VERDUN, AVRIL 1916 par Georges OLIVIER « (…) Lors de la

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VERDUN, AVRIL 1916 par Georges OLIVIER « (…) Lors de la
VERDUN, AVRIL 1916
par Georges OLIVIER
« (…) Lors de la « Bataille de Verdun », je servais dans l’Infanterie comme
commandant de compagnie. Mes souvenirs portent sur peu de jours, ayant été blessé le 3
avril, alors que j’étais arrivé dans le secteur 48 heures auparavant.
A la date du 1 er avril, le 74 ème R.I. défilait dans la journée à Souilly devant le maréchal
Pétain. Ayant eu l’honneur d’être son agent de liaison en septembre 1914 au cours des
combats de Loivre et de Brimont, près de Reims, j’étais tout particulièrement heureux de
retrouver dans son regard, à la fois ferme et souriant, cette autorité affectueuse et cette
inébranlable confiance dans les destinée de la France qui étaient siennes.
En fin d’après-midi, nous arrivons à Regret et faisions halte près de l’église dans
laquelle étaient étendus de nombreux blessés. Depuis lors, j’y suis retourné souvent - et
encore tout dernièrement - lors de déplacements vers Metz ou la Sarre-. A chaque fois, je revis
cette atmosphère tellement exaltante de 1916.
La canonnade sur les Hauts de Meuse n’était qu’un roulement que ponctuaient les
explosions d’obus de gros calibre tombait sur Verdun ou sur les points que l’ennemi
considérait intéressant à bombarder.
Dans le bois de Regret, à quelques distances du Fort de ce nom, nous prîmes le repas
du soir avec des artilleurs qui avaient comme mascotte un charmant petit renard , déterré
quelques quinze jours auparavant dans les environs. La nuit fraîche et étoilée nous fut
reposante comme elle peut l’être pour tous les soldats jeunes et enthousiastes.
Je me souviens avoir retrouvé là deux de mes amis, qui, eux, servaient au 274 ème R.I. :
André Lecerf et Marcel Monpin ; nous fîmes dans le ruisseau voisin une toilette de sybarites
et nous faisant très soigneusement raser et couper les cheveux pour être dignes du Grand
Combat, car le Caractère Sacré des combats de Verdun, dont la France était l’enjeu, nous était
aussi sensible que celui de « la Marne » en 1914.
Dans l’après-midi, nous nous mettons en route, traversons Verdun et le Faubourg pavé
puis montons sur la route de Metz qui escalade les Hauts de Meuse. Pas de difficultés en cet
endroit où la pente nous met à l’abri des projectiles à trajectoire tendue tandis que la distance
empêche les obusiers de 105 de nous taquiner.
Au fur et à mesure que nous montons, le vacarme se fait plus fort : à la nuit tombante,
nous arrivons dans les bois de Fleury, plus ou moins ravagés par les tirs de l’artillerie
allemande ; des salves trop courtes ou trop longues nous ramènent aux réalités immédiates de
la Guerre.
Nous arrivons enfin au Fort de Souville où l’on doit nous distribuer : outils, grenades,
fusées, masque, etc. Malgré le désir qu’on a de se plier aux règles de la discipline militaire, il
est extrêmement désagréable de se voir gratifier de colis supplémentaires au moment de partir
pour une attaque.
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Cette distribution de « colis supplémentaires » devant l’entrée du fort de Souville et
sous l’œil du général Mangin est un des souvenirs les plus poignants que j’ai conservé de
Verdun. Au milieu d’un vacarme magistral et dans la fièvre qui prélude aux moments
sublimes de la vie, on distribue outils et grenades ; soudain une détonation des plus violente,
suivie de crépitements mineurs, ébranle l’atmosphère tandis qu’une lueur d’abord verte, puis
blanche, puis rouge illumine le ciel : un dépôt de munitions vient de sauter en face ; je ne puis
m’empêcher de grimper sur le fort avec mon camarade Assault. Le spectacle qui s’offre aux
yeux est féérique. Cette débauche de fusées multicolores, d’éclatements de toutes sortes,
d’incendies, d’éclairs et de lueurs vacillantes, tout cela se reflète sur les nuages et la fumée en
un inoubliable tableau ; le grondement ininterrompu des départs et des arrivées, les sifflement
si variés et souvent musicaux des projectiles, tout cela compose une sorte de « Crépuscule des
Dieux » que je veux faire admirer à mon camarade ; il ne souscrit que partiellement à mon
enthousiasme wagnérien, et lorsque je lui fais remarquer que cette fête guerrière est la
sublime expression de l’égale volonté de puissance de deux races affrontées, il me laisse
clairement entendre que je suis qu’un barbare attardé.
Nous allons bientôt reprendre nos places dans la Compagnie escortés de quelques
obus ; à peine suis-je arrivé au milieu des deux premières sections, qu’un obus de 130,
éclatant à quelques mètres de hauteur et en avant de nous, vient faucher quinze hommes de
ma deuxième section, ainsi que l’adjudant dont je reçois la cervelle sur le bras.
Après que les brancardiers et infirmiers eurent rempli leur office, officiers et sousofficiers s’emploient aussitôt à détruire la mauvaise impression de ce prélude en « crânant »
un peu plus et j’obtiens pour ma Compagnie une distribution de pinard, cette nationale
panacée contre la mélancolie et les idées sombres.
La descente vers le ravin de Vaux et la ligne du petit chemin de fer meusien se fait en
très bon ordre et sans casse, malgré la mauvaise réputation qu’a cette nécessaire promenade
sur un glacis très exposé.
Nous prenons place sur la ligne du « meusien », en bordure du bois de la Caillette ; à
cet endroit la voie est en déblai, ce qui nous met à l’abri des coups devant les préparatifs de
l’attaque. Je me souviens même avoir rendu visite aux deux unités voisines de la mienne pour
assurer mes liaisons et cela sans trop de difficultés.
Le jour se lève lourd de mystères ; une âcre odeur de cadavres, d’explosifs et d’urine
imprègne tout, mais le petit casse-croûte prévu au programme est cependant dévoré par tous
-ou presque - d’un bel appétit.
Je suis alors appelé au P.C. du colonel Brenot, une sorte de terrier boueux sous le talus
du chemin de fer - en même temps que les commandants du Bataillon et de Compagnies, pour
recevoir les ordres de l’attaque.
Le premier Bataillon auquel j’appartiens doit s’élancer perpendiculairement à la voie
ferrée en direction du Nord, à l’Ouest du Ravin de la Mort, tandis que la deuxième Bataillon
doit progresser à l’Est. En ce qui concerne ma Compagnie - la deuxième - il ‘agit de
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progresser lentement jusqu’à la crête, puis ensuite de bondir le plus rapidement possible vers
la lisière Nord du bois de la Caillette, de la dépasser et de s’installer au delà à l’endroit où
« doivent » se trouver les vestiges de lignes tenues, avant la dernière attaque allemande, par
un Bataillon de Chasseurs à Pied.
C’est là que je vis pour la dernière fois des figures que jamais plus je ne devais jamais
revoir : le commandant Chambouillat, le capitaine Oster, le capitaine de Visme, le lieutenant
Guigny, le capitaine de Beaumesnil, le commandant Aubry et aussi des agents de liaison,
tous : mes camarades depuis de longs mois et beaucoup d’entre eux, mes amis !
C’est toujours avant une attaque, un envol ou une ascension en montagne qu’il
convient de cuirasser son cœur contre les souvenirs de toutes sortes qui tendent alors à le
submerger. Aussi, avions nous tous, plus ou moins secrètement, le désir de passer à l’action le
plus tôt possible, mais comme presque toujours en pareil cas, une liaison n’ayant pu être
établie entre le deuxième Bataillon qui devait opérer à notre droite et l’unité voisine, l’attaque
qui devait partir à cinq heures est remise à six.
A six heures précises, après une dernière mise au point des détails, mes deux premières
sections se mettent en mouvement. Je marche avec celle qui, ayant perdu son chef à Souville,
est maintenant commandée par un sergent ; le lieutenant Le Gal commande l’autre. Le
lieutenant Canu partira à six heures avec les deux autres sections.
La progression jusqu’à la crête se fait normalement, ne rencontrant comme difficultés
qu’un terrain affreusement bouleversé et un chaos d’arbres, de branches et de racines.
L’Artillerie ennemie se contente d’arroser parcimonieusement le terrain d’obus de petit
calibre. Nous avançons ainsi jusqu’à la crête ; là, nous découvrons Douaumont et ses
ouvrages avancés ; malheureusement, les guetteurs de ceux-ci ne tardent pas à nous découvrir
à leur tour et leur réaction ne se fat pas attendre.
Quelques mitrailleuses entrent en jeu et le crépitement irrégulier des armes portatives
se fait de plus en plus nourri. Nous progressons d’entonnoir en entonnoir au milieu du
claquement des balles. Un roulement sourd se fait entendre suivi d’un second puis d’un
troisième, un gargouillement sinistre suit et dans un fracas terrible les premières salves de
gros calibre, soulevant des geysers noirs, nous annoncent que le tit de barrage est déclenché.
Les mitrailleuses se révèlent très nombreuses et leurs balles rasantes commencent à nous
causer des pertes ; l’artillerie de petit et de moyen calibre entre dans la danse et c’est
maintenant un véritable déluge de fer et de feu que nous devons traverser. La plupart de nous
le traverse cependant, atteignant et dépassant la lisière du bois. L’artillerie ennemie allongeant
son tir, il nous est permis à nouveau de voir devant nous. En réalité, nous ne voyons que
confusément un paysage lunaire s’étendant jusqu’à l’horizon, constitué par la crête de
Douaumont. Toute cette zone est copieusement arrosée par notre artillerie ; des colonnes de
fumées noires, vertes ou jaunes jaillissent à tout instant du sol, tandis que dernière nous
s’élève un écran semblable.
C’est à ce moment qu’un feu extrêmement nourri de mitrailleuses nous prend de flanc.
Le deuxième Bataillon n’a pu progresser aussi rapidement que nous, par suite de la plus
grande résistance qu’il a rencontrée ; les liaisons extrêmement hasardeuses à travers le Ravin
de la Mort, n’ont pas joué en temps voulu et nous nous trouvons en flèche. Il s’agit donc
maintenant de rester là et de consolider le terrain ,conquis en attendant que reprenne la
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marche en avant de nos camarades. Un nouveau déluge de feu et de fer s’abat sur nous.
D’énormes projectiles sans un sifflement prémoniteur éclatent devant, derrière et au milieu du
Bataillon. Les obus de 105 – les « pernods » - explosent à quelques mètres de haut, vomissant
leur balles de plomb dans une épaisse fumée verte, tandis que les 77 mettent dans tout ce
tintamarre leur petite note aiguë qui paraît, ici, vraiment ridicule.
C’est alors que tentant de me rendre compte d’où viennent les coups de droite, je
reçois une balle dans la main droite, puis presque aussitôt après, une seconde dans le bras
gauche. Le choc de celle-ci m’envoie dans le fond du trou d’obus. Je me relève, mais je
constate que je perds du san,g en abondance. Ma main droite m’empêchant de me faire le
moindre pansement, je réalise qu’il faut que je passe le commandement à un camarade et le
plus tôt possible. Avec beaucoup de peine je parviens à me hisser sur le bord du trou ; tout est
désert : je hurle : « la liaison » : elle était près de moi tout à l’heure, mais je ne vois plus rien.
Il se passe ainsi un temps qui me paraît interminable tandis que mon hémorragie continue de
plus belle. Enfin surgit un homme de liaison auquel je donne l’ordre d’aller chercher le souslieutenant Le Gal qui doit être à peu de distance à ma droite, car je l’ai aperçu il y peu de
temps. Je glisse à nouveau dans l’entonnoir, me vidant comme un lapin, j’ai hâte de donner
consignes et papiers à un officier valide. Une accalmie se fait, les obus se dirigeant vers
l’arrière, je regarde le ciel ; il est bleu, d’un bleu intense, ce bleu m’inonde le cœur de joie
comme le fait le bleu, - unique parmi les bleus – de la gentiane rencontrée après une course
difficile ou un mauvais passage en montagne !
Subitement, de cette voûte bleue, tombe un chant joyeux, sur cette terre de massacre et
de désolation et j’aperçois une Alouette qui, dans le frémissement de ses ailes, jette au soleil
sa chanson. Je veux être objectif - après avoir si souvent conseillé aux autres de l’être - et
essaye de me persuader que la mort qui va sans doute être la mienne est entourée de douceurs
qui ont été refusées à beaucoup de mes camarades. En même temps, je rage de me sentir
impuissant à rendre les coups reçus.
Tout à coup une silhouette humaine se dessine en haut de l’entonnoir et s’abat sur
moi ; c’est un sous-officier, le sergent Leconte l’homme à qui je dois d’être ici ce soir. Il voit
ce qu’il faut faire et le fait sans tarder et parfaitement. Je suis pansé, mon hémorragie est
arrêtée ; je puis donc attendre le sous-lieutenant Le Gal. Enfin, celui-ci parvient à me
retrouver ; je suis heureux de le revoir -pour la dernière fois, hélas-. C’est un ancien dragon
qui a demandé à passer dans l’Infanterie ; son enthousiasme, sa jovialité, notre commun
amour des chevaux, ont fait de lui un de mes meilleurs camarades, et puis il a amené avec lui
son magnifique esprit cavalier et c’est pour cet esprit cavalier que je tiens à lui passer le
commandement de la Compagnie. Il me rend compte de ce qui s’est passé à sa droite, la
position de sa section, des pertes aussi, moins lourdes qu’on ne pouvait le penser.
Je lui passe donc le commandement et sans pouvoir lui serre la main le renvoie à son
poste. « Au revoir Le Gal, good luck » - « Au revoir Olivier, bonne chance ». Il est parti, je ne
l’ai jamais revu.
Une heure après, alors que vraiment j’étais très bas physiquement ; je reçois une autre
visite, celle de Jean Thézard, un anciens camarade de pension ; à lui aussi je dois une fière
chandelle car me voyant en assez mauvaise posture, il exigea que j’avale, par petites gorgées,
tout l’alcool de son bidon. Bientôt après, je me sentis renaître à la vie.
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Le bombardement reprit peu de temps après avec une violence accrue ; par deux fois,
je fus partiellement enterré par des éclatements tout proches ; ne pouvant me servir de mes
bras, il fallut me dégager tant bien que mal avec mes jambes et mes pieds.
Comme du fait de la fumée et de la poussière l’atmosphère était devenue assez
opaque, je pensais qu’il fallait, maintenant où je ne servais plus à rien, songer à
« m’évacuer ».
Après quelques tentatives, infructueuses du fait de mon engourdissement, je parvins à
sortir de mon trou et fis un bond, si toutefois on peut appeler cela un bond, jusqu’à un
entonnoir voisin. Petit à petit, je refaisais en sens opposé le trajet de l’attaque, souvent pris à
parti par des mitrailleuses allemandes qui me manquaient régulièrement ; j’arrivai au sommet
du déblai du chemin de fer et de là me laissais rouler en bas, tant j’étais à bout.
Un infirmier m’ayant reconnu, me conduisit dans un abri où étaient entassés un assez
grand nombre de blessés. Parmi eux se trouvaient des hommes de ma compagnie que je fus
heureux de revoir, mais plusieurs étaient hélas, dans un état très grave. Tout le monde
cependant se montrait stoïque, même certains plaisantaient ; toutefois, au cours de cette
longue fin d’après-midi il n’en est pas un, je crois, qui ait réussi à étouffer, dans un moment
de souffrance aiguë, la plainte ou le gémissement qu’il aurait tant désiré ne pas proférer ; j’ai
honte de dire que ce fut mon cas. C’est tellement plus beau de pouvoir comme le Loup de
Vigny, « mourir sans jeter un cri » !
A la nuit tombante, le colonel m’envoya chercher et je restai une heure avec lui à son
poste de commandement ; j’appris et le succès de notre attaque et le prix très lourd dont nous
l’avions payée. Vers 10 heures du soir, les blessés furent dirigés vers Souville ; je fis la route
en compagnie d’un camarade de la troisième Compagnie -le lieutenant Aragon - qui avait une
jambe brisée et qu’on portait sur un brancard. Ce Chemin de Croix dura deux ou trois heures
et comporta un grand nombre de stations au cours desquelles nous eûmes la consolation de
croiser, descendant en première ligne les unités du troisième Bataillon jusqu’alors en réserve.
Dans la nuit sombre, j’ai rencontré le capitaine Lanquetot, Saint-Cyrien de la Promotion de
« Montmirail » qui était mon chef de section lors du départ de Rouen en août 14 ; avec lui se
tenait mon très cher ami Gabriel Le Ber que, lui aussi, je ne devais jamais plus revoir ! A je ne
sais plus quel endroit dans un poste de Secours, un infirmier refit mon pansement : c’était
l’abbé Taddéi, mon ancien professeur de mathématiques.
Puis ce fut l’évacuation sur Vadelaincourt, puis sur Bar-le-Duc, dans un affreux
camion cahotant. Ensuite, l’hôpital, le masque, la table d’opération, l’odeur de l’éther, de
l’acide phénique, le professeur Garripui, et enfin le sourire de infirmières sous leur coiffe
blanche… puis après, le communiqué annonçant que notre attaque avait pleinement réussi.
Ainsi se terminent les souvenirs d’une époque où la France vivait encore sous le signe
de la virilité.
Georges OLIVIER (1893-1968),
chevalier de la Légion d’honneur, Croix de guerre 1914-1918.
« Revue des Société Savantes de Haute-Normandie » - Lettres n° 3 (1956).

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