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10 MÉTHODE COERVER Le bon football est un jeu d’enfant Le nouveau Messi dribble peut-être sur le gazon romand: en deux ans, deux mille enfants ont testé une méthode qui révolutionne l’apprentissage du football. Elle fera des étincelles à l’Euro 2012, qui débute samedi en Pologne et en Ukraine. Les jeunes pousses du Servette FC reçoivent l’enseignement de Patrick La Spina, responsable Coerver pour la Suisse. 7 JUIN 2012 EVENEMENT L Cédric Reichenbach orenzo, Marco, Mathias et leurs cialement adaptée aux enfants – ne Les apprentis footballeurs doivent coéquipiers terminent en vitesse durera qu’une heure et dix minutes. soigner le détail. La prise de balle se de lacer leurs chaussures en arrivant Brève et intense: un gage de qualité. fait toujours vers l’avant et dans le sur le terrain d’entraînement du Servetmouvement. Puis vient le jeu printe à Balexert, sur la commune de Ver- PLAISIR ET SUEUR cipal tant attendu – marque de fanier (GE). Le coach explique en quel- Les balles fusent sur le terrain syn- brique de la méthode Coerver – dont ques mots le programme du jour et la thétique. Les exercices visant à déve- les gosses raffolent. Quatre mini buts quinzaine de joueurs des en forme de demi-lune, «moins de douze ans» Un million et demi de joueurs de trente pays deux d’un côté et deux commence l’échauffede l’autre, poussent conont été séduits par la méthode Coerver. ment sur une surface rétinuellement les joueurs duite, avec ballons. Dix minutes à pei- lopper le toucher de balle des deux à s’affronter un contre un et deux ne ont suffi à l’entraîneur pour se pré- pieds s’enchaînent. Souplesse, vitesse, contre deux. Pas le temps de rêvasser, parer, la zone occupée équivalant à un coordination. Sans interrompre les l’exercice étant basé sur la transition quart seulement d’un terrain de foot- slaloms des joueurs et de leurs bal- attaque-défense. ball. La séance d’entraînement Coerver lons entre les cônes jaunes, blancs et Au fil des minutes, une pluie de buts – une méthode d’enseignement spé- bleus, le coach distille ses conseils. s’abat sur le stade de Balexert. Après chaque réussite, la paire de joueurs ayant encaissé laisse au plus tôt la place à un autre binôme qui déboule dans le jeu en essayant de marquer à nouveau. Assez rapidement, les passements de jambes accompagnant une réussite sont récompensés d’un point supplémentaire, ce qui favorise d’avantage la prise de risque. Oblige également les jeunes pousses à faire le bon choix: soit la passe au coéquipier, soit le dribble. Le tout sous l’œil attentif de l’entraîneur qui, au lieu de distiller des consignes castratrices, encourage et propose des alternatives. «On a très souvent la balle au pied et Foot Lab: une entreprise qui monte A 37 ans, le Valaisan Patrick La Spina originaire de Montana possède l’exclusivité en Suisse pour la méthode d’entraînement Coerver. Prenant tous les risques, cet exjoueur du FC Sion quitte le monde des assurances pour fonder l’entreprise «Foot Lab» en juin 2010. Elle est active dans trois domaines: camps pendant les vacances scolaires, entraînements dispensés chaque semaine à 600 enfants en Suisse romande, séminaires de formation d’entraîneurs. «J’ai une dizaine de clubs sur liste d’attente, mais je ne veux rien presser: ce qui importe, c’est la qualité de la formation», insiste Patrick La Spina qui a vingt collaborateurs et travaille avec une quinzaine de clubs dont Servette et Sion. Plus de deux mille jeunes footballeurs ont déjà passé par sa filière. Avec un tarif de référence de 11 francs par enfant par séance (1h10), le Valaisan est sur le point de conquérir la Suisse alémanique et le Tessin, où la demande est importante. ! CR 12 LIVRE 7 JUIN 2012 EVENEMENT La victoire et la mort C’est l’histoire d’un match qui se joua durant les années les plus abominables du 20e siècle. Eté 1942, l’hitlérisme lamine l’Europe orientale. Les marches russes sont ravagées par la «guerre totale» entre Berlin et Moscou. La «solution finale» assassine systématiquement la présence juive yiddish multiséculaire. La bataille de Stalingrad, tournant de la Deuxième Guerre mondiale, est encore largement indécise. L’Ukraine est à terre. Pour divertir la troupe, l’occupant nazi décide d’organiser un match de foot à Kiev – il le fera aussi dans des camps de concentration à travers le Vieux continent. Une équipe allemande, formée de soldats du front comme de professionnels venus de la mère patrie, affronte le 9 août une sélection d’Ukrainiens composée de grands joueurs du Dynamo Kiev. Une trêve dans la guerre? En aucun cas. Gagner à en mourir (Robert Laffont, 154 pages) de Pierre-Louis Basse fait revivre avec intensité ce «match invisible» dont la seule trace matérielle est une photo. Nul suspense dans ce joyau d’émotion pudique où le baume du temps apaise difficilement une mémoire blessée et trouée. Mais une implication de tous les instants de son auteur. D’emblée, il ne nous cache rien du sort des Ukrainiens: refusant une défaite truquée, ceux-ci moururent suite à leur victoire sur ces SS en crampons. Journaliste sportif et grand sensible (Séville 82, le match du siècle) né dans une famille de communistes français – la nostalgie, camarade... –, Pierre-Louis Basse écrit une page d’histoire qui vaut bien des batailles pour la liberté. Il y est question d’hommes debout qui, ballon au pied, ont bravé l’humiliation et la peur pour l’honneur dans la mort. Bouleversant. Aux larmes. ! Thibaut Kaeser on se fait plaisir, lance Lorenzo Gonzalez, le souffle court, un large sourire aux lèvres. D’habitude on travaille plutôt le collectif, mais là on peut vraiment progresser individuellement durant tout l’entraînement.» José Polidura, responsable de l’école de football du FC Servette, connaît la méthode depuis cinq ans. «On imitait ce que l’on voyait sur DVD et dans les bouquins, mais depuis qu’un professionnel nous rend visite chaque semaine et nous coache, on a constaté une nette progression. Avant, lorsqu’un nouveau intégrait le groupe, il lui fallait deux ans pour s’adapter.» Et maintenant? «Trois nouveaux Keystone-a joueurs nous ont rejoints récemment, chacun avec des lacunes Robin Van Persie, marque de fabrique techniques, et ils sont montés dans le Coerver, a inscrit 30 buts cette saison en Premier League avec Arsenal. De quoi wagon de tête en quelques mois. C’est briller à l’Euro 2012 avec les Pays-Bas. un gros coup de pouce, sans compter la progression générale du groupe», courage à prendre des initiatives, ce relève le formateur. qui stimule et préserve sa créativité. NOUVELLES FEINTES Un enfant confiant dans le sport l’est Du bord du terrain, l’ex-international plus facilement à l’école et dans la vie suisse Raphaël Wicky admire le tra- en général». Une opinion que partage vail: «Ce que je préfère c’est l’intensi- Nicolas de Kalbermatten, dont le fils té dans les exercices, le rythme et la de 10 ans participe chaque semaine part de créativité avec à une séance Coerver les dribbles». L’ancien Un enfant confiant avec le FC Sion: «L’asjoueur de Bundeslidans le sport l’est pect ludique des sesga (Werder Brême et sions, bien qu’elles plus facilement à Hambourg SV), acsoient exigeantes, plaît tuellement responsa- l’école et dans la vie. beaucoup à mon fils. ble de la préformaIl est heureux de partion à Servette pour les jeunes de tir s’entraîner et rentre avec le souritreize à quinze ans, espère que le club re». Ce n’est pas le petit Servettien dégenevois poursuivra dans cette voie. goulinant de sueur Mathias Chestito «Notre méthode est l’une des seules qui le contredira: «Ici on apprend de qui développe les qualités individuel- nouvelles feintes. Aujourd’hui je maîles. A huit contre huit, un enfant tou- trise plusieurs crochets et différents che rarement le ballon, il progres- râteaux (tirer la balle en arrière avec se peu. A deux contre deux, c’est tota- la plante du pied pour changer de dilement différent», explique Patrick rection, ndlr)», s’enthousiasme-t-il. La Spina, responsable de la méthode Actuellement responsable de la fusion Coerver en Suisse (voir encadré p.11). des clubs de Lancy-Sports et GrandTout dépend également de l’estime Lancy au niveau de la formation, que l’enfant a de lui-même: «On l’en- l’instructeur de l’Association suisse de 13 INTERVIEW football (ASF) Claude Mariétan voit également l’apport de Coerver d’un bon œil: «Les objectifs de l’ASF et de cette méthode se rejoignent. Les jeunes progressent si la personne dispensant la formation a les compétences nécessaires; toute méthode susceptible de les améliorer est donc bienvenue». MOINS D’ESPACE, MOINS DE TEMPS «La technique peut s’apprendre, elle n’est pas seulement innée.» L’entraîneur et joueur hollandais Wiel Coerver (1924-2011) ne se doutait pas que son idée, émise à la fin des années soixante, aurait une influence considérable sur le football du 21e siècle. Visionnaire, il prévoyait que les stars du ballon rond de demain disposeraient de moins d’espace et de temps dans un climat général de plus en plus défensif. S’inspirant du Néerlandais, deux experts anglais, Alfred Galustian et Charly Cooke, créent en 1984 la méthode Coerver. Les dribbles des meilleurs joueurs des années 1970-1980 (Cruijff, Beckenbauer, Rivelino) sont disséqués et théorisés dans l’idée de rendre ces enchaînements accessibles à tous. Feinter et éliminer son adversaire n’est plus dès lors l’apanage des génies: cela peut s’apprendre. Comme d’autres stars actuelles, l’attaquant du Bayern Munich, Arjen Robben, est considéré comme un «pur produit Coerver», tandis que d’anciennes gloires et des entraîneurs prestigieux (Jürgen Klinsmann ou Gérard Houllier) font l’éloge de cette méthode. En Suisse, plus de mille enfants âgés de 8 à 13 ans sont séduits alors que la formation n’est disponible que depuis deux ans. Dans le reste du monde, un million et demi de joueurs issus de plus de trente pays (dont la Chine et le Brésil) ont reçu cet enseignement. ! Cédric Reichenbach Coerver Coaching Suisse/Foot Lab, case Postale 1773, 1211 Genève 1. www.foot-lab.ch. Tél. +41 79 785 75 75. «La méthode Coerver transparaîtra à l’Euro 2012» Issue des Pays-Bas, Coerver est une méthode d’entraînement de football prisée par les enfants. Brad Douglas en est le directeur technique pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Né en Australie, il débarque en Grande-Bretagne à l’âge de 16 ans comme apprenti footballeur. Il joue en Angleterre, en Ecosse et en Suède avant de débuter une carrière d’entraîneur qu’il poursuivra dans plus de trente pays, collaborant avec des clubs aussi prestigieux que l’AC Milan. Comment expliquez-vous le succès de Coerver auprès des enfants? Brad Douglas: – Dans les 35 pays où je travaille, je demande aux enfants: «Qui est ton joueur favori?». Ils me répondent: Messi, Ronaldo, Xavi, etc., tous des joueurs qui gagnent leurs duels et marquent. Les enfants s’identifient à ces idoles, caressant l’espoir de suivre leur route, ce qui est Cédric Reichenbach une source incroyable de motivation. Wiel Coerver, qui a donné son nom à la méthode, affirmait qu’il était possible d’enseigner ces qualités à tout le monde. C’est ce que nous faisons. L’enfant peut ainsi s’améliorer, pas seulement son équipe. En outre, les gamins touchent la balle en moyenne dix fois plus que lors d’un entraînement conventionnel, ce qui implique plus de plaisir et plus de progression. Et les parents? – L’enfant, les parents et l’entraîneur forment un triangle. Il est fondamental que l’enfant trouve du plaisir dans le sport qu’il pratique. Pour cela l’entraîneur a le devoir de garantir un environnement propice à l’apprentissage des jeunes joueurs sans se focaliser sur la victoire. Les parents doivent comprendre que le plus important n’est pas de gagner à tous les coups, mais de donner le meilleur de soi-même. Le bien-être de l’enfant dépend beaucoup de l’entente entre parents et entraîneurs. Verra-t-on l’influence de la méthode Coerver durant l’Euro en Pologne et en Ukraine? – Wiel Coerver a toujours dit que son meilleur élève était Robin Van Persie (voir photo p.12). Les Pays-Bas baignent dans Coerver: Arjen Robben et ses compatriotes en sont les héritiers. L’Espagne, surtout le FC Barcelone, ont importé la méthode néerlandaise depuis longtemps, influencés très tôt par Rinus Michels, entraîneur de la Hollande à l’Euro 1988, et adepte du «football total», et Johan Cruijff. L’équipe nationale espagnole, c’est en bonne partie le Barça. L’influence de Coerver transparaîtra donc clairement à l’Euro 2012. ! Recueillis par CR L’Australien Brad Douglas est responsable de la formation Coerver pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique.