Fini les vacances - Chrétiens dans le Monde Rural

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Fini les vacances - Chrétiens dans le Monde Rural
PRES DE CHEZ NOUS - 9
Personne n’ignore la crise qui touche en ce moment le monde
agricole. Il est bien normal que dans le monde rural, nous cherchions à
comprendre cette crise, mais notre regard de chrétien nous pousse
aussi à nous soucier des agriculteurs qui en sont victimes.
Pour mieux cerner cette crise, ce qui l’a provoquée et comment elle est vécue
par les agriculteurs, j’ai été accueillie à Eschau par la famille Rohmer. Angèle
et Francis gèrent une exploitation de 120 bovins dont 55 laitières. Les bêtes
nécessitent des soins quotidiens, y compris les week-ends et les jours fériés. Il
est très difficile pour le couple de s’offrir une coupure. La traite se fait deux fois
par jour, matin et soir. J’ai été impressionnée par la connaissance qu’Angèle a
de ses bêtes. Là où je ne voyais qu’une vache parmi d’autres, elle
reconnaissait chacune, sachant interpréter leur comportement et y réagir.
Eleveur laitier, c’est un vrai métier de passionné, qui ne s’improvise pas.
Le moment de la traite, c’est aussi celui qu’Angèle met à profit pour la vente directe de lait frais directement à l’étable,
ainsi que d’œufs, de jus de pommes et de miel, provenant d’autres producteurs locaux. Même si l’arrivée des clients
interrompt le travail de traite, Angèle apprécie ces temps d’échanges qui lui permettent souvent de raconter son métier.
Une activité diversifiée
Sébastien, le fils, m’explique que l’élevage laitier nécessite une diversité dans
l’alimentation du bétail. Pour gagner en autonomie, la plupart des éleveurs sont
donc aussi céréaliers. C’est ainsi qu’à la ferme du Loeb, la famille Rohmer, à
coté du soin prodigué aux vaches, produit également :
- du blé et de l’orge pour les grains et la paille des litières,
-
du maïs pour les grains et pour l’ensilage,
des betteraves sucrières dont les pulpes sont intégrées dans les rations
alimentaires du bétail,
- du tournesol, dont les tourteaux complètent aussi l’alimentation.
L’acquisition d’une presse – un coup de cœur de Sébastien – permet à la famille
de faire, directement à la ferme, de l’huile à partir des graines de tournesol.
L’essentiel pour Sébastien, c’est que l’ensemble de ces activités, malgré le
travail et l’investissement que cela représente, permet de mieux gérer la qualité
de l’alimentation du bétail. Ils peuvent ainsi limiter les produits importés/achetés,
dont les compositions ne sont pas toujours garanties sans OGM. De la qualité de
l’alimentation dépend aussi la qualité du lait.
Les agriculteurs impuissants face aux prix
La production laitière représente un investissement énorme, avec d’une part,
cette diversité de productions pour le fourrage, et de l’autre, la mise aux
normes des bâtiments et de leurs installations.
Les agriculteurs n’ont aucun pouvoir sur les prix qui sont fixés à l’échelle
européenne à Bruxelles. A l’heure actuelle, le litre de lait est vendu entre 28
et 30 cts, mais ce prix risque de chuter jusqu’à 25 voire 20 cts d’ici la fin de
l’année.
Le système de quotas et de jachères mis en place en 1983, avait pour but de
freiner la surproduction afin de maintenir les prix. Il est maintenant question
de supprimer les quotas pour 2013, ce qui entrainerait une chute vertigineuse
des prix.
A côté de cela, les prix agricoles sont à la merci de spéculations. Alors que
certaines personnes souffrent de la faim, ces jeux de bourse sur des prix de
denrées alimentaires sont inacceptables. De plus, les grandes centrales
d’achats, en jouant sur les marges, négocient des prix très faibles auprès des
producteurs. Les prix agricoles fluctuent en fonction de tout cela, alors que les
agriculteurs n’ont aucun pouvoir sur les prix de leurs productions. Faut-il alors
s’étonner qu’ils soient contraints de manifester pour dénoncer ces
dysfonctionnements et faire entendre le désarroi de leurs situations ?
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Avec le remboursement des investissements, sans cesse nécessaires pour rester productifs, et les prix trop bas qui
continuent de chuter, il est très difficile pour de nombreux agriculteurs de vivre correctement et de rémunérer dignement
leur travail.
Bien que le travail ne manque pas, les remboursements en cours empêchent Angèle et Francis de dégager un salaire
pour permettre à leur fils qui a fait des études dans le domaine agricole et qui est passionné par la profession, de
rejoindre l’exploitation familiale.
Sébastien m’expliquait aussi que dans le cadre de la politique protectionniste de l’agriculture européenne (la PAC,
Politique Agricole Commune), l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) subventionne les produits agricoles
destinés à l’exportation. Ces faibles prix à l’exportation concurrencent les produits agricoles locaux des pays du Sud.
Ainsi les pays les plus faibles du Sud n’arrivent plus à être auto-producteurs. Chez nous, l’agriculture est en péril, mais à
travers l’exportation fortement subventionnée, elle créé du tort aux pays du Sud. Quel paradoxe !
Les véritables attentes des agriculteurs.
Les agriculteurs ne demandent ni aides ni subventions, ils souhaitent être reconnus et pouvoir
vivre dignement de leurs productions. Nombreux sont les agriculteurs qui, comme Angèle, ont
le sentiment d’être tenus pour responsables de la pollution, d’être considérés comme ceux qui
font du bruit alors que les autres aspirent au calme.
En CMR, nous sentons-nous concernés par ce que vivent ces personnes, victimes des prix
bas qui leurs sont imposés, souffrant d’une image négative et d’un manque d’estime au sein
de la société, continuant malgré tout à travailler tous les jours pour nous garantir notre
alimentation ?
Angèle m’a offert du lait frais. La dégustation de ce lait a été déstabilisante pour mes enfants
qui ne connaissaient que le lait en briques puisque ça fait des années qu’il n’y a plus la
moindre petite exploitation agricole dans notre village. A mon mari il rappelait le lait qu’il
cherchait à la ferme dans son enfance. J’en ai utilisé une partie pour faire du fromage frais. Là
encore, quelle découverte pour les enfants ! Ne faut-il pas aussi qu’en tant que
consommateurs nous revoyions notre comportement ?
Si comme moi, vous avez envie de discerner par vousmême certaines réalités de cette profession, n’hésitez pas
à aller rencontrer des agriculteurs près de chez vous, pour
les laisser vous faire découvrir leurs passions ainsi que
leurs souffrances.
Pour ma part je remercie de tout cœur Angèle, son frère
(également présent le jour de ma visite) et son fils pour la
richesse de cette rencontre ainsi que pour l’ambiance
simple, sincère et conviviale.
Valérie Velten
Y avez-vous songé ?
Du métier d’agriculteur dépendent
grand nombre d’autres professions, du
fabricant de machines agricoles au
vendeur de fruits et légumes, en
passant par le vétérinaire,… jusqu’à
l’employé de la chambre d’agriculture.
Quand l’agriculture va mal, c’est tout
un réseau de multiples professions qui
Agricultrice et éleveur de porcs sur une exploitation située en limite
de village, je viens témoigner de la pression immobilière dans le
Kochersberg.
Au départ en retraite de mes parents, j'ai repris l'exploitation
familiale. Ce bien est un héritage reçu de mes parents et qui leur a
été transmis par plusieurs générations d'agriculteurs avant eux. Au
décès de mon père, j'ai encore mieux pris conscience de cette
transmission d'outils et de savoir-faire. A mon tour, je veux être
garante du bien qui m'a été donné et poursuivre cette transmission
aux générations futures.
Depuis ces trois dernières années, mes voisins agriculteurs et anciens agriculteurs, ont des projets
immobiliers en vue. Je constate, via l'affichage municipal, le dépôt de certificat d'urbanisme et de demande
de permis de construire pour des terrains contigus à mon exploitation agricole. Dans un premier temps, j'ai
contacté le service compétent à la Chambre d'Agriculture pour les informer du projet voisin de construction
de collectifs à la place de l'actuel corps de ferme. Le service de la Chambre d'Agriculture a pris note de la
problématique, puis, il a donné un avis défavorable au premier projet. A la suite à ce refus, l'agent immobilier
m'a contacté pour me proposer de supprimer définitivement une partie de l'élevage de l'exploitation en
échange d'une certaine somme d'argent. Mais je n'ai pas accepté cette proposition financière (pourtant fort
intéressante) et le projet a été abandonné.
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Un autre projet immobilier s'est préparé en automne 2008 pour cette même ferme et les agents immobiliers ont déposé
une demande préalable à la mairie. Cette fois-ci, la Chambre d'Agriculture n'a plus défendu l'élevage avec la même
intégrité : les règles de définition n'étaient plus les mêmes.
Afin d'arriver à leurs fins, les agents immobiliers m'ont proposé de négocier et acheter la fermeture d'une partie du corps
de ferme en me talonnant jusqu'au soir de Noël !
Ne me pliant pas à leurs pressions et marchandages,
ceux-ci ont téléphoné aux Services Vétérinaires pour
vérifier l'existence de l'élevage porcin. En rappelant les
règles législatives de l'urbanisme aux différents
partenaires concernés, ce service de l'Etat a mis un
terme aux tractations et les promoteurs ont annulé le
projet engagé sur ce site. En effet, en application d'un
texte de loi, mon élevage porcin doit respecter une
distance de 100m vis à vis des tiers et, réciproquement,
les tiers doivent respecter la même distance de 100m
de l'élevage.
Entre temps, un autre voisin a déposé une demande de permis de construire pour sa fille qui souhaite s'installer dans le
village. Mais le projet est prévu sur une partie du terrain situé vis à vis de mon élevage. En 2007, la Chambre
d'Agriculture a donné un avis défavorable à cette demande. Puis le vent a tourné et les choses ont changé...
Au cours de l'été 2008, la Chambre d'agriculture a voulu me rencontrer en présence des propriétaires du terrain, du
jeune couple, du maire de la commune et un représentant syndical, afin que je signe l'autorisation de cette construction
à moins de 100m des bâtiments d'élevage. Les partenaires du monde agricole présents avaient un discours favorable au
développement de l'urbanisme, sans tenir compte de l'avenir de mon exploitation agricole.
Avec l'aide de mon avocat, nous avons proposé à cette famille qu'elle s'engage par écrit de nous accorder une
contrepartie en échange de notre dérogation pour cette construction. A ce jour, personne n'a donné suite à notre
demande. Cette absence de réponse peut sous-entendre que les propriétaires du terrain ont d'autres projets en vue que
la construction d'une unique maison. Le maire de la commune, l'adjoint chargé de l'urbanisme et un des conseillers
municipaux me relancent très régulièrement afin que je réexamine ma position vis à vis de cette réciprocité. N'ayant rien
à gagner dans cet échange sauf à obtenir des nuisances à venir, je refuse, pour le moment, de signer quoi que ce soit.
Au début de l'été 2009, j'ai eu un contrôle des Services Vétérinaires à la demande du maire de la commune pour vérifier
l'authenticité de mon élevage : j'ai du justifier toutes les factures des années 2003 à 2009 pour faire la preuve de
l'existence de l'élevage. Aujourd'hui, je conteste le permis de construire que le maire a accordé pour cette maison et une
procédure est engagée au tribunal.
En qualité d'agricultrice, je ne suis pas soutenue par les pouvoirs publics agricoles, qui sont pourtant rémunérés par le
fruit de notre travail.
Dans mon village situé à une quinzaine de km de Strasbourg, je n'ai pas le soutien des élus car l'exploitation agricole
empêche un développement harmonieux de l'urbanisme de la commune. Il leur serait préférable que les projets
immobiliers puissent s'étendre et que mon exploitation s'arrête !
Est-ce que l'agriculture a encore une place dans nos villages ?
Comment peut-on faire entendre nos voix pour
défendre nos droits ?
N'y a t-il pas d'autres alternatives que de céder aux
doux chants des sirènes de l'immobilier ?
Quel avenir voulons-nous donner à notre ruralité ?
C'est avec le soutien des personnes qui m'entourent
que j'arrive à me battre, chaque jour. C'est en discutant
et partageant que les choses peuvent bouger et
changer.
Monique Muller
En tant que consommateurs, ne laissons pas l’agriculture se réduire à de simples transactions
commerciales, ne la laissons pas en proie aux transactions immobilières, mais soyons solidaires
des agriculteurs dont la digne mission est de nourrir la planète.
Ces deux articles illustrent bien les difficultés que traverse actuellement le monde agricole. Mais
nous voulons croire que ce climat difficile n’est pas une fatalité irréversible. C’est dans ce contexte
que la commission citoyenneté du CMR organise une journée qui a pour but une réelle
connaissance et reconnaissance de l’agriculture et de la mission des agriculteurs.
Rendez-vous le samedi 07 novembre à Friedolsheim.
(voir invitation ci-jointe)