La Société Générale réinvente sa banque privée.

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La Société Générale réinvente sa banque privée.
N°7
octobre 2014
interview
Patrick FOLLÉA, Directeur de Société Générale Private Banking France et Directeur Adjoint de Société Générale Private Banking
La Société Générale réinvente
sa banque privée. En France, SGPB (Société Générale
Private Banking) a effectué début 2014
le lancement de sa Nouvelle Banque
Privée - adossée à la banque de détail pour les clients détenant a minima
500 000€ d’actifs financiers. Quelques
mois après le démarrage, êtes-vous
satisfait des résultats et que reste-t-il
à faire ?
C’est objectivement un grand succès ;
nos clients l’attendaient et nous le disent.
L’époque est à la recherche de plus de
proximité, de transparence, de simplicité :
Nous en avons tenu compte en leur proposant un dispositif unique en France, qui leur
permet de rejoindre la banque privée tout
en restant attachés à leur agence. Une promesse de « proximité et d’expertise » dans
laquelle ils se retrouvent très bien.
De fait dans votre modèle l’agence
tant décriée est finalement valorisée
car c’est l’endroit où l’on peut donner
du service...
Oui ! Dans ce cas précis, l’agence est utilisée pour le déploiement d’un nouveau
modèle de service. Ne nous y trompons
pas : pour la plupart des clients et même si
elle intègre de plus en plus de « digital », la
Banque Privée reste un métier de conseil
qui passe par des contacts physiques.
Lorsqu’on fait le choix de la proximité la
plus grande, ce qui est notre cas, l’agence
est de facto le meilleur lieu d’accueil. En
pratique nos 240 banquiers privés, logés
dans 80 villes en France, ont aujourd’hui la
possibilité de servir nos clients, s’ils le souhaitent, dans les 2300 agences du réseau.
Dans cette organisation ce n’est plus le
client qui va à la banque privée, c’est la
banque privée qui va au client.
En termes d’organisation, je suppose
que c’est une contrainte particulière ?
Exact. La problématique est de faire travailler ensemble dans le même espace
physique (l’agence) deux mondes - celui de la banque de détail et celui de la
banque privée - mondes qui ne partagent
pas exactement les mêmes façons de travailler ni les mêmes référentiels. C’est cette
équation que nous avons résolue. Une
tâche compliquée mais passionnante.
Quel est, de votre point de vue, le
grand défi de la banque privée ?
Concilier qualité et rentabilité. La grande
difficulté de ce métier, qui n’a ni les marges
de la banque d’investissement ni les volumes de la banque de détail, est de régler
finement son curseur entre une approche
segmentée, nécessaire dans une logique
de contrôle des coûts, et la capacité à
faire le sur-mesure qui lui donne ses lettres
de noblesse. C’est faisable, mais c’est un
vrai défi dans le contexte de pression à la
baisse des marges que connaît l’industrie.
Tous les acteurs n’y parviennent pas.
Patrick FOLLÉA
Directeur de Société Générale Private Banking France et Directeur
Adjoint de Société Générale Private Banking
Patrick Folléa est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, titulaire d’un
DEA de Droit International Privé, d’un DEA de Sociologie Politique et d’un Doctorat de
Finances Internationales (Université de Paris-Dauphine).
Il débute sa carrière en 1984 chez BNP en tant qu’économiste, avant d’intégrer l’Inspection
Générale en 1990 (chef de mission, puis inspecteur principal). Il occupe ensuite
successivement les fonctions de Responsable du Private Banking à Hong Kong et de
Directeur général de BNP Asset Management pour l’Asie. Il revient au Private Banking
en 2000 comme Responsable régional en charge du développement, puis assure, à
compter de 2003, la direction de BNP Paribas Banque Privée en Italie.
En 2007, il rejoint Société Générale en tant que Directeur adjoint de Société Générale
Private Banking France. En juillet 2009, il en est nommé Directeur.
En mars 2012, Patrick Folléa est nommé Directeur adjoint de Société Générale Private
Banking, tout en conservant ses fonctions de Directeur de Société Générale Private
Banking France. Il est membre du Comité de Direction du Groupe Société Générale
depuis janvier 2014.
« C’est une erreur, à mon avis, d’opposer
personnalisation du service et digital. »
Je reviens sur votre projet France.
Quels autres facteurs sont, selon
vous, déterminants pour conduire à
bien ce genre de projet ?
Etablir une liaison efficace entre une
banque privée et une banque de détail
n’est pas simple. Pour réussir, il faut un
appui sans faille de la Direction Générale.
Dans des entreprises hautement différenciées, les synergies ambitieuses doivent
être sponsorisées au plus haut niveau,
sinon elles ne se font pas. Pour le reste,
si je devais mettre en avant un autre facteur de différenciation, je mentionnerais
les ressources humaines. La Banque Privée a longtemps été un repère de professionnels relativement indépendants et peu
enclins à travailler ensemble: ce temps
là est totalement révolu. L’approche par
équipes est plus pertinente. Comment un
banquier privé peut-il répondre seul à un
grand client qui lui demande de lui trouver
un immeuble à Londres, de le financer et
d’organiser sa détention au plan juridique
et fiscal ? Il faut mettre en place de vraies
logiques collaboratives, dans la dimension
commerciale du métier comme dans sa
dimension d’expert. D’une façon générale, je suis surpris que les consultants,
très prompts à conseiller sur les aspects
d’organisation ou de systèmes d’informations, n’investissent pas plus le champ des
RH. Savoir recruter, former, animer, évaluer, savoir identifier de bons managers,
faire travailler ensemble les équipes au bé-
néfice des clients : là se créent les vraies
différences.
A l’étranger vous avez vendu vos activités en Asie, vous avez dû adapter vos
modèles de service offshore et vous
développez des plateformes domestiques dans d’autres pays comme le
Maroc. Comment voyez-vous l’évolution des différents modèles de banque
privée hors de France ?
Nous avons donc cédé nos activités directes en Asie, y substituant un partenariat avec une grande banque de la région.
Outre la France, dont nous avons parlé,
nous avons de grandes ambitions dans
la zone EMEA (Europe / Moyen-Orient /
Afrique) dans laquelle nous investissons
de façon très significative. En donnant la
priorité aux pays dans lesquels le Groupe
a déjà une franchise.
Le monde de la banque privée se transforme rapidement, il faut s’y adapter. Les
grandes places traditionnelles comme
la Suisse et le Luxembourg perdent leur
caractéristique «offshore» pour se transformer en places ouvertes, fiscalement transparentes, servant une grande clientèle internationale. C’est une vraie révolution qui
oblige les acteurs qui y opèrent à transformer en profondeur leurs approches commerciales, leurs offres et même leurs plateformes logistiques. Une banque privée
opérant en Suisse, si elle veut servir des
clients espagnols, devra être aussi com-
pétente en droit et en fiscalité espagnols
qu’une banque domestique ! Pas facile, si
on multiplie par le nombre de nationalités
concernées. Les investissements à opérer
sont très lourds. Nous anticipons d’ailleurs
une accélération de la concentration du
secteur.
Le nouvel environnement que vous décrivez ne facilite pas la réconciliation
entre efficacité et qualité de service.
On comprend que la concentration du
secteur peut apporter une première
réponse. Quid du modèle opérationnel des banques privées ? Peut-il évoluer ? Si oui, quelles transformations
envisagez-vous ?
Je ne serais pas surpris qu’on voit certaines banques privées – et pas des
moindres - se concentrer sur leur cœur
de métier « commercial » (relation avec les
clients, apport d’expertise) en externalisant tout ou partie des fonctions Support –
un contrat de service permettant d’assurer
la confidentialité et la qualité de service.
De ce point de vue, les grands industriels
internationaux de conservation de titres
peuvent avoir un rôle à jouer. Ils sont aujourd’hui à la fois capables de gérer de
grands volumes et de délivrer des services
à forte valeur-ajoutée à leurs clients institutionnels. Pourquoi pas aux banques
privées ? Les adaptations nécessaires ne
paraissent pas hors d’atteinte.
suite page 2
publié par Stanwell
N°7
octobre 2014
interview Patrick FOLLÉA, Directeur de Société Générale Private Banking France et Directeur Adjoint de Société Générale Private Banking
Quid du digital ? Il bouleverse également le paradigme. Deux constats
pour l’illustrer : 1) les clients sont
parfois mieux équipés que leurs
banquiers en termes d’outils et d’accès à l’information : 2) les nouveaux
outils digitaux (tablettes, appels
visio) vont changer les modalités de
la relation entre eux. Le digital est-il
pour vous un moyen de développer
de nouveaux services et va-t-il engendrer des bouleversements dans
l’organisation des banques privées ?
Bien sûr ! Nous n’avons encore rien vu.
Tout changera très vite, sous l’impulsion
des jeunes - clients et banquiers – qui
sont « nés » avec les nouvelles technologies. Il faut s’y préparer. La banque privée
« classique » incorporera de plus en plus
d’outils de communication et de conseil à
distance (l’aspect transactionnel est déjà
au point). Mais je ne serais pas surpris
qu’on voit également émerger de nouveaux types d’acteurs totalement digitaux.
Des banques privées « dématérialisées »,
si l’on veut.
Y voyez-vous une menace ? La Banque
Privée saura-t-elle rester un « univers
de luxe » alors que le digital, d’une certaine façon, nivèle les acteurs ? Les
informations sont banalisées, regardez ce qui s’est passé pour la Presse ! C’est une erreur, à mon avis, d’opposer
personnalisation du service et digital.
Les nouvelles technologies offriront au
contraire le moyen de bâtir des relations
client-banque enrichies, plus libres, plus
personnalisées et au total beaucoup plus
intelligentes ! Nous ne sommes qu’à l’aube
suite
de cette révolution. Permettez-moi une
analogie musicale. Souvenez-vous des CD
que l’on écoutait il y a 30 ans, ou des premiers MP3. La musique, trop compressée,
trop lisse, était appauvrie et perdait considérablement de sa force expressive. Les
nouvelles techniques d’enregistrement et
d’impression permettent aujourd’hui d’exprimer la musique avec une richesse et un
pouvoir émotionnel incomparables. C’est
à cette étape là du digital, idéalement, qu’il
faudrait rapidement passer.
Entretien avec Patrick FOLLÉA par Stanwell.