Qui paie le salaire des blessés
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Qui paie le salaire des blessés
Jeudi 15 octobre 2015 | L’ÉQUIPE 29 EXTRA Business Qui paie le salaire des blessés ? Comment fonctionne le système d’indemnisation des footballeurs en arrêt maladie. Réponse en partant du cas de Nabil Fekir, victime, le mois dernier, d’une rupture des croisés. PASCAL GLO B Stéphane Mantey/L’Équipe lessé lors de Portugal-France (0-1), le 4 septembre et opéré dix jours plus tard (rupture du ligament croisé antéro-interne du genou droit), Nabil Fekir est indisponible pour environ six mois. Qui va payer le joueur jusqu’à sa reprise ? Après la revalorisation de son contrat cet été (de 40 000 € à 300 000 € brut mensuels), la somme des salaires qui lui sont dus le temps de son absence s’élève à 1,8 M€. Selon la charte du football professionnel, l’Olympique Lyonnais doit, pour cet accident du travail, maintenir son salaire pendant trois mois. En Bundesliga, le joueur voit son salaire maintenu six semaines, en Angleterre, jusqu’à son retour. « Le club a le droit d’aller au-delà, mais il ne va pas le faire pour ne pas différencier le traitement de ses salariés, explique Didier Loiseau, directeur général de Henner Sports, spécialisé dans la couverture des risques sportifs. Il peut néanmoins y avoir dans les contrats une clause qui étend le versement du salaire à six, dix mois, voire une garantie intégrale. » «Avec Nabil, nous ne l’avons pas fait», précise son agent, Jean-Pierre Bernès. LES CLUBS COTISENT CINQ FOIS PLUS QU’ILS NEPERÇOIVENT D’INDEMNITÉS L’OL verse actuellement à Fekir la différence entre son salaire et les indemnités de la Sécurité sociale. Ces dernières étant plafonnées (7 614 € mensuels), l’OL paie actuellement environ 292 000 € brut par mois à son gaucher (1)… en attendant d’être indemnisé par l’UEFA, la blessure étant intervenue en sélection (voir par ailleurs). En revanche, les frais médicaux sont à sa charge. Mais à partir du 4 décembre, le club n’aura plus aucune obligation salariale envers l’international. S’il n’avait pas contracté d’assurance, le jeune homme devrait alors «se contenter» des 7 600 € mensuels de la Sécurité sociale. «Aucun salarié européen ne touche autant », souligne Didier Loiseau. En l’espace de six mois, la Sécu aura versé environ 43 000 € à Nabil Fekir. Une somme importante, à relativiser quand on sait que les clubs pros cotisent bien plus pour les accidents du travail qu’ils ne perçoivent d’indemnités (2). « Cinq fois plus, précise Philippe Diallo, directeur général de l’Union des clubs professionnels de football. Grâce à leur masse salariale et à un système de mutualisation, les cotisations accident du travail des clubs de football permettent de financer l’accidentologie d’une grande partie du sport français.» Ce sont donc les assureurs (Europ Sport Assur) qui prendront le relais de l’OL pour maintenir le train de vie du joueur (145 000 € par mois net d’impôt). À condition que le joueur ait pris soin de mettre sa cotisation à la hauteur de son nouveau salaire cet été. « Nous l’avons fait, heureusement, assure JeanPierre Bernès, d’autant plus qu’il a eu une revalorisation conséquente. Il ne faut pas prendre ça à la légère. » « Pour couvrir sa perte de salaire, un tel joueur doit cotiser 3000€ par mois», estime Didier Loiseau. En croisant les doigts pour que la blessure ne survienne pas. ¢ (1) 420000 € supportés par le club compte tenu des charges patronales. (2) 776422 € en moyenne de cotisations en 2012 pour 153366 € d’indemnités (source: UCPF). «Lejoueurquiseréveilleaumomentdusinistre…» DIDIER LOISEAU ancien footballeur à Auxerre et Nancy, est directeur général de Henner Sports, spécialisé dans la couverture des risques sportifs. «Les joueurs de L 1 sont-ils sensibles à la nécessité de s’assurer ? Plein de joueurs ne s’assurent que pour conjurer le mauvais sort et ne prennent pas toujours leurs dispositions pour faire évoluer leur garantie en fonction de l’évolution de leur contrat. Un grand nombre d’entre eux signent un nouveau contrat qui va peut-être doubler leur salaire et partent en vacances sans avertir l’assureur… Le joueur qui se réveille au moment du sinistre ne sera indemnisé que sur le salaire précédent. Certains ont eu de très mauvaises surprises. Avez-vous observé une évolution depuis le début de votre activité, en 1987? Je suis présent en basket, rugby, cyclisme… Si je n’étais resté que dans le football, je pense que je n’y serais plus. J’ai connu des générations où le joueur s’occupait de ses affaires. Aujourd’hui, il ne s’appartient plus et les gens qui s’occupent de lui ne sont pas tous compétents. Ça peut commencer comme ça : je veux bien assurer mon joueur, tu me donnes combien? J’ai du mal à accepter ce discours. Les joueurs souvent blessés sont-ils faciles à assurer ? Nous avons construit un système dans lequel mon assureur ne peut pas trier les joueurs pour dire : celui-là, je ne veux pas le renouveler. C’est un seul contrat collectif dans lequel il y a à peu près sept cents joueurs dont le sort est lié. Il y a même des joueurs si souvent blessés qu’ils m’appelaient en début de saison et me demanP. G. daient : ton assureur me vire pas ?» 190,35 € Le montant plafonné de l’indemnité journalière versée par la Sécu en cas d’accident du travail (60% du salaire de base) pendant les 28 premiers jours d’une incapacité de travail. Ensuite, c’est 253,80€ (7614€ mensuels). 7,3 % Le taux de cotisation à la Sécu des clubs professionnels français pour leurs joueurs. Pour les entraîneurs, c’est 2,2%; pour le personnel administratif, 1,8% (source UCPF). 1999 Le Marseillais Patrick Blondeau tacle violemment le Nantais Yves Deroff (double fracture tibia-péroné). Après six ans de marathon judiciaire, la cour d’appel d’Angers a condamné, en 2005, l’OM à rembourser la CPAM de LoireAtlantique. L’affaire fait jurisprudence en cas de faute intentionnelle. 14e minute de Portugal-France (0-1), le 4 septembre à Lisbonne : Nabil Fekir se tient le genou droit et va devoir sortir, victime d’une rupture des ligaments croisés synonyme de plusieurs mois d’absence. L’UEFAetlaFIFA couvrentlesblessures ensélection Sept ans après Anthony Réveillère, l’Olympique Lyonnais est confronté à une nouvelle rupture des ligaments de l’un de ses joueurs. Mais avec Nabil Fekir, le club pénalisé sur le plan sportif le sera moins sur le plan financier. Depuis juin 2012, la FIFA et l’UEFA ont créé des régimes d’assurance indemnisant les clubs lorsque leurs joueurs se blessent en sélection et sont indisponibles plus de vingt-huit jours. La garantie couvre alors la perte de salaire le temps de l’absence du joueur – un an maximum – dans la limite de 7,5 millions d’euros de salaire annuel brut (625 000 € /mois). Fini l’injustice pour les clubs punis jusque-là sportivement et financièrement. En 2006, la FIFA avait mis en place un fonds d’assurance destiné à indemniser ceux dont un joueur serait blessé pendant la Coupe du monde (Michael Owen, Ashley Cole…). Désormais, le principe est étendu aux « périodes de mise à disposition en équipe nationale ». L’OL, qui doit verser le salaire de Fekir pendant trois mois (1,26M€, voir par ailleurs), sera indemnisé par la suite par Broadspire, assureur de l’UEFA et de la FIFA, sur présentation des justificatifs de paiement. Une opération loin d’être blanche pour le club, si l’on tient compte des frais médicaux et de la valeur des points laissés en Ligue des champions en son P. G. absence (*). (*) 1,5 M€ la victoire, 0,5 M€ le nul.