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University of Nantes From the SelectedWorks of Francoise LE JEUNE 2010 John Stuart Mill, un féministe sous influence francoise LE JEUNE, Pr Available at: http://works.bepress.com/francoise_lejeune/8/ John Stuart Mill, un féministe sous influence1. Françoise LE JEUNE (université de Nantes - CRHIA John Stuart Mill (1806-1873) fait partie des penseurs qui ont marqué l’époque victorienne grâce à ses publications scientifiques et philosophiques multiples et variées, couvrant à la fois les champs de la philosophie, de la science politique et de la sociologie. Chacun de ses textes dont les plus marquants pour son époque furent publiés en grande partie à partir des années 1850, est le résultat d’une longue période de réflexion, de conversations et de lectures. L’ensemble de son œuvre reflète le développement d’un système de pensée dont la logique s’est affirmée au cours des années à partir de lectures, d’expériences personnelles, mais surtout grâce aux échanges intellectuels avec les érudits de son époque que John Stuart Mill fréquente depuis son plus jeune âge, dans le cercle des utilitaristes mené par Jeremy Bentham et son père, James Mill. Son système de pensée arrive à maturité au début des années 1850 lorsque s’enchaînent les publications On Liberty (1859)2, Representative Government (1861)3 et Subjection of Women (1869)4. John Stuart Mill acquiert la réputation de philosophe libéral et radical en raison de ses positions sur la nécessité de réformer la société victorienne trop conservatrice et de ses propositions souvent radicales pour y parvenir. Ses idées bousculaient les codes établis et plus particulièrement lorsqu’il publia son ouvrage sur la condition des femmes qui resta son ouvrage le plus controversé. Dans Autobiography que John Stuart Mill complète en 1869, la même année que L’asservissement des femmes, le philosophe retrace son parcours intellectuel en mettant particulièrement en lumière ce moment charnière de sa vie où, bien qu’ayant publié de nombreux articles polémiques dans la presse les années précédentes, il aboutit finalement à coucher sur le papier l’ensemble de ses idées et principes élaborés au fil des ans. Ainsi parait à partir de 1851 De la liberté dans lequel Mill expose l’ensemble de son projet utilitariste pour la société, en mettant en avant le respect des libertés de tous les individus comme condition nécessaire au progrès de toute société civilisée. Il décline ensuite ce système libéral de pensée dans deux ouvrages moins théoriques, en l’appliquant à deux problèmes cruciaux 1 Publié in Ces Hommes qui épousèrent la cause des femmes, sous la direction de Martine Monacelli et Michel Prum, Paris, Editions de l’Atelier, 2010. 2 En traduction française De la liberté, par Gérard Boss, disponible aux éditions du Grand Midi, 2004. 3 En traduction française Considérations sur le gouvernement représentatif par Patrick Savidan, disponible chez Gallimard, 2009 4 En traduction française, L’asservissement des femmes, traduit et postfacé par Marie-Françoise Cachin, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2005. Nous utiliserons cette référence dans l’ensemble de ce chapitre. 1 pour la société victorienne : l’extension du droit de vote lié à la question de la représentation des individus au Parlement et la condition des femmes privées de leurs libertés juridique, politique et individuelle. Ainsi Considérations sur le gouvernement représentatif paraît en 1861, dans lequel le philosophe s’intéresse à la réforme du système de représentation des individus, hommes et femmes, des minorités en général, au sein de la société victorienne. Puis en 1869, il publie L’asservissement des femmes, ouvrage considéré comme radical par ses propos et ses remarques acerbes sur l’état de la société victorienne. Mill y complète et applique ses réflexions sur la notion de « liberté » et de « représentation » pour réfléchir à l’émergence d’une société progressiste et civilisée en Grande-Bretagne, dans laquelle les femmes verraient leur contribution reconnue et leur statut social, politique et légal défini à parité avec les hommes. Il attribue cette « maturation » philosophique, scientifique et sociale à deux rencontres essentielles. La première influence intellectuelle de John Stuart Mill reste celle de son père, James Mill, grand penseur, un des premiers philosophes utilitaristes qui l’avait éduqué dans le souci de développer une pensée autonome et critique, selon les principes du libéralisme. John Stuart Mill rend hommage à l’influence de son père sur son mode de pensée, dans la première partie de sa vie. Mais la rencontre la plus décisive, selon lui, reste son amitié avec une femme mariée, Harriet Taylor avec laquelle il entre en communion intellectuelle à partir de 1830. Dans son autobiographie, Mill lui attribue une très large part dans la composition de ses travaux philosophiques. Mill et Harriet Taylor se fréquentent régulièrement entre 1830 et 1849, au point d’amener la jeune femme à vivre séparément de son époux, situation peu orthodoxe au regard des conventions victoriennes et visiblement peu appréciée par les amis du couple qui s’éloignent d’eux au fil des années. Harriet Taylor devient veuve en 1849 ce qui permet à Mill de l’épouser en 1851. Ils continuent à écrire, échanger et élaborer, entre autres, la composition des trois derniers ouvrages de sa carrière et particulièrement son dernier texte, le pamphlet féministe publié en 1869, L’asservissement des femmes. Ce texte rédigé plusieurs années après la mort d’Harriet Taylor Mill décédée en 1858, s’attaque à l’injustice faite aux femmes dans la société victorienne et demande des réformes immédiates dans le domaine juridique, politique et social qui mettraient un terme à cette injustice et à ce déséquilibre tendent à faire de la GrandeBretagne une nation rétrograde, selon le philosophe. Ce dernier ouvrage rassemble l’essentiel du féminisme apparemment libéral de John Stuart Mill, considéré comme radical en 1869. Si son ouvrage ne passe pas inaperçu auprès des militantes des droits des femmes de l’époque qui l’utilisent pour rallier d’autres femmes à leur cause, la société victorienne en général y 2 prête une attention très critique et les revues littéraires lui adressent des commentaires acerbes. Dans cet article, nous allons tout d’abord nous intéresser au développement du « féminisme » de John Stuart Mill avant les années 1850, avant son mariage avec Harriet Taylor. Il apparaît clairement que son point de vue libéral sur la place des femmes dans la société et son approche radicale sur l’égalité des sexes, à une époque où la supériorité du sexe masculin sur le sexe féminin faisait partie de l’ordre « naturel » de la société victorienne, n’était pas une priorité pour le philosophe. Bien qu’il se sentait concerné par l’absence d’égalité entre hommes et femmes particulièrement dans le mariage, cet aspect s’intégrait dans son approche globale d’un système de pensée visant à l’amélioration de la société dans son ensemble et menant au bonheur du plus grand nombre. Avant sa rencontre avec Harriet Taylor, il semble que Mill ne faisait pas de la parité entre les sexes, une condition centrale. A l’inverse, dans L’asservissement des femmes, Mill revendique le fait que l’équilibre entre les sexes doit être une condition sine qua non à la recherche du bonheur de la société. De même ses dernières interventions publiques à la Chambre des Communes ou devant des assemblées de militantes de la National Woman’s Suffrage Society à Londres au côté de sa belle-fille Helen Taylor entre 1869 et 1872, portent sur l’accès des femmes au suffrage. On peut alors chercher à comprendre de quelle manière son mode de pensée et son « féminisme » ont évolué au cours de sa vie. Dans son autobiographie, Mill fournit une réponse claire et précise à l’évolution de ses idées sur la condition des femmes en déclarant avoir été très influencé par le féminisme radical d’Harriet Taylor, au cours des années passées auprès de son amie puis épouse. Pour analyser le développement de ce féminisme « sous influence féminine », nous nous appuierons sur les écrits philosophiques de Mill et plus particulièrement sur ses ouvrages De la liberté et Considérations sur le gouvernement représentatif, ainsi que sur l’Autobiography du philosophe dans lequel il rend un hommage appuyé à sa compagne et à sa contribution à ses réflexions philosophiques sur la société. Par ailleurs, Mill laisse une correspondance abondante dans laquelle la question de la place des femmes dans la société victorienne est régulièrement abordée. Pour conclure, il sera nécessaire d’analyser le texte clé du « féminisme » de John Stuart Mill, L’asservissement des femmes que nous comparerons avec le pamphlet radical de son épouse Harriet Taylor, Enfranchisement, paru deux décennies plus tôt en 1851, qui annonce les idées du philosophe. Ce premier pamphlet ne portait pas la signature d’Harriet mais celle de Mill, dans la pure tradition patriarcale imposée aux femmes auteurs et polémistes. Mill lui rendra son autorité d’auteur lorsqu’il inclura le pamphlet dans un recueil de textes qu’il fait paraître en 1859, Dissertations and Discussions. Cette 3 comparaison entre les deux pamphlets nous permettra de juger de l’influence des idées d’Harriet Taylor, féministe méconnue, sur celles de John Stuart Mill. I – Premiers contacts avec la cause des femmes. Dans son autobiographie, John Stuart Mill retrace ses propres réflexions par rapport à la condition des femmes dans la société, avant sa rencontre avec Harriet Taylor qui se situe en 1830. Selon lui, il y était sensible mais pas au point de publier un texte sur le sujet. Une première controverse l’oppose à son père au début des années 1820, elle porte sur le vote des femmes. Dans son ouvrage Du gouvernement dans lequel James Mill développait l’ensemble des réformes nécessaires en Grande-Bretagne afin de créer un gouvernement juste et représentatif, selon l’interprétation des philosophes utilitaristes, il évoquait dans un paragraphe la nécessité absolue de refuser le droit de vote aux femmes, dont les intérêts étaient représentés par leurs pères ou leurs maris, afin de préserver ce système de gouvernement qui ne devait élire que des hommes qui travailleraient dans l’intérêt du plus grand nombre5. John Stuart Mill se souvient avoir interpellé son père sur ce point en lui présentant son désaccord profond sur l’absence d’égalité entre les sexes face au droit de vote (« I most positively dissented »)6. Mill père s’était défendu en précisant que les hommes de moins de 40 ans ne devaient pas recevoir le droit de vote non plus par manque de maturité politique et qu’il était par ailleurs favorable à une égalité des deux sexes devant la loi. Si John Stuart Mill s’inscrivait en faux par rapport à ce principe utilitariste, lui-même se basera sur un principe similaire lorsqu’il rédigera à son tour un traité sur les réformes législatives en 1859, dans lequel il précisera qu’hommes et femmes devront recevoir le droit de vote à la condition qu’ils soient éduqués (« on superiority of knowledge 7»), introduisant ici une clause peu radicale dans son projet de suffrage mixte, non-universel. Durant les années 1820, Mill est au centre d’un cercle de jeunes utilitaristes qui se proclament « philosophes radicaux » revendiquant une nouvelle approche libérale des problèmes de société. Le terme « utilitariste » fait référence au système de pensée développé par Jeremy Bentham dès la fin du XVIIIe siècle, qui préconisait d’une part de « laissez-faire » l’individu dont les motivations sont bonnes car il est libre d’agir comme bon lui semble tant 5 John Stuart Mill, Autobiography, (1873), Penguin Classics, 1989, introduction by John M. Robson, p. 93. Ses remarques portent sur l’ouvrage de James Mill, Essay on Government qui écrivait: « Une chose est très claire, tous les individus dont les intérêts sont déjà représentés par ceux d’autres individus, doivent être clairement écartés du droit de représentation […] Ainsi, les femmes doivent en être écartés car les intérêts de la plupart d’entre elles sont représentés soit par leur père, soit par leur mari. » (je traduis) 6 Ibid, p. 93, « Je pensais alors […] que l’opinion qu’il défendait […] est aussi fausse que toutes celles contre lesquelles cet essai était dirigé. » 7 Considération sur le gouvernement représentatif, op.cit, p. 192. 4 qu’il n’interfère pas avec la liberté d’autrui ou qu’il ne ralentit pas le progrès de la société. D’autre part, Bentham recommandait une réforme majeur du système des lois en GrandeBretagne afin de trouver un équilibre entre liberté individuelle et progrès de la société dont le but ultime serait de procurer du bonheur au plus grand nombre. Si la théorie semblait claire, l’application de cet utilitarisme restait abstraite. Ceci permit aux jeunes philosophes qui fréquentaient Jeremy Bentham et James Mill entre autres, d’élaborer des traités et des théories qui se déclinaient à la fois dans le domaine judiciaire, social et politique. Mill ne se départit pas de ces principes au cours de sa vie et ses derniers écrits sont des interprétations de la doctrine initiale comme il le rappelle dans son texte de 1863, Utilitarianism. Les valeurs que défend John Stuart Mill sont issues de cet utilitarisme: liberté, justice, démocratie, ainsi que de la nécessité d’une certaine forme d’individualisme pour obtenir une société stable, permettant l’épanouissement de l’individu et du plus grand nombre. Pour obtenir cette société idéale que décrivent les utilitaristes, Mill y inclut le rôle essentiel de l’éducation qui apporte progrès intellectuel et progrès moral à une époque où aucune politique d’éducation concertée n’était proposée par les gouvernements successifs. Ces jeunes philosophes se décrivent aussi comme néo-malthusiens, c’est à dire convaincus par la théorie de Malthus selon laquelle, puisque la population britannique double de taille tous les vingt ans, la Grande-Bretagne est menacée de famine à moyen terme car le pays ne pourra pas produire suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins de sa population. Là où Malthus préconisait que les populations ouvrières s’abstiennent de se reproduire ou périssent par des moyens naturels tels la maladie, l’alcool ou la dégénérescence, les néo-Malthusiens envisageaient de lutter concrètement pour prévenir ce fléau en faisant en sorte que les classes ouvrières ne se multiplient plus. Mill indique qu’il se lança dans la promotion du contrôle des naissances, en distribuant des tracts sur la voie publique, prônant des méthodes de contraception. Il ne s’agissait pas à ce stade, explique le philosophe dans son autobiographie, de s’intéresser à la condition des femmes des classes laborieuses soumises sexuellement à leur époux, il n’y reviendra que dans Asservissement, mais bien de contrôler une expansion trop rapide de la population. Mill se fait le chantre de l’utilitarisme, prisme scientifique selon lui, par lequel il mesure toutes les déficiences de la société de son époque. Il est convaincu que la société évoluera vers un progrès nécessaire au moyen de réformes politiques et sociales, votées dans l’intérêt du plus grand nombre. Mais son discours reste élitiste, abstrait et patriarcal, celui d’un homme issu des classes moyennes. En fréquentant les amis de son père, John Austin et George Grote, ainsi que leurs épouses Sarah Austin et Harriet Grote, toutes les deux reconnues dans le cercle des 5 utilitaristes pour leur contribution intellectuelle à la réflexion sur le progrès social, John Stuart Mill publie un premier article dans la Westminster Review sur le danger de l’essentialisme, c’est à dire d’assigner à chaque sexe des traits de caractère qui leur seraient propres par nature. Par ailleurs, des discussions se tiennent sur le sujet entre jeunes utilitaristes et owenistes, ces premiers socialistes convaincus par la thèse de Robert Owen sur le collectivisme ouvrier. Il échange ainsi avec William Thompson que Mill rencontre à l’occasion d’une discussion amenée par les écrits très controversés de James Mill sur le vote des femmes. Thompson évoque avec lui les arguments de son Appel d’une moitié de la race humaine, les femmes, contre les prétentions de l’autre moitié, les hommes, à les maintenir esclaves politiquement, et par conséquent dans leur vie civique et domestique, en réponse à un paragraphe du célèbre article de Mr Mill8, écrit au nom des femmes en 1825, pour rétorquer au conservatisme de Mill père dans Du gouvernement9. Bien que la correspondance de John Stuart Mill révèle des échanges intéressants entre Sarah Austin, Harriet Grote et Jane Carlyle au sujet d’articles que Mill fait paraître dans la Westminster Review ou le Monthly Repository, le magazine de l’église unitarienne, communauté au sein de laquelle la condition des femmes est ouvertement discutée sous la plume d’Harriet Martineau, ces femmes ne sont pas mentionnées dans l’autobiographie, vraisemblablement en raison d’une aversion de Harriet Taylor pour ces femmes dont elle subit les critiques après son remariage avec Mill. Le couple se retrouva alors isolé de leur ancien cercle d’amis et placé au ban de la société par ceux et celles qui pourtant avaient débattu avec eux, au cours des années précédentes de la condition de la femme dans le mariage. On reprochait à John Stuart et Harriet de s’être fréquentés durant le mariage d’Harriet et de se marier une année à peine après le décès de John Taylor. Harriet Taylor Mill expliqua n’avoir que faire de ces anciens couples d’amis, ces « petits bourgeois » dont « l’intelligence limitée les portait à médire » sur leur couple10. Ils représentaient cette « petite » société victorienne de la classe moyenne, aux préjugés faciles et aux critiques acerbes envers ceux qui ne suivaient pas les « normes. » Ainsi même les plus éduqués des hommes et des femmes de leur époque partageaient des vues étriquées sur la liberté des femmes de vivre en dehors du mariage ou sur le droit le plus strict de celles-ci de partager la vie de qui leur semblait bon, en 1850. 8 William Thompson, Appeal of one Half of the Human Race, Women, against the Pretensions of the Other Half, Men, to Retain Them in Political, and thence in Civil and Domestic Slavery, in Reply to a paragraph in Mr Mill’s Celebrated Article on Government, voir chapitre precedent. 9 Autobiography, p. 106. 10 Harriet Taylor à John Stuart Mill, mai 1851, “The Sterlings, the Romillys, the Carlyles, the Autins – “the gentility class”- weak in moral, narrow in intellect, infinitely conceited and gossiping.” 6 Celle qui allait prendre une place centrale dans la vie intellectuelle de Mill, Harriet Taylor, est mentionnée dans le chapitre VI de l’autobiographie, intitulé « le début de l’amitié la plus importante de ma vie » («Commencement of the most valuable friendship of my life. »). Mill est dithyrambique sur cette jeune femme qui prend la place de confidente, amie et compagne d’écriture, remplaçant James Mill dans l’échange et la stimulation intellectuelle de John Stuart, à la mort de la figure paternelle. John Stuart Mill prétend qu’avant sa rencontre il n’était qu’un « half-man » intellectuellement, citant ici Coleridge qui en utilisant cette expression, faisait référence à la manière dont le poète et le scientifique se complètaient intellectuellement. Harriet Taylor devient selon Mill, cette autre partie de lui-même, sa « source » comme il la nomme, qui lui permet de poursuivre son travail d’écriture en vue d’éduquer et d’améliorer l’humain pour transformer la société britannique en un monde plus juste11. Elle partage avec lui ce souhait d’améliorer la condition humaine et particulièrement celle des femmes. Selon Mill, Harriet lui apporte une méthode plus empirique et un point de vue plus sensible qui manquaient à ses écrits et auxquels son esprit trop scientifique et trop théorique n’avait pas eu accès jusqu’alors (« what had been little more than an abstract principle »). En d’autres termes, Harriet lui apporte des exemples concrets tirés de son quotidien féminin. Elle lui apporte l’ouverture sur la société et particulièrement sur un monde, celui des femmes, dont le philosophe n’avait qu’une connaissance restreinte. Ce faisant, Mill admet qu’Harriet Taylor lui permit d’orienter ses réflexions utilitaristes, très abstraites ou théoriques, vers des applications de justice sociale grâce à ce qu’il nomme sa sensibilité féminine. Comme on peut le noter, le discours de John Stuart Mill reste très convenu sur la femme, un discours que l’on pourrait décrire comme se voulant libéral tout en restant traditionnel et patriarcal. Harriet selon lui est parfaite, c’est une bonne mère et une bonne épouse selon les critères victoriens de l’ange du foyer, (« according to the received type of feminine genius »). Elle possède une intelligence intuitive qu’elle a cultivée en autodidacte, n’ayant pas eu accès à une éducation adéquate12. De plus Harriet est « modeste », belle et charmante. Bien qu’écrivant ce passage dans les années 1870, Mill insiste sur les vertus et les « caractéristiques morales » de la jeune femme. Harriet est altruiste et philanthrope, car « son cœur s’identifie aux sentiments d’autrui » et ces qualités naturelles vont de paire avec la 11 12 Autobiography, p. 144. Ibid, p. 147. 7 « beauté de son esprit » 13. Par ailleurs, Harriet est motivée, selon Mill, par une « passion pour la justice » et par l’équité entre hommes et femmes. Elle s’engage pour l’accès à la liberté de la femme qu’elle considère comme réduite à une forme d’esclavage dans le cadre du mariage. Cette soif de justice est le combat de l’existence d’Harriet comme le découvre John Stuart. II – L’influence de Harriet Taylor sur les écrits de Mill: féminisme radical et action. En 1830, Harriet Taylor est mère de famille, mariée à un homme dont la compagnie intellectuelle ne la satisfait pas. Son mariage n’est pas heureux même si son époux est un gentleman à son égard comme le précise Mill. Le couple vit séparé mais les conventions les obligent à prétendre qu’ils mènent une vie normale. Le mariage et l’absence de liberté que lui imposent les normes de la société pèsent à Harriet qui écrit sur le sujet dans sa correspondance avec son compagnon. Mill indique dans son autobiographie qu’Harriet avait reconnu en lui son intérêt pour la condition des femmes, et plus particulièrement elle avait été attirée par son point de vue libéral, lors de conversations tenues au sein du cercle d’intellectuels qu’ils fréquentaient. Mill était convaincu de la nécessité d’établir une égalité parfaite entre les sexes dans les domaines juridique et politique14. Mill reconnaît cependant que toutes ces idées féministes restaient abstraites pour lui et qu’Harriet allait lui fournir des exemples concrets d’arguments pour convaincre la majorité de ses contemporains qu’il était urgent de réformer le système des lois afin de protéger les femmes et leur permettre d’obtenir le droit de vote afin qu’à leur tour elles puissent voter des lois justes15. En dépit d’un premier écrit sur l’inégalité et l’injustice du contrat de mariage que Mill adresse à Taylor en 1831 à la suite de leurs premières conversations sur le sujet, c’est Harriet qui est la féministe à l’époque lorsqu’elle rédige Enfranchisement, un pamphlet dénonçant les conditions des femmes en Grande-Bretagne. Dans ce texte, Harriet Taylor appelle la société à reconsidérer rapidement le statut de la femme, soumise légalement à son époux, asservie dans le couple, contrainte à se réaliser dans la maternité alors que ses aspirations personnelles la 13 Ibid, p. 147, « ses caractéristiques morales reflétaient son altruisme, et révélaient un cœur qui s’identifiait aux sentiments des autres, elle avait une passion pour la justice… quant au reste de ses vertus, elles accompagnaient naturellement ses qualités de cœur et d’esprit… » 14 Autobiography, p. 185, note de bas de page, « ces convictions [sur la parité des sexes devant la loi] faisaient partie des premiers résultats de l’application de ma réflexion à des sujets politiques, et la force avec laquelle j’avançais mes convictions, fut à l’origine de la l’intérêt qu’Harriet me porta. » (je traduis) 15 Ibid, p. 185, « elles devaient avoir une voix d’équivalente importance dans l’élaboration des lois par lesquelles elles allaient être gouvernées. » 8 porteraient à lire, étudier et écrire. Harriet joue sur le double sens du mot « enfranchisement » qui signifie libération pour l’esclave asservi, mais aussi l’accès au vote. Le texte ne sera publié « anonymement » qu’en 1851, dans la Westminster Review, sous le nom de son compagnon John Stuart Mill, car son époux John Taylor ne l’autorisait pas à signer ce texte. Mill attribue le radicalisme d’Harriet - car le terme de féminisme n’existe pas à l’époque, le concept n’apparut que dans les années 1890 – à sa frustration qu’il appelle « dissatisfaction ». Harriet est bien plus engagée dans le combat pour transformer la société que lui-même. Sa passion, nourrie par sa frustration et son insatisfaction dans son quotidien de femme, l’amène à adopter deux approches qui influencent clairement les futurs écrits de Mill. Le radicalisme d’Harriet, explique-t-il avec le recul des années, le poussa à agir et à s’engager plutôt qu’à se « contenter » d’écrire des traités trop généraux ou peu pragmatiques ou à théoriser sur le principe de l’utilitarisme. Mill souligne le « jusqu’auboutisme » d’Harriet Taylor et son approche pragmatique et méthodique d’un projet ou d’une idée afin d’obtenir l’objet désiré16. Cette approche est évidente à la lecture d’Enfranchisement. Taylor y critique la place de la femme dans la société et souligne l’urgence de rétablir un équilibre entre les sexes. Elle y évoque les discours des militantes américaines autour de la première convention féministe de Seneca Falls de 1848, indiquant que les écrits produits aux Etats-Unis comme la « Déclaration de Sentiments »17, étaient trop théoriques ou trop anecdotiques, et que les Américaines bien que radicales, ne proposaient pas de solutions ou de réformes pratiques à cet état d’asservissement dans lequel les femmes se trouvaient. Pour remédier à ces remarques trop abstraites sur la cause des femmes et faire avancer leur condition, Harriet Taylor propose dans son pamphlet des actions concrètes et réfute par avance les remarques contradictoires de ses opposants qu’elle anticipe ici, suivant une méthode également utilisée par John Stuart Mill dans ses écrits publiés après 1851 et plus particulièrement repérable dans la trame de L’asservissement des femmes. 16 Autobiography, p. 148, « Pour ceux qui, comme tous les êtres les meilleurs et les plus sages sont insatisfaits de la vie telle qu’elle existe, et dont les sentiments sont entièrement motivés par une réforme radicale de celle-ci, il existe deux possibilités. La première appartient à celle des théories abstraites qui font nécessairement partie de cet idéal final d’une vie parfaite. L’autre possibilité s’appuie sur une démarche utile et applicable immédiatement, afin d’atteindre un but réalisable concrètement. » (je traduis) 17 Il s’agit de la première convention américaine pour le droit des femmes. Elle se tint en 1848 à Seneca Falls. Le public était composée de couples de la classe-moyenne et de plusieurs militantes, par ailleurs engagées dans la lutte contre l’esclavage dont Lucretia Mott et Elizabeth Cady Stanton. De façon peu conventionnelle pour l’époque, elles prirent la parole et réécrivirent la Déclaration d’Indépendance de juillet 1776 en un pastiche féministe, remplaçant les références au roi Georges III (despote et tyran) par « He », l’homme, l’époux despote et tyran domestique. Le texte ainsi pastiché portait le titre de « Declaration of Sentiments.», appliquant ainsi aux Américains, hommes et femmes, les valeurs de liberté et d’égalité promises dans la déclaration. 9 John Stuart Mill rend hommage au travail intellectuel de son épouse dans l’élaboration des ouvrages qu’il publie à partir de l’époque où le couple se marie. Les trois derniers ouvrages de sa vie sont tous, selon lui, le produit de cet échange d’idées au sein du couple. Ces trois textes qui démontrent l’engagement plus marqué du philosophe dans la société, prennent une forme plus didactique et pratique, grâce à l’influence d’Harriet, selon Mill. Pour Mill, De la liberté, Considérations sur le gouvernement représentatif et L’asservissement des femmes ne sont pas le résultat du travail d’un seul esprit, mais le produit de la « fusion de leur deux esprits »18. Si Mill refuse de prendre en considération le discours « essentialiste » de son époque, il reste néanmoins traditionnel lorsqu’il évoque les traits « naturels » des hommes et des femmes en décrivant à travers Harriet Taylor Mill leur complémentarité physique et intellectuelle. Selon lui, en revenant sur le concept de « half-man », la femme est naturellement plus intuitive et plus ouverte sur les soucis de ceux qui l’entourent, ce qui explique son pragmatisme et son altruisme. C’est donc ces qualités féminines qu’Harriet Taylor apporte aux écrits de Mill durant leurs sept années de vie commune. Harriet Taylor et John Stuart Mill ne partagent pas les mêmes points de vue sur le discours traditionnel concernant la nature des femmes. Elle pousse Mill à critiquer les théories d’Auguste Comte dans une correspondance suivie avec le philosophe dans les années 1840, lorsque Comte argue du fait que la femme est clairement inférieure à l’homme en raison de caractéristiques physiques et physiologiques qui influencent sa psychologie. A partir de lectures psycho-phrénologiques, Comte avance l’idée que la femme est dotée d’un cerveau de taille inférieur à celui de l’homme, ce qui l’amène nécessairement à développer une forme d’intelligence inférieure19. Mill à l’époque de cette correspondance était peu au fait des derniers écrits scientifiques et sa prudence dans les réponses qu’il fait parfois à Auguste Comte montre ses hésitations à contredire les propos du philosophe qui semblent pourtant fort ridicules à Harriet Taylor avant de le devenir pour Mill. Il contrecarra ces arguments vingt ans plus tard dans L’asservissement des femmes pour démontrer par dérision, que le plus gros cerveau jamais pesé par un biologiste appartenait à une femme. Quant à l’influence de l’environnement sur le développement psychologique des individus des deux sexes, Mill soutiendra tout au long de ses écrits que les recherches sur le sujet ne sont pas assez 18 Autobiography, p. 149, «il faut la remercier pour le plus grand pragmatisme que l’on trouve dans mes écrits. » « ces écrits n’étaient pas le produit d’un esprit mais le résultat de la fusion de nos deux esprits. » 19 Correspondance avec Auguste Comte, Earlier Letters, Collected Works, vol. 13, pp.590-611. 10 développées pour pouvoir tirer des conclusions sur la faiblesse psychologique ou sur les capacités intellectuelles inférieures de la femme par rapport à l’homme20. Dans son autobiographie, Mill indique les conditions dans lesquelles les nouveaux époux ont élaboré leur collaboration intellectuelle et leur mission ultime, celle de porter un regard critique et radical sur la société de leur époque, conservatrice et conventionnelle, afin de faire évoluer les esprits et les mœurs pour y introduire liberté, justice et équité pour les individus des deux sexes. Mill apprend à ses lecteurs que son épouse et lui-même sont atteints de la tuberculose et que leurs années ensemble sont comptées. Harriet décède en effet en 1858. Dès 1851, ils élaborent donc une série de plans pour les écrits qu’ils souhaitaient voir publier de leur vivant ou de façon posthume afin que d’autres intellectuels puissent y trouver une base de réflexion. Ainsi les trames de De la liberté, Considérations sur le gouvernement représentatif et L’asservissement des femmes sont élaborées entre 1851 et 1858 même si John Stuart Mill ne rédige ces trois essais qu’entre 1858 et 1861. Il est clair que le pamphlet Enfranchisement of Women rédigé entre 1849 et 1851 par Harriet Taylor21 porte en germe la construction de l’ouvrage final de Mill L’asservissement des femmes. John Stuart Mill l’inclut dans Dissertations and Discussions paru en 1859 ouvrage dans lequel il préface le texte d’Harriet Taylor rendant ici l’autorité intellectuelle du pamphlet à son épouse en soulignant l’importance de ses idées révolutionnaires sur la condition des femmes qu’il souhaite voir passer à la postérité. Cependant Mill met en garde le lecteur dans cette préface au ton très « paternel », contre le fait que son épouse souhaitait s’adresser avant tout au grand public à cette époque et qu’elle n’avait mis en avant que les grands traits de sa pensée sans nécessairement élaborer une théorie sur le sujet. Mill donne l’impression qu’il cherche à excuser l’absence de réflexions approfondies dans ce premier pamphlet, alors que la force des arguments l’emporte largement sur certains longs développements de Mill dans L’asservissement des femmes. Après avoir évoqué le contexte américain des premières conventions féministes comme nous l’avons vu, Harriet revient dans Enfranchisement, sur la situation des femmes en Grande-Bretagne, en cherchant à réfuter les discours classiques des hommes sur la sujétion et sur l’asservissement des femmes. Selon eux, le statut actuel de la femme serait l’héritage d’une longue tradition selon laquelle le sexe faible aurait naturellement besoin de protection masculine. Harriet Taylor s’attaque tout d’abord aux Chartistes et au mouvement ouvrier dans 20 Asservissement des femmes, p.59, « Nul n’a le droit d’avoir une position aussi affirmée sur le sujet ». “The Enfranchisement of Women”, in Sexual Equality, Writings by John Stuart Mill, Harriet Taylor and Helen Taylor, edited by Ann P. Robson and John M. Robson, pp.178-203. 21 11 son ensemble, qui osent réclamer le suffrage universel masculin alors que « la moitié de la nation », les femmes, n’y aurait pas droit. Pour Harriet Taylor, refuser le droit de vote aux femmes revient à les défaire de leurs droits civiques (« their common rights of citizenship ») et à exclure les citoyennes de l’espace national, alors qu’à cette époque, certains étrangers sont plus protégés en Grande-Bretagne que les femmes elles-mêmes. Comme Mill le fera quelques années plus tard, Harriet Taylor dénonce la loi du plus fort, celle qui prétend que toutes les femmes appartiennent de fait au sexe faible et sont naturellement inférieures. Cette théorie fallacieuse apporte ses croyances, ses préjugés et des habitudes d’asservissement puisque la femme est persuadée qu’elle doit rester dans la sphère privée, comme l’explique Harriet Taylor. Elle prend aussi des exemples de femmes qui ont été actives au sein de leur communauté religieuse en dehors de leur foyer, notamment chez les Quakers, en permettant d’introduire des réformes importantes comme la fin de l’esclavage. Elle cite le cas de souveraines qui ont marqué leur pays par leur capacité à gouverner les hommes. Elle rappelle que la femme n’aspire pas nécessairement à être une épouse et une mère, contrairement à ce que souhaitent lui faire penser les conventions sociales imposées par le patriarcat. Les femmes ne sont pas nées pour être au service perpétuel des hommes. Les hommes se sont affranchis des despotes par le passé, les femmes devraient elles aussi s’affranchir de cette situation d’esclave d’un maître, de ce qu’elle décrit comme leur « pouvoir arbitraire. » Quant à l’argument selon lequel, les épouses sont manipulatrices et ne sont à ce titre pas dignes de confiance, Harriet Taylor suggère qu’il peut s’agir d’un stratagème que certaines épouses doivent développer pour survivre sous la coupe de certains despotes domestiques. Pour conclure, Harriet Taylor revient à la mobilisation des bourgeoises américaines en souhaitant que leur discours souvent moralisateur sur la place de la femme dans la société qui apporterait douceur et intelligence féminine, ne les empêche pas de revendiquer le droit de vote et l’égalité devant la loi. Harriet Taylor conclut fermement sur ce point et on peut s’étonner que John Stuart Mill n’ait jamais tenu compte de cette position ou de ce refus de voir les femmes reléguées à ce qu’elle appelle « a sort of sentimental priesthood », c’est à dire à ce statut de bienfaitrice au foyer et en dehors du foyer, en tant que philanthrope ou évangéliste. Harriet Taylor critique ceux parmi les progressistes et les philosophes victoriens qui pensaient que les femmes pouvaient se satisfaire du fait qu’on leur reconnaisse un rôle important dans le progrès de la société, en les parant à nouveau de leurs vertus féminines, mais pour servir une mission sociale dans la sphère publique. 12 Le texte de Harriet Taylor est un véritable pamphlet féministe pour son époque. Elle y accumule exemples et contre-exemples pour ridiculiser toutes les idées avancées par ceux dont l’intérêt était de maintenir leurs épouses au foyer. Il s’agit ici de la parole passionnée d’une femme dont le texte ne sera pas authentifié comme le sien. C’est John Stuart Mill qui reprendra ses démonstrations pour illustrer un texte plus théorique sur L’asservissement dix ans après. III – L’engagement de Mill en faveur du droit de vote des femmes ou comment faire œuvre utile pour la société. Dans les années qui suivent le décès de son épouse, Mill se retire de la vie publique pour écrire les trois essais, tout en s’engageant dans différentes correspondances avec des philosophes français puisqu’il semble désormais isolé du cercle des intellectuels libéraux et radicaux qu’il fréquentait avant son mariage. Il est clair que des trois ouvrages que Mill publie entre 1859 et 1869, De la liberté est la clé théorique pour comprendre les deux suivants. Quant à L’asservissement des femmes, Mill le considère comme l’aboutissement pratique et pragmatique des deux autres essais. Mill y applique l’ensemble de son système de pensée à un cas particulier, la condition et le statut des femmes, dans la société en général. Mill indique dans son autobiographie qu’il ne s’agissait pas pour lui de s’intéresser au droit des femmes en tant que groupe minoritaire, mais bien de prendre en compte celles qui formaient plus de la moitié de la population britannique, aux dires des recensements de l’époque, et de faire de leur émancipation sociale et politique une condition essentielle à son projet utilitariste : le bonheur du plus grand nombre en favorisant l’évolution morale de la société toute entière. De la liberté publié en 1859 marque son époque et il reste à ce jour un ouvrage philosophique de référence pour l’analyse du libéralisme politique et social au XIXe siècle. Mill y reprend son discours sur l’utilitarisme et son souhait de réformer la société pour y apporter progrès et bonheur pour le plus grand nombre. Au cœur de son propos, Mill situe la notion de liberté de l’individu au sein de la société. Entre autres exemples, Mill évoque l’étouffement de l’individu dans une société où les conventions et les habitudes s’opposent à la liberté d’esprit et à la liberté de choix. Pour Mill, et Harriet Taylor puisqu’elle participe à l’élaboration théorique de ce texte, le progrès de l’individu et à terme de la société toute entière, réside dans la capacité à s’émanciper de ces normes et de cette médiocrité qui 13 décourage l’indépendance de l’esprit, pour faire émerger ce que Mill appelle le « génie »22. Mill insiste sur le rôle des hommes et des femmes éduquées, des intellectuels, ces « individus exceptionnels » qui doivent avoir la « liberté de montrer un autre chemin » afin que d’autres puissent les suivre23. Considérations sur le gouvernement représentatif paraît en 1861. Mill s’intéresse alors à la question du suffrage et de la représentativité des électeurs au Parlement, afin d’influencer les esprits en vue de futurs débats qui se préparaient sur l’extension du suffrage (au delà de la classe moyenne qui l’avait obtenu lors d’une première réforme en 1832). Mill s’intéresse aussi à la nécessité de réformer le mode de scrutin afin de permettre une plus grande représentation des différents courants de pensée et d’opinions politiques. Dans son autobiographie, Mill évoque avoir commencé à rédiger l’ouvrage sur la place des femmes dans la société selon le plan travaillé avec son épouse, dès 1860, mais il ne voit pas la pertinence de publier le texte immédiatement en raison du contexte général, jugeant que le parti libéral n’était pas prêt à entendre son point de vue sur la condition des femmes à un moment où le débat portait sur l’extension du droit de vote à tous les hommes. Mill glisse néanmoins clairement son point de vue sur l’importance du vote des femmes dans Considérations sur le gouvernement représentatif. Pour Mill qui n’élabore pas ses idées de manière très constructives ou pragmatiques ici, il n’y aucune raison d’exclure les femmes du droit de vote, pas plus que l’on ne doit exclure des hommes pour des raisons de taille ou de couleur de cheveux. Mais son ouvrage ne fait pas d’émules même parmi son parti « naturel », les Libéraux, car il réfute par ailleurs les principes défendus par ceux-ci à savoir le vote à bulletin secret et le suffrage masculin universel. Mill craignait que les ouvriers insuffisamment éduqués, n’utilisent leur vote pour promouvoir des leaders peu enclins à faire progresser la société. Sa conception du Parlement est plutôt élitiste au sens où il invite les intellectuels à s’engager pour servir la société au lieu de servir des intérêts bassement politiques ou de préserver leurs propres privilèges comme la plupart des députés. Les remarques de Mill sur l’intérêt de donner le vote aux femmes éduquées s’agrègent donc à un ensemble d’idées controversées qui n’étaient pas dans l’air du temps. 22 De la liberté, op.cit., p. 42, « Les peuples sous-développés suivent les coutumes, les peuples développés initient de nouvelles façon de se comporter et expérimentent de nouveaux modes de pensée. », « Si la médiocrité ambiante arrivait à étouffer le génie ou l’originalité, alors le progrès s’arrêterait. » (je traduis) 23 Ibid, p. 82, « Il faut que l’individu exceptionnel puisse avoir la liberté de montrer le chemin […] L’homme moyen devrait être fier et honoré de le suivre ainsi avec ses yeux grand ouverts. » 14 Pourtant en 1865, le Parti libéral sollicite John Stuart Mill pour qu’il se présente à la députation dans la circonscription de Westminster. Mill se dit flatté par cette requête mais avant de s’engager il souhaite faire connaître à ses futurs électeurs ses positions radicales sur le droit de vote des femmes qu’il souhaite voir discuté au Parlement, droit qu’il souhaite revendiquer puisque l’opportunité lui est donnée (« to act on it »). Mill rappelle qu’il n’est pas en faveur d’un suffrage universel masculin jouant ici sur la sémantique de « manhood suffrage » mais bien en faveur d’un suffrage pour les hommes et les femmes24 éduqués. En dépit d’une position relativement radicale sur ce point de vue, et contrairement au projet de loi d’étendre l’accès au vote à une partie de la classe ouvrière que portait les Libéraux, Mill se fait élire et selon ses dires, cette élection amorça une démarche de la part des femmes qui se mobilisèrent pour rédiger une pétition afin d’appuyer un amendement que John Stuart Mill pourrait déposer auprès de la Chambre des Communes. Pour Mill, présenter la pétition des militantes rassemblant 1499 signatures en 1866, puis l’introduction d’un amendement réclamant l’égalité hommes-femmes (éduquées) devant le suffrage, présenté à la Chambre des Communes en mai 1867, faisait partie de ce qu’il appelait son devoir « moral et social. » (« moral and social duty »). Lors de la présentation de l’amendement devant la Chambre, sa notoriété, son aura attirent l’attention des députés. 73 d’entre eux voteront en faveur de l’amendement à la loi sur le suffrage réclamant l’introduction du vote pour les femmes éduquées célibataires ou veuves qui payaient déjà leurs impôts, c’est à dire qu’elles remplissaient déjà les critères requis pour l’accès au vote depuis 1832. Autoriser les artisans à obtenir le droit de vote alors que des femmes de rang supérieur, propriétaires de leurs terres ou de leur résidence n’étaient pas autorisées à voter, relevait pour Mill d’une injustice flagrante et inacceptable au sein de la Constitution. Mill notait aussi que l’une des raisons pour lesquelles ces femmes étaient régulièrement oubliées des projets de lois discutés au parlement était qu’elles ne manifestaient pas en public leur désaccord, faisant ici référence aux manifestations bruyantes des ouvriers. Point après point, dans un long discours, Mill réfuta les préjugés sur l’incapacité des femmes à comprendre la politique ou à y apporter leurs idées, en indiquant que déjà les femmes influençaient leur époux dans leur vote. Mill n’était pourtant pas révolutionnaire en présentant le vote comme sans danger pour l’équilibre de la société puisque les femmes électrices n’avaient, estimait-il, pas l’intention de déserter leur foyer pour entrer en politique. Le discours est souvent 24 Autobiography, op.cit., p. 208, «Je leur fis connaître parmi diverses idées, ma conviction (puisque je me devais de le faire ayant décidé de m’engager sur ce point) que les femmes avaient le droit d’être représentées au Parlement au même titre et selon les mêmes critères que les hommes. » 15 humoristique, le propos clair, mais il ne s’agit pas de faire craindre un bouleversement social aux députés. Pourtant son but est de présenter les femmes comme des partenaires indispensables au progrès de la société puisqu’elles forment l’autre moitié de celle-ci. Mill revient par exemple sur la situation ridicule d’Elizabeth Garret qui ayant étudié la médecine n’était pas autorisée à la pratiquer. Dans sa conclusion, ce dernier évoque l’inéluctabilité du droit de vote des femmes qui à leur tour légifèreront pour permettre leur accès aux emplois qualifiés. Mais Mill n’est pas suffisamment radical dans sa démarche puisqu’il semble se « contenter » de ce résultat en ne poursuivant pas son action pour présenter un second amendement, au cours des deux années suivantes. Mill considère que cette première tentative d’amendement est un succès même si, comme il l’indique à son collègue député Henry Fawcett, cette démarche arrivait trop tôt pour les mentalités britanniques. La stratégie de Mill, comme il s’en explique dans sa correspondance, était de sensibiliser l’opinion publique à la cause des femmes auxquelles la Constitution refusait leurs droits civiques et de provoquer dans les esprits des libéraux et des conservateurs un intérêt pour un futur débat sur le droit de vote. Quant à son positionnement sur le droit de vote universel masculin qu’il condamnait, Mill ne cachait pas que son rejet du principe n’avait pas facilité l’adhésion des membres de son propre parti à son amendement. Ainsi si la représentativité des femmes au Parlement lui tenait à cœur, Mill n’était pas prêt à toutes les concessions sur le suffrage, particulièrement sur le niveau d’éducation de l’électeur, pour gagner des députés à cette cause. Par ailleurs, lors des débats sur la réforme du suffrage présenté par le gouvernement de Disraeli, Mill n’intervint que quelques rares fois en dehors de la présentation de son amendement en mai 1867. La cause des femmes n’était pas l’objet de ces autres interventions car il souhaitait aussi faire entendre sa théorie sur la représentativité des minorités ou sur la réforme du scrutin en faveur d’un vote à la proportionnel. Cependant, Mill avoue que son discours théorique sur la réforme du mode de scrutin fût peu écouté, alors que ses deux interventions sur le vote des femmes à travers la présentation de la pétition ou l’introduction de l’amendement, semblèrent faire avancer les mentalités des députés. Si Mill n’avait pas fait preuve d’une grande persistance dans son action envers les femmes, du moins pensait-il avoir fait oeuvre utile.25 Dans une lettre à un ami député soutenant sa présentation de la pétition des femmes, Mill expliquait qu’il était inutile de se battre à ce moment là des débats, sur l’extension du suffrage puisque ni les députés, ni la société, ne semblaient prêts à entendre son 25 Autobiography, op.cit., p. 222, «C’était de loin le plus important sans doute de les services publiques que j’avais accompli en tant que député. » 16 argument sur le vote des femmes26. Quant aux autres réformes touchant à la condition des femmes… IV – Le féminisme « radical » de Mill dans Subjection of Women, de la théorie à la pratique. Mill continue à sa façon de militer en faveur de l’extension du suffrage en travaillant à la rédaction d’un texte à la fois théorique et pragmatique De l’asservissement des femmes. Mill insiste sur le fait que son engagement dans l’écriture de cet ouvrage fait partie de sa mission envers les femmes et la société. Il indique que sa femme aurait dû l’écrire27 et que c’est en son nom et pour lui rendre hommage qu’il s’attache à publier ce texte sur lequel il recommence à travailler dès 1860-61. Mais au lieu de publier ce texte qui aurait été prêt avant le débat sur le suffrage amorcé en 1866, Mill préfère reprendre la trame de l’ouvrage après l’échec de son amendement en mai 1867. Mill n’est par ailleurs pas réélu membre du parlement aux élections de novembre 1868. Il se retire donc pour écrire et correspondre avec ses contemporains, partageant son temps entre Londres et Avignon. Sa belle-fille, la militante Helen Taylor l’y rejoint et travaille pour lui comme secrétaire tout en poursuivant de son côté sa propre campagne en faveur de l’égalité des femmes. A Londres, elle rejoint le groupe des femmes de Langham Place et de la Kensington Society pour fonder la National Women’s Suffrage Society28 dont elle devient la vice-présidente et John Stuart Mill, le président honoraire. Ainsi, il semble que la publication même de Subjection of Women, selon Mill, soit un engagement du philosophe envers sa belle-fille de terminer l’œuvre dont la trame avait été posée par sa mère et John Stuart. Par ce pamphlet, Mill tient aussi la promesse faite à Harriet en poursuivant le combat des militantes féministes que sa femme aurait souhaité voir émerger dès 1851 lorsqu’ils 26 Lettre de John Stuart Mill à Darby Griffith, député, 9 juin 1866. « La courte intervention que j’ai donnée à la Chambre hier me semble aller aussi loin que possible tout en restant prudent, du moins dans le cadre des débats de cette session. Car je pense qu’il n’y a aucun espoir que nous puissions réussir à obtenir l’ajout d’une clause accordant le droit de vote aux femmes, du moins dans le contexte de cette loi sur la réforme électorale. Il me semble, ainsi qu’à certains amis qu’une telle proposition ne soit que brièvement présentée cette année, sans accaparer le temps des députés, et augmenter à notre égard leurs accusations d’obstruction en forçant une discussion qui ne mènerait à aucun résultat pratique. » 27 Autobiography, op.cit., p. 186, «Je suis réellement conscient du fait que je n’ai pas réussi à reproduire ses meilleurs réflexions sur le sujet, et du fait que ce petit traité est bien maigre par rapport à ce qu’elle aurait pu offrir au monde si elle avait pu couché sur le papier toutes ses idées sur la question, ou si elle avait vécu pour réviser et améliorer mes affirmations parfois peu satisfaisantes sur le sujet. » 28 Autobiography, op.cit., p. 222, « Le temps semblait être venu, selon ma fille Miss Helen Taylor, de former une société qui militerait en faveur de l’extension du vote aux femmes […] sa constitution fut entièrement rédigée par ses soins, et elle fut l’âme du mouvement durant les premières années. » 17 avaient travaillé ce texte ensemble. L’influence d’Helen Taylor sur Mill est évidente lorsqu’il indique dans son autobiographie qu’un tel ouvrage, rassemblant les idées radicales d’un grand philosophe sur la question des femmes, après les avoir représentées si clairement lors de la dernière campagne en 1866-67, ne pourrait que marquer les esprits et faire évoluer les mentalités29. Helen Taylor et John Stuart Mill espéraient d’ailleurs que le débat sur le droit de vote des femmes reviendrait rapidement au Parlement et qu’il fallait dans cette éventualité, préparer des arguments clairs et publiables rapidement sous forme de pamphlet pour convaincre les députés. De la même manière qu’il acceptait de signer de son nom des lettres rédigées par Helen et destinées à convaincre des femmes célèbres (comme Florence Nightingale ou Mary Carpenter) de rallier la cause des militantes, Mill accepta de rassembler toutes les idées et exemples pertinents présentés par Harriet quelques années auparavant, dans un texte d’une centaine de pages, pour continuer ce qu’il appelait son œuvre « utile », son « service public », la cause des femmes. Il indique en effet qu’en dépit d’une opinion politique déjà établie sur la question de l’égalité des femmes, il n’aurait pu nourrir son propos d’exemples tirés de la société, de la politique ou de la justice - montrant à quel point les femmes étaient de véritables esclaves dans ces trois domaines à l’époque victorienne -, sans l’aide d’Harriet qui en raison de son sexe, précise-t-il, était une victime permanente des abus de la société qui l’asservissait. Du quotidien des femmes de la classe moyenne, Harriet Mill avait tiré des exemples et des enseignements qu’elle avait consignés dans Enfranchisement et qui continuaient à nourrir la réflexion théorique de Mill.: Dans sa version publiée, le texte était enrichi d’idées importantes apportées par ma fille ou de passages de sa plume. Mais pour ce qui était de ma propre composition, tout ce qui le plus frappant et le plus profond appartient à ma femme; venant du fond commun de nos pensées que nous avions élaboré ensemble, à travers nos innombrables conversations et discussions sur un sujet qui prenait une place si grande dans nos esprits30. Le point de départ de l’argumentation de L’asservissement des femmes est clair. Il s’agit pour le philosophe d’interpeller le public éduqué en remettant en cause les fondements mêmes sur lesquels la société victorienne patriarcale est construite : l’asservissement des femmes qui fait partie de l’ordre naturel des choses à l’époque. Mill demande à son lecteur de trouver des arguments légaux ou historiques pour justifier les bases de cette idée dépassée, marque d’une société retardée et arriérée. Le philosophe bien qu’influencé par des exemples 29 Ibid, p. 197, « Ce traité fut écrit sur une suggestion de ma fille selon laquelle, il faudrait laisser une présentation écrite de mes idées sur ce sujet important, une présentation aussi complète et aboutie que je le pourrais. Il s’agissait pour l’instant de conserver ce traité parmi d’autres écrits non publiés, en l’améliorant de temps à autre si j’en étais capable et de le publier à un moment où semblerait le plus utile. » 30 Ibid, p. 198 18 déjà publiés dans Enfranchisement, trouve ici un point clé de toute sa théorie sur la liberté, la représentation, l’égalité devant la loi… En d’autres termes, même si de nombreuses idées sont déjà évoquées par son épouse ou suggérées par sa belle-fille comme il l’avoue par ailleurs (« The Subjection of Women was acquired mainly through her teaching.31 »), même si Mill est plus à l’aise lorsque le débat porte sur l’inégalité des femmes devant la loi ou devant le suffrage, la démonstration de Mill est provocatrice et imparable car elle convoque ici tous les domaines dans lesquels la femme victorienne subit la loi du sexe « fort », pour lequel elle n’est en vérité qu’une esclave. Si Mill avait jusqu’à présent fait souvent preuve d’une certaine modération dans son engagement complet dans la libération de la femme, Subjection32 surprend par sa modernité. Les deux grands principes de la philosophie de Mill tirés de son utilitarisme et de sa théorie sur la liberté peuvent se résumer premièrement à l’idée que par l’éducation théorique et pratique, la société peut tendre vers un état de civilisation développée dans laquelle l’individu (homme ou femme) trouvera un état de bonheur; deuxièmement Mill préconise que tout individu soit libre et égal au sein de cette société. C’est donc vers cette finalité que tend la démonstration de Mill dans Subjection of Women33 lorsqu’il affirme en paragraphe liminaire qu’il est temps de mettre un terme aux lois et habitudes qui entérinent la soumission des femmes en Grande-Bretagne si la société toute entière souhaite tendre vers le progrès et le bonheur. Il s’agit pour cela de rendre leur liberté aux femmes prisonnières et esclaves de tyrans domestiques. Liberté, justice et égalité pour les femmes en tant que moitié de la population, afin d’atteindre un équilibre social pour tous, c’est là le féminisme de Mill qu’il met au service de son projet libéral. Elizabeth Cady Stanton s’émerveillera de cette synthèse complète et aboutie sur la condition des femmes, en lisant The Subjection of Women (« the synthesis of Mill’s feminist thought »)34. Il est vrai que les attaques de Mill contre le barbarisme, la cruauté des despotes domestiques, les hommes, sont répétées et brutales. Mill critique le lien indéfectible du 31 Autobiography, op.cit., p. 186, « Sans elles, j’aurais eu une perception insuffisante de la manière selon laquelle les conséquences de la position inférieure des femmes se mêlent à tous les maux de la société. » 32 John Stuart Mill, The Subjection of Women, (1869), edited by Susan Moller Okin, Cambridge, Indianapolis, Hackett Publishing Company, 1988. 33 De l’asservissement des femmes, op.cit., p. 1, «Je considère que le principe qui régit les relations sociales existant entre les deux sexes – la subordination légale d’un sexe à l’autre – est mauvais en soi et représente, à l’heure actuelle, l’un des principaux obstacles au progrès de l’humanité. Je considère qu’il doit être remplacé par principe d’égalité totale qui refuse tout pouvoir ou privilège pour l’un des deux sexes, toute incapacité pour l’autre. » (traduction de Marie-Françoise Cachin) 34 The Subjection of Women, note de commentaire de Susan Moller Okin, p. iv. 19 mariage (en dépit de la loi sur le divorce en 1857) qui lie par la loi le sort de la femme à son mari35, dont elle ignore la considération qu’il lui réservera dans l’intimité au moment de l’union. Mill, comme les féministes américaines ou Harriet Taylor, semble partir du principe que les hommes sont au départ des brutes animales dont on ne peut garantir qu’ils n’abuseront pas de leur force pour réduire leurs épouses à des esclaves domestiques et sexuelles.« Dans les pays chrétiens, on reconnaît avant tout à une femme esclave le droit de refuser à son maître les dernières faveurs et elle est même moralement tenue de les refuser. Il n’en est pas ainsi de la femme mariée. »36 Si Mill théorise sur le lien du mariage, ce sont bien ces images brutales et explicites qui marquent les esprits et qui sont destinées à faire comprendre aux lecteurs contemporains que devant la loi, mariée ou non, la femme est dépossédée de tous ses droits et de sa liberté depuis des siècles : « Il (le mari) peut réclamer et obtenir d’elle par la force la dégradation la plus vile qui soit pour un être humain, celle qui consiste à servir malgré soi d’instrument à une fonction animale. »37 La Grande-Bretagne fait donc partie de ces pays arriérés et dégénérés, dont la conduite des hommes est indigne d’un pays civilisé et chrétien38. Ces images concrètes font partie de la rhétorique d’Harriet Taylor lorsque loin de l’abstraction théorique, elle évoquait déjà dans Enfranchisement, ces images et représentations tirées de son quotidien domestique pour expliciter ce qu’asservissement pouvait signifier pour les esclaves domestiques, les femmes mariées, (« slavery has been abolished… subjection should be too. »). Mill y ajoute le terme de « bourreau » pour qualifier la place et la fonction de l’époux dans le mariage. Mill s’empare ici de tous les aspects de la cause des femmes : de l’inégalité dans le mariage dont il va faire le cœur de son projet de réforme sociale, à l’accès à l’éducation, au travail rémunéré et à la députation pour les femmes éduquées, à l’inégalité devant les lois. Mill note les contradictions profondes qui animent les hommes britanniques gouvernés par une reine, mais incapables d’accepter que les femmes « soient soldats ou membres du Parlement. » Il rappelle à ses lecteurs que dans les grandes nations civilisées, les femmes s’organisent en conventions ou en associations pour revendiquer le droit de vote, l’accès au 35 De l’asservissement, op.cit., p. 67, « Comme le marriage est le sort que la société assigne aux femmes, l’avenir en vue duquel elles sont élevées et le but qu’elles doivent toutes rechercher. » , p. 68, « La femme reste véritablement l’esclave de son mari, tout autant du point de vue légal que les esclaves proprement dits. », « Elle ne peut pas posséder de biens, elle ne peut agir sans sa permission. […] A tous égards, la situation de l’épouse dans le système judiciaire anglais, est pire que la situation légale des esclaves dans de nombreux pays..” 36 Ibid, p. 70. 37 Ibid, p. 70. 38 Ibid, « Elle (la société britannique) semble avancer dans le sens contraire au mouvement vers le progrès qui est l’apanage des sociétés modernes. » 20 monde professionnel et l’accès à l’éducation supérieure. Il souligne qu’en Grande-Bretagne, des milliers de femmes ont envoyé une pétition au Parlement pour réclamer le droit de vote en 1866 et qu’une société menée par « des femmes éminentes » continue la campagne. Mill ajoute « combien d’autres femmes nourrissent secrètement les mêmes aspirations, personne ne peut le savoir mais des signes indiquent qu’il y en a beaucoup […] si on ne leur apprenait pas avec tant d’acharnement à réprimer ces aspirations comme contraires aux convenances. » Mill assimile le combat des femmes pour leurs droits civiques au combat des Anglais contre la monarchie absolue. Le combat des femmes est bien plus difficile que toutes les rébellions contre le pouvoir absolu car elles sont asservies par leur maître, socialement et intellectuellement. « Les hommes ne veulent pas seulement l’obéissance des femmes, ils veulent être maître de leurs sentiments. » Ils traitent les femmes en esclaves consentantes, en concubines et en favorites. Elles ne se rebelleront pas puisque toute l’éducation qu’elles ont reçue leur rappelle qu’elles doivent se soumettre, « on leur apprend à renoncer à leur volonté et à leur responsabilité pour se soumettre à la volonté d’autrui. » En interdisant aux femmes l’accès à l’éducation, Mill souligne que les hommes ont réussi à maintenir ces dernières dans un état de sujétion et de soumission total. « Les maîtres des femmes veulent plus que la simple obéissance et ils orientent dans cette direction toute la force de l’éducation. » Pourtant en éduquant les femmes, en libérant leurs esprits, la société les rendra libres d’accéder au monde du travail et d’apporter leur contribution intellectuelle à l’avancement des idées, au progrès social et politique, au lieu de leur interdire l’accès à l’emploi. Mill annonce ici une véritable révolution pour la société victorienne. Par ailleurs, une femme éduquée apporterait ses qualités d’intelligence à son couple et à ses enfants. A l’inverse puisque la majorité des épouses est maintenue dans l’ignorance la plus affligeante, ces femmes ne s’intéressent qu’à des sujets matériels voire frivoles. La société tout entière est ainsi responsable de la médiocrité dans laquelle ces épouses sont maintenues, qui rejaillit sur leur famille. Ici Mill juge que les femmes sont certes victimes du manque d’éducation mais aussi coupables de contaminer leur famille et leurs enfants en raison du fait qu’elles soient prisonnières du mariage. Leur redonner liberté et éducation restaurerait de fait leur capacité à apporter progrès et intelligence. Le philosophe fait par ailleurs la démonstration que les femmes sont capables d’accéder aux plus hautes sphères intellectuelles et politiques où leur contribution devient essentielle. Il prend des exemples dans le monde de la littérature, en soulignant que les femmes écrivains n’apprennent que depuis peu à exprimer leurs idées au lieu de coucher sur 21 le papier des « opinions inculquées. » Il prend des exemples parmi les grandes souveraines qui sont « nées » pour régner et que les hommes tolèrent à la tête de leur gouvernement en raison de leur naissance. Nombreuses sont ces souveraines qui ont réformé leur société et y ont apporté progrès social. L’accès à l’éducation des femmes, mais aussi « la réforme des institutions sociales », libèreront le « tempérament des femmes » en les menant naturellement à prendre leur place dans la société civile. Pour Mill, s’appuyant sur sa propre expérience ici, il suggère aux couples de se découvrir l’un l’autre, de vivre sur un pied d’égalité, et d’établir au sein de leur foyer une équité entre les partenaires, une entraide et un partage des tâches domestiques et intellectuelles. C’est au sein de cette famille où règneraient la justice entre les deux sexes et l’absence de hiérarchie entre les époux que les enfants grandiraient en respectant leur mère en tant qu’individu à part entière et pourraient ainsi reproduire cette habitude en devenant parents eux-mêmes. Mill explique que ce type d’égalité existe au sein de certains couples, comme le sien39. Pour le philosophe, il faut réformer le système des lois pour donner aux époux « l’égalité devant la loi », qu’il considère comme « l’unique méthode pour rendre cette relation particulière, conforme à la justice et pour aboutir au bonheur des deux conjoints. » Un bonheur qui rejaillira naturellement sur le reste de la famille et de la société. Il explique que de nombreux couples au sein des classes aisées et supérieures, vivent déjà cette harmonie intellectuelle et familiale. Il recommande d’ailleurs que ces couples équilibrés et épanouis présentent leur bonheur autour d’eux pour influencer les mentalités des conservateurs, des rétrogrades et des classes ouvrières où explique-t-il la brutalité animale envers la femme est la plus visible40. Il leur rappelle qu’ils ont le devoir de se battre pour faire changer les lois au lieu de prétendre que leur harmonie familiale est naturelle et devrait être partagée par tous les foyers en Angleterre. Mill s’adresserait-il à ses anciens amis, intellectuels, comme les Carlyle ? Mill ne se départit pas pour autant de sa vision plus traditionnelle, voire patriarcale de la femme dans la société, suivant en cela son admiration pour la personnalité et les vertus de son épouse. Il insiste longuement sur le rôle des femmes dans la moralisation de la société 39 En épousant Harriet Taylor, Mill avait refusé par écrit tous les droits que lui conférait la loi en devenant son époux. L’asservissement, op.cit., p. 109, « Pour un homme de théorie et de spéculation qui s’occupe non pas de rassembler des éléments d’information par l’observation, mais de les transformer par des opérations intellectuelles en de vastes vérités scientifiques et en règle de conduite, rien ne peut avoir de plus grande valeur que de continuer ses spéculations avec l’aide ou sous la critique d’une femme véritablement supérieure. » 40 Ibid, p. 75, « Et combien de milliers d’individus y-a-t-il parmi les classes les plus basses […] s’adonnent de façon coutumière aux plus grand excès de violence physique envers leur malheureuse épouse […] La dépendance excessive dans laquelle se trouve la femme n’inspire pas à leur nature vile et sauvage une indulgence généreuse. », et p. 91, « les classes inférieures où la brutalité est naturelle… » 22 qu’elles côtoient, particulièrement dans leur propre foyer, « la véritable école des vertus de la liberté. » Il note sur ce point la contribution déterminante des mères à l’éducation de leurs fils que Mill considère comme essentielle au progrès de l’humanité. Mill reprend un discours tenu par les militantes féministes mais pas nécessairement partagé par Harriet Taylor qui ne se considérait pas que la femme se réalisait dans la maternité ou dans l’éducation de ses enfants. Par leur influence féminine auprès de leurs fils, les femmes développent en eux ce que Mill appelle « l’esprit de chevalerie » qui consisterait en une certaine éthique dans leurs actions publiques et privées. Tandis qu’en maintenant les femmes dans la soumission la plus complète dans le mariage, en l’absence d’équité dans cette union et devant la loi, les femmes se révèlent souvent manipulatrices pour obtenir de leur époux ce qu’elles souhaitent, et en conséquence sont un mauvais exemple pour leurs fils. C’est donc le contexte d’injustice devant la loi qui amène les femmes à adopter des attitudes qu’on peut leur reprocher et qui laissent penser qu’elles auraient les mêmes attitudes peu loyales et égoïstes si elles avaient accès au vote. Mill montre qu’à l’inverse, si les femmes éduquées l’obtenaient, elles l’utiliserait à bon escient afin d’améliorer les conditions sociales de la société tout entière, dans une approche bien plus altruiste que les ouvriers non éduqués par exemple. Par ailleurs, le philosophe note que l’accès au vote ne bouleverserait sans doute aucunement la vie politique actuelle, puisque, explique-t-il « la majorité des femmes d’une classe donnée n’aura probablement pas des opinions politiques différentes de celle de la majorité des hommes de la même classe, à moins que la question concerne les intérêts féminins en tant que tels. 41» John Stuart Mill réclame aussi de la justice pour les femmes, au même titre que tout groupe minoritaire ou majoritaire. L’équité de traitement devant la loi rappelle les développements du philosophe sur ce point dans son ouvrage Utilitarisme. Mill vise dans sa démonstration les positions dogmatiques selon lesquelles la femme serait par nature un être inférieur qui doit être placé sous tutelle masculine tout au long de sa vie. Mill entreprend de démontrer que cette interprétation, cette « loi primitive » n’est basée sur aucune explication rationnelle mais sur une tradition ou des malentendus. Si de fait les femmes sont considérées comme inférieures dans de nombreuses sociétés occidentales ou orientales, chaque société a développé son lot de théories plus ou moins fallacieuses sur le sujet pour les maintenir dans un état de dépendance. Les exemples que Mill choisit pour appuyer sa démonstration d’une situation idéale d’équité entre hommes et femmes, appartiennent au milieu aisé des familles des classes 41 De l’asservissement, op.cit., p. 100. 23 moyennes et supérieures. On peut y voir une limite au féminisme du philosophe qui s’intéresse à l’amélioration des conditions de vie quotidienne des femmes, celles de la classe moyenne qui sont aussi celles qui pourraient influencer à terme le progrès de la société. On peut noter que cet élitisme est propre au mouvement féministe de l’époque en GrandeBretagne comme en Amérique du Nord. Par ailleurs, l’insistance de Mill sur le couple et sur la famille montre qu’il envisage une émancipation politique de l’épouse au sein du mariage mais que les femmes en général ont un rôle essentiel à jouer dans l’unité sociale par excellence, la famille dans laquelle, Mill les voit jouer un rôle primordial. Mill ne remet pas en question la structure traditionnelle de l’unité familiale pas plus qu’il ne remet en cause la répartition « naturelle » des tâches au sein du couple. Il suppose en effet que les femmes continueront à choisir le mariage et la famille à l’avenir même si l’accès à une carrière leur devient possible (si elles sont très intelligentes) et qu’elles seront épanouies de pourvoir à l’éducation de leurs enfants et à la stabilité morale de la famille à partir du moment où leur contribution (non-rémunérée) au sein de la famille est reconnue au même titre que le travail rémunéré du père. On doit laisser les règles générales s’adapter à la convenance des individus avec la plus grande latitude. Rien ne devrait empêcher les femmes douées d’aptitudes exceptionnelles pour une occupation déterminée de suivre leur vocation en dépit du mariage, du moment qu’on remédierait par ailleurs à tout ce qui ferait inévitablement défaut dans l’accomplissement de leur fonction de maîtresse de maison42. Mill classe les femmes en deux catégories, celles qui souhaitent se marier, la majorité d’entre elles, et la minorité de « vieilles filles » éduquées qui doivent avoir accès à une carrière (« celles qui ont trop peu d’attraits pour être choisie comme compagne »). C’est donc dans les limites de cet élitisme et de ce traditionalisme que l’on doit inscrire le discours féministe de Mill en faveur du droit de vote pour les femmes éduquées et de la nécessité de leur égalité devant la loi, au sein du mariage. C’est sur ce point particulièrement que les écrits antérieurs d’Harriet Taylor dans Enfranchisement, divergent de ceux de Mill, et montrent que son absence au moment de la rédaction de L’asservissement des femmes empêche Mill de s’ouvrir à des propositions plus radicales en faveur des femmes. Harriet Taylor indiquait clairement que la femme devait être autonome financièrement car elle ne devait pas dépendre de son époux ou de son père si elle restait célibataire43. Taylor mettait clairement en évidence le fait que la maternité et le mariage n’étaient pas des finalités pour la femme surtout lorsqu’il s’agissait pour son époux que celle-ci élève « ses » enfants et s’occupe de « son » foyer. Pour Harriet Taylor, d’autres 42 43 De l’asservissement, op.cit., p.95 (je souligne) Enfranchisement, p. 21, «la femme ne peut être qu’un simple appendice à son époux. » 24 formes d’épanouissement personnel pouvaient exister dans le travail intellectuel, dans l’engagement en politique ou dans l’engagement philanthropique. Conclusion : Nous avons vu à travers cet article que John Stuart Mill a été longtemps influencé par les contributions pratiques à la cause des femmes que lui fournissaient sa femme ou sa bellefille, nourrissant ses écrits ou ses réflexions d’exemples pratiques, façonnant son féminisme jour après jour pour faire évoluer sa réflexion de la théorie sur le droit de vote à une vision plus globale sur la cause des femmes. Il n’en reste pas moins que son intervention au Parlement lors du débat sur le droit de vote en 1866 et 1867 ou la publication de The Subjection of Women en 1869, ont associé de façon durable son nom et ses écrits au militantisme féministe en Grande-Bretagne. Il est vrai que sa prise de position en faveur du droit de vote pour les femmes a suscité l’organisation de collecte de signatures, et la reprise d’une campagne en faveur de la place des femmes dans la société britannique allant de l’accès à l’éducation à l’accès au travail rémunéré. Son dernier ouvrage, comme son intervention au Parlement, permirent donc aux militantes de s’organiser en association, qu’il encouragea par sa présence et ses discours, en dépit des nombreuses critiques. Il les avait représentées là où la voix des femmes n’aurait pu se faire entendre. Helen Taylor, sa belle-fille suivra son initiative en se présentant elle-même à la députation dans les années 1880, sans être élue puisque la loi l’en empêchait. Mill lui même n’hésite pas à se déclarer philosophe sous influence lorsqu’il évoque le rôle de son épouse, et de ses idées radicales, dans le développement de ses positions politiques ou de ses opinions féministes. Il faut surtout retenir le fait que les idées de Mill sont façonnées par ses théories libérales sur l’égalité des individus devant la loi. Mais l’égalité des lois, pas plus que l’assouplissement des lois sur le mariage, n’a résolu le problème de la sujétion des femmes aux hommes. Mill n’est pas un féministe radical comme l’était Harriet, puisqu’il base son libéralisme sur le progrès de la société dans son ensemble, progrès qu’il envisage comme promu par les femmes éduquées, tout en conservant la répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes au sein de cette société. Pour John Stuart Mill, en proposant liberté et égalité des femmes devant l’éducation et devant la loi, il s’agit de prendre en compte les droits de celles qui participent à son ultime projet : l’amélioration de la société toute entière, et le serviront. En favorisant l’amélioration des conditions de la femme dans cette société alors cette dernière contribuera nécessairement à l’épanouissement de l’homme (l’être humain), en transmettant ces nouvelles valeurs et ces nouvelles idées, par le biais de l’éducation familiale, 25 à ses enfants dans l’unité formée par la famille désormais équilibrée grâce à la parité intellectuelle entre homme et femme. Le féminisme de Mill est donc progressiste pour son époque mais sa perception du rôle des femmes au sein de la société reste parfois intellectuelle, élitiste et traditionnelle44. A la décharge du philosophe, seules quelques femmes, dont son épouse, tenaient un discours féministe radical et iconoclaste à son époque tandis qu’une grande partie des militantes restaient elles aussi attachées à un discours de classe et à leur statut d’épouse et de mère de famille, en cette fin de XIXe siècle en Grande-Bretagne45. Harriet Taylor, au contraire, refusait de se contenter de cette position de « vestale de la sensibilité » (« sentimental priesthood ») comme nous l’avons lu dans Enfranchisement, elle appelait ces discours du « verbiage », alors qu’elle réclamait des faits et des actes : égalité devant la loi et égalité des sexes en accédant à tous les privilèges réservés aux hommes, y compris celui de s’accomplir personnellement46. Bibliographie John Stuart Mill, On Liberty (1859), in Collected Works, vol. 18. ------------, Utilitarianism (1861), edited by George Sher, Indianapolis, Hackett Publishing Company, 1979. ------------, “The Ladies’ petition”, pétition présentée à la Chambre des Communes par Mr John Stuart Mill, 17 juin 1866, publié dans Sexual Equality, pp. 216-233. ------------, “Speech of John Stuart Mill, M.P., on the Admission of Women to the Electoral Franchise”, Chambre des Communes, 20 mai 1867, publié dans Sexual Equality, pp. 234-246. ------------, The Subjection of Women (1869), edited by Susan Moller Okin, Indianapolis, Hackett Publishing, 1988. ------------, L’asservissement des femmes, traduit et postfacé par Marie-Françoise Cachin, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2005. ------------, Autobiography (1873), edited by John Robson, London, Penguin Classics, 1988. ------------, The Letters of John Stuart Mill, edited with an introduction by Hugh S.R. Elliot, London, Longmans, Green and Co, 1910. 44 On peut lire à ce sujet les controverses des féministes entre elles sur le positionnement du féminisme de Mill entre tradition, patriarcat et radical. Ainsi Susan Moller Okin, Women in Western Political Thought, Princeton, Princeton University Press, 1979, pp.197-231 s’oppose à Gertrude Himmelfarb, On Liberty and Liberalism, New York, 1974 sur l’engagement de Mill dans la cause féministe. 45 On pourra lire à ce sujet Susan Kingsley Kent, Sex and Suffrage in Britain 1866-1914, Princeton, Princeton University Press, 1987. 46 Enfranchisement, op.cit., p. 202, « Ce dont les femmes ont besoin ce sont les mêmes droits que les hommes, ainsi que la parité devant tous les privilèges sociaux. Elles ne veulent pas d’une position à part, celle de prêtresse de la sensibilité. » 26 -------------, Sexual Equality, Writings by John Stuart Mill, Harriet Taylor and Helen Taylor, edited by Ann P. Rosbon and John M. Robson, Toronto, University of Toronto Press, 1994. Barbara Caine, Victorian Feminists, Oxford, Oxford University Press, 1992 Susan Kingsley Kent, Sex and Suffrage in Britain 1866-1914, Princeton, Princeton University Press, 1987. Susan Moller Okin, Women in Western Political Thought, Princeton, Princeton University Press, 1979. Henry O. Pappe, John Stuart Mill and the Harriet Taylor Myth, Melbourne, University of Melbourne Press, 1960. Ann P. Robson, “The Founding of the National Society for Women’s Suffrage, 1866-67”, Canadian Journal of History, n° 8, 1973, pp. 1-22. John M. Rosbon, The Improvement of Mankind, The Social and Political Thought of John Stuart Mill, Toronto, University of Toronto Press, 1968. William Thomas, Mill, Past Masters Series, Oxford, Oxford University Press, 1985. 27