prisme - Etudes économiques du Crédit Agricole
Transcription
prisme - Etudes économiques du Crédit Agricole
La note de conjoncture Agriculture et Agroalimentaire prisme Agriculture et Agroalimentaire, une affaire d’experts Décryptage P. 2 04 Juin 2014 SUCRE : Cargill et Copersucar s’allient pour former un géant du sucre Lait : FrieslandCampina est en discussions avec China Huishan Dairy NÉGOCE : avec Cofco, la Chine fait son marché Echanges internationaux : agréments chinois de produits animaux français nutrition : M&A, le sans gluten aiguise les appétits MEUNERIE : l’antitrust autorise la JV Ardent Mills, 1er meunier américain CLIMAT P. 4 TOMATE P. 7 El Niño, la Niña et les autres Tomates : l’impact de la Russie et de la Chine ❙❙ La perspective de bonnes récoltes mondiales pourrait dans les mois qui viennent être menacée par un retour du phénomène El Niño, connu pour les perturbations qu’il apporte. Qui sont au juste El Niño et sa petite sœur la Niña ? Sait-on comment El Niño peut affecter les récoltes ? Et au-delà, à quoi peut-on s’attendre quant aux impacts du climat dans le domaine agricole ? ❙❙ Si la campagne 2014 en tomate fraîche a connu une précocité favorable en début de campagne, des facteurs géopolitiques la menacent. Le débouché russe, indispensable à l’équilibre du marché européen, reste sensible aux tensions autour de l’Ukraine. ❙❙ Concernant la tomate d’industrie, les regards se tournent vers la Chine. Mais sa croissance à l’export semble limitée par des besoins domestiques en hausse et des arbitrages de récoltes. PORC . P. 11 Précautions sanitaires et embargo politique, quelles conséquences sur le commerce international de la viande porcine ? ❙❙ Il a suffi de la seule découverte de deux sangliers porteurs du virus de la peste porcine africaine en Lituanie pour que les autorités russes trouvent prétexte à refuser depuis plus de quatre mois toute entrée de viande porcine européenne sur leur territoire. S’il est connu que cette maladie hémorragique - non transmissible à l’homme, est en revanche très contagieuse, et à l’issue mortelle fréquente chez le porc domestique -, il est tout aussi avéré que les foyers persistants en Europe se situent désormais à l’Est, plus précisément en Biélorussie, dans les pays Baltes et sans guère de doute dans leur voisinage, c’est-à-dire… en Russie ! PRISME - 04 Note de conjoncture - Juin 2014 DÉCRYPTA GE Sucre PRIS ME - 04 Cargill et Copersucar s’allient pour former un géant du sucre : Avec Cofco, la Chine fait son marché : Négoce Cargill, multinationale basée aux Etats Unis, et Copersucar, premier exportateur de sucre brésilien, annoncent leur intention de créer une co-entreprise les associant à 50 %. Celle-ci sera chargée de la commercialisation et du négoce de sucre, et devrait prendre la première place mondiale dans ce domaine. Cette union ne concerne pas l’éthanol ni les infrastructures des deux sociétés. Cofco, entreprise publique chinoise, cherche actuellement à acquérir Unialco, producteur de sucre et d’éthanol au Brésil, après l’échec récent d’une autre acquisition, Usina Santa Adelia. Ces nouveaux projets interviennent après que Cofco a conclu des accords pour prendre le contrôle du négociant en grains néerlandais Nidera et de l’activité de négoce agricole de Noble. Commentaire Commentaire Copersucar SA est la société créée par 47 producteurs de sucre, regroupés en coopérative depuis 1959. Avec 50 autres usines dont elle achète le sucre, elle constitue la plus grande entité de commercialisation de sucre du Brésil (appuyée sur près de 20 % de la capacité de broyage du pays), et partant, mondiale. Cargill était le premier négociant de sucre mondial, mais a connu des difficultés en 2011. L’alliance commerciale évite à Cargill de s’impliquer industriellement dans le sucre brésilien, et offre à Copersucar des moyens de commercialisation très larges. La nouvelle entité se placerait devant les grands négociants sucriers (Sucden, Louis Dreyfus et ED&F Man). Ce projet d’accord (qui sera soumis aux autorités de la concurrence) intervient dans un contexte difficile pour le secteur au Brésil, avec des marges affaiblies par plusieurs années de prix bas. De plus, Copersucar a subi en octobre un incendie dévastateur dans ses installations portuaires de Santos qui sont restées hors service pendant des mois. La prochaine récolte de canne à sucre devrait être en baisse de 5 % environ au Brésil, du fait de la forte sécheresse qui a affecté le sud du pays en janvier et février. La situation du secteur se ressent de plusieurs années de conditions défavorables (récoltes faibles, puis prix bas). Elle est contrastée, avec certaines sociétés en difficulté et d’autres toujours prospères. A titre d’exemple, Biosev (filiale spécialisée du groupe Louis Dreyfus, second producteur de sucre et d’éthanol au Brésil) arrête une unité et va revoir à la baisse ses investissements pour faire face à ce que le groupe considère comme un cycle prolongé de prix déprimés. Au Brésil, l’industrie du sucre et de l’éthanol voit dans son ensemble monter ses dettes à des niveaux élevés, avec des revenus insuffisants pour y faire face. 12 % de la capacité de broyage ne serait plus dans une situation viable, selon la banque ITAU. Nutrition Cofco, ayant plusieurs filiales cotées et qui est le n°1 du commerce agricole en Chine (CA de 32 Mds USD), s’est lancée depuis quelques mois dans une politique d’acquisitions qui constitue une inflexion dans la stratégie d’approvisionnement de la Chine. Ces opérations permettront à Cofco d’accéder directement à une ressource diversifiée, notamment en provenance d’Amérique du Sud et d’Europe centrale, tout en permettant à ses partenaires (car les acquisitions des négociants visent un contrôle à 51 %) un débouché privilégié sur le marché chinois. Cofco avait prévu, dans son plan à 5 ans, des acquisitions internationales pour un montant de 10 Mds USD jusqu’en 2015. Il a dépensé pour l’instant quelques milliards de dollars dans ces prises de contrôle. La Chine est de loin le premier importateur mondial de soja. La concentration croissante du négoce international la conduit à chercher à renforcer ses moyens propres en la matière. Elle était restée à l’écart de la vague d’acquisitions intervenue ces derniers temps dans le secteur mondial du négoce agricole. Le marché du soja en Chine est cependant en situation délicate : par suite d’une surcapacité, les triturateurs sont en pertes et il en est résulté des refus de paiement sur des cargaisons de soja importé. L’activité agriculture de Noble en Chine est du reste un foyer de pertes sur la période récente, pour cette raison. Avec ses nouvelles tentatives au Brésil, Cofco, qui détient lui-même plusieurs sucreries et distilleries en Chine, peut viser l’importation de sucre et d’éthanol. Unialco est une entreprise de taille secondaire au sein du secteur, avec 3,5 Mt de canne broyée. Elle fait partie des entreprises brésiliennes qui se retrouvent très endettées après plusieurs années difficiles. M&A, le sans gluten aiguise les appétits : Successivement, deux entreprises, détenues par des fonds d’investissement, positionnées sur le segment dynamique des produits « sans gluten » à marque viennent d’être cédées à des industriels. Hillshire Brands (CA proche de 4 Mds USD en 2013), spécialisé dans les produits carnés a repris Van’s Natural Foods, société réalisant 60 M-USD de ventes en 2013 dans les produits surgelés pour petit déjeuner. Hain Celestial spécialiste des produits biologiques et naturels, réalisant 1,9 Mds de chiffre d’affaires en 2013 s’est porté acquéreur de Rudi’s Organic Bakery, spécialiste des pains préemballés réalisant près 60 M USD de facturations, confortant ainsi son offre de produits sans gluten. Commentaire Aux USA, selon les résultats d’une étude réalisée en 2013 par NPD Group Survey, près de 30 % de la population a réduit ou supprimé tout gluten de sa consommation alimentaire. Le segment du sans gluten bénéficie d’une croissance robuste à deux chiffres. Avec les produits biologiques, ils constituent les locomotives des produits de grande consommation (PGC). Selon Mintel, les lancements de produits relevant de cette allégation ont triplé depuis 2011, avec 1 700 lancements de nouveaux produits en 2013. Si ce marché est aujourd’hui évalué à près de 3,2 Mds USD, dont près de 50 % pour les USA, il devrait atteindre 6,2 Mds USD à horizon 2018, selon les projections de MarketsandMarkets. En Europe, l’Allemagne et l’Italie et dans une moindre mesure le Royaume-Uni bénéficient également de cet engouement. En France, si le sans gluten ne représente qu’une niche de marché, évaluée à 50 M€ l’intérêt des marques distributeurs pour le segment pourrait rapidement dynamiser les ventes, l’accroissement des volumes entretenant l’abaissement des coûts de production. 2 DÉCRYPTA GE Lait PRIS ME - 04 FrieslandCampina est en discussions avec China Huishan Dairy pour produire et commercialiser du lait infantile en Chine à travers une joint-venture : Le groupe laitier néerlandais Friesland Campina est déjà présent en Chine commercialement avec sa marque Friso de lait infantile et ses ingrédients laitiers. Huishan Dairy possède 50 fermes laitières sur 30 000 ha et est également présente dans le domaine de la transformation. Elle fabrique notamment du lait liquide et du lait infantile sous la marque Huishan. Commentaire L’ensemble du monde laitier a les yeux tournés vers la Chine, dont les besoins en produits laitiers explosent avec l’émergence de la classe moyenne et l’évolution des comportements alimentaires (+50 % d’importations de produits laitiers secs en 2013 vs 2012). Concernant spécifiquement le segment des laits infantiles, les chinois, durablement traumatisés par le scandale du lait frelaté de 2008, ont de surcroît des exigences extrêmes en matière de traçabilité et de qualité des produits. Pour y satisfaire, les industriels chinois sont de plus en plus nombreux à investir massivement dans des outils de production de lait infantile à l’étranger, afin de servir leur marché domestique, comme Synutra et Biostime en France, Yili et Yashili en Nouvelle Zélande... De leur côté, les industriels étrangers souhaitant exporter du lait infantile en Chine doivent obtenir la certification et l’accréditation de l’administration chinoise, peu conciliante, comme vient tout juste de l’obtenir le groupe Lactalis. Le projet de Friesland Campina - première coopérative laitière européenne, jouissant d’une excellente renommée internationale - et de China Huishan Dairy - l’un des intervenants laitiers chinois les plus intégrés et donc l’un des plus sûrs en matière de traçabilité amont - répond de fait également aux exigences de traçabilité et de qualité du marché chinois de la nutrition infantile. L’utilisation au sein de la nouvelle JV du lait directement produit dans les fermes de Huishan ajoute assurément une dimension politique forte au projet. ux Echanges internationa Agréments chinois de produits animaux français : quelles opportunités à venir ? Si le goût des chinois pour les produits laitiers français est connu, la « première » que constitue l’agrément de trois entreprises françaises de charcuterie en mars 2014, à l’occasion de la venue en France du président Xi Jinping laisse espérer une meilleure ouverture aux viandes françaises du plus grand espace de consommation du monde. Commentaire Les produits carnés français les plus « visibles », en Chine, sont sans conteste des pièces de porc congelé, et en particulier des épaules et des abats. Avec plus de 30 000 tonnes en 2013, le volume s’est accru de 19 %. Cependant, on observe une légère régression des volumes début 2014. Ce segment a constitué plus des neuf dixièmes des 122 M€ du chiffre d’affaires français réalisé en 2013. On peut y ajouter l’exportation de reproducteurs et de semences destinés à l’amélioration génétique, notamment en race porcine. Les Chinois ont une appétence particulière et achètent certains produits que le marché domestique dédaigne, comme les oreilles et les pieds de porc, et plus récemment les pattes de volailles. En revanche, si la consommation de viande bovine se développe très fortement en Chine, le marché reste fermé à l’Europe pour cause d’ESB et se fait donc au profit exclusif des viandes australiennes, néo-zélandaises et sud-américaines, au demeurant plus compétitives. L’antitrust autorise la JV Ardent Mills, 1er meunier américain : Meunerie Née du rapprochement des meuneries de Conagra Foods et Horizon Mills, co-entreprise de Cargill et de CHS, la JV Ardent Mills dotée de 44 moulins et trois usines de mélanges, contrôlera un tiers des capacités de production du marché américain et réalisera un chiffre d’affaires annuel d’environ 4 Mds USD. L’antitrust américain a avalisé l’opération sous condition de cession de quatre moulins industriels situés dans les régions de los Angeles, Dallas, Minnéapolis et Bay Aerea. Commentaire Le nouvel acteur détiendra après cession de 4 moulins entre 32 et 34 % de part de marché, soit près du double de son poursuivant ADM Milling qui revendique 17 % de part de marché. Si la situation d’oligopsone ne change pas fondamentalement en termes de concentration de part de marché, la suppression de la concurrence entre les composantes de la co-entreprise inquiète les 160 000 producteurs céréaliers nord-américains. Ils craignent une pression à la baisse sur les cours de blé, qui pourrait se manifester plus ou moins intensément selon les régions, du fait d’un nombre restreint de demandeurs. De plus, l’opération tend à renforcer le schéma d’intégration verticale, combinant le sourcing des grains de Cargill en amont avec les activités de panification et de transformations alimentaires de Conagra en aval. En matière de produit élaborés, l’ouverture est réelle mais l’essentiel du chemin reste à parcourir. A l’image des produits espagnols et italiens qui l’ont précédée, la charcuterie française doit miser résolument sur le haut de gamme, associé à une identification forte au terroir. Désormais, pour le jambon cuit, le jambon de Bayonne et le saucisson sec rouergat qui ont obtenu le droit de se vendre, il ne reste plus qu’à convaincre des acheteurs… 3 C L IM AT PRIS ME - 04 El Niño, la Niña et les autres La perspective de bonnes récoltes mondiales pourrait dans les mois qui viennent être menacée par un retour du phénomène El Niño, connu pour les perturbations qu’il apporte. Qui sont au juste El Niño et sa petite sœur la Niña ? Sait-on comment El Niño peut affecter les récoltes ? Et au-delà, à quoi peut-on s’attendre quant aux impacts du climat dans le domaine agricole ? ❙ El Niño revient ! Qu’est-ce au juste qu’El Niño, et son antithèse, la Niña ? Il s’agit d’un phénomène météorologique récurrent et planétaire, lié à des changements massifs du régime des vents et de la température au sein du Pacifique. Les alizés, qui normalement poussent les masses d’eau chaude superficielles d’est en ouest, faiblissent, laissant la température de l’océan s’élever du côté des côtes sud-américaines. En conséquence, les pluies ordinairement abondantes du côté de l’Asie du sud-est se déplacent elles-mêmes vers l’est et se retrouvent au dessus de l’océan. Quand le phénomène s’inverse (refroidissement des côtes ouest de l’Amérique du sud), on parle de la Niña. Les deux phases alternent dans une oscillation nommée globalement ENSO (El Niño-Southern Oscillation)1 avec un pic qui revient à peu près tous les 2 à 5 ans. La situation est reflétée par un indice représentant l’anomalie de température des eaux du Pacifique (El Niño et la Niña correspondent à une anomalie au-delà de +0,5 ou en dessous de -0,5 °C). L’épisode de 97-98 a été le plus fort El Niño connu, et cela correspond en général à un réchauffement temporaire de l’atmosphère terrestre. ❙❙ Indice océanique El Niño 3-Month Nino Region 3.4 Average El Niño, et son cortège de catastrophes, a une probabilité estimée (début mai) à 80 % d’être installé à la fin de l’année On en parle de plus en plus fort : El Niño, et son cortège de catastrophes, a une probabilité estimée (début mai) à 80 % d’être installé à la fin de l’année. On ne l’avait pas revu depuis 2009/10 : comme les modèles sont pris au sérieux dans ce domaine, l’inquiétude renaît. Source NOAA ❙ Pourquoi El Niño fait peur El Niño est à l’origine de catastrophes un peu partout dans le monde : sécheresses, inondations, cyclones… avec bien sûr un retentissement sur le plan agricole. La Niña, elle, n’a pas la même capacité perturbatrice, même si son effet n’est pas neutre. Certains effets d’El Niño sont clairs. En particulier sur les pêcheries des côtes péruviennes et alentours : en freinant les remontées d’eaux froides qui font la richesse halieutique de la région, le phénomène a un impact sévère sur cette industrie - et potentiellement sur le marché des protéines à usage industriel. Comme la sécheresse en Asie du sud-est et en Australie est un des points saillants d’un épisode El Niño, l’impact est négatif sur la production d’huile de palme. Ceci étant, parmi les récents épisodes, seul 97/98 a connu une véritable baisse globale de la production. Un effet induit peut alors affecter le prix des huiles végétales dans leur ensemble. 1- El Niño, oscillation australe 4 C L IM AT PRIS ME - 04 ❙❙ Effets climatiques d’El Niño : décembre-février et juin-août 70°N 70°N Warm Warm Warm Dry Wet Wet Dry Warm Dry Wet Warm 60°E Wet & Cool Wet & Warm Dry & Warm 0° Warm 120°E 50°N 50°N Wet Dry 30°N 10°N Dry & Warm Wet Dry 10°N 10°S Warm Warm Dry 30°S Dry & Cool Wet Wet 120°W 10°S 30°S 50°S 50°S 180° 30°N 60°W 0° 120°E 60°E 180° 120°W 60°W Source : PMEL NOAA, TAO program 2 ❙ Au-delà, les effets sont diffus et restent difficiles à prévoir En effet, l’impact d’El Niño dépend de la force de l’épisode, mais aussi de la saison à laquelle il se manifeste. Le maximum intervient toujours en fin d’année - d’où son nom, celui de l’enfant Jésus, donné par les populations côtières du Pérou et de l’Equateur - mais la date du démarrage varie : souvent en mai, il peut cependant tarder jusqu’en septembre. Selon la phase où elles se trouvent, les cultures sont affectées de façon plus ou moins critique. Différents travaux ont été menés sur l’impact d’El Niño sur les rendements agricoles. Le dernier en date 3 porte sur l’effet de l’ENSO quand il affecte les 3 derniers mois avant la récolte, pour le blé, le maïs, le riz et le soja. Il aboutit à des impacts significativement négatifs sur le rendement pour le blé (Australie, nord de la Chine - alors que la Mer Noire est plutôt favorisée) avec -1,4 % en moyenne générale, et le maïs (Etats Unis, Chine… alors que le Brésil est avantagé) avec une moyenne de -2,3 %. Le soja au contraire est favorisé (+3,5 % : Etats Unis, Brésil surtout). L’huile de soja verrait alors son rôle renforcé puisque la production d’huile de palme pourrait fléchir. Cette étude affiche un taux de fiabilité élevé pour le sens de l’impact trouvé, ainsi qu’une concordance avec la plupart des études régionales antérieures. Pourtant, les financiers qui cherchent à “capter” le phénomène à travers des achats d’actifs liés aux matières premières fournissent des analyses qui ne convergent pas forcément avec ces conclusions. Ne spéculons pas sur El Niño ! L’effet sur d’autres produits peut être important, mais reste encore plus aléatoire. Pour le sucre par exemple, la récolte peut baisser en Asie : en Inde, avec une mousson réduite, en Australie, en Thaïlande, avec les conditions plus sèches de l’Asie du sud-est. Mais au sud du Brésil ce sont des pluies plus abondantes qui surviennent le plus souvent : ceci favorise la production - mais peut aussi perturber fortement la récolte et faire baisser le taux de sucre dans la canne ! Au total, les impacts de l’ENSO sur la production agricole, et sur les prix, restent toujours une question de probabilité… Au-delà des matières agricoles, le phénomène impacte d’autres produits d’une manière qui pourrait paraître improbable - par exemple le nickel, si les mines et la logistique sont affectées par des inondations. Il affecte plus largement l’économie dans son ensemble : une étude de 1998 toujours citée arrive à la conclusion qu’El Niño expliquerait plus de 20 % des variations de prix des matières premières (tous produits confondus) et 10 à 15 % des variations de l’inflation et du PIB mondiaux.4 ❙ Mais il n’y a pas qu’El Niño Comment vont à l’avenir évoluer tous ces oscillateurs ? Le changement climatique, en chauffant davantage le système, devrait jouer un rôle. Mais compte tenu de la grande variabilité du phénomène, le GIEC ne se prononce pas pour l’instant sur la manière dont l’ENSO va évoluer, à part l’annonce d’une variabilité accrue des précipitations qui lui sont liées. En revanche l’impact du changement climatique sur les rendements agricoles est déjà une réalité : c’est ce qu’annonce pour la première fois le dernier rapport du GIEC 5. L’impact ainsi mis en évidence est perceptible sur le blé (2 % de rendement perdu sur 10 ans) et aussi sur le maïs (1 % environ). Seules les régions situées à une latitude élevée échappent à cette conclusion. (% de variation sur 10 ans) 2 0 –2 −4 (% d’évolution par décennie) L’Europe est plus directement affectée par l’Oscillation Nord-Atlantique (NAO), connue depuis plus longtemps (1920). Elle joue sur la différence de pression atmosphérique entre les Açores et l’Islande et modifie plutôt les conditions hivernales : son impact agricole est donc atténué. ❙❙ Impact du changement climatique sur les rendements impact sur les rendements u En 1999 a été mis en évidence le Dipôle de l’océan Indien, qui affecte les eaux d’une manière analogue à l’ENSO dans le Pacifique. Il lui est du reste corrélé, ce qui pourrait permettre d’anticiper davantage dans la prévision des épisodes ENSO. Le Dipôle, comme El Niño, peut affecter la mousson en Inde et aussi causer des sécheresses en Indonésie et en Australie. 90th percentile 75th percentile Median 25th percentile 10th percentile −6 Tropical Tempéré Région Blé Soja Riz Maïs Cultures Source GIEC 5 Lecture du graphique : par ex. pour le blé (wheat) l’impact moyen sur le rendement sur 10 ans est de -2 %. 50 % des impacts constatés sont dans la bande orangée (entre -1 % et -3,5 %) et 90 % des impacts constatés sont compris dans le rectangle blanc et orange (de 0% à -5 %). 2- PMEL : Pacific Marine Environmental Laboratory, NOAA : National Oceanic and Atmospheric Administration, US dept of commerce ; Tao : Tropical Atmosphere Ocean Project. 3- Iizumi et al., Impacts of El Niño-Southern Oscillation on the global yields of major crops (impacts d’ENSO sur les rendements mondiaux des principales cultures), Nature Communications 5.3712 doi: 10.1038/ncomms4712 (publié le 15 mai 2014). 4- AD. Brunner, El Niño and world primary commodity prices: warm water of hot air ? (El Niño et le prix des matières premières : de l’eau chaude ou du vent ?) Board of the FED, April 1998. 5- Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ; 5e rapport, 2013-2014. 5 C L IM AT PRIS ME - 04 Cela rejoint les travaux conduits en France qui concluent que la stagnation des rendements en blé sur les dernières années est en premier lieu à attribuer à la température (au nord) ou à la sécheresse (au sud). Une étude publiée dans Science en mai dernier 6 indique de son côté que les variétés de maïs cultivées aux Etats Unis présentent une sensibilité croissante aux conditions sèches, leur potentiel ne s’exprimant que dans des conditions suffisamment arrosées. L’article annonce ainsi des baisses potentielles de rendement par la suite, surtout pour le maïs. La sélection variétale devra rechercher un ensemble de performances plus large, incluant la résistance à diverses conditions climatiques défavorables, ce qui est moins facile que d’accroître le rendement en bonnes conditions. ❙❙ Prix soja, blé, maïs, pétrole et épisodes El Niño 1200 1000 800 600 400 Pétrole USD/t 0 Soybeans (US cif Rotterdam) b/ $/mt 1/14 5/13 9/12 1/12 5/11 9/10 1/10 5/09 9/08 1/08 5/07 9/06 1/06 5/05 9/04 1/04 5/03 9/02 1/02 5/01 9/00 1/00 5/99 9/98 1/98 5/97 9/96 1/96 5/95 9/94 1/94 5/93 9/92 0 1/92 200 Wheat, US, HRW (US Gulf port) b/ $/mt Blé USA HRW Maize (n°2 yellow fob US Gulf ports) b/ $/mt Maïs USA Source : Banque mondiale, Agreste 6- David B. Lobell et al., Greater Sensitivity to Drought Accompanies Maize Yield Increase in the U.S. Midwest (Une plus grande sensibilité à la sécheresse accompagne l’augmentation des rendements du maïs dans le Midwest), Science 2 May 2014. 6 TOM ATE PRIS ME - 04 Tomates : l’impact de la Russie et de la Chine Si la campagne 2014 en tomate fraîche a connu une précocité favorable en début de campagne, des facteurs géopolitiques la menacent. Le débouché russe, indispensable à l’équilibre du marché européen, reste sensible aux tensions autour de l’Ukraine. Concernant la tomate d’industrie, les regards se tournent vers la Chine. Mais sa croissance à l’export semble limitée par des besoins domestiques en hausse et des arbitrages de récoltes. Deux filières pour un produit Légume le plus consommé dans le monde, la tomate couvre la plupart des zones géographiques. Mais ses caractéristiques en termes de débouchés, de commerce international apparaissent bien distinctes entre le frais et le transformé. Deux filières également bien à part sur le plan des variétés et des systèmes de production. Les marchés de la tomate destinée au frais sont principalement régionaux. Car le produit reste fragile, à faible durée de conservation. Il se cultive essentiellement sous serre. En Europe, dont les principaux bassins de production se situent en Espagne, Italie, Pays-Bas, France, Belgique, une spécialité hollandaise s’est imposée dans les pays producteurs. C’est la serre verre, qui protège des maladies et ravageurs et permet de limiter les traitements. Un autre avantage est de permettre la culture quasiment toute l’année. Mais le coût est élevé. Une installation classique représente en moyenne un investissement d’un million d’euros par hectare et 5 ETP/ha pendant l’essentiel de l’année. Sans oublier la facture de chauffage. Le gaz naturel, utilisé dans la plupart des cas, est souvent accompagné de cogénération pour réduire les frais, voire remplacé par des sources d’énergie moins chères, comme la chaleur d’un incinérateur par exemple. La tomate fraîche du Maroc présente un autre visage. Cultivée sous serre plastique, elle est destinée à l’export. Une majorité prend la direction de la France, surtout en contre-saison, d’où une part est réexpédiée vers le Nord de l’Europe. Une ligne maritime avec Saint-Pétersbourg permet aussi au Maroc d’exporter directement vers la Russie. Sur la tomate transformée, un marché mondial s’est créé, particulièrement autour du concentré, avec comme poids lourds les États-Unis, l’Italie et la Chine. Rien à voir avec le frais, qui repose sur de nombreuses variétés permettant, dans certains pays, de segmenter l’offre aux consommateurs. Il s’agit cette fois de fournir un produit répondant aux attentes des industriels. Les deux filières se distinguent aussi sur le plan de la main d’œuvre. Pour le frais, la récolte s’effectue à la main. Côté industrie, cela passe beaucoup par la mécanisation, en particulier dans les pays développés. Le marché du frais sous influence géopolitique Asie Amérique Centrale Tomate Source : FAOSTAT 2014 Europe Amérique Amérique du Nord du Sud Autres légumes Océanie Total Monde Export Fraiches Import Fraiches Export Transformées Export Sauces France Canada Italie USA Japon Import Transformées Royaume-Uni Afrique Pays-Bas 0 Royaume-Uni 20 USA 40 Allemagne 60 Italie 80 Chine 100 Allemagne 120 USA 140 Russie 2000 1800 1600 1400 1200 1000 800 600 400 200 0 160 Espagne 180 Mexique (en 2012) Pays-Bas ❙❙ Échanges internationaux de tomates fraiches, transformées et sauces (en 2009) kg/hbt/an u ❙❙ Consommation de tomates et autres légumes par habitant Import Sauces Source : UN Comtrade 2014 7 TOM ATE PRIS ME - 04 ❙ L’Europe dépend partiellement du marché russe Bataillé et soumis à des aléas géopolitiques croissants, le marché du frais impose aux opérateurs de viser l’excellence et l’innovation, et de diversifier toujours davantage leurs débouchés. La crise en Ukraine vient le rappeler. Elle fait craindre aux exportateurs européens des mesures de rétorsion venant de Moscou. La Russie, premier importateur mondial de fruits et légumes frais (8 M de tonnes et 8 Mds de dollars en 2012), est susceptible de fermer ses frontières de manière brutale, le plus souvent pour des motifs d’ordre phytosanitaire, officiellement. Or, les volumes qui lui sont expédiés, le plus souvent par ou via les Pays-Bas, contribuent au fragile équilibre du marché européen : quelques pour cent en plus ou en moins suffisent à le déstabiliser. La tomate ne fait pas exception. Avec 800 000 t en frais, la Russie apparaît comme le second importateur mondial derrière les États-Unis. Ses principaux fournisseurs sont la Turquie, l’Union européenne (Pays-Bas, Belgique, Espagne, Pologne), le Maroc. ❙❙ Destination de la production - frais / transformé 50 000 45 000 40 000 35 000 30 000 25 000 20 000 15 000 10 000 5 000 0 Chine Destination transformation Frais Inde États-Unis Turquie Italie 3230 130 46895 17370 Espagne Portugal 11948 1750 1259 9600 Maroc Grèce 4500 1935 632 2072 Pays-Bas France Belgique 1190 130 390 0 192 0 203 1089 590 805 397 232 Source : FAOSTAT et WPTC 2013 ❙ La consommation inquiète La campagne 2014, contrairement à la précédente, bénéficie d’une précocité favorable à la consommation, avec de plus une stabilité des surfaces en Europe. Des inquiétudes demeurent, comme sur la production ibérique, menacée par l’extension du virus New Delhi, présent à Almeria. Autrement plus grande est celle à propos de la consommation, surtout en Espagne, où les ménages semblent limiter leurs dépenses en produits frais. Dans ce genre de situation, les opérateurs espagnols se tournent massivement vers l’export, avec des prix cassés. Exemple avec les fruits d’été en 2013, les fraises en 2014. La météo, qui influence largement la consommation en Europe de l’Ouest, semble donc, plus que jamais, primordiale cette année. ❙ La tomate française en haut du panier La production française apparaît très segmentée, marketée et se vend d’abord en grandes surfaces ❙❙ Répartition des importations françaises de tomates fraiches 7% 2%1% 2% Autres 7% 53% 28% Maroc Espagne Belgique Pays-Bas Tunisie Italie Source : Douanes françaises janvier à octobre 2013 La production française apparaît très segmentée, marketée et se vend d’abord en grandes surfaces, contrairement au cas de l’Espagne ou de l’Italie. Elle n’assure pas l’autosuffisance, avec environ 570 000 t pour une consommation avoisinant 800 000 t. Le marché national est largement ouvert aux importations (400 000 t) en provenance du Maroc, d’Espagne, de Belgique et des Pays-Bas, tandis que les exportations sont dirigées vers l’Allemagne (35 %), la Belgique, les Pays-Bas, la Pologne. S’il rémunère mieux l’origine France, c’est en lien avec les efforts qualitatifs des opérateurs. De nombreuses marques sont proposées : Savéol, Les Paysans de Rougeline, Océane, Solarenn, Jardin de Rabelais, pour ne citer que les plus connues, pour les spécialistes de la tomate, et Prince de Bretagne pour l’ensemble des légumes bretons. La diversité de produits est importante, avec de petits calibres (tomates cerises, cocktail), des variétés anciennes comme la cœur-de-boeuf, la noire de Crimée ou l’Ananas. Des emballages, souvent innovants, apportent une bonne présentation, des conseils d’utilisation, un usage nomade et la mise en valeur de la marque, si rare au rayon fruits et légumes. 8 TOM ATE PRIS ME - 04 L’avance acquise ne dure toutefois jamais longtemps. Même vis-à-vis des origines lointaines. Si les Marocains n’ont jamais pu concurrencer les Européens en tomates grappes rondes, ils sont bien placés en prix sur la tomate cerise. Au printemps, le marché européen a d’ailleurs pâti d’une offre surabondante en petits fruits, vecteur de baisse des prix malgré une conjoncture favorable. De même, la cœur-de-boeuf semble atteindre ses limites en tonnages, les autres variétés anciennes attirant certains de ses acheteurs. Alors, jusqu’où aller dans la différenciation de l’offre ? Les principaux opérateurs formulent cette réponse : aussi loin que la génétique et le porte-monnaie du consommateur le permettent. Pour eux, le marché français, avec 17 % de petits fruits et variétés anciennes, est encore en retard sur le britannique (30 %), un précurseur. Mais les opérateurs doivent éviter la multiplication des références, les rayons n’étant pas extensibles à l’infini et les consommateurs risquant d’y perdre leur latin. La dernière enquête du RNM (Réseau des nouvelles de marchés) ne dénombrait-elle pas 250 références en France pour 73 types de tomates ? ❙❙ Production de tomate à destination du frais (en 2012) Bretagne 33 % (-8 %) En tonnes de 700 à 25 000 de 25 000 à 50 000 de 50 000 à 100 000 Pays de Loire 15 % (+15 %) Source : Agreste de 100 000 à 150 000 de 150 000 à 195 000 Provence-AlpesCôte d’Azur 21 % (-30 %) Sur le marché industriel, une hiérarchie contestée ❙ Trois leaders de la tomate transformée ❙❙ Consommation moyenne par habitant (en 2011) 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 essentiellement dans le Xinjiang (Nord-Est), aux vastes terres disponibles, et vise le concentré de tomate, plus facile à exporter. Deux groupes locaux dominent le marché et réalisent plus de la moitié des exportations : Cofco et Chalkis. Après avoir ciblé les pays voisins, le pays étend ses exportations vers l’Europe, la Russie et l’Afrique. Sa production connaît de fortes amplitudes. De 6,5 Mt en moyenne ces cinq dernières années, elle oscille de 3,2 à 8,5, les prévisions 2014 s’établissant à 5,7 Mt. En cause, la météo et l’arbitrage avec les cultures de maïs et coton. Les États-Unis, avec 11 Mt réalisées à 95 % en Californie, sont presque entièrement tournés sur le marché intérieur. Leurs exportations représentent moins de 6 % de leur production, mais progressent ces dernières années et surtout pèsent sur le marché mondial. Kg/personne/an u Trois pays représentent en 2013 près de 60 % de la production La filière industrielle pèse un quart de la production mondiale de tomate, avec d’importantes disparités : les pays occidentaux en sont bien plus friands que les émergents, dont l’Inde et la Chine, qui ne l’ont pas encore intégrée dans leurs habitudes alimentaires. Son potentiel semble réel, malgré le coup de frein dû à la crise. La tomate bénéficie d’une bonne image, ayant des propriétés antioxydantes. Il s’agit surtout d’un produit facile à transformer puis à transporter. Chine Europe Transformé États-Unis Frais Source : WPTC Trois pays représentent en 2013 près de 60 % de la production. Derrière les États-Unis, intouchables, l’empire du Milieu s’est invité sur le podium, disputant à l’Italie sa seconde place. La Chine a lancé son industrie de transformation de tomates dans les années 80. D’abord balbutiante, elle a connu un essor à partir du milieu des années 90, allant jusqu’à 25 % de croissance annuelle. Cette production est localisée L’Italie, pays à l’origine de la transformation de la tomate au 16e siècle, est quant à elle orientée vers l’export. De ses 4 à 4,5 Mt produites, environ 40 % partent à l’étranger, d’abord l’Europe de l’Ouest, mais aussi les États-Unis et l’Afrique. Le pays fait jouer comme atouts, une tradition, une image de qualité. Son positionnement haut de gamme est nécessaire, compte tenu des coûts de production qui figurent parmi les plus élevés. Des interrogations surviennent néanmoins par rapport à la concurrence chinoise et la défense de l’image du « made in Italy ». En témoignent les récents débats sur la réforme de la Pac, n’intégrant pas en première intention la filière tomate, ou le souhait du gouvernement d’imposer la mention d’origine des ingrédients, pour lutter contre les importations de concentré chinois, parfois utilisés pour une seconde transformation. Néanmoins, il faut relativiser : à leur plus haut en 2011, les importations en provenance de Chine ont atteint 132 000 t, soit 2,7 % de la production italienne. 9 TOM ATE PRIS ME - 04 ❙❙ Top ten des producteurs de tomates transformées (en 2013) Pays Tonnage (000) % production mondiale 1 Etats-Unis 11 502 35 % 2 Italie 4 080 12 % 3 Chine 3 850 12 % 4 Turquie 2 150 7% 5 Iran 1 900 6% 6 Espagne 1 650 5% 7 Brésil 1 500 5% 8 Portugal 997 3% 9 Chili 682 2% 10 Tunisie 618 2% Monde 33 022 100 % Source : FAM ❙ Aucun raz-de-marée chinois en vue Le potentiel énorme de la tomate chinoise interpelle. Après une très forte croissance sur les deux dernières décennies, peut-elle devenir numéro un mondial ? A l’opposé de cette progression, quelques pays, comme la France, ont disparu ou presque du marché. Cette dernière ne dispose plus que de quelques acteurs non significatifs sur le plan mondial (<0,6 % du marché). Mais la Chine est encore loin du compte avec 10 à 15 % de la production mondiale, sauf à considérer sa part de 37 % des exportations mondiales de concentré. Par ailleurs, divers pays bénéficient aussi de coûts de production peu élevés, à commencer par la Turquie et dans une moindre mesure l’Espagne, qui a de réelles capacités à l’export. Autre élément de réponse, les prévisions de croissance du marché chinois tablent sur un doublement de la consommation intérieure entre 2012-17. Les volumes en jeu, 200 000 t, peuvent sembler faibles, ils représentent tout de même un sixième des exportations. La Chine ne devrait donc pas envahir le marché mondial de la tomate concentrée. Devant elle, l’Italie apparaît comme un solide leader à l’export, tous produits confondus, s’appuyant sur l’image, l’innovation et la qualité de ses produits. ❙❙ Exportations de dérivés de tomates (en tonnes)/Top 25 (en 2011) Pays Concentrés Conserves Sauce, Ketchup Total % 1 Italie 700 377 1 164 845 83 750 1 948 972 35,3 % 2 Chine 1 128 459 5 091 15 266 1 148 816 20,8 % 3 Etats-Unis 354 439 64 932 246 037 665 408 12,1 % 4 Espagne 224 115 128 032 46 544 398 691 7,2 % 5 Portugal 195 109 12 586 17 307 225 002 4,1 % 6 Pays-bas 26 085 2 394 194 330 222 809 4,0 % 7 Turquie 72 616 15 336 28 238 116 190 2,1 % 8 Chili 91 733 303 5 090 97 126 1,8 % 9 Grèce 58 570 34 703 1 752 95 025 1,7 % 10 Allemagne 20 375 7 461 65 251 93 087 1,7 % Monde 3 050 053 1 485 242 982 521 5 517 816 Source : FAM / WPTC 12 000 10 000 8 000 milliers t - monde u 14 000 milliers t u ❙❙ Evolution de la production de tomates transformées des principaux pays producteurs 6 000 4 000 40 000 Monde 35 000 Chine 30 000 Etats-Unis 25 000 20 000 15 000 10 000 2 000 0 45 000 5 000 2002 Source : WPTC 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 (prev.) Italie Espagne Turquie Brésil 0 10 Porc PRIS ME - 04 Précautions sanitaires et embargo politique, quelles conséquences sur le commerce international de la viande porcine ? Il a suffi de la seule découverte de deux sangliers porteurs du virus de la peste porcine africaine en Lituanie pour que les autorités russes trouvent prétexte à refuser depuis plus de quatre mois toute entrée de viande porcine européenne sur leur territoire. Cette maladie hémorragique n’est pas transmissible à l’homme mais elle est en revanche très contagieuse chez les suidés, et son issue est fréquemment mortelle chez le porc domestique. D’autre part, il s’avère que les foyers persistants en Europe se situent désormais à l’Est, plus précisément en Biélorussie, dans les pays Baltes et sans guère de doute dans leur voisinage, c’est-à-dire… en Russie ! Depuis, malgré la poursuite active des investigations en matière d’animaux infectés, dans les pays baltes, au point que certains craignent une accélération de la diffusion de la maladie provoquée par la fuite des animaux pourchassés, pratiquement aucun autre cas de maladie n’a été détecté, ce qui n’empêche pas les autorités russes de maintenir leur embargo. Accessoirement, les initiatives prises par les autorités européennes ne suscitent pas le consensus, pour le moins. Après qu’elle eut rappelé à l’ordre certains pays (Danemark, France) qui tentaient de nouer des contacts bilatéraux avec la Russie en contradiction avec les règles de l’Union, la Commission européenne a choisi de porter l’affaire devant l’OMC pour refus injustifié de commercer, une procédure qui n’enthousiasme guère les principales filières nationales, dans la crainte d’un enlisement de la procédure et du relâchement de la pression sur Moscou. ... la Commission européenne a choisi de porter l’affaire devant l’OMC pour refus injustifié de commercer Il est vrai qu’au fil des années, le marché russe a pris une place prépondérante parmi les destinations du porc communautaire. Non seulement le volume importé a rapidement cru jusqu’à un pic de 810 000 tonnes en 2008, mais en outre, les exigences croissantes des services sanitaires avaient progressivement disqualifié un certain nombre d’opérateurs du Brésil qui avait dû céder son leadership aux européens à partir de 2010. Depuis, et jusqu’en 2012, près de 70 % des importations russes de produits porcins provenaient de l’Union européenne, soit 750.000 tonnes, ce qui correspondait l’an dernier au quart des exportations communautaires. grippe aviaire en France en 2009, mais aussi le coûteux refus d’importer tous fruits et légumes européens en juin-juillet 2011 à la suite de la découverte d’infections à l’E.Coli… sur des produits issus de grains importés d’Egypte ! Certains embargos durent longtemps : l’Espagne ne livre pratiquement plus de viande de porc en Russie depuis 2009 (grippe porcine), tandis que toute viande polonaise a été interdite sur le sol russe de novembre 2005 à décembre 2007. Enfin, la Russie n’a levé l’embargo sur la viande bovine britannique, suite à l’ESB, qu’en 2012, soit 26 ans après. Mais c’est la première fois qu’au motif d’animaux sauvages détectés près de leur frontière, les autorités russes refusent une viande quelle que soit son origine, depuis les 28 pays de l’Union. Le passé ne plaide pas en faveur d’un relâchement facile, ne serait-ce que parce que les Russes se sont sans doute souvenus que l’apparition de cas de pestes porcines en Géorgie, puis en Russie à partir de 2007 avait conduit les autorités de Bruxelles à fermer la frontière. L’enjeu était bien entendu plus faible, mais cependant non négligeable aux frontières russo-baltes. Aussi, même si semble se profiler un nouveau marché prometteur - la Chine -, cette situation a tout pour inquiéter les filières porcines européennes, dont il convient de rappeler qu’elles sont globalement structurellement excédentaires, avec 11 % de leur débouché hors de l’Union européenne, et quasi exclusivement vers l’Est. Les autorités sanitaires de Moscou n’en sont pas à leur coup d’essai en matière d’embargo sur des importations agroalimentaires : on peut citer en particulier comme prétextes le virus de Schmallenberg (de janvier à juin 2012) vis-àvis du bœuf nord-européen, le lavage en solution chlorée des volailles américaines (de janvier à juin 2010), ou la 11 Porc PRIS ME - 04 L’intransigeance russe : une posture prévisible à l’issue… imprévisible ❙❙ Viande de porc : évolution 2008-2012 des productions domestiques dans les principaux pays producteurs 60 000 50 000 40 000 30 000 20 000 milliers de tec 10 000 0 +9,17 % +0,39 % +0,42 % +22,62 % Russie Chine UE 2008 +14,93 % +13,55 % USA Brésil 3 500 3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 Importations 2013 2012 2011 2010 2009 2008 2007 2006 2005 0 2003 les progrès accomplis en matière d’autosuffisance en volaille montrent le chemin à la filière porcine russe Il n’est pas nécessaire de rechercher une explication particulière à ce boycott du côté des événements politiques qui se déroulent en Ukraine. Il est à peu près sûr que le prétexte de la peste africaine aurait suffi à la Russie, dans toutes les circonstances, à fermer ses frontières. Après la chute du régime soviétique, la production s’est effondrée de près de moitié et ce n’est que depuis deux ans à peine que l’agriculture russe apporte un volume de viande porcine à peu près équivalent à ce qu’il était voici vingt-deux ans… Mais entretemps, tout a changé ou presque : les fermes collectives ont disparu pour la plupart, alors qu’un petit nombre d’entre elles, privatisées, ont pu se moderniser et peuvent se comparer aujourd’hui à celles des grandes nations productrices. De nouveaux élevages modernes voient le jour chaque année et c’est sur eux que repose l’accroissement de la production, encouragés par les autorités, y compris à l’aide de subventions directes (l’équivalent de 216 M€ en 2012). Les petits élevages familiaux qui ont pu faire la jonction entre les deux périodes voient leur contribution diminuer rapidement, d’autant que les exigences sanitaires croissantes les écartent du marché. ❙❙ Russie : bilan domestique de la viande porcine 2004 En réalité, la Russie se serre la ceinture, ou plutôt les autorités encouragent le consommateur russe à se tourner en priorité vers la production domestique, ce qui a pour effet de faire monter les prix intérieurs à des niveaux que nous pourrions juger surprenants : le kilo vif s’est renchéri de 44 % entre la fin janvier et la mi-mars 2014, pour atteindre l’équivalent de 2,10 €. L’objectif est clairement de consolider la filière, à commencer par les éleveurs dont le revenu est ainsi conforté face aux produits importés. Mais la pénurie sert aussi les transformateurs qui peuvent répercuter sans risque le surcoût de leur matière première. Ceci en sachant que bien souvent en Russie, les abatteurs-transformateurs possèdent aussi de grands ateliers de naissage et d’engraissement. D’un point de vue purement économique, la nécessité d’importer encore une telle proportion de viande est un pur scandale pour les autorités russes : théoriquement le pays possède largement la capacité, en surface, en potentiel agronomique et en ressource hydrique, non seulement d’entretenir un élevage porcin suffisant pour satisfaire une population qui stagne mais dont la consommation par habitant s’accroît rapidement - 22 kg aujourd’hui, sans doute plus de 26 à la fin de la décennie (comparables aux 28 kg par français en 2013) -, mais en outre celle de produire l’aliment nécessaire à cet élevage. Ce qui lui fait défaut relève uniquement du savoirfaire, accentué par une politique d’incitation souvent heurtée. Cependant, les progrès accomplis en matière d’autosuffisance en volaille montrent le chemin à la filière porcine russe. Voici vingt ans, la Russie importait - principalement des Etats-Unis plus de la moitié de la viande de poulet qu’elle consommait. Désormais, l’autosuffisance est pratiquement acquise. milliers de tec A y regarder de plus près, la persévérance russe à se priver d’une production en réalité très sûre sur le plan sanitaire il faut remonter au milieu des années 1990 pour trouver la dernière infection d’un élevage de l’Union européenne, et même 1974 en France - accessible facilement et à un coût, transport inclus, comparable, dans la moyenne aux produits américains, a plus d’une explication. Mais on peut souligner tout d’abord que ce déficit d’importation n’est pas, ou très mal compensé par le recours à d’autres provenances. Ainsi, c’est le Brésil qui devrait massivement se substituer à l’Europe. Or il n’en est rien : les exportations brésiliennes du premier trimestre vers la Russie sont supérieures de 11 % à celle de 2013, ce qui, en une année, ne représente guère plus de 15 000 tonnes supplémentaires. Production Source : FAO Pour aller vite, le pouvoir a désormais clairement fait le choix de confier à de grands opérateurs, y compris à capitaux étrangers 1, la reconstruction de la filière. Le nouveau modèle russe est constitué d’unités géantes installées ex nihilo à égale proximité des terres d’approvisionnement en céréales et protéines nécessaires à la fabrication de l’aliment et des centres urbains consommateurs. La progression de la production domestique est rapide, mais elle marque le pas cependant en 2013 : +2,5 % après une moyenne de près de 7 % par an entre 2010 et 2013. La corrélation entre ce ralentissement et la décision de protéger plus fermement la filière domestique en fermant un temps les frontières au porc européen est tentante… 1- Tel le leader allemand Tönnies, déjà propriétaire de 8 sites en Russie, qui conduit en 2013-2014 un programme d’investissement de 200 millions d’euros destiné à financer des capacités d’engraissement, une usine d’abattage et de conditionnement, mais aussi de la fabrication d’aliments et un centre de génétique, pour un objectif de production de 63.000 tonnes de viande par an dans la région de Voronej (à 500 km au sud-est de Moscou). Tönnies travaille toujours en partenariat avec plusieurs entreprises russes, en particulier KTG Agrar, spécialisée dans l’achat et la mise en culture de surfaces céréalières qui a déjà affecté 10.000 ha à ce projet. Vietnam 2012 Source : FAO 12 Porc PRIS ME - 04 L’effet embargo russe s’évanouit face à la pénurie domestique à l’Ouest ❙❙ Cours du porc MPB Plérin 1,50 1,00 €/kg la Russie a obtenu de haute lutte son entrée dans l’OMC en 2010 Reste que la position intransigeante de la Russie suscite de profondes inquiétudes en Europe, d’autant qu’elle reste insensible à toute forme de pression des structures internationales de moralisation du commerce - alors que la Russie a obtenu de haute lutte son entrée dans l’OMC en 2010. Pourtant, la persistance de la fermeture d’un débouché privilégié n’a pas eu des conséquences durables sur les cours du porc en Europe, contrairement aux craintes que l’on pouvait avoir. Après une nette inflexion dont le point bas, par rapport à l’an passé, se situe au début de mars 2014, soit environ 6 semaines après le début de l’embargo, les prix se redressent de telle manière que depuis deux mois, ils se situent à un niveau nettement supérieur à ceux de l’année passée. Une première cause tient à la pénurie de viande nord-américaine consécutive à la multiplication des cas de diarrhée porcine aux Etats-Unis. Mais il en existe sans doute une deuxième, malheureusement plus structurelle : la réduction des disponibilités européennes, en particulier en Europe de l’Ouest. S’il est vrai que certaines années, les exportations de l’Union européenne ont pu représenter jusqu’à 80 % des entrées en Russie, la tendance est désormais à une diversification des approvisionnements, sans que cela constitue une perturbation considérable pour les grands bassins de production : globalement, le cheptel a encore reculé en 2013 (-0,5 %), moins qu’en 2012 (-2 %), mais ce recul se poursuit début 2014 dans tous les grands pays producteurs Européens - Allemagne, France, Pays-Bas, Espagne - à l’exception notable de l’Espagne… dont la Russie refuse toute production depuis 2013 ! janvier février mars 2013 avril mai 2014 Entre une chute de production qui se poursuit, en particulier en France (-1 % d’abattages au premier quadrimestre 2014 sur la zone Uniporc-Ouest) et la pénurie nord-américaine, les premiers mois de l’année montrent une compensation réelle de la fermeture du marché russe. Il est bien entendu hasardeux de conjecturer sur la levée prochaine de l’embargo. On peut cependant gager que cette issue correspondra tout simplement au moment où l’exécutif russe estimera que le consommateur russe aura suffisamment pâti de cette insuffisance au regard de l’avantage offert à la filière. Etre lucide sur les sous-jacents politiques pour mieux aborder les marchés Le marché chinois semble le plus prometteur, compte tenu du potentiel d’accroissement de la consommation par habitant PRISME - 04 La recherche par les services sanitaires russes de nouvelles sources d’approvisionnement – agrément de deux abattoirs au Brésil – et même l’annonce d’une enquête sur la faisabilité de l’ouverture d’une filière chinoise… constituent des informations récentes qui rendent encore plus incertaine la réouverture prochaine aux produits européens. L’incertitude reste donc totale, au point de faire paraître la démarche des autorités de Bruxelles devant l’OMC comme la plus raisonnable à ce jour... Malheureusement, il faut aussi rappeler qu’au-delà de la stagnation globale structurelle de l’offre, dont on connait les causes - renforcement des législations sur les contraintes environnementales et le bien-être animal, compétition des activités dans l’usage des sols - il existe des entreprises en Europe et en particulier en France, et non des moindres, pour lesquelles l’exportation représente un débouché significatif et qui sont contraintes de rechercher rapidement d’autres marchés, ou à défaut de procéder à un stockage coûteux en attendant de meilleures opportunités. Le risque sanitaire réel ou supposé vient modifier de manière brutale les flux commerciaux. La multiplicité des destinations est donc une solution à rechercher. Elle trouve hélas, elle aussi, ses limites, car liée aussi aux appétences des acheteurs, qui ne sont pas interchangeables selon les produits. Pour les mêmes raisons, l’ouverture d’autres débouchés offrira d’autres opportunités fortes, mais aussi des risques de ruptures brutales, tant le prétexte sanitaire offre une gamme variée d’arguments pour les pays acheteurs qui veulent pouvoir jouer simultanément sur la production, l’importation et la consommation. Le marché chinois semble le plus prometteur, compte tenu du potentiel d’accroissement de la consommation par habitant : le fort crédit accordé à la qualité sanitaire des produits européens ne semble pas remis en cause pour le moment, surtout en comparaison des grandes incertitudes qui pèsent encore sur les produits chinois. En outre, à l’inverse de la Russie, la Chine ne saurait espérer atteindre à l’autosuffisance, si ce n’est en production porcine, tout au moins pour la production d’aliment. En revanche, un autre chemin se fait jour pour la sécurisation de l’approvisionnement en Chine, avec le développement de l’entrée des capitaux chinois chez les grands acteurs mondiaux de la filière, à l’instar de WH Group, désormais actionnaire principal de Smithfield et de la marque Aoste. Note de conjoncture - Juin 2014 Directeur de la publication : François MOURY Rédacteur en chef : Isabelle JOB-BAZILLE Rédacteurs : Benoît Bousquet, Florence Doucet, Béatrice Eon de Chezelles, Catherine Mollière, Axel Retali, Frédéric Tessier. Cette publication reflète l’opinion de Crédit Agricole S.A., à la date de sa publication, sauf mention contraire (contributeurs extérieurs). Cette opinion est susceptible d’être modifiée à tout moment sans notification, Elle est réalisée à titre purement informatif. Ni l’information contenue, ni les analyses qui y sont exprimées ne constituent en aucune façon une offre de vente ou une sollicitation commerciale et ne sauraient engager la responsabilité du Crédit Agricole S.A. ou de l’une de ses filiales ou d’une Caisse Régionale. Crédit Agricole S.A. ne garantit ni l’exactitude, ni l’exhaustivité de ces opinions comme des sources d’informations à partir desquelles elles ont été obtenues, bien que ces sources d’informations soient réputées fiables. Ni Crédit Agricole S.A., ni une de ses filiales ou une Caisse Régionale, ne sauraient donc engager sa responsabilité au titre de la divulgation ou de l’utilisation des informations contenues dans cette publication. Réalisation : Art6 - Photos : 123rf.