L`éthique professionnelle, Un nouvel outil marketing ?

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L`éthique professionnelle, Un nouvel outil marketing ?
L’éthique professionnelle,
Un nouvel outil marketing ?
Baptiste MOREAU
Ecole Nationale Supérieure des Mines
Saint-Etienne
Mot de passe : bm012
L’éthique professionnelle,
Un nouvel outil marketing ?
Mot de passe : bm012
Approche du sujet
Lorsqu’il nous a été proposé de participer à ce concours, je me suis fait l’idée d’une
dissertation supplémentaire, d’un essai futile autour d’une théorie pourtant subordonnée à
des actes éminemment pratiques ; des actes simplement régis par le respect mutuel entre
acteurs économiques. J’en avais fait l’expérience au cours de mon stage ouvrier, quand mon
coéquipier « Joe » m’expliquait qu’il prenait, chaque soir, quinze minutes de plus pour
acheminer des sacs de soufre jusqu’à la chaufferie. Cela évitait aux « anciens » d’avoir à les
porter, eux qui s’étaient déjà rompu le dos au cours d’une longue carrière de malteur. Bien
entendu, Joe avait ses propres impératifs, aussi aidait-il ses aînés une fois sa journée
terminée, sans que ses efforts fussent rémunérés.
C’était simplement ça, l’éthique professionnelle, pensais-je. Nul besoin de disserter
davantage. Sauf que je n’entrevoyais que la partie submergée de l’iceberg, l’éthique au sein
même de l’entreprise, telle que la pratiquent ses employés. C’était omettre tout un pan de
l’éthique professionnelle, rarement abordé dans les travaux lauréats du concours, et qui
représente pourtant un intérêt considérable pour les dirigeants d’entreprises : le marketing
éthique, ou la communication sur les actions humanitaires engagées. Or cette notion est
primordiale, car les décisions prises par les responsables d’entreprise peuvent améliorer
durablement les conditions de vie de milliers d’habitants des régions les plus pauvres au
monde. Toutefois, le consommateur ne peut-il pas s’empêcher de penser que de telles
opérations cherchent avant tout à séduire davantage de clients en jouant sur leur
sensibilité ? D’où la préoccupation suivante, à laquelle j’ai consacré mon essai : l’éthique
professionnelle est-elle un nouvel outil marketing ? La réponse à cette question
permettra naturellement de dégager les meilleures stratégies éthiques que pourront adopter
les entrepreneurs de demain.
Résumé du contenu de l’essai
En approchant l’éthique professionnelle sous l’angle de l’enseignement social-chrétien, nous
commençons par en esquisser une définition concrète dans l’horizon du bien commun,
« étoile polaire » qui doit guider l’entreprise dans ses investissements. Puis nous soulignons
que les marques ont intérêt à communiquer sur les actions illustrant la cohérence de leurs
engagements, car ce faisant elles dégagent une double valeur : d’une part, un vrai soutien
pour les bénéficiaires de l’aide, et d’autre part, une reconnaissance médiatique pour les
marques elles-mêmes. Cette valeur devrait suffire à cautionner le bien-fondé du marketing
éthique sous le slogan « vendre mieux en faisant du bien ». Néanmoins, le marketing
éthique présente un double danger : tandis que les marques se sentent obligées de communiquer sur les résolutions qu’elles adoptent dans le but de ne pas perdre la confiance du
consommateur, celui-ci reste très méfiant à l’égard d’une communication abusive qui jetterait
le doute sur l’honnêteté de tels engagements. Enfin, le prix de vente reste la conditio sine
qua non de toute opération du genre ; il serait vain de proposer des articles « éthicocertifiés » dont le prix surplomberait la concurrence.
Références

Adam Smith : Vie, œuvres, concept – Alain Bruno

Langue de pub : le kit de survie publicitaire - Babette Auvray-Pagnozzi

Les coulisses du commerce équitable : mensonges et vérités sur un petit business qui monte
– Christian Jacquiau

http://www.ethikenblog.com
http://fr.wikipedia.org
http://www.lejpb.com
http://www.solidar.org
http://www.volvic.fr
http://www.nespresso.com
Dans l’idée d’assigner une fin concrète à mon essai, il m’a paru nécessaire d’interpréter la
notion d’éthique professionnelle à l’aune des besoins et des contraintes qui façonnent les
stratégies entrepreneuriales. Pour amorcer ma réflexion, je me suis d’abord interrogé sur
l’éthique professionnelle dans sa globalité : sous quel horizon l’entrepreneur doit-il la
percevoir ? Puis j’ai taché de répondre à la question suivante : quels sont, pour chacun des
trois acteurs économiques que sont le client, l’entreprise et le bénéficiaire de l’aide, les
avantages et les inconvénients du conformisme éthique dans les opérations marketing ? Il
s’agira notamment d’interroger la complexité de la relation éthique-marketing sous deux
regards a priori opposés : la vision du consommateur contre celle du stratège marketing. La
recherche du profit ne pilote-t-elle pas officieusement la mise en œuvre d’opérations
humanitaires ? Quels sont les risques liés à l’exposition éthique des marques ? Nous nous
efforcerons ainsi à considérer la façade et l’envers du décor, sans négliger aucune partie
prenante. Enfin je proposerai une ouverture plus personnelle sur le sujet au travers de deux
facteurs qui à mes yeux conditionnent la réussite financière et morale d’une opération
marketing à vocation humanitaire : le prix de vente et l’honnêteté de l’initiative.
I. Plus qu’un outil, un stimulant marketing
1. Pour un retour aux sources
« L’aveugle ne doit pas courir ». N’ayant aucun recul sur le sujet, j’ai d’abord parcouru les
dictionnaires pour y trouver une définition de l’éthique professionnelle, or celle-ci était à
chaque fois présentée de manière trop abstraite. Ses applications sont pourtant bien
concrètes ! J’ai alors choisi d’amorcer ma réflexion sur une interview de Michel Camdessus,
ancien directeur général du FMI. Pourquoi ? Parce que son poste l’a indéniablement porté
au plus près des affaires économiques mondiales durant une dizaine d’années, lui donnant
ainsi une approche plus pragmatique de cette notion d’éthique appliquée au monde des
affaires. Or dans son discours, M. Camdessus souligne la prééminence du bien commun en
ces temps de crise : « je crois que le bien commun, c’est l’étoile polaire pour le navigateur ».
Au sens philosophique, le bien commun désigne le bonheur des populations. Pour M.
Camdessus il s’agit plus simplement « du souci constant de l’homme, dans toutes ses
dimensions, en particulier de l’homme le plus pauvre et le moins favorisé ». Défini par la
volonté commune de porter assistance aux plus démunis, ce bien commun est un modèle de
charité chrétienne. M. Camdessus a d’ailleurs rapporté qu’en tant que directeur du FMI, il
s’était référé aux valeurs de l’enseignement social-chrétien dans ses prises de décision,
« parce que [cet enseignement] donne le primat absolu à l’homme et au respect des plus
pauvres, à cette orientation vers le bien commun, à la responsabilité individuelle comme à la
solidarité ».
Il ne s’agit pas de promouvoir l’enseignement social-chrétien, mais force est de constater
que son application aux méthodes de management des hommes guide naturellement vers
un idéal de respect mutuel entre acteurs économiques. A l’inverse, c’est en prêchant
l’abandon des considérations essentielles de la justice sociale que des néolibéraux comme
Friedman ou Hayek ont conduit à la crise du système actuel d’économie de marché. Mais à
l’origine, le système libéral esquissé par Adam Smith n’était pas un système guidé
uniquement par la croissance et, bien qu’il fût conscient de son rôle moteur pour l’économie,
Adam Smith subordonnait le profit au respect de la condition humaine dans la sphère du
travail. Ainsi, l’interprétation du discours de M. Camdessus permet de dégager une définition
simple et pratique (puisqu’elle guida ses choix de haut dirigeant) de l’éthique
professionnelle : c’est la prise en compte systématique du bien commun au-delà de la
motivation légitime du profit dans la mise en œuvre d’investissements. Cette référence au
bien commun devrait toujours guider l’engagement éthique des entreprises, elle
devrait même en être la source.
2. Ethique et profit, une relation énigmatique
Ne soyons pas dupes : le PDG d’une firme multinationale ne partagera sans doute pas la
même vision de l’éthique que le directeur d’une institution comme le FMI. En l’occurrence,
puisqu’une entreprise est garante de sa survie, sa propre définition de l’éthique ne peut se
réduire au simple geste philanthropique. Bien sûr, il existe des cas reflétant un soutien
profond et désintéressé (je pense notamment à la fondation Bill et Melinda Gates : Microsoft
possédait déjà une renommée internationale et n’avait nul besoin de s’impliquer dans des
actions humanitaires pour augmenter ses ventes ) mais la plupart du temps, l’entreprise
communique sur ses actions et montre ainsi au consommateur qu’elle produit davantage que
ce qu’elle peut lui proposer ; elle lui explique que le bien qu’il lui achète là, dans ce rayon de
supermarché, renferme en réalité une dose de philanthropie qui contribue à améliorer les
vies des personnes les plus démunies. Ce processus de communication s’appelle le
marketing éthique, et il crée de la valeur aussi bien pour l’entreprise (sous forme de
retombées médiatiques) que pour le bénéficiaire de l’aide (sous forme de capitaux). Reste à
savoir si l’entreprise lance une opération de marketing avec l’ambition profonde de soutenir
un maximum de collectivités dans le besoin, ou bien si le but inavoué de son « coup de
pub » (on parlerait aujourd’hui de « buzz ») est d’attirer davantage de consommateurs. C’est
là toute l’ambiguïté du ménage éthique-marketing.
3. Ethique et profit, un mélange synergique
Comme nous venons de le constater, le marketing éthique établit une relation entre
l’entreprise et les projets humanitaires qu’elle soutient au cours d’un processus de création
de valeur. Toutefois, cette valeur bénéficie encore à un tiers incontournable : le client. En
effet, en lui proposant d’associer son acte d’achat à une cause qu’elle soutient, l’entreprise
offre au client une valeur ajoutée impalpable : la satisfaction d’avoir contribué à améliorer le
quotidien d’un plus démuni. Clé de voûte du marketing éthique, la sensibilité du
consommateur a démontré plus d’une fois son efficacité.
Prenons l’exemple de l’opération « 1 L = 10 L » lancée par Volvic à l’été 2006. La marque
s’est engagée à financer la construction de puits au Niger de telle sorte que, pour chaque
litre d’eau minérale achetée, dix litres d’eau potable puissent être puisés par un Nigérien.
Cette opération aura finalement profité à ses trois parties prenantes : de nombreux villageois
Nigériens profitent aujourd’hui de sources d’eau potable 1, les ventes de Volvic ont progressé 2
tandis que la marque bénéficie encore d’une image généreuse et intelligente (on parle alors
de « cause-branding », la marque étant rendue indissociable de la cause qu’elle défend)
enfin les consommateurs auront gardé la satisfaction d’avoir contribué à leur mesure à ce
beau projet. Dans le même esprit, citons l’opération Levis Kidswear déployée par le célèbre
confectionneur de jeans. Impliquant l’ensemble de son réseau de distributeurs européens,
son dispositif marketing éthique brille par trois points : la cohérence avec les engagements
mondiaux de la marque (réputée depuis plus de vingt ans pour ses « Workers’ right
1
« Le programme a bénéficié à 86 000 personnes dont 15 765 enfants de moins de 5 ans, dans 118
villages Nigérians […] 175 puits ont été creusés ou réhabilités » extrait de http://www.volvic.fr
2
« Par exemple : Volvic et son financement de puits d’eau au Niger […] Résultat : une progression
des ventes spectaculaire » extrait de Langue de pub : le kit de survie publicitaire
engagements »), et la clarté du projet qui va de pair avec la simplicité de l’opération : garantir
cinq années d’école élémentaire à 150 enfants de Madagascar.
A travers ces opérations, les marques ne se contentent pas de vanter un produit, elles
créent une conversation, une affinité avec un client qui devient un militant au service
d’une même cause. C’est une stratégie éthique « à 360 degrés » qui englobe la totalité des
acteurs économiques ; qu’ils s’agissent des clients, des bénéficiaires de l’aide ou des
opérateurs de production, tous sont concernés.
II. Un outil à double tranchant
1. Quand la bonne conscience du peuple s’impose à l’entreprise
L’analyse précédente suggère que le marketing éthique est choisi par l’entreprise comme un
moyen légitime et bien-fondé pour assurer la cohérence de ses orientations stratégiques.
Ceci n’est pas totalement vrai.
Il me semble en effet que l’introduction de l’éthique dans les méthodes de marketing ne soit
pas toujours le résultat d’un choix délibéré, mais au contraire qu’elle s’impose à l’entreprise
comme un train en partance qu’elle ne devrait pas, ne pourrait pas rater. Qu’une marque
décide de poursuivre ses engagements sociétaux ou qu’elle ambitionne de séduire de
nouveaux clients, elle est confrontée à la même pression concurrentielle qui la pousse à
s’actualiser pour rester présente sur son marché. Le consommateur est roi, et il ne se
contente pas de fixer le prix du produit. Il juge de la manière par laquelle il a été conçu,
portant un regard sur son impact humain et écologique. En somme, c’est le marketing
éthique qui s’impose à l’entreprise, parce qu’il est un nouvel argument de vente,
décisif pour le négoce présent et futur.
Bien sûr, on pourrait condamner l’influence du consommateur qui, finalement, trouve dans
l’éthique commerciale les accommodements et l’indulgence nécessaires vis-à-vis de soimême pour avoir à moindre frais le sentiment de s’acquitter de ses obligations morales et de
n’avoir rien à ne reprocher. Mais s’il est vrai que le don conforte « les bonnes consciences
bien pensantes et bien nourries »3 il profite toujours aux collectivités marginales et démunies.
« L’humanité dépourvue a le droit d’attendre de l’humanité pourvue l’assistance qui lui
permettrait d’échapper à la régression »4. En ce sens, le marketing éthique imposé par la
bonne conscience du consommateur est un véritable stimulant pour la réintroduction
du bien commun à la tête des stratégies entrepreneuriales.
2. Exposition éthique des marques
Néanmoins, l’influence grandissante du consommateur soulève la question de l’exposition
éthique des marques, et de la fragilité de leur image contre les attaques médiatiques. En
effet, l’ascension fulgurante des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) a considérablement facilité l’intervention, voire l’ingérence du consommateur
en lui permettant de s’exprimer dans des plateformes d’échange tels les blogs ou les forums.
L’avenue soudaine des réseaux sociaux a encore profondément marqué la vision du marketing éthique qui doit désormais composer avec d’immenses colonies de consommateursjuges collectant et disséminant l’information sur la toile.
3
4
Vladimir Jankélévitch (1903-1985)
Louis-Joseph Lebret (1897-1966)
Qu’elles soient fondées ou non, les critiques sont légion dans ces espaces d’échange
et elles constituent une menace permanente pour l’intégrité des marques. Pour le comprendre, prenons l’exemple de la polémique déchaînée par Solidar, une ONG Suisse, à
l’encontre de Nespresso, géant mondial du café et filiale du groupe Nestlé. Reprochant à
Nespresso de mépriser les petits producteurs auxquels il achète les grains de café 5, Solidar
s’est faite remarquée en postant sur le web une vidéo parodiant la célèbre publicité « What
else ? » qui met en scène les acteurs américains George Clooney et John Malkovich. La
marque de café a répondu par une autre vidéo illustrant son programme « Nespresso AAA
Sustainable Quality » dont les objectifs garantissent justement le respect des producteurs
de café6. Comment savoir qui des deux opposants avance de faux arguments ? La réponse
n’est d’aucune importance en regard du tort irréversible causé à la notoriété de Nespresso.
C’est là le point essentiel de mon analyse : s’il s’avère être un puissant outil de séduction (cf.
partie I), le marketing éthique peut tout aussi bien être manipulé et dirigé contre l’image publique des marques. Par ailleurs, le litige entre Nespresso et Solidar jette la lumière sur la
pression spectaculaire des réseaux sociaux puisque des milliers d’internautes ont réagi en
communicant une pétition à George Clooney qui a alors sollicité la diffusion d’un rapport clair
et détaillé sur la situation des producteurs rattachés à Nestlé.
III. Le prix et l’honnêteté : deux paramètres d’ordre supérieur
1. « Le mieux est l’ennemi du bien »
Lorsqu’elles sont surexposées sur le plan éthique, les marques encourent le risque de se
discréditer auprès d’un client devenu trop méfiant à l’égard de slogans épurés et de paysages immaculés. Après tout, qu’est ce qui me prouve que Nespresso applique à la lettre les
engagements inscrits sur ses brochures ? Pour parer à ce scepticisme légitime et convaincre
les consommateurs les plus réticents, les marques ont soutenu le développement des systèmes de labélisation des produits. Le problème, c’est qu’il existe des certifications de
toute sorte et, chacune ayant ses propres critères d’évaluation, il est très difficile pour
le consommateur d’avoir du recul sur ces labels.
A titre d’exemple, les systèmes d’évaluation de l’empreinte écologique des produits (ou services) du type « baromètre écologique » peinent à gagner l’estime des consommateurs,
principalement à cause du flou qui règne autour du calcul de cette empreinte. En effet, il paraît difficile –voire impossible- d’évaluer l’impact énergétique de chaque étape du cycle de
vie du produit, vu le nombre d’éléments intervenant dans le process de fabrication. Avec un
produit manufacturé comme le malt, il faudrait pour chaque machine utilisée comptabiliser la
consommation énergétique (il suffit de relever la consommation aux compteurs électrique et
hydraulique) mais aussi les émissions de gaz nocifs, ce qui est beaucoup plus délicat : à
quels gaz doit-on s’intéresser ? Sans compter le facteur d’usure des machines qui polluent
davantage en vieillissant, le recyclage des déchets, ainsi que la quantité de gaz carbonique
émise lors de la germination par… l’orge elle-même ! Bien que le nombre de paramètres à
considérer soit relativement élevé, on arrive à une estimation fiable de l’empreinte écologique locale, calculée à partir de données extraites du site de production. Toutefois, la généralisation de cette empreinte au reste du cycle de vie du malt est chimérique, notamment
5
« Nestlé représente l’archétype d’une industrie qui ne se soucie pas des producteurs et productrices,
mais les rend dépendants et les exploite » d’après Rapport Solidar sur le café espresso
6
« Deuxième A : la Durabilité. Soutenir les cultivateurs pour plus de responsabilité environnementale
et sociale. Troisième A : la Productivité. Aider les cultivateurs à améliorer les rendements et adopter
des mesures de réduction des dépenses pour augmenter leurs revenus nets » extrait du site
www.nespresso.com
parce les impacts écologiques varient au cours du temps : les phénomènes météorologiques
influencent le rendement agricole et la consommation énergétique, les cours du pétrole et du
kérosène fluctuent les coûts d’exportation… Et cette situation alarmante se généralise à tous
les domaines de production. Comment le consommateur peut-il se fier à un système qui,
selon la saison, certifie la fraise du Pérou plus « eco-friendly » que la fraise de Plougastel ? Il
ne faut toutefois pas s’inquiéter de l’inefficacité évidente de ces méthodes ; elles enrichiront
les grands groupes de consulting pendant encore de nombreuses années « Consulting. If
you are not a part of the solution, there is good money to be made in prolonging the problem »7
Dans la même perspective, la commercialisation intensive de produits labélisés « issu du
commerce équitable » laisse planer un doute sur la véritable équité cachée en amont des
sites de distribution. J’ai toujours fait preuve de scepticisme à l’égard des belles étiquettes
estampillées « Fair Trade » par des multinationales ultralibérales, et mes doutes ont trouvé
leur écho dans le livre Les coulisses du commerce équitable écrit par Christian Jacquiau,
économiste et écrivain français. Il y critique particulièrement le label Max Havelaar (j’ai omis
de préciser qu’il existe divers labels « commerce équitable ») en lui reprochant d’être aujourd’hui représenté par des firmes comme Mc Donalds ou Starbucks, dont la taille (et donc,
les méthodes de production, de mangement…) dépasse largement celle des petits producteurs. Il s’agirait pour ces multinationales tentaculaires de redorer leur image éthique en collectionnant les certifications sociales et environnementales… Ce qui ne me paraît pas improbable.
2. « L’argent n’est pas la mesure de toute chose » mais le client a la mesure de l’argent
On aurait beau développer, disserter et pérorer sur l’éthique professionnelle, tous nos efforts
seraient vains s’ils ne rendaient pas au prix des choses la place qui lui revient : celle du décideur. Ce constat est d’autant plus vrai qu’en ces temps de crise, les ménages sont très
vigilants à l’heure de dépenser et je ne les imagine pas céder aisément aux sirènes du marketing, même pour la bonne cause. Lorsque la marque Piola 8 s’est faite remarquée en lançant sa gamme de chaussures confectionnées au Pérou sur la base d’engagements
éthiques remarquables, mon premier réflexe a été de me renseigner sur le tarif des dites
chaussures. Or à plus de cent vingt euros la paire, je n’ai fait cas d’aucune considération
éthique : pour ce prix, la concurrence me proposait deux paires de qualité ; je suis donc allé
voir ailleurs. En revanche, je n’aurai pas hésité à verser cinquante centimes supplémentaires
dans l’achat d’une bouteille Volvic, car l’investissement est moindre. Les marques doivent
donc être très vigilantes sur ce point : une opération éthique réussie est rarement inabordable pour le consommateur moyen.
Conclusion
« La responsabilité est le prix à payer du succès » 9. Pour conserver la confiance de leur
public, les marques représentées à échelle internationale devront monter des opérations à
vocation éthique même si de tels engagements ne procèdent pas d’une conviction intime.
Ces opérations nécessiteront une communication honnête tant sur le fond que sur la forme :
on évitera d’inonder les téléviseurs de spots publicitaires tournés dans des paysages
verdoyants et immaculés pour vanter des produits fabriqués dans des usines extrêmement
polluantes. Combinée à un prix adapté à la clientèle ciblée, cette cohérence marketing
7
D’après un poster humoristique américain…
Voir le « Dossier de presse Piola » de 2012 téléchargeable sur http://piola.fr
9
Winston Churchill
8
assurera au mieux davantage de ventes, au pire elle ne causera aucun dommage à
l’entreprise. Gare cependant au mépris de l’honnêteté : le récent scandale des lasagnes
faites avec de la viande de cheval et ses terribles conséquences pour l’image de la marque
Findus illustre ô combien il est dangereux de jouer avec la crédulité des consommateurs.