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m Imaginez une scène de rencontre entre le Père Goriot et ses
filles à partir de l’évocation qui en est faite par la duchesse de
Langeais dans le document A. Vous aurez besoin d’intégrer à
la narration des parties dialoguées en respectant le contexte
historique et social ainsi que le niveau de langue des trois
personnages.
Vous pouvez vous appuyer sur les textes du corpus reproduits dans le sujet
n° 25.
LES CLÉS DU SUJET
■ Comprendre le sujet
• Composez, d’après la consigne, la « définition » du texte à produire.
Repérez les contraintes et la marge de liberté qui vous est laissée.
– Objet d’étude et genre du texte à produire : « une scène / narration /
parties dialoguées » → le roman, extrait de roman.
– Sujet/thème : « Père Goriot et ses filles » / contexte historique et
social » → il est à déduire du texte de Balzac.
– Type de texte (ou forme de discours) :
• « narration » → récit, texte narratif ;
• « parties dialoguées… » → dialogue ;
• le texte pourra aussi comporter de brefs passages descriptifs.
– Registre : il ne vous est pas explicitement indiqué ; mais, comme la
consigne vous indique que votre texte est dans la lignée de Balzac, et
comme le texte vous donne des indications sur les rapports entre
Goriot et ses filles, vous devez imiter le registre du texte des romans
balzaciens.
– Situation d’énonciation : quand ? Où ? « en respectant le contexte
historique et social » → les circonstances spatiales et temporelles sont
celles du texte de Balzac ; servez-vous aussi du paratexte : « sous la
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Restauration, durant le règne de Louis XVIII, en 1819 » ; « faubourg
Saint-Germain » : Paris ; après la Révolution.
– Niveau de langue : « en respectant le niveau de langue des trois
personnages » : le problème est que ces trois personnages, en fait, ne
parlent que très peu dans le texte de Balzac (une seule réplique des
filles de Goriot au style direct, l. 20)… Mais ils sont du milieu de
madame de Beauséant, aristocrate, qui, dans le texte, a un langage
courant (de l’époque) ou soutenu. Vous remarquerez que les filles vouvoient leur père.
Le statut du narrateur : il doit être le même que celui des romans de
Balzac : le narrateur se situe en dehors de l’histoire, ce n’est pas un
personnage.
Le point de vue ou focalisation : il peut varier ; mais le narrateur, chez
Balzac, est en général omniscient et mêle tous les points de vue narratifs.
• « à partir de l’évocation qui en est faite par la duchesse » vous indique
que vous devez reprendre les faits et détails évoqués par la duchesse.
• « Définition » du texte :
Extrait de roman (genre) qui raconte (type de texte) la rencontre
entre le Père Goriot et ses filles (thème) et rend compte (type de
texte) de leurs rapports (thème), qui comporte du dialogue sur
divers thèmes, ? (registre), pour faire le portrait indirect du caractère
de Goriot et de ses filles et faire comprendre leurs rapports (buts).
Pour réussir l’écriture d’invention : voir guide méthodologique.
Le roman : voir lexique des notions.
Le statut du narrateur : voir lexique des notions.
■ Chercher des idées
La consigne vous impose des contraintes ; mais vous avez des choix à
faire.
Le fond
• L’aspect narratif
– Les circonstances sont à définir. Vous devez inventer l’endroit et les
circonstances de cette rencontre. Chez Goriot, chez une des filles, dans
les rues de Paris…
– Les sujets de conversation : la cohérence avec le texte d’appui exclut
tout événement hors du commun, non conforme à ce qui est dit de la
famille Goriot.
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Il est question dans le texte d’argent et de fortune (de commerce), de l’aristocratie et de ses occupations (ce peut être des réceptions, des bals),
d’une vie de luxe… des filles, de réussite sociale, de politique, de dettes…
– Les personnages dont il peut être question : ceux qui sont mentionnés
dans le texte : « le baron de Nucingen, un riche banquier qui fait le
royaliste » et M. de Restau ; mais vous pouvez aussi en introduire de nouveaux (amies aristocrates des filles, dont Mme de Bauséant elle-même).
– Les rapports entre les personnages : relevez ce qui les précise ; il est
question :
• de souci de réussite et d’aide de la part de Goriot envers ses filles
(donc d’ambition pour elles) ;
• d’amour débordant et envahissant du père (« il adore […] ses filles ») ;
• d’amour – mais relatif… – des filles pour leur père : « qui aimaient
peut-être […] leur père » ;
• de « honte » de leur père gros bourgeois face à la société aristocratique qu’elles fréquentent (métaphore de la « tache de cambouis ») ;
• de tension entre le beau-père et les gendres ;
• de double jeu des filles (donc hypocrisie) : « des prétextes » ; « lâcheté »
des filles ;
• de manque total de scrupules des filles qui ont utilisé leur père
(« sacrifier »), qui ont abandonné leur père ruiné (« le citron bien
pressé, ses filles ont laissé le zeste au coin des rues »).
• Les sujets de conversation
Les filles peuvent :
– parler des derniers bals, se réjouir de la réussite sociale de leur mari ;
– demander de l’argent à leur père pour combler de nouvelles dettes ;
– dire à leur père qu’elles ne souhaitent plus le revoir désormais ;
– lui reprocher son train de vie misérable qui leur fait honte ;
– au contraire flatter son amour pour elles et feindre la tendresse.
Le père peut :
– exprimer son amour pour elles ;
– hésiter devant une nouvelle demande d’argent et rappeler ce qu’il leur
a déjà donné ;
– leur faire des reproches ;
– dans un monologue, calculer comment il pourrait à nouveau satisfaire
leur demande (projeter de déménager, de changer de chambre pour
une plus humble à la pension Vauquer où il habite, vendre ses derniers
objets personnels…) ; ou exprimer son désarroi ou sa souffrance de
père bafoué…
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• Si vous avez lu Le Père Goriot : n’hésitez pas à utiliser ce que vous
connaissez de l’œuvre – personnages, circonstances, péripéties…
La forme, les choix d’écriture
• Du dialogue
– Veillez à la présentation correcte du dialogue : guillemets, tirets, passages à la ligne…
– Choisissez des verbes introducteurs de la parole qui soient expressifs
(pas de verbes trop neutres comme « dire, demander, répondre »…). Ils
doivent rendre compte des intonations, des sentiments…
– Vous pouvez mentionner des silences.
• La description
– Les personnages peuvent aussi être décrits physiquement ; les détails
peuvent alors être significatifs de leur rang social – vêtements, attitudes… – (filles aristocrates, Goriot ruiné).
– Les gestes, attitudes et expressions du visage : ils peuvent traduire les
sentiments des personnages.
– Le décor peut donner une atmosphère à la scène (dramatique ou
pathétique).
• L’expression ou l’analyse des sentiments
Vous pouvez utiliser la focalisation interne et rendre compte du monologue intérieur des personnages.
• Le registre et le ton
En fait, vous avez le choix. Ils dépendent de la tournure que vous
donnez à cette rencontre : s’il y a conflit, le registre peut être
dramatique ; s’il s’agit d’une scène où les filles de Goriot viennent à
nouveau quémander de l’argent à leur père ruiné, le texte peut être
pathétique. À l'intérieur du dialogue, le ton du père peut être lyrique/
pathétique, celui des filles (faussement) affectueux, ou au contraire ironique et blessant, méprisant.
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Refléter la société ?
Documents
A – Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835.
B – Émile Zola, Germinal, 1885.
C – Guy de Maupassant, Bel Ami, 1885.
D – Victor Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874.
m Dans
chacun de ces textes, de quelle manière les romanciers
donnent-ils, à travers leurs personnages, une image de la société ?
Après avoir répondu à cette question, vous devrez traiter au choix un des
trois sujets nos 26, 27 ou 28.
Document A
Sous la Restauration, durant le règne de Louis XVIII, en 1819, la duchesse
de Langeais, aristocrate de haut rang du faubourg Saint-Germain,
raconte à son amie, madame de Beauséant, le parcours d’un certain
M. Goriot dont elle déforme systématiquement le nom.
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– Oui, ce Moriot a été président de sa section1 pendant la
Révolution ; il a été dans le secret de la fameuse disette, et a commencé
sa fortune par vendre dans ce temps-là des farines dix fois plus qu’elles
ne lui coûtaient. Il en a eu tant qu’il en a voulu. L’intendant de ma
grand-mère lui en a vendu pour des sommes immenses. Ce Goriot
partageait sans doute, comme tous ces gens-là, avec le Comité de Salut
public. Je me souviens que l’intendant disait à ma grand-mère qu’elle
pouvait rester en toute sûreté à Grandvilliers, parce que ses blés étaient
une excellente carte civique. Eh bien ! ce Loriot, qui vendait du blé aux
coupeurs de têtes, n’a eu qu’une passion. Il adore, dit-on, ses filles. Il a
juché l’aînée dans la maison de Restaud2, et greffé l’autre sur le baron
de Nucingen3, un riche banquier qui fait le royaliste. Vous comprenez
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bien que, sous l’Empire4, les deux gendres ne se sont pas trop formalisés d’avoir ce vieux Quatre-vingt-treize5 chez eux ; ça pouvait encore
aller avec Buonaparte6. Mais quand les Bourbons sont revenus, le bonhomme a gêné monsieur de Restaud, et plus encore le banquier. Les
filles, qui aimaient peut-être toujours leur père, ont voulu ménager la
chèvre et le chou, le père et le mari ; elles ont reçu le Goriot quand elles
n’avaient personne ; elles ont imaginé des prétextes de tendresse.
« Papa, venez, nous serons mieux, parce que nous serons seuls ! », etc.
Moi, ma chère, je crois que les sentiments vrais ont des yeux et une
intelligence : le cœur de ce pauvre Quatre-vingt-treize a donc saigné. Il
a vu que ses filles avaient honte de lui ; que, si elles aimaient leurs
maris, il nuisait à ses gendres. Il fallait donc se sacrifier. Il s’est sacrifié
parce qu’il était père : il s’est banni de lui-même. En voyant ses filles
contentes, il comprit qu’il avait bien fait. Le père et les enfants ont été
complices de ce petit crime. Nous voyons cela partout. Ce père Doriot
n’aurait-il pas été une tache de cambouis dans le salon de ses filles ? Il y
aurait été gêné, il se serait ennuyé. Ce qui arrive à ce père peut arriver à
la plus jolie femme avec l’homme qu’elle aimera le mieux : si elle
l’ennuie de son amour, il s’en va, il fait des lâchetés pour la fuir. Tous
les sentiments en sont là. Notre cœur est un trésor, videz-le d’un coup,
vous êtes ruinés. Nous ne pardonnons pas plus à un sentiment de s’être
montré tout entier qu’à un homme de ne pas avoir un sou à lui. Ce
père avait tout donné. Il avait donné pendant vingt ans ses entrailles,
son amour ; il avait donné sa fortune en un jour. Le citron bien pressé,
ses filles ont laissé le zeste au coin des rues.
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835.
1. Il était à la tête d’une des circonscriptions administratives de Paris sous la Révolution.
2. Nom de la famille de l’époux de la fille aînée du Père Goriot.
3. L’époux de la seconde fille du Père Goriot.
4. Le premier Empire (1804-1815).
5. Appellation péjorative d’un révolutionnaire durant la Terreur de 1793.
6. Napoléon Bonaparte, devenu Napoléon Ier en 1804.
Document B
Maheu est un mineur. Nous assistons en ce début de roman à son travail
pénible au fond de la mine.
C’était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température
montait jusqu’à trente-cinq degrés, l’air ne circulait pas, l’étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer
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sa lampe à un clou, près de sa tête ; et cette lampe, qui chauffait
son crâne, achevait de lui brûler le sang.
Mais son supplice s’aggravait surtout de l’humidité. La roche,
au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait
d’eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une
sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau
tordre le cou, renverser la nuque : elles battaient sa face, s’écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d’un quart d’heure, il était
trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d’une chaude buée de
lessive. Ce matin-là, une goutte, s’acharnant dans son œil, le faisait
jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage1, il donnait de grands
coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi
qu’un puceron pris entre deux feuillets d’un livre, sous la menace
d’un aplatissement complet. Pas une parole n’était échangée. Ils
tapaient tous, on n’entendait que ces coups irréguliers, voilés et
comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un
écho dans l’air mort. Et il semblait que les ténèbres fussent d’un
noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon,
alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des
lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n’y mettaient que
des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille2 s’ouvrait,
montait ainsi qu’une large cheminée, plate et oblique, où la suie de
dix hivers aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales
s’y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de
hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme
pour un crime.
Parfois, en se détachant, luisaient des blocs de houille3, des pans
et des arêtes, brusquement allumés d’un reflet de cristal.
Puis, tout retombait au noir, les rivelaines4 tapaient à grands
coups sourds, il n’y avait plus que le halètement des poitrines, le
grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l’air et la
pluie des sources.
Émile Zola, Germinal, 1885.
1. Galerie creusée dans une mine.
2. Galerie d’où l’on extrait la houille.
3. Blocs de charbon.
4. Pics à deux pointes utilisés dans les mines pour extraire la houille.
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Document C
Voici la dernière page du roman qui nous fait assister au mariage de
Georges Duroy et à son triomphe social.
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Puis des voix humaines s’élevèrent, passèrent au-dessus des têtes
inclinées. Vauri et Landeck, de l’Opéra, chantaient. L’encens
répandait une odeur fine de benjoin1, et sur l’autel le sacrifice divin
s’accomplissait ; l’Homme-Dieu, à l’appel de son prêtre, descendait
sur la terre pour contempler le triomphe du baron Georges du Roy2.
Bel Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front. Il se
sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de
reconnaissance pour la divinité qui l’avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards. Et sans savoir au juste à qui il s’adressait, il la
remerciait de son succès.
Lorsque l’office fut terminé, il se redressa, et, donnant le bras à
sa femme, il passa dans la sacristie3. Alors commença l’interminable
défilé des assistants. Georges, affolé de joie, se croyait un roi qu’un
peuple venait acclamer. Il serrait des mains, balbutiait des mots qui
ne signifiaient rien, saluait, répondait aux compliments : « Vous
êtes bien aimable. »
Soudain il aperçut Mme de Marelle ; et le souvenir de tous les
baisers qu’il lui avait donnés, qu’elle lui avait rendus, le souvenir de
toutes leurs caresses, de ses gentillesses, du son de sa voix, du goût
de ses lèvres, lui fit passer dans le sang le désir brusque de la
reprendre. Elle était jolie, élégante, avec son air gamin et ses yeux
vifs. Georges pensait : « Quelle charmante maîtresse tout de même. »
Elle s’approcha un peu timide, un peu inquiète, et lui tendit la
main. Il la reçut dans la sienne et la garda. Alors il sentit l’appel
discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et
reprend. Et lui-même il la serrait, cette petite main, comme pour
dire : « Je t’aime toujours, je suis à toi ! »
Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, pleins d’amour.
Elle murmura de sa voix gracieuse : « À bientôt, monsieur. »
Il répondit gaiement : « À bientôt, madame. »
Et elle s’éloigna.
D’autres personnes se poussaient. La foule coulait devant lui
comme un fleuve. Enfin elle s’éclaircit. Les derniers assistants partirent. Georges reprit le bras de Suzanne pour retraverser l’église.
Elle était pleine de monde, car chacun avait regagné sa place,
afin de les voir passer ensemble. Il allait lentement, d’un pas calme,
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la tête haute, les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte.
Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que
donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne
pensait qu’à lui.
Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une
foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges du Roy.
Le peuple de Paris le contemplait et l’enviait.
Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la
Concorde, la Chambre des députés. Et il lui sembla qu’il allait faire
un bond du portique de la Madeleine au portique du PalaisBourbon4. Il descendit avec lenteur les marches du haut perron
entre deux haies de spectateurs. Mais il ne les voyait point ; sa
pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis
par l’éclatant soleil flottait l’image de Mme de Marelle rajustant en
face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours
défaits au sortir du lit.
Guy de Maupassant, Bel Ami, 1885.
1. Résine utilisée en parfumerie.
2. Bel Ami.
3. Pièce dans une église ou l’on conserve les objets nécessaires au culte et les vases sacrés.
4. La Chambre des députés à Paris.
Document D
En 1793, le peuple de Vendée se soulève contre le gouvernement révolutionnaire. Le marquis de Lantenac débarque en Bretagne pour prendre la
tête des troupes royalistes vendéennes. Poursuivi par l’armée républicaine, il rencontre le mendiant Tellmarch qui le cachera.
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– Comment vous appelez-vous ? dit le marquis.
– Je m’appelle Tellmarch1, et l’on m’appelle le Caimand2.
– Je sais. Caimand est un mot du pays.
– Qui veut dire mendiant. On me surnomme aussi le Vieux.
Il poursuivit :
– Voilà quarante ans qu’on m’appelle le Vieux.
– Quarante ans ! Mais vous étiez jeune ?
– Je n’ai jamais été jeune. Vous l’êtes toujours, vous, monsieur
le marquis. Vous avez des jambes de vingt ans, vous escaladez la
grande dune ; moi, je commence à ne plus marcher ; au bout d’un
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quart de lieue je suis las. Nous sommes pourtant du même âge ;
mais les riches, ça a sur nous un avantage, c’est que ça mange tous
les jours. Manger conserve.
Le mendiant, après un silence, continua :
– Les pauvres, les riches, c’est une terrible affaire. C’est ce qui
produit les catastrophes. Du moins, ça me fait cet effet-là. Les
pauvres veulent être riches, les riches ne veulent pas être pauvres. Je
crois que c’est un peu là le fond. Je ne m’en mêle pas. Les événements sont les événements. Je ne suis ni pour le créancier, ni pour
le débiteur. Je sais qu’il y a une dette et qu’on la paye. Voilà tout.
J’aurais mieux aimé qu’on ne tuât pas le roi, mais il me serait difficile de dire pourquoi. Après ça, on me répond : mais autrefois,
comme on vous accrochait les gens aux arbres pour rien du tout !
Tenez, moi, pour un méchant3 coup de fusil tiré à un chevreuil du
roi, j’ai vu pendre un homme qui avait une femme et sept enfants.
Il y a à dire des deux côtés.
Il se tut encore, puis ajouta :
– Vous comprenez, je ne sais pas au juste, on va, on vient, il se
passe des choses ; moi, je suis là sous les étoiles.
Victor Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874.
1. Homme du peuple qui vit en marge des autres hommes.
2. Surnom du précédent.
3. Mauvais, maladroit.
LES CLÉS DU SUJET
■ Comprendre la question
• « image de la société » : vous devez expliquer brièvement quelle
vision, conception de la société se dégage de ces textes.
• Mais l’expression « de quelle manière… » est très importante : elle
oriente votre réponse ; vous devez avant tout vous focaliser sur les
choix d’écriture des auteurs et les commenter.
• Ne traitez pas les textes l’un après l’autre, procédez synthétiquement.
Groupez les textes qui se ressemblent et construisez votre réponse
selon les différents moyens littéraires utilisés (genre littéraire, forme des
textes, registres, vocabulaire, images…).
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