiments dans un effort d’introspection permanent sans pour
autant trouver toujours la juste expression (« Mais comment exprimer cette foule de sensations fugitives
[…] ? », « on ne peut les peindre ») : les émotions romantiques sont si fortes et si complexes qu’elles sont
indicibles.
Commentaire
On se borne à donner un plan car on réutilisera ici les réponses aux questions de lecture analytique.
1. Le dévoilement du personnage
A. La mise en scène de la révélation (prise en compte du destinataire, questions)
B. « L’énigme d’une vie »
C. L’exaltation du héros
2. Les motivations d’un meurtre paradoxal
A. Un acte identitaire et idéaliste
B. Le mépris des hommes
C. Un acte orgueilleux
Dissertation
Le sujet n’est pas très problématique : on attendra donc de l’élève qu’il fasse des recherches d’histoire
littéraire et lise une tragédie classique et une pièce du XXe siècle.
1. Le héros romantique
On reprendra les données vues à travers les questions précédentes, que l’on organisera, par exemple,
de la manière suivante :
Réponses aux questions – 30
A. Un héros solitaire
B. Un héros insatisfait
C. La double aspiration à la gloire et à la mort
2. D’autres formes d’héroïsme
A. Le héros tragique
• Un personnage en crise.
• Un être en proie à la passion.
• Un personnage soumis à la fatalité.
B. Le héros moderne : un antihéros
• Un être ordinaire.
• Un héros malgré lui.
• Il est souvent porteur d’un message engagé.
3. Les points communs des héros
A. Ils expriment un idéal
B. Ils s’efforcent de le vivre de manière absolue ou du moins sans renoncement pour l’antihéros
C. Ils représentent un type d’humanité auquel on peut, toute proportion gardée, s’identifier
Écriture d’invention
Le sujet impose plusieurs contraintes formelles : le genre épistolaire et l’utilisation du registre lyrique
– ce qui permet de vérifier que l’élève s’est approprié les caractéristiques de ce registre. Pour le reste,
l’élève a la plus grande liberté, mais on attendra une démarche d’introspection qui utilise un
vocabulaire précis et une argumentation.
A c t e
I V ,
s c è n e
1 1
( p p .
1 9 4
à
1 9 7 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 198-199)
La scène se divise en trois parties :
– du début à la ligne 632, c’est la préparation du crime ;
– des lignes 633 à 647, c’est le crime, très rapidement mené (l. 641-644) entre un aparté du Duc
(l. 633-640) et le constat de la blessure de Lorenzo (l. 645-647) ;
– de la ligne 648 à la fin : après le crime. Lorenzo savoure l’instant, tandis que Scoronconcolo prépare
la fuite.
" On ne trouve pas de mention des blessures faites au Duc. La réaction de ce dernier (la morsure)
n’est connue qu’après coup. Dans le texte de George Sand, on voit l’appréhension du héros, puis les
différents coups portés à Alexandre sont précisés avec un luxe de détails, ainsi que les réactions de
Lorenzo qui se fait aider de Scoronconcolo. Varchi, comme Dumas, précise également
scrupuleusement la nature de la blessure dont est victime le Duc, ainsi que les différentes étapes du
crime. Marguerite de Navarre, quant à elle, insiste davantage sur le face-à-face entre Lorenzo et le
Duc.
# Le drame romantique n’hésite pas à mettre le meurtre en scène, tandis que le théâtre classique, qui
doit respecter la règle de bienséance, s’interdit de faire couler le sang sur scène. Le meurtre de Pyrrhus
par Oreste, par exemple, fait l’objet d’un récit.
$ Le traitement dramatique que Musset fait du crime est épuré, stylisé ; l’accent est mis davantage sur
les sentiments du héros que sur les détails sanglants du crime. Si le meurtre a bien lieu sur scène,
Musset n’en tire pas d’effets faciles. En ce sens, on peut penser que le traitement de ce meurtre
emprunte à la fois à la manière romantique et à l’esthétique classique.
% On remarque qu’il y a plusieurs entrées et sorties de personnages à l’intérieur de la scène – ce qui
est une caractéristique du théâtre romantique en opposition au théâtre classique où à chaque sortie ou
entrée de personnage correspond une nouvelle scène. C’est d’abord Lorenzo qui sort. Cette sortie est
!
Lorenzaccio – 31
justifiée : il va chercher sa tante. Cela permet de laisser Alexandre seul en scène et d’entendre
confirmer, par sa bouche même, sa grossièreté. L’entrée de Lorenzo est tout de suite significative pour
le lecteur comme pour le spectateur car la didascalie indique qu’il « rentre l’épée à la main » (l. 640).
L’entrée de Scoronconcolo, plus tardive, permet qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : c’est bien Lorenzo,
seul, qui a commis le meurtre. De plus, la présence du « sbire » sur scène correspond à une nécessité
dramatique : Lorenzo a un confident à ses sentiments. La velléité de sortie (l. 661) de Scoronconcolo
ajoute au suspense en confirmant que le héros court un danger.
& Le Duc se montre très affectueux avec Lorenzo, utilisant des hypocoristiques (l. 619 : « mignon » ou
l. 642 : « Renzo ») ; il affiche avec lui une grande complicité (l. 624 : « Tu sais que »). Pourtant, quelques
questions laissent entrevoir une certaine méfiance, voire une inquiétude de la part d’Alexandre : « qu’estce que tu fais donc ? » (l. 619) ou « pourquoi as-tu fait demander des chevaux de poste à l’évêque de Marzi ? »
(l. 626-628). Il faut dire que le Duc a été mis en garde, à plusieurs reprises – en particulier par le
Cardinal Cibo –, contre Lorenzaccio. Cependant, c’est l’affection et la confiance qui dominent, comme
le montre le fait qu’il se couche sans méfiance en attendant le retour du jeune homme.
' Lorenzo s’emploie à rassurer Alexandre en lui expliquant avec un luxe de détails les raisons de ses
gestes. Il se montre même protecteur en donnant au Duc un conseil : « Il est bon d’avoir toujours une
arme sous la main » (l. 621-622). Bien sûr, cette attitude est stratégique car le héros, dans le même
temps, prépare le crime comme le souligne la didascalie (l. 622-623) : « Il entortille le baudrier de manière
à empêcher l’épée de sortir du fourreau ».
( Lorenzo est le seul à savoir l’action qu’il va commettre ; bien évidemment, le Duc ne s’y attend pas
(l. 642 : « C’est toi, Renzo ? ») et Scoronconcolo ne sait pas non plus qui est la victime de Lorenzo :
« Ah ! mon Dieu, c’est le duc de Florence ! » (l. 648). La scène joue donc sur un double effet de surprise
qui met particulièrement en valeur le caractère solitaire de l’acte de Lorenzo.
) L’aparté est celui du Duc, des lignes 633 à 639. Il permet, d’une part, de créer un contraste entre le
plaisir que se promet le Duc et le crime dont il va être victime. D’autre part, il confirme la grossièreté
et la goujaterie du personnage. Jamais, dans la pièce, le personnage n’est vu sous un jour
sympathique ; même au moment de mourir, il apparaît comme un personnage grotesque, une sorte
d’ogre (l. 636 : « j’ai soupé comme trois moines ») qui serait risible s’il n’était pas aussi dangereux.
Un autre aparté, clairement désigné comme tel (l. 660 : « à part »), montre l’étonnement de
Scoronconcolo devant l’attitude de son maître. Le « sbire » a l’esprit pratique et veut se sauver : il ne
comprend pas les épanchements de Lorenzo.
*+ Le lieu du meurtre est la chambre de Lorenzo. Cela est présenté comme une nécessité
psychologique : Catherine ne se laisserait pas entraîner n’importe où. Mais, de manière plus profonde,
c’est pour Lorenzo le lieu de l’intimité. Tuer le Duc dans sa chambre est un acte symbolique pour le
jeune homme. On remarquera qu’il a, à plusieurs reprises, assimilé ce meurtre à ses noces. Le corps à
corps des deux hommes, sur lequel insistent les autres textes, et surtout la morsure « au doigt », « bague
sanglante, inestimable diamant » (l. 647), confirment cette lecture de la scène. Bien qu’il s’agisse du meurtre
d’un tyran, on a davantage l’impression que, par ce meurtre, se règle en privé une affaire privée.
*, La morsure au doigt est immédiatement assimilée par Lorenzo à une « bague sanglante », un « inestimable
diamant » (l. 647). Cette marque que le jeune homme « garder[a] jusqu’à la mort » (l. 646-647) est comme
l’alliance reçue pour un mariage. En tout cas, ce meurtre scelle le destin de Lorenzaccio.
*- L’épée que pose le Duc est le signe qu’il abdique sa virilité comme pour la transmettre à
Lorenzaccio qui « rentre l’épée à la main » (l. 640). L’épée lui permet de tuer le Duc, acte viril. Par
ailleurs, l’assimilation de l’épée, tout comme « la clef » (l. 663), au sexe masculin est attestée dans de
nombreux textes. Et Lorenzo fait usage de ces objets dans sa chambre où on ne l’a jamais vu conduire
aucune fille.
*. Le registre du texte après le meurtre est lyrique. Les phrases exclamatives, renforcées par le vocatif
« ô », expriment la béatitude de Lorenzo et son attendrissement devant la nature.
*/ Cette phrase est un oxymore. « Navré » renvoie à la fois à la blessure physique et à un sentiment
douloureux. La « joie » de Lorenzo provient de la satisfaction d’avoir commis l’acte qu’il souhaitait et
d’être ainsi redevenu lui-même. Mais le prix à payer pour cette reconquête est lourd : meurtre,
trahison et risque de mort. C’est ainsi que l’oxymore exprime les sentiments mélangés du jeune
homme.
Réponses aux questions – 32
Les allusions à la nature sont nombreuses. L’émotion de Lorenzo devant sa beauté rappelle l’enfant
et l’adolescent proches de la nature qu’il a été et confirme ainsi qu’il a bien reconquis son identité. De
plus, la plénitude de la nature correspond à la plénitude du moment pour le héros. Ce type de
correspondance est fréquent chez les romantiques.
*1 Certaines images laissent présager la mort du héros. C’est le cas de « cœur navré de joie » (l. 650),
d’« éternel repos » (l. 656) et de la remarque de Scoronconcolo : « Le vent va glacer sur votre visage la sueur
qui en découle. »
*2 Lorenzo apparaît, dans cette scène, comme un héros romantique car il fait preuve d’exaltation :
attendrissement enthousiaste devant la beauté de la nature, emphase (l. 647). Scoronconcolo lui-même,
pourtant peu psychologue, note l’euphorie du héros : « Son âme se dilate singulièrement » (l. 660).
*3 Lorenzaccio ne laisse pas d’indices particuliers, mais, dans la mesure où le meurtre a lieu dans sa
chambre et où il en emporte la clef et prend la fuite, il n’y aura pas grand doute sur l’identité du
meurtrier.
*4 Même les voisins ne réagissent pas au « tapage » (l. 667) car Lorenzaccio a pris soin de s’entraîner
aux armes avec Scoronconcolo dans cette même chambre. Ce meurtre reste discret et rapidement
traité par Musset car ce qui compte surtout, c’est le cheminement intérieur du héros qui l’a mené à le
commettre. Du point de vue politique, les conséquences du meurtre sont plus importantes que le
meurtre lui-même : les Florentins sauront-ils saisir leur chance ?
5+ À la fin de la scène, les interventions de Scoronconcolo constituent un contrepoint réaliste aux
envolées lyriques de Lorenzaccio. Alors que ce dernier prend son temps pour savourer l’instant en
accord avec la beauté de la nature, son serviteur lui rappelle la nécessité de la fuite : « Sauvons-nous »
(l. 652), « Venez, seigneur » (l. 658), « Quant à moi, je prendrai les devants » (l. 661). Il prend également
conscience de la gravité du meurtre (l. 648 : « Ah ! mon Dieu, c’est le duc de Florence ! ») et s’inquiète
d’éventuels témoins (l. 664-665 : « Pourvu que les voisins n’aient rien entendu ! »). L’acte héroïque est
traité comme un acte banal par Scoronconcolo. Pas d’émotion déplacée mais plutôt des dispositions à
prendre au plus vite pour sauver sa vie.
*0
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 200 à 212)
Examen des textes et de l’image
! Dans le texte B, les didascalies ont un rôle de premier plan pour rendre compte du meurtre. Elles
sont très nombreuses et précisent la nature des coups portés et les réactions du Duc. Elles insistent sur
le côté visuel de la scène, tandis que les propos échangés ne sont qu’un commentaire de l’action.
" Le lexique de l’animalité est utilisé pour qualifier le Duc : « rugissant », « Le damné bondit comme une
panthère », « tu mords comme un chien enragé », « ce chien furieux », « Saignons-le comme un pourceau », « Sa
dernière convulsion l’a fait bondir comme un crapaud », « ce taureau sauvage a soutenu un rude assaut ». Ce
lexique se justifie par le mépris que Lorenzo a à l’égard d’Alexandre : il n’est pas digne d’appartenir à
l’humanité, c’est un monstre, comme le montre la courte oraison funèbre prononcée par le héros :
« Maintenant, grand duc de Florence, bâtard du pape, gendre de Charles V, tyran, despote, infâme, fanfaron,
impudique Alexandre de Médicis, bonsoir pour la dernière fois. » Les animaux choisis sont d’ailleurs
dévalorisants (le « pourceau », le « crapaud ») mais soulignent aussi la force physique d’Alexandre
(« panthère », « taureau sauvage ») et son courage au combat (« chien enragé », « chien furieux »). Le Duc,
véritable brute, a été un adversaire aussi monstrueux que difficile.
# Le chroniqueur a un souci d’exactitude, en particulier lorsqu’il donne de nombreuses précisions
anatomiques pour montrer le caractère « mortel » de la « blessure » (l. 4-9). La configuration de la
chambre et le rôle des objets sont également minutieusement étudiés (l. 11-12). Les gestes sont
précisés (l. 14-16 et 18) et les propos rapportés (l. 2 et 16). Aucun détail n’est oublié (l. 33) et Varchi
s’efforce de reconstituer la chronologie du meurtre (l. 22 : « d’abord » ; l. 23 : « enfin » ; l. 25 : « après
sa mort »). Le chroniqueur essaie aussi d’avoir un point de vue objectif et de rendre hommage au
courage du Duc (l. 30-31). Il se risque à des explications psychologiques tant en ce qui concerne
Lorenzo qu’en ce qui concerne le Duc (l. 34-41), mais elles sont avancées avec prudence : « On a
supposé » (l. 34). Il s’agit donc d’un récit qui se veut à la fois documenté, précis et objectif.
Lorenzaccio – 33
Dans le texte D, les indicateurs temporels sont nombreux ; il y a d’abord les « deux jours » qui
séparent la rencontre du Duc et de Catherine, puis le soir du crime où les différents moments sont
distingués (« il veid approcher la nuict tant désirée », « se retira de bonne heure », « A l’heure », « quant »). La
succession des faits après le crime est précisée par « alors » et « quant ».
Du point de vue de la vitesse narrative, le moment du crime est dilaté en une scène, encadrée par
deux sommaires qui rendent compte de ce qui s’est passé les deux jours avant le crime et de la fuite.
L’installation du gentilhomme en Turquie fait l’objet d’une ellipse. On notera aussi une prolepse qui
annonce la fin du récit : « mais, en lieu de veoir celle dont il esperoit la conservation de sa vie, va veoir la
precipitation de sa mort » (l. 27).
L’alternance imparfait / passé simple est classique dans le récit. On notera cependant, ici, le très grand
nombre de verbes au passé simple qui souligne l’accumulation des actions de premier plan.
% Dans le texte D, six passages de discours direct rendent le récit très vivant. Ils interviennent à des
moments importants de l’action sur lesquels ils mettent l’accent :
– le gentilhomme promet au Duc de lui offrir la femme qu’il convoite (mise en place du piège) ;
– il s’assure de l’aide d’un serviteur (préparation du crime) ; échange de deux répliques ;
– la réaction du Duc voyant qu’il est trahi ;
– une longue réplique argumentative du serviteur qui engage le meurtrier à se sauver sans commettre
d’autres crimes ;
– une dernière réplique assez longue du jeune homme où il justifie auprès de l’évêque la demande de
chevaux.
Ces passages au style direct sont là pour souligner la tension dramatique.
& Le récit de Dumas est très détaillé, n’omettant aucun détail sanglant. Le premier paragraphe,
constitué, d’une part, d’un dialogue entre Lorenzo et son « sbire », puis du récit du premier coup
porté à Alexandre, est une scène. Ensuite, la vitesse se ralentit encore dans une scène qui est presque
une pause descriptive qui rend compte des derniers soubresauts du Duc et des derniers coups portés.
Les moments qui suivent le crime font l’objet d’une nouvelle scène, tandis que la fuite des deux
hommes (à partir de « Alors Lorenzo et Scoronconcolo ») est traitée sur le mode du sommaire. Le passage
du crime est méthodiquement détaillé, disséqué, pourrait-on dire ; en témoignent les multiples
indicateurs temporels qui soulignent le souci d’exhaustivité du narrateur.
' La photographie de scène met l’accent sur la morsure au doigt. C’est un détail qui revient dans les
différentes versions du crime. Il a une fonction informative (Alexandre s’est courageusement battu) et
symbolique (Lorenzaccio portera la trace de ce combat et la morsure – le texte de Musset insiste sur
cet aspect – est comme un anneau nuptial). Noces de sang pour ce héros peu fait pour le bonheur.
D’un point de vue théâtral, ce détail est très visuel, et c’est ce qu’exploite Georges Lavaudant. En
contemplant son doigt, presque avec incrédulité, Lorenzaccio semble prendre la mesure de l’acte qu’il
vient de commettre. Quant au Duc, tout indique qu’il est déjà mort : sa posture, renversé sur le dos,
la tête rejetée en arrière, les yeux clos et la bouche ouverte. Lorenzo domine le Duc et la situation :
mais pour combien de temps ? la blessure au doigt semble indiquer qu’il ne sortira pas indemne de
l’aventure. C’est ce dont le héros semble prendre conscience avec une certaine stupeur.
$
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Constantes dans les documents :
• La préparation du meurtre.
• Le prétexte de Catherine = piège.
• Le lieu : la chambre de Lorenzo.
• Le déroulement du meurtre :
– Le Duc est couché.
– Un premier coup est frappé.
– La morsure au doigt.
– Un autre coup est frappé.
• La présence de Scoronconcolo.
• Découverte par Scoronconcolo de l’identité de la victime.
• Le Duc est remis dans son lit puis abandonné.
Réponses aux questions – 34
• Lorenzo fait une pause à la fenêtre et se réjouit de l’acte qu’il a commis.
• La fuite grâce à des chevaux de poste sous le prétexte d’un frère malade.
DOCUMENTS
Texte A : Lorenzaccio
Texte B : Une conspiration en 1537
Texte C : La Storia Fiorentina
Texte D : L’Heptaméron
Texte E : Une année à Florence
VARIANTES
• Propos d’Alexandre sur les femmes.
• Exaltation de Lorenzo face à la nature. Accord du moi et du monde.
• Traitement elliptique.
• Insistance sur le registre lyrique.
• Propos d’Alexandre sur les femmes.
• Multiples détails sanglants.
• Oraison funèbre de Lorenzo.
• Exaltation de Lorenzo, en particulier face à la nature.
• Texte à mi-chemin entre réalisme et romantisme.
• Pas d’épisode préparant le meurtre mais cependant allusion à
Catherine à la fin du texte (l. 36).
• Très nombreux détails sanglants.
• Communion avec la nature traitée de manière très rapide.
• Allusion aux témoins.
• Ellipse de l’épisode de la fuite.
• Un récit qui se veut objectif et informatif en donnant un luxe de
détails et en avançant des hypothèses d’interprétation.
• Des analyses psychologiques.
• Des commentaires du narrateur.
• La fuite en Turquie.
• Un récit détaillé et vivant qui met l’accent sur la psychologie des
personnages.
• Complaisance dans les détails sanglants et macabres.
• Une chronologie minutieuse qui se réfère à Varchi.
• Allusion aux témoins.
• Un récit réaliste et romanesque à la fois qui ne lésine sur aucun effet,
volontiers grandiloquent (« une cicatrice éternelle »).
L’éclairage sur le meurtre varie d’un texte à l’autre, même si les constantes sont nombreuses.
Beaucoup de textes insistent sur la sauvagerie du meurtre qui garantit d’efficaces effets littéraires,
tandis que d’autres mettent l’accent sur la personnalité de Lorenzaccio et sur ses impressions.
Scoronconcolo est tantôt laissé dans l’ombre, tantôt c’est lui qui porte le coup fatal. On souligne
souvent le courage dont Alexandre fait preuve – ce qui le réhabilite quelque peu tout en valorisant le
jeune meurtrier. Le meurtre est toujours traité comme un fait divers et jamais son enjeu politique
n’est vraiment mis en lumière (seul L’Heptaméron y fait allusion).
Commentaire
1. L’organisation du récit
A. La structure du récit : les étapes d’un meurtre prémédité
B. Un récit vivant
• Variété des vitesses narratives.
• Utilisation du discours direct.
2. Le mélange des registres : un récit terrifiant et amusant
A. Un récit d’horreur
• Un crime et une trahison (cf. l. 31).
• Des détails sanglants + la folie meurtrière du jeune homme (détail que l’on trouve seulement dans le
texte de Marguerite de Navarre).
B. L’humour
• Utilisation de zeugmas (l. 25 : « ouvrit son rideau et ses oeilz » ; l. 29 : « denué d’armes et non de cueur »),
de litotes (« s’il n’en faisoit autant à cinq ou six de ceulx qui estoient les prochains du duc »).
• Des situations cocasses : « lequel, trouvant le duc et son maistre si liez ensemble qu’il ne savait lequel choisir,
les tira tous deux par les piedz » (l. 36).
Lorenzaccio – 35
3. La voix du conteur
A. Un regard féminin
• Des détails concernant la toilette du Duc (l. 11) ou l’ordre de la chambre (l. 13-14).
• L’importance du sentiment amoureux (l. 24 et 26).
• La vertu des femmes en question : « celle qu’il avoit estimée invincible » (l. 9-10), « celle qui n’entrera pas
en ceste chambre sans rougir » (l. 14-15).
B. Des analyses psychologiques
À plusieurs reprises, la narratrice avance des explications psychologiques (l. 5, 34, 53-54).
C. Une leçon morale
• Une fin heureuse : l’action commise par le gentilhomme est juste : « par la mort duquel il pensait mettre
en liberté la chose publique » (l. 42-43). Il guérit donc de ses blessures et fuit sans être inquiété.
• L’éloge de la mesure et de la raison par la voix du serviteur « ne hardy ne fol » (l. 47).
• Idée que l’amour fait commettre des folies : « luy promectoit tout ce qu’il luy sçauroit demander » (l. 6).
Dissertation
1. La réécriture d’un texte ou d’un mythe contient forcément une part de répétition
A. Il y a de grands thèmes universels, des topoï, auxquels chaque artiste se trouve confronté
• C’est le cas de tous les grands thèmes lyriques qui font partie de la condition humaine. Comment ne
pas se répéter quand on parle des joies et des souffrances de l’amour ? de l’angoisse du temps qui
passe ?
• Les thèmes engagés sont aussi toujours les mêmes et restent éternellement d’actualité : la lutte pour
la liberté, la tolérance, contre l’exclusion sont des combats qu’il ne faut jamais cesser de mener.
B. L’écrivain peut reprendre une histoire déjà écrite et déjà connue
• Ce qui va faire l’intérêt du nouveau texte n’est donc pas le déroulement de cette histoire.
• En effet, l’intrigue est donnée d’avance – ce qui réduit la tension dramatique du texte. Pourtant le
XXe siècle, en particulier, a repris au théâtre de nombreux mythes antiques et a réussi à les revivifier.
C. Les personnages aussi sont donnés d’avance
Pourtant, la part d’invention de l’écrivain n’est pas moindre car il va s’efforcer de donner aux
personnages un caractère attachant : ainsi, l’Antigone d’Anouilh nous semble-t-elle plus proche de
nous et plus émouvante que l’Antigone de Sophocle. La réécriture est donc un défi car il va falloir
captiver le lecteur par le traitement novateur d’une histoire qu’il connaît déjà.
2. L’originalité d’une réécriture
A. La réécriture peut modifier le regard porté sur les personnages en fonction de l’époque ou de la sensibilité
personnelle de l’écrivain
Le Lorenzo de Médicis de Musset est porteur des angoisses et de certains traits de la personnalité de
Musset. Le personnage de Jeanne d’Arc a fait aussi l’objet de nombreux textes, de Bernard Shaw à
Brecht, en passant par Péguy ou Claudel. Héroïne tantôt de la droite ou de la gauche, la jeune fille est
suffisamment plastique pour se prêter à toutes les entreprises littéraires où il est question d’idéal et de
pureté.
B. Ainsi, le sens de l’histoire racontée peut-il être modifié, adapté ; le message devient universel
Le personnage d’Antigone, tel qu’il est traité par Anouilh, peut être compris comme une apologie de
la Résistance, et le personnage de Lorenzaccio, qui a pourtant vécu au XVIe siècle, se transforme de
manière très convaincante en héros romantique.
C. La réécriture devient l’occasion d’un exercice de style : comment faire entendre sa propre voix à travers un texte
déjà connu ?
Et c’est bien l’enjeu majeur pour un écrivain que de parvenir à créer son propre langage et son propre
univers. Le texte n’est que prétexte. Molière, en créant son Dom Juan, reprend bien l’histoire de
l’Espagnol Tirso de Molina mais crée un texte baroque et personnel qui trouve à la fois des échos dans
l’actualité de Molière et analyse un type humain universel.
Réponses aux questions – 36
3. La richesse de l’intertextualité
A. Des récits qui se complètent
Il est toujours intéressant de comparer et de confronter les divers traitements d’un thème. Le lecteur
aime retrouver une histoire qu’il connaît et en savourer les variantes. Porté par une intrigue qu’il n’a
plus à découvrir, il sera d’autant plus attentif à l’originalité de l’œuvre et à son style. Récemment, La
Jeune Fille à la perle de Tracy Chevalier a connu un grand succès en proposant une histoire autour du
célèbre tableau de Vermeer.
B. La palette des émotions humaines
Un même thème, traité par des auteurs différents et à des époques diverses, permet de percevoir
l’infinie variété des sentiments, leurs nuances changeantes mais aussi la profonde unité de l’humanité.
Que la passion ait les traits de Phèdre ou ceux de Renée dans La Curée d’Émile Zola, elle n’en garde
pas moins sa puissance de fascination et d’émotion, même si les deux héroïnes sont très différentes.
C. La mobilité des mythes
Un mythe peut circuler d’un art à un autre. C’est particulièrement vrai pour les mythes antiques,
traités en peinture, en sculpture ou en littérature. Mais c’est aussi le cas de Dom Juan dont la version
de Mozart est aussi admirable que celle de Molière. Quel plaisir pour l’esprit et pour le goût que des
œuvres qui se répondent ! Chacun pourra y trouver des échos qui lui sont propres et se créer sa
propre anthologie.
Écriture d’invention
L’élève pourra s’inspirer du tableau récapitulatif des constantes et des variantes et opérer ses propres
choix. À son gré, il pourra s’attarder sur la personnalité de Lorenzo ou sur celle d’Alexandre. Comme
dans le texte de Marguerite de Navarre, le récit ou le dialogue pourra donner lieu à une discrète leçon
morale.
S’il choisit le récit, on attend que l’élève utilise les techniques du récit (jeu sur les points de vue, les
vitesses narratives, utilisation cohérente de la chronologie). Ce peut être un utile exercice de révision
en début d’année.
Lorenzaccio – 37
COMPLÉMENTS
A U X
L E C T U R E S
D
’IMAGES
◆ Portrait de Musset par Eugène-Louis Lami (p. 4)
L’auteur
Eugène-Louis Lami (1800-1890) a laissé de délicates compositions décrivant la vie quotidienne à Paris
sous la monarchie constitutionnelle et le Second Empire. Il illustra également de nombreux livres
comme Manon Lescaut ou Gil Blas.
L’œuvre
Il s’agit d’un dessin de trois quarts dos. On remarque l’élégance du jeune dandy et sa pause étudiée, le
chapeau haut de forme à la main et la main gauche derrière le dos. Le visage, dont on distingue
clairement le noble profil, exprime la gravité.
Travaux proposés
– Lisez la biographie de Musset (pp. 238-244). Quels rapprochements pouvez-vous faire entre ce
portrait et certains éléments de la vie de Musset.
– Cherchez d’autres portraits de Musset, à différents âges de sa vie. Classez-les chronologiquement et
commentez-les.
◆ Affiche pour Lorenzaccio avec Sarah Bernhardt par Mucha (p. 5)
L’auteur
Alfons Maria Mucha (1860-1939) est un peintre et affichiste tchécoslovaque. Il est l’affichiste de Sarah
Bernhardt (Lorenzaccio, 1896 ; Médée, 1898 ; L’Aiglon, 1900) et plusieurs entreprises commerciales
firent appel à ses services (« Job », « la Bénédictine », etc.). Ses œuvres font une large place aux
arabesques et aux lignes florales (style « nouille »). Les jeunes femmes créées par Mucha sont si
caractéristiques qu’on les appelle « les Muchettes ».
L’œuvre
L’affiche est en hauteur, comme souvent. Elle s’inspire, pour son format allongé, du style japonisant
en vogue à l’époque. Des inscriptions encadrent le dessin central : en haut, le titre de l’œuvre ; en bas,
le lieu de la représentation ; à gauche, le nom de l’actrice principale ; et à droite, l’année en chiffres
romains. On remarque la présence de courbes (arche, arabesques en fond, contorsions du corps) qui
donnent beaucoup de sensualité à l’ensemble.
Le personnage de Lorenzaccio est vêtu de noir et porte plusieurs objets symboliques : l’épée à la
ceinture et le livre. La pause songeuse, une main sur la bouche, semble indiquer les incertitudes du
héros. Le personnage, masse sombre, se détache sur un fond clair aux fins dessins aériens.
Travaux proposés
– Étudiez la composition de l’ensemble.
– Quels traits de la personnalité et de l’action du héros sont particulièrement mis en valeur ?
◆ Caricature de Louis-Philippe, lithographie de Deshayes (p. 10)
L’œuvre
Louis-Philippe est représenté au centre, assis à terre, donc en position de défaite – ce que confirme
l’aspect négligé de sa tenue et de sa coiffure. Sont mis en évidence son ventre rebondi (signe
d’opulence bourgeoise) et sa cupidité (mains aux doigts avides et sac d’or).
L’affiche du Roi s’abuse (parodie de la pièce Le Roi s’amuse de Hugo), les instruments de musique et le
commentaire de la caricature assimilent le gouvernement de Louis-Philippe à un spectacle.
Travaux proposés
– Quels détails montrent qu’il s’agit d’une caricature ?
– Qui sont les personnages représentés ? (Demandez de l’aide à votre professeur d’histoire.)
Compléments aux lectures d’images – 38
– Relisez « La France de 1830 » (pp. 245-249) et mettez cette caricature en relation avec les éléments
historiques.
– Commentez la légende : « La farce est jouée, comptons la recette. »
◆ Mise en scène de Ruy Blas par Pierre Dux (p. 33)
Le metteur en scène
Né en 1908 et déclaré à la mairie sous le nom de Martin, Pierre Dux est le fils d’une actrice de la
Comédie-Française et d’un acteur de boulevard. Tout le destine donc au théâtre, mais ce milieu lui
semble « mystérieux, intimidant, inquiétant ». Adolescent, il se veut écrivain, ou bien ingénieur
agronome, ou médecin de campagne. Le destin en décida autrement, lors d’une représentation à
Anvers d’une pièce dont sa mère était la vedette et dans laquelle il remplaça au pied levé un comédien
malade. En 1927, il se présente au concours d’entrée au Conservatoire, y interprétant deux scènes de
Figaro. Il est reçu le premier ; ensuite, il obtient, en finale, le Premier Prix. Pierre Dux entre au
Théâtre-Français (Comédie-Française) en 1929, où il interprète, entre autres, le rôle de Figaro dans
Le Barbier de Séville et crée le rôle de l’Annoncier du Soulier de satin de Claudel. Avec son ami Fernand
Ledoux (sociétaire depuis 1931), il sera également à l’origine de réformes de cette institution.
Pierre Dux s’essaye ensuite, avec succès, à la mise en scène, avec Le Légataire universel de Regnard. On
lui doit également, entre autres, Ruy Blas de Victor Hugo (1937) et La Reine morte de Montherlant
(1942). Mobilisé dès la déclaration de guerre, il subit la débâcle et revient à la Comédie-Française,
dans un Paris sous occupation. Partisan déterminé du général de Gaulle, il fait néanmoins partie des
rares qui ont la chance de tourner des films et monter des pièces. En 1945, déçu que les réformes
n’aient pas abouti et que le ministre n’ait pas daigné répondre au rapport qu’il lui avait adressé, Pierre
Dux donne sa démission. Mais la Maison ne veut pas le laisser partir ; une commission de réformes est
désignée, dont il devient membre.
D’une activité débordante, Pierre Dux sera un comédien et un metteur en scène à succès, une vedette
de cinéma et de télévision, chef de troupe au Théâtre de Paris, administrateur de la ComédieFrançaise (1970-1979), directeur du Théâtre National de l’Odéon (1971-1977), mais aussi un
précurseur, en accueillant, dans la seconde salle qu’il fait ajouter à l’Odéon, la nouvelle génération
(Roger Planchon, Patrice Chéreau, Marcel Maréchal, Franco Zeffirelli, Giorgio Strehler), en y faisant
jouer les œuvres de Dubillard, de Billetdoux et d’Andrée Chédid, et en faisant entrer à l’Odéon Le roi
se meurt d’Eugène Ionesco et au répertoire En attendant Godot de Samuel Beckett.
Pierre Dux, qui aimait à répéter ces mots de son maître Jules Truffier : « Le découragement est du temps
perdu », est décédé en 1990.
La mise en scène
Se reporter à la réponse à la question 9 du premier groupement de textes (p. 8).
Travaux proposés
– Commentez le décor et les costumes. Vous semblent-ils conformes aux indications données par
Hugo dans la pièce ?
– Quelle(s) fonction(s) remplissent-ils ?
– Cherchez une autre photographie d’une mise en scène de Ruy Blas plus récente. Comparez-les.
◆ Mise en scène de Bérénice par Klaus Michael Grüber (p. 34)
Le metteur en scène
Klaus Michael Grüber met en scène Bérénice à l’occasion du Festival d’automne de Paris, le
1er décembre 1984. Cultivant l’art du dépouillement, il s’efforce, lors de cette création, de restituer la
simplicité de la langue de Racine et son intensité émotionnelle. « J’ai appris qu’on peut pleurer en
alexandrins », déclarera-t-il.
La mise en scène
Se reporter à la réponse à la question 9 du premier groupement de textes (p. 8).
Travaux proposés
– Imaginez un autre décor pour Bérénice de Racine. Justifiez vos choix.
– Commentez l’attitude des personnages et la distance qui les sépare.
Lorenzaccio – 39
◆ Le duc et Lorenzo par Charles Martin (p. 83)
L’œuvre
Il s’agit d’un dessin en couleurs des années 1940, représentant l’étrange couple formé par Alexandre et
Lorenzaccio. On remarque que l’accent est mis sur la puissance et la virilité du Duc, au premier plan,
en tenue claire, bras et jambes écartés, dans une attitude de conquérant. Lorenzaccio apparaît au
second plan, forme frêle, tout de noir vêtu.
Travaux proposés
– D’après ce dessin, quelles relations entretiennent les deux hommes ? Vous semblent-elles conformes
à ce que Musset a voulu laisser supposer ?
– Mettez en relation la représentation du Duc avec les textes proposés dans le cinquième corpus
(pp. 200-209). Quelle impression d’ensemble se dégage ?
◆ Illustration pour La Nuit de décembre par Eugène-Louis Lami (p. 90)
L’œuvre
Il s’agit d’une aquarelle, conservée au château de Malmaison et faisant partie d’une série réalisée par
Eugène-Louis Lami pour les Nuits de Musset.
Pour le commentaire du document, on se reportera aux réponses aux questions 7 et 8 du deuxième
groupement de textes (p. 16).
Travaux proposés
– Cherchez le texte des quatre Nuits de Musset et les illustrations de Lami qui leur correspondent.
Aidez-vous de ces documents pour dégager de grands thèmes romantiques.
– À travers ces documents, et dans le cadre de l’objet d’étude sur la poésie, relevez les vers qui
illustrent la condition du poète.
◆ Mise en scène de Lorenzaccio par Françoise Maimone (p. 106)
La mise en scène
Dans cette mise en scène, Françoise Maimone renoue avec la tradition en faisant jouer le rôle
éponyme par une femme. L’expressivité des comédiens justifie le commentaire d’Anne-Caroline
Jambaud : « Spectacle de chair, de frissons et de sentiments » (p. 280).
Voir les commentaires de cette mise en scène à la fin du Bibliolycée (p. 280).
Travaux proposés
– Commentez la position des corps et l’opposition des costumes.
– À votre avis, quel moment de la pièce cette photographie illustre-t-elle ? Justifiez votre réponse.
◆ Mise en scène de Lorenzaccio par Francis Huster (p. 122)
La mise en scène
La photographie confirme le commentaire de la mise en scène de Francis Huster, proposé par
C. Derouin et N. Thévenin (pp. 278-279) : le héros est vêtu à la mode romantique (« dandy […] en
jabot »). Il « apparaît seul, drapé dans sa cape » et interprète « un Lorenzaccio sensible et halluciné ».
Voir les commentaires de cette mise en scène à la fin du Bibliolycée (p. 278).
Se reporter également à la réponse à la question 6 du troisième groupement de textes (p. 20).
Travaux proposés
– Étudiez les effets produits par les éclairages.
– Quelle image du héros donnent ses vêtements et ses accessoires ?
◆ Mise en scène de Lorenzaccio par Jean-Pierre Vincent (p. 145)
La mise en scène
La photographie de la mise en scène de Jean-Pierre Vincent permet d’avoir une idée du décor
dépouillé mis en place et de « l’escalier en forme de gradins ou de promontoire », mentionné par Virginie
Compléments aux lectures d’images – 40
Lachaise (p. 282). On devine également les jeux de lumière : « un éclairage cru [à gauche] interrompt
[…] une atmosphère de clair-obscur » (p. 282).
Voir les commentaires de cette mise en scène à la fin du Bibliolycée (p. 281).
Travaux proposés
– Qu’est-ce qu’apporte (ou enlève) la modernisation des costumes au sens de la pièce ?
– Commentez l’attitude des deux personnages.
◆ Caspar David Friedrich, Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages (p. 151)
L’auteur
Friedrich est un peintre allemand (1774-1840). Proche de certains membres du premier mouvement
romantique, il est fasciné par les paysages calmes et mélancoliques (comme ceux de l’île de Rügen), et
affiche un goût pour le mysticisme et le fantastique. Il est l’auteur de paysages qui montrent un sens
tragique de la nature.
L’œuvre
Se reporter aux réponses aux questions 7 et 8 du quatrième groupement de textes (p. 29).
Travaux proposés
– Cherchez une autre œuvre de Friedrich dont vous montrerez le caractère fantastique.
Il est possible d’exploiter le tableau de Friedrich en aide individualisée, de manière à faire revoir aux
élèves certains procédés d’expression et certains registres :
– on peut leur demander de trouver un champ lexical comportant dix noms, dix adjectifs, cinq verbes
et cinq adverbes pouvant s’appliquer à ce que représente le tableau ;
– on leur suggérera aussi d’écrire une phrase contenant une figure d’opposition, une autre une figure
de répétition et de trouver trois images (comparaison ou métaphore) en rapport avec le document ;
– les élèves pourront ensuite réutiliser ces travaux pour écrire un texte lyrique d’une dizaine de lignes
qui exprime les impressions du personnage central ;
– enfin, on leur proposera de produire un texte ironique, soit du point de vue de ce même
personnage, soit du point de vue d’un observateur du tableau de Friedrich.
◆ Mise en scène de Lorenzaccio par Jean Vilar (p. 196)
La mise en scène
Voir les commentaires de cette mise en scène à la fin du Bibliolycée (p. 277).
Travaux proposés
– Commentez la position des mains et l’expression du visage de Lorenzaccio.
– En quoi cela illustre-t-il l’ambiguïté des relations entre les deux hommes ? Le visage d’Alexandre
confirme-t-il vos hypothèses ?
◆ Mise en scène de Lorenzaccio par Georges Lavaudant (p. 210)
L’auteur
Georges Lavaudant est né en 1947. Au début des années 1970 et durant vingt années, à Grenoble, il
dirige la troupe du Théâtre partisan, puis, en 1976, il devient le codirecteur du Centre dramatique
national des Alpes et, en 1981, celui de la Maison de la culture de Grenoble. Devenu codirecteur du
T.N.P. en 1986, il y met en scène Le Régent de Jean-Christophe Bailly (1987) et y poursuit sa démarche
grenobloise, faisant découvrir des auteurs contemporains en alternance avec des pièces classiques. On lui
doit aussi quelques œuvres personnelles : Les Iris, Terra incognita… Ses mises en scène ont vu le jour sur
les planches de théâtres très variés, à Grenoble, à Villeurbanne, à la Comédie-Française (Lorenzaccio), à
l’Opéra de Paris (Roméo et Juliette de Gounod), et dans le monde entier (Mexico, Hanoi, SaintPétersbourg). En mars 1996, il est nommé directeur de l’Odéon/théâtre de l’Europe.
L’œuvre
On devine que l’« éclat des costumes accuse la pâleur de ceux qui les portent », comme le note Guy Rosa
(p. 280).
Se reporter à la réponse à la question 7 du dernier groupement de textes (p. 33).
Lorenzaccio – 41
Travail proposé
Photocopiez la photographie en la centrant sur une feuille format A4 et prolongez les personnages et
le décor à votre guise.
◆ George Sand par Alfred de Musset (p. 212)
L’auteur
Musset, très habile dessinateur, a laissé de nombreux dessins dont plusieurs de George Sand, sa
maîtresse.
L’œuvre
Le dessin d’Alfred de Musset souligne l’aspect mystérieux de la femme aimée, représentée au centre
du dessin : visage à demi dissimulé, buste entouré de traits de crayon noirs, bras droit laissé dans
l’ombre et silhouette de femme qui disparaît, de dos, à l’arrière-plan de la composition.
Tout se passe comme si la partie droite du dessin, traitée avec un effet de perspective, mettait en scène
la même femme que celle au premier plan et laissait présager sa fuite.
On remarquera le caractère sombre de l’ensemble et de la femme, en particulier : mèche de cheveux
noirs, yeux noirs, épais sourcils bruns. Ces éléments sont caractéristiques de l’esthétique romantique.
Travaux proposés
– Faites des recherches sur George Sand et rédigez sa biographie en une quinzaine de lignes.
– Trouvez d’autres portraits de George Sand. Quelle image donnent-ils d’elle ?
– Quelles caractéristiques physiques l’éventail met-il en valeur ? Quelle image de la femme suggère-til ?
– Trouvez d’autres œuvres – littéraires ou picturales – représentant une femme à l’éventail. Quelle est
la fonction symbolique et esthétique de cet objet ?
Complément à la lecture analytique (p. 115) – 42
COMPLÉMENT
À
L A
L E C T U R E
A N A L Y T I Q U E
(P. 115)
Travail fait sur table, en deux heures, par Margot Riggi, élève de Seconde 10 au lycée Montesquieu en 20032004.
◆ La structure de l’extrait
! Pierre
conserve d’un bout à l’autre de l’extrait son opinion irrévocable, à savoir sa décision d’agir
contre Alexandre. C’est donc uniquement la position de Philippe qui évolue : fermement opposé à son
fils au début, il cherche ensuite à le faire renoncer puis à en savoir plus sur l’action qu’il compte mener.
Devant la ténacité et l’enthousiasme de son fils, il se laisse finalement convaincre : « Emmène-moi. »
" De nombreuses phrases interrogatives permettent au dialogue d’avancer. Mais, tandis que certaines
appellent réellement une réponse (« Ainsi donc ? »), d’autres seraient plutôt des questions oratoires
(« Qu’ont donc fait à Dieu ces Pazzi ? ») qui, plus qu’au public ou à l’interlocuteur présent sur scène,
sont posées au personnage lui-même, témoignant de ses interrogations face à la situation, voire de son
scepticisme.
# Seul Philippe a des tirades, d’ailleurs surtout placées dans la première partie de l’extrait. En effet, il
fait ici figure d’homme posé, qui a de l’expérience, privilégiant ainsi la réflexion à l’action spontanée :
Philippe est ainsi opposé à son fils, caractérisé par l’impulsivité de la jeunesse. La seconde partie
comporte surtout de courtes répliques : Philippe se laisse entraîner dans l’action.
$ Philippe essaie de protéger son fils contre une action pouvant s’avérer dangereuse : il tente de le
convaincre d’y renoncer dans ses tirades. Mais ce sentiment paternel s’exprime de façon plus explicite
dans sa dernière réplique où il se refuse d’abandonner ses « aiglons », cette « brave et belle jeunesse » dont
il est fier.
% La fierté de reconnaître chez Pierre l’incarnation de sa jeunesse pousse Philippe à accepter l’action
malgré lui : il s’agit d’une passation de pouvoir symbolique. De plus, Philippe finit par décider
d’accompagner son fils : peut-être un désir de le protéger ?
& Pierre adopte d’abord un ton sec et plein de reproches à l’égard de son père, ne parlant que très peu
(« vous qui savez aimer, vous devriez savoir haïr »). Il paraît fermé au dialogue, avant de céder et
d’accepter de répondre aux interrogations de son père. Son ton est toujours ferme mais, cependant,
moins agressif (« Adieu, mon père, laissez-moi aller seul »). Enfin, la décision de Philippe lui fait plaisir : il
se sent soutenu dans sa démarche et ses paroles sont emplies de respect et d’admiration pour ce
« patriarche ».
' Cette métaphore fait tout d’abord référence à la jeunesse de Pierre. Il doit, comme les enfants, faire
les choses dans le bon ordre (peut-être réfléchir avant d’agir) ; regarder la réalité, les choses évidentes
en face avant d’échafauder des plans : compter sur ses doigts avant de compter dans sa tête.
◆ La figure du patriarche
les répliques de Philippe, les pronoms personnels de 2e personne sont nombreux et, en
général, au pluriel. Cela montre qu’au-delà de son fils, Philippe se préoccupe de l’ensemble des
républicains.
) Philippe emploie un vocabulaire dépréciatif : « rien », « sans », toutes les négations de sa première
tirade, « mascarade », « enfants ». Il reproche à son fils d’agir trop précipitamment, sans avoir réfléchi et
peut-être de prendre cette chose sérieuse comme un amusement.
*+ Le texte insiste sur l’âge de Philippe : « vieil aigle », « vieilli »… Lui-même regrette sa jeunesse qu’il
retrouve chez Pierre. Mais, surtout, il fait figure d’homme expérimenté, opposé à l’inconscience de la
jeunesse.
*, On trouve de nombreuses occurrences du verbe savoir. Sous forme interrogative lorsqu’il s’agit de
la jeunesse (« Savez-vous », « sais-tu »…), sous forme déclarative et affirmative pour Philippe (« les pères
savent »). À l’ignorance de cette jeunesse s’oppose la certitude de l’expérience ; ainsi Philippe est un
exemple pour les jeunes Florentins.
( Dans
Lorenzaccio – 43
*- Philippe
quitte le cas précis qui est l’objet de la conversation pour aborder des notions plus
abstraites et générales : « une république » (utilisation du pronom indéfini), « le bonheur », « la vie et la
mort » (idées abstraites et universelles).
*. Philippe utilise un vocabulaire religieux : « Dieu », voire « Dieu de justice », « Providence »,
« offenser », « juste vengeance ». Il prend ainsi une référence universelle et sacrée pour appuyer ses
propos. De plus, la pièce se situe au XVIe siècle, époque où la religion était très ancrée dans les esprits :
ses paroles peuvent ainsi avoir plus de poids.
◆ Deux visions de la politique
*/ Pierre
et Philippe sont deux figures militantes antithétiques. Pierre est caractérisé par la fougue de la
jeunesse, son enthousiasme, son énergie : il parle peu et refuse d’argumenter plus longtemps sur le
bien-fondé de son acte pour lequel il est bien déterminé. En revanche, son père demeure dans une
réflexion stérile traduite par plusieurs tirades. Hostile à l’action, il se laisse difficilement convaincre et
aimerait plutôt combattre avec les mots et les idées.
*0 Pierre s’oppose plutôt à la personne d’Alexandre, ce « bâtard », qu’à son statut. Son obsession est de
l’éliminer à tout prix pour assouvir une « vengeance » personnelle plutôt qu’accomplir une croisade
républicaine contre le tyran (la seconde tirade de Philippe expose le désir de vengeance après l’affront
fait à Louise).
*1 Florence apparaît tout de même dans ses motivations (deux occurrences). Si Pierre veut « guérir »
Florence, c’est plus dans le but de faire plaisir à son père, son « jardinier » (dernière réplique de
l’extrait).
*2 Pierre n’utilise que très peu de figures de rhétorique car il privilégie l’action aux longs discours. Il
entend convaincre son père plus par son attitude et sa détermination que par les mots. On trouve tout
de même une apostrophe : « Vous qui savez aimer ».
*3 Le discours de Philippe est constitué de nombreuses tirades oratoires où les figures de style sont
omniprésentes : anaphore (« Savez-vous »), questions rhétoriques (« Qu’ont donc fait à Dieu ces
Pazzi ? »), répétitions (« guérir, guérir »), beaucoup de phrases exclamatives (« jouer avec la vie et la
mort ! »).
*4 Philippe généralise ses propos au-delà du cas unique qui le préoccupe et aborde des sujets
intemporels (la vie et la mort). C’est un intellectuel, un penseur, un idéaliste. Il traite d’idées abstraites
avec des images concrètes (par exemple, l’allégorie de la Providence).
5+ Philippe est le symbole des valeurs ancestrales (l’autorité, etc.). Il semble même parfois décalé, en
retard sur son temps. Mais le père et le fils s’unissent autour des valeurs aristocratiques et guerrières de
l’honneur et de la virtus.
Bibliographie, discographie, filmographie complémentaires – 44
BIBLIOGRAPHIE, DISCOGRAPHIE,
F I L M O G R A P H I E
C O M P L É M E N T A I R E S
◆ Bibliographie
Œuvres de Musset
– Œuvres complètes, coll. « L’Intégrale », éd. du Seuil, 1963 (un volume).
– Théâtre complet, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1990 (un volume).
– Lorenzaccio, coll. « Classiques Hachette », Hachette Livre, 1991.
– Les Caprices de Marianne, coll. « Classiques Hachette », Hachette Livre, 1999.
– On ne badine pas avec l’amour, coll. « Bibliolycée », Hachette Livre, 2003.
– Musset, La Confession d’un enfant du siècle, coll. « Folio », Gallimard, 1973.
Sur le contexte de l’œuvre
– Paul Bénichou, Les Mages romantiques, Gallimard, 1988.
– G. Bertier de Sauvigny, La Restauration, Flammarion, 1955.
– Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, coll. « Champs », Flammarion, 1970.
– Paul van Tieghem, Le Romantisme dans la littérature européenne, Albin Michel, 1969.
Sur le genre
– Franck Laurent et Michel Vienes, Le Drame romantique, Hatier, 1996.
– Michel Lioure, Le Drame, coll. « U », Armand Colin, 1963.
– « Le drame romantique », Rencontres nationales de dramaturgie du Havre, éd. des Quatre Vents, 1999
(numéro spécial).
– Dramaturgies romantiques (sous la direction de Georges Zaragoza), Éditions universitaires de Dijon,
1999 (numéro spécial).
Sur Lorenzaccio
– J. Bem « Lorenzaccio entre l’histoire et le fantasme », in Poétique, n° 44, 1980.
– Hassan el Nouty, « L’esthétique de Lorenzaccio », in Revue des sciences humaines, 1962.
– Bernard Masson, « Lorenzaccio » ou la Difficulté d’être, Archives des lettres modernes, n° 46, 1962.
– Bernard Masson, Musset et son Double : lecture de « Lorenzaccio », Minard, 1978.
– Walter Moser, « Lorenzaccio, le Carnaval et le Cardinal », in Romantisme, n° 19, 1991.
– Cahiers Textuel : « Lorenzaccio » (textes réunis par José-Luis Diaz), université de Paris VII, 1991.
Sur l’auteur, sa vie et son œuvre
– Paul de Musset, Biographie d’Alfred de Musset : sa vie et ses œuvres, 1877, repris dans Œuvres complètes,
coll. « L’Intégrale », éd. du Seuil, 1963.
– George Sand et Alfred de Musset, Le Roman de Venise (choix de lettres par José-Luis Diaz),
coll. « Babel », Actes Sud, 1999.
– Philippe van Tieghem, Musset, coll. « Connaissances des lettres », Hatier, 1969.
◆ Discographie
– Enregistrement intégral de Lorenzaccio au T.N.P. en 1952, mise en scène de Gérard Philipe et Jean
Vilar, interprétation de Lorenzo par Gérard Philipe, Audivis, coll. « Vie du théâtre », Hachette, 1996.
◆ Filmographie
– Les Enfants du siècle de Diane Kurys (1999), avec Benoît Magimel et Juliette Binoche (sur les
amours de Musset et George Sand).
– Cellini de Giacomo Battiato (1991), avec Wadeck Stanczak, Ben Kingsley et Max von Sydow
(évoque la période et la figure de l’artiste florentin).