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J.A. 1002 Lausanne / www.letemps.ch CHF 3.50 / France € 3.20 VENDREDI 25 NOVEMBRE 2016 / N° 5670 Portrait Montres Le couple d’antiquaires vaudois qui tient salon dans sa galerie ● ● ● PAGE 25 Trois horlogers se lancent en misant sur des plateformes de financement participatif ● ● ● PAGE 13 Beaux-arts Le Musée Jenisch explore ses collections pour en exhumer les plus beaux dessins ● ● ● PAGE 23 La passivité du Conseil fédéral consterne les élus IMMIGRATION Dès lundi, le parlement tentera de concrétiser le vote du 9 février 2014 instaurant des quotas d’étrangers et la préférence nationale. Le gouvernement est réduit au rôle de spectateur C’est l’heure de vérité dans le dossier brûlant de l’immigration européenne en Suisse. Le parlement entame la semaine prochaine l’examen de plusieurs variantes permettant d’appliquer l’article 121a, issu de l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse». Le Conseil fédéral ne joue qu’un rôle marginal dans ce débat. Et de nombreux élus ne cachent plus leur irritation devant son impuissance. L’attitude du Conseil fédéral «n’est pas digne d’un gouvernement, qui doit Tennis Juan Martin Del Potro, le retour de l’Argentin que tout le monde aime ● ● ● PAGE 22 ÉDITORIAL Le gouvernement s’est enlisé A Berne, c’est le monde à l’envers. La conclusion légale de l’histoire politique de la décennie s’écrira ces prochaines semaines. Or, dans ce récit, le Conseil fédéral ne sera l’auteur que de quelques virgules. Si les suites de l’initiative «Contre l’immigration de masse» votée le 9 février paraissent aujourd’hui aussi floues aux yeux de nombre de citoyens, la passivité du Conseil fédéral sur ce dossier y est sans doute pour quelque chose. Rassurant au soir du 9 février 2014, entreprenant en 2015, le gouvernement a fini par abandonner en 2016 la gestion du frein à l’immigration aux mains du parlement. Alors que le collège S’inspirer aurait pu, à sept, faire naître une des exécutifs dynamique positive dans ce doscantonaux sier, il se contentera finalement d’observer du perchoir comment 246 parlementaires s’étripent autour d’une loi d’application à approuver en urgence. Ce serait cocasse si l’enjeu n’était pas si important pour la population et l’économie du pays. Le Conseil fédéral, désavoué par le peuple le 9 février 2014, semble en avoir désormais si peur qu’il préfère laisser le soin au parlement de faire le travail ingrat de rendre sa copie compatible avec les bilatérales. La visibilité de ses intentions fait défaut même pour les acteurs de premier plan. «Il faut savoir lire dans les entrailles d’un poulet pour comprendre ce qu’il veut», résume un responsable politique d’ordinaire bienveillant. La responsabilité en revient non pas à une personne mais à une structure. Aucun des ministres au front – Didier Burkhalter, Simonetta Sommaruga ou Johann Schneider-Ammann – n’a démérité, ni ménagé sa peine. Mais l’équipe ne fonctionne pas, il n’y a pas eu d’agenda commun. On sait depuis l’écroulement du secret bancaire que la frégate Conseil fédéral n’est pas faite pour voguer vite ni par mauvais temps. Sa capacité à faire le dos rond et à laisser passer les tornades est bénéfique pour l’extraordinaire stabilité du système suisse. Mais il sera nécessaire de tirer les leçons de l’après-9 février. Une réflexion sur les manières de favoriser un travail d’équipe semble bienvenue. Le gouvernement fédéral pourrait à ce titre s’inspirer de l’action de conseils d’Etat cantonaux. Les exécutifs vaudois ou genevois sur la réforme fiscale des entreprises, ou encore neuchâtelois sur la réorganisation structurelle du canton, ont montré qu’il était possible, au sein d’un gouvernement pluriel, d’agir en équipe autour d’une vision commune. On ne voit pas pourquoi le Conseil fédéral n’y arriverait pas. avoir des visions, des positions, des idées et les défendre devant le parlement», s’indigne le président démocrate-chrétien Gerhard Pfister. La socialiste vaudoise Cesla Amarelle regrette que le Conseil fédéral ait renoncé à ce qui était sa mission: concilier le vote sur l’immigration et les contraintes européennes de libre circulation. ● ● ● PAGES 3, 11 On n’enterre pas facilement les tyrans LISE BAILAT t @LiseBailat TOMBES Le dictateur philippin Ferdinand Marcos, dont la dépouille avait été embaumée et conservée par sa famille, a été enterré en catimini dans le cimetière réservé aux héros de la nation à Manille. Ulcérée, l’opposition philippine exige son exhumation. De Kadhafi à Ben Laden ou Pinochet, les criminels de masse sont un casse-tête funéraire. (ERIK DE CASTRO/REUTERS) ● ● ● PAGE 4 DEMAIN Comment redonner le plaisir d’apprendre aux élèves PUBLICITÉ ENSEIGNEMENT Les neurosciences l’ont démontré: jouer est la meilleure façon d’apprendre. Et pourtant, notre système scolaire persiste à privilégier une approche rigide qui ignore l’amour du savoir. Et si on rendait l’école plus ludique? ● ● ● PAGE 19 Spécial Cadeaux Noël approche. Et avec lui le sapin, les gueuletons et l’éternel cassetête des cadeaux. Pour vous aider à faire le bon choix, Le Temps WeekEnd vous offre 16 pages spéciales de beaux-livres, de séries TV, de romans, de BD, de bouquins pour la jeunesse et de jeux vidéo. Nouvel assaut contre le La voix de la France prix des médicaments ultra-catholique COÛTS DE LA SANTÉ L’organisation faîtière des assureurs, Santésuisse, publie une étude qui montre qu’en diminuant les marges commerciales sur les médicaments, on pourrait économiser plus de 450 millions de francs, soit plus de 1,5% du montant des primes maladie. Les pharmaciens contestent cette étude, qu’ils jugent «absurde». ● ● ● PAGE 8 PRIMAIRE Candidat des «valeurs», de la famille et de la défense du catholicisme face au fondamentalisme islamiste, François Fillon a endossé un costume qui ne sera pas toujours facile à porter s’il gagne dimanche le second tour du scrutin. ● ● ● PAGE 6 LE TEMPS Pont Bessières 3, CP 6714, 1002 Lausanne Tél. +41 21 331 78 00 Fax +41 21 331 70 01 50047 www.letempsarchives.ch Collections historiques intégrales: Journal de Genève, Gazette de Lausanne et Le Nouveau Quotidien. INDEX Sciences ........................................ 12 Convois funèbres ................ 10 Fonds .................................... 16 - 18 Bourses et changes ........... 18 Toute la météo ....................... 12 SERVICE ABONNÉS: www.letemps.ch/abos Tél. 0848 48 48 05 (tarif normal) 9 771423 396001 LE TEMPS VENDREDI 25 NOVEMBRE 2016 4 International Même morts, des tyrans si encombrants CRIMES DE MASSE L’opposition philippine réclame l’exhumation de l’ex-dictateur Ferdinand Marcos, qui vient d’être enterré dans le cimetière des héros à Manille. Saddam Hussein, Ben Laden ou les terroristes: on n’enterre pas facilement les criminels de masse SIMON PETITE t @SimonPetite Vingt-sept ans après sa mort, le dictateur Ferdinand Marcos revient hanter les Philippines. Sa dépouille, qui avait été embaumée et conservée par sa famille, a été enterrée vendredi dernier en catimini à Manille dans le cimetière réservé aux héros de la nation. Mais ses victimes ont aussitôt réclamé son exhumation. Elles en appellent à la Cour suprême, qui avait autorisé cette réhabilitation inattendue. C’est le nouveau président philippin, le sulfureux Rodriguo Duterte, qui avait saisi la justice, parachevant le retour en grâce de la famille Marcos, chassée du pouvoir en 1986. Ferdinand Marcos avait régné d’une main de fer sur l’archipel pendant quatorze ans, commettant des violations des droits de l’homme à grande échelle et pillant les caisses de l’Etat. «Il n’y a pas de crime parfait» Il n’est pas le premier tyran à avoir droit à un tel honneur posthume. Mais les cas sont plutôt rares. «Pour cela, il faut que la mémoire des crimes soit politiquement escamotée», analyse Sévane Garibian, professeure de droit à l’Université de Genève, qui a coordonné une recherche sur La mort du bourreau*. Dans l’ouvrage collectif dirigé par la chercheuse, on découvre l’exemple du général Franco, qui repose dans un énorme mausolée près de Madrid, ou de Mehmet Talaat Pacha, le grand organisateur du génocide arménien, inhumé aux côtés des «héros» turcs à Istanbul. «Mais les traces des crimes de masse finissent toujours par ressurgir, assure Sévane Garibian, car dans ce domaine il n’y a pas de crime parfait. Il y a toujours des témoins, des archives ou des restes humains qui finissent par être retrouvés.» La dépouille des bourreaux est, elle, à jamais encombrante. En Espagne, de plus en plus de voix s’élèvent pour que les restes de Franco soient transférés. D’ici là, les Espagnols continuent de venir se recueillir au mausolée, ou, c’est selon, de littéralement cracher ou pisser sur la tombe de Franco. «Les bourreaux continuent de vivre même après leur mort» SÉVANE GARIBIAN, PROFESSEURE DE DROIT À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE Le corps de Ferdinand Marcos a été transporté vendredi au cimetière réservé aux héros de la nation à Manille, où il a été enterré avec les honneurs militaires. Une inhumation controversée. (REUTERS) Que faire des criminels de masse, une fois qu’ils sont décédés? Sévane Garibian dit s’être interrogée pour la première fois quand Barack Obama est apparu sur les écrans le 1er mai 2011. «Justice a été faite», lâche le président, annonçant que les forces spéciales américaines viennent de tuer Oussama ben Laden au Pakistan. Tout s’est passé très vite. A l’heure où Barack Obama s’adresse à ses compatriotes, le corps du leader d’Al-Qaida responsable des attentats du 11-Septembre a déjà été immergé dans la mer d’Arabie. «Cela permettait notamment de ne pas créer de lieu de pèlerinage, mais le culte du bourreau est souvent inévitable», analyse Sévane Garibian. Où aurait-il fallu enterrer Ben Laden? Le Saoudien, qui s’était retourné contre son pays, ne se revendiquait plus que d’un djihad globalisé. Au j o u r d ’ h u i , l e s o r t d e s dépouilles des djihadistes qui ont fauché des centaines de vie en Europe suscite le même malaise. Des solutions sont trouvées au cas par cas. Les frères Kouachi, auteurs du massacre à Charlie Hebdo, Amedy Coulibaly, leur complice de l’Hyper Cacher, ou Mohammed Merah, le tueur de Toulouse, ont tous été enterrés discrètement en France. Ensevelis en grande pompe, à la va-vite ou dans des lieux inconnus, «les bourreaux continuent de vivre même après leur mort», avance Sévane Garibian. Les secrets entourant la dépouille de Ben Laden alimentent les théories du complot, comme la disparition des restes d’Adolf Hitler après son suicide dans son bunker de Berlin. Quelques mois après la mort de Ben Laden, le président libyen Mouammar Kadhafi est lynché par les rebelles. Son corps sera exposé à Misrata, ville que le dictateur avait martyrisée pendant le soulèvement libyen. «Comme une catharsis des souffrances subies par ses compatriotes», commente Sévane Garibian. La dépouille de Kadhafi se trouve quelque part dans le désert, à un endroit tenu secret. Saddam Hussein, l’ancien président irakien pendu par le nouveau pouvoir à Bagdad en 2006, a, lui, été enterré non loin de son village natal, près de Tikrit. Les autorités irakiennes y ont interdit les rassemblements, car la tombe du dictateur, selon elles, était trop fréquentée. «Malgré tout, l’absence de sépulture n’est pas une solution, estime Sévane Garibian. Mais il faut réglementer ces lieux très chargés.» Jusqu’à les transformer en musées pour entretenir la mémoire des victimes? «Non, ce rôle est joué par les lieux où les crimes ont été perpétrés, comme l’Ecole de mécanique de la marine à Buenos Aires, où des milliers d’opposants ont été détenus et torturés pendant la dictature argentine, ou les camps d’extermination nazis», répond Sévane Garibian. La professeure observe que rares sont les criminels de masse enterrés dans des cimetières publics, «comme s’ils troublaient PRÉSIDENTS EMBAUMÉS Lénine Le fondateur de l’Union soviétique, mort en 1924, fut le premier dirigeant communiste à être embaumé avant d’être présenté au public dans son mausolée situé sur la place Rouge à Moscou. Hô Chi Minh Le corps du père du Vietnam communiste, mort en 1969, est dans un cercueil de verre placé dans un mausolée où les visiteurs peuvent toujours lui rendre hommage à Hanoï. Mao Tsé-toung Décédé le 9 septembre 1976, le fondateur de la Chine communiste est exposé dans son cercueil de verre place Tiananmen, au cœur de Pékin. Kim Il-sung et Kim Jong-il Les corps du fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung, mort en 1994, et de son fils Kim Jong-il, décédé en 2011, sont exposés côte à côte à Pyongyang. la paix des morts». Après sa mort en prison en 2013, le transfert du corps du général Videla a suscité un débat houleux et des manifestations en Argentine. Pour les familles des disparus, l’idée d’un enterrement est d’autant plus insupportable que beaucoup n’ont pu récupérer les dépouilles de leurs proches, jetés d’avions ou coulés dans du béton. Le général, qui n’a jamais exprimé le moindre remord, trouvera finalement refuge dans un cimetière privé, avec d’autres responsables de la junte. Personne non plus n’a voulu de la dépouille du Chilien Augusto Pinochet, décédé en 2006. «Il rêvait d’un monument funéraire à sa gloire comme Franco, mais il est enterré sur une propriété familiale, aujourd’hui envahie par les plants de cannabis», raconte Sévane Garibian. Maigre revanche pour ses victimes, alors que le général a toujours échappé à la justice. ■ * «La mort du bourreau. Réflexions interdisciplinaires sur le cadavre des criminels de masse», Editions Petra, 2016. Bogota et les FARC signent un accord renégocié COLOMBIE Paraphé jeudi à Bogota, le texte révisé après le revers du référendum d’octobre devra être ratifié par le parlement Après le rejet par référendum le 2 octobre d’un premier texte, l’Etat colombien et les Force armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont signé jeudi un nouveau traité de paix. Cette fois, l’accord ne passera pas devant le peuple mais sera validé par le parlement, acquis majoritairement au gouvernement. Ce texte de 310 pages prévoit notamment un article constitutionnel protégeant ses closes pour les douze prochaines années. Il permettra la libération ou l’allégement des peines de milliers de guérilleros emprisonnés ainsi que la publication de l’inventaire des biens détenus par les FARC, mesure censée assurer un meilleur dédommagement des victimes. L’accord devra être ratifié par le Congrès dans les quinze prochains jours, soit avant la fin de la session parlementaire. L’opposition emmenée par l’ancien président Alvaro Uribe continue de combattre l’accord. Elle estime que la «douleur» des anciens otages et le recrutement d’enfants-soldats par les FARC sont négligés par le nouveau texte. Au sein du gouvernement, seul le vice-président German Vargas Lleras s’est opposé au traité. Il n’a pas assisté à sa signature. Jean-Pierre Gontard, ancien médiateur suisse en Colombie, estime toutefois que, derrière ce scepticisme affiché, le soutien au président Juan Manuel Santos a pro- gressé depuis le mois d’octobre. «Le clan du non, comme sont surnommés de façon péjorative ceux qui s’opposent à l’accord avec les FARC, a déjà commencé à infléchir ses positions.» Alvaro Uribe lui-même, après avoir refusé les pourparlers, admet qu’un compromis est la seule solution. «Le gouvernement, les FARC et le peuple veulent la paix. Le train quitte la gare, et si Alvaro Uribe n’y monte pas, «Le gouvernement, les FARC et le peuple veulent la paix» JEAN-PIERRE GONTARD, ANCIEN MÉDIATEUR SUISSE il risque de rester seul à quai.» Deux problèmes devraient en effet survenir une fois le texte validé. Premièrement, les zones anciennement contrôlées par l’ex-rébellion pourraient tomber aux mains des cartels avant que l’Etat ne puisse y installer son administration. Ensuite, si la réinsertion des guérilleros d’origine paysanne devait se faire sans heurt dans les campagnes, celle des miliciens auxiliaires des FARC pourrait être entravée par des discriminations voire des assassinats, comme ce fut le cas après les accords de 2001. «La fin de toute guerre suscite de la rancœur, rappelle Jean-Pierre Gontard, et le conflit entre l’Etat et les FARC a été longtemps une guerre civile. Les violences en Colombie resteront moins élevées qu’au Mexique ou au Brésil, mais elles ne cesseront pas du jour au lendemain une fois le traité ratifié.» Fierté retrouvée Bonne nouvelle toutefois, le recul de l’insécurité, révélateur des intentions pacifistes des différentes parties. «Les Colombiens peuvent de nouveau se rendre à la campagne sans craindre les enlèvements et aller au cinéma le soir sans risquer leur vie, explique JeanPierre Gontard. La ratification du nouvel accord ne serait pas que l’aboutissement du désir de paix des citoyens, elle symboliserait aussi, au même titre que le Prix Nobel de la paix reçu par le président Santos, la fierté retrouvée de la Colombie.» ■ BORIS BERTOLI