Les mystères des palombes - Dictionnaire de la palombe

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Les mystères des palombes - Dictionnaire de la palombe
Les mystères des palombes
dévoilés par les satellites Argos
A LA UNE / ENVIRONNEMENT / Publié le 31/10/2016 .
Mis à jour le 07/11/2016 à 10h11 par Cathy Lafon (journaliste à SUD OUEST)
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Un vol de palombes en Haute-Soule, au Pays basque. ©
ARCHIVES SUD OUEST /PIERRE-ALEX BARCOÏSBIDE
D'où viennent les palombes, où migrent-elles et où nichent-elles ?
Dans la région, une scientifique, Valérie Cohou, suit les déplacements du
pigeon ramier depuis l'espace.
Chaque année, dès la mi-octobre, le grand Sud-Ouest, atteint de "fièvre bleue", scrute le ciel
et guette la migration des palombes qui déferlent du Nord-Est. Traditionnellement, pour les
chasser. Lorsqu'il pointe en automne le bout de son bec et survole en nombre les plaines de la
région et les cols basques des Pyrénées, pour gagner des contrées plus chaudes de la
péninsule ibérique ou prendre ses quartiers d'hiver en France, le mythique oiseau
bleu constitue dans la région un gibier particulièrement prisé des "paloumayres". Mais
aussi, pour le simple plaisir de les savoir de retour dans nos contrées.
Les palombes vues de l'espace
Un beau spécimen de palombe.© PHOTOARCHIVES SUD OUEST/ FABIEN COTTEREAU
En effet, ce n'est plus un secret pour personne, la biodiversité, sur Terre, n'est pas au mieux
de sa forme. Pollution, réchauffement climatique, activités humaines..., autant de facteurs
qui influent de façon dramatique sur la faune. En quatre décennies à peine, la biodiversité de
notre planète a chuté de plus de moitié, selon le rapport Planète Vivante, publié en 2014 par
le WWF. La Liste rouge nationale des oiseaux nicheurs, actualisée en septembre 2016, vient
de révéler qu'un tiers des oiseaux nicheurs est aujourd'hui menacé en France, contre un quart
en 2008.
Le système satellitaire Argos
Pour mieux protéger ce patrimoine naturel, en complément des outils d'observation et de
comptage classiques (baguages, radars..), les biologistes français utilisent le système francoaméricain Argos de localisation et de collecte de données environnementales par
satellite, grâce auquel ils ont pu suivre depuis l'espace, ces 30 dernières années, plus de 100
000 animaux : les manchots royaux dans les territoires australes, les éléphants de mers sur les
banquises antarctiques, les rennes en Sibérie, les tortues marines à La Réunion, en Guyane...
Et, plus près de chez nous, les pigeons ramiers européens, les fameuses palombes.
Palombes à foison
La palombe (Columba palumbus), dont le nom vient du latin via le gascon, compte parmi les
oiseaux les plus répandus et abondants en Europe. L'effectif total est estimé entre 5 à 10
millions d'hivernants en France dont 3 à 6 millions de nicheurs étrangers. Les dortoirs du
Sud-Ouest en abritent un bon million, et l'hivernage ibérique représente entre 2 et 3 millions
d'oiseaux. Si leur population se porte à merveille, ces oiseaux mythiques font partie de
ces espèces emblématiques que les scientifiques observent à la loupe, afin de mieux les
connaître, pour mieux les protéger.
Les palombes passent encore... Oui, mais où ?
Vol de palombes.© PHOTO ARCHIVES SUD OUEST/JEAN-LOUIS DUZERT
Au début des années 1990, on craignait que les "belles bleues" ne cessent de franchir les
Pyrénées, dans leur migration post-nuptiale, pour se rendre sur leurs sites d'hivernage en
péninsule ibérique.
Le flux bleu est stable
Réelle,
l'inquiétude
provenait
des
comptages
réalisés
par
l'association
naturaliste Organbidexka Col Libre (OCL) et la Fédération départementale de chasse des
Pyrénées Atlantiques (FDC 64), qui avaient observé un déclin constant du passage
automnal des pigeons ramiers sur les cols pyrénéens basques d'Organbidexka et d'Iraty,
depuis les années 1980. Pour expliquer le phénomène, on évoquait notamment la
responsabilité du réchauffement climatique.
Aujourd'hui, à la faveur de données récoltées au sein de divers réseaux d'observation, il
apparaît qu'il n'en est rien. Le poste de comptage d'Iraty a été supprimé et quatre postes ont
été installés à Urrugne, Sare, Banca et Arnéguy sur lesquels on n'a pas enregistré d'écarts
significatifs. Si le réchauffement climatique est une réalité dont il faut étudier l'éventuelle
incidence sur l'espèce, le flux bleu est stable… En revanche, les détails des parcours de la
migration des palombes ne sont toujours pas encore bien cernés.
Valérie Cohou, sentinelle de l'oiseau bleu
En quels points de la chaîne pyrénéenne le pigeon ramier migre-t-il aujourd'hui vers la
péninsule ibérique ? Un contingent toujours plus important passerait-il aujourd'hui l'hiver
dans le Sud-Ouest ou ailleurs en France ? Quelles sont ses haltes migratoires et ses zones
d'hivernage, avec leurs habitats associés ? Pour tenter de lever ces mystères immémoriaux,
le Groupe d'investigation de la faune sauvage France (GIFS)- association qui regroupe les
treize Fédérations des Chasseurs d'Aquitaine et de Midi-Pyrénées a missionné une
scientifique, titulaire d'un master Environnement, Valérie Cohou.
Née à Arcachon, la jeune femme, âgée de 40 ans, experte en dynamique des populations
animales, piste les battements d'ailes des palombes depuis l'espace, sans bouger de Pau, où
elle a son bureau au siège de la FDC 64.
63 balises Argos
Son secret ? Pour suivre l'oiseau bleu dans sa migration et ses haltes, sur ses lieux
d'hivernage comme sur ses lieux de nidification, et comprendre ce qui le guide sur les routes
migratoires, de l'Espagne au nord de l'Europe, la chercheuse utilise la télémétrie
satellitaire. Valérie Cohou a fait déposer 63 balises Argos, semblables à de petites barrettes
munies d'un émetteur, sur des oiseaux capturés pour la plupart dans le grand Sud-Ouest de la
France, de 2001 à 2015.
Une palombe portant une balise Argos sur son dos, au moyen d'un harnais en téflon.©
PHOTO GIFS - FRANCE
Energie solaire
Un premier programme financé par le GIFS a ainsi équipé onze palombes, de 2001 à 2003,
de balises de 20 grammes, d'une durée d'émission limitée à un an, dont huit sur le site
de Bourdalat, dans les Landes. Depuis 2009, 52 autres oiseaux - dont dix palombes
capturées en février 2011, sur leur aire d'hivernage, au Portugal et dans les Landes, à Créond'Armagnac et Banos - ont été équipés de nouvelles balises à énergie solaire. D'un poids de
12 à 18 grammes, ces dernières ont l'avantage de pouvoir fonctionner plusieurs années.
Alors, quoi de neuf sur la palombe ?
Fidèles à leurs lieux de nidification et de reproduction, les oiseaux ne le sont pas à leurs
quartiers d'hiver.
La deuxième étude s'est achevée en 2015. Ses premiers résultats, présentés le 5 octobre 2016
par Valérie Cohou au siège du CLS (Collecte Localisation Satellites), à Toulouse, lors d'un
séminaire Argos, suggèrent que les pigeons ramiers utilisent des routes bien définies pour
effectuer leurs migrations, stationnant pendant plusieurs jours en différents points. S'ils
sont fidèles à leurs lieux de nidification et de reproduction, les oiseaux ne le sont toutefois
pas à leurs lieux d'hivernage. Certains s'abstiennent même de migrer à la saison froide, et
restent dans le Sud-Ouest.
"Ces études ont remis en cause des théories plus anciennes", explique la scientifique.
Grâce aux balises Argos, on sait désormais que ces grandes voyageuses, qui parcourent à tire
d'aile des milliers de kilomètres, n'ont pas de comportement systématique en migration, mais
qu'elles partent plus tard. "Nous avons pu observer que le départ en migration prénuptiale
s'étalait de fin février à fin mars, précise Valérie Cohou, avec un pic lors de la deuxième
décade de mars."
Trois axes de migration principaux
Carte des voies migratoires des palombes.© PHOTO VALÉRIE COHOU, GIFS-FRANCE
"Nous avons également identifié trois axes de migration principaux, uncouloir
nordique, un couloir méditerranéen, et un couloir central, avec une prédilection pour ce
dernier, clairement orienté sud-ouest/nord-est", poursuit la scientifique. Sur cinq oiseaux
équipés entre 2001 et 2003, quatre avaient emprunté un axe sud-ouest/nord-est lors de leur
migration prénuptiale, achevant leur périple en Allemagne, République tchèque, Pologne
et Finlande. Le cinquième s'était arrêté en Haute-Garonne, près de Toulouse.
Fidélité aux lieux de nidification
Les pigeons ramiers, munis de balises Argos à énergie solaire, ont ensuite donné d'autres
informations sur la durée des périples et des haltes migratoires, très variables, qui peuvent
aller d'une journée à trois semaines. Enfin, les palombes semblent très fidèles à leurs sites de
reproduction, ce qui confirme les résultats d'une première publication de Valérie Cohou qui,
en 2011, avait décrypté le suivi du comportement de deux d'entre elles, Aniza et Grosso,
équipées de balises solaires au Portugal, le 11 février 2009.

Grosso, la Polonaise
Grosso, a débuté sa migration prénuptiale le 20 mars 2009 au Portugal pour s'installer
en Pologne pour nidifier, le 22 juin suivant, à Kozy, avant de repartir le 27 octobre 2009
pour s'installer en Dordogne, du 10 novembre 2009 au 27 mars 2010. Elle a ensuite entrepris
une nouvelle migration prénuptiale vers le sud de la Pologne, atteint le 24 avril 2010, avant
de revenir à l'automne suivant vers le Sud-Ouest via l'Allemagne, pour gagner son lieu
d'hivernage le 29 octobre 2010, entre Houeillès et Durance, dans le Lot-et-Garonne. Le 5
mars 2001, elle était toujours au cœur de la forêt des Landes de Gascogne. En 2011, sa
nouvelle migration prénuptiale l'a ramenée par un autre chemin, via le sud de l'Allemagne,
puis le nord de l'Autriche, avant de gagner une fois de plus le sud de la Pologne, à 200 km
de Kozy.

Aniza, la Suissesse
Aniza, elle, a débuté sa migration prénuptiale depuis le Portugal, le 13 mars 2009, pour
s'installer en Suisse, à Uesslinen-Buch, en mai 2009, où elle a séjourné un an et demi.
Repartie le 4 octobre 2010 pour sa migration automnale, via le Doubs et la Saône-et-Loire,
elle s'est finalement installée pour hiverner à Gibret, en Chalosse, dans les Landes. Elle y
est restée du 29 octobre 2010 au 19 mars 2011, date à laquelle elle est entrée en migration
prénuptiale. Le 26 mars suivant, elle se trouvait à nouveau sur la commune suisse de
Uesslingen-Buch pour nidifier, après avoir fait halte dans le Lot-et-Garonne, à Montcrabeau,
puis en Saône-et-Loire.
"L'ensemble de ces résultats, conclut Valérie Cohou, une fois étoffé par d'autres
données, aura des implications importantes dans une optique de gestion conservatoire
de cette espèce emblématique."
L'INFO EN PLUS
Comment fonctionne le système Argos ?
Les balises Argos sont les premières composantes du système satellitaire opérationnel depuis
1978, qui comprend : la constellation de 6 satellites, le réseau terrestre de 80 antennes de
réception et les centres de traitement de données.
La balise, qu'elle équipe un oiseau, un animal marin ou un bateau, envoie des données à
intervalles réguliers aux instruments Argos embarqués dans des satellites qui les renvoient
vers une station terrestre de réception avant de les rediriger vers la station de traitement
située à Toulouse. Après avoir été saisies, les données concernant les palombes sont ensuite
communiquées au GIFS France.
Cette nouvelle technologie est complémentaire du baguage des oiseaux, avec lequel un
réseau d'observateurs agréé par le Muséum d'histoire naturelle, a marqué quelque 20 000
palombes depuis 1988. A des fins scientifiques, les balises Argos suivent la migration
d'autres oiseaux que les palombes, comme celle des bécasses.